Réf. : Cass. civ. 3, 3 novembre 2011, n° 10-23.951, FS-P+B (N° Lexbase : A5241HZ7)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 17 Novembre 2011
En l'espèce, une société a acquis en l'état futur de achèvement d'une société civile de construction-vente un immeuble de bureaux, le contrat contenant une garantie locative d'un an pour le cas où l'immeuble ne serait pas intégralement loué au jour de la livraison. Après mise en demeure faite par l'acquéreur au vendeur de lui payer certaines sommes en l'absence de locataire, le premier a assigné le second (la société de construction-vente) et ses associés, en paiement de sa créance. Débouté par la cour d'appel, le créancier a donc formé un pourvoi en cassation. Il faisait valoir, au soutien de son pourvoi, que les créanciers d'une société civile constituée en vue de la vente d'immeubles peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé après mise en demeure adressée à la société et restée infructueuse. La cour d'appel aurait donc violé l'article L. 211-2, en énonçant qu'il avait prématurément poursuivi les associés, alors qu'il était établi qu'il avait délivré à la société de construction-vente trois mises en demeure restées infructueuses les 6 novembre 2008, 16 décembre 2008 et 10 avril 2009 et qu'elle avait assigné les associés les 30 avril et 5 mai 2009. Par ailleurs, l'action en paiement engagée par anticipation contre les associés d'une société civile de construction-vente d'immeubles peut être régularisée par l'obtention d'un titre contre cette dernière en cours d'instance et tel serait bien le cas, en l'espèce, puisque la société de construction-vente a été condamnée à payer à son créancier une certaines somme par le jugement du 10 septembre 2009, confirmé de ce chef par l'arrêt d'appel attaqué.
Mais la Cour régulatrice rejette le pourvoi, considérant que les juges d'appel avaient exactement déduit que la poursuite de l'acquéreur contre les associées de la société civile de construction-vente était prématurée, dès lors qu'ils avaient constaté que la créancière ne détenait aucun titre contre la société de construction-vente.
I - L'exigence d'un titre
Du principe posé à l'article L. 211-2, alinéa 2, du Code de la construction et de l'habitation, selon lequel les créanciers sociaux ne peuvent être poursuivis qu'après une mise en demeure de la société restée infructueuse, il en résulte que les associés sont des débiteurs subsidiaires et non conjoints du passif social envers les tiers (cf., not. Cass. civ. 3, 8 mars 1995, n° 93-11.268 N° Lexbase : A7563ABQ). Dès lors, la jurisprudence a retenu de longue date que l'exigence d'une mise en demeure préalable implique que le créancier possède un titre contre la société avant de poursuivre les associés (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-15.755, F-D N° Lexbase : A4647DDH). La solution affirmée par les juges d'appel puis par celui du droit dans l'espèce rapportée ne fait donc que reprendre une position traditionnelle.
La Cour régulatrice a d'ailleurs eu l'occasion de préciser ce que pouvait recouvrir la notion de titre. Ainsi a-t-il été jugé qu'une décision de justice rendue en référé constitue un titre (Cass. civ. 3, 17 février 1988, n° 87-10.049 N° Lexbase : A7187AAG ; Cass. civ. 3, 18 septembre 2007, n° 06-17.384 N° Lexbase : A4289DYI). De même, le créancier, ayant obtenu un jugement de condamnation à paiement assorti de l'exécution provisoire, dispose d'un titre exécutoire et ayant adressé à la société un commandement de payer demeuré infructueux, ce créancier peut poursuivre les associés (Cass. civ. 3, 8 mars 1995, n° 93-11.268, préc.). Aussi, le jugement admettant une créance d'un entrepreneur, à titre provisionnel, au passif du débiteur constitue également un titre (Cass. civ. 3, 24 octobre 1990, n° 88-16.123 N° Lexbase : A3747AHA), mais une transaction conclue entre la société et le créancier ne répond pas à cette exigence (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-15.755 N° Lexbase : A4647DDH).
On relèvera, par ailleurs, que le texte ne précise pas la forme que doit revêtir la mise en demeure. Il s'en déduit qu'il pourra notamment s'agir, comme en matière de société en nom collectif, d'un acte extrajudiciaire ou encore d'un commandement de payer (cf. Cass. civ. 3, 8 mars 1995, n° 93-11.268, préc.) ou même d'une lettre recommandée. En définitive, "n'importe quel acte pourrait en quelque sorte valoir mise en demeure d'une société débitrice, pourvu qu'il en résulte une interpellation suffisante du débiteur" (F.-X. Lucas, Bull Joly, 2008, §7, p. 29, obs. sous Cass. civ. 3, 18 septembre 2007, n° 06-17.384 préc.).
Au demeurant, la mise en demeure restée infructueuse est la seule condition posée par les textes, de sorte que le créancier qui poursuit le recouvrement de sa créance sur les biens des associés n'a pas à apporter la preuve que l'actif social est insuffisant pour garantir sa créance ; il n'est pas non plus tenu d'appeler à l'instance les autres créanciers sociaux (Cass. civ. 3, 25 mai 1976, n° 75-10.117 N° Lexbase : A9459CI8).
II - L'antériorité du titre
Si comme nous l'avons vu plus haut, la mise en demeure préalable implique que le créancier possède un titre contre la société avant de poursuivre les associés, cela suppose que le titre détenu par le créancier soit antérieur à l'action exercée contre les associés. La publication au Bulletin de l'arrêt rapporté trouve sûrement tout sons sens dans la précision qu'il apporte concernant cette exigence. L'existence du titre ne faisait finalement pas de doute en l'espèce puisque le créancier a obtenu la condamnation de la société de construction-vente à l'indemniser. Mais, ce qui justifie, pour les juges du fond, approuvés sur ce point par la troisième chambre civile, l'irrecevabilité de l'action du créancier de la société contre ses associés est que cette dernière était prématurée. En effet, la condamnation de la société date d'un jugement du 10 septembre 2009, alors que les associés ont été actionnés en paiement par assignation des 30 avril et 5 mai 2009. A la date de la poursuite des associés, le créancier ne détenait donc aucun titre à l'encontre de la société, de sorte qu'il ne remplissait pas les conditions posées par l'article L. 211-2 pour les poursuivre.
Mais, les demandeurs aux pourvois, conscients de la postériorité du titre par rapport à la date d'assignation des associés, faisaient valoir que cette action en paiement engagée par anticipation pouvait être régularisée par l'obtention d'un titre contre cette dernière en cours d'instance. La troisième chambre civile de la Cour de cassation ne se prononce pas expressément sur la possibilité d'une régularisation du défaut de titre mais, en rejetant le pourvoi au seul motif que le créancier ne détenait pas un tel titre au moment de la poursuite des associées, de sorte que cette dernière serait prématurée, semble refuser toute possibilité de régularisation en cours d'instance.
Pourtant, dans un arrêt rendu le 18 septembre 2007, précédemment abordé, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait admis cette idée (Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-17.384, F-P+B). En effet, dans cette affaire, la Cour de cassation retient qu'une ordonnance de référé en date du 29 juin 2004, à la suite d'une assignation du 22 décembre 2003, qui a condamné une société de construction-vente à payer à sa créancière une provision et restée sans effet, constitue une mise en demeure restée infructueuse, de sorte que l'action engagée contre les associés par la créancière en juin 2001, soit trois ans plus tôt, a été régularisée.
A la lecture de ces deux arrêts d'apparence contradictoire sur la possibilité pour un créancier de régulariser l'absence de titre au moment de l'exercice de son action contre les associés, il semblerait que l'on assiste à une divergence de vue entre la Chambre commerciale et la troisième chambre civile. Alors, pragmatisme excessif de la première ou rigorisme de la seconde ? Souci d'assurer la protection des créanciers ou celle des associés ? Rien d'évident ici ! Nous ne nous risquerons donc qu'à un seul constat : la solution rendue le 3 novembre 2011, nous apparaît plus respectueuse des exigences posées par la loi et, sûrement, plus adaptée à l'impératif de sécurité juridique.
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