Cour de justice des Communautés européennes10 juillet 1997
Affaire n°C-373/95
Federica Maso e.a. et Graziano Gazzetta e.a.
c/
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) et Repubblica italiana
61995J0373
Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 10 juillet 1997.
Federica Maso e.a. et Graziano Gazzetta e.a. contre Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) et Repubblica italiana.
Demande de décision préjudicielle: Pretura circondariale di Venezia - Italie.
Politique sociale - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987/CEE - Limitation de l'obligation de paiement des institutions de garantie - Responsabilité de l'Etat membre du fait de la transposition tardive d'une directive - Réparation adéquate.
Affaire C-373/95.
Recueil de Jurisprudence 1997 page I-4051
1 Droit communautaire - Droits conférés aux particuliers - Violation, par un État membre, de l'obligation de transposer une directive - Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers - Étendue de la réparation - Application rétroactive et complète des mesures d'exécution de la directive - Réparation suffisante - Conditions
(Directive du Conseil 80/987)
2 Politique sociale - Rapprochement des législations - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987 - Détermination des créances impayées faisant l'objet de la garantie - Survenance de l'insolvabilité de l'employeur - Notion
(Directive du Conseil 80/987, art. 3, § 2, et 4, § 2)
3 Politique sociale - Rapprochement des législations - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987 - Législation nationale interdisant le cumul des montants garantis par la directive avec une indemnité versée après le licenciement du travailleur - Inadmissibilité
(Directive du Conseil 80/987, art. 4, § 3, et 10)
4 Politique sociale - Rapprochement des législations - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987 - Rémunérations garanties par l'article 4, paragraphe 2, de la directive - Période des trois derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail - Base de calcul - Mois de calendrier
(Directive du Conseil 80/987, art. 4, § 2)
5 Dans le cadre de la réparation du dommage subi par des travailleurs du fait de la transposition tardive de la directive 80/987 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, un État membre est en droit d'appliquer rétroactivement à leur égard les mesures d'exécution arrêtées tardivement, en ce compris les règles anticumul ou autres limitations de l'obligation de paiement de l'institution de garantie à la condition que la directive ait été régulièrement transposée. Toutefois, il appartient au juge national de veiller à ce que la réparation du préjudice subi par les bénéficiaires soit adéquate. Une application rétroactive, régulière et complète des mesures d'exécution de la directive suffira à cette fin, sauf si les bénéficiaires établissent l'existence de pertes complémentaires qu'ils auraient subies du fait qu'ils n'ont pu bénéficier en temps voulu des avantages pécuniaires garantis par la directive et qu'il conviendrait donc de réparer également.$
6 La notion de "survenance de l'insolvabilité de l'employeur", qui détermine, selon les articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive 80/987, les créances impayées qui font l'objet de la garantie prévue par la directive, doit être interprétée comme désignant la date de la demande tendant à l'ouverture de la procédure de désintéressement collectif, étant entendu que la garantie ne peut être octroyée avant la décision d'ouverture d'une telle procédure ou la constatation de la fermeture définitive de l'entreprise, en cas d'insuffisance de l'actif. Cette interprétation tient compte à la fois de la finalité sociale de la directive précitée et de la nécessité de fixer avec précision les périodes de référence auxquelles elle attache des effets juridiques.$
En effet, si la survenance de l'insolvabilité de l'employeur devait dépendre de la réunion des conditions de l'"état d'insolvabilité" prévues à l'article 2, paragraphe 1, de la directive et notamment de la décision d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif, laquelle peut intervenir longtemps après la demande d'ouverture, le paiement des rémunérations impayées pourrait, compte tenu des limitations temporelles visées à l'article 4, paragraphe 2, ne jamais être garanti par la directive, et ce pour des raisons qui peuvent être étrangères au comportement des travailleurs.$
7 Les articles 4, paragraphe 3, et 10 de la directive 80/987 doivent être interprétés en ce sens qu'un État membre ne peut pas interdire le cumul des montants garantis par la directive avec une indemnité qui vise à subvenir aux besoins d'un travailleur licencié pendant les trois mois qui suivent la cessation du rapport de travail. En effet, une telle indemnité ne résulte pas de contrats ou de relations de travail, dès lors qu'elle n'est versée, par hypothèse, qu'après le licenciement du travailleur et ne vise donc pas à rémunérer les prestations accomplies dans le cadre d'un rapport d'emploi.$
8 Il découle de la finalité de la directive 80/987 que les termes "trois derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail" utilisés à son article 4, paragraphe 2, doivent être interprétés comme désignant trois mois de calendrier en ce sens que cette période représente un espace de temps compris entre le quantième correspondant au terme visé par l'article 4, paragraphe 2, de la directive et le même quantième du troisième mois qui précède. En effet, la limitation de la garantie aux trois derniers mois civils, quel que soit le jour auquel est survenu le terme visé par cette disposition, pourrait avoir des conséquences préjudiciables pour les bénéficiaires de la directive, dans l'hypothèse où la survenance de l'insolvabilité ne se produirait pas au dernier jour du mois civil.
Dans l'affaire C-373/95,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par la Pretura circondariale di Venezia (Italie) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre
Federica Maso e.a.,
Graziano Gazzetta e.a.
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS),
Repubblica italiana,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 2, 3, paragraphe 2, 4, paragraphes 2 et 3, et 10 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23), ainsi que du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par une violation du droit communautaire qui lui est imputable,
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. J. C. Moitinho de Almeida, président de chambre, L. Sevón, D. A. O. Edward, P. Jann et M. Wathelet (rapporteur), juges,
avocat général: M. G. Cosmas,
greffier: Mme. L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
- pour les requérants au principal, par Me G. Boscolo, avocat au barreau de Venise,
- pour l'Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), par Mes A. Todaro et L. Cantarini, avocats au barreau de Rome, et A. Mascia, avocat au barreau de Venise,
- pour le gouvernement italien, par M. le professeur U. Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. D. Del Gaizo, avvocato dello Stato,
- pour le gouvernement allemand, par M. E. Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Mme S. Maass, Regierungsrätin z.A au même ministère, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme L. Nicoll, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d'agent, assistée de M. N. Green, barrister,
- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme M. Patakia, membre du service juridique, et M. E. Altieri, fonctionnaire national détaché auprès de ce service, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales des requérants au principal, représentés par Me G. Boscolo, de l'Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), représenté par Me A. Todaro et R. Sarto, avocat au barreau de Rome, ainsi que Me V. Morielli, avocat au barreau de Naples, du gouvernement italien, représenté par M. D. Del Gaizo, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme L. Nicoll, assistée de MM. N. Green et S. Richards, barrister, et de la Commission, représentée par Mme M. Patakia, MM. E. Altieri et L. Gussetti, membre du service juridique, en qualité d'agent, à l'audience du 3 octobre 1996,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 janvier 1997,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 3 novembre 1995, parvenue à la Cour le 29 novembre suivant, la Pretura circondariale di Venezia a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, quatre questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 2, 3, paragraphe 2, 4, paragraphes 2 et 3, et 10 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23, ci-après la "directive"), ainsi que du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par une violation du droit communautaire qui lui est imputable.
2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Mme Maso et onze autres personnes ainsi que M. Gazzetta et dix-sept autres personnes à l'Istituto nazionale della previdenza sociale (ci-après l'"INPS") à propos de la réparation du dommage subi du fait de la transposition tardive de la directive.
3 La directive vise à assurer aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur, sans préjudice des dispositions plus favorables existant dans les États membres. A cet effet, elle prévoit notamment des garanties spécifiques pour le paiement de leurs rémunérations impayées.
4 Selon l'article 11, paragraphe 1, de cette directive, les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive avant le 23 octobre 1983.
5 La République italienne n'ayant pas respecté cette obligation, la Cour a constaté son manquement dans l'arrêt du 2 février 1989, Commission/Italie (22/87, Rec. p. 143).
6 En outre, dans l'arrêt du 19 novembre 1991, Francovich I (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357), la Cour a dit pour droit que les dispositions de la directive qui définissent les droits des travailleurs devaient être interprétées en ce sens, d'une part, que les intéressés ne pouvaient pas faire valoir les droits issus de la directive à l'encontre de l'État devant les juridictions nationales à défaut de mesures d'application prises dans les délais et, d'autre part, que l'État membre était obligé de réparer les dommages découlant pour les particuliers de la non-transposition de la directive.
7 Le 27 janvier 1992, le gouvernement italien a, en application de l'article 48 de la loi d'habilitation n° 428 du 29 décembre 1990, adopté le décret législatif n° 80 transposant la directive (GURI n° 36 du 13 février 1992, ci-après le "décret législatif").
8 L'article 2, paragraphe 7, du décret législatif fixe les conditions de réparation des dommages causés par la transposition tardive de la directive en renvoyant aux modalités fixées, en exécution de la directive, pour la mise en oeuvre de l'obligation de paiement des institutions de garantie en faveur des travailleurs victimes de l'insolvabilité de leur employeur. Cette disposition est ainsi libellée:
"Pour déterminer l'indemnité qui doit éventuellement être accordée aux travailleurs dans le cadre des procédures visées à l'article 1er, paragraphe 1er (à savoir, la faillite, le concordat préventif, la liquidation administrative forcée et l'administration extraordinaire des grandes entreprises en temps de crise), en réparation du dommage découlant du défaut de transposition de la directive 80/987/CEE, les délais, les mesures et les modalités applicables sont ceux visés aux paragraphes 1er, 2 et 4. L'action en réparation du dommage doit être engagée dans un délai d'un an, à compter de l'entrée en vigueur du présent décret".
9 L'article 2, paragraphe 1, du décret législatif prévoit que la garantie concerne les
"créances résultant de contrats de travail, autres que celles dues en raison de la cessation du rapport de travail, portant sur les trois derniers mois du rapport de travail rentrant dans les douze mois qui précèdent:
a) la date de la mesure qui détermine l'ouverture d'une des procédures indiquées à l'article 1er, paragraphe 1er".
10 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la période de douze mois à laquelle se réfère cette dernière disposition est calculée rétroactivement à partir de la date de la décision déclarative de faillite de l'entreprise en cause (ou une mesure analogue d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité).
11 Par ailleurs, aux termes de l'article 2, paragraphe 2, du décret législatif,
"Le paiement effectué par le fonds, en application du paragraphe 1er, ne peut être supérieur à une somme égale à trois fois le plafond du montant mensuel versé par la caisse d'intégration extraordinaire des salaires, diminué des retenues en matière de sécurité sociale".
12 L'article 2, paragraphe 4, sous c), ajoute que ce paiement n'est pas cumulable avec l'indemnité de mobilité accordée, en application de la loi n° 223 du 23 juillet 1991, dans les trois mois qui suivent la cessation du rapport de travail.
13 Les requérants au principal, dont les employeurs ont été déclarés en faillite après le 23 octobre 1983 et avant l'entrée en vigueur du décret législatif, ont intenté une action devant la Pretura circondariale di Venezia, tendant à la réparation par l'INPS du préjudice subi du fait de la transposition tardive de la directive.
14 Ils ont fait valoir qu'ils avaient le droit d'être indemnisés pour l'intégralité des créances nées à leur profit dans les trois derniers mois de leur contrat de travail, incluant, pour chaque mois, la rémunération, la part mensuelle des 13e et 14e mois, la compensation des jours de vacances non encore utilisés, les intérêts légaux et la prise en compte des fluctuations de la monnaie à compter de la date de la faillite de leur employeur.