Lexbase Social n°464 du 1 décembre 2011 : QPC

[Chronique] L'interprétation des décisions QPC de la Chambre sociale de la Cour de cassation

Réf. : Cass. QPC, 16 novembre 2011, n° 11-40.071, F-P+B (N° Lexbase : A9406HZE), Cass. QPC, trois arrêts, 18 novembre 2011, n° 11-40.067, FS-P+B (N° Lexbase : A9518HZK), n° 11-40.068, P+B (N° Lexbase : A9519HZL) et n° 11-40.066, FS-P+B (N° Lexbase : A9520HZM)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 01 Décembre 2011

L'entrée en vigueur de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité au 1er avril 2010 a considérablement modifié les stratégies des acteurs qui, jusqu'à lors, ne disposaient que de l'exception d'inconventionnalité pour tenter d'échapper à la loi lorsque les conditions d'application de celle-ci étaient réunies. L'examen de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis cette date montre que cette dernière entend jouer pleinement son rôle de filtre, encouragée d'ailleurs par le Conseil constitutionnel lui-même qui n'a pour le moment abrogé aucune disposition du Code du travail, laissant au Parlement une large marge d'appréciation pour mettre en oeuvre les droits et libertés des acteurs et les entourer des garanties suffisantes. Quatre décisions en date des 16 et 18 novembre 2011 permettent de nouveau de mesurer l'apport réel de la réforme constitutionnelle et de s'interroger sur la signification des décisions QPC rendues par la Haute juridiction, selon que celle-ci transmet ou non les questions qui lui sont soumises : trois questions ont, en effet, été bloquées, en raison de leur manque de caractère sérieux (I), une seule ayant été transmise et relative aux modalités d'application dans le temps de la réforme de la démocratie sociale issue de la loi du 20 août 2008 (loi n° 2008-789 N° Lexbase : L7392IAZ), le Conseil constitutionnel étant invité à se prononcer sur l'absence de régime transitoire des nouvelles conditions de représentation par les syndicats de leurs représentants dans les entreprises de 300 salariés et plus (II).
Résumés

Cass. soc., 16 novembre 2011, n° 11-40.071, F-P+B : dans une série d'arrêts rendus le 18 janvier 2011 (Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199, FS-P+B+R N° Lexbase : A2851GQN, n° 09-42.451, FS-D N° Lexbase : A2800GQR, n° 09-70.310, FS-D N° Lexbase : A2865GQ8, n°09-70.661, FS-D N° Lexbase : A2871GQE, n° 09-70.662, FS-D N° Lexbase : A2872GQG) et faisant application de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7), la Cour de cassation n'a pas entendu priver l'employeur du seul fait de son appartenance à un groupe de sociétés de la possibilité de licencier son personnel pour motif économique lorsqu'il cesse son activité, et ne lui imposant pas, pour cette seule raison, de justifier d'une autre cause de licenciement, hors situation de coemploi.

Cass. soc., 18 novembre 2011, n° 11-40.067, FS-P+B : le droit reconnu au salarié protégé, dont le licenciement a été autorisé par l'inspecteur du travail, d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent lorsque le ministre, sur recours hiérarchique, ou le juge administratif, saisi d'un recours pour excès de pouvoir, annule cette autorisation, répondent à des exigences constitutionnelles visant à assurer l'effectivité du droit syndical et du principe de participation justifiant que les représentants du personnel bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle dont la mise en oeuvre est entourée de garanties procédurales et de fond suffisantes.

Cass. soc., 18 novembre 2011, n° 11-40.068, P+B : les dispositions combinées des articles L. 2324-2 (N° Lexbase : L3724IBK), L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) et L. 2324-15 (N° Lexbase : L9759H8X) du Code du travail font obstacle à ce qu'une organisation syndicale remplissant les conditions pour nommer un représentant au sein du comité d'entreprise, désigne, pour assurer ce mandat, un salarié de l'entreprise ayant fait l'objet d'une interdiction, déchéance ou incapacité relatives à ses droits civiques, deuxièmement que la désignation frauduleuse encourt la nullité et enfin que la mise en oeuvre de la protection dont bénéficie le salarié désigné comme représentant syndical est assortie de garanties procédurales et de fond suffisantes.

Cass. QPC, 18 novembre 2011, n° 11-40.066, FS-P+B : la question de la conformité de l'article L. 2324-2 du Code du travail, qui conditionne la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à l'obtention, par le syndicat à l'origine de la désignation, d'élus au sein de ce comité, aux dispositions constitutionnelles en ce qu'il ne prévoit pas de régime transitoire, présente un caractère sérieux en ce que la disposition subordonne la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise par tout syndicat, quand bien même serait-il représentatif, à la condition pour le syndicat d'y avoir des élus, alors qu'aucune disposition transitoire n'a été prévue dans l'attente du résultat des premières élections professionnelles organisées sous l'empire de la nouvelle loi.

Commentaire

I - De l'interprétation des refus de transmission

A - Contexte constitutionnel

Décisions QPC et langage constitutionnel de la Cour de cassation. Comme cela a été souligné à des nombreuses reprises, le pouvoir de filtrage des QPC conféré par la réforme constitutionnelle de 2008 à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, au travers du critère du caractère "sérieux" des questions qui détermine leur transmissibilité au Conseil constitutionnel, induit nécessairement que ces derniers se livrent à un pré-contrôle de constitutionnalité des dispositions litigieuses, même s'il ne s'agit que d'un contrôle de la "constitutionnalité manifeste", ou, plus exactement, d'un contrôle de "l'absence d'inconstitutionnalité manifeste". La mise en oeuvre de cette procédure impose de distinguer deux hypothèses, selon que la question est transmise ou non, car la signification des décisions diffère alors logiquement selon le cas de figure.

Signification des décisions de non-transmission. Lorsque la Cour de cassation refuse de transmettre une question en raison de son caractère non sérieux, celle-ci considère nécessairement que le texte litigieux n'est pas manifestement contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit (1).

On sait que ce jugement peut être nourri par la propre jurisprudence de la Cour qui peut avoir été déjà saisie de la question de la conventionnalité de ces mêmes dispositions et souhaiter promouvoir une interprétation uniforme des instruments protecteurs des droits et libertés, qu'ils soient constitutionnels ou conventionnels (2). On sait également que la Cour de cassation s'inspire directement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à laquelle il est désormais clair qu'elle emprunte ses méthodes et son langage, et se comporte alors comme une véritable "chambre des requêtes" constitutionnelles en refusant de lui transmettre des questions dont il lui semble évident qu'elles n'ont aucune chance d'aboutir (3).

Critique. Le zèle manifesté par la Cour de cassation dans l'exercice de son rôle de filtre peut être diversement apprécié.

Pour certains, la Haute juridiction va bien au-delà du rôle que le Constituant a entendu lui confier et s'accapare ainsi un pouvoir qui n'est pas le sien, seul le Conseil constitutionnel pouvant décider de la constitutionnalité des dispositions légales litigieuses.

Pour d'autres, il est nécessaire de soulager le Conseil constitutionnel, sauf à le laisser se noyer dans un contentieux pléthorique, en ne lui transmettant que les questions les plus pertinentes, quitte à laisser les juges "dialoguer", selon des modalités variables, pour que le Conseil fasse savoir à la Cour de cassation que sur telle ou telle question il envisage de modifier sa jurisprudence et qu'il attend qu'on lui transmette la question qui le lui permettrait.

Quelle que soit l'opinion que l'on peut avoir sur la question, les deux sentiments n'étant d'ailleurs pas exclusifs l'un de l'autre et pouvant conduire à une sorte de fatalisme teinté d'une certaine résignation devant l'évolution inéluctable de ce type de contrôle, il est toujours intéressant d'observer les questions que la Chambre sociale de la Cour de cassation a refusé de transmettre, et de tenter de comprendre pourquoi.

B - De la possibilité de contester la constitutionnalité d'une interprétation jurisprudentielle

Remise en cause de la jurisprudence "Société Jungheinrich finances holding" de 2011. Dans cette affaire qui a donné lieu à un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 18 janvier 2011, la Haute juridiction avait, en effet, retenu, à la suite d'une cour d'appel, une situation de coemploi entre deux entreprises appartenant à un même groupe et ce pour permettre aux salariés licenciés par l'une des deux entreprises d'obtenir la condamnation de l'autre en paiement des indemnités liées à leur licenciement (4).

Confrontée à un risque de qualification identique, une entreprise avait imaginé poser une QPC sur la conformité de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7), tel qu'interprété par la Cour de cassation dans cette affaire, au principe de la liberté d'entreprendre et d'égalité entre les entreprises appartenant à une même filiale.

Plus exactement, la question transmise était ainsi rédigée :

"- en interdisant aux sociétés filiales de licencier leur personnel pour le seul motif de leur cessation d'activité, les dispositions de I'article L. 1233-3 du Code du travail sont-elles inconstitutionnelles comme portant atteinte au principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'entreprendre garanti par I'article 4 de la Déclaration universelle des droits de I'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1368A9K) ?

- en soumettant les licenciements pour cessation d'activité notifiés par les sociétés filiales de groupe, à un régime juridique distinct de celui applicable aux licenciements pour le même motif pratiqués par des employeurs autres que des filiales, I'article L. 1233-3 du Code du travail porte-t-il atteinte au principe à valeur constitutionnelle d'égalité devant la loi garanti par I'article 6 de la Déclaration universelle des droits de I'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M) ?".

La question, ainsi formulée, présentait un double intérêt.

Intérêt de la question posée au regard de la procédure de QPC. La Cour de cassation était invitée à mettre en oeuvre la possibilité offerte par le Conseil constitutionnel, depuis une décision du 6 octobre 2010, de contester devant lui la conformité d'une interprétation jurisprudentielle (5) ; le Conseil considère, en effet, désormais "qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition". Le Conseil a depuis précisé qu'il devait bien s'agir d'une solution issue de la jurisprudence de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat, ce qui s'oppose à toute question portant sur une interprétation qui n'aurait pas été soumise aux Hautes juridictions (6). La Cour de cassation, elle-même, a fait application de cette nouvelle possibilité, sa première chambre civile précisant toutefois que le demandeur devait préciser "le texte législatif dont la portée serait, en application de cette règle, de nature à porter atteinte au principe constitutionnel" en cause (7).

Jusqu'à présent, la Chambre sociale de la Cour de cassation n'avait pas fait une application effective de cette possibilité, bien au contraire. Elle avait, en septembre 2010, écarté le grief tiré d'un prétendu manque de clarté et d'intelligibilité de la loi en relevant que l'interprétation du texte litigieux avait été rendue suffisamment claire par l'interprétation qu'elle en avait faite (8), puis refusé en mai 2011 de transmettre une première question après avoir relevé que celle-ci "ne conteste pas la portée effective d'une interprétation jurisprudentielle constante [...] des articles [litigieux] mais l'interprétation prêtée par le demandeur d'un jugement [...] d'instance" (9).

Cette nouvelle question n'aura pas plus de chance que les précédentes car la Cour de cassation considère, en substance, que le grief manque en fait dans la mesure où le demandeur donne de la jurisprudence qu'il conteste une interprétation erronée, ce qui justifie pleinement le refus de transmission.

Intérêt de la décision au regard de la jurisprudence contestée. Le refus de transmission présente également un intérêt dans la mesure où il permet à la Cour de cassation de préciser la signification et la portée de l'arrêt rendu le 18 janvier 2011, ce qui n'est pas banal puisque par le biais de la procédure de QPC c'est bien la normativité de la solution jurisprudentielle qui se trouve confirmée, ce qui nous semble d'ailleurs parfaitement justifié (10).

Pour refuser de transmettre la double question qui lui était posée, la Cour de cassation a, en effet, considéré que celle-ci "repose sur une interprétation erronée d'arrêts rendus le 18 janvier 2011 par la Cour de cassation et faisant application de l'article L. 1233-3 du Code du travail, ces décisions ne privant pas l'employeur du seul fait de son appartenance à un groupe de sociétés de la possibilité de licencier son personnel pour motif économique lorsqu'il cesse son activité, et ne lui imposant pas, pour cette seule raison, de justifier d'une autre cause de licenciement, hors situation de coemploi".

Cette affirmation est parfaitement justifiée dans la mesure où la situation de coemploi ne modifie en rien le régime juridique applicable au licenciement, ni d'ailleurs à aucune règle du Code du travail, car il s'agit simplement d'étendre l'obligation aux dettes d'une entreprise à une autre après avoir constaté "une confusion d'intérêts, d'activités et de direction".

Dans ce cas de figure, le défaut de caractère sérieux de la question posée était patent par la compétence exclusive de la Cour de cassation ; ce refus de transmission ne postulait d'ailleurs aucun pré contrôle de constitutionnalité car il ne portait sur la pertinence intrinsèque de l'interprétation de la "norme" soumise au contrôle, et nullement sur la norme constitutionnelle elle-même.

C - De la constitutionnalité de la protection exceptionnelle et exorbitante conférée aux salariés protégés

Question posée. Dans cette affaire, la Cour de cassation était interrogée sur la conformité des "dispositions de l'article L. 2422-1 du Code du travail [...] aux dispositions de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 et de l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ?".

Réponse. Pour la Haute juridiction, "la question posée ne présente pas un caractère sérieux dès lors que les dispositions critiquées, qui reconnaissent au salarié protégé, dont le licenciement a été autorisé par l'inspecteur du travail, le droit d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent lorsque le ministre, sur recours hiérarchique, ou le juge administratif, saisi d'un recours pour excès de pouvoir, annule cette autorisation, répondent à des exigences constitutionnelles visant à assurer l'effectivité du droit syndical et du principe de participation justifiant que les représentants du personnel bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle dont la mise en oeuvre est entourée de garanties procédurales et de fond suffisantes".

Appréciation. Sur le fond, la solution n'appelle pas de remarques particulières car on peut parfaitement admettre que les atteintes portées par le statut exorbitant des représentants du personnel sont à la fois justifiées par la nécessité de garantir l'effectivité de la liberté syndicale et du principe de participation, et proportionnées au but recherché puisque le licenciement n'est pas interdit, mais juste surveillé, et que les atteintes réalisées à la liberté d'entreprendre et de choisir ses collaborateurs sont de ce fait justifiées, proportionnées au but recherché et entourées de garanties tant administratives que juridictionnelles.

Reste que la question posée portait directement sur les atteintes réalisées par la procédure de l'autorisation administrative de licenciement et qu'à notre connaissance le Conseil constitutionnel n'a jamais eu l'occasion de se prononcer précisément sur la question, même s'il a indiqué en 1982, à propos de la mise en cause de la responsabilité civile des représentants syndicaux à l'occasion des grèves, qu'"il appartient au législateur, dans le respect du droit de grève et du droit syndical ainsi que des autres droits et libertés ayant également valeur constitutionnelle, de définir les conditions d'exercice du droit de grève et du droit syndical et, ainsi, de tracer avec précision la limite séparant les actes et comportement licites des actes et comportements fautifs, de telle sorte que l'exercice de ces droits ne puisse être entravé par des actions en justice abusives" (11), et visé, en 1988, que "l'exercice des fonctions de représentant élu du personnel ou de responsable syndical dont la protection découle d'exigences constitutionnelles" (12).

Dans ces conditions, et même si au final, il était probable que ces dispositions seraient confirmées par le Conseil constitutionnel, on peut regretter que la Cour de cassation le prive de la possibilité de prendre position sur ces questions et d'étoffer ainsi sa propre jurisprudence en matière de mise en oeuvre et de protection des droits sociaux.

D - De la moralité du représentant syndical au comité d'entreprise

Question. La Chambre sociale de la Cour de cassation était saisie d'une question ainsi rédigée : "les dispositions des articles L. 2324-2 et L. 2324-15 du Code du travail portent-elles une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre constitutionnellement garantie, dans la mesure où un syndicat peut désigner comme représentant au comité d'entreprise un salarié ayant été condamné pénalement pour avoir nui à ladite entreprise ? Les dispositions de l'article L. 2324-15 auxquelles renvoie l'article L. 2324-2 permettent-elles en toutes circonstances un exercice serein par les salariés de leur droit à participation, par l'intermédiaire de leurs représentants, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ?".

Réponse. Pour la Cour de cassation, "la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que, premièrement, les dispositions combinées des articles L. 2324-2, L. 2324-14 et L. 2324-15 du Code du travail font obstacle à ce qu'une organisation syndicale remplissant les conditions pour nommer un représentant au sein du comité d'entreprise, désigne, pour assurer ce mandat, un salarié de l'entreprise ayant fait l'objet d'une interdiction, déchéance ou incapacité relatives à ses droits civiques, deuxièmement que la désignation frauduleuse encourt la nullité et enfin que la mise en oeuvre de la protection dont bénéficie le salarié désigné comme représentant syndical est assortie de garanties procédurales et de fond suffisantes".

Appréciation. Le refus de transmission de cette question est ici pleinement justifié, tant pour des raisons de fond qu'au regard de l'exigence de caractère "sérieux".

Sur le fond, en effet, le demandeur semblait faire fi de l'ensemble des dispositions du Code du travail qui restreignent la possibilité pour un salarié d'être désigné comme représentant du personnel, dispositions qui lui sont fort opportunément rappelées par la Cour.

Sur le plan procédural, ensuite, le refus de transmettre la QPC ne repose pas sur un préjugé favorable à la constitutionnalité de la disposition litigieuse mais uniquement sur l'appréciation des dispositions légales au regard des griefs formulés par le demandeur. Cette solution se rapproche donc de celles qui rejettent les questions qui reposent sur une interprétation erronée d'une solution jurisprudentielle, car dans toutes ces hypothèses le moyen soulevé par le demandeur manque en réalité en fait, ce qui justifie pleinement le contrôle exercé par la Cour.

II - De l'interprétation des décisions de transmission : l'exemple du régime transitoire de la loi du 20 août 2008 dans son volet "démocratie sociale"

Question posée. Dans cette affaire, le demandeur avait posé la question suivante : "l'article L. 2324-2 du Code du travail, qui conditionne désormais la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à l'obtention, par le syndicat à l'origine de la désignation, d'élus au sein de ce comité, est-il contraire aux dispositions constitutionnelles en ce qu'il ne prévoit pas de régime transitoire ?".

Réponse favorable à la transmission. La question est donc transmise car la Cour de cassation estime que "la disposition subordonne la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise par tout syndicat, quand bien même serait-il représentatif, à la condition pour le syndicat d'y avoir des élus, et qu'aucune disposition transitoire n'a été prévue dans l'attente du résultat des premières élections professionnelles organisées sous l'empire de la nouvelle loi".

Rappel. La loi du 20 août 2008 a, entre autres dispositions destinées à revivifier le droit syndical, modifié les critères de désignation des représentants des syndicats au comité d'entreprise dans les entreprises dont l'effectif est de 300 salariés et plus en subordonnant cette désignation non plus à la représentativité du syndicat, comme c'était le cas auparavant, mais au fait d'y avoir des élus (C. trav., art. L. 2324-2).

On sait que ces dispositions ont passé avec succès le baptême du feu conventionnel (13) et constitutionnel (14) ; c'était sans compter avec les difficultés du régime transitoire qui donneront au Conseil constitutionnel l'occasion de se prononcer.

Régime transitoire issu de la loi du 20 août 2008. La loi du 20 août 2008 a en effet souhaité mettre en place un régime transitoire pour favoriser le passage de l'ancien régime au nouveau, régime dont on sait qu'il était particulièrement lacunaire. S'agissant ainsi des critères de la représentativité dans l'attente des résultats des premières élections, et donc d'une première mesure pertinente de l'audience électorale des syndicats de l'entreprise, la loi n'a, en effet, prévu, dans son article 11-IV, que de figer les représentativités établies à la date d'entrée en vigueur de la loi, oubliant totalement de prévoir la possibilité pour de nouveaux syndicats de le devenir pendant la période transitoire, et ce alors que celle-ci pourrait durer longtemps. La Cour de cassation a donc été amenée à "bricoler" une solution transitoire, fondée sur la nécessité de protéger l'effectivité de la liberté syndicale et du principe de participation, en ajoutant la possibilité d'une affiliation confédérale intervenue en cours de période ainsi que la possibilité de prouver positivement sa représentativité, pour les syndicats non affiliés, tout en les dispensant de rapporter la preuve de leur audience puisque, par hypothèse, les nouvelles élections n'ont pas encore eu lieu (15).

L'affaire. Dans cette affaire, c'est, comme dans celle qui intéressait la représentativité syndicale, le traitement de la période transitoire qui fait difficulté.

Si, pendant la période transitoire, aucun nouveau syndicat ne se constitue dans l'entreprise, le comité demeurera en l'état jusqu'aux prochaines élections. Mais si des syndicats frappent à la porte du comité, comment faire et au regard de quels critères ?

Le nouvel article L. 2324-2 du Code du travail est, en effet, d'application immédiate ; seuls les syndicats ayant des élus au comité devraient donc pouvoir y désigner un représentant. Certains syndicats représentatifs n'ayant pas eu d'élus au comité lors des dernières élections (cette condition est, en effet, nouvelle) et se constituant, par application des arrêts du 10 mars 2010, en cours de la période transitoire, ne pourront donc pas avoir de représentants au comité tant que de nouvelles élections, où ils présenteront des candidats, n'auront pas été organisées.

Doutes sur la recevabilité de la QPC. Reste à déterminer si cet état de fait, résultant de l'absence de régime transitoire, est susceptible de justifier une QPC.

On remarquera, tout d'abord, que la question transmise ne précisait pas de quels droits ou libertés il pourrait s'agir (16), de telle sorte qu'on pouvait s'interroger sur la recevabilité de la question devant le juge judiciaire, et que la question pourrait bien se reposer devant le Conseil constitutionnel prochainement.

On remarquera, ensuite, que la question porte non pas sur la conformité d'un texte en particulier mais sur l'absence de dispositions transitoires accompagnant par ailleurs l'application dans le temps de l'article L. 2324-2 du Code du travail, ce qui est différent ; or, la première chambre civile de la Cour de cassation a, pour sa part, refusé d'examiner une question dans une configuration identique après avoir relevé que le demandeur "ne conteste non pas la conformité à la Constitution d'une disposition législative mais celle d'une absence de disposition" (17), en l'occurrence l'absence de texte garantissant la possibilité d'un pourvoi en cassation contre une décision du Conseil supérieur de la magistrature siégeant en formation disciplinaire.

Ces dernier argument pourrait toutefois être contourné en considérant que la question porte en réalité sur la constitutionnalité de l'article L. 2324-2 du Code du travail en ce qu'il s'applique pendant la période transitoire, ce qui permettrait éventuellement au Conseil de formuler une réserve d'interprétation différant son application aux premiers résultats électoraux dans l'entreprise. C'est d'ailleurs ainsi que le Conseil constitutionnel a enregistré la question.

Spéculations sur le devenir constitutionnel de l'article L. 2324-2 du Code du travail. Il sera intéressant d'observer ici la décision du Conseil au regard des propres analyses de la Cour de cassation sur les insuffisances du régime transitoires des articles 11 à 13 de la loi du 20 août 2008 (18). On se rappellera, en effet, que la Cour de cassation n'avait pas hésité à fonder ses décisions sur une interprétation des dispositions légales "interprétées à la lumière des articles 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L1356A94)" pour considérer que les articles 11 et 13 " n'excluent pas qu'un syndicat qui ne bénéficie pas de cette présomption puisse établir sa représentativité, soit par affiliation postérieure à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit en apportant la preuve qu'il remplit les critères énoncés à l'article L. 2121-1 du Code du travail dans sa rédaction issue de cette loi, à la seule exception de l'obtention d'un score électoral de 10 %, auquel il devra satisfaire dès les premières élections professionnelles organisées dans l'entreprise".

Certes, dans cette affaire, ce n'est pas la représentativité syndicale qui est en cause mais "seulement" la désignation des représentants des syndicaux dans les comités d'entreprises de 300 salariés et plus. Le Conseil constitutionnel devra par conséquent déterminer si le législateur pouvait restreindre ainsi la possibilité pour les syndicats de désigner leurs représentants pendant la période transitoire, sachant que cette question ne met pas en cause directement le principe de participation, puisque les salariés ont élu leurs représentants lors des dernières élections, ni la possibilité pour les syndicats de prouver leur représentativité, et donc de désigner un délégué. Alors si l'atteinte est indéniable, on peut douter qu'elle soit d'une importance telle qu'elle conduise le Conseil constitutionnel à décider d'une réserve sur l'interprétation de l'article L. 2324-2 du Code du travail qui neutraliserait le changement de critère intervenu en 2008 pendant la période transitoire dans le cadre de l'article 5-VII de la loi (qui n'est d'ailleurs pas visé par la QPC).


(1) Nous ne raisonnerons pas sur l'hypothèse, exceptionnelle en pratique, du caractère "nouveau" de la question qui mobiliserait un argument constitutionnel inédit dans la jurisprudence du Conseil, car non seulement celle-ci est très peu fréquente, et ne s'est jamais rencontrée en matière sociale, mais de surcroît elle n'implique aucune appréciation de conformité de la part de la Cour.
(2) Ainsi de la conformité de la loi du 20 août 2008 (Cass. QPC, 18 juin 2010, 4 arrêts, n° 10-40.005 N° Lexbase : A4056E3M, n° 10-40.006 N° Lexbase : A4057E3N, n° 10-40.007 N° Lexbase : A4058E3P et n° 10-14.749 N° Lexbase : A4055E3L et nos obs. La Cour de cassation, juge constitutionnel ?, Lexbase Hebdo n° 403 du 13 juillet 2010 - édition sociale N° Lexbase : N6300BPZ)
(3) Sur cette démonstration notre chron., La Chambre sociale de la Cour de cassation, chambre des requêtes constitutionnelles, Lexbase Hebdo n° 458 du 19 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8247BSA).
(4) Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2851GQN) et les obs. de G. Auzero, Coemployeurs : qualification et effets sur la validité des licenciements économiques, Lexbase Hebdo n° 426 du 2 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3365BR3).
(5) Cons. constit., 6 octobre 2010, n° 2010-39 QPC (N° Lexbase : A9923GAR), JCP éd. G, 2010, p. 1145, note A. Gouttenoire et Ch. Radé ; Cons. constit., 14 octobre 2010, n° 2010-52 QPC (N° Lexbase : A7696GBN), Cons. constit., 4 février 2011, n° 2010-96 QPC (N° Lexbase : A1689GRY, Zone des 50 pas géométriques), Cons. constit., 6 mai 2011, n° 2011-127 QPC (N° Lexbase : A7886HPR Faute inexcusable de l'employeur : régime spécial des accidents du travail des marins), cons. 5.
(6) Cons. constit., 8 avril 2011, n° 2011-120 QPC (N° Lexbase : A5889HM3).
(7) Cass. QPC, 27 septembre 2011, n° 11-13.488, F-P+B+I N° Lexbase : A9987HX8).
(8) Cass. QPC, 28 septembre 2010, n° 10-40.027 (N° Lexbase : A1250GBW) et n° 10-40.028 (N° Lexbase : A1251GBX) : la question n'était pas sérieuse "dès lors que les termes 'presque exclusivement' contenus dans l'article L. 7321-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1885IEK), tels qu'interprétés à de nombreuses reprises par la Cour de cassation, ne sont ni imprécis ni équivoques et ne peuvent porter atteinte aux objectifs à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ni, en conséquence, aux droits et libertés visés dans la question".
(9) Cass. QPC, 31 mai 2011, n° 11-13.256, F-D (N° Lexbase : A3444HTQ), à propos des articles L. 2314-16 (N° Lexbase : L2618H9T) et L. 2324-15 (N° Lexbase : L9759H8X) du Code du travail. Ce jugement de Lunéville, frappé de pourvoi, avait retenu que les salariés bénéficiaires d'une convention de forfait en jours sur l'année n'étaient pas des salariés travaillant à temps partiel, seuls concernés par les dispositions contestées.
(10) Sur cette question au coeur du débat sur la modulation de l'application dans le temps des revirements de jurisprudence, notre étude La Chambre sociale de la Cour de cassation et la modulation dans le temps des effets des revirements de jurisprudence, Dr. soc., 2010, pp. 1150-1159.
(11) Cons. const., 22 octobre 1982, n° 82-144 DC, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel (N° Lexbase : A8046ACY).
(12) Cons. const., 20 juillet 1988, n° 88-244 DC, Loi portant amnistie (N° Lexbase : A8180ACX), cons. 24.
(13) Cass. soc. 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9), D., 2010. Actu. 1150, obs. B. Ines ; RDT, 2010. 276, Rapp. J.-M. Béraud ; ibid., 2010, p. 374, obs. Akandji-Kombé ; Dr. soc., 2010. 647, note L. Pécaut-Rivolier; JCP éd. S, 2010, p. 1259, obs. B. Gauriau.
(14) Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-14.749, P+B (N° Lexbase : A4055E3L), D., 2010. Actu. 1720 ; Dalloz actualité, 8 juillet 2010, obs. Ines; RJS, 2010, p. 703, n° 780.
(15) Cass. soc., 10 mars 2010, n° 09-60.282, (N° Lexbase : A1867ETC) (prouvée) et n° 09-60.065, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9741ESL) (présumée par affiliation), v. les obs. de G. Auzero, Portée des dispositions transitoires de la loi du 20 août 2008 relativement à l'établissement de la représentativité syndicale, Lexbase Hebdo n° 388 du 26 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6056BNM) ; RDT, 2010, p. 308, obs. G. Borenfreund ; Dr. soc., 2010, p. 548, note M.-L. Morin ; JCP éd. S, 2010, p. 1204, note B. Gauriau.
(16) La Cour de cassation ne pouvait d'ailleurs pas pallier cette carence car "si la question posée peut être "reformulée" par le juge à l'effet de la rendre plus claire ou de lui restituer son exacte qualification, il n'appartient pas au juge de la modifier" : Cass. soc., QPC, 14 décembre 2010, n° 10-40.050, FS-D (N° Lexbase : A4114GNP) ; Ass. plén., 20 mai 2011, n° 11-90.033, P+B+R+I (N° Lexbase : A2729HSU) ; Cass. QPC, 28 juin 2011, n° 11-40.019, FS-D (N° Lexbase : A9079HUS) ; Cass. QPC, 7 juillet 2011, n° 11-40.037, F-D (N° Lexbase : A9813HUY) ; Cass. QPC, 13 juillet 2011, n° 11-40.026, F-P+B (N° Lexbase : A0502HWI); Cass. QPC, 5 octobre 2011, n° 11-40.052, FS-P+B (N° Lexbase : A6052HYS).
(17) Cass. QPC, 16 novembre 2010, n° 10-60.366, FP-D (N° Lexbase : A6619GKD).
(18) Cass. soc.,10 mars 2010, préc..

Décisions

Cass. QPC, 16 novembre 2011, n° 11-40.071, F-P+B (N° Lexbase : A9406HZE)

Non-lieu àrenvoi

Disposition concernée : C. trav., art. L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) tel qu'interprété par la Cour de cassation (Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199, FS-P+B+R N° Lexbase : A2851GQN)

Mots-clés : QPC, licenciement pour motif économique, groupe, coemploi

Liens base :

Cass. QPC, 18 novembre 2011, n° 11-40.067, FS-P+B (N° Lexbase : A9518HZK)

Non-lieu à renvoi

Disposition concernée : C. trav., art. L. 2422-1 (N° Lexbase : L9775IAB)

Mots-clés : salariés protégés, licenciement, autorisation administrative préalable, nullité, réintégration

Liens base : (N° Lexbase : E9592ES3)

Cass. QPC, 18 novembre 2011, n° 11-40.068, P+B (N° Lexbase : A9519HZL)

Non-lieu à renvoi

Dispositions concernées : C. trav., art. L. 2324-2 (N° Lexbase : L3724IBK) et L. 2324-15 (N° Lexbase : L9759H8X)

Mots-clés : comité d'entreprise, représentant syndical, moralité

Liens base : (N° Lexbase : E1918ET9)

Cass. QPC, 18 novembre 2011, n° 11-40.066, FS-P+B (N° Lexbase : A9520HZM)

Transmission

Dispositions contestées : C. trav., art. L. 2324-2 (N° Lexbase : L3724IBK)

Mots-clés : comité d'entreprise, représentant syndical, régime transitoire

Liens base : (N° Lexbase : E1918ET9)

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