La lettre juridique n°577 du 3 juillet 2014 : Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Calcul des droits de mutation à titre gratuit en cas d'adoption simple

Réf. : Cass. com., 6 mai 2014, n° 12-21.835, FS-P+B (N° Lexbase : A5482MLM)

Lecture: 9 min

N2920BUP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Calcul des droits de mutation à titre gratuit en cas d'adoption simple. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/18119098-jurisprudence-calcul-des-droits-de-mutation-a-titre-gratuit-en-cas-dadoption-simple
Copier

par Frédéric Douet, Professeur à l'Université de Bourgogne

le 03 Juillet 2014

Lorsque, pour pouvoir obtenir la liquidation des droits de mutation à titre gratuit dans les conditions et au tarif applicables en ligne directe, l'adopté simple soutient que soit dans sa minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans sa minorité et sa majorité et pendant dix ans au moins, il a reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus, cela n'impose pas une pas une prise en charge exclusive, mais seulement continue et principale de l'adopté simple par l'adoptant. Telle est la solution dégagée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 mai 2014 . 1. Pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit afférents aux transmissions entre adoptés simples et adoptants, il n'y a en principe pas lieu de tenir compte du lien de parenté qui résulte de l'adoption simple (CGI, art. 786, al. 1er N° Lexbase : L8196HL7). Sauf si un lien de parenté existe entre l'adopté simple et l'adoptant, ces droits doivent donc être liquidés dans les conditions et au tarif applicables entre personnes non parentes, non mariées et non pacsées, c'est-à-dire au taux de 60 % dès le premier euro (CGI, art. 777 N° Lexbase : L9400ITC,) sous déduction d'un abattement de 1 594 euros en matière de droits de succession (CGI, art. 788-IV N° Lexbase : L9397IT9).

2. Ce principe a pour effet de déconnecter le droit fiscal du droit civil.

Civilement, que l'adoption soit simple ou plénière, une fois celle-ci prononcée, l'adopté a dans la famille de l'adoptant les mêmes droits successoraux qu'un enfant légitime (C. civ., art. 358 N° Lexbase : L2876AB7 et 368, al. 1er N° Lexbase : L2887ABK). Les enfants dont la filiation est légalement établie sont placés sur un pied d'égalité (C. civ., art. 310 N° Lexbase : L8851G9P). Toutefois, l'adopté simple et ses descendants n'ont pas la qualité d'héritiers réservataires à l'égard des ascendants de l'adoptant (C. civ., art. 368, al. 2).

La situation des adoptés simples en matière de droits de mutation à titre gratuit diverge de celle des autres enfants. Cette solution date de 1930 (loi du 16 avril 1930, art. 22). La procédure et les conditions de l'adoption simple sont plus souples que celles de l'adoption plénière. Il faut notamment souligner que l'adoption simple est permise quel que soit l'âge de l'adopté. Cela explique qu'environ deux tiers des adoptions prononcées le soient en la forme simple (en 2007, 13 400 adoptions ont été prononcées, 70 % l'ont été en la forme simple et 30 % en la forme plénière : lire Infostat Justice 106, 22 octobre 2009). La crainte du législateur et de l'administration fiscale est que l'adoption simple soit détournée de sa finalité -c'est-à-dire de l'établissement de rapports de parents à enfants- afin de contourner les règles de calcul des droits de mutation à titre gratuit. Le Conseil constitutionnel a considéré que les modalités de liquidation des droits de donation et de succession prévues par l'article 786 du CGI en cas d'adoption simple n'étaient contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit (Cons. const., 28 janvier 2014, n° 2013-361 QPC N° Lexbase : A0538MDB : Defrénois 2014, n° 4, 115d6, avec nos observations critiques). Les juges de la rue de Montpensier ont estimé qu'il en était de la sorte dans la mesure où le principe de l'absence de prise en compte du lien de parenté résultant de l'adoption simple est tempéré par des exceptions.

3. Par exception, l'article 786, alinéa 2, du CGI prévoit huit cas de figure dans lesquels les droits de mutation à titre gratuit dus entre l'adopté simple et l'adoptant doivent être liquidés dans les conditions et au tarif applicables en ligne directe (v. plus particulièrement sur ces exceptions : nos obs., Précis de droit fiscal de la famille, 13ème éd., LexisNexis, 2014, n° 2361). Il en va de la sorte lorsque la transmission donne lieu au droit de retour légal prévu en cas d'adoption simple ou en cas de transmissions faites en faveur :

1° d'enfants issus d'un premier mariage du conjoint de l'adoptant ;
2° de pupilles de l'Etat ou de la Nation ainsi que d'orphelins d'un père mort pour la France ;
3° d'adoptés qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins, auront reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus ;
4° d'adoptés dont le ou les adoptants ont perdu, morts pour la France, tous leurs descendants en ligne directe ;
5° d'adoptés dont les liens de parenté avec la famille naturelle ont été déclarés rompus par le tribunal saisi de la requête en adoption, sous le régime antérieur à l'entrée en vigueur de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 ;
6° des successibles en ligne directe descendante des personnes visées ci-dessus (aux 1° à 5°) ;
7° et d'adoptés, anciens déportés politiques ou enfants de déportés n'ayant pas de famille naturelle en ligne directe.

4. L'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 6 mai 2014 porte sur les conditions d'application de l'une de ces exceptions, en l'occurrence sur le cas de figure dans lequel l'adopté a, pendant un certain temps, reçu des secours et des soins de l'adoptant (CGI, art. 786, al. 2, 3°).

Un homme, né en 1954, est adopté en 1990 en la forme simple à l'âge de 36 ans par son grand-oncle.

En 1992 et 2004, l'adoptant a fait donation à l'adopté simple de divers biens par actes notariés. A l'occasion de ces donations, les droits de mutation à titre gratuit ont été calculés dans les conditions et au tarif applicable en ligne directe.

Après le décès de l'adoptant survenu le 30 janvier 2005, l'administration fiscale a adressé à l'adopté simple des proposition de rectification en soutenant que les règles de liquidation des droits de mutation à titre gratuit prévues en ligne directe n'étaient pas applicables à la donation de 2004 et à la déclaration de succession. Selon les services fiscaux, l'adopté simple n'apportait pas la preuve de ce qu'il avait reçu de son père adoptif des soins et des secours non interrompus dans sa minorité et dans sa majorité pendant dix ans au moins.

Le 6 mai 2014, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 2012 (CA Grenoble, 9 janvier 2012, n° 09/03804 N° Lexbase : A9201KR9), entre l'adopté simple et l'administration fiscale, au motif que "la notion de secours et de soins ininterrompus n'impose pas une prise en charge exclusive, mais seulement continue et principale, de l'adopté simple par l'adoptant".

5. Cet attendu appelle trois séries de remarques. Pour les comprendre, il faut avoir à l'esprit que l'article 786, al. 2, 3°, du CGI dispose : "Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il n'est pas tenu compte du lien de parenté résultant de l'adoption simple. Cette disposition n'est pas applicable aux transmissions [...] faites en faveur : 3° D'adoptés qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins, auront reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus".

6. Tout d'abord, il résulte de l'article 786 (al. 2, 3°) du CGI que la fourniture des secours et des soins doit être non interrompue. Les mots ont un sens. Comme le relève à juste titre la Chambre commerciale de la Cour de cassation, cela implique que les secours et les soins doivent avoir été prodigués de façon continue ou, autrement dit, ininterrompue.

7. Ensuite, l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, censuré par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, ajoutait que l'adoptant devait avoir pris en charge l'adopté simple de façon exclusive.

Cette solution est conforme à la position de l'administration fiscale. Selon la doctrine administrative, "l'adoptant doit en principe avoir assuré la totalité des frais d'éducation et d'entretien de l'adopté pendant le délai prévu ; il ne suffit pas qu'il y ait simplement participé" (voir le BoFip - Impôts, BOI-ENR-DMTG-10-50-80-20120912 § 80 N° Lexbase : X5986ALB).

Toutefois, il ne faut pas oublier que l'article 786, alinéa 2, du CGI édicte des exceptions au principe posé par l'alinéa 1er de cette disposition. En matière fiscale, les exceptions sont d'interprétation stricte. L'article 786 (al. 2, 3°) du CGI ne prévoit une prise en charge exclusive de l'adopté simple par l'adoptant. La cour d'appel de Grenoble a donc ajouté une condition à cette disposition, ajout qui devait conduire à l'annulation de son arrêt.

8. Enfin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation retient que l'adopté simple doit avoir été pris en charge à titre principal par l'adoptant. Cette condition n'apparaît pas à la lecture de l'article 786 (al. 2, 3°) du CGI. Le critère fixé par cet article est quantitatif et non qualitatif. Comme précédemment (v. supra, n° 7), cela revient donc à y ajouter une condition non prévue par cette disposition.

La nécessité d'une prise en charge à titre principal de l'adopté simple par l'adoptant se comprend civilement. En vertu de l'article 365 du Code civil (N° Lexbase : L3826IR7), l'adoptant est le seul à être investi à l'égard de l'adopté simple de tous les droits d'autorité parentale. L'obligation parentale d'entretien découle des articles 203 (N° Lexbase : L2268ABM) et 371-2 (N° Lexbase : L2895ABT) du Code civil. L'obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants est une obligation alimentaire renforcée, c'est-à-dire une obligation qui recouvre le noyau de base des besoins vitaux (nourriture, vêtements, logement, soins médicaux et médicaments), mais aussi des dépenses relatives à l'éducation, au train de vie et aux loisirs. Cette obligation a une finalité éducative. Elle perdure donc au-delà de la majorité de l'enfant, tant que celui-ci poursuit des études (sauf si les études se poursuivent de façon déraisonnable). Civilement, c'est donc l'adoptant qui doit contribuer à titre principal à l'entretien et à l'éducation de l'adopté simple.

Après l'extinction de l'obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'adopté simple, l'obligation alimentaire peut naître si l'adopté simple se trouve dans le besoin. Il s'agit d'une obligation alimentaire simplifiée qui n'englobe que les besoins vitaux de son créancier. L'adoptant doit des aliments à l'adopté simple (C. civ., art. 367 N° Lexbase : L8334HWL). Les père et mère de celui-ci ne sont tenus de lui fournir des aliments qu'à titre subsidiaire, lorsqu'il ne peut les obtenir de l'adoptant (C. civ., art. 367).

Transposer fiscalement l'exigence civile d'une prise en charge à titre principal de l'adopté simple par l'adoptant soulève deux séries de difficultés.

La première est relative à la preuve de cette exigence. Lorsqu'un contribuable demande à bénéficier d'un avantage fiscal, il incombe à ce contribuable d'apporter la preuve qu'il respecte les conditions d'application de cet avantage. L'adopté simple doit donc être en mesure de prouver que l'adoptant lui a fourni à titre principal des secours et des soins soit dans sa minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans sa minorité et sa majorité et pendant dix ans au moins. En pratique, l'adopté simple risque d'être confronté à d'insurmontables difficultés de preuve. Il semble illusoire d'imaginer que l'adopté simple conserve tous les justificatifs de nature à prouver qu'il a été pris en charge à titre principal par son adoptant et non par ses père et mère, surtout si l'adoptant a commencé à s'occuper de lui alors qu'il était mineur. Cela revient à imposer d'invraisemblables comptes d'apothicaire à l'adopté simple.

La seconde série de difficultés provient du fait que, bien souvent en pratique, la fourniture des secours et des soins débute avant le prononcé de l'adoption simple. Tel était le cas en l'espèce. L'adoption simple a été prononcée en 1990 alors que l'adopté -qui était alors âgé de 36 ans- avait vécu chez son grand-oncle de 1963 à 1974. Durant cette période, ce dernier n'était pas tenu de fournir des secours et des soins au futur adopté simple, et ce d'autant plus qu'il n'existe pas d'obligation alimentaire en ligne collatérale. Lorsque la fourniture de secours et de soins débute avant le prononcé de l'adoption simple, exiger que le futur adoptant ait pris en charge de façon principale le futur adopté conduit donc à exiger le respect d'une condition non imposée civilement.

9. Par ailleurs, l'adopté simple faisait valoir que les droits de mutation à titre gratuit afférents à la donation que son grand-oncle lui avait consentie en 1992 avaient été calculés, conformément à l'article 786, al. 2, 3° du CGI, dans les conditions et au tarif applicables en ligne directe. Ces modalités de liquidation n'ayant pas été remises en cause par l'administration fiscale, l'adopté simple prétendait qu'il s'agissait d'une prise de position formelle de cette dernière par rapport à sa situation en matière de droits de mutation à titre gratuit, prise de position opposable aux services fiscaux sur le fondement de l'article L. 80 B du LPF (N° Lexbase : L3693I38).

L'administration fiscale ne peut procéder à des rehaussements d'impositions antérieures lorsqu'elle a formellement pris position sur la situation de fait d'un contribuable au regard d'un texte fiscal (LPF, art. L. 80 A N° Lexbase : L4634ICM et L. 80 B, 1°).

Comme la Chambre commerciale de la Cour de cassation le rappelle à juste titre dans son arrêt du 6 mai 2014, ici commenté, le silence de l'administration fiscale ne peut être tenu pour une prise de position formelle au sens du LPF (il faut également souligner que la garantie prévue par l'article L. 80-B, 1° du LPF ne pouvait pas jouer, à défaut de rehaussement d'impositions antérieures).

Décision
Cass. com., 6 mai 2014, n° 12-21.835, FS-P+B (N° Lexbase : A5482MLM)

Censure
CA Grenoble, 9 janvier 2012, n° 09/03804 (N° Lexbase : A9201KR9)

Lien base N° Lexbase : E0548AS4

newsid:442920

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.