La lettre juridique n°577 du 3 juillet 2014 : Éditorial

GPA : à réalisme familial réalisme et demi

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N2922BUR

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 03 Juillet 2014


Le réalisme a-t-il sa place en droit de la famille ? Assurément oui ! De la contraction du mariage (mariage forcé, mariage blanc), aux effets et conséquences de la rupture (faute du conjoint, prestation compensatoire), en passant par l'établissement de la filiation (présomption de paternité, recevabilité de l'action aux fins de subsides) et la responsabilité parentale (garde, discernement de l'enfant), le principe de réalisme émaille considérablement la matière qui finalement n'est que faiblement règlementairement encadrée au regard d'autres pans du droit. Et le dernier verrou de résistance à cette hégémonie du réalisme vient de sauter devant l'itérative remontrance de la CEDH.

En condamnant la France pour ne pas reconnaître la commune parentalité des commanditaires d'une gestation pour autrui (GPA), la Cour condamne la vision française théorique et formaliste de la filiation. En effet, par deux arrêts rendus le 26 juin 2014, la CEDH juge contraire à l'article 8 de la Convention le refus de reconnaître en droit français une filiation légalement établie aux Etats-Unis entre des enfants nés d'une GPA et le couple ayant eu recours à cette méthode ; dans les deux affaires, la Cour a conclu à l'unanimité à la non-violation de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention s'agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale, mais à la violation de l'article 8 s'agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée.

2 000 enfants seront directement concernés et les demandes devraient affluer devant les TGI ; aux juges maintenant d'appliquer la jurisprudence supranationale de la Cour européenne.

Alors on crie deçà delà au forcing législatif ! A la perte de souveraineté française en cette matière (aussi) ! D'aucuns éminents professeurs concluent à l'obligation, à court terme, de légaliser la GPA et voire de réformer notre droit de la filiation de l'enfant incestueux au regard des principes rappelés par les juges de Strasbourg : "au regard de l'importance de la filiation biologique en tant qu'élément de l'identité de chacun, on ne saurait prétendre qu'il est conforme à l'intérêt d'un enfant de le priver d'un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie".

Pour le second certainement, encore qu'il conviendra d'établir avec exactitude les droits du parent incestueux qui, jusqu'à présent, n'existaient pas aux yeux de la loi. L'enjeu paraît limité, l'inceste pénalement condamnable demeurant encore un tabou fort dans les sociétés occidentales. Toujours est-il qu'il n'est pas certain que l'enfant incestueux tire vraiment profit, notamment sur le plan psychologique, de cette double parentalité nouvellement établie.

Pour la GPA, cela semble plus complexe. La loi française devra reconnaître la double filiation de l'enfant commandité par gestation pour autrui. Certains avancent l'idée d'une obligation à court terme de légaliser la GPA actuellement hors la loi pour éviter autant que possible une rupture d'égalité selon les moyens financiers des commanditaires, futurs parents. Il faudrait à tout prix que l'on évite un tourisme de la GPA pour fortuné tandis que les moins aisés rongeraient leur frein. Et pourtant, cette finalité ne sera certainement pas atteinte. Si la loi française reconnaissait, enfin, la GPA, ce serait sous la condition, classique au demeurant, de l'inaliénabilité pécuniaire du corps humain ! Et, si on retirait l'aspect financier du commodat, la loi s'attacherait alors au contrôle de l'intention purement libérale de la gestion pour autrui, hors indemnisations des frais afférents strictement à la grossesse et à l'enfantement... et encore. Contrôles fiscaux, vérification de l'intention libérale, nullité la convention de GPA et pénalisation de sa commercialité pourraient être au rendez-vous. Quid alors de la réalité de la GPA en France ? On sait que la rémunération perçue par la mère biologique de l'enfant, en contrepartie de l'enfantement et de l'abandon de ses droits, à l'étranger est sinon essentielle du moins présente un caractère important de ce commodat bien particulier... Interdire toute rémunération directe ou indirecte et la réalité de la GPA pourrait n'être que peau de chagrin ; l'offre altruiste réduite à rien ou peu, la GPA continuerait d'être un recours pour fortunés... A réalisme réalisme et demi !

Alors sans doute que, pour la forme, la France légalisera la GPA pour ne pas paraître réactionnaire et réfractaire à l'harmonisation européenne. Mais, les effets escomptés, la libéralisation de la GPA en France, ne seront pas au rendez-vous ; elle légitimera finalement et surtout l'aliénabilité du corps humain à titre gratuit, au même titre que le don de sang ou d'organe -et l'on connaît la pénurie en la matière- aux conséquences sans commune mesure : la naissance d'un enfant !

Un mot sur l'abandon de l'autorité parentale par la mère biologique : il n'est également rien de moins certain que la loi permette une telle renonciation. Et, l'accouchement sous x n'est pas un bon exemple ou une voie à suivre, puisqu'il ne permet pas un tel abandon à proprement parler ; le consentement anonyme n'existant pas, l'enfant serait confié de fait à l'assistance publique ! La mère biologique n'étant pas anonyme, et la tri-parentalité via la reconnaissance d'une autorité parentale partagée avec le conjoint de l'un des parents homoparental n'étant qu'à quelques encablures législatives, là aussi, l'un des principaux buts recherchés par les commanditaires de la GPA, à savoir une autorité parentale exclusive sur leur enfant commandité, risque de ne pas être au rendez-vous.

Le réalisme familial est décidément d'une appréhension bien plus complexe qu'en matière fiscale, qui de tout temps ne se prive pas de taxer le produit d'une activité même illégale... C'est sans doute parce que la famille légale est encore empreinte d'une certaine "moralité", pas nécessairement laïque... Alors que la fiscalité est parfaitement amorale.

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