Réf. : Cass. com., 11 octobre 2011, n° 10-20.954, FS-P+B (N° Lexbase : A7536HYR)
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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, Secrétaire de la Conférence du barreau des Hauts-de-Seine (2011), chargé d'enseignement à l'ENS Cachan
le 17 Novembre 2011
Dans un élan que certains jugeront volontiers favorables aux banques, mais qui se trouve plus véritablement raisonnable et pacificateur, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s'est montrée sensible, à l'occasion d'un arrêt rendu le 11 octobre 2011, aux arguments soulevés par la banque en cassant la décision de la juridiction de proximité de Toulouse.
Ce faisant, nous sommes convaincus qu'elle a donné aux textes applicables leurs justes sens et portée (I), mais que, trop focalisée sur une technique juridique issue du droit bancaire, elle a quelque peu affaibli sa décision (II).
I - Raison et pacification de la faculté de recours à l'opposition en cas de procédure d'insolvabilité (4)
Nous n'entendons pas ici faire un panorama complet des dispositions relatives à la faculté d'opposition offerte à celui qui paie via une carte de paiement : d'excellents ouvrages consacrent à ce sujet des développements foisonnants. Notre propos se limitera à la question tranchée en l'espèce : quelles sont les contours de la faculté d'opposition qu'offraient les anciens articles L. 132-2 et L. 132-6 du Code monétaire et financier ? Quoiqu'ils puissent paraître d'une extrême simplicité, la divergence de jugement entre la juridiction de proximité (A) et la Cour de cassation (B) nous fait réaliser qu'un enjeu concret de sécurité juridique se dissimule entre leurs lignes.
A - La position généreuse de la juridiction de proximité
Pour trancher le problème de droit en faveur du client payeur, la juridiction de proximité de Toulouse s'est réfugiée dans une lecture généreuse et emplie d'équité des deux articles du Code monétaire et financier dont il est ici question.
Cet altruisme ne ressort pas de ce que ce tribunal ait accepté de voir un cas d'opposition à un paiement effectué grâce à une carte de paiement dans l'existence d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la CAMIF : l'article L. 132-2 du Code monétaire et financier énonce expressis verbis que cette situation autorise le payeur à faire opposition à son paiement.
En revanche, cette générosité que nous souhaitons mettre en avant apparaît au grand jour lorsque la juridiction de proximité applique ce cas d'opposition à une situation dans laquelle le créancier payé par l'intermédiaire d'une carte de paiement n'est pas soumis à une liquidation judiciaire au moment du paiement mais le devient par la suite, dans le délai de soixante-dix jours prévu de plein droit par l'article L. 132-6 du Code monétaire et financier.
Cette lecture magnanime, très vraisemblablement assise sur l'idée que les progrès de l'informatique combinés avec le grand projet SEPA (5) assure une quasi-simultanéité entre le moment où l'ordre de paiement est donné par le titulaire de la carte et le moment où la banque débite son compte de la somme correspondante, aboutit à une contraction orientée des articles L. 132-2 et L. 132-6 du Code monétaire et financier qu'il est possible de rapporter comme suit : "il peut être fait opposition au paiement en cas de redressement liquidation judiciaire du bénéficiaire dans les soixante-dix jours à compter de la date de l'opération contestée, peu importe la date du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire en cause". A tous ceux qui pensaient que la propriété-garantie était l'arme absolue en matière de procédure collective, lisez donc la juridiction de proximité de Toulouse : pour celle-ci, l'opposition à un paiement par carte bancaire lave encore plus blanc que blanc ! La Cour de cassation ne pouvait, évidemment, pas s'en satisfaire.
B - La position raisonnable de la Cour de cassation
Ce que la décision de première instance gagnait en générosité, elle le perdait manifestement en raison : en effet, il semble parfaitement insensé de permettre à quiconque s'acquittant d'un paiement par carte bancaire de pouvoir annuler, pendant un délai pouvant aller de soixante-dix à cent vingt jours, son paiement si pendant cet intervalle le bénéficiaire du paiement est placé sous procédure collective. Peu ou prou, cela reviendrait à jouer une adaptation revisitée de la blague du portefeuille égaré sur un trottoir mais accroché à un élastique au bout duquel est le farceur : pendant le délai précité, cet élastique existe et il autorise le payeur à récupérer son argent comme bon lui semble pour la simple et unique raison du placement sous procédure collective de son cocontractant.
La raison d'être du cas d'opposition ne nous semble pas être celle-ci et la téléologie invite donc à rejeter en bloc l'application qui en avait été faite par la juridiction de proximité. Non : ce cas d'opposition n'est pas constitutif d'une sûreté permettant de se prémunir contre les conséquences de l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du bénéficiaire de son paiement par carte bancaire. La vocation de ce cas d'opposition, comme nous l'esquissions en introduction, est de permettre à un payeur malchanceux ou n'ayant, de facto, pas eu les ressources (même intellectuelles) de se renseigner sur l'état de santé financière de son cocontractant de jouir d'une solution de rattrapage in extremis tant que la banque ne s'est pas exécutée. Rappelons-le : le paiement par carte bancaire est, par principe, irrévocable comme en dispose désormais l'article L. 133-17, I du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4704IEX).
Certes, cela conduit, en pratique, à vider de son sens la durée de la fenêtre de tir pendant laquelle l'opposition est possible puisque le paiement par la banque est presque instantané. Néanmoins, cette solution présente l'avantage de préserver tant un minimum salutaire de sécurité juridique, puisqu'elle ne procède de la remise en cause d'un paiement, que l'égalité entre créanciers car elle ne surprotège pas celui qui avait honoré son dû avec une carte de paiement.
Ainsi, la solution de la Cour de cassation, même si elle n'est en rien étayée par un arrêt se contentant d'énoncer que "la juridiction de proximité a violé les textes susvisés", est-elle fort estimable, heureuse et pacificatrice.
Pour autant, faut-il inscrire l'arrêt de la Chambre commerciale du 11 octobre 2011 au tableau d'honneur ? Nous ne le pensons pas, parce que tout porte à croire que cette décision pourrait tristement avoir été obsolète au moment même de son prononcé.
II - Une décision à l'avenir incertain
Pas de suspense ici, nous en sommes déjà conscients : les articles L. 132-2 et L. 132-6 du Code monétaire et financier, seuls inscrits au visa de l'arrêt commenté, ont été abrogés par l'ordonnance du 15 juillet 2009 précitée. De cet état du droit, il nous faut tirer les conséquences en réfléchissant au caractère obsolète de la décision (A) et à s'interroger sur les possibilités qu'avait la Haute juridiction d'inscrire sa réflexion dans le marbre du droit civil (B).
A - Une décision potentiellement obsolète
Depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 15 juillet 2009, relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement, les règles applicables au paiement par carte de paiement s'inscrivent dans un ensemble plus vaste : celui du droit des opérations de paiement organisé par les articles L. 133-1 (N° Lexbase : L8226IMM) et suivants du Code monétaire et financier.
La conséquence directe de cette systématisation est l'édiction d'une règle générale sur l'opposition figurant au paragraphe I de l'article L. 133-17 du Code monétaire et financier, règle assortie d'une exception contenue dans le paragraphe II de ce même article et relative aux cartes de paiement, aux termes duquel "lorsque le paiement est effectué par une carte de paiement [...], il peut être fait opposition au paiement en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaires du bénéficiaire". Cette disposition ressemble, à s'y méprendre, à celle de l'ancien article L. 133-6, à ceci près qu'elle ne mentionne plus la sauvegarde.
Plein d'un optimiste volontaire (6), compte tenu de la proximité de l'article disparu et de son successeur de fait, nous sommes d'avis qu'il y a de bonnes raisons de penser que la solution dégagée le 11 octobre 2011 par la Cour de cassation est encore de droit positif. Toutefois, il est dommage que la réponse de la Chambre commerciale n'ait pu s'inscrire dans une durée que seul droit civil sait ménager.
B - L'occasion manquée de retenir des fondements éternels
Le 11 octobre 2011, la Cour de cassation aurait aisément pu faire oeuvre de jurisprudence, au sens le plus noble de l'expression, si avait été retenu un fondement tiré du droit civil, que l'on sait bien moins mouvant que le droit bancaire et financier. Cela aurait évité que l'on s'interroge sur l'actualité de la position de la Cour de cassation.
Le fondement civiliste qui aurait pu être aisément mobilisé en ce sens réside dans l'article 1937 du Code civil (N° Lexbase : L2161ABN), qui impose au dépositaire (ici, d'une somme d'argent) de restituer la chose déposée soit à celui qui la lui a confiée, soit à celui qui a été indiqué pour le recevoir (ici, le bénéficiaire du paiement). En s'acquittant du paiement, le banquier payeur se conforme purement et simplement à cette obligation du dépositaire et ne doit donc pas pouvoir en subir un quelconque grief. Sans compter que, par application de l'article 1240 du Code civil (N° Lexbase : L1353ABQ), le paiement fait par le banquier est libératoire, ce qui plaidait également pour un recours au droit civil.
De par le passé, la Chambre commerciale avait eu la sagesse de se saisir de procéder (7) en matière de propriété de créances cédées sous l'empire de ce qui constituent désormais les articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et suivants du Code monétaire et financier, lorsque les débiteurs cédés ont payé le cédant sur le compte de l'établissement de crédit teneur de compte de ce dernier pour exonérer le banquier de toute obligation de restitution envers le cessionnaire (8). Cela avait permis à deux auteurs fort inspirés et inspirants de proclamer que "le civil tient le bancaire en l'état". Force est de constater que cet adage n'a pas trouvé à s'appliquer ici, faute pour les juges de l'Ile de la Cité d'avoir eu à répondre à des moyens adéquats (le moyen soulevé d'office demeurant une exception, conformément à l'article 1015 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5884IA8).
Ce commentaire simple d'un arrêt que nous pensons l'être tout autant doit être compris, également, comme un souhait profond que le droit bancaire, matière éminemment technique s'il en est, ne se sépare pas trop de sa substance transcendante qu'est le droit civil. A tomber dans le travers que dénonce habilement Jules Vernes dans son Paris au XXème siècle, celui d'un univers obsédé par sa science et reniant son art, la première rappelant vaguement le droit bancaire et le second le droit civil, on suspend sur ce qui fait la force de notre système juridique romano-germanique une vraie épée de Damoclès à la lame froide. A méditer.
(1) Cf. les données de l'INSEE
(2) COJ, art. L. 231-3 (N° Lexbase : L7880HN8).
(3) Sur ce texte, cf. not., nos obs. Aperçu du nouveau dispositif normatif relatif aux activités de paiement en France, Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N9413BL9).
(4) Nous reprenons ici volontairement le terme générique consacré par le Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (N° Lexbase : L6914AUM).
(5) Cf. le site internet SEPA France.
(6) Ce n'est pas le cas de tout le monde : X. Delpech, D., Actualités, 2011, 2588.
(7) Qu'elle avait enrichi d'une réflexion relative à l'obligation incombant au mandataire au titre de l'article 1993 du Code civil (N° Lexbase : L2216ABP).
(8) Cass. com., 4 juillet 1995, n° 93-12.977 (N° Lexbase : A1162ABN), Bull. civ. IV, n° 203 ; D., 1995, 488, note D.-R. Martin et H. Synvet.
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