Cour de justice des Communautés européennes
14 juillet 1998
Affaire n°C-125/97
A.G.R. Regeling
c/
Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid
61997J0125
Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 14 juillet 1998.
A.G.R. Regeling contre Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid.
Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank Alkmaar - Pays-Bas.
Politique sociale - Directive 80/987/CEE - Obligation de paiement des institutions de garantie - Créances impayées.
Affaire C-125/97.
Recueil de Jurisprudence 1998 page I-4493
Politique sociale - Rapprochement des législations - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987 - Garantie pour les pertes de salaire subies pendant la période de référence - Existence de créances impayées nées antérieurement à la période de référence - Imputation des paiements de rémunération effectués par l'employeur au cours de la période de référence par priorité sur les créances nées antérieurement à cette période
(Directive du Conseil 80/987, art. 4, § 2)
L'article 4, paragraphe 2, de la directive 80/987, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où un travailleur détient à l'égard de son employeur à la fois des créances afférentes à des périodes d'emploi antérieures à la période de référence, visée par cette disposition, et des créances qui se rapportent à la période de référence elle-même, les paiements de rémunération effectués par l'employeur au cours de cette dernière période doivent être imputés, par priorité, sur des créances antérieures.
Il serait, en effet, contraire à la finalité sociale de la directive, qui est d'assurer un minimum de protection à tous les travailleurs, d'interpréter son article 4, paragraphe 2, de telle façon que le travailleur ne puisse bénéficier de la garantie pour les pertes de salaire qu'il a effectivement subies pendant la période de référence.
Dans l'affaire C-125/97,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par l'Arrondissementsrechtbank te Alkmaar (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
A. G. R. Regeling
Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 4 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. C. Gulmann, président de chambre, M. Wathelet (rapporteur), D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet et P. Jann, juges,
avocat général: M. G. Cosmas,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
- pour M. Regeling, par Me R. Polderman, avocat au barreau d'Alkmaar,
- pour le Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid, par le Bestuur van het Landelijk Instituut Sociale Verzekeringen, lui-même représenté par M. C. R. J. A. M. Brent, directeur de la section contentieux de l'organisme d'exécution Gak Nederland BV, et Mme A. I. van der Kris, collaborateur juridique du même organisme, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d'agent, assisté de M. C. Lewis, barrister,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. J. Kuijper, conseiller juridique, et Mme M. Patakia, membre du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales du Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid et de la Commission à l'audience du 5 mars 1998,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 14 mai 1998,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 18 mars 1997, parvenue à la Cour le 26 mars suivant, l'Arrondissementsrechtbank te Alkmaar a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 4 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23, ci-après la "directive").
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Regeling au Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid (direction de l'association sectorielle des entreprises de l'industrie métallurgique, ci-après l'"institution de garantie") à propos du calcul de la garantie prévue par la directive.
3 La directive vise à assurer aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur, sans préjudice des dispositions plus favorables existant dans les États membres.
4 A cet effet, l'article 3, paragraphe 1, de la directive prévoit l'obligation pour les États membres de prendre les mesures nécessaires pour que des institutions de garantie assurent le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période se situant avant une date déterminée; celle-ci, conformément à l'article 3, paragraphe 2, est, au choix des États membres, la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur (premier tiret), celle du préavis de licenciement donné en raison de l'insolvabilité (deuxième tiret) ou, alternativement, celle de la survenance de l'insolvabilité ou celle de la cessation du contrat ou de la relation de travail intervenue en raison de l'insolvabilité de l'employeur (troisième tiret).
5 Toutefois, aux termes de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive, le paiement peut être limité aux créances impayées concernant la rémunération afférente à certaines périodes, selon le choix effectué par les États membres en application de l'article 3, paragraphe 2, à savoir:
- dans le cas visé à l'article 3, paragraphe 2, premier tiret, les trois derniers mois du contrat ou de la relation de travail à l'intérieur d'une période de six mois précédant la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur (premier tiret);
- dans le cas visé à l'article 3, paragraphe 2, deuxième tiret, les trois derniers mois du contrat ou de la relation de travail qui précèdent la date de préavis de licenciement du travailleur salarié, donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur (deuxième tiret);
- dans le cas visé à l'article 3, paragraphe 2, troisième tiret, les dix-huit derniers mois du contrat ou de la relation de travail qui précèdent la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ou de la cessation du contrat ou de la relation de travail intervenue en raison de l'insolvabilité, les États membres pouvant limiter l'obligation de paiement à la rémunération afférente à une période de huit semaines ou à plusieurs périodes partielles ayant au total la même durée (troisième tiret).
6 La garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés peut encore être plafonnée par les États membres, conformément à l'article 4, paragraphe 3, "afin d'éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale" de la directive.
7 L'article 2, paragraphe 2, de la directive précise que celle-ci "ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition des termes 'travailleur salarié', 'employeur', 'rémunération', 'droits acquis' et 'droits en cours d'acquisition'".
8 Enfin, selon l'article 9 de la directive, les États membres peuvent appliquer ou introduire des dispositions plus favorables aux travailleurs salariés.
9 En droit néerlandais, la directive a été transposée par la Werkloosheidswet (loi sur le chômage, ci-après la "WW"). Selon le chapitre IV de cette loi, relatif à la prise en charge d'obligations découlant d'une relation de travail en cas d'impossibilité de l'employeur de payer les salaires, le travailleur, dont l'employeur est déclaré en faillite et qui est titulaire d'une créance portant sur son salaire ou son pécule de vacances, a droit à une prestation couvrant:
- la rémunération afférente aux treize semaines qui précèdent directement le jour où le contrat de travail est résilié, au maximum, ce qui correspond à la période de référence de trois mois précédant la date du préavis de licenciement visée à l'article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, de la directive;
- la rémunération due pendant le délai de préavis en vigueur [au maximum le délai visé à l'article 40 de la Faillissementswet (loi sur les faillites)];
- le pécule de vacances, les allocations de vacances et les montants dont l'employeur est redevable à des tiers en raison de sa relation de travail avec le salarié, portant sur une année au maximum (articles 61, paragraphe 1, et 64 de la WW).
10 Le 29 octobre 1990, M. Regeling est entré au service de M. Moojen en qualité de soudeur. Le contrat de travail a été résilié le 14 juin 1991, avec effet au 1er août 1991. L'employeur a été déclaré en faillite le 21 avril 1992; celle-ci a été clôturée, plusieurs mois plus tard, pour insuffisance d'actif.
11 Jusqu'au mois de décembre 1990 inclus, M. Regeling a perçu sa rémunération au terme prévu. En revanche, entre le 1er janvier et le 1er août 1991, l'employeur lui a versé, à intervalles irréguliers, des fractions de salaires. Alors que, selon son calcul, M. Regeling aurait eu droit, pour la période en cause, à une rémunération nette de 21 892 HFL, comprenant le salaire de base, la rémunération afférente aux heures supplémentaires et le pécule de vacances, l'employeur aurait payé, sporadiquement, au cours de cette même période, un montant total de 18 136 HFL. Selon M. Regeling, son employeur lui devrait donc encore 3 756 HFL à titre d'arriérés de salaires et autres.
12 Le 1er juillet 1992, M. Regeling a, sur le fondement du chapitre IV de la WW, réclamé ces arriérés de salaires à l'institution de garantie.
13 Par décision du 11 novembre 1993, celle-ci a rejeté cette demande au motif que M. Regeling ne disposait pas d'une créance de salaires au cours de la période de référence, à savoir du 15 mars au 25 juillet 1991, le montant total des paiements effectués par l'employeur au cours de cette période dépassant celui des créances de salaire dont il était titulaire pour la même période.
14 A cet égard, il ressort du dossier que, aux termes de l'article 43 du sixième livre du Burgerlijk Wetboek (code civil, ci-après le "BW"), entré en vigueur le 1er janvier 1992, mais dont la teneur correspond à celle des articles 1432 et 1435 de l'ancien BW, lorsqu'un débiteur effectue un paiement qui peut être imputé sur deux ou plusieurs obligations, ce paiement s'impute, en premier lieu, sur l'obligation désignée par le débiteur; en deuxième lieu, à défaut d'une telle désignation, sur les obligations échues; en troisième lieu, sur les obligations échues les plus onéreuses; enfin, si toutes les obligations sont échues et également onéreuses, sur l'obligation la plus ancienne. En application de ces dispositions, les paiements effectués par M. Moojen au cours de la période de référence auraient d'abord dû être imputés sur les dettes les plus anciennes, de telle sorte que M. Regeling serait titulaire de créances impayées pour lesquelles il aurait droit à la garantie prévue par la directive.
15 Toutefois, il découle de la jurisprudence des juridictions administratives néerlandaises et, en particulier, du Centrale Raad van Beroep que tout paiement de rémunération effectué au cours de la période de référence doit être imputé sur la rémunération afférente à cette période, les dispositions du code civil ne s'appliquant pas aux demandes fondées sur la législation de protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur. Selon cette jurisprudence, M. Regeling ne détiendrait pas de créances impayées au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la directive, en raison des paiements effectués au cours de la période de référence, et n'aurait, par conséquent, pas droit à la garantie.
16 Compte tenu de ce qui précède, la juridiction de renvoi a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Une législation nationale, qui peut conduire à ce que le paiement d'une créance de salaires prescrit par la directive 80/987 n'ait lieu que si et dans la mesure où cette créance porte, pendant la période visée à la directive, sur un montant plus élevé que le montant des rémunérations que le travailleur a perçu au cours de la même période, lequel est cependant imputé, d'après le droit civil national, sur une créance de salaires née pendant une période antérieure à la période visée ci-dessus, satisfait-elle complètement aux obligations découlant de la directive?"
17 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 4, paragraphe 2, de la directive doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où un travailleur détient à l'égard de son employeur à la fois des créances afférentes à des périodes d'emploi antérieures à la période de référence, visée par cette disposition, et des créances qui se rapportent à la période de référence elle-même, les paiements de rémunération effectués par l'employeur au cours de cette dernière période doivent être considérés comme couvrant exclusivement les créances du travailleur nées au cours de la période de référence ou s'ils doivent être imputés, par priorité, sur des créances antérieures.
18 Selon l'institution de garantie et le gouvernement du Royaume-Uni, dès lors que la directive tend à harmoniser partiellement les législations nationales et attribue expressément, en son article 2, paragraphe 2, aux États membres la compétence pour définir notamment la notion de "rémunération", ces derniers restent libres de déterminer la méthode d'imputation des paiements en cas de créances successives et, donc, de décider si les paiements effectués par l'employeur au cours de la période de référence couvriront les créances du travailleur nées au cours de cette période ou les créances antérieures.
19 Cette thèse doit être rejetée. S'il est vrai que la directive ne poursuit qu'une harmonisation partielle des législations des États membres en matière de protection des travailleurs victimes de l'insolvabilité de leur employeur, la question posée par la juridiction de renvoi n'en concerne pas moins l'interprétation des termes "créances impayées concernant la rémunération afférente aux trois derniers mois" du contrat ou de la relation de travail précédant la date du préavis, figurant à l'article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, de la directive. Ces termes portant sur la détermination même de la garantie communautaire minimale doivent être interprétés de façon uniforme afin de ne pas priver d'effet l'harmonisation, même partielle, recherchée sur le plan communautaire.
20 A cet égard, il y a lieu de constater que, en principe, conformément à l'article 3, paragraphe 1, de la directive, les institutions de garantie sont tenues d'assurer le paiement des créances impayées portant sur la rémunération afférente à la période se situant avant une date déterminée. Ce n'est que par voie d'exception que les États membres ont la faculté, en vertu de l'article 4, paragraphe 1, de limiter cette obligation de paiement à une période donnée, fixée selon les modalités de l'article 4, paragraphe 2. Ainsi que le souligne M. l'avocat général au point 45 de ses conclusions, cette disposition doit être interprétée de façon restrictive et conforme à la finalité sociale de la directive, qui est d'assurer un minimum de protection à tous les travailleurs.
21 Dans l'hypothèse où un travailleur est, comme en l'espèce au principal, titulaire de créances afférentes à des périodes d'emploi antérieures à la période de référence, l'imputation des paiements effectués par l'employeur au cours de cette dernière période sur les créances nées pendant celle-ci, nonobstant l'existence de créances antérieures demeurées impayées, aurait pour effet de porter directement atteinte au minimum de protection garanti par la directive, dont l'octroi dépendrait, dans de telles circonstances, de la décision, fortuite ou délibérée, de l'employeur d'effectuer ou non certains paiements au cours de la période de référence.
22 Il serait, en effet, contraire à la finalité de la directive d'interpréter son article 4, paragraphe 2, de telle façon que le travailleur, dans cette dernière hypothèse, ne puisse bénéficier de la garantie pour les pertes de salaires qu'il a effectivement subies pendant la période de référence.
23 En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 4, paragraphe 2, de la directive doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où un travailleur détient à l'égard de son employeur à la fois des créances afférentes à des périodes d'emploi antérieures à la période de référence, visée par cette disposition, et des créances qui se rapportent à la période de référence elle-même, les paiements de rémunération effectués par l'employeur au cours de cette dernière période doivent être imputés, par priorité, sur des créances antérieures.
Sur les dépens
24 Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par l'Arrondissementsrechtbank te Alkmaar, par ordonnance du 18 mars 1997, dit pour droit:
L'article 4, paragraphe 2, de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où un travailleur détient à l'égard de son employeur à la fois des créances afférentes à des périodes d'emploi antérieures à la période de référence, visée par cette disposition, et des créances qui se rapportent à la période de référence elle-même, les paiements de rémunération effectués par l'employeur au cours de cette dernière période doivent être imputés, par priorité, sur des créances antérieures.