Lexbase Social n°464 du 1 décembre 2011 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Absence de quorum au premier tour des élections professionnelles et mise en oeuvre du "principe majoritaire"

Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2011, n° 09-68.427, FS-P+B (N° Lexbase : A9404HZC)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 01 Décembre 2011

Simplifié, dans ses modalités de mise en oeuvre, par la loi du 20 août 2008 (loi n° 2008-789 N° Lexbase : L7392IAZ), le "principe majoritaire" a été introduit dans le Code du travail, en tant que condition de validité des conventions et accords collectifs de travail, en 2004 (loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 N° Lexbase : L1877DY8). Quelle que soit la loi en cause, cette condition s'apprécie au regard des suffrages obtenus par les syndicats signataires de l'acte juridique, lors des élections professionnelles dans l'entreprise. Toutefois, si la loi de 2008 commande d'opérer le dépouillement du scrutin alors même que le quorum n'est pas atteint au premier tour des élections, il n'en allait pas ainsi avant cette réforme. La Cour de cassation avait par suite décidé qu'en l'absence de quorum, il n'y avait pas lieu à dépouillement et que cette situation devait être assimilée à une hypothèse de carence aux élections, pour laquelle le législateur avait édicté des dispositions spécifiques. Le législateur de 2008 s'est employé à remettre en cause cette jurisprudence aux termes de dispositions transitoires sur lesquelles il a dû revenir en 2009. C'est l'application de ces dispositions qui faisait difficulté dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté.
Résumé

En cas d'absence de quorum au premier tour des élections professionnelles en entreprise antérieurement au 21 août 2008, la validité des accords collectifs d'entreprise ou d'établissement n'est subordonnée à l'approbation des salariés que lorsque le scrutin n'a pas donné lieu à dépouillement.

Observations

I - Le principe majoritaire

  • Le droit positif

On doit à la loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, d'avoir subordonné la validité des conventions et accords collectifs de travail à ce l'on qualifie, faute de mieux mais de manière évocatrice, de "principe majoritaire". La loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, a maintenu ce principe, mais en simplifiant grandement les modalités de sa mise en oeuvre.

S'agissant des accords collectifs d'entreprise ou d'établissement qui, seuls, nous intéressent ici, il résulte de l'article L. 2232-12 du Code du travail (N° Lexbase : L3770IBA) que leur validité "est subordonnée à [leur] signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, et à l'absence d'opposition d'une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants".

Ainsi que le précise l'article 12 II de la loi du 20 août 2008 (1), ces règles nouvelles ne sont applicables qu'à compter du 1er janvier 2009. Par suite, le législateur a édicté certaines dispositions transitoires qui ont dû, par la suite, être elles-mêmes modifiées.

  • Le droit transitoire

Tel qu'issu de la loi du 20 août 2008, le texte précité stipulait que jusqu'au 1er janvier 2009, "la validité d'un accord d'entreprise est subordonnée au respect des conditions posées par les articles L. 2232-12 et L. 2232-15 (N° Lexbase : L2297H9Xdu Code du travail dans leur rédaction antérieure à la présente loi, les suffrages mentionnés dans ces articles étant pris en compte quel que soit le nombre de votants".

Il faut ici se souvenir que jusqu'à la loi du 20 août 2008, l'article L. 2232-12 du Code du travail renvoyait à une convention de branche le soin de fixer les conditions de validité des conventions et accords collectifs d'entreprise. Plus précisément, les négociateurs de branche pouvaient opter entre deux possibilités : soit exiger que la convention ou l'accord d'entreprise soit signé par une ou des organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles dans l'entreprise (2) ; soit subordonner la validité de la convention ou de l'accord d'entreprise à l'absence d'opposition d'une ou de plusieurs organisations syndicales ayant recueilli la moitié des suffrages exprimés au premier tour de ces mêmes élections (3). Le même texte précisait encore qu'en cas de carence d'élections professionnelles mais de présence d'un délégué syndical, l'accord signé par lui devait être soumis à l'approbation des salariés par referendum.

Précisant la portée de ces dispositions, la Cour de cassation avait décidé, dans un important arrêt rendu le 20 décembre 2006, que lorsque le quorum n'est pas atteint au premier tour des élections professionnelles, il n'y a pas lieu de décompter les suffrages exprimés en faveur de chacune des listes syndicales, de sorte qu'il y a carence au sens de l'article L. 2232-12 du Code du travail (4). On comprend ainsi mieux pourquoi l'article 12 II de la loi de 2008 précisait que les suffrages mentionnés dans ces articles étaient pris en compte quel que soit le nombre de votants (i e. même si le quorum n'était pas atteint).

Le législateur avait toutefois oublié le cas des entreprises ayant organisé des élections entre l'arrêt de la Cour de cassation et l'adoption de la loi du 20 août 2008, élections pour lesquelles le quorum n'avait pas été atteint. Consécutivement à la prise de position de la Chambre sociale, les suffrages pouvaient ne pas avoir été décomptés. Certes, jusqu'au 1er janvier 2009, il était possible, dans ce cas, de faire application des dispositions de l'article L. 2232-12 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi de 2008. Mais, postérieurement au 21 août 2008, s'appliquaient les dispositions nouvelles. Or, faute de décompte des suffrages, et dans l'attente des élections nouvelles (5), il était de fait impossible de signer la moindre convention collective dans l'entreprise.

Ayant, avec retard, pris conscience de cette difficulté, le législateur a modifié l'article 12 II de la loi du 20 août 2008, par une loi du 12 mai 2009 (loi n° 2009-526 N° Lexbase : L1612IEG). Il lui a ajouté l'alinéa suivant : "jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure au 21 août 2008, en cas de carence au premier tour des élections professionnelles ou d'absence de dépouillement du premier tour des élections professionnelles, la validité de l'accord d'entreprise ou d'établissement négocié et conclu avec un ou plusieurs délégués syndicaux est subordonnée à son approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés". C'est précisément l'application et l'interprétation de ce texte qui était en cause dans l'arrêt rapporté.

II - La mise à l'écart du principe majoritaire en application du droit transitoire

  • L'affaire

La société T., divisée en deux établissements distincts, l'établissement de Malakoff et l'établissement de Cergy-Pontoise, avait organisé, les 13 et 19 décembre 2006, les élections professionnelles au sein de ces établissements. Le quorum n'avait toutefois pas été atteint au sein de l'établissement de Malakoff.

Le 21 mars 2007, l'employeur avait conclu avec des syndicats un avenant à l'accord d'entreprise du 24 novembre 2005 et à son avenant du 13 juin 2006 relatif au temps de travail des ingénieurs et cadres. Contestant la validité de cet avenant au motif qu'il aurait dû être soumis à l'approbation de la majorité des salariés, le syndicat CGT, non signataire de l'accord et de ses avenants, avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande en annulation.

Pour déclarer non écrit l'avenant de révision de l'accord collectif du 21 mars 2007 relatif au temps de travail, l'arrêt attaqué avait énoncé qu'à défaut de quorum au premier tour des élections professionnelles, la loi n'impose pas de dépouillement, et que dans de telles circonstances, face à l'impossibilité de justifier d'un caractère majoritaire, nécessaire à la légitimité d'une opposition, à l'encontre d'un accord engageant une communauté de travailleurs, il convient de juger qu'un défaut de quorum doit être assimilé à une carence, au sens de l'article L. 2232-14 du Code du travail (N° Lexbase : L3774IBE), de sorte que la validité de l'accord signé par le délégué syndical, de l'entreprise ou de l'établissement, doit être subordonnée à l'approbation de la majorité des salariés.

  • La solution

Après avoir visé l'article 12 II de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 tel qu'issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 et affirmé "qu'il résulte de ce texte qu'en cas d'absence de quorum au premier tour des élections professionnelles en entreprise antérieurement au 21 août 2008, la validité des accords collectifs d'entreprise ou d'établissement n'est subordonnée à l'approbation des salariés que lorsque le scrutin n'a pas donné lieu à dépouillement", la Cour de cassation décide "qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il n'y avait pas eu carence au premier tour des élections organisées au sein de l'établissement de Malakoff le 19 décembre 2006 et qu'il lui appartenait de rechercher si le scrutin avait donné lieu à dépouillement et, dans l'affirmative, si l'avenant signé le 21 mars 2007 remplissait les conditions de validité au regard des suffrages obtenus par les syndicats signataires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".

L'interprétation que la Cour de cassation donne de l'article 12 II de la loi du 20 août 2008 tel qu'issu de la loi du 12 mai 2009 nous paraît tout à fait justifiée. L'absence de quorum ne saurait, par définition, être assimilée à une carence au premier tour des élections et le texte en cause distingue d'ailleurs bien les deux hypothèses. Par voie de conséquence, ce n'est pas parce qu'il n'est pas obligatoire de procéder au dépouillement, lorsque le quorum n'est pas atteint (6), qu'une telle opération n'a pas eu lieu. Le juge ne saurait donc s'en tenir au constat du défaut de quorum. Il se doit d'abord de vérifier si, nonobstant ce fait, un dépouillement n'a pas eu lieu. Si tel est le cas, des résultats sont disponibles et le principe majoritaire trouve à s'appliquer.

On pourra certes relever que, dans son arrêt précité du 20 décembre 2006, la Cour de cassation avait retenu que l'absence de quorum équivalait à une carence aux élections, soit la solution exactement opposée à celle retenue dans la décision présentement commentée. Mais il est vrai que c'était avant l'adoption de la loi du 20 août 2008 et de son article 12 II, venant contredire, avec effet rétroactif, la position de la Chambre sociale.


(1) Article non codifié.
(2) Si les parties signataires ne respectaient pas la condition de majorité, le texte conventionnel pouvait en quelque sorte être "sauvé", en étant soumis aux salariés par la voie du referendum.
(3) En l'absence de choix fait par les partenaires sociaux de la branche, c'est le droit d'opposition qui s'appliquait.
(4) Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-60.345, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1160DT7). Lire nos obs., Impossibilité de déterminer les syndicats majoritaires en l'absence de quorum au premier tour des élections professionnelles, Lexbase Hebdo n° 243 du 10 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7208A9T).
(5) Il faut ici rappeler que les mandats des délégués du personnel et des représentants élus au comité d'entreprise sont en principe de 4 ans.
(6) Ce qui, il faut le rappeler, n'est plus la règle lorsque les dispositions nouvelles de la loi du 20 août 2008 trouvent à s'appliquer.

Décision

Cass. soc., 16 novembre 2011, n° 09-68.427, FS-P+B (N° Lexbase : A9404HZC)

Cassation, CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 4 juin 2009, n° 08/10069 (N° Lexbase : A1301EIZ)

Texte visé : article 12 II de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) tel qu'issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 (N° Lexbase : L1612IEG)

Mots-clés : accord collectif d'entreprise, conditions de validité, principe majoritaire, appréciation, dispositions transitoires

Liens base : (N° Lexbase : E2378ETA)

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