Réf. : Cass. QPC, 20 octobre 2011, n° 11-60.203, FS-P+B (N° Lexbase : A8800HYL)
Lecture: 7 min
N8501BSN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 21 Octobre 2014
Résumé
La question ne présente pas un caractère sérieux dans la mesure où l'exigence d'une ancienneté minimale de deux ans subordonnant la présentation par une organisation syndicale de candidats au premier tour des élections professionnelles constitue une condition justifiée et proportionnée pour garantir la mise en oeuvre du droit de participation des travailleurs par l'intermédiaire de leurs représentants et l'exercice par le syndicat de prérogatives au sein de l'entreprise, sans priver les salariés de la liberté d'adhérer au syndicat de son choix. |
Observations
I - La disposition légale contestée
Les syndicats habilités à participer à la négociation du protocole préélectoral. Antérieurement à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), seules les organisations syndicales reconnues représentatives dans l'entreprise devaient être invitées par l'employeur à négocier le protocole d'accord préélectoral et à établir les listes de leurs candidats. Compte tenu de l'importance désormais accordée à l'audience électorale pour l'accès à la représentativité, la réforme précitée a considérablement élargi la notion de syndicat intéressé à la négociation du protocole préélectoral, sans pour autant ne lui fixer aucune limite.
Désormais, en application de l'alinéa 1er de l'article L. 2314-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3825IBB), "sont informées, par voie d'affichage, de l'organisation des élections et invitées à négocier le protocole d'accord préélectoral et à établir les listes de leurs candidats aux fonctions de délégués du personnel les organisations syndicales qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l'entreprise ou l'établissement concernés" (sic).
C'est la constitutionnalité de cette disposition qui était critiquée dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.
La contestation. En l'espèce, l'Union des syndicats pour un droit social pleinement appliqué aux salariés (UDPSA-salariés) soutenait que l'article L. 2314-3 du Code du travail, dans sa rédaction actuellement applicable, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et plus précisément aux 6ème et 8ème alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L1356A94) (1), au principe d'égalité à valeur constitutionnelle garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M), au principe à valeur constitutionnelle de non-discrimination entre organisations syndicales légalement constituées et au principe à valeur constitutionnelle selon lequel "ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des fins d'intérêts général".
On ne sera pas surpris que soient invoqués, à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité, la liberté syndicale (alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946) ou le principe de participation (alinéa 8 de ce même Préambule). De même, la référence au principe d'égalité apparaît d'ores et déjà fort classique, celui-ci tendant à être considéré, à tort et à raison (2), comme le sésame de nombreuses questions prioritaires de constitutionnalité, spécialement lorsqu'elles se rapportent aux dispositions de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008. Cela se conçoit aisément dans la mesure où ce texte opère de nombreuses distinctions entre syndicats, que ce soit en fonction de leur représentativité ou, comme en l'espèce, d'autres critères. Il est néanmoins curieux que soient à la fois invoqués ce principe et celui de non-discrimination, dans la mesure où ils ne recouvrent pas les mêmes situations.
On ne peut également qu'être étonné de la référence faite au "principe à valeur constitutionnelle selon lequel ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des fins d'intérêt général'". Sans doute cette affirmation procède-t-elle d'une confusion. On sait en effet que le Conseil constitutionnel considère avec constance que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. Si l'"intérêt général" dont il est fait mention constitue une limite et une justification aux atteintes portées au principe d'égalité, il ne s'agit pas à proprement parler d'un principe constitutionnel.
II - La décision de ne pas renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité
Solution. Pour décider qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil, la Cour de cassation affirme tout d'abord que "la question ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle". Elle considère, ensuite, que "la question posée ne présente pas un caractère sérieux dans la mesure où l'exigence d'une ancienneté minimale de deux ans subordonnant la présentation par une organisation syndicale de candidats au premier tour des élections professionnels constitue une condition justifiée et proportionnée pour garantir la mise en oeuvre du droit de participation des travailleurs par l'intermédiaire de leurs représentants et l'exercice par le syndicat de prérogatives au sein de l'entreprise, sans priver le salarié de la liberté d'adhérer au syndicat de son choix et ne porte atteinte à aucun des principes invoqués".
Conformément aux textes applicables en la matière (3), afin de décider si la question prioritaire de constitutionnalité doit ou non être renvoyée au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation doit vérifier si la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux (4). S'agissant du caractère nouveau, le Conseil constitutionnel a précisé que "le législateur organique a entendu, par l'ajout de ce critère, imposer que le Conseil constitutionnel soit saisi de l'interprétation de toute disposition constitutionnelle dont il n'a pas encore eu l'occasion de faire application ; que dans les autres cas, il a entendu permettre au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation d'apprécier l'intérêt de saisir le Conseil constitutionnel en fonction de ce critère alternatif ; que, dès lors, une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être nouvelle au sens de ces dispositions au seul motif que la disposition législative contestée n'a pas déjà été examinée par le Conseil constitutionnel" (5).
Pour revenir à l'arrêt rapporté, on admettra, avec la Cour de cassation, que tous les principes invoqués à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité ont déjà été appliqués par le Conseil constitutionnel et ce à de multiples reprises. Il eût par suite été difficile (6) de dire que la question posée était nouvelle. Mais il restait encore à se prononce sur le caractère sérieux.
Le caractère sérieux de la question. Si l'organisation syndicale paraissait vouloir discuter la constitutionnalité de l'ensemble de l'article L. 2314-3, il résulte du motif de principe de l'arrêt que c'est sur l'exigence d'une ancienneté minimale de deux ans pour la présentation, par une organisation syndicale, de candidats au premier tour des élections professionnelles dans l'entreprise que se prononce la Cour de cassation (7). On ne discutera pas le fait que cette condition d'ancienneté ne porte aucune atteinte au principe d'égalité (8), dans la mesure où les syndicats qui la remplissent ne sont pas dans la même situation que ceux qui ne la respectent pas.
Pour ce qui est de l'atteinte portée au droit de participation des travailleurs, la solution retenue par la Cour de cassation nous paraît devoir être approuvée. Pour que ce droit constitutionnellement garanti soit pleinement mis en oeuvre, il est logique de soumettre les représentants des travailleurs qui en sont le vecteur (9), et spécialement les syndicats, à certaines exigences d'authenticité et de légitimité. La condition minimale d'ancienneté participe à l'évidence de cela. Quant à sa durée, il est effectivement possible de la juger "proportionnée", en la rapportant, par exemple, aux cycles électoraux dans l'entreprise, en principe de quatre ans. On ajoutera, avec la Cour de cassation, qu'une telle exigence ne prive pas le salarié de la liberté d'adhérer au syndicat de son choix. Sans doute le syndicat n'ayant pas l'ancienneté requise n'a guère de prérogatives. Mais cela n'est qu'une situation bien transitoire et éphémère.
(1) Bien qu'il soit fait référence dans l'arrêt au "18ème" alinéa, on peut penser qu'est, en réalité, visé le 8ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
(2) Sans doute serait-il plus juste de dire à "tort et à travers".
(3) V. sur la question, Ch. Radé, "L'impact de la nouvelle question préjudicielle de constitutionnalité sur le droit du travail", Lexbase Hebdo n° 377 du 7 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : L0289IGS).
(4) La Cour de cassation doit également vérifier qu'il est soutenu qu'une disposition législative, qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution, sauf changement de circonstances, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou qu'elle constitue le fondement des poursuites.
(5) Cons. const., 3 décembre 2009, n° 2009-595 DC (N° Lexbase : A3193EPX). Décision citée par la Circulaire du Ministre de la justice et des libertés du 24 février 2010 relative à la présentation de la QPC, § 4.1.2.
(6) Mais non impossible.
(7) Faut-il comprendre que cette exigence ne saurait pas plus être discutée lorsqu'elle est appliquée à la participation à la négociation du protocole d'accord préélectoral ?
(8) Quant au principe de non-discrimination, il ne peut être invoqué, la distinction ne reposant pas sur un motif illicite.
(9) Il faut ici rappeler que le droit à participation est un droit individuel, appartenant à chaque travailleur et non l'apanage des syndicats.
Décision
Cass. QPC, 20 octobre 2011, n° 11-60.203, FS-P+B (N° Lexbase : A8800HYL) Textes invoqués : C. trav., art. L. 2314-3 (N° Lexbase : L5796I33), 6ème et 8ème alinéas du Préambule de la Constitution du 24 octobre 1946 (N° Lexbase : L1356A94), principe d'égalité à valeur constitutionnelle garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M), principe à valeur constitutionnelle de non-discrimination entre organisations syndicales légalement constituées, principe à valeur constitutionnelle selon lequel "ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des fins d'intérêt général". Mots-clefs : QPC, élections professionnelles, candidatures, syndicats non représentatifs, ancienneté minimale de deux ans. Liens base : (N° Lexbase : E1606ETN) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:428501