Lexbase Social n°464 du 1 décembre 2011 : Droit social européen

[Jurisprudence] L'obligation de se faire enregistrer en tant que demandeur d'emploi est contraire à la Directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002

Réf. : CJUE, 17 novembre 2011, aff. C-435/10 (N° Lexbase : A9210HZ7)

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N9048BSW

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[Jurisprudence] L'obligation de se faire enregistrer en tant que demandeur d'emploi est contraire à la Directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5635442-jurisprudence-lobligation-de-se-faire-enregistrer-en-tant-que-demandeur-demploi-est-contraire-a-la-d
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

le 01 Décembre 2011

Une législation nationale peut-elle prévoir une limitation particulière au droit d'un travailleur au paiement d'une créance salariale pour cause d'insolvabilité de son employeur ? Une telle limitation est-elle conforme au droit européen ? La CJUE s'est prononcée, par la négative, dans un arrêt rendu par la quatrième chambre, le 17 novembre 2011.
La CJUE était saisie d'une demande de décision préjudicielle introduite par le Centrale Raad van Beroep (Pays Bas), par décision du 8 septembre 2010, dans la procédure, "M. A. c/ le conseil d'administration de l'Institut de gestion des assurances pour les salariés" (1). La demande de décision préjudicielle portait sur l'interprétation des articles 4, 5 et 10 de la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (N° Lexbase : L9435AUY). L'Institut de gestion des assurances pour les salariés avait, en effet, refusé de verser à M. A. l'intégralité de l'indemnité d'insolvabilité au motif qu'il ne s'est pas fait enregistrer en tant que demandeur d'emploi auprès de l'Organisation centrale du travail et des revenus (2), dans le délai requis.
Résumé

Les articles 3 et 4 de la Directive 80/987/CEE du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (telle que modifiée par la Directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002 N° Lexbase : L9629A4E), doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui subordonne la possibilité, pour les travailleurs dont l'employeur se trouve en situation d'insolvabilité, de faire valoir intégralement leur droit au paiement des créances salariales impayées, à l'obligation de se faire enregistrer en tant que demandeur d'emploi.

Précision étant faite que la Directive 80/987/CEE du 20 octobre 1980 a, depuis, été modifiée à deux reprises, par la Directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002 et par la Directive 2008/94 du 22 octobre 2008 (3). La Commission européenne a estimé, début 2011, que ce texte n'avait pas besoin d'être révisé. Le rapport a été débattu, le 13 avril 2011, devant les députés de la Commission Emploi et Affaires sociales du Parlement. Dans son projet de rapport, Julie Girling a jugé que la Directive a atteint son objectif en assurant un minimum de protection aux employés en cas d'insolvabilité, tout en ménageant aux Etats membres suffisamment de souplesse : aussi, il n'est pas nécessaire de fixer un montant minimal pour les paiements effectués par l'institution de garantie au niveau européen (4). Klaus-Heiner Lehne a rédigé un rapport, le 17 octobre 2011, contenant des recommandations à la Commission sur les procédures d'insolvabilité dans le cadre du droit européen des sociétés (2011/2006(INI)), précédant la Résolution du Parlement européen du 15 novembre 2011 contenant des recommandations à la Commission sur les procédures d'insolvabilité dans le cadre du droit européen des sociétés (5).

Le rapport de Klaus-Heiner Lehne a pointé notamment le fait que la Directive 2008/94/CE du 22 octobre 2008 a pour objectif d'assurer un minimum de protection aux travailleurs salariés en cas d'insolvabilité, tout en ménageant suffisamment de souplesse aux Etats membres. Mais il existe des différences de mise en oeuvre entre les Etats membres. Aussi, la Directive 2008/94/CE prévoit d'inclure explicitement dans son champ d'application les travailleurs à temps partiel, les travailleurs bénéficiant de contrats à durée déterminée et les travailleurs intérimaires.

De même, le champ d'application de la Directive 2008/94/CE (et en particulier l'interprétation des termes "créances impayées") est trop vaste, plusieurs Etats membres retenant une définition étroite de la rémunération (en excluant, par exemple, les indemnités de licenciement, les primes, les modalités de remboursement, etc.), ce qui peut donner lieu au non-recouvrement d'un nombre important de créances. La définition des termes "salaire" et "rémunération" relève de la compétence des Etats membres, sous réserve qu'ils respectent les principes de l'égalité et de la non-discrimination entre les travailleurs, de sorte que toute situation d'insolvabilité préjudiciable à ces derniers soit prise en compte pour leur indemnisation selon l'objectif social de la Directive 2008/94/CE et des montants minimums à fixer. Compte tenu des contrats de travail existant dans toute l'Union européenne et de la diversité de ces derniers dans les Etats membres, il n'est pas possible actuellement de chercher à définir la notion de "travailleur salarié" au niveau européen.

Enfin, le rapport souligne la nécessité d'éviter autant que possible les exclusions du champ d'application de la Directive 2008/94/CE (considérant Z, AA à AG) : l'arrêt rapporté porte précisément sur ce thème d'exclusion de garantie. Son intérêt est double : la CJUE rappelle la compétence des Etats membres d'édicter des mesures d'application de la Directive 80/987 (2002/74 ou 2008/94) ; mais elle reste vigilante sur le régime adopté par certains Etats, qui peut conduire à des limitations de garanties.

I - Régime de l'insolvabilité : la compétence normative des Etats membres

En l'espèce, M. A. était employé, depuis le 1er août 1985, de l'entreprise F., déclarée en faillite le 28 novembre 2006. M. A. s'est inscrit, le 15 mai 2007, auprès de la "CWI" et a introduit, le 20 mai 2007, une demande d'indemnité de chômage. Mais il ne s'est enregistré en tant que demandeur d'emploi que le 29 mai 2007. Le 7 juin 2007, il a introduit une demande d'"indemnité d'insolvabilité" auprès de l'"UWV". Par décision du 11 septembre 2007, l'"UWV" a accordé à M. A. une indemnité d'insolvabilité pour des créances impayées pour la période allant du 29 novembre 2006 au 12 février 2007 : cette période correspond au délai de préavis (visé à l'article 64 § 1-b de la "WW"). L'"UWV" a réduit cette somme de 20 %, en application du chapitre IV de la "WW", sanctionnant ainsi le fait que M. A. ne s'est pas fait enregistrer dans le délai requis en tant que demandeur d'emploi. La réclamation de M. A. a été rejetée par l'"UWV" par décision du 18 décembre 2007, au motif que la "WW" imposait l'obligation de se faire enregistrer en tant que demandeur d'emploi auprès de la "CWI" et de faire proroger cet enregistrement. Le recours formé contre cette décision par M. A. devant le Rechtbank a été également jugé non fondé pour le même motif. Il s'est pourvu en appel devant le Centrale Raad van Beroep.

La juridiction de renvoi considère que les articles 4, 5 et 10 de la Directive 80/987 permettent aux Etats membres, non seulement de fixer les modalités de l'organisation, du financement et du fonctionnement des institutions de garantie, mais aussi de limiter la protection que cette Directive vise à garantir aux travailleurs (6).

A - Principe général

La compétence envisagée ici est normative (au sens de la capacité d'un Etat à produire des normes en la matière) et non géographique (dans l'hypothèse des faillites transfrontalières, posant un problème de détermination de l'institution de garantie compétente (7)).

Cette compétence est prévue par la Directive 80/987 (en son article 3-1), dans la mesure où les Etats membres prennent les mesures nécessaires afin que des institutions de garantie assurent le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période qui se situe avant une date déterminée.

Ce sont également les Etats membres qui choisissent la date (supra) ; soit celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ; soit celle du préavis de licenciement du travailleur salarié concerné, donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur ; soit enfin celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ou celle de la cessation du contrat de travail ou de la relation de travail du travailleur salarié concerné, intervenue en raison de l'insolvabilité de l'employeur.

De même, les Etats membres ont la faculté de limiter l'obligation de paiement des institutions de garantie (Directive 80/987, art. 4).

B - Mesures d'application

L'article 3 de la Directive 80/987 impose aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent, sous réserve de l'art. 4 de la Directive, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés. La Directive 2002/74 a repris, quasiment en termes identiques, ces mêmes articles 3 et 4. La même observation vaut pour la Directive 2008/94 (même numérotation, art. 3 et 4).

Ainsi, la CJCE a jugé, en 2009 (8), que :

- les articles 3 et 4 de la Directive 80/987/CEE du 20 octobre 1980 ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui permet de qualifier de "prestations de Sécurité sociale" les créances impayées des travailleurs lorsque celles-ci sont payées par une institution de garantie ;

- la Directive 80/987 ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui utilise comme simple terme de comparaison la créance salariale initiale du travailleur salarié pour déterminer la prestation à garantir par l'intervention d'un fonds de garantie ;

- dans le cadre d'une demande par un travailleur salarié visant à obtenir d'un fonds de garantie le paiement des créances de rémunération impayées, la Directive 80/987 ne s'oppose pas à l'application d'un délai de prescription d'un an (principe d'équivalence). Néanmoins, il appartient au juge national d'examiner si son aménagement ne rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits reconnus par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité).

Enfin, la Directive 80/987 a prévu (art. 5) que les Etats membres fixent les modalités de l'organisation, du financement et du fonctionnement des institutions de garantie. Mais dans un cadre général, dont les bornes sont :

- le patrimoine des institutions doit être indépendant du capital d'exploitation des employeurs et être constitué de telle façon qu'il ne puisse être saisi au cours d'une procédure en cas d'insolvabilité ;

- les employeurs doivent contribuer au financement, à moins que celui-ci ne soit assuré intégralement par les pouvoirs publics ;

- l'obligation de paiement des institutions existe indépendamment de l'exécution des obligations de contribuer au financement.

La compétence des Etats membres est enfin assurée aux articles 9 (faculté des Etats membres d'appliquer ou d'introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs salariés) et 10 (faculté des Etats membres de prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus ; de refuser ou de réduire l'obligation de paiement ou l'obligation de garantie s'il apparaît que l'exécution de l'obligation ne se justifie pas en raison de l'existence de liens particuliers entre le travailleur salarié et l'employeur et d'intérêts communs concrétisés par une collusion entre ceux-ci) de la Directive 80/987.

II - Limitations du droit de paiement de créances salariales

A - Les limitations de garanties

En l'espèce, M. A. s'est vu refuser l'intégralité du paiement du salaire afférent au délai de préavis (art. 64 § 1-b) de la "WW" parce qu'il s'est inscrit tardivement en tant que demandeur d'emploi. Selon l'"UWV", conformément à l'article 65 de la "WW", sont entièrement déduits de l'indemnité les revenus du travail effectué pendant la période de référence. L'obligation d'enregistrement en tant que demandeur d'emploi viserait à augmenter les chances que le travailleur obtienne un emploi pendant cette période et à minimiser les charges du fonds de garantie.

Certaines limitations de garanties ont été soumises à l'appréciation de la CJCE/CJUE : limitation portant sur le délai de préavis ; limitation sur la nature des indemnités prises en charge (indemnité transactionnelle) ; limitation pour les personnes ayant détenu, dans les six mois précédant le dépôt de la demande de mise en faillite, une part essentielle de la société et y ayant exercé une influence.

  • Limitation portant sur le délai de préavis

En 2003 (9), la CJUE a décidé que la Directive 80/987/CEE ne s'oppose pas à l'application d'un délai de forclusion prévu en droit national pour l'introduction de la demande d'un travailleur salarié visant à obtenir le paiement d'une indemnité compensatrice de créances salariales impayées pour cause d'insolvabilité de l'employeur, à condition qu'un tel délai ne soit pas moins favorable que ceux concernant des demandes semblables de nature interne (principe d'équivalence) et ne soit pas aménagé de manière à rendre en pratique impossible l'exercice des droits reconnus par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité). La juridiction nationale doit, si elle constate que la disposition nationale qui prévoit le délai de forclusion n'est pas conforme aux exigences du droit communautaire et que, de plus, aucune interprétation conforme de cette disposition n'est possible, refuser d'appliquer celle-ci.

Dans le même sens, en 2009 (10), la CJCE a jugé que dans le cadre d'une demande par un travailleur salarié visant à obtenir d'un fonds de garantie le paiement des créances de rémunération impayées, la Directive 80/987 ne s'oppose pas à l'application d'un délai de prescription d'un an (principe d'équivalence). Néanmoins, il appartient au juge national d'examiner si son aménagement ne rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits reconnus par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité).

  • Limitation sur la nature des indemnités prises en charge : indemnité transactionnelle

Les juges doivent justifier des restrictions à la garantie des salaires et indemnités de rupture en cas de risque d'abus : la CJCE s'est prononcée, en ce sens, en 2008 (11). Une salariée espagnole ayant été licenciée a assigné son ancien employeur en conciliation extrajudiciaire (comme le permet le droit du travail espagnol) afin que l'employeur reconnaisse le caractère irrégulier du licenciement et qu'ils s'entendent sur le montant des indemnités de rupture. N'ayant pu obtenir de jugement exécutoire de l'accord de conciliation en raison de l'insolvabilité judiciairement constatée de son débiteur, la salariée s'est tournée vers le Fogasa (institution de garantie des salaires) pour obtenir le paiement des prestations convenues. Le Fogasa a cependant rejeté cette demande, au motif que l'indemnité de licenciement n'avait été reconnue par aucun jugement ni aucune décision administrative, ainsi que l'exige la loi espagnole qui exclut, a contrario, les indemnités reconnues par accord de conciliation extrajudiciaire. La CJCE s'était prononcée, en ce sens, en 2006 (12).

  • Limitation pour les personnes ayant détenu, dans les six mois précédant le dépôt de la demande de mise en faillite, une part essentielle de la société et y ayant exercé une influence

L'article 12-c de la Directive 2008/94 ne s'oppose pas à une disposition du droit national qui exclut un travailleur salarié du bénéfice de la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés au motif qu'il détenait, seul ou conjointement avec des parents proches, une part essentielle de l'entreprise concernée et a exercé une influence considérable sur les activités de celle-ci dans les six mois précédant la demande de mise en liquidation de cette entreprise (CJUE, 10 février 2011, aff. C-30/10 N° Lexbase : A1169GUT).

En effet, pour la CJUE, la Directive 2008/94 instaure (art. 3) une obligation de paiement des créances impayées des travailleurs salariés, alors que son article 12-c permet aux Etats de refuser ou de réduire cette obligation dans les cas où le travailleur salarié possédait, seul ou conjointement avec ses parents proches, une partie essentielle de l'entreprise ou de l'établissement de l'employeur et exerçait une influence considérable sur ses activités (13).

Pour la Cour, ni l'objectif de l'article 12, ni la finalité sociale de la Directive ne sont compromis par une disposition nationale qui limite la catégorie de travailleurs exclus du bénéfice de la garantie de paiement des créances impayées à celle des travailleurs qui détenaient une part essentielle de l'entreprise concernée et ont exercé une influence considérable sur les activités de celle-ci pendant la période de six mois précédant la demande de mise en liquidation de cette entreprise. En effet, le travailleur, se voyant refuser le bénéfice de la garantie, pourrait être considéré comme responsable de l'insolvabilité de l'entreprise en cause.

En ce sens, la CJCE avait déjà jugé, en 2002 (14), que les Etats membres peuvent exclure du droit à la garantie les créances de certaines catégories de salariés en raison de la nature particulière du contrat de travail ou en raison de l'existence d'autres formes équivalentes de garantie. Un Etat membre peut, pour éviter des abus, refuser à un salarié un droit à la garantie des créances nées après la date à laquelle un travailleur n'ayant pas le statut d'associé aurait quitté ses fonctions pour non paiement de sa rémunération, à moins que l'absence d'abus ne soit établie. En revanche, un Etat membre ne peut présumer qu'un travailleur n'ayant pas le statut d'associé a quitté ses fonctions pour non-paiement de sa rémunération avant que la rémunération impayée porte sur plus de 3 mois.

B - Limitation aux limitations : la finalité sociale de la Directive 80/987

1 - Les limitations de garanties sont encadrées

En l'espèce (§ 30), le recours de M. A. au fonds de garantie est bel et bien fondé sur l'existence d'une créance non contestée et reconnue par la réglementation nationale néerlandaise (en son article 64 § 1-b de la "WW"). Le paiement d'une telle créance, objectivement due par l'employeur ayant fait faillite, relève de l'article 3 de la Directive 80/987 et est garanti par celle ci. La CJUE souligne, à juste titre, que ce n'est que par voie d'exception que les Etats membres ont la faculté (Directive 80/987, art. 4) de limiter l'obligation de paiement : une telle limitation est envisageable tant en ce qui concerne la durée de la période donnant lieu au paiement (art. 4 § 2) qu'en ce qui concerne le plafond d'un tel paiement, (art. 4 § 3).

La CJUE estime, en l'espèce, que :

- la législation hollandaise ne prévoit pas de plafond de remboursement et ne relève donc pas de la faculté prévue à l'article 4 § 3, de la Directive 80/987 (§ 33) ;

- que l'article 4 de la Directive 80/987 doit être interprété de façon restrictive et conforme à sa finalité sociale, qui est d'assurer un minimum de protection à tous les travailleurs (15). À cet effet, les cas dans lesquels il est permis de circonscrire l'obligation de paiement des institutions de garantie sont énumérés limitativement par la Directive 80/987 et les dispositions concernées doivent faire l'objet d'une interprétation stricte, eu égard à leur caractère dérogatoire et à l'objectif de cette Directive.

2 - Finalité sociale

La finalité sociale de la Directive 80/987 consiste à garantir à tous les travailleurs salariés un minimum de protection au niveau de l'Union européenne en cas d'insolvabilité de l'employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à une période déterminée (16).

Pour la CJUE, il serait contraire à la finalité de la Directive 80/987 de l'interpréter de façon à ce qu'un travailleur, soit soumis, en raison du non respect de l'obligation d'enregistrement en tant que demandeur d'emploi dans un délai donné prévue par la règle nationale à une diminution forfaitaire et automatique du remboursement de ses créances salariales et ne puisse donc pas bénéficier de la garantie pour les pertes de salaires qu'il a effectivement subies pendant la période de référence (§ 35).

En effet, une obligation d'enregistrement en tant que demandeur d'emploi dans un délai déterminé et dont le non respect se traduit par une diminution de l'indemnité d'insolvabilité versée n'est pas de nature comparable avec un délai de forclusion ou de prescription pour l'introduction d'une demande d'indemnité d'insolvabilité. Il ne s'agit pas du versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la Directive 80/987, versement que l'article 4 de cette Directive autorise les Etats membres à limiter (17). Bref, la CJUE conclut qu'une règle nationale qui réduit le montant du remboursement de créances salariales de manière forfaitaire et automatique porte directement atteinte au minimum de protection poursuivi par la Directive 80/987 en cas d'insolvabilité de l'employeur (§ 37).

D'ailleurs, si l'article 10 de la Directive 80/987 permet aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus, l'obligation d'enregistrement auprès des services de l'emploi n'a manifestement pas pour objet de prévenir. L'"UWV" a reconnu que la justification de cette obligation ne reposait aucunement sur l'article 10.


(1) Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen, abréviation "UWV".
(2) Centrale organisatie voor Werk en Inkomen, abréviation "CWI".
(3) Avis du Comité économique et social européen sur la "Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (version codifiée)" COM(2006) 657 final - 2006/0220 COD ; F. Kessler et J.-P. Lhernould (dir.), Code annoté européen du travail, Groupe revue fiduciaire, 2010, p. 1065 s. ; S. Henion-Moreau, M. Le Barbier le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF, 2010, coll. Thémis, p. 454 s. ; P. Rodière, Traité de droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2008, n° 501 à 507 ; J.-M. Servais, Droit social de l'Union européenne, Bruylant 2008 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, coll. Manuel, 3ème édition, n° 568.
(4) Liaisons Sociales Europe, n° 276 du 21 avril 2011, Rubrique "15 jours dans l'Union" ; L. Peltzer et J.-P. Lacomble, La fermeture de l'entreprise et l'insolvabilité de l'employeur, éditions Kluwer, 2004.
(5) Mais ces références portent essentiellement sur le règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité et à titre accessoire, sur la protection des salariés en cas de redressement de l'employeur (N° Lexbase : L6914AUM) (Directives 80/987/CEE du 20 octobre 1980, 2002/74/CE du 23 septembre 2002 et 2008/94 du 22 octobre 2008).
(6) CJCE, 18 septembre 2003, aff. C-125/01 (N° Lexbase : A5823C9K), Rec. p. I 9375, D. Simon, Délais de forclusion applicable à l'indemnisation des salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, Europe, novembre 2003, comm. nº 342, p.17 ; CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-69/08 (N° Lexbase : A9801EIT), Rec. p. I 6741, E. Jeansen, Garantie des créances salariales : normes communautaires, JCP éd. S, 2009, nº 1477 p. 27-28 ; L. Driguez, Garantie des créances salariales contre l'insolvabilité de l'employeur, Europe, octobre 2009, comm. nº 363 p.16. Selon la Cour, les articles 3 et 4 de la Directive 80/987 du 20 oct. 1980 ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui permet de qualifier de "prestations de Sécurité sociale" les créances impayées des travailleurs, lorsque celles-ci sont payées par une institution de garantie.
(7) Cass. soc., 21 septembre 2011, n° 08-41.512, FS-P+B (N° Lexbase : A9597HXQ), Quelle est l'institution de garantie des salaires compétente pour les travailleurs migrants ?, Lettre d'actualité des Procédures collectives civiles et commerciales, n° 16, octobre 2011, alerte 252 ; v. les obs. de J.-P. Laborde, Institution de garantie des créances de salaires compétente au cas d'exercice habituel de l'activité salariée dans un Etat membre de l'Union européenne autre que celui du siège de l'entreprise mise en liquidation, Lexbase Hebdo n° 457 du 13 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8136BS7) ; v. aussi CJUE, 10 mars 2011, aff. C-477/09 (N° Lexbase : A3228G7P). Voir E. Jeansen, Détermination de l'institution de garantie compétente dans l'Union européenne, JCP éd. S, n° 22, 31 mai 2011, 1275 ; V. également nos obs., Insolvabilité de l'employeur en droit européen : conditions d'application de la Directive 80/987, sous CJCE, 16 octobre 2008, aff. C-310/07 (N° Lexbase : A7396EA8), Lexbase Hebdo n° 329 du 4 décembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9097BHE) ; v. nos obs., Actualité de la garantie de créances salariales en cas de faillite transfrontalière, sous CJCE, 27 septembre 2007, aff. C-9/07 (N° Lexbase : A5707DYZ), Lexbase Hebdo n° 279 du 31 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9595BCD).
(8) CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-69/08, préc..
(9) CJCE, 18 septembre 2003, aff. C-125/01, Rec. p. I 9375, préc..
(10) CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-69/08, préc..
(11) CJCE, 21 février 2008, aff. C-498/06 (N° Lexbase : A0008D7G), Protection des travailleurs contre l'insolvabilité de leur employeur, Europe, n° 4, avril 2008, comm. 122 ; v. nos obs., Directives 80/97/CEE et 2002/74/CE : conditions de l'exclusion de garanties par un fonds de garantie salariale, Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3629BE7) ; H. Tissandier, La protection contre l'insolvabilité s'étend elle aux indemnités transactionnelles ?, Liaisons Sociales Europe n° 197 du 20 mars 2008.
(12) CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-81/05 (N° Lexbase : A9492DQM), s'agissant de l'interprétation de la Directive 80/987/CEE. Le litige oppose un ressortissant espagnol au Fonds de garantie salariale de son pays qui refuse de lui verser une indemnité pour cessation du contrat de travail au motif que celle-ci a été reconnue dans un acte de conciliation, et non dans un jugement ou une décision administrative. La CJCE apporte trois réponses aux questions préjudicielles posées. Lorsqu'un Etat reconnaissait dans son droit interne, avant l'entrée en vigueur de la Directive, le droit pour le travailleur d'obtenir la protection de l'institution de garantie en cas d'insolvabilité de l'employeur, l'application de cette législation dans les cas où l'insolvabilité de l'employeur est intervenue après son entrée en vigueur entre dans son champ d'application. Lorsqu'une réglementation nationale prévoit que des indemnités légales, reconnues par un jugement, sont à la charge de l'institution de garantie en cas d'insolvabilité de l'employeur, des indemnités de même nature, reconnues dans un accord conclu en présence du juge et entériné par lui, doivent être traitées de la même façon. Le juge national doit laisser inappliquée une réglementation interne qui, en violation du principe d'égalité, exclut la prise en charge, par l'institution de garantie, des indemnités reconnues dans un tel accord.
(13) Si la disposition litigieuse ne mentionne aucun délai pendant lequel la possession d'une partie essentielle de l'entreprise concernée et une influence considérable sur les activités de celle-ci doivent avoir été effectives, il découle du septième considérant et de l'article 12-a à c, de la Directive que le législateur ne souhaitait pas porter atteinte à la faculté des Etats de fixer des limites à la responsabilité des institutions de garantie dans certains cas, y compris dans ceux décrits à l'article 12-c. Ce dernier repose, notamment, sur une présomption implicite selon laquelle un travailleur salarié qui, simultanément, détenait une participation essentielle dans l'entreprise concernée et exerçait une influence considérable sur les activités de celle-ci peut, par là même, être en partie responsable de l'insolvabilité de cette entreprise. Toutefois, cette faculté doit être appréciée à la lumière de la finalité sociale de la Directive qui consiste à garantir à tous les travailleurs salariés une protection minimale dans l'Union européenne en cas d'insolvabilité de l'employeur.
(14) CJCE, 11 septembre 2003, aff. C-201/01 (N° Lexbase : A5277C9C).
(15) CJUE, 14 juillet 1998, aff. C-125/97 (N° Lexbase : A0479AWN), Rec. p. I-4493, point 20.
(16) CJCE, 4 mars 2004, aff. C-19/01, C-50/01 et C-84/01 (N° Lexbase : A4308DB8), Rec. p. I-2005, L. Idot, Politique sociale. Des précisions sur le calcul du plafond d'indemnisation prévu par l'article 4 § 3 de la Directive sur la protection des salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, Europe, mai 2004, comm. nº 135 p.22 ; H. Tissandier, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2004, p. 593-594 ; V. point 35 : cette finalité sociale consiste à garantir à tous les travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à une période déterminée (CJCE, 10 juillet 1997, aff. C-373/95 N° Lexbase : A1924AW8, point 56 ; CJCE, 14 juillet 1998, aff. C-125/97 N° Lexbase : A0479AWN, Rec. p. I-4493, point 20 ; CJCE, 18 octobre 2001, aff. C-441/99 N° Lexbase : A5844AXQ, Rec. p. I 7687, point 26 ; CJCE, 11 septembre 2003, aff. C-201/01 N° Lexbase : A5277C9C, non encore publié au Recueil, point 38 ; CJCE, 16 juil. 2009, Visciano, C-69/08, préc., point 27 : la finalité sociale de la Directive 80/987 consiste à garantir à tous les travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à une période déterminée (CJCE, 4 mars 2004, aff. C-19/01, C-50/01 et C-84/01, préc., point 35 et jurisprudence citée).
(17) CJCE, 4 mars 2004, C-19/01, C-50/01 et C-84/01, préc., point 34 : l'article 4 § 3, alinéa 1er de la Directive prévoit la faculté pour les Etats membres de fixer un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés afin d'éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de cette Directive.

Décision

CJUE, 17 novembre 2011, aff. C-435/10 (N° Lexbase : A9210HZ7)

Textes concernés : Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 (N° Lexbase : L9435AUY), telle que modifiée par la Directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E), art. 4, 5 et 10

Mots-clés : Directive 80/987/CEE, protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur, indemnité d'insolvabilité, paiement subordonné à la condition d'enregistrement en tant que demandeur d'emploi

Liens base : (N° Lexbase : E1266ET3)

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