Lexbase Public n°289 du 23 mai 2013 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] La Cour de cassation précise le régime du placement en rétention administrative

Réf. : Cass. civ. 1, 15 mai 2013, deux arrêts, n° 12-14.566 (N° Lexbase : A3197KDR) et n° 12-16.082 (N° Lexbase : A3199KDT), F-P+B+I

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 23 Mai 2013

La Cour de cassation est venue préciser le régime de la rétention administrative, et plus précisément les règles de prolongation de celle-ci, mais aussi des droits des personnes placées dans cette situation dans deux arrêts rendus le 15 mai 2013. Dans le premier arrêt (n° 12-14.566), elle rappelle qu'il résulte des dispositions de l'article L. 551-2, alinéa 2, du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8943IUR), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4), et de l'article R. 551-4 du même code (N° Lexbase : L1721HWN), que c'est à compter de son arrivée au lieu de rétention que l'étranger faisant l'objet d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) peut demander l'assistance d'un interprète, d'un conseil, d'un médecin et qu'il peut communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix, et non pas pendant la durée de son transfèrement de son lieu de garde à vue. Dans la seconde décision (n° 12-16.082), la Cour de cassation indique que, pour demander au juge des libertés et de la détention la prolongation de la décision de placement en rétention de l'étranger, le préfet dispose d'un délai de cinq jours à compter de la décision de placement, lequel ne peut excéder sept jours en cas de placement en garde à vue. Elle censure donc l'ordonnance attaquée selon laquelle la durée de la garde à vue, qui peut être de quarante-huit heures maximum, doit être incluse dans le délai de cinq jours accordé au préfet pour saisir le juge des libertés et de la détention. I - L'on peut rappeler que les centres de rétention administrative reçoivent les étrangers sous le coup d'une mesure d'éloignement le temps de pouvoir les renvoyer dans leur pays d'origine ou de dernier transit. Ils ne relèvent pas de l'administration pénitentiaire. L'arrêté du 21 mai 2008 (N° Lexbase : L7984IWM), pris en application de l'article R. 553-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8915IRM), fixe la liste de ces vingt-cinq centres, lesquels ont une capacité totale d'environ 1 800 places. Le juge administratif se montre relativement bienveillant à leur égard, puisqu'il a encore récemment confirmé la légalité de la création des centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot 2 et 3, qui était contestée par diverses associations (CE 2° et 7° s-s-r., 18 novembre 2011, n° 335532, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9259HZX). La France a fait l'objet d'une condamnation de la Cour de Strasbourg sur ce point, celle-ci jugeant illégale la rétention de jeunes migrants accompagnés de leurs parents en raison de l'inadaptation du centre de rétention (CEDH, 19 janvier 2012, Req. n° 39472/07 et n° 39474/07 N° Lexbase : A1647IBM), après une différence d'appréciation sur ce point entre juges d'appel défavorables à cette pratique (CA Rennes, 29 septembre 2008, n° 271/2008 ; CA Toulouse, 21 février 2008, n° 08/00088 N° Lexbase : A9815IB7) et Cour de cassation n'y étant pas hostile (Cass. civ. 1, 10 décembre 2009, deux arrêts, n° 08-21.101 N° Lexbase : A4183EPM et n° 08-14.141 N° Lexbase : A4182EPL, F-P+B+I).

Dès son interpellation, l'étranger qui ne peut justifier être entré régulièrement en France et n'est pas titulaire d'un titre de séjour peut se voir informé par les services de police, lors de son audition, qu'il est susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement vers son pays d'origine et s'il a pu présenter des éléments pertinents qui pouvaient influer sur le contenu de la décision (CAA Bordeaux, 5ème ch., 30 avril 2013, n° 12BX02988 [LXB= A5439KDS]). L'article L. 551-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers (N° Lexbase : L7194IQI) indique que, sauf assignation à résidence, laquelle peut intervenir à tout moment sur décision du juge judiciaire (Cass. civ. 1, 29 février 2012, n° 11-30.085, F-P+B+I N° Lexbase : A7142IDU), "l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire", notamment lorsqu'il fait l'objet d'un arrêté d'expulsion, d'un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois années auparavant, ou lorsqu'il doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour. L'interpellation aux fins de placement en rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement ressortit à la police administrative (Cass. civ. 1, 28 mars 2012, n° 11-30.454, F-P+B+I N° Lexbase : A9979IGP). Toutefois, l'étranger présentant des garanties de représentation suffisantes ne peut faire l'objet d'une mesure de placement en rétention (TA Toulouse, 29 novembre 2011, n° 1105312 N° Lexbase : A1824H4C), ce qui n'est pas le cas s'il ne justifie d'aucun domicile fixe en France, ayant été interpellé dans un squat situé sur un terrain privé (CAA Lyon, 5ème ch., 10 janvier 2013, n° 12LY00186 N° Lexbase : A6092KDY).

La rétention est décidée par l'autorité administrative (la préfecture), puis, éventuellement, prolongée par le juge des libertés et de la détention. Dans un arrêt du 12 avril 2012, la Cour de cassation a, ainsi, rappelé que le premier président d'une cour d'appel ne peut ordonner le placement en rétention administrative d'un étranger, mais seulement prolonger une telle mesure (Cass. civ. 1, 12 avril 2012, n° 11-11.904, F-P+B+I N° Lexbase : A6029II7). Elle est limitée au temps strictement nécessaire à son renvoi : la décision de placement en rétention, prise par le préfet, est valable cinq jours et ne peut pas dépasser quarante-cinq jours. L'importance de la décision n° 12-16.082 du 15 mai 2013 tient au fait qu'elle rappelle clairement que ce délai ne peut excéder sept jours en cas de placement en garde à vue. Par cette même décision, les Sages ont rappelé que le placement en rétention, s'il est justifié, doit respecter les droits de la défense, être limité dans le temps et être lié à l'impossibilité de procéder immédiatement à l'exécution de la mesure d'éloignement. Ils ont ensuite, en 2003, posé le principe selon lequel un étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet (Cons. const, décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 N° Lexbase : A1952DAK). En 2011 (Cons. const, décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 N° Lexbase : A4307HTP), ils ont précisé, comme le rappelle la Cour suprême dans la décision rapportée, que, lorsque l'étranger a été placé en rétention administrative à l'issue d'une garde à vue, la protection constitutionnelle de la liberté individuelle exige que la durée de celle-ci soit prise en compte pour déterminer le délai avant l'expiration duquel une juridiction de l'ordre judiciaire doit intervenir. La durée de la garde à vue peut être portée à quarante-huit heures en cas de renouvellement de la mesure par le procureur de la République. L'étranger privé de sa liberté ne peut donc être effectivement présenté à un magistrat du siège après l'expiration d'un délai de sept jours à compter du début de la garde à vue.

II - L'arrêt n° 12-14.566 revient sur les droits de l'étranger en rétention, en rappelant que "celui-ci doit pouvoir demander l'assistance d'un interprète, d'un conseil ainsi que d'un médecin et qu'il peut communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix". Dans le domaine voisin des zones d'attentes, il a été jugé qu'une requête en annulation de la procédure de maintien tirée de l'absence d'assistance par un interprète, ne peut être annulée si l'intéressé parle le français et qu'à aucun moment il n'a demandé l'assistance d'un interprète (Cass. civ. 2, 25 janvier 2001, n° 99-50.067, F-P+B N° Lexbase : A4156ARD). Lorsqu'un étranger, maintenu dans une zone d'attente située dans une gare, un port ou un aéroport, demande l'assistance d'un interprète, celui-ci doit nécessairement être présent aux côtés de l'intéressé qui en sollicite l'assistance (Cass. civ. 2, 7 octobre 1999, n° 98-50.038, F-P+B N° Lexbase : A5112CGG). L'assistance par téléphone de l'interprète est donc assimilée à une non-assistance et, lorsque cette irrégularité se manifeste au cours de la procédure administrative de maintien en zone d'attente, elle entraîne la nullité de la procédure judiciaire.

Si l'expulsion est exclusivement destinée à assurer l'ordre et la sécurité publics et n'est pas forcément considérée comme une sanction (CE 2° et 6° s-s-r., 20 janvier 1988, n° 87036, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7553APG), le Conseil constitutionnel a, toutefois, affirmé qu'elle constitue une mesure qui restreint l'exercice d'une liberté publique (Cons. const, décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, précitée). Il peut arriver que le maintien en rétention administrative, ou en zone d'attente, soit décidé alors que l'étranger est placé en garde à vue, et qu'il prenne immédiatement effet au terme de cette mesure. Cela se produit, par exemple, lorsqu'à l'occasion d'un contrôle d'identité, un ressortissant étranger est en situation irrégulière sur le territoire national, et qu'après avis donné au procureur de la République, une mesure d'éloignement est préférée à des poursuites pénales, ou encore, lorsqu'à sa descente d'avion, un étranger est trouvé, lors du contrôle des visas de transit aéroportuaires, en possession de documents falsifiés ou usurpés. Il appartient alors au juge, saisi par l'autorité administrative, de se prononcer, comme gardien de la liberté individuelle, sur les irrégularités attentatoires à cette liberté individuelle, invoquées par l'étranger (Cass. civ. 2, 24 février 2000, n° 99-50.001 et n° 99-50.002, F-D).

Rappelons par ailleurs, que depuis 2012 et trois décisions importantes de la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 5 juillet 2012, trois arrêts, n° 11-30.371 N° Lexbase : A4775IQW, n° 11-19.250 [LXB=A4776IQX ] et n° 11-30.530 N° Lexbase : A5008IQK, FS-P+B+R+I), suivant en cela un avis rendu le 5 juin 2012 par la Chambre criminelle (Cass. crim., 5 juin 2012, n° 11-19.250 [LXB=A1793INQ ] et lire N° Lexbase : N2346BT3) impulsé par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 28 avril 2011, aff. C-61/11 [LXB=A2779HPM ] et lire N° Lexbase : N4212BSS, CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11 N° Lexbase : A4929H3X), la garde à vue pour les étrangers au seul motif qu'ils sont dépourvus de papiers est irrégulière, cette procédure étant donc à manier avec précaution. Toujours sur un plan formel, il a été jugé récemment que les motifs de l'appel formé contre une prolongation en rétention administrative doivent figurer dans la déclaration d'appel transmise au greffe de la cour. Après cette déclaration motivée, un mémoire complémentaire ajoutant des moyens nouveaux peut toutefois être transmis jusqu'à l'expiration du délai d'appel (Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-17.093, F-P+B+I N° Lexbase : A5749KA8). En outre, le Conseil d'Etat a jugé que les stipulations de l'article 5, paragraphe 4, de la CESDH (N° Lexbase : L4786AQC), qui garantissent le droit d'une personne privée de liberté de former un recours devant un tribunal qui statue rapidement sur la légalité de la détention, n'ont ni pour objet, ni pour effet, de conduire à reconnaître un caractère suspensif aux recours susceptibles d'être exercés contre les mesures de placement en rétention administrative (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mars 2013, n° 359428, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3221I98).

Ces deux décisions, par le rappel des règles de prolongation de la rétention administrative mais aussi des droits des personnes placées dans cette situation, assurent donc un traitement plus efficace des procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière tout en respectant la protection de la liberté individuelle de ces derniers, une conciliation plus que jamais nécessaire en ces temps de renforcement du contrôle des politiques migratoires.

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