La lettre juridique n°296 du 13 mars 2008

La lettre juridique - Édition n°296

Éditorial

Le zouave, la télé-réalité et le travail dissimulé

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N3832BEN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Par trois arrêts rendus le 12 février dernier, les juges de la cour d'appel de Paris confirment le statut salarial applicable à plusieurs candidats "îliens" d'un programme de divertissement télévisuel. L'information, qui aura transpiré sur les fils RSS de l'AFP, et donc, dans tous les quotidiens et magazines d'actualité, peut, de prime abord, prêter à sourire, reléguée à cette catégorie de presse, dite people. Mais, à y regarder de plus près, c'est toute l'économie générale de ce type de divertissement, appelé "télé-réalité", qui s'en trouve bouleversée, et à un plus d'un titre.

Petit aparté. La télé-réalité consiste à montrer, dans le cadre d'un programme récurrent, des situations mettant des individus ordinaires aux prises avec des situations inspirées de situations réelles ou présumées telles. Or, "ce qu'on appelle une oeuvre sincère, est celle qui est douée d'assez de force pour donner de la réalité à une illusion" écrivait Max Jacob, dans son Art poétique. Et l'oxymore "soyez naturel", véritable pensif de ce genre télévisuel, n'aura pas trompé les juges parisiens pour lesquels, ces émissions, en guise de réalité, scénarisent une tranche de vie, et sont à la lisière d'une banale fiction ; car injonction est faite à tout participant d'être soi !

En effet, proposer à une personne "ordinaire" -par opposition à un professionnel de la télévision- de tester ses relations affectives et/ou son pouvoir de séduction, en pratiquant du catamaran, du jet-ski, du saut à l'élastique, des baignades, des balades à cheval, des séances de massage, des soirées festives et des rendez-vous intimes, dans un cadre tropical, peut s'apparenter, sérieusement, à une embauche. Il suffit pour cela que "le règlement de participants" à l'émission de télévision impose "une disponibilité permanente du 'participant' pour le tournage", que ses conditions de vie soient déterminées exclusivement par la production et que celle-ci ait le droit de sanctionner le non-respect de l'une quelconque des obligations du règlement. La rémunération sera alors constituée d'avantages en nature consistant dans la prise en charge des frais de transport, du visa nécessaire, de l'hébergement, des repas et des activités sportives et autres. En outre, le salarié accomplira des heures supplémentaires, dans la mesure où il doit rester constamment en relation avec les autres participants, participer à des activités avec eux, en étant filmé sans répit. Et convenons, avec Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, que la sanction de la méconnaissance du statut salarial du participant à un divertissement de télé-réalité est lourde : licenciement irrégulier et abusif, travail dissimulé, et fraude à la législation de la Sécurité sociale !

Dont acte. Poussons, maintenant, le raisonnement un peu plus loin en terme contractuel, afin que les sociétés productrices de ces émissions puissent parer à toute éventualité. "Le règlement de participants" devra donc prendre soin de contenir une clause de mobilité (imaginez qu'un participant refuse de se déplacer à Kuala Lumpur ou à Pekin dans une course à étapes !) ; une clause de loyauté (imaginez qu'un participant oublie de dévoiler quelque facette de son passé qui pourrait nuire à l'image de l'émission !) ; une clause de non-concurrence (imaginez qu'un participant, adepte du zapping réalité-télévisuel, propose tout le savoir, savoir-faire et savoir-être acquis au cours d'une précédente émission, auprès d'un autre producteur !) ; une clause de cession de droits d'auteur (imaginez qu'un participant ait un trait d'esprit si formidable qu'il convient d'éditer rapidement des milliers de tee-shirts marqués de l'indélébile pensée de son auteur !) ; une clause sur l'horaire de travail (d'où, sans doute, la fameuse salle CSA qui permet au participant-salarié de prendre son quart d'heure de pause toutes les deux heures ?)... Enfin, quelle convention collective appliquer (artistes-interprètes, communication et production audiovisuelles, entreprises artistiques et culturelles, entreprises de travail temporaire... ou camping, industries du camping, et tourisme) ?

Heureusement. Les juges parisiens se seront souvenus que, pour échapper au lien de subordination qui caractérise le salariat, le quotidien pouvait rester un sujet d'art, comme au temps du dadaïsme, du cubisme et du surréalisme ; de Marcel Duchamp exposant son urinoir, de Fernand Léger déclarant qu'il faudrait filmer 24 heures dans la vie d'un couple banal, de Francis Ponge qui composa des poèmes sur les objets du quotidien dans Le Parti pris des choses, ou d'Andy Warhol qui tourna Sleep, un plan séquence d'une personne en train de dormir pendant 6 heures.

"Le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination. Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité" écrivait Jean Giraudoux, dans La Guerre de Troie n'aura pas lieu. Les zouaves, corps d'armée formé à Alger en 1830, étaient réputés pour être exagérément disciplinés, au point d'être perçus comme... idiots. Et les juges parisiens de préciser que "faire le zouave" à la télévision n'exclut pas la discipline professionnelle, clé de voute de cette télé-réalité.

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Responsabilité

[Jurisprudence] L'appréciation de la cause étrangère exonératoire de la responsabilité encourue par le constructeur sur le fondement de l'article 1792 du Code civil

Réf. : Cass. civ. 3, 27 février 2008, n° 06-19.348, Société Entreprise chonsui, FS-P+B (N° Lexbase : A1742D7N)

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N3770BED

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

La force majeure permet, dans certains cas et à certaines conditions, l'exonération du responsable, et ce aussi bien en matière contractuelle qu'en matière délictuelle : en matière contractuelle, dans les hypothèses dans lesquelles le débiteur est tenu d'une obligation de résultat, voire d'une obligation de garantie ; en matière délictuelle dans les hypothèses dans lesquelles la responsabilité est une responsabilité objective ou de plein droit. Ainsi, l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) dispose-t-il que "tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination". Et l'alinéa 2 du texte précise qu'"une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère". Encore faut-il s'entendre sur la définition de la force majeure. Depuis quelques années, une différence avait paru se dessiner selon que la responsabilité était recherchée sur le terrain contractuel ou sur le terrain délictuel. Alors, en effet, que, en matière contractuelle, certains arrêts avaient paru alléger la définition de la force majeure en admettant que la seule irrésistibilité de l'événement suffisait à la caractériser, la jurisprudence semblait se montrer plus exigeante en matière délictuelle en continuant, plus classiquement, à exiger que l'événement constitutif de la force majeure soit au moins imprévisible et irrésistible, la condition tenant à l'extériorité de l'événement étant, dans un cas comme dans l'autre, quelque peu délaissée.

A vrai dire, les choses méritaient, sans doute, d'être un peu nuancées dans la mesure où, en matière contractuelle, la deuxième chambre civile, contrairement à la première chambre et à la Chambre commerciale, avait paru s'obstiner à subordonner systématiquement l'exonération du débiteur à l'imprévisibilité de l'événement, et pas seulement à la démonstration de son caractère irrésistible. Toujours est-il que la situation s'est trouvée clarifiée par deux arrêts rendus en Assemblée plénière le 14 avril 2006, harmonisant les solutions sur le terrain contractuel et sur le terrain délictuel et posant en principe que, dans ces deux matières, la force majeure suppose que soit établi le caractère imprévisible et irrésistible de l'événement (1). Il reste que, même ainsi précisée, la notion n'est pas sans susciter quelques incertitudes, comme en témoigne encore un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 février dernier, à paraître au Bulletin.

En l'espèce, sans reprendre l'ensemble des faits à l'origine du litige, la question était de savoir si de fortes pluies qui s'étaient abattues sur l'île de Tahiti, dont l'intensité avait justifié un arrêté constatant l'état de catastrophe naturelle, et qui avaient fait s'effondrer un mur de soutènement d'un ensemble immobilier, pouvaient ou non constituer une cause étrangère exonératoire de responsabilité encourue par le constructeur sur le fondement de l'article 1792 du Code civil. Il faut dire que la jurisprudence a déjà eu l'occasion de juger que la cause étrangère pouvait être constituée par un fait de la nature. Ainsi a-t-il été décidé que l'entrepreneur est dégagé de toute responsabilité lorsque les détériorations subies par des tuyaux d'écoulement des eaux usées sont dues à l'action de bactéries, apparues dans des conditions non élucidées, mais postérieurement à l'installation, contre lesquelles aucun procédé de lutte n'a encore été trouvé, de telles circonstances étant insurmontables (2). Il a encore été jugé qu'un ouragan d'une violence exceptionnelle peut constituer un événement de force majeure (3), tout comme, dans certaines circonstances, des chutes de neige (4). Toujours est-il que, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, la Cour de cassation rejette le moyen et approuve les premiers juges dans les termes suivants : "ayant souverainement retenu que les fortes précipitations pluviales survenues les 19 et 20 décembre 1998 ne pouvaient être qualifiées ni de véritables dépressions, ni de tempêtes, ni encore moins de cyclones, que de tels événements étaient susceptibles d'arriver en période des pluies dans les zones tropicales, et qu'ils ne possédaient pas les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de la force majeure, la cour d'appel a pu en déduire que [le constructeur] ne justifiait pas d'une cause étrangère exonératoire de la responsabilité [qu'il] encourait sur le fondement de l'article 1792 du Code civil".

L'arrêt a le mérite non seulement de rappeler que, pour qu'un événement soit constitutif d'un cas de force majeure, il faut qu'il soit à la fois imprévisible et irrésistible, mais encore de bien faire apparaître que l'appréciation de ces caractères ne peut se faire qu'in concreto. Il est, en effet, assez cohérent de considérer que de fortes pluies ne sont pas imprévisibles en zone tropicale et, a fortiori, pendant la saison des pluies, alors que ces mêmes pluies auraient peut-être pu, en d'autres circonstances, constituer une cause étrangère exonératoire de responsabilité.


(1) Ass. plén., 14 avril 2006, deux arrêts, n° 02-11.168, M. Philippe Mittenaere c/ Mme Micheline Lucas, épouse Pacholczyk, P (N° Lexbase : A2034DPZ) et n° 04-18.902, M. Stéphane Brugiroux c/ Régie autonome des transports parisiens (RATP), P (N° Lexbase : A2092DP8), et nos obs., La force majeure devant l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (vers l'unité des approches contractuelle et délictuelle ?), Lexbase Hebdo n° 214 du 11 mai 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N8030AKM).
(2) Cass. civ. 3, 10 octobre 1972, n° 71-11.052, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Gentilly-Cité-Verte c/ Société Clemm et autres (N° Lexbase : A9463CGL), D., 1973, p. 378, note J. M..
(3) Cass. civ. 3, 11 mai 1994, n° 92-16.201, Compagnie Gan c/ M. Le Garrec et autres (N° Lexbase : A7074ABM), Bull. civ. III, n° 94.
(4) Cass. civ. 3, 7 mars 1979, n° 77-15.153, SA Afeda et autres c/ Consorts Capelle et autres (N° Lexbase : A4390CGP), Bull. civ. III, n° 57 ; Contra, selon les circonstances : Cass. civ. 3, 16 février 2005, n° 03-18.999, Société Etablissements Poulingue c/ Société Axa assurances IARD, FS-D (N° Lexbase : A7406DGE), RD imm., 2005, 225, obs. Ph. Malinvaud.

newsid:313770

Entreprises en difficulté

[Focus] Un tribunal peut-il adopter un plan de sauvegarde emportant, sur le vote des comités de créanciers, obligation pour un banquier d'octroyer un nouveau concours pendant l'exécution du plan de sauvegarde ?

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N3807BEQ

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par Pierre-Michel Le Corre, Praticien des procédures collectives, Formateur-consultant, Professeur agrégé des facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

La consultation des créanciers, préparatoire à l'adoption d'un plan de sauvegarde, peut intervenir de deux façons : par le biais de la procédure classique, telle qu'elle est pratiquée dans le cadre de la préparation des plans de continuation, sous l'empire de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L7852AGW), et par le biais de la procédure des comités de créanciers, nouveauté de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT), constituant une sorte de retour aux sources, par référence aux assemblées concordataires, telles qu'on les connaissait dans le Code de commerce, puis dans la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 (N° Lexbase : L7803GT8). Dans le schéma classique, c'est-à-dire, en dehors des comités de créanciers, la procédure de consultation des créanciers est régie par les articles L. 626-5 ([LXB=L4105HBN ]) à L. 626-7 du Code de commerce.

Selon l'article L. 626-5 du Code de commerce, "les propositions pour le règlement des dettes sont, au fur et à mesure de leur élaboration et sous surveillance du juge-commissaire, communiquées par l'administrateur au mandataire judiciaire, aux contrôleurs ainsi qu'au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel. Le mandataire judiciaire recueille, individuellement ou collectivement, l'accord de chaque créancier qui a déclaré sa créance, conformément à l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3744HBB), sur les délais et remises qui lui sont proposés. En cas de consultation par écrit, le défaut de réponse, dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire, vaut acceptation. Ces dispositions sont applicables aux institutions visées à l'article L. 143-11-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5768ACM) pour les sommes mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 622-24, même si leurs créances ne sont pas encore déclarées".

L'article L. 626-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L4106HBP) s'intéresse à la consultation des créanciers publics. Selon cette disposition, "les administrations financières, les organismes de sécurité sociale, les institutions gérant le régime d'assurance chômage prévu par les articles L. 351-3 (N° Lexbase : L2788DCA) et suivants du Code du travail et les institutions régies par le livre IX du Code de la Sécurité sociale peuvent accepter, concomitamment à l'effort consenti par d'autres créanciers, de remettre tout ou partie de ses dettes au débiteur dans des conditions similaires à celles que lui octroierait, dans des conditions normales de marché, un opérateur économique privé placé dans la même situation.
Dans ce cadre, les administrations financières peuvent remettre l'ensemble des impôts directs perçus au profit de l'Etat et des collectivités territoriales, ainsi que des produits divers du budget de l'Etat dus par le débiteur. S'agissant des impôts indirects perçus au profit de l'Etat et des collectivités territoriales, seuls les intérêts de retard, majorations, pénalités ou amendes peuvent faire l'objet d'une remise.
Les conditions de la remise de la dette sont fixées par décret en Conseil d'Etat .
Les créanciers visés au premier alinéa peuvent également décider des cessions de rang de privilège ou d'hypothèque ou de l'abandon de ces sûretés".

Enfin, l'article L. 626-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L4107HBQ) prévoit que "le mandataire judiciaire dresse un état des réponses faites par les créanciers. Cet état est adressé au débiteur et à l'administrateur en vue de l'établissement de son rapport, ainsi qu'aux contrôleurs".

Ainsi, on le voit, les articles L. 626-5 à L. 626-7 du Code de commerce s'intéressent à la consultation des créanciers. Cette consultation porte, énonce l'article L. 626-5, alinéa 1er, de ce code, sur "les propositions pour le règlement des dettes".

A côté de cette consultation individuelle, la loi de sauvegarde envisage la consultation obligatoire au-delà de certains seuils, facultative en deçà, de comités de créanciers.

L'alinéa 1er de l'article L. 626-30 du Code de commerce (N° Lexbase : L4079HBP) prévoit que "les établissements de crédit et les principaux fournisseurs de biens ou de services sont réunis en deux comités de créanciers par l'administrateur judiciaire, dans un délai de trente jours à compter du jugement d'ouverture de la procédure". Ces comités sont donc, énonce le texte, des comités de créanciers. Si l'on n'est pas créancier, on ne peut être membre d'un comité.

Par construction, la qualité de créancier ne peut qu'être antérieure au jugement d'ouverture, dans la mesure où les comités doivent être constitués dans les trente jours de l'ouverture de la procédure, sans qu'il soit attaché de sanction à la constitution de comités au-delà de ce délai, dès lors, du moins, précise l'article L. 626-30, alinéa 2, du Code de commerce, que le débiteur aura présenté à ces comités, dans un délai de deux mois à partir de leur constitution, renouvelable une fois par le juge-commissaire à la demande du débiteur ou de l'administrateur, des propositions en vue d'élaborer le projet de plan mentionné à l'article L. 626-2 de ce code (N° Lexbase : L4102HBK). Il ne semble pas y avoir de conséquence lorsque le délai butoir de trois mois pour présenter les propositions aux créanciers, à compter du jugement d'ouverture, aura été respecté. L'intérêt à agir d'un créancier, relevant le dépassement du délai d'un mois pour la constitution des comités, ne semble pas exister, dès lors que le délai butoir de trois mois n'aura pas été dépassé.

Il importe de remarquer que l'article R. 626-56 du Code de commerce ([LXB=L0979HZB ]) (anct D. 28 décembre 2005, art. 165 N° Lexbase : L3297HET) indique que "pour déterminer la composition du comité des principaux fournisseurs, est pris en compte le montant des créances hors taxes existant à la date du jugement d'ouverture". Ainsi, on le voit, seuls des créanciers antérieurs peuvent être membres des comités de créanciers.

A ce stade, il est, donc, évident que la consultation de ces créanciers antérieurs, membres des comités, ne peut porter que sur leurs créances antérieures. Si la consultation pouvait porter sur autre chose, il n'y aurait pas eu besoin de prévoir que les comités soient composés de créanciers.

Le rapprochement avec les textes régissant la recherche de l'accord de conciliation est, à cet égard, éclairant. Il résulte, en effet, de l'article L. 611-7, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L4111HBU) que "le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise".

La référence aux "contractants habituels" résulte d'une intervention de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Cette dernière a prévu que le conciliateur pouvait, également, rechercher un accord avec les cocontractants habituels de l'entreprise, alors même que ces cocontractants, au moment de la conclusion de l'accord, ne seront pas créanciers (1). Il s'agit, plus précisément, de tenir compte de l'hypothèse où les cocontractants ne sont créanciers qu'à terme, leurs créances n'étant pas encore exigibles au jour de la négociation. L'association des cocontractants habituels de l'entreprise à l'accord de conciliation permettra d'obtenir, de leur part, des délais de paiement plus longs que ceux accordés jusqu'alors. A, aussi, été évoquée la possibilité pour un franchiseur de diminuer le montant de la redevance prélevée sur le chiffre d'affaires de son franchisé (2).

Pareille précision n'existe pas dans le cadre de l'élaboration du plan de sauvegarde et, plus spécialement, de la consultation des comités de créanciers. Il importe, donc, de s'en tenir aux textes et de réserver strictement la consultation des créanciers membres des comités à la question du règlement des dettes.

D'autres textes permettent de se convaincre de la solution.

Il en est d'abord ainsi de l'article L. 626-30, alinéa 4, du Code de commerce. Selon cette disposition, "le projet de plan adopté par les comités n'est soumis ni aux dispositions de l'article L. 626-12 (N° Lexbase : L4061HBZ), ni à celles des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 626-18 (N° Lexbase : L4067HBA). Les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne peuvent pas être membres du comité des principaux fournisseurs".

L'article L. 626-12 du code dispose que "sans préjudice de l'application des dispositions de l'article L. 626-18, la durée du plan est fixée par le tribunal. Elle ne peut excéder dix ans. Lorsque le débiteur est un agriculteur, elle ne peut excéder quinze ans".

L'article L. 626-18 du code, pour sa part, prévoit que "le tribunal donne acte des délais et remises acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 626-5 et à l'article L. 626-6. Ces délais et remises peuvent, le cas échéant, être réduits par le tribunal. Pour les autres créanciers, le tribunal impose des délais uniformes de paiement, sous réserve, en ce qui concerne les créances à terme, des délais supérieurs stipulés par les parties avant l'ouverture de la procédure qui peuvent excéder la durée du plan.
Le premier paiement ne peut intervenir au-delà d'un délai d'un an.
Au-delà de la deuxième année, le montant de chacune des annuités prévues par le plan ne peut, sauf dans le cas d'une exploitation agricole, être inférieur à 5 % du passif admis.
Pour les contrats de crédit-bail, ces délais prennent fin si, avant leur expiration, le crédit preneur lève l'option d'achat. Celle-ci ne peut être levée si, sous déduction des remises acceptées, l'intégralité des sommes dues en vertu du contrat n'a pas été réglée".

Il faut comprendre que, lorsque le plan de sauvegarde est adopté, après vote favorable des comités de créanciers, le tribunal ne peut réduire les délais et remises acceptés par les créanciers. Le premier paiement peut intervenir bien après la date anniversaire du plan. La progressivité instituée pour le paiement des dividendes du plan, en prévoyant l'obligation à partir de la troisième année (au-delà de la deuxième) de payer au moins 5 % du passif, est écartée.

L'article L. 626-30, alinéa 4, du Code de commerce mérite, assurément, une interprétation stricte, en ce qu'il prévoit, dans l'hypothèse de l'adoption d'un plan de sauvegarde, après vote favorable des comités de créanciers, la mise à l'écart de certaines règles de droit commun de l'adoption d'un plan de sauvegarde. Lorsqu'il n'est pas question de ces règles particulières, écartées par le jeu de l'article L. 626-30, alinéa 4, du Code de commerce, le droit commun de la consultation des créanciers préparatoires à l'adoption d'un plan de sauvegarde doit être respecté. Or, force est de constater que le périmètre de la consultation des créanciers n'est pas différent, selon que l'adoption du plan intervient avec ou sans vote des comités de créanciers. Cette consultation a, donc, exactement le même périmètre. L'interprétation a contrario s'impose, ici, avec évidence. Dès lors qu'il n'est pas question de raisonner sur ces textes d'exception, le droit commun s'applique. Le droit commun, en la matière, est celui de l'adoption du plan de sauvegarde sans comités de créanciers.

Un autre texte permet de conforter l'analyse. Il s'agit de l'article L. 626-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L4083HBT), qui apparaît de première importance. Selon cet article, "lorsque l'un ou l'autre des comités ne s'est pas prononcé sur un projet de plan dans les délais fixés, qu'il a refusé les propositions qui lui sont faites par le débiteur ou que le tribunal n'a pas arrêté le plan en application de l'article L. 626-31 (N° Lexbase : L4080HBQ), la procédure est reprise pour préparer un plan dans les conditions prévues aux articles L. 626-5 à L. 626-7 afin qu'il soit arrêté selon les dispositions des articles L. 626-12 et L. 626-18 à L. 626-20 (N° Lexbase : L4069HBC). La procédure est reprise suivant les mêmes modalités, lorsque le débiteur n'a pas présenté ses propositions de plan aux comités dans les délais fixés". Ainsi, lorsque le plan n'est pas adopté avec vote des comités de créanciers, il faut appliquer les articles L. 626-5 à L. 626-7 du Code de commerce pour permettre, néanmoins, l'adoption du plan.

Il faut, donc, comprendre que, lorsque le plan n'a pas été adopté par le biais des comités de créanciers, la consultation des comités est remplacée par la consultation individuelle de ces créanciers. La portée de la consultation est exactement la même : il s'agit, fondamentalement, de déterminer la position des créanciers antérieurs sur le règlement des dettes.

Sans doute, il n'est pas exclu, en marge de la constatation individuelle des créanciers sur le règlement des dettes, de solliciter certains d'entre eux sur des points précis, et, notamment, sur le maintien des concours bancaires pendant l'exécution du plan ou l'octroi, par certains, de nouveaux concours. Mais cette demande, qui sera, ensuite, retranscrite dans le plan, ne participe pas de la consultation des créanciers. Cela est tellement vrai, que ce n'est pas en tant que créancier que la demande de fourniture d'un concours est présentée à un établissement de crédit. Ce dernier peut être un partenaire du débiteur, dès avant le jugement d'ouverture, mais ne peut pas être créancier à cette date. Il en est ainsi si aucun prêt n'a été consenti, si la ligne de crédit autorisé n'a pas été utilisée et si le fonctionnement du compte courant de l'entreprise n'a pas généré, au jour du jugement d'ouverture, du débit. Le banquier pourra, néanmoins, être interrogé pour savoir s'il entend fournir un nouveau concours, par exemple, en augmentant une ligne de crédit. Il y a, ici, déconnexion complète de la qualité de créancier avec celle de personnes auxquelles il est demandé de prendre un engagement dans le plan.

Cette association de personnes, qui ne sont pas nécessairement des créanciers et qui, en tout cas, ne sont pas, ici, considérées en cette qualité, est prévue par le Code de commerce. Il s'agit des personnes tenues d'exécuter le plan.

L'article L. 626-10, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L4059HBX) oblige le tribunal à déterminer les personnes tenues d'exécuter le plan. Cette détermination est obligatoire.

Il y a, d'abord, les associés de la personne morale qui se seront engagés à faire des apports en compte courant ou à participer à une augmentation de capital. Il y a, également, les nouveaux associés, lorsqu'une partie des parts ou actions du débiteur, personne morale, a été acquise par des tiers. La disposition ici analysée envisage, d'ailleurs, explicitement la situation. Le candidat repreneur des actions, qui s'engage à apporter de l'"argent frais", pourra être condamné par le tribunal en cas d'inexécution (3).

La seconde catégorie de personnes est constituée de cocontractants qui ont pris des engagements particuliers dans le plan.

A ce stade, il importe de préciser que le plan de sauvegarde n'exerce aucune incidence sur la continuation des contrats en cours. Cela signifie, en conséquence, qu'un contrat résilié en période d'observation le restera. Inversement, un contrat continué en période d'observation ne sera pas résilié du seul fait de l'intervention du plan. En réalité, le débiteur étant redevenu in bonis, le droit commun retrouve son empire.

Il faut, cependant, réserver l'hypothèse où le cocontractant se serait engagé, dans le cadre du plan, à maintenir ses relations contractuelles. Il en est spécialement ainsi des contrats de banque. L'incidence de l'engagement du banquier doit être exactement mesurée. En s'engageant sur la durée du plan, il a pris un engagement à durée déterminée, alors qu'éventuellement, il était lié au débiteur dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Cela a une incidence sur ses possibilités de rupture des concours. Le banquier ne peut plus utiliser l'article L. 313-12, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2974G9Z) (anct loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, art. 60, al. 1er N° Lexbase : L7223AGM), qui prévoit la résiliation des concours à durée indéterminée, après respect d'un préavis (4). Il ne pourra se dégager, en phase d'exécution du plan, que par le recours à l'alinéa 2 de l'article L. 313-12 de ce code (anct loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, art. 60, al. 2). Il devra, donc, prouver, soit l'existence d'un comportement gravement répréhensible du débiteur, soit la situation irrémédiablement compromise de l'entreprise. Il ne pourra, évidemment, en être ainsi au lendemain de l'arrêté du plan, la notion de situation irrémédiablement compromise s'entendant de la situation d'une entreprise vouée à la liquidation judiciaire. En revanche, en cours d'exécution du plan, si la résolution du plan est proche, il pourra soutenir qu'il y a situation irrémédiablement compromise. On sait, en effet, que la résolution du plan conduira au prononcé de la liquidation judiciaire. Depuis la loi de sauvegarde des entreprises, il faudra, cependant, que la résolution du plan s'accompagne de l'état de cessation des paiements du débiteur (C. com., art. L. 626-27-I, al. 2 N° Lexbase : L4076HBL).

Mais il faut bien, ici, comprendre que ces personnes tenues d'exécuter le plan ont souscrit des engagements précis, en en acceptant le principe. En effet, l'article L. 626-10, alinéa 1er, du Code de commerce dispose que "les personnes qui exécuteront le plan, même à titre d'associé, ne peuvent se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrits au cours de sa préparation".

Il a été jugé, à cet égard, que le fait pour le tribunal d'imposer au débiteur des charges non souscrites est constitutif d'une faute du service public de la justice qui peut être indemnisée. L'action dirigée contre l'agent judiciaire du Trésor se prescrit par quatre ans à compter du fait dommageable, qui est la décision de justice augmentative des charges souscrites (5).

Le vote des comités de créanciers présente un caractère souverain, affirmé par les travaux préparatoires de la loi de sauvegarde. C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle la modification substantielle dans les moyens du plan adopté après le vote favorable des comités de créanciers supposera un vote favorable de ces mêmes comités. Le caractère souverain des comités de créanciers doit, cependant, strictement s'inscrire dans les limites de la consultation de ces derniers, c'est-à-dire, dans le cadre de la discussion sur le paiement des dettes du débiteur nées avant le jugement d'ouverture. Ce même caractère souverain n'a aucune portée en dehors de ces limites légales.

D'ailleurs, la solution résulte, avec évidence, de l'article L. 626-31, alinéa 1er, du Code de commerce. Ce texte dispose que "lorsque le projet de plan a été adopté par les comités conformément aux dispositions de l'article L. 626-30, le tribunal s'assure que les intérêts de tous les créanciers sont suffisamment protégés".

Le vote favorable des deux comités de créanciers sur les propositions contenues dans le projet de plan ne suffit, donc, pas à l'adoption de celui-ci. En effet, le tribunal devra vérifier que les intérêts des créanciers sont suffisamment protégés. Le texte ne précise, cependant, pas de quels créanciers il s'agit. Il s'agit des créanciers membres des comités qui n'auraient pas accepté les propositions de plan et qui se les verraient, nécessairement, imposer en cas d'adoption du plan (6). Il faut éviter que le vote de la majorité ne conduise à imposer à des minoritaires des efforts disproportionnés par rapport à leurs capacités contributives (7). Mais il s'agit, aussi, des créanciers hors comité, qui pourraient voir leur gage affaibli par les garanties disproportionnées que prendraient les créanciers membres des comités ou qui avantageraient ces derniers dans l'exécution du plan (8).

Lorsque le tribunal estime que les intérêts des créanciers n'ayant pas voté favorablement le projet de plan, au sein des comités de créanciers, ne sont pas suffisamment préservés, le plan devra être rejeté, sans, a priori, de possibilité pour le tribunal de modifier le projet de plan (9).

Les intérêts des personnes membres des comités ne seront, assurément, pas préservés, si le vote majoritaire des comités conduit à imposer à ces créanciers réfractaires des charges non souscrites, puisque cette façon de procéder constitue, clairement, un excès de pouvoir. Le tribunal ne peut, donc, pas arrêter un plan de continuation comportant un vote d'un comité de créanciers sur des obligations imposées à la majorité à l'un de ses membres et qui sont sans rapport avec le règlement des dettes.

Le tribunal viendrait-il à adopter ce plan, sa décision comporterait un excès de pouvoir flagrant. Elle violerait ouvertement l'interdiction d'imposer à une personne des charges non souscrites pendant la période de préparation du plan.

La personne à laquelle est imposée, pendant l'exécution du plan, une charge non souscrite pendant la période d'observation, peut exercer un recours sur la décision arrêtant le plan de sauvegarde. Il s'agira d'une tierce opposition réformation, la loi de sauvegarde ayant ouvert aux créanciers la possibilité d'exercer un recours sur la décision arrêtant le plan de sauvegarde.

Il n'y aurait, ici, aucune difficulté à caractériser l'intérêt spécial à agir du banquier par rapport à la collectivité des créanciers. Il subit bien, en effet, un préjudice distinct de celui de la collectivité des créanciers, lorsqu'il se voit imposer, par la décision d'un comité de créanciers, relayée par une homologation judiciaire - la décision adoptant le plan - l'octroi d'un concours nouveau.

Conclusion

Il n'est pas de la compétence des comités de créanciers, consultés dans le cadre de la préparation d'un plan de sauvegarde, de voter à la majorité l'obligation pour un banquier de consentir un nouveau concours. Le banquier ne commet pas de faute à refuser l'octroi d'un concours bancaire. Il n'existe pas de droit au crédit, contrairement au droit au compte. L'Assemblée plénière de la Cour de cassation énonce, ainsi, que "hors le cas où il est tenu par un engagement antérieur, le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu'en soit la forme, de s'abstenir ou de refuser de le faire" (10). Il y a, donc, violation du principe de liberté d'octroi d'un concours par un banquier à imposer à celui-ci, lorsqu'il est membre d'un comité de créancier, la délivrance d'un nouveau concours.

Le tribunal ayant à statuer sur l'arrêté du plan ne peut, sauf à violer le principe d'interdiction d'imposer à une personne des charges non souscrites en période d'observation, adopter le plan qui imposerait à un banquier, sur décision des comités, de consentir un nouveau concours.

Cette décision comportant une telle obligation renfermerait un excès de pouvoir, qui rendrait possible la tierce opposition, l'intérêt à agir du banquier résultant de l'existence d'un intérêt propre, distinct de celui de la collectivité des créanciers.

Si le tribunal se refuse à rétracter sa décision dans le cadre de la tierce opposition, l'appel de la décision statuant sur la tierce opposition reste ouvert.


(1) Voir, rapp. Xavier de Roux, n° 2095, 24 février 2005, p. 137.
(2) Voir, J.-Cl. Commercial, A. Jacquemont, fasc. n° 2030, Procédure de conciliation et concordat, éd. 2006, n° 30.
(3) Voir, Cass. com., 29 avril 2003, n° 00-11.466, M. Félix Baranes c/ M. Antonio Tomassi, F-D (N° Lexbase : A8171BSG).
(4) Voir, Cass. com., 14 février 1989, n° 87-14.564, Société anonyme Unicrédit (N° Lexbase : A5424A4N) et Cass. com., 14 février 1989, n° 87-14.629, SA Banque Française du Commerce extérieur c/ SA Ducler et autres (N° Lexbase : A7910AHG), RTD com., 1989, p. 506, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; RJ com., 1990, n° 356, note Calendini.
(5) Voir, CA Paris, 1ère ch., sect. A, 16 octobre 2007, n° 05/10782, M. Jean Paul Barcon c/ M. P Agent judiciaire du trésor (N° Lexbase : A3252D3T).
(6) Voir, rapp. Xavier de Roux, n° 2095, précité, p. 323.
(7) Voir, rapp. J.-J. Hyest, n° 335, 11 mai 2005, p. 300.
(8) Voir, rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 300, précité - Voir aussi en ce sens, A.Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté, éd. Delmas, 2ème éd., 2007, n° 1008.
(9) Voir, rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 300, précité.
(10) Voir, Ass. plén., 9 octobre 2006, n° 06-11.056, Société CDR créances, Société anonyme, venant aux droits de la Société de banque occidentale (SDBO) c/ Société Mandataires judiciaires associés (MJA), Société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA), P+B+R+I (N° Lexbase : A6865DRP)  ; lire, R. Routier, Affaire "Adidas" : rappel des principes par l'Assemblée plénière, Lexbase Hebdo n° 232 du 19 octobre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N4036AL3) ; D., 2006, Jur, p. 2933, note D.Houtcieff ; JCP éd. E., 2006, n° 2618, p. 1924, note A. Viandier ; D., 2007, pan., p. 758, obs. D.-R. Martin ; Rev. Lamy dr. civ., novembre 2006, n° 32, 2265, p. 25 ; RD banc. et fin., novembre / décembre 2006, p. 13, n° 188, note F.-J. Crédot et T. Samin ; Rev. proc. coll., 2007/3, p. 99, n° 4, obs. A. Martin-Serf.

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Sociétés

[Jurisprudence] Effet ou fonction de l'inscription en compte ? Une réponse mesurée de la Cour de cassation à propos de mentions marginales ajoutées lors de l'enregistrement d'un mouvement de titres

Réf. : Cass. com., 29 janvier 2008, n° 06-19.624, Société Justfin international, F-P+B (N° Lexbase : A6012D4G)

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N3828BEI

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

"Omne tullit punctum qui miscuit utile dulci" : la Cour de cassation, le mois dernier, aura fait mentir Horace qui affirmait que "celui qui joint l'utile à l'agréable recueille tous les suffrages". C'est, en effet, pour avoir décidé que l'émetteur d'actions pouvait, à l'occasion de l'inscription en compte transcrivant un ordre de mouvements, porter, au surplus, sur les registres de la société, des mentions marginales relatives à la contestation de la propriété des titres que la cour d'appel de Paris (CA Paris, 14ème ch., sect. B, 12 juillet 2006, n° 06/02876 N° Lexbase : A4894DRP, lire N° Lexbase : N0568A9W) vient d'être censurée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 janvier 2008. En décidant, ainsi, que l'inscription en compte des valeurs mobilières n'a "pas pour fonction d'informer les tiers des imperfections d'affecter les droits de celui-ci", le juge du droit impose, aux termes d'une argumentation particulièrement simple, une solution qui, pourtant, avait suscité un débat juridique assez riche devant les juges du fond. Un certain nombre d'arguments, tant textuels que logiques, semblaient, en effet, militer en faveur de l'autorisation de la mention d'informations marginales à l'occasion de l'inscription en compte, fondés sur l'analyse des effets de l'inscription (I). C'est toutefois, sur un raisonnement reposant sur la mesure de sa fonction (II) que la Chambre commerciale va s'appuyer afin de casser l'arrêt d'appel.

I - Validité de la mention marginale et effets de l'inscription

Dans un contexte particulier, susceptible de remettre en question des cessions successives d'actions (A), le juge du fond établit, dans son arrêt, l'intérêt que représente l'inscription en compte en matière d'information (B).

A - Une cession de valeurs mobilières contestée

Les faits à l'origine de l'affaire remontent à la cession, le 20 avril 2002, de 124 531 108 actions de la société Compagnie financière MI 29 par M. H. et M. S., pour la somme de 1 euro. Ces actions, valorisées à 43 millions d'euros (1), ultérieurement apportées -pour la plupart d'entre elles- à une autre société, la société Justfin International, seront enfin cédées par cette dernière (92 386 280 actions) à une autre société, dénomme FA 29.

Le 1er février 2006, la société Justfin international adresse un ordre de mouvement portant sur la cession à la société MI 29 qui refuse de procéder à la régularisation de ce transfert et se voit délivrer, pour cette raison, une sommation de procéder à l'inscription dans ses registres, le 2 février 2002. Or, le 3 février, le cédant originel, M. H. ainsi que la société émettrice (MI 29) demandent, par assignation, l'annulation de la cession initiale pour absence de cause et vileté de prix.

Dans ces circonstances, la société Justfin international et M. S. introduisent un recours en référé, afin d'obtenir la régularisation de l'ordre de mouvement. Le président du tribunal de commerce ordonnera alors à la compagnie financière MI 29 de transcrire, sous astreinte, l'ordre de mouvement litigieux sur les registres de la société avec, pour seule indication, l'origine de la propriété et, ceci, sans mention d'une quelconque contestation sur la propriété. En effet, les copies des fiches individuelles d'actionnaires remises par M. H. et la société Compagnie financière MI 29 comportaient, en marge, la mention de l'assignation demandant la nullité de la cession.

La cour d'appel de Paris, saisie aux fins d'infirmer l'ordonnance et pour constater que la société Compagnie financière MI 29, le 8 février 2006, avait retranscrit de façon conforme l'ordre de mouvement, fait droit à la demande des appelants, le 12 juillet 2006, estimant que des mentions pouvaient être portées en marge. La question posée à la Chambre commerciale de la Cour de cassation consistait, donc, à déterminer la licéité de ces informations comme, en l'espèce, celle de l'existence d'une action en nullité de la cession introduite par le cédant.

B - Un raisonnement reposant sur l'effet de l'inscription en compte

La cour d'appel de Paris, dans son arrêt, justifie la possibilité d'inscrire des mentions marginales, en faisant reposer son raisonnement sur trois motifs distincts, successivement fondés sur : l'analyse du droit positif, la compatibilité de cette solution avec l'ordonnancement juridique et l'intérêt qu'elle présente en matière de sécurité pour les tiers.

S'agissant, d'abord, de l'analyse des textes, l'arrêt d'appel renvoie, en matière d'encadrement juridique de l'inscription, aux dispositions des articles L. 211-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7230HZS) et L. 228-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8356GQK), concluant, entre autres arguments (2), que l'inscription permet de rendre opposable aux tiers une présomption simple de propriété, susceptible d'être renversée à l'issue d'une action en revendication. Cette inscription, toujours selon le juge d'appel, contraint l'émetteur à agir sur le seul ordre de mouvement sans pouvoir "porter la moindre appréciation sur cet ordre, ni en modifier les données", rien ne l'empêchant, en revanche, de mentionner, en marge et de façon objective, toute information relative au droit de propriété en cause.

On remarquera, ainsi, que la cour d'appel place résolument la réponse au problème qui lui était posé sur le seul terrain de l'information. Elle souligne, en effet, dans son cinquième considérant que si, depuis l'ordonnance du 24 juin 2004 (ordonnance n° 2004-604, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l'outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale N° Lexbase : L5052DZ7), l'article L. 228-1, alinéa 9, du Code de commerce établit que l'inscription est translative de propriété, ce même texte prévoit que les conditions de l'inscription seront précisées par décret en Conseil d'Etat. Or, le décret n'ayant pas été édicté à la date de l'arrêt, le juge d'appel en conclut que, à défaut de mesures d'application, l'article 228-1, alinéa 9, était inapplicable à l'époque, de sorte que le transfert de propriété résultait de l'acte de cession, l'inscription n'ayant qu'un seul effet au jour du jugement, celui de rendre opposable la cession aux tiers et à la société émettrice.

C'est sur cette base que le juge va développer la deuxième partie de son argumentation. Il souligne, ainsi, dans le septième considérant de l'arrêt, que la mention marginale ne contredit pas la présomption de propriété, celle-ci conduisant la société à "n'admettre comme actionnaire, jusqu'à ce qu'il en était autrement décidé, que la personne inscrite en compte". Autrement dit, le juge considère que la propriété pouvant faire l'objet de contestations, la mention marginale ne fait que matérialiser la possibilité de remettre en question le droit de propriété portant sur les actions inscrites en compte.

C'est enfin, par un troisième argument, que le juge conclut son raisonnement, soulignant que, l'inscription n'ayant pas pour effet de transférer la propriété, elle "a le mérite d'informer les tiers consultants le registre, du risque éventuellement encouru, au cas où ils envisageraient de se porter sous-acquéreur". Une fois encore, c'est l'aspect informatif de l'inscription en compte qui est, ici, mis en avant, la cour d'appel rappelant implicitement que, faute de décret d'application, l'inscription ne saurait avoir d'effet translatif de propriété et, qu'au moins, le mécanisme permet, en dépit de son incomplétude, de donner des informations aux tiers.

II - La recherche, par le juge du droit, de la fonction du mécanisme d'inscription

C'est, sans doute, au plan de la méthode que ce raisonnement s'avère contestable : reposant sur la recherche de l'effet de l'inscription, il ne prend en considération que la situation particulière, créée par le défaut d'édiction du décret d'application prévu par l'ordonnance n° 2004-604 (A). Au fond, toutefois, un certain nombre d'arguments, autrement convaincants, peuvent être avancés à l'appui d'une analyse reposant sur la recherche de la fonction de l'inscription (B).

A - Une argumentation d'appel reposant sur une inefficacité conjoncturelle de la norme

A reprendre les trois séries d'arguments avancés par le juge d'appel et à les confronter à l'analyse de la fonction assignée à l'inscription en compte, on mesure mieux la portée de la décision de la Cour de cassation et de sa position, en amont de la règle, en référence tacite à la volonté du législateur. A propos, ainsi, de l'analyse des textes réalisée par la cour d'appel, nous avions pu relever que la solution retenue par le juge du fond était de conclure que le mécanisme de l'inscription en compte avait pour seule conséquence de rendre le transfert de propriété "opposables aux tiers et à ladite société". Or, si cette situation, dont nous ne reviendrons pas sur l'origine, s'imposait à l'époque en matière de cessions de titres en dehors de tout marché, il n'en allait pas de même lorsque les titres étaient négociés sur un marché réglementé ou inscrits en compte chez un intermédiaire habilité participant à un système de règlement-livraison (3). Dans ce cas, en effet, aux termes de l'article L. 431-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1935HBB), le transfert de propriété résultait déjà de l'inscription des titres au compte de l'acheteur. Faudrait-il, alors, à suivre le juge d'appel, considérer que l'inscription aurait des effets différents, selon qu'elle concerne, ou non, des titres admis à la négociation sur un marché ? La solution est envisageable, mais se trouve donc en totale contradiction avec les finalités assignées par le législateur à l'ordonnance du 24 juin 2004 précitée, qui avait précisément pour objectif d'aligner le régime des cessions de valeurs mobilières qu'elles soient effectuées hors d'un marché, ou sur ce dernier.

Le deuxième argument ne résiste pas mieux à l'examen, qui reposait sur l'absence d'incompatibilité entre le régime applicable au droit de propriété (notamment, la possibilité de le contester) et l'inscription marginale indiquant qu'une action visant à obtenir la nullité de la cession était en cours. On soulignera, au préalable, qu'étant mélangé de fait, il n'était vraisemblablement pas en état d'être examiné par la Cour de cassation. En tout état de cause, cette incompatibilité, sans doute viable au plan théorique, était susceptible de déboucher sur des difficultés pratiques considérables. Selon le juge d'appel, la mention marginale constitue, en effet, le versant matériel de la faculté, reconnue par le droit, de contester la propriété. Dans ce cas, toutefois, il aurait fallu, en pratique, si les mentions s'étaient multipliées en marge des inscriptions en compte, les accorder avec l'évolution du droit à contestation et, par exemple, ne pas omettre de modifier les registres si l'action était abandonnée, voire prescrite. On imagine aisément la complexité formelle qui en aurait résulté.

Reste, en troisième lieu, à examiner, l'argument d'appel en vertu duquel le "mérite" de l'inscription en compte, eu égard à son absence de caractère translatif de propriété, était d'apporter une information aux tiers. Sur ce point, un simple renvoi aux textes permet de réfuter le raisonnement du juge du fait pour justifier de l'application de l'ancien régime jurisprudentiel (4). En effet, l'article L. 431-2 du Code monétaire et financier, auquel l'article L. 228-1, alinéa 9, du Code de commerce renvoie, détermine expressément que l'inscription emporte transfert de propriété. Il est, ainsi, possible de constater l'inefficacité de la règle, privée de son décret d'application ; il n'est pas possible, en revanche, d'affirmer contra legem que l'inscription n'emporte pas transfert de propriété, d'autant que, comme cela a été précisé ci-dessus, cette conclusion n'est pas vraie pour les valeurs mobilières négociées sur les marchés financiers. On peut, donc, en conclure, qu'en raison de son édiction tardive, la règle sur le transfert de propriété pouvait être considéré comme n'étant pas applicable aux faits de l'espèce, antérieurs à sa promulgation, mais que le juge d'appel ne pouvait pas affirmer, en revanche, que l'inscription en compte n'avait qu'une valeur informative, compte tenu de la forte probabilité que le décret d'application soit mis en oeuvre.

Il demeure que, depuis, un décret, en date du 11 décembre 2006 (5), a été édicté, qui est venu préciser les modalités d'application de la dernière phrase de l'article L. 228-1, alinéa 9, du Code de commerce. Ce dernier établit que "l'inscription au compte de l'acheteur est faite à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice". Ce décret, pris après que le Conseil d'Etat ait été entendu, donne, ainsi, effectivité à la règle de transfert de propriété, à compter du 1er janvier 2007.

B - La question de la fonction de l'inscription en compte

C'est sous l'empire de ce nouveau régime juridique que la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel, au visa des articles L. 228-1 du Code de commerce et L. 211-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7231HZT). Elle établit, en vertu de ces derniers, que "l'inscription en compte de valeurs mobilières au nom de leur titulaire [n'a] pas pour fonction d'informer les tiers des imperfections susceptibles d'affecter les droits de celui-ci, [et] ne peut être assortie d'aucune mention ayant un tel objet". C'est, donc, en abordant l'analyse du mécanisme d'inscription par la recherche de sa fonction que le juge du droit censure le raisonnement tenu par la cour d'appel. Il s'agit, toutefois, d'une analyse "en creux", qui se contente de poser le principe de l'absence de fonction informative de l'inscription, et la Chambre commerciale de la Cour de cassation semble se garder de donner une analyse complète de la fonction de cet acte.

Cette réserve peut, a priori, sembler exagérément prudente au regard des termes des articles rapportés au visa. En effet, l'article L. 228-1, alinéa 9, du Code de commerce dispose bien que : "[pour les marchés] le transfert de propriété s'effectue dans les conditions prévues à l'article L. 431-2 [du Code monétaire et financier]. Dans les autres cas, le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat". Quant à l'article L. 431-2 du Code monétaire et financier, ce dernier dispose, également, que l'inscription a une fonction translative. Enfin, comme nous l'avons vu, depuis le 1er janvier 2007, la mise en oeuvre du décret d'application n° 2006-1566 est venue restaurer l'effectivité du régime d'inscription. Mais c'est, précisément, la teneur de ce décret qui semble devoir justifier la rédaction restrictive de la Cour de cassation car ce texte dispose que, hormis pour les cessions réalisées sur les marchés financiers, l'inscription au compte de l'acheteur est faite "à la date fixée par l'accord des parties" et notifiée à la société émettrice. Ainsi, si c'est bien l'inscription qui matérialise le transfert, celle-ci n'en est pas moins dépendante de la volonté des parties.

Ce n'est pas, de la sorte, l'acte d'inscription qui détermine le transfert, mais ce sont les parties qui fixent la date d'inscription (l'émetteur étant légalement tenu de se conformer à l'ordre de mouvement à la date indiquée). On doit en conclure que le transfert de propriété ne dépend que de la volonté du cédant et du cessionnaire et que l'inscription est une formalité nécessaire et non suffisante qui, en conséquence, ne fait que matérialiser ce transfert. L'inscription renvoie, ainsi, essentiellement à un mécanisme d'opposabilité.

De l'opposabilité, à la fonction d'information, il semble que la frontière soit suffisamment perméable pour que le juge du droit se contente de préciser, dans l'espèce commentée, que : "la fonction de l'inscription n'est pas d'informer les tiers des imperfections susceptibles d'affecter les droits du titulaire". Il conviendra, donc, de s'en tenir à cette interprétation restrictive, prudente et encore parcellaire de la fonction de l'inscription que vient nous délivrer la Cour de cassation.


(1) Cette mention figure dans le deuxième considérant de l'arrêt d'appel.
(2) Arguments non rapportés dans l'arrêt de cassation mais figurant à la fin du sixième considérant de l'arrêt d'appel.
(3) C. mon. fin., art. L. 330-1 (N° Lexbase : L2992HZT).
(4) H. Le Nabasque, A. Reygrobellet, L'inscription en compte des valeurs mobilières, RDBF, 2000, p. 261.
(5) Décret n° 2006-1566 du 11 décembre 2006, modifiant le décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales (N° Lexbase : L7100HT7), art. 60 : "Après l'article 205, il est inséré un article 205 bis ainsi rédigé :
Art. 205 bis. - Pour l'application de la dernière phrase du neuvième alinéa de l'article L. 228-1 du code de commerce, l'inscription au compte de l'acheteur est faite à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice'
". Depuis la codification de la partie réglementaire du Code de commerce, les dispositions de l'article 205 bis du décret du 23 mars 1967 (décret n° 67-236, sur les sociétés commerciales N° Lexbase : L0729AYN) sont contenues dans l'article R. 228-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L0320HZU).

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Social général

[Le point sur...] La flexicurité, encore (à propos du rapport d'Eric Besson, Flexicurité en Europe-Eléments d'analyse)

Réf. : Rapport d'Eric Besson sur la flexicurité en Europe

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Après l'accord national interprofessionnel du 13 janvier 2008 (1), le rapport "Attali" (2) de février 2008 et de très nombreuses études et rapports antérieurs (3), voici, en l'espace de quelques semaines, la troisième référence portant sur la question de la flexicurité. Le rapport d'Eric Besson, "Flexicurité en Europe-Eléments d'analyse" (Secrétariat d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des politiques publiques, 26 février 2008), contrairement à l'ANI du 13 janvier 2008 et au rapport "Attali", se veut prospectif et procède à une comparaison européenne (Allemagne, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède). La question posée est celle d'une transposition en France de ces expériences. Les pays du Nord facilitent la reconnaissance des compétences acquises dans l'emploi, les Pays-Bas et l'Espagne la transformation non contentieuse des CDD en CDI. Dans l'accompagnement des mutations économiques, le Danemark, la Suède ou l'Allemagne procèdent par la négociation collective sur les réductions d'effectifs et les dispositifs de reclassement associés. Face aux mobilités, l'Autriche, l'Allemagne ou la Suède accompagnent les transitions directes d'un emploi à un autre grâce à l'usage de formules de tiers employeurs, d'agences de transition ou de transfert d'ancienneté d'un employeur à l'autre. Concernant la formation professionnelle, les pays du Nord (Danemark, Suède) ont intégré le principe d'une "seconde chance" d'accès à la qualification. Leur appareil éducatif comporte une véritable dimension "d'éducation permanente" ouverte à tous les adultes en cours de vie active, et largement mobilisée dans les parcours individuels. Enfin, l'environnement socio-économique des transitions professionnelles -par exemple, en ce qui concerne l'aide à la mobilité géographique ou la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle- apparaît innovant chez nos partenaires du Nord, qui ont su développer une offre de congés plus longs et mieux rémunérés. Le rapport "Besson" envisage les deux aspects essentiels de la flexicurité : la réforme du contrat de travail (I), d'une part, la gestion des licenciements et de l'après licenciement, d'autre part (II).

I - La flexicurité par le contrat de travail

A - Les législations européennes sur les contrats à durée déterminée

Les pays européens examinés par le rapport "Besson" ont adopté des législations restrictives avec des cas de recours objectifs. Les raisons non objectives (Allemagne) restent l'exception et sont fortement encadrées par la loi. Tous les pays ont adopté des sanctions élaborées sous forme de requalification et/ou d'indemnisation. Certains pays ont imaginé des modes de sécurisation originaux, sans pour autant priver l'employeur de besoins en flexibilité externe : priorité de réembauchage des salariés recrutés sous CDD (Suède), abattement de cotisations sociales pour les employeurs qui recrutent en CDI (Espagne), obligation spécifique de formation pour les salariés sous CDD (Italie).

  • Allemagne

La conclusion d'un contrat à durée déterminée est subordonnée à une raison objective afin d'éviter que ne soit contournée la législation protectrice des contrats à durée indéterminée. La loi allemande donne une liste non exhaustive de raisons objectives justifiant le recours à des contrats à durée déterminée (accomplir une tâche temporaire ou remplacer un salarié absent). Des contrats à durée déterminée peuvent, également, être conclus sans raison objective. Le contrat ne peut, alors, être renouvelé que trois fois durant une période de deux ans. Depuis peu, les entreprises nouvellement créées peuvent conclure des contrats renouvelables sans raison spécifique pour une durée maximale de 4 ans. Une raison objective n'est pas requise lorsque le salarié est âgé de plus de 58 ans lors de la conclusion du contrat.

  • Danemark

Les contrats à durée déterminée peuvent être renouvelés si l'employeur dispose de raisons objectives (remplacement d'un salarié malade, d'une salariée enceinte, en congé parental ou en congé pour une autre raison). La notion de contrat à durée déterminée "successif" n'est pas définie par la loi. Le non-respect des dispositions de la loi de 2003 donne lieu à des dommages-intérêts.

  • Espagne

Le recours au contrat à durée déterminée doit reposer sur des causes objectives : cas de recours précis, tâche occasionnelle liée à l'augmentation de l'activité, retard dans la production ou commandes exceptionnelles. Une impulsion forte a été donnée pour le recrutement en CDI des personnes qui ont le plus de difficultés à se stabiliser sur le marché du travail (jeunes, travailleurs âgés, femmes, chômeurs de longue durée, handicapés). La succession de CDD distincts pour un même travailleur a été limitée dans le temps : sur une période de 30 mois, le CDD d'un salarié ayant cumulé 24 mois de CDD sur le même poste est requalifié en CDI. En contrepartie, le montant de l'indemnité que doit verser l'employeur, en cas de licenciement d'un salarié embauché dans ce cadre, diminue de 45 à 33 jours de salaires par année d'ancienneté.

  • Italie

Un contrat de travail peut fixer un terme pour des raisons d'ordre technique liées à la production, à l'organisation ou au remplacement d'un salarié. Il est renouvelable une seule fois, à condition qu'il existe une raison objective à ce renouvellement et que la durée initiale du contrat soit inférieure à trois ans. Le recours au CDD est largement autorisé par la loi : entreprises "start-up", secteur de la mode, remplacement de la main d'oeuvre, travail saisonnier, accroissement d'activité à certaines périodes de l'année, pour certains métiers de la radio-télévision, insertion des jeunes en difficulté ou des salariés âgés de plus 55 ans. La durée maximale de recours est de 7 mois, sauf disposition plus favorable prévue par la convention collective, qui doit tenir compte des difficultés éventuelles de recrutement dans certaines régions. Des dispositions spécifiques ont été adoptées dans le secteur du transport aérien et dans les services portuaires, qui autorisent les CDD pendant une certaine durée pour un nombre limité de travailleurs, dont le nombre ne doit pas dépasser 15 % de l'effectif.

  • Suède

Le contrat à durée indéterminée est de règle en Suède. Les contrats à durée déterminée ne peuvent être conclus que pour une raison objective dont la liste est fixée par le législateur et qui s'applique, également, pour des contrats successifs ou renouvelés. Il est possible de déroger à la loi par des conventions collectives. Une raison objective pour un contrat de durée limitée est la nature spécifique et temporaire de la tâche à accomplir. Les contrats de remplacement ou de substitution ne peuvent pas excéder trois ans au cours d'une période de cinq ans et les contrats temporaires occasionnés par un accroissement de la charge de travail ne peuvent pas dépasser six mois au cours d'une période de deux ans. Afin de promouvoir l'emploi, une nouvelle forme de contrat à durée déterminée a été introduite en 1996. Les contrats à durée déterminée (période d'essai comprise), pour les travailleurs qui n'ont pas atteint 67 ans, peuvent être conclus sans raisons objectives.

  • Royaume-Uni

Deux sources de restriction des CDD existent : la loi, qui fait référence à la notion "d'emploi continu" (si le salarié a été sous contrats à durée déterminée successifs pendant quatre ans ou plus, l'emploi est réputé permanent, à moins que des raisons objectives ne justifient le recours au contrat à durée déterminée au moment où il a été conclu ou renouvelé en dernier lieu) ; les conventions collectives ou les accords de main d'oeuvre précisant la durée maximale d'emploi continu, le nombre maximum de renouvellements de contrats ou la définition des raisons objectives justifiant le renouvellement ou la conclusion de contrats à durée déterminée successifs.

B - Les législations sur le travail intérimaire

Partout en Europe, le travail intérimaire repose sur une relation d'emploi triangulaire : une agence dont la fonction spécifique est de mettre à disposition à des entreprises utilisatrices de droit commun, contre rémunération et pour une période déterminée, des travailleurs salariés en réponse à leurs besoins temporaires de main d'oeuvre. Il existe une assez grande homogénéité des statuts du travail temporaire dans les sept pays étudiés :

- s'agissant de l'exercice de la profession d'entrepreneur de travail temporaire, Allemagne, Espagne et Italie ont mis en place un système d'agrément, d'autorisation ou de déclaration ; dans les autres pays, l'exercice est totalement libre ;

- sur la rémunération, Espagne et Italie ont mis en place des systèmes de garantie de paiement des salaires et des charges sociales pour prémunir les salariés intérimaires d'une éventuelle défaillance de l'entreprise de travail temporaire ;

- certaines tâches, notamment, les travaux dangereux, sont interdites aux travailleurs intérimaires dans la plupart des pays ;

- tous les pays ont pris position pour attribuer la qualité d'employeur à l'entreprise de travail temporaire et calquent la durée du contrat de travail (contrat de mission) sur la durée du contrat de mise à disposition conclu avec l'utilisateur. Aucun pays ne fait conclure de contrat à durée indéterminée. L'Allemagne a, cependant, conservé cette législation qui tend à tomber en désuétude depuis que des CDD peuvent être conclus avec les intérimaires.

II - Flexicurité par le régime du licenciement économique, l'organisation du marché du travail, l'indemnisation chômage

A - Les législations sur les licenciements économiques

Le premier ensemble de pays européens analysé réserve à la négociation collective un rôle très important (Danemark, Suède, Royaume-uni et Allemagne). Juge de l'opportunité de procéder à des licenciements pour motif économique, l'entrepreneur doit immédiatement informer les représentants du personnel et engager avec eux une négociation portant, à la fois, sur les modalités du licenciement (nombre de salariés concernés, ordre des licenciements) et sur les mesures de reclassement.

Le second ensemble de pays européens examiné laisse moins, ou peu, de place à la négociation collective (Espagne et Italie). L'employeur décide des licenciements, en informe et/ou consulte les représentants du personnel, mais ne négocie pas avec eux le nombre de salariés concernés. Une négociation est possible sur les mesures de reclassement et sur l'indemnisation des salariés. Le juge apparaît comme le tiers garant des équilibres en présence. Les règles de licenciement peuvent être utilisées par les représentants du personnel pour faire pression sur l'employeur (menace d'un recours au juge) et obtenir de meilleures garanties d'indemnisation et de reclassement.

  • Allemagne

L'Allemagne est le pays qui promeut le mieux le dialogue social et la négociation collective. Il existe une réelle pression exercée par la collectivité des salariés sur l'employeur en raison des prérogatives données au Comité d'entreprise par la législation sur la cogestion. Une telle importance de la négociation collective a deux effets pour les entreprises : aucune limite dans le temps n'est fixée pour la négociation ; lorsque l'accord est conclu, les représentants des salariés au sein du comité d'entreprise s'en font souvent les défenseurs auprès de la collectivité du personnel.

  • Danemark

Avant de licencier pour motif économique, l'employeur doit informer les représentants des salariés et donner, par écrit, les raisons qui l'amènent à procéder au licenciement, ainsi que le nombre de salariés concernés. La consultation avec les salariés a pour objet de déterminer s'il est possible d'éviter le licenciement ou d'en amoindrir les conséquences, notamment, en reclassant les travailleurs à l'intérieur de l'entreprise ou en leur versant des indemnités. La réglementation sur le licenciement se négocie essentiellement dans le cadre des accords collectifs. La plupart des accords de base incluent des protections contre les licenciements abusifs, spécifiant qu'un licenciement doit résulter de motifs "raisonnables" : travail de l'employé, motifs économiques crédibles...

  • Espagne

La législation espagnole encadre les licenciements collectifs par une autorisation administrative. L'employeur doit en déposer la demande et ouvrir une phase de consultation en vue d'aboutir à un accord avec les syndicats ayant obtenu la majorité des sièges au comité d'entreprise. L'accord porte essentiellement sur l'indemnisation des salariés et moins sur leur reclassement. Les procédures contentieuses sont longues, l'insécurité juridique forte, en raison des conflits de compétences entre tribunaux, et les sanctions financières, en cas de nullité des licenciements, très lourdes (jusqu'à 42 mois de salaire). La conclusion d'un accord avec les syndicats est, en pratique, un moyen efficace d'empêcher toute contestation devant les tribunaux.

  • Italie

La procédure retenue articule les phases de concertation avec les syndicats et l'administration. L'entreprise a l'obligation de communiquer aux représentants syndicaux de l'entreprise l'intention d'effectuer une réduction du personnel. L'entreprise et les syndicats disposent de 45 jours pour parvenir à un accord qui prévoie des solutions alternatives aux licenciements. En l'absence d'accord, la direction régionale ou le ministère du Travail intervient pour tenter de concilier les parties. L'administration n'exerce donc aucun rôle de contrôle juridique ou administratif, mais, seulement, une fonction de médiation. Les syndicats peuvent contester le caractère avéré (mais non l'opportunité) des motifs allégués par l'employeur pour justifier les licenciements.

  • Royaume-Uni

Seule contrainte, la procédure d'information-consultation doit être engagée en temps utile et porter sur les moyens d'éviter les licenciements envisagés, d'en réduire le nombre et d'en atténuer les conséquences. Lorsque des syndicats habilités à négocier des accords collectifs existent dans l'entreprise, ce sont eux que l'employeur doit consulter. L'administration n'a aucun pouvoir pour retarder les licenciements. Le montant des indemnités et la durée du préavis varient entre 4 et 7 mois et ne concernent que les salariés employés sans interruption depuis au moins deux ans sous contrat de travail à durée indéterminée (sauf stipulation contraire dans l'accord d'entreprise). Une grande rigidité réside dans le fait que le licenciement collectif doit impérativement concerner des postes de travail et, seulement par contrecoup, les salariés qui les occupent.

  • Suède

La négociation est au coeur du dispositif suédois de régulation des processus de restructuration. Il n'existe pas de comité d'entreprise et la négociation s'effectue directement entre les organisations syndicales et la direction de l'entreprise. Une concertation anticipée des restructurations, associant toutes les parties prenantes à l'examen des projets, intervient bien avant le début des négociations formelles. Dans un premier temps, l'entreprise informe l'Office Régional pour l'Emploi, en donnant une estimation du nombre de personnes concernées. L'employeur n'est pas tenu de coopérer avec celui-ci, mais la pression sociale et la réputation de l'entreprise sont des facteurs importants qui le poussent à le faire. Par la suite, la négociation peut commencer : elle dure entre 1 et 3 mois et a pour objectif de s'accorder sur une liste de salariés licenciés et sur les mesures d'accompagnement. Les parties peuvent choisir de signer un accord ou d'appliquer la loi du "last in, first out", qui protège les plus anciens embauchés.

B - L'organisation des services publics de l'emploi et régime d'indemnisation chômage

  • L'organisation des services publics de l'emploi : variété des configurations et convergence vers l'activation et la gestion par la performance

Partout en Europe, les services d'indemnisation, de placement et d'aide au retour à l'emploi sont de la responsabilité d'institutions publiques ou, parfois, paritaires. Si l'architecture et l'économie de ces services publics de l'emploi peuvent être représentées selon un modèle convergent, depuis le début des années 1990, elles varient sensiblement d'un pays à l'autre.

L'office public de placement est, très généralement, une personne morale de droit public, dont l'organisation territoriale se décline, souvent, en agences régionales et locales. L'Espagne a transféré la responsabilité des politiques d'emploi à ses collectivités régionales (Provinces). La gestion des organismes est, en général, tripartite (Etat et partenaires sociaux). Les partenaires sociaux ne sont, toutefois, pas représentés dans les instances de gouvernances ni au Royaume-Uni, ni pour l'assurance chômage aux Pays-Bas. Le dispositif remplit partout trois fonctions (indemnisation, placement et mise en oeuvre des aides pour l'emploi), mais dans des configurations variables : les trois services sont délivrés par un seul office en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni ; assurance chômage et placement/accompagnement sont de la responsabilité d'organismes distincts au Danemark, aux Pays-Bas avec dans chaque cas la mise en place plus ou moins avancée de guichets uniques.

Des opérateurs privés sont, très généralement, associés à la délivrance du service public de placement, mais selon des modalités assez variables : Espagne et Italie délèguent ces fonctions de service public sur la base d'un régime d'autorisation préalable des agences privées ; l'Allemagne procède par adjudication ; et la concurrence est libre en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.

  • Régimes d'assurance chômage : une même tendance à l'activation des dépenses

L'assurance chômage existe partout en Europe, mais sa place dans les systèmes de protection sociale et d'emploi varie selon le pays. Les recettes proviennent dans une majorité de cas de cotisations spécifiques des employeurs et des salariés (pas toujours à parité) assises sur les salaires bruts, mais le régime peut être financé, en partie, par l'impôt (Danemark). Le seuil d'entrée dans le régime (durée minimale d'affiliation avant l'entrée au chômage) est, généralement, d'au moins un an. Quant aux durées et montants d'indemnisation, Italie et Royaume-Uni ont les régimes les moins favorables : durée maximale de 6 mois, contre 1,5 à 4 années ailleurs, selon la durée antérieure de cotisation ; taux de remplacement inférieur à 50 % contre 60 à 75 % dans les autres pays. Parmi ces derniers, s'observent des différences sensibles selon les montants planchers et plafonds prévus. Le Danemark se montre le plus égalitaire avec une fourchette comprise entre 1 700 et 2 000 euros mensuels, qui conduit à relativiser le taux de remplacement élevé (90 %).


(1) Lire nos obs., Commentaire des articles 15 à 18 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : encouragement du retour à l'emploi et réforme du régime d'assurance chômage, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8398BDE) ; Dr. soc., mars 2008, numéro spécial, voir, notamment, les contributions de Ch. Radé, L'accord sur la modernisation du marché du travail et le régime du contrat de travail : la porte ouverte... mais à quelles réformes ?, p. 295 ; F. Favennec-Héry, La rupture conventionnelle du contrat de travail, mesure phare de l'ANI sur la modernisation du marché du travail, Dr. soc., 2008, p. 311 ; J. Mouly, Une innovation ambiguë : la réglementation de la période d'essai dans l'accord interprofessionnel du 11 janvier 2008, Dr. soc., 2008, p. 288 ; X. Prétot, L'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative Quelques réflexions..., Dr. soc., 2008, p. 316 ; C. Roy-Loustaunau, A propos du CDD pour la réalisation d'un objet défini : "Much ado about nothing", Dr. soc., 2008, p. 307 ; J. Barthélemy, La portabilité des garanties collectives de prévoyance, Dr. soc., 2008, p. 325 ; Y. Chassard et J.-Y. Kerbourc'h, Négociation sur la modernisation du marché du travail : ne pas se tromper d'époque, Dr. soc., 2007, p. 1095 ; L. Duclos et J.-Y. Kerbourc'h, Organisation du marché du travail et fléxicurité' à la française, Rapport au Conseil d'Orientation pour l'Emploi, novembre 2006 ; P.-Y. Verkindt, Brèves et intempestives remarques sur l'accord sur la modernisation du marché du travail, JCP éd. S, 2008, Actualités, Libres propos, n° 76 ; M. Lhour, Gagner de l'argent avec le chômage, Le Monde diplomatique, février 2008, p. 8.
(2) Lire nos obs., Travail, emploi, protection sociale : les propositions du Rapport Attali, Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8710BDX).
(3) Bibliographie sélective : R. Boyer, La fléxicurité danoise : quels enseignements pour la France ?, Collection du CEPREMAP, éd. ENS-Rue d'ULM, mai 2006 ; P. Cahuc et F. Kramarz, De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, Rapport au ministère de l'Economie et au ministère du Travail, La documentation française, 2004 ; F. Chérèque, La flexibilité sans la sécurité, Dr. soc., 2005, p. 1084 ; Conseil d'orientation pour l'emploi, Colloque "La sécurisation des parcours professionnels", 13 février 2007, Actes en ligne, et, spéc., Quelles évolutions du droit du travail pour la sécurisation des parcours professionnels ? Quel cadre juridique ? Comment concilier flexibilité et sécurité ?, Table ronde présidée par R. Soubie ; L. Duclos et J.-Y. Kerbourc'h, Organisation du marché du travail et flexicurité' à la française, préc. ; F. Gaudu, Libéralisation des marchés et droit du travail, Dr. soc., 2006, p. 505 ; J. Gautié, Flexibilité et/ou sécurité : la France en quête d'un modèle, Les Cahiers français, 2006, n° 330, p. 91 ; B. Gazier, Flexicurity and social dialogue, European ways, mai 2006 ; Restructurations et reclassements : vers une redéfinition des responsabilités, Dr. soc., 2007, p. 259 ; A. Mazeaud, Du CNE, de la fléxicurité, etc., Dr. Soc., 2006, p. 591 ; C. Meilland, Danemark : flexibilité sans précarité ?, Chroniques Internationales de l'IRES, n° 97, novembre 2005.

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Social général

[Le point sur...] Revenu de solidarité active : entre expérimentation et consultation

Réf. : Livre vert vers un revenu de solidarité active

Lecture: 14 min

N3830BEL

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

S'ouvre, pour la mise en oeuvre du revenu de solidarité active (RSA), une phase de consultation publique de dix semaines à partir d'un livre vert, rendu public le 2 mars dernier, qui reprend les objectifs et les modalités de la réforme en présentant les principaux scénarii. Quinze questions y sont formulées qui invitent tout à chacun à s'exprimer en déposant sa contribution avant le mois de mai. Un projet de réforme devrait être présenté à l'automne 2008 au Parlement à la suite de cette consultation. Le revenu de solidarité active (RSA) est un complément de ressources destiné aux travailleurs pauvres et aux personnes bénéficiaires de minima sociaux. Il leur garantit un revenu décent qui tient compte des revenus de l'activité professionnelle et des charges de famille (sur ce dispositif, lire les observations de Christophe Willmann, Revenu de solidarité active : le législateur consacre le rapport "Hirsch", mais à titre expérimental, Lexbase Hebdo n° 271 du 5 septembre 2007 - édition sociale N° Lexbase : N2559BCR).

Il part d'un constat, reposant sur la réforme du système des minima sociaux et des incitations financières à l'exercice d'une activité. En effet, les minima sociaux versés jusqu'à présent ne permettent pas le retour à l'emploi des allocataires, et ils n'y incitent, en tous cas, pas, puisque, pour certains, travailler fait perdre de l'argent. Or, la sortie de la pauvreté passe par le travail, le socle des revenus de la personne étant ses revenus d'activité, le RSA permet de compléter ces revenus et de donner un accès plus large à la formation professionnelle. Le principe est simple, plus on travaille, plus on gagne...

Initiée par la loi "TEPA" du 21 août 2007 (loi n° 2007-1223, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8), la mise en place du revenu de solidarité active est subordonnée à une expérimentation et une consultation.

C'est, en premier lieu, une expérimentation. La loi "TEPA" a, en effet, offert aux Conseils généraux la possibilité d'expérimenter le dispositif. Il s'agit d'une expérimentation volontaire d'une durée de trois ans, la liste des départements élus ayant été arrêtée par arrêté du ministre chargé de la Famille (arrêté du 2 novembre 2007 fixant la liste des départements dans lesquels est expérimenté le revenu de solidarité active en faveur des allocataires de l'allocation de parent isolé N° Lexbase : L8272HYZ ; plusieurs fois modifié, voir, récemment, arrêté du 28 février 2008, modifiant l'arrêté du 2 novembre 2007, fixant la liste des départements dans lesquels est expérimenté le revenu de solidarité active en faveur des allocataires de l'allocation de parent isolé N° Lexbase : L8305H3Y). Cette expérimentation n'est réalisée que pour une partie de ses bénéficiaires finaux.

Les départements ont, pour l'instant, toute liberté pour déterminer les bénéficiaires, ainsi que les barèmes, le taux de cumul et la zone géographique sur laquelle ils entendent effectuer leur expérimentation. Les premiers ont démarré l'expérimentation au 1er février 2008, ils sont au nombre de 26. Cette limitation "provisoire" du champ du RSA s'explique, notamment, par les problèmes théoriques et pratiques que posent certaines prestations auxquelles il a vocation à se substituer.

C'est, en second lieu, une consultation. Un livre vert destiné à toutes les personnes qui souhaitent faire valoir leur position sur le processus de réforme en cours a, ainsi, été diffusé. Ce livre vert permet de se prononcer, de faire ses observations et de formuler des propositions sur les 15 questions qu'il vient soulever.

Ce livre vert est donc destiné à une large diffusion, puisque toute personne doit pouvoir faire valoir ses arguments et être entendue. La communication semble, toutefois, devoir être limitée aux personnes un tant soit peu initiées aux minima sociaux et à leur problématique, les questions posées sont, en effet, parfois complexes. Elles constituent, néanmoins, un préalable nécessaire à une généralisation optimale du dispositif et conforme à son objet.

I. Accompagnement vers un emploi de qualité

L'interrogation porte, ici, sur le principal effet pervers du RSA : la multiplication et la pérennisation des temps partiels, non seulement du côté des entreprise mais, encore, du côté des salariés.

A. Eviter les effets pervers du RSA

  • Eviter la pérennisation du temps partiel par l'entreprise

Le risque principal est que les entreprises se limitent à conclure des contrats de travail à temps partiels et que leur nombre s'accroisse. La question se pose, alors, de la mise en place d'un dispositif d'incitation des entreprises à la qualité de l'emploi (que faut-il entendre par qualité de l'emploi ? la notion n'est pas définie...)

Le but est de trouver un moyen d'inciter les entreprises à augmenter la durée du travail proposée aux salariés et, corrélativement, leurs revenus et, partant, les faire sortir du RSA.

Une idée est lancée consistant à redistribuer aux entreprises de la branche ayant initié des emplois à temps complet une partie des économies réalisées sur le RSA qui ne sera plus versé aux salariés qui bénéficient d'une augmentation des heures travaillées. Les modalités sont à déterminer et d'autres propositions peuvent être formulées.

  • Eviter l'installation des salariés dans le temps partiel

Il est mis en lumière la nécessité de trouver une incitation à l'effet contre-productif de revenu à temps partiel/RSA. Certains salariés risquent, en effet, de se complaire dans ce dispositif, allant, par là même, contre son objet, le retour à une activité durable.

Une question est alors posée : faut-il limiter dans le temps le versement du RSA aux personnes qui travaillent ? Cette limitation constitue une solution possible, elle est, néanmoins, contestable. La problématique du RSA change dans une telle conception, car elle n'est plus qu'un amortisseur contre les aléas du marché, alors qu'elle a vocation à être, à titre principal, une mesure de soutien aux travailleurs pauvres.

B. l'introduction d'une problématique des droits et devoirs des bénéficiaires du RSA

L'accompagnement et l'orientation des bénéficiaires du RSA sont son moteur, les clefs de son succès. Pour cette raison, l'accompagnement ne doit pas être négligé.

Il semble nécessaire d'introduire dans la disposition une fonction d'orientation, laquelle prendrait effet dès l'ouverture du droit au dispositif : mais qui en bénéficie et de quelle nature est l'accompagnement ?

  • Un accompagnement du bénéficiaire

L'ensemble des bénéficiaires du RSA doit pouvoir être accompagné. Cet accompagnement, ouvert dès l'entrée du bénéficiaire dans le dispositif, n'est, toutefois, pas, pour l'instant, impératif.

Les salariés en poste peuvent ne pas vouloir l'accompagnement, il ne leur sera pas imposé. L'accompagnement des personnes en poste aurait principalement pour objectif une insertion professionnelle durable et de qualité (que veut dire qualité ? cette notion n'est pas spécifiée...), éventuellement prolongée dans l'entreprise. Le type d'accompagnement et ses modalités ne sont, là non plus, pas précisés, ils restent à définir, pour ne pas dire à confirmer.

Pour les personnes sans emploi, c'est de renforcement des actions des services publics de l'emploi dont il est question. En contrepartie, les bénéficiaires se verront accorder des droits, mais auront, également, des devoirs, le principal étant de s'inscrire dans une logique d'insertion ou de recherche d'emploi.

Cette fonction doit, cependant, encore, être organisée. Qui va s'en charger ? Les services publics de l'emploi ? Des dispositifs parallèles mis en place par les Conseils généraux ? La question reste en suspens et n'est pas posée directement aux citoyens.

  • Une inscription impérative sur la liste des demandeurs d'emploi ?

Doit-on subordonner le versement du RSA à l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi ? Dans une perspective d'unification et d'optimisation du RSA, il semble impératif que tous les bénéficiaires aient les mêmes devoirs.

Cette question se pose parce que l'on sait que deux tiers des rmistes et que la grande majorité des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API) ne sont pas inscrits sur les listes des demandeurs d'emplois. Cette situation empêche le retour à l'emploi des personnes qui en auraient le plus besoin. D'un autre côté, les bénéficiaires de l'ASS sont tenus d'être inscrits. Dans une logique d'uniformisation, l'unification des devoirs semble être un préalable nécessaire et l'inscription sur les listes des demandeurs d'emplois est incontournable eu égard à l'objet du RSA.

La réforme du service public de l'emploi devrait permettre d'envisager et de gérer l'obligation pour les bénéficiaires du RSA de s'inscrire sur les listes des demandeurs d'emploi (loi n° 2008-126 du 13 février 2008, relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi N° Lexbase : L8051H3L et les obs. de Ch. Willmann, Présentation de la loi du 13 février 2008, relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi, Lexbase Hebdo n° 294 du 27 février 2008 édition sociale N° Lexbase : N2376BEQ).

  • Des contreparties pour les bénéficiaires ?

Le problème porte essentiellement sur le fait que le RSA, qui se substitue à diverses prestations, doit conjuguer avec les impératifs des unes et des autres. Singulièrement, le RSA a vocation à se substituer au RMI, qui impose une contrepartie de la part du bénéficiaire, et à des allocations, sans contrepartie des API et PPE.

Faut-il soumettre le bénéfice du RSA à des contreparties, peut-on en suspendre le versement lorsque ces contreparties ne sont pas respectées ?

Le devoir du bénéficiaire du RSA est de tout mettre en oeuvre pour améliorer ses revenus et réduire le niveau de l'aide qui lui est versée. L'existence d'une contrepartie, ou de contreparties, semble incontournable, la première étant de faire des démarches en vue d'améliorer sa situation. Si ces démarches doivent être effectives, ce qui suppose des sanctions en cas de non réalisation, encore faut-il qu'elles soient possibles.

Pour pouvoir remplir ses devoirs, le bénéficiaire doit être mis en mesure d'accéder aux droits. Cela implique des contrôles rigoureux de la part des institutions pour vérifier la disponibilité de l'emploi, sa nouveauté, la réalité de l'offre posée (une définition de l'offre valable d'emploi devrait ainsi voir le jour).

La sanction ne peut, en effet, intervenir si le bénéficiaire n'est pas en mesure de répondre à ses obligations. La mise en place de sanctions graduées est, ici, envisagée.

Le problème reste entier de savoir qui décide de ces sanctions et de leur importance. Le référent ? Une commission ? Le livre vert ne soulève pas cette question.

Un calque sur le régime applicable aux demandeurs d'emplois est proposé, la question se pose, ici, de sa viabilité. Il faut, en effet, tenir compte du fait qu'une sanction financière est impossible pour les bénéficiaires du RSA uniquement (cela entrerait en contradiction avec la logique même du nouveau dispositif). Pour cette raison, les sanctions doivent contraindre à l'action.

Ici, le livre fait état de plusieurs possibilités, prime à la recherche d'emploi, conditionnement du droit à la réalisation d'une procédure d'activation. D'autres peuvent être proposées.

II. Un dispositif souple

Afin de permettre une adaptation du dispositif aux problèmes de chaque département, le dispositif sera souple, mais encadré, non seulement juridiquement, mais, aussi, financièrement.

A. Faut-il laisser au Conseil Général la faculté de moduler l'incitation au retour à l'emploi ?

Le dispositif envisage de laisser à chaque département une certaine latitude sur le taux de cumul du RSA, avec un encadrement de l'Etat.

Plusieurs solutions sont possibles. Deux sont, d'ailleurs, présentées : laisser aux Conseils généraux toute latitude pour déterminer le taux de cumul avec, néanmoins, la fixation d'un barème socle et la subordination du dispositif à la conclusion d'un accord entre les Conseils généraux et l'Etat.

Un second système pourrait consister en un double dispositif financier et extra financier. Le premier consisterait en une aide financière égalitaire encadrée par l'Etat et, le second, par des prestations en nature ou en service (formation, garde d'enfant, mobilité...) laissées à la discrétion des collectivités. La difficulté résulte, ici, du fait que la plupart des prestations en nature sont réservées aux bénéficiaires de minima sociaux. Il faudrait donc, dans cette situation, dissocier le bénéfice des aides locales du statut de bénéficiaire de minima sociaux. Cette dissociation semble être un préalable nécessaire à la mise en place du dispositif. Il ne faut, en effet, pas oublier que les ménages les plus en difficulté ne sont pas les seuls à en avoir besoin.

B. Une évolution des droits connexes et des aides facultatives versées localement

Comment faire évoluer les droits connexes et les aides facultatives versées localement ?

Comme nous l'avons vu, les bénéficiaires des minima sociaux ont des aides. Il faut remettre à plat les anciens statuts et les réétudier compte tenu de la logique et des impératifs nouveaux fixés par le RSA.

Il semble important de les faire évoluer, non seulement eu égard à leurs bénéficiaires, mais, également, dans leur nature. Il s'agirait de dispositifs d'aides aux personnes bénéficiaires du RSA, versées individuellement en fonction des besoins de chacun (situation de famille, existence d'un travail, revenus de ce travail...).

C. Répartition du financement du RSA entre l'Etat et les départements

Plusieurs solutions sont possibles : tout mettre à la charge de l'Etat ou des Conseils généraux ou, alors, une solution mixte avec un financement partagé.

Tout mettre à la charge des Conseils généraux suppose un transfert de financement de la part de l'Etat. Cette question heurte des principes constitutionnels et généraux.

Tout mettre à la charge de l'Etat suppose un retour en arrière et, singulièrement, à la période précédent 2004, année qui a vu la décentralisation du RMI. La recentralisation du RSA n'est donc pas forcément une bonne chose.

Un système mixte semblerait être plus adapté, mais il convient d'en déterminer les modalités et de lever les obstacles à sa mise en place.

Ce dispositif doit arriver à inciter les départements à faire des efforts d'insertion, afin qu'il n'existe pas de disparité entre les départements les plus riches et ceux les plus pauvres.

Ne conviendrait-il pas, en tout étant de cause, de conditionner le montant du financement de l'Etat au nombre de bénéficiaires des départements et aux aides, non seulement financières, mais, aussi, en nature, qu'ils ouvrent à leurs administrés ? Une telle solution aboutirait à une politique d'insertion dynamique, tout en limitant le risque financier du département (le principe étant que le décideur reste responsable de ses choix, y compris financiers).

III. Encadrement du versement du RSA

A. Institutions chargées du versement

Il faut un organisme qui puisse traiter et gérer des bases de ressources exhaustives et régulières, être capable de s'adapter et prendre acte rapidement des changements, mais, également, avoir les moyens de contrôler et réprimer les fraudes.

Les CAF et CMSA sont les organismes pré-désignés pour verser les prestations. Ils disposent des moyens et de l'expérience pour assurer le versement des prestations.

Le seul problème est que la CAF est, en principe, éloignée des problèmes d'emploi et qu'il faut impérativement créer un lien entre elle et les réseaux d'emploi, tout en préservant les compétences de chacun.

B. Périodicité de la déclaration de revenus des bénéficiaires

Le RSA dépendant des revenus, il convient de les mesurer. Ainsi, quel type de déclaration doit être renseignée ? Selon quelle périodicité ? Une déclaration mensuelle est-elle nécessaire, ou une déclaration trimestrielle est-elle suffisante ?

Sachant que la question se pose de manière différente selon que la personne est, ou n'est pas, dépourvue de toute ressource, il faudra, a priori, deux types de systèmes, le plus juste et le moins lésionnaire possible, pour les bénéficiaires.

Quelle que soit la solution retenue ou proposée, il faudra qu'elle rende le plus limité possible les indus, car les personnes destinataires des prestations n'ont, généralement, pas les moyens de restituer un trop perçu.

IV. Problèmes liés à la diversité des mécanismes substitués

L'objectif et les effets du RSA aboutissent à décloisonner les prestations, seules les personnes bénéficiaires de l'allocation d'adulte handicapé en sont exclues, en raison de la différence de nature entre les prestations substituées au RSA et l'AAH, et de l'objet du RSA.

Ce décloisonnement des prestations pose des difficultés inhérentes aux particularités des prestations substituées. Dans une volonté d'unification, la simplification s'impose, tout en maintenant les éléments favorables des dispositions substituées compatibles avec le régime unifié. C'est donc un accroissement des prestations qui devrait se réaliser.

A. Les difficultés inhérentes aux spécificités des bénéficiaires des mécanismes substitués

  • Le problème de la monoparentalité

Il faut redéfinir le revenu des familles monoparentales. L'allocation de parent isolé (API), accordée aux femmes et hommes élevant seul un enfant, est soumise à conditions. Elle a été maintenue après la suppression du RMI car son montant est plus élevé.

Le problème n'est pas la remise en cause du barème existant : un RSA avec un complément familial variable en fonction du nombre d'enfants doit être institutionnalisé, mais l'intégration des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé aux autres prestations -prestations auxquelles ils n'ont pas droit, car ils ne bénéficient actuellement pas des actions d'insertion- doit, également, être étudiée.

  • La question des chômeurs en fin de droits

Faut-il supprimer totalement l'allocation de solidarité spécifique ou combiner le système actuel avec le RSA ?

Les bénéficiaires de l'ASS pourraient, d'un côté, voir leur revenu pris en compte au titre d'un revenu comme un autre, le RSA complétant l'ASS chaque fois que le revenu garanti par l'ASS ne dépasserait pas les revenus du foyer. Une intégration graduelle de l'ASS au RSA est encore proposée...plus aucun droit nouveau à l'ASS ne serait ouvert et, d'ici à 5 ans, l'ASS n'existerait plus. Dans une perspective d'unification, cette solution semble la meilleure.

  • Les 18-25 ans sans charge de famille

La question des jeunes se pose également. Faut-il leur étendre le RSA ? C'est une question importante du dispositif.

Ils n'ont, en effet, pas droit au RMI, même s'ils bénéficient de la prime pour l'emploi. Il semble nécessaire de leur appliquer le RSA, mais selon des modalités propres et particulières. La logique d'insertion ne se pose pas de la même manière pour eux que pour les autres bénéficiaires.

  • Les travailleurs indépendants

Ils devraient bénéficier du dispositif même si leur inclusion pose des difficultés techniques tenant essentiellement au fait qu'ils ne relèvent pas des mêmes critères que les bénéficiaires du RMI. L'occasion est, sans doute, donnée de revoir le système et d'assurer l'égalité entre tous les travailleurs qu'ils soient, ou non, salariés.

B. Les difficultés inhérentes au passage d'une logique de statut à une logique de revenus

Le problème est que certaines exonérations ou prestations sont accordées exclusivement à une certaine catégorie des futurs bénéficiaires du RSA. Il convient d'étendre les dispositifs, voire, dans certains cas, de repenser les systèmes actuels, eu égard aux lacunes qu'ils ont pu révéler.

  • Les exonérations fiscales accordées aux bénéficiaires du RMI

Le passage d'une logique de statut à une logique de revenus impose de revoir la question de la taxe d'habitation et de la redevance audiovisuelle. Actuellement, seules les personnes bénéficiaires du RMI bénéficient de ces exonérations. L'extension du dispositif s'impose donc. Le problème est qu'ici la prise en compte du revenu emporte un effet de seuil pas toujours juste. La sortie des exonérations doit être progressive, comme l'est la sortie du RSA.

Il serait possible de revoir les exonérations des taxes d'habitation et de redevance audiovisuelle et de subordonner l'exonération à l'âge, au revenu et au quotient familial. Ce système permettrait à tous d'en bénéficier et, non seulement, aux bénéficiaires du RMI et de conserver une certaine justice et une égalité entre les bénéficiaires des exonérations.

  • La question des complémentaires maladies

La question se pose de l'accès des personnes en difficultés financières aux soins. Les deux systèmes mis en place par le législateur, et fonctionnant actuellement, ne sont pas à même de répondre aux besoins. La couverture maladie universelle complémentaire est soumise à une condition de ressources et est de droit pour les personnes bénéficiaires du RMI. Dans la mesure où il existe un plafond, la reprise d'une activité professionnelle est de nature à priver la personne de ses droits.

L'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) n'est pas suffisant. Elle dispose, également, d'un plafond et donc d'un effet de seuil. Le passage de l'un à l'autre dispositif (l'ACS ne prenant en charge que 50 % du coût d'un contrat complémentaire) est, en outre, coûteux.

La mise en place d'un système d'autonomie progressive en matière de complémentaire santé et non brutal ainsi qu'une extension du champ de l'ACS est nécessaire.

Le livre vert propose un bouclier sanitaire avec un plafonnement en fonction des ressources du montant des dépenses de santé à la charge des assurés. D'autres propositions peuvent être faites.

C'est sur cette dernière question que le livre vert pose ses conclusions.

newsid:313830

Contrats et obligations

[Jurisprudence] L'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation décidément sous les feux de la rampe : la Cour de cassation précise, cette fois, les modalités de mise en oeuvre de la faculté légale de rétractation

Réf. : Cass. civ. 3, 27 février 2008, n° 07-11.303, M. Lionel Vigneron, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1773D7S)

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N3744BEE

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Il est des textes qui, en dépit de leur technicité leur imprimant volontiers un caractère un peu secondaire par rapport à d'autres paraissant plus essentiels, revêtent tout de même plus d'importance qu'on veut bien le croire. On pourrait ainsi, par exemple, penser à l'article 1840-A du Code général des impôts (transféré à l'article 1589-2 du Code civil N° Lexbase : L7718HEL par l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, art. 24 N° Lexbase : L4620HDH) dont on sait qu'il impose, sous peine de nullité absolue, l'enregistrement de toute promesse unilatérale de vente d'immeuble sous seing privé dans les dix jours de son acceptation (ou de toute cession sous seing privé d'une telle promesse dans les dix jours de sa date) : l'intérêt du texte a largement débordé la seule sphère fiscale puisqu'il a contribué à la construction du droit civil des promesses unilatérales de contrat. Sa mise en oeuvre a, en effet, permis d'opérer une distinction entre contrat préliminaire de réservation et promesse unilatérale de vente, d'une part (1), et, d'autre part, entre substitution de bénéficiaire et cession de promesse (2). Surtout, la mesure fiscale oblige les tribunaux à distinguer les promesses unilatérales des promesses synallagmatiques, notamment dans des hypothèses complexes dans lesquelles la promesse unilatérale serait contenue dans un protocole d'accord comportant un ensemble d'obligations réciproques (3). Dans un tout autre ordre d'idées, on pourrait relever que l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7089AB8) issu de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L2053A4S), prévoyant une faculté de rétractation et un délai de réflexion au profit de l'acquéreur non professionnel d'un immeuble à usage d'habitation, présente, sans doute, un intérêt bien supérieur à ce que l'on est sans doute a priori tenté de croire.

L'occasion a souvent été donnée d'insister, ici même, sur l'importance des moyens modernes de protection du consentement, soit qu'il s'agisse, en amont, de l'émergence d'une obligation générale d'information et de conseil ou de la consécration, dans certaines hypothèses, d'un délai de réflexion, ou, en aval, de la reconnaissance, dans un certain nombre de cas, d'une faculté de rétractation permettant à l'une des parties de finalement sortir des liens du contrat conclu (4). Et l'on n'a pas manqué de voir dans ces mécanismes l'un des traits essentiels de l'évolution contemporaine du droit des contrats révélant, fondamentalement, une profonde mutation de la notion même de contrat et, en l'occurrence, le passage d'une conception subjective à une conception plus objective du contrat. On comprend mieux, dès lors, les enjeux qui s'attachent à la détermination du régime de ces différentes mesures.

Précisément, les dispositions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation paraissent, coup sur coup, retenir particulièrement l'attention de la jurisprudence. On se souvient, sans doute, qu'un arrêt, que nous avions d'ailleurs signalé, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 30 janvier dernier (5), dont la Haute juridiction avait entendu assurer une diffusion maximale, avait, dans le silence de la loi, tranché la question de savoir si les dispositions du texte pouvaient s'appliquer non pas seulement aux immeubles à usage d'habitation exclusivement, mais aussi aux immeubles à usage mixte (usage d'habitation et professionnel ou commercial) et avait, finalement, décidé de limiter l'application du texte aux seuls immeubles à usage d'habitation. La Cour avait, en effet, nettement affirmé que "l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation ne mentionnant dans son champ d'application que les immeubles à usage d'habitation, ses dispositions ne sont pas applicables aux immeubles à usage mixte". Il en était résulté, en l'espèce, "qu'ayant constaté que la promesse de vente portait sur un immeuble destiné non seulement à l'habitation mais aussi au commerce, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle n'était pas soumise au délai de rétractation prévu par ce texte".

Voici à présent qu'un nouvel arrêt de la même troisième chambre civile en date du 27 février dernier, lui aussi le plus largement possible diffusé puisqu'à paraître au Bulletin officiel des arrêts civils, en ligne sur le site de la Cour et promis aux honneurs de son prochain Rapport annuel, précise non plus le domaine d'application de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, mais les modalités de mise en oeuvre du texte. Il faut rappeler que, dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 2000 (loi n° 2000-1208, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY), le texte dispose, dans son premier alinéa, que "pour tout acte sous seing privé ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de sept jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte", et précise, dans un deuxième alinéa, que "cet acte est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes". Or, toute la question, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 27 février dernier, était de savoir si la remise de l'acte (copie de la promesse synallagmatique de vente et d'un document informant l'acquéreur des dispositions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation et de la faculté de rétractation dont il disposait) en mains propres par le promettant à l'acquéreur répondait ou non aux exigences du texte, étant entendu que l'acquéreur avait décidé, après la signature de la promesse, de ne pas donner suite à l'opération en invoquant, précisément, sa faculté de rétractation. Alors que le pourvoi faisait valoir que la remise en mains propres d'une copie du compromis de vente constituait une notification valable, au sens du texte, dès lors que la date de la remise n'était pas contestée, la Cour de cassation rejette le moyen aux motifs que "la remise de l'acte en mains propres ne répond pas aux exigences de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 ; qu'ayant exactement retenu que le document remis le jour de la signature de la promesse de vente par le mandataire du vendeur ne remplissait pas la condition exigée par la loi d'un mode de notification de l'acte présentant des garanties équivalentes à la lettre recommandée avec demande d'avis de réception pour la date de réception et de remise, la cour d'appel, sans violation du principe de la contradiction et sans dénaturation, en a déduit, à bon droit, que le délai de sept jours n'avait pas commencé à courir avant la dénonciation de la promesse par [l'acquéreur]". En un mois à peine donc, deux décisions importantes sont venues clarifier certaines des incertitudes générées par l'application de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, l'une dans le sens d'une restriction de son domaine d'application, l'autre dans le sens d'une certaine rigueur protectrice des intérêts du bénéficiaire de la faculté de rétractation offerte par le texte.


(1) Cass. civ. 3, 27 octobre 1975, n° 74-11.080, Société Noury c/ Mlle Jegu (N° Lexbase : A2346CK4), D., 1976, p. 97, note E. Frank.
(2) Cass. civ. 3, 19 mars 1997, n° 95-12.473, M. Bec et autre c/ Consorts Nieddu (N° Lexbase : A0377ACX), Bull. civ. III, n° 68, Rép. Defrénois, 1997, p. 1351, obs. D. Mazeaud.
(3) Cass. com., 15 janvier 2002, n° 99-10.362, Société générale d'archives c/ Société Sauvegarde de l'information, FS-P (N° Lexbase : A7987AX4), Bull. civ. IV, n° 12, Rép. Defrénois, 2002, p. 765, obs. E. Savaux. Adde, plus généralement, sur le problème des promesses unilatérales croisées ou d'une promesse unilatérale insérée dans une transaction : Cass. civ. 3, 26 juin 2002, n° 00-20.244, M. Michel Golliot c/ Société Profidis, FS-D (N° Lexbase : A0115AZB), Rép. Defrénois, 2002, p. 1231, obs. E. Savaux ; Cass. civ. 3, 26 mars 2003, n° 01-02.410, Société Soparco c/ Commune de Luçon, FS-P+B (N° Lexbase : A5896A7I), Bull. civ. III, n° 71 ; Ass. plén., 24 février 2006, n° 04-20.525, Société Soparco c/ Commune de Luçon, P (N° Lexbase : A3280DNS), RTDCiv., 2006, p. 301, obs. J. Mestre et B. Fages.
(4) Voir not., pour quelques exemples, en dehors des dispositions du Code de la construction et de l'habitation : C. consom., art. L. 121-23 (N° Lexbase : L6587ABL) et L. 121-25 (N° Lexbase : L6589ABN) (démarchage à domicile) ; C. consom., art. L. 311-15 (N° Lexbase : L6740ABA) (protection des consommateurs de crédit mobilier) ; C. consom., art. L. 121-20 (N° Lexbase : L1037HBZ) issu de la Directive européenne 97/7 du 20 mai 1997 sur les contrats à distance (téléachat et internet) (N° Lexbase : L7888AUP) ; C. consom., art. L. 121-20-12 (N° Lexbase : L6456G9Y) (issu de la Directive 2002/65 du 23 septembre 2002, sur la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs N° Lexbase : L9628A4D).
(5) Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 06-21.145, M. Mehmet Erdogan, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1712D48) et nos obs., Délai de rétractation du Code de la construction et de l'habitation et clause pénale, Lexbase Hebdo n° 294 du 28 février 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N2191BEU).

newsid:313744

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Du caractère discriminatoire du licenciement d'une femme en raison d'une fécondation in vitro

Réf. : CJCE, 26 février 2008, aff. C-506/06, Sabine Mayr c/ Bäckerei und Konditorei Gerhard Flöckner OHG (N° Lexbase : A0692D7R)

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N3804BEM

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Par un arrêt en date du 26 février 2008, la Cour de justice des Communautés européenne affirme que la protection d'une salariée qui a recours à une procréation médicalement assistée (fécondation in vitro) ne relève pas des dispositions protégeant la maternité, tant que l'embryon conçu n'a pas encore été implanté (I), mais qu'elle doit, néanmoins, être protégée au titre du principe de non-discrimination, et ce en sa qualité de femme (II). Cette décision, qui précise le champ d'application de deux Directives importantes, permet de mieux cerner la raison d'être de la protection accordée à la maternité et aux femmes.
Résumé

La salariée qui procède à une fécondation in vitro n'est protégée, au titre de la Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (N° Lexbase : L7504AUH), qu'à compter du moment où les ovules fécondés in vitro ont été transférés in utero.

Celle-ci est, en revanche, protégée au titre des dispositions de la Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH), qui s'opposent au licenciement d'une travailleuse qui, dans des circonstances telles que celles au principal, se trouve à un stade avancé d'un traitement de fécondation in vitro, à savoir entre la ponction folliculaire et le transfert immédiat des ovules fécondés in vitro dans l'utérus de cette travailleuse, pour autant qu'il est démontré que ce licenciement est fondé essentiellement sur le fait que l'intéressée a subi un tel traitement.

Commentaire

I. La protection de la mère écartée

  • Cadre général de la protection de la maternité

La femme n'est pas un travailleur comme les autres dans la mesure où, parce qu'elle donne la vie, elle est exposée à des risques physiologiques particuliers. C'est, fort de ce constat indiscutable, que le droit communautaire a mis en place, au travers de la Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, des dispositions protectrices dont les Etats membres doivent assurer la transposition. Reste, toutefois, à délimiter le champ d'application de cette Directive, lorsqu'une salariée est engagée dans un processus de procréation médicalement assistée et, singulièrement, lorsqu'elle a recours à une fécondation in vitro. C'est tout l'intérêt de cet arrêt de la CJCE en date du 26 février 2008, qui tranche une question d'interprétation inédite.

  • L'affaire

Une salariée de nationalité autrichienne, qui exerçait le métier de serveuse, avait été licenciée par son employeur alors qu'elle était engagée dans un processus de fécondation in vitro, très exactement alors qu'elle se trouvait en congé maladie entre la fécondation proprement dite, réalisée en laboratoire, et la réimplantation de l'embryon. Elle avait saisi le juge du travail compétent pour obtenir l'annulation de son licenciement et avait invoqué la violation, par ce dernier, des règles protégeant la maternité.

Elle avait obtenu gain de cause en première instance, mais la juridiction d'appel avait considéré qu'elle ne pouvait être considérée comme étant enceinte tant que l'implantation de l'embryon n'avait pas été réalisée. C'est cet arrêt intervenu en appel qui a fait l'objet d'un pourvoi en "révision". Devant le caractère inédit du problème soulevé, le juge autrichien avait, alors, saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation des dispositions de la Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail et, singulièrement, de celles qui prohibent le licenciement des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes (1). La question qui se posait était, alors, simple : doit-on considérer, au regard de ces dispositions, que la salariée engagée dans un processus de fécondation in vitro doit être considérée comme "enceinte" ou, plus exactement, à quel moment du processus ?

  • L'exclusion des salariées dans l'attente de l'implantation de l'embryon

Se fondant sur le quinzième considérant de la Directive 92/85, aux termes duquel "le risque pour une salariée enceinte d'être licenciée pour des raisons liées à son état de grossesse peut avoir des effets dommageables sur sa situation physique et psychique", la Cour de justice considère que la prohibition du licenciement ne saurait commencer avant l'implantation de l'embryon fécondé in vitro dans la mesure où la salariée n'est pas encore physiquement enceinte.

Si la solution semble logique au regard de la notion même de grossesse, elle semble passer bien rapidement sur l'impact psychologique qu'un licenciement en cours de procréation médicalement assistée pourrait avoir sur le succès de l'implantation de l'embryon fécondé, la perte de l'emploi, et l'angoisse d'un futur, désormais, incertain qu'elle suscite, semblant dommageables à la réussite de l'opération. La Cour de justice rappelle, d'ailleurs, que "c'est précisément en considération du risque qu'un éventuel licenciement fait peser sur la situation physique et psychique des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, y compris du risque particulièrement grave d'inciter la travailleuse enceinte à interrompre volontairement sa grossesse, que le législateur communautaire a, en vertu de l'article 10 de la Directive 92/85, prévu une protection particulière pour la femme en édictant l'interdiction de licenciement pendant la période allant du début de la grossesse jusqu'au terme du congé de maternité" (point 34) (2). Pourquoi, dans ces conditions, ne pas avoir anticipé l'application de la Directive ?

C'est, sans doute, pour ne pas entrer dans des considérations psychologiques finalement assez hasardeuses que la Cour de justice a décidé de s'en tenir à une conception purement chronologique de la maternité et d'affirmer que, "il ressort tant du libellé de l'article 10 de la Directive 92/85 que de l'objectif principal poursuivi par cette dernière, lequel est rappelé au point 31 du présent arrêt, que, pour bénéficier de la protection contre le licenciement accordée par cet article, la grossesse en question doit avoir commencé" (point 37). Les dispositions communautaires propres à la maternité ne sauraient donc englober les préliminaires...

La solution est, finalement, sage. Comme l'a justement rappelé la Cour, les législations nationales permettent souvent de conserver, pendant un temps assez long, les embryons fécondés en nombre, et ce, dans l'attente de réimplantations ultérieures (point 45). Faire débuter la protection au stade de la fécondation proprement dite étendrait dans le temps, d'une manière déraisonnable, la période de protection et porterait, ainsi, atteinte au principe de sécurité juridique ; elle confèrerait même à la salariée une protection indue dans l'hypothèse où elle renoncerait à la réimplantation (point 40).

La solution évitera, également, un risque de contagion à d'autres situations comparable, car on imagine aisément que des salariées auraient pu demander le bénéfice des dispositions de la Directive lorsque le licenciement survient alors qu'elles essaient d'avoir un enfant de manière plus conventionnelle !

En choisissant de s'en tenir à de strictes considérations biologiques, la Cour de justice nous rappelle que, si les femmes enceintes bénéficient d'une protection particulière, par hypothèse refusée aux hommes, c'est bien pour tenir compte d'une réalité biologique incontestable, et non pour leur assurer un quelconque confort.

La solution qui fait une stricte application de la notion de grossesse s'explique, également, par le fait que la Cour de justice parvient à assurer la protection de la salariée par un autre moyen, moins discutable à ses yeux.

II. La protection de la femme assurée

  • La volonté affirmée de faire application du principe de non-discrimination

Dans cette affaire, la juridiction de renvoi n'avait pas fait référence à la possibilité d'analyser le licenciement au regard des dispositions de la Directive 76/207, relative à l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est l'Avocat général, M. Damaso Ruiz-Jarabo Colomer, qui a souhaité réintroduire la question dans le débat pour compenser, en quelque sorte, l'impuissance de la Directive 92/85 à venir, ici, en aide à la salarié licenciée.

Conformément à une jurisprudence constante, la Cour de justice a considéré que le licenciement de la salariée en congé maladie, alors qu'elle attend de manière imminente l'implantation des embryons, constitue bien une discrimination fondée sur le sexe.

Dès avant l'entrée en vigueur de la Directive 92/85, c'est-à-dire à une époque où n'existait aucun cadre communautaire assurant une protection spécifique de la maternité, la Cour avait déjà eu l'occasion d'affirmer, au regard des articles 2, § 1, et 5, § 1, de la Directive 76/207, que le licenciement d'une femme intervenu en raison de sa grossesse constituait une discrimination directe fondée sur le sexe (3).

La difficulté, en l'espèce, tenait au fait que la salariée avait été licenciée alors qu'elle se trouvait en congé maladie. Or, la Cour de justice considère "que, les travailleurs féminins et masculins étant également exposés à la maladie, si un travailleur féminin est licencié pour cause d'absence due à une maladie dans les mêmes conditions qu'un travailleur masculin, il n'y a pas de discrimination directe fondée sur le sexe" (point 49) (4).

Toutefois, et comme le relève très justement la Cour, c'est bien la cause du congé maladie qui doit, ici, prévaloir, "à savoir une ponction folliculaire et le transfert dans l'utérus de la femme des ovules issus de cette ponction immédiatement après leur fécondation", qui ne peuvent, par hypothèse, concerner que des femmes (point 50). Dès lors, la conclusion s'imposait : "le licenciement d'une travailleuse en raison essentiellement du fait qu'elle se soumet à ce stade important d'un traitement de fécondation in vitro constitue une discrimination directe fondée sur le sexe".

  • Une solution justifiée

Cette solution doit être pleinement approuvée et correspond, d'ailleurs, bien aux dispositions communautaires relatives à la preuve des discriminations. On se rappellera, en effet, que la Directive 97/80/CE du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve des discriminations, transposée en droit français par loi n° 2001-1006 du 16 novembre 2001 (N° Lexbase : L8292AUN), favorise en son article 4 la preuve des discriminations, dès lors que le salarié "établit [...] des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte" et qui impose, alors, à l'employeur "qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement". Compte tenu des circonstances de l'espèce, il est plus que vraisemblable que l'employeur avait voulu prendre de vitesse la salariée en la licenciant avant qu'elle ne soit effectivement enceinte.

La solution adoptée se justifie donc pleinement, même si le rattachement à l'égalité entre les femmes et les hommes, nécessaire, ici, étant donné les possibilités, finalement, assez réduites, offertes par le droit communautaire, pourrait paraître un peu artificiel. En droit français, le licenciement aurait, d'ailleurs, été annulé, pour violation de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8), compte tenu de la prise en compte de l'état de santé de la salariée, l'employeur ne pouvant se justifier par la nécessité de procéder au remplacement définitif de la salariée en raison des perturbations occasionnées par l'arrêt de travail (5).


(1) Dixième Directive particulière au sens de l'article 16, paragraphe 1, de la Directive (CE) 89/391 du Conseil du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9) (JOCE, 1989, L 348, p. 1).
(2) Sur le ratio legis de la Directive protégeant la maternité : CJCE, 30 juin 1998, aff. C-394/96, Mary Brown c/ Rentokil Ltd (N° Lexbase : A0445AWE), Rec. p. I-6993, qui déclarent que l'article 10 vise à éviter qu'une menace de licenciement n'incite l'intéressée à interrompre volontairement sa grossesse.
(3) CJCE, 8 novembre 1990, aff. C-179/88, Birthe Vibeke Hertz c/ Dansk Arbejdsgiverforening, agissant en tant que mandataire pour Aldi Marked K/S (N° Lexbase : A8628AU4), Rec. p. I-3979, point 13 ; CJCE, 30 juin 1998, aff. C-394/96, Mary Brown c/ Rentokil Ltd, préc., Rec. p. I-4185, points 16, 24 et 25 ; CJCE, 8 septembre 2005, aff. C-191/03, North Western Health Board c/ Margaret McKenna (N° Lexbase : A4057DKH), Rec. p. I-7631, point 47 et point 42 ; CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-460/06, Nadine Paquay c/ Société d'architectes Hoet + Minne SPRL (N° Lexbase : A7181DYM), non encore publié au Recueil, point 29 et point 28.
(4) CJCE, aff. C-179/88, préc., point 17.
(5) Jurisprudence initiée par Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 97-43.484, Société La Parisienne assurances c/ M. Darcy et autre (N° Lexbase : A3150ABB), Dr. soc. 1998, p. 950, obs. A. Mazeaud.
Décision

CJCE, 26 février 2008, aff. C-506/06, Sabine Mayr c/ Bäckerei und Konditorei Gerhard Flöckner OHG (N° Lexbase : A0692D7R)

Réponse à une question préjudicielle

Textes concernés : Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (N° Lexbase : L7504AUH) ; Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH)

Mots clef : protection de la maternité ; fécondation in vitro ; protection de la salariée entre la fécondation et l'implantation.

Liens base :

newsid:313804

Droit public éco.

[Jurisprudence] Nouvel assaut du droit communautaire sur les privilèges des actionnaires publics

Réf. : CJCE, 23 octobre 2007, aff. C-112/05, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A8228DYE)

Lecture: 6 min

N3803BEL

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La Cour de justice des Communautés européennes vient de porter, au nom des principes du marché intérieur, un coup fatal à l'un des symboles du capitalisme allemand : la "loi Volkswagen". Comme l'Avocat général Colomer l'a rappelé dans ses conclusions, l'histoire de Volkswagen a été, entre 1930 et 1960, fort mouvementée. A la fin des années 50, de lourdes tensions existaient autour de la propriété de la société. La loi du 9 mars 1960, portant réglementation de la situation juridique de la société Volskwagenwerk GmbH, a permis la distribution de 60 % des actions à des actionnaires privés, les 40 % restant ont été partagés, à égalité, entre l'Etat fédéral et le Land de Basse-Saxe. Après constitution de la société, un accord a été conclu entre les actionnaires et a été inséré dans la "loi Volkswagen". Pour cette raison, la Cour a estimé que ces mesures étaient bien imputables à l'Etat et ne constituaient pas simplement un comportement de personnes privées. En vertu de cet accord, le droit de vote de tout actionnaire qui détiendrait plus de 20 % du capital social est limité au nombre de voix conféré par la détention de 1/5ème du capital social. En outre, l'Etat fédéral et le Land de Basse-Saxe peuvent chacun désigner des membres du conseil de surveillance s'ils possèdent des actions de la société. Enfin, les décisions de l'assemblée générale qui nécessitent, en vertu de la loi sur les sociétés, une majorité d'au moins 75 % de capital social représenté, requièrent une majorité de 80 %. Ce dispositif est donc très clairement dérogatoire au regard de la loi allemande sur les sociétés.

La Commission européenne a engagé une procédure en constatation de manquement, car elle a estimé que la "loi Volkswagen" portait atteinte aux principes de la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux. En effet, la jurisprudence de la Cour de justice relative aux actions spécifiques est désormais relativement riche (voir notamment, CJCE, 4 juin 2002, aff. C-483/99, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A8098AYL ; CJCE, 4 juin 2002, aff. C-503/99, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A8099AYM ; CJCE, 13 mai 2003, aff. C-98/01, Commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord N° Lexbase : A9198B4G ; CJCE, 28 septembre 2006, aff. jointes C-282/04 et C-283/04, Commission des Communautés européennes c/ Royaume des Pays-Bas N° Lexbase : A3213DRG). Ce type d'actions permet aux pouvoirs publics, en général après une privatisation, de conserver un pouvoir de contrôle sur l'organisation et le fonctionnement d'une société afin de sauvegarder les intérêts nationaux.

Dans la "loi Volkswagen", le droit de désignation au conseil de surveillance de l'Etat fédéral et du Land de Basse-Saxe relevait bien de la technique de l'action spécifique. Les deux autres dérogations au droit des sociétés étaient d'une autre nature, puisque formellement elles ne constituaient pas en soi un avantage réservé aux actionnaires publics, mais de facto, il s'agissait pourtant d'un privilège. Toutes trois ont été jugées contraires au principe de la libre circulation des capitaux par la Cour de justice car elles constituaient des restrictions (I), qui ne pouvaient être justifiées (II).

I - La "loi Volkswagen" constitue une entrave à la libre circulation des capitaux

La Cour de justice devait, en premier lieu, se prononcer sur le fondement au regard duquel devait être examinée la "loi Volkswagen". La Commission n'ayant invoqué aucune argumentation spécifique au regard de la liberté d'établissement, le recours a été, sur ce terrain, rejeté.

La distinction entre la liberté d'établissement et la libre circulation des capitaux, en matière de réglementation des prises de participation, demeure délicate. Les prises de participation ne sont appréhendées, au regard de la liberté d'établissement, que si elles ont une influence certaine sur la société et lui permettent d'en déterminer les activités (CJCE, 13 avril 2000, aff. C-251/98, C. Baars c/ Inspecteur der Belastingen Particulieren/Ondernemingen Gorinchem N° Lexbase : A2003AIZ).

Cette solution n'est, toutefois, pas partagée par l'Avocat général Colomer, dont les conclusions soutiennent que les pouvoirs découlant des actions spécifiques et des mécanismes comparables constituent, d'abord, une atteinte à la liberté d'établissement : "ces pouvoirs peuvent avoir une incidence sur le droit à la liberté d'établissement le rendant moins intéressant, tant directement, lorsqu'ils portent sur l'accès au capital social, qu'indirectement, en réduisant son attractivité par des restrictions portant sur la capacité de disposition ou de gestion des organes sociaux". La frontière est délicate à tracer car "libre circulation des capitaux et liberté d'établissement ne s'excluent pas l'une l'autre, dans la mesure où l'exercice de l'une dépend de l'autre" (P. Juillard, Libre circulation des capitaux. Le principe de libre circulation, J.-Cl. Europe, Fasc. 900, spéc. n° 89).

Ce débat n'a, toutefois, qu'un intérêt restreint car une même mesure peut être examinée à la fois au regard de la liberté d'établissement et de la libre circulation des capitaux. Le régime des quatre grandes libertés est désormais très homogène.

La Cour a, ensuite, examiné conjointement le plafonnement des droits de vote à 20 % et la fixation de la minorité de blocage à 20 %. Si le plafonnement des droits de vote est éventuellement possible en vertu d'un contrat de société, la loi allemande sur les sociétés l'exclut pour les sociétés cotées en bourse, ce qui est le cas de Volkswagen. L'Allemagne avait toutefois fait valoir que cette disposition de la "loi Volkswagen" était désavantageuse pour les actionnaires détenant plus de 20 % du capital, mais, au contraire, elle protégeait les actionnaires qui détiennent moins de 20 % du capital. Un tel dispositif ne semble pas en soi contraire au droit communautaire, puisque la Cour de justice l'examine en combinaison avec l'exigence d'une majorité de plus de 80 % du capital social pour l'adoption de certaines décisions de l'assemblée générale. La Cour s'intéresse, alors, non au dispositif lui-même, mais à ses effets.

Il s'agit là du principal apport de l'arrêt, car cette appréciation in concreto conduit à un alignement du principe de la libre circulation des capitaux sur le principe de la libre circulation des marchandises (mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative). En l'occurrence, tout actionnaire possédant 20 % du capital social dispose d'une minorité de blocage. Si depuis 1960, l'Etat fédéral a cédé ses actions, tel n'est pas le cas du Land de Basse-Saxe. Cette mesure est donc de nature à dissuader les investissements directs en provenance d'un autre Etat membre de la Communauté.

La portée de cette solution méritera d'être précisée. Ce raisonnement pourrait s'appliquer aux dispositifs anti-OPA (L. Idot, Europe, décembre 2007, comm. n° 335). Surtout, la compatibilité avec l'article L. 1522-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9578DN3), qui impose que les actionnaires publics soient majoritaires dans le capital des sociétés d'économie mixte, apparaît douteuse (M. Bazex et S. Blazy, Droit administratif, janvier 2008, comm. n° 13).

Le droit de désignation de deux représentants pour l'Etat fédéral et pour le Land de Basse-Saxe au conseil de surveillance de Volkswagen était également dérogatoire à la loi allemande sur les sociétés. Le droit commun des sociétés limite les droits de représentation accordés à certains actionnaires à un tiers du nombre des représentants des actionnaires au conseil de surveillance. Or, le conseil de surveillance compte vingt membres, dont dix désignés par les actionnaires. Selon le droit commun, l'Etat fédéral et le Land de Basse-Saxe ne pourraient donc prétendre à plus de trois représentants. La "loi Volkswagen" leur en confère quatre. Certes, l'ampleur de la participation du Land de Basse-Saxe ne conduit pas à une représentation disproportionnée, mais avec l'Etat fédéral, il dispose de ce droit indépendamment de l'ampleur de sa participation. Donc, potentiellement, la mesure peut avoir un effet restrictif sur les investisseurs, dans la mesure où le conseil de surveillance n'a pas que des fonctions de contrôle, mais jouit, dans certaines circonstances, d'un véritable pouvoir de décision.

II - La "loi Volkswagen" n'est pas justifiée par des motifs d'intérêt général

La Cour rappelle pour finir que des mesures de restriction à la libre circulation des capitaux peuvent être justifiées, en l'absence de mesure d'harmonisation, par des motifs tirés de l'article 58 du TUE consolidé ("L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique") ou par des raisons impérieuses d'intérêt général, à la condition, toutefois, de respecter le principe de proportionnalité.

L'Allemagne avait d'abord invoqué l'intérêt des travailleurs, mais l'argument semble n'avoir été soulevé que de manière très générale, et n'a donc pas convaincu la Cour. Il est vrai que le lien direct avec le dispositif pouvait apparaître fort ténu. Le souci de protection des actionnaires minoritaire n'est guère plus pertinent car la "loi Volkswagen" ne bénéficie, en pratique, qu'aux actionnaires publics. L'Allemagne avait enfin fait valoir, en raison de l'importance de Volkswagen pour l'économie allemande, le souci de protection de l'emploi. Là encore, la généralité de l'argument n'a pu retenir l'attention de la Cour.

Finalement, le raisonnement suivi par le juge communautaire est cohérent, et l'on ne peut être qu'une nouvelle fois frappé par la faiblesse de la marge de manoeuvre en termes de conduite de la politique économique. Cet arrêt doit être aussi une nouvelle leçon pour le législateur national, qui doit rester très prudent lorsqu'en procédant à une privatisation, il entend conserver un contrôle sur les entreprises concernées.

newsid:313803

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] La fluctuation du cours en bourse de titres côtés peut emporter, pour une société de pêche, le mal de mer

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 21 janvier 2008, n° 277303, Compagnie nationale de navigation (N° Lexbase : A5927D4B)

Lecture: 18 min

N3776BEL

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

Par une décision du 21 janvier 2008, le Conseil d'Etat a jugé que devaient être réintégrées, dans la base imposable de la Société nationale des Pêches lointaines, deux provisions pour créances douteuses d'un montant de 6,814 millions de francs (MF) (1,038 million d'euros) et de 3,720 MF (567 000 euros) correspondant à la différence entre les prix de cession de 10 MF (152 449 euros) et de 14,34 MF (218 611 euros), diminués d'un premier versement de 4,872 MF (742 731 euros), et la valeur en bourse à la date d'inscription au bilan des deux lots d'actions de la société Pebsa reçues, évalués respectivement à 3,185 MF (485 550 euros) et 5,837 MF (889 844 euros), la différence entre la valeur d'acquisition des titres Pebsa qui auraient dû être inscrits à l'actif du bilan pour leur valeur mentionnée au contrat, et la valeur du cours de bourse de ces titres en décembre 1990 ne pouvait donner lieu, le cas échéant, qu'à une provision pour dépréciation de titres, soumises au régime des moins-values de long terme. Les faits dans cette affaire sommairement résumés sont les suivants : en application de protocoles d'accord en date du 15 novembre 1989 et du 20 février 1990, la société nouvelle des pêches lointaines (SNPL), absorbée en 1991 par la Compagnie de navigation UIM (CNUIM), qui avait pour activité l'armement de navires à la grande pêche a cédé à la société espagnole Pebsa sa participation ainsi que son compte courant dans la société saint-pierraise Interpêche. En contrepartie, elle a reçu deux lots d'actions de la société Pebsa. Postérieurement à une vérification de comptabilité, le service a remis en cause la déduction des provisions pour dépréciation de créance de 6,8 MF et de 3,7 MF constatées dans les écritures de la société vérifiée à la date du 31 décembre 1990 et correspondant à la différence entre, d'une part, le prix de cession des actions Interpêche et du compte courant détenu dans cette société et, d'autre part, la valeur boursière des actions Pebsa reçues. La société requérante a contesté le redressement au motif que la remise des actions Pebsa en échange de son compte courant et de ses titres de participation dans la société Interpêche ne constituait pas un paiement dans le cadre d'un échange de titres, mais une garantie de paiement du prix convenu pour la cession des titres et du compte courant Interpêche.

L'intérêt de la solution réside dans la détermination de la solution fiscale en conséquence des termes des protocoles d'accord et de leurs clauses. Les règles civiles déterminent, ainsi, les règles fiscales applicables à l'opération. C'est, en effet, à partir d'une analyse des termes des protocoles d'accord passés les 15 novembre 1989 et 20 février 1990 entre la Société nationale des Pêches lointaines et le groupe morutier espagnol Pebsa que le Conseil d'Etat forge sa solution. La Haute juridiction écarte la notion d'échange et rappelle les conditions dans lesquelles une vente doit être regardée comme ayant été réalisée, précisant la valeur pour laquelle les titres de participations doivent être inscrits à l'actif. Par ailleurs, le Conseil d'Etat rappelle que la prise en compte de la dépréciation des titres, outre qu'elle suppose leur inscription à l'actif, ne peut être constatée que par la constitution de provision pour dépréciation. Toutefois, la Haute juridiction, d'une certaine façon, réserve ce point, les provisions pour dépréciation n'ayant pas été passées. On pourra, notamment, rapprocher cet arrêt de la décision de la cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 3ème ch., 16 mai 2006, n° 02BX01681, Société Copagef N° Lexbase : A1262DQS). Par ailleurs, à supposer les titres acquis et surtout inscrits à l'actif immobilisé de la société SNPL, le cours de bourse du titre Pebsa ayant chuté et en l'absence de remontée de la valeur du titre avant la clôture de l'exercice, la société SNPL aurait été en droit de constituer une provision sur le titre Pebsa égale à la différence entre la valeur de ce titre inscrite au bilan et la valeur inscrite à la cote officielle (TA Paris, 19 novembre 1991, n° 8806350, SA Via Assurance Vie).

1. Une chute du cours de l'action remise en paiement de titres de participations et d'un compte courant, postérieure à l'accord sur la chose et le prix ne permet pas la constitution de provisions pour créances douteuses

Dans l'affaire "Compagnie nationale de navigation", en application des protocoles d'accord des 15 novembre 1989 et 20 février 1990, la SNPL a cédé au groupe morutier espagnol Pebsa sa participation dans la société Interpêche pour un prix de 10 MF ainsi que le montant de son compte courant détenu dans cette même société et arrêté à la somme de 14,34 MF. En contrepartie, la société Pebsa lui a remis 198 318 de ses actions en échange de sa participation dans la société Interpêche et 284 510 de ses actions en échange du compte courant. L'analyse des modalités de la transaction induit la nature fiscale de la provision qu'il convenait de passer.

1.1. La remise des actions en échange du compte courant et des titres de participation est une cession de titres et non un échange

Le Conseil d'Etat, dans cette affaire, devait tout d'abord préciser si l'opération effectuée entre la SNPL et le groupe morutier Pebsa était constitutive d'une vente ou d'un échange de titres, les actions remises devant, alors, être regardées comme une simple garantie de paiement. De la réponse donnée à cette première question découle la possibilité pour le juge de préciser le type de provisions qui pouvaient être passées. Nous sommes, selon le cas, en présence d'une provision pour créance douteuse ou pour dépréciation. Mais, pour qu'il puisse y avoir constitution de provision pour créance douteuse, encore fallait-il qu'il y ait créance et que le cessionnaire n'ait pas réglé, par la remise des actions, le montant convenu avec le groupe morutier Pebsa.

La solution du litige fiscal, c'est-à-dire la déductibilité d'un type de provision, dépend donc ici de la nature des protocoles d'accords relatifs au transfert de la propriété et au paiement du prix des actions litigieuses. L'opération, en l'espèce, n'est pas assimilable à un échange mais est à une vente.

La Haute juridiction, pour motiver sa solution et regarder l'opération comme une vente, affirme qu'il résulte clairement des termes du protocole d'accord du 15 novembre 1989 que les parties s'étaient entendues sur la chose et le prix et qu'il y avait, à la date de l'accord, équivalence de valeur entre, d'une part, les actions et le compte courant cédés et, d'autre part, les actions acquises nonobstant la chute du cours en bourse de ces actions postérieurement et les garanties et restrictions de l'usage des titres dont étaient assorties ces opérations. Le Conseil d'Etat s'appuie, donc, sur les dispositions de l'article 1583 du Code civil (N° Lexbase : L1669ABG), aux termes duquel une vente "est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé".

Les conditions de la vente étaient en l'espèce satisfaites : il y avait accord des parties, autrement dit consentement réciproque des parties, l'une s'engageant à livrer le bien vendu, l'autre à acquitter le prix convenu. L'accord sur la chose était aussi effectif. L'objet de la vente doit être désigné de façon à pouvoir être identifié, mais il n'est pas nécessaire que ses caractéristiques soient entièrement connues. De même, une vente peut porter sur une chose future. Enfin, il y avait accord sur le prix, c'est-à-dire sur la contrepartie fournie par l'acquéreur au vendeur en échange de la chose cédée. Le prix doit être déterminé ou déterminable et la fixation du prix ne doit pas dépendre de l'une des parties. Si l'une de ces conditions n'est pas remplie, l'acte est imparfait. En l'espèce, les protocoles fixaient un prix et la fluctuation du cours de l'action Pebsa est postérieure aux dates de signatures des deux protocoles d'accord.

Toutes les conditions requises par les dispositions de l'article 1583 du Code civil étant remplies, la vente est parfaite, emportant, d'une part, création d'obligations réciproques entre le vendeur et l'acheteur (livraison, paiement du prix, garantie...) et, d'autre part, transfert de propriété, alors même que la chose n'aurait pas été livrée, ni le prix payé. En conséquence, la remise des actions Pebsa ne pouvait être regardée comme une simple garantie du paiement du prix mais comme le paiement de celui-ci. Le prix initial ayant été convenu à titre définitif, la somme reçue du cédant pouvait être regardée comme correspondant à une réduction du prix de cession des titres ; cette somme peut être retranchée du montant pour lequel les actions figuraient jusque-là à l'actif du bilan.

La cession de titres non cotés intervient, donc, à la date à laquelle les parties se sont mises d'accord sur la chose et sur le prix. Cette date est celle à laquelle intervient le transfert de propriété d'un point de vue juridique. Toutefois, il est admis que la date de transfert de propriété et, donc, le fait générateur peuvent être différés, soit à une date convenue entre les parties, soit à une date à laquelle intervient la réalisation de certaines conditions ou l'accomplissement de formalités. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Le commissaire du Gouvernement, M. Chahid Nouraï, précisait, sous un arrêt du Conseil d'Etat du 27 mars 1991 (CE Contentieux, 27 mars 1991, n° 81119, Croize N° Lexbase : A9337AQU : RJF 5/91, n° 6141991), qu'il faut s'en tenir aux "critères civilistes car le texte fiscal, en renvoyant à une notion traitée par le droit civil, renvoie nécessairement ipso facto aux modalités précises agencées par ce droit en l'absence de disposition ou d'impératif particulier au droit fiscal".

La position de l'administration fiscale a, de son côté, été précisée dans un compte rendu du Comité fiscal de la Mission d'organisation administrative du 17 décembre 1998, qui précise que "pour déterminer le fait générateur de la vente, il y a lieu de se référer, sauf disposition législative spéciale, aux règles posées par l'article 1583 du Code civil selon lesquelles la propriété est acquise à l'acheteur lorsque les parties sont convenues de la chose et du prix, sauf dans les circonstances où ces dernières entendent déroger aux dispositions de cet article pour convenir d'un transfert de propriété des titres à l'acheteur après un certain délai, l'exécution de certaines conditions ou l'accomplissement de formalités prévues".

1.2. La fluctuation des cours de la bourse ne pouvait justifier la constitution d'une provision pour créance douteuse

Nous ne sommes pas, en l'espèce, en présence d'un d'échange qui, aux termes de l'article 1702 du Code civil, est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre.

La société soutenait que les protocoles d'accord organisaient un simple échange de titres. Plus précisément, elle avançait que la remise des actions Pebsa en échange de son compte courant et de ses titres de participation dans la société Interpêche ne constituait pas un paiement dans le cadre d'un échange de titres, mais une garantie de paiement du prix convenu pour la cession des titres et du compte courant Interpêche. Un doute pouvait être entretenu quant à la détermination du prix, dès lors que les titres n'avaient pas été inscrits à l'actif et que, par suite, au sens comptable, ce prix n'était pas déterminé. Mais les conditions civiles de la vente oblitèrent d'une certaine manière les hésitations fiscales découlant de l'application de la règle comptable ; cela même si le montant porté en comptabilité lors de l'entrée dans le patrimoine d'une immobilisation acquise à titre onéreux est le prix définitif convenu (la notion de prix définitif n'étant pas explicitement précisée dans le PCG, mais la doctrine comptable en déduit que la somme reçue du vendeur en conséquence d'une révision de prix vient en diminution du coût d'entrée et non en produit, même si cette somme n'est reçue qu'au cours d'un exercice postérieur à celui de l'acquisition).

Les opérations d'échange visées à l'article 150-0 B du CGI (N° Lexbase : L2312HL9) s'entendent des offres publiques, des fusions, des scissions, de l'absorption d'un FCP (fonds commun de placement) par une Sicav (société d'investissement à capital variable), d'une conversion, d'une division, ou d'un regroupement réalisé conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés lorsque le montant de la soulte reçue par le contribuable n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus. Il en est de même en cas d'échanges successifs de titres placés sous le champ des dispositions de l'article 150-0 B du CGI.

Le fait générateur d'imposition des plus-values réalisées lors de l'une de ces opérations d'échange interviendra lorsque les titres remis en échange seront soit cédés, soit rachetés, remboursés ou annulés. La plus-value devra, alors, être calculée à partir du prix ou de la valeur d'acquisition des titres remis à l'échange, le cas échéant, diminué de la soulte reçue ou majoré de la soulte versée. Comme cela était le cas dans l'hypothèse d'échange de titres placé sous un régime de report d'imposition prévu aux articles 92 B II (N° Lexbase : L1933HL8) et 160 I ter (N° Lexbase : L2652HLS) du CGI aujourd'hui abrogés, "la plus-value en sursis est définitivement exonérée d'impôt sur le revenu en cas de transmission à titre gratuit des titres reçus en échange".

Si les conditions civiles de la vente avaient permis de situer le litige sur le terrain de l'échange, sans doute eût-il alors été possible de passer une provision pour créance douteuse, la remise des titres Pebsa pouvant être regardée comme une garantie de paiement du prix, mais non comme le prix lui-même.

Les créances devenues irrécouvrables constituent des charges déductibles des résultats de l'exercice au cours duquel leur perte présente un caractère certain et définitif. Mais une créance peut, sans pour autant être considérée comme définitivement perdue, être compromise à la clôture d'un exercice donné en raison, soit de la mauvaise situation financière du débiteur, créance douteuse, soit d'un litige opposant le créancier et le débiteur, créance litigieuse. Dans ces deux hypothèses, la perte de la créance, sans être certaine, peut néanmoins apparaître comme probable à la clôture de l'exercice. L'entreprise est alors autorisée, en contrepartie de l'inscription obligatoire de la créance à l'actif du bilan, à déduire de ses résultats une provision égale au montant de cette créance ou à la fraction de cette créance dont le recouvrement est compromis.

D'une manière générale, les événements de nature à justifier la constitution de provisions pour créances douteuses tiennent aux difficultés financières rencontrées par le débiteur. Le seul non-paiement des créances par le débiteur à la date de leur échéance ne suffit toutefois pas à justifier la déduction d'une provision pour créance douteuse. La jurisprudence considère que la situation financière notoirement difficile d'une société débitrice et le caractère improbable de son redressement sont de nature à justifier la constitution de provisions pour créances douteuses par la société créancière (CE Contentieux, 20 juin 1997, n° 99429, Ministre d'Etat, Ministre de l'Economie, des Finances et du Buget c/ Société "Maison Laproste Diapar" N° Lexbase : A0598AEU), et ce même si celle-ci n'a pas engagé de poursuites contre le débiteur (CE Contentieux, 19 juin 1989, n° 58984, Société provençale de chaudronnerie N° Lexbase : A1230AQM).

Ainsi, la situation financière notoirement difficile d'une société débitrice, corroborée par la vente au cours de l'année de ses deux établissements de vente, et le caractère improbable de son redressement, sont de nature à justifier la constitution par la société créancière de provisions pour créances douteuses. Toutefois, le non-recouvrement d'une créance peut ne pas être lié aux difficultés financières du débiteur (CE Contentieux, 6 décembre 1996, n° 149923, Société L'Oréal N° Lexbase : A2208APH, BDCF 1/1997, n° 8).

Par ailleurs, le fait que la société créancière ait continué, conformément à son intérêt de fournisseur, de livrer des marchandises à son débiteur et n'ait pas cherché à obtenir autrement que par des voies amiables le recouvrement de ses créances ne fait pas obstacle à ce qu'elle constituât pour celles-ci des provisions. La convention par laquelle la société débitrice a confié à la filiale de la société créancière le soin d'assurer sa gestion technique n'a pas été de nature à modifier, pour celle-ci, les perspectives de recouvrement de ses créances (CE, 9° et 8° s-s-r., 20 juin 1997, n° 99429, Ministre d'Etat, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget c/ Société "Maison Laproste Diapar" N° Lexbase : A0598AEU : RJF 8-9/97 n° 763).

A été jugée non déductible, une provision pour laquelle il n'est apporté aucune précision sur la réalité de la créance ni sur le risque d'irrécouvrabilité qu'elle présente (CE Contentieux, 21 mars 1986, n° 43476, Mme Couturier N° Lexbase : A4092AMI). Une entreprise a, en revanche, été reconnue fondée à déduire une provision pour couvrir le risque de non-recouvrement d'une créance provenant de l'insolvabilité du débiteur lorsque cette dernière est caractérisée par la situation financière difficile et le caractère improbable de son redressement (CE, 20 juin 1997, n° 99429, Société "Maison Laproste Diapar", précité).

Les difficultés financières du débiteur ne justifient la constitution d'une provision pour créance douteuse que dans l'hypothèse où des éléments précis permettent d'établir que son insolvabilité est probable. Il eût alors fallu, en l'espèce, démontrer que la dégradation du cours de bourse était irréversible. Les actions ou parts sont maintenues à l'actif du bilan pour leur prix d'acquisition. La société cessionnaire peut seulement constituer une provision pour dépréciation s'il apparaît que la valeur probable de négociation des titres est devenue inférieure à leur prix de revient, étant rappelé qu'une provision de cette nature est soumise, en vertu du dernier alinéa de l'article 39-1-5° du CGI (N° Lexbase : L1224HLW), au régime fiscal des moins-values à long terme. Il peut en être ainsi lorsqu'une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire est engagée à son encontre. On notera à cet égard que, selon certaines décisions, la poursuite des relations commerciales entre le créancier et le débiteur n'est pas en elle-même un obstacle à la déductibilité de la provision.

2. La dépréciation des titres pouvait être constatée éventuellement par une provision pour dépréciation

Pour les titres détenus par des sociétés soumises à l'IS, le régime des plus et moins-values à long terme est applicable aux provisions pour dépréciation des parts qui ont le caractère de titres de participation au sens de l'article 219 I a-ter et 219 I a quinquies du CGI (N° Lexbase : L2822HZK) (1).

2.1. Les titres de participation devaient être inscrits à l'actif pour leur valeur d'acquisition

Dans son arrêt "Compagnie nationale de navigation", le Conseil d'Etat souligne que, si les titres avaient été immobilisés à l'actif, il était éventuellement possible de passer une provision pour dépréciation des titres. Il eût alors fallu constater une dégradation durable du cours du titre. La société SNPL a tiré de son analyse erronée des protocoles la nécessité de passer des provisions pour créances douteuses, quand il eût fallu analyser les protocoles comme une vente et passer en conséquence, le transfert de propriété étant effectué et la valeur des titres fixée par inscription à l'actif, une provision pour dépréciation de titres.

Aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L6529HLE) : "la dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce, les titres de participation, donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du I de l'article 39 du CGI". Pour être déductible fiscalement, la dépréciation doit être calculée par rapport à la valeur probable de réalisation du bien à la clôture de l'exercice (CE Contentieux, 24 octobre 1980, n° 17147, SARL "La Distribution moderne Tourquenoise" N° Lexbase : A8506AIU et n° 17148, SA "La Distribution Moderne Générale" N° Lexbase : A8884AIU).

L'article 219-I-a ter du CGI précise que : "constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable". Constituent, alors, des titres de participations au regard du droit fiscal les pures participations au sens du droit comptable, et les participations par assimilation au sens du droit fiscal.

La distinction entre titres de participation et titres de placement est importante du point de vue comptable et surtout fiscal. Notamment, les plus-values de cession de titres de participation détenus depuis plus de deux ans, plus-values à long terme, sont, sauf exception, exonérées à partir de 2007, sous réserve de la quote-part de frais et charges de 5 % calculée sur le résultat net des plus- values de cession.

Dans le même temps, les plus-values de cession de titres de placement sont imposées comme de simples produits, au taux de droit commun de 33 % 1/3. Comme la définition fiscale des titres de participation ne coïncide pas avec la définition comptable, il est utile de la préciser. Si l'on s'en tient aux grandes lignes, les critères de qualification sont simples et logiques. Le texte de référence est l'article 219-I a ter du CGI. Il précise que, constituent des titres de participation, les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable. La notion comptable qui constitue le socle de la définition des titres n'empêche pas un prolongement fiscal de la notion. De fait, constituent des titres de participation au sens fiscal : d'une part, les participations au sens du droit comptable et, d'autre part, les participations par assimilation au sens du droit fiscal. Au sens du droit fiscal, les titres de participation sont ceux qui ouvrent droit au régime des sociétés mères, ce qui implique, d'une part, une participation minimale de 5 % ou représenter un prix de revient de 22 800 000 euros ou encore avoir été acquis en exécution d'une OPA ou d'une OPE et, d'autre part, avoir été isolé dans un compte spécial titres relevant du régime des plus-values à long terme de la rubrique comptable dont ils relèvent.

En l'espèce, et eu égard à la législation applicable à la date du litige, et en présence de titres de participations (le Conseil réserve sans doute l'examen précis de ce point lorsqu'il affirme, dans la motivation de l'arrêt, que la dépréciation pouvait donner lieu, le cas échéant, à une provision), la différence entre la valeur d'acquisition des titres Pebsa qui auraient dû être inscrits à l'actif du bilan pour leur valeur mentionnée au contrat, et la valeur du cours de bourse de ces titres en décembre 1999 ne pouvait donner lieu, le cas échéant, qu'à une provision pour dépréciation de titres, soumis au régime des moins-values à long terme.

2.2. La fluctuation du cours de bourse était-elle un événement permettant la constitution de la provision pour dépréciation ?

Dans tous les cas, la réalisation de la vente pure et parfaite au plus tard le 20 février 1990, rendait la constitution de provisions pour créances douteuses impossible. Il demeurait envisageable de passer des provisions pour dépréciation. Les conditions de constitution de celles-ci ont été précisées par le législateur. Aux termes de l'article 2 de la loi n° 73-1128 du 21 décembre 1973, repris sous l'article 39-1-5°, 10ème alinéa du CGI, les titres de participation cotés ou non, ne peuvent faire l'objet d'une provision que s'il est justifié d'une "dépréciation réelle" par rapport au prix de revient.

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 24 mai 1978 (CE, 7° et 9° s-s-r., 24 mai 1978, n° 4572 N° Lexbase : A6681B8X), précise qu'une provision pour dépréciation de titres de participation n'est justifiée que si la valeur de négociation de ces titres est inférieure à leur valeur comptable nette. La fluctuation du cours de bourse, s'il s'agit de titres côtés, influe sur la valeur vénale et doit être regardée comme emportant, si elle est irréversible, une dépréciation réelle par rapport au prix de revient.

Les titres en l'espèce devaient être inscrits à l'actif du bilan pour une valeur mentionnée au contrat et la valeur de bourse de ces titres en décembre 1990 pouvait donner lieu à la constitution d'une provision. Le Conseil d'Etat admet qu'une dégradation durable du cours de bourse autorise la constitution d'une provision (CE, 21 novembre 1980, 7° et 8° s-s-r., n° 17055 N° Lexbase : A7746AIQ). Cette provision pour dépréciation de titres n'aurait pu être constituée qu'à la condition que la baisse du cours de l'action soit constatée avant la clôture de l'exercice et que cette dégradation ait été irréversible (TA Paris 19 novembre 1991, n° 8806350, SA Via Assurance Vie).

Le Conseil d'Etat précisant, en outre, dans un arrêt de section en date 4 mai 1979 (CE, 4 mai 1979, n° 4228 N° Lexbase : A2577AKN), que, quand un titre faisant l'objet d'une cotation sur le marché hors cote est un titre coté au sens de l'article 38 septies de l'annexe III (N° Lexbase : L2632HNS), c'est par référence à son cours que doivent être calculées d'éventuelles provisions, le cours de bourse donnant le prix des transactions courantes (CE, 6 juin 1984, n° 35415, Société anonyme "Compagnie financière de Suez" N° Lexbase : A5539ALQ).

La fluctuation du cours de bourse des actions Pebsa pouvait, donc, d'une manière ou d'une autre, être prise en compte ; la société SNPL ne pâtit de l'amertume de l'eau salée qu'en raison de l'analyse incorrecte qu'elle a faite des protocoles passés. En passant des provisions pour créances douteuses elle est restée cohérente avec sa lecture des protocoles, mais elle n'a ainsi fait que persévérer dans l'erreur. Une analyse des protocoles comme une vente lui aurait pourtant permis de constituer les provisions qu'elle souhaitait passer, mais non pas au titre de créances douteuses mais de provisions pour dépréciation de titres. La fluctuation des cours du titre emportait constitution de provision mais pas de la nature de celle que la société SNPL a cru devoir passer.


(1) La loi de finances pour 2007 prévoit que les titres dont le prix de revient est supérieur à 22,8 millions d'euros et qui remplissent toutes les conditions pour ouvrir droit au régime des sociétés mères et filiales autres que celle relative au seuil de 5 % de détention du capital ne bénéficient plus du régime des plus-values de long terme. Les plus-values afférentes à ces titres sont soumises au taux normal de l'IS et non plus au taux de 15 %. Les provisions afférentes à ces titres sont donc déductibles du résultat imposable au taux normal de l'IS et leur déductibilité n'est plus plafonnée.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les candidats salariés de "l'Ile de la tentation"

Réf. : CA Paris, 18ème ch., section D, 12 février 2008, 3 arrêts, n° 07/02721, SA société Glem (N° Lexbase : A0261D7S) ; n° 07/02722 (N° Lexbase : A0260D7R) ; n° 07/02723 (N° Lexbase : A0250D7E)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

L'île de la tentation, ses plages de sable blanc, ses caméras... et ses candidats-salariés ! Des candidats participaient à cette émission de télé-réalité dont l'objet était le suivant : "quatre couples non mariés et non pacsés, sans enfant, testent leurs sentiments mutuels lors d'un séjour d'une durée de douze jours sur une île exotique, séjour pendant lequel ils sont filmés dans leur quotidien, notamment pendant les activités qu'ils partagent avec des célibataires de sexes opposés, étant entendu qu'à l'issue de ce séjour, les participants font le point sur leurs sentiments envers leur partenaire et qu'il n'y a ni gagnant ni prix". Par trois décisions rendues par la 18ème chambre, section D, de la cour d'appel de Paris, en date du 12 février 2008, le juge judiciaire estime que la relation nouée entre la société de production et les candidats doit être requalifiée en relation de travail. Afin de parvenir à cette solution, la cour d'appel de Paris analyse soigneusement le contenu de la relation qu'elle confronte aux critères classiques du contrat de travail (I), avant d'en déduire des conséquences, somme toute, logiques (II).
Résumé

La relation établie entre une société de production d'émission de télé-réalité et les candidats y participant constitue un contrat de travail à durée indéterminée du fait de l'existence d'une prestation de travail subordonnée donnant lieu à rémunération. Le fait que les salariés se tenaient à disposition permanente de l'employeur emporte le règlement d'heures supplémentaires. La relation démontre l'existence d'un travail dissimulé. Enfin, la cessation de la relation constitue un licenciement irrégulier et abusif.

Commentaire

I. L'existence surprenante d'une relation de travail salarié

  • Application du principe de réalité : l'indifférence de la qualification opérée par les parties

La Cour de cassation estime, depuis longtemps, qu'en matière de relation de travail, il n'y a pas lieu de s'attacher à la qualification contractuelle choisie par les parties (1). "L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs" (2).

La cour d'appel de Paris déduit, logiquement, de cette règle que la dénomination contractuelle énoncée, à savoir un règlement "participants" au programme "Ile de la tentation 2003" ne permet pas, en soi, d'exclure l'existence d'une relation contractuelle de travail subordonnée.

On sait, cependant, que ce "principe de réalité" est, parfois, mis à mal par le législateur, notamment, lorsqu'il pose des présomptions de salariat pour diverses catégories de travailleurs (3). C'est le cas, entre autres, des artistes de spectacle, comme le prévoit l'article L. 762-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5342ACT).

Les candidats invoquaient cette présomption de salariat. Mais leurs professions, en dehors du cadre de l'émission, étaient celles de comptable, de moniteur de jet-ski et de professeur de sport, activités qui ne ressortissent manifestement pas de la liste dressée par le Code du travail (4).

Le juge devait donc s'attacher à analyser les éléments de fait de la relation, afin de déterminer si celle-ci revêtait les caractéristiques d'un contrat de travail. Ainsi considère-t-il, de manière, là encore, très traditionnelle, que "la qualification de contrat de travail implique qu'un personnel accepte de fournir une prestation de travail au profit d'une autre personne en se plaçant dans un état de subordination juridique vis-à-vis de cette dernière, moyennant une rémunération" (5).

  • Une prestation de travail bien diffuse

Si la forme du travail effectué par le salarié revêt, en général, peu d'importance, la jurisprudence exige, en revanche, de manière cumulative, que les tâches confiées au travailleur soient accomplies par lui, non seulement de manière effective et personnelle, mais, aussi, à titre professionnel et pour le compte d'autrui.

La cour d'appel estime que "l'immixtion de caméras dans la vie privée, même consentie, ne relève pas d'un simple divertissement", qu'elle n'est "pas exclusive de contraintes, dès lors que l'action consiste à isoler le sujet dans un contexte relationnel de nature à éprouver ses sentiments et partant sa personnalité". Cette mise à l'épreuve constituait une "activité humaine exigeant un effort soutenu qui vise à la modification des éléments naturels, à la création et/ou là la production de nouvelles choses, de nouvelles idées". Enfin, les juges ont considéré que "la prestation de travail est consacrée [...] par le règlement liant les parties", puisque celui-ci "impose [...] une disponibilité permanente du participant [...] pendant plusieurs jours et nuits de tournage".

Il ne fait que peu de doute qu'une telle activité soit bien une prestation personnelle des candidats ayant, au moins indirectement, pour but de profiter à la société de production qui diffusera l'émission télévisée.

Il faut, en revanche, discuter sur la question de savoir si les activités des participants pouvaient être qualifiées de "tâches" à vocation "professionnelle". A l'examen des faits, les participants étaient obligés de participer à différentes activités ludiques et agréables, telles que du jet-ski, des ballades à cheval ou des séances de massage. De telles activités ne sont pas, par principe, exclusives d'une activité professionnelle. Pour l'illustrer, il est possible de prendre l'exemple de salariés testeurs de jeux vidéos pour le compte d'éditeurs de logiciel. Leur activité, certes ludique, n'en reste pas moins professionnelle. Pour autant, dans le cadre de l'émission de télé-réalité, il est probable que l'engagement des participants ait eu moins pour objet de produire une activité professionnelle que de participer à ce qui reste une forme particulière de jeu télévisé.

L'argumentation de la cour d'appel n'est, d'ailleurs, pas toujours parfaitement convaincante. Ainsi, par exemple, l'évocation du contenu du "règlement" des participants, imposant la disponibilité permanente des participants, peut paraître en contradiction avec l'exclusion de ce contrat au nom du principe de réalité. Plus encore, la référence à la disponibilité permanente des candidats se réfère à une question de quantité de travail plus qu'à une question de qualité du travail. Autrement dit, cette mise à disposition permanente nous semble pouvoir justifier l'existence d'un lien de subordination ou permettre de calculer le temps de travail effectif, mais plus difficilement de justifier l'existence d'une activité professionnelle.

Les tâches professionnelles seraient donc constituées de la mise à l'épreuve des sentiments des salariés sous l'oeil de caméra s'immisçant dans leur vie privée. En forçant un peu le trait, est-ce qu'un entretien filmé dans le cabinet d'un conseiller matrimonial ne présente pas les mêmes caractéristiques, le voyeurisme d'un seul, se substituant à celui de tous ?

Si l'existence d'une prestation de travail pouvait donc être au minimum discutée, les autres éléments du contrat de travail sont, en revanche, plus nettement caractérisés.

  • Un lien de subordination nettement caractérisé

Le critère essentiel de la relation de travail réside dans l'existence d'un lien de subordination. La Cour de cassation estime que "le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné" (6).

En l'espèce, les éléments du "règlement" des participants permettaient d'établir l'existence d'une véritable subordination des candidats à la société de production. Les conditions de vie pendant le tournage étaient "exclusivement déterminées par la production", qui fixait les heures de réveil, l'emploi du temps des participants. Ils devaient, en outre, suivre les instructions de production et participer aux différentes activités ou réunions. Enfin, la production était en droit d'interdire toute relation des participants avec leurs proches.

La société de production invoquait l'existence d'une faculté pour les participants de s'isoler de temps en temps de l'équipe de tournage pour justifier l'absence de lien de subordination. Cet argument, qui ne séduit pas la cour d'appel, n'était pas particulièrement convaincant. Au contraire, il y a tout lieu de penser qu'il s'agissait plus là d'une sorte de temps de pause plutôt que d'une faculté de se dégager de la subordination de l'employeur. Le pouvoir de donner ordres et directives est manifestement établi.

Il n'en va pas différemment du pouvoir disciplinaire caractéristique du lien de subordination, puisque la production pouvait "sanctionner par la rupture unilatérale du contrat le non-respect par le participant" de quelconque obligation prévue par le contrat. De plus, une sanction pécuniaire était prévue en cas de violation de l'obligation de sécurité par les participants.

Restait, enfin, un dernier critère permettant l'établissement d'une relation de travail, celui de la rémunération des participants.

  • Le renfort de la rémunération comme élément de qualification

Au contraire du lien de subordination, la rémunération n'est pas un élément déterminant de la relation de travail, si bien qu'une relation contractuelle peut parfaitement être requalifiée en contrat de travail alors même que le travailleur n'aurait perçu aucune rémunération. Si, pendant longtemps, l'absence de rémunération ou le caractère dérisoire de celle-ci faisait présumer l'absence de contrat de travail (7), la rémunération semble, aujourd'hui, être un critère en recul du contrat de travail (8).

Les candidats avaient bénéficié du paiement de leurs billets d'avion, des frais de visa, de l'hébergement, des repas et de la gratuité des différentes activités sportives ou ludiques. Ils avaient, en outre, perçu une somme de 1 525 euros, somme qualifiée par le contrat de minimum garanti sur les royalties à percevoir à la suite de la diffusion de l'émission. Mais, estimant que ce montant étant fixé à l'avance, sans être remboursable et qu'aucun versement de royalties n'avait postérieurement été opéré, cette somme constituait, pour le juge, une véritable rémunération.

La caractérisation d'une rémunération établit donc l'existence d'un critère, certes d'importance moindre, de la relation de travail. Cependant, au vu des difficultés de qualification d'une véritable prestation de travail, l'établissement d'une rémunération fait figure de renfort précieux dans la caractérisation du contrat de travail.

  • Quelques perspectives...

Depuis l'apparition, en France, des premières émissions de télé-réalité, combien de candidats se sont succédés sur le tournage de ces divertissements ? Potentiellement, et comme l'avait, d'ailleurs, pressentis certains auteurs (9), l'ensemble de ces candidats pourraient, à l'avenir, revendiquer la requalification en contrat de travail avec, comme en l'espèce, une indemnisation des différents préjudices relativement substantielle.

Il y a, certainement, une volonté implicite de prendre en compte les recettes publicitaires substantielles générées par la télé-réalité, et de procéder à une redistribution auprès des candidats qui, pour la plupart d'entre eux, ne tiraient finalement que bien peu d'avantages de leur télédiffusion.

La requalification des relations en contrat de travail emporte l'ensemble des conséquences habituelles qui seront présentées rapidement.

II. Les conséquences classiques d'une relation de travail salarié

  • Requalification en contrat de travail à durée indéterminée

L'article L. 122-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9625GQK) prévoit expressément que l'acte contractuel dépourvu de motif légal de recours au contrat de travail à durée déterminée est réputé être à durée indéterminée. La cour d'appel tire les conséquences logiques de ces dispositions et estime que le "règlement" de participation doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée. La société de production invoquait l'existence d'un contrat d'usage, puisque appartenant à un secteur pour lequel le pouvoir réglementaire avait prévu la possibilité de conclure des contrats à durée déterminée d'usage. Pour autant, la Cour de cassation, estimant classiquement que le contrat à durée déterminée d'usage doit comporter la mention du motif, et donc du fait qu'il constitue un contrat d'usage, la solution des juges d'appel paraît entièrement justifiée (10).

  • Indemnisation des heures supplémentaires

S'agissant du temps de travail, le contrat entre les parties stipulait que les participants ne faisaient pas l'objet d'un enregistrement permanent. Pourtant, les caméras permettaient de compter tous les faits et gestes des participants et d'enregistrer leurs paroles à tout instant. Les équipes de tournage étaient amenées à suivre les candidats en permanence et à les filmer à tout instant. Le juge en déduit que, pendant la durée du tournage, les candidats étaient "en permanence à la disposition de l'employeur de jour comme de nuit". La délimitation, relativement vague, de la prestation de travail opérée par le juge permettait, en effet, d'estimer que la simple présence des candidats sur l'île, alors qu'ils étaient filmés, constituait du travail effectif. La preuve de l'existence d'heures supplémentaires, qui répond aux conditions de l'article L. 212-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5837AC8), est donc rapportée.

Pour autant, il y aurait eu lieu de s'interroger sur d'autres règles relatives au temps de travail et, spécialement, aux temps de repos. Si les candidats demeuraient à la disposition permanente de l'employeur pendant douze jours, il était, dès lors, porté atteinte aux règles relatives au respect de temps de pause, de repos quotidien et de repos hebdomadaire (11).

Les candidats avaient demandé à ce que la Convention collective de travail des artistes-interprètes engagés dans des émissions de télévision leur soit applicable. Comme elle l'avait fait s'agissant de la présomption de l'article L. 762-1 du Code du travail, la cour d'appel refuse de faire application de ce texte, au motif que les candidats ne peuvent être considérés comme appartenant à cette profession.

La question était, pourtant, essentielle s'agissant de la détermination de la rémunération horaire des candidats-salariés et, partant, du paiement des heures supplémentaires. La cour d'appel se contente donc de calculer le taux horaires des salariés au vu de la somme de 1 525 euros qui leur était versée, sans, d'ailleurs, prendre en considération les avantages en nature, également, concédés.

  • Cessation des relations constitutives d'un licenciement abusif

Là encore, il n'y rien que des conséquences logiques de la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée. La cessation des relations contractuelles, au retour du voyage des participants, s'analyse comme un licenciement qui, à défaut de respect de la procédure imposée par le Code du travail, est irrégulier et abusif.

L'ensemble de ces conséquences permet aux candidats-salariés de bénéficier de coquettes indemnités, d'un montant supérieur à 25 000 euros. Cela reste, pourtant, relativement modeste au regard des recettes publicitaires de la real TV. Les avocats de la société de production ont, d'ores et déjà, fait s'avoir qu'ils avaient l'intention de former un pourvoi en cassation. Suite au prochain épisode !


(1) Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290, SA Ecole des Roches (N° Lexbase : A3665ABD), D. 1983. 381, concl. J. Cabannes, D. 1984, IR. 164, obs. J.- M. Béraud.
(2) Cass. soc., 19 décembre 2000, n° 98-40.572, M Labbane c/ Chambre syndicale des loueurs d'automobiles de place de 2ème classe de Paris Ile-de-France et autre (N° Lexbase : A2020AIN), D. 2001, IR. 355, RJS, 2001 203, n° 275, Dr. soc. 2001, p. 227, note A. Jeammaud ; Cass. soc., 25 octobre 2005, n° 01-45.147, M. Gérard Ravier c/ Société Sovetra, FS-P+B (N° Lexbase : A1443DLZ) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Requalification d'une société en participation ou l'application du principe "Participe qui peut et non qui veut", Lexbase Hebdo n° 189 du 10 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0520AKH), Bull. civ. V, n° 300, D., 2005, IR. 2898, ibid. 2006, Pan. 410, obs. E. Peskine, RJS, 2006 88, n° 62, Dr. soc. 2006, p. 94, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 27 juin 2007, n° 04-45.767, Société Gadal taxis c/ M. Amar Hamdani, F-D (N° Lexbase : A9371DWY) et nos obs., Les frontières encore floues du salariat, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7835BBS).
(3) L'expression est à mettre au crédit du Professeur Jeammaud, v. A. Jeammaud, L'avenir sauvegardé de la qualification de contrat de travail - A propos de l'arrêt Labanne, Dr. soc., 2001, p. 230. Le Professeur Radé, lui, préfère celle de "principe de réalisme", v. Ch. Radé, La figure du contrat dans le rapport de travail, Dr. soc. 2001, p. 803.
(4) Pour mémoire, sont considérés comme artistes du spectacle par l'article L. 762-1 du Code du travail "l'artiste lyrique, l'artiste dramatique, l'artiste chorégraphique, l'artiste de variétés, le musicien, le chansonnier, l'artiste de complément, le chef d'orchestre, l'arrangeur-orchestrateur et, pour l'exécution matérielle de sa conception artistique, le metteur en scène".
(5) Sur les critères du contrat de travail, v. V-P. Fieschi-Vivet, Les éléments constitutifs du contrat de travail, RJS 7/1991, p. 414 ; E. Dockès, La détermination de l'objet des obligations nées du contrat de travail, Dr. soc. 1997, p. 140 ; et Th. Revet, L'objet du contrat de travail, Dr. soc. 1992, p. 859.
(6) Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, Société générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne (N° Lexbase : A9731ABZ), RJS, 12/1996, n° 1320.
(7) V. Cass. soc., 8 février 1972, n° 71-40012, Société Neimeninger et Cie, Société Gottweiss et Neimendinger SA c/ Dame Michel, publié au bulletin, Cassation (N° Lexbase : A5636CGT).
(8) V., par ex., des hypothèses de requalification en contrat de travail de conventions de stage non rémunérées, Cass. soc., 27 octobre 1993, n° 90-42.620, M. Jean-Paul Naveau c/ Mlle Sylvie Dejardin (N° Lexbase : A9650ATL), Dr. soc., 1993, p. 960 ; Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-44.878, M. Roger Darrodes, F-D (N° Lexbase : A8549DPC) ; ou de bénévolat avec un simple remboursement des frais engagés, v. Cass. soc., 29 janvier 2002, n° 99-42.697, Association Croix rouge française c/ M. Roger Huon, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8606AXZ) et les obs. de S. Koleck-Desautel, Associations : la signature d'un contrat de bénévolat n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 10 du 14 février 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N1934AAU), Dr. soc., 2002, p. 499, obs. J. Savatier ; JCP éd. E, 2002, p. 52, note D. Boulmier.
(9) D. Cohen, L. Gamet, Loft-story : le jeu-travail : CJCE, 8 mars 2001, aff. C-215/99, Jauch, Dr. soc., 2001, p. 791 (CJCE, 8 mars 2001, aff. C-215/99, Friedrich Jauch c/ Pensionsversicherungsanstalt der Arbeiter N° Lexbase : A0284AWG).
(10) S'agissant des contrats à durée déterminée d'usage et du contenu de l'écrit, v. Cass. soc., 28 novembre 2006, n° 05-40.775, Mme Perrine Elissalde, F-P+B (N° Lexbase : A7843DSB) et les obs. de S. Martin-Cuenot, CDD d'usage : impérativité de l'écrit, Lexbase Hebdo n° 240 du 14 décembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3033A99) ; Cass. soc., 13 juin 2007, n° 05-45.377, Société Emi Music France, F-P (N° Lexbase : A7868DWC), lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Contrat de travail à durée déterminée : un écrit par contrat, Lexbase Hebdo n° 266 du 28 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N5923BBY).
(11) Pour le temps de pause, v. C. trav., art. L. 220-2 (N° Lexbase : L5873ACI), imposant vingt minutes de pause toutes les six heures, sauf disposition conventionnelle plus favorable ; pour le repos quotidien, v. C. trav., art. L. 220-1 (N° Lexbase : L4622DZ9), imposant un repos quotidien de onze heures, sauf disposition conventionnelle dérogatoire ; pour le repos hebdomadaire, v. C. trav., art. L. 221-2 (N° Lexbase : L5875ACL), prohibant le fait d'occuper un salarié plus de six jours par semaine. Le non-respect de ces dernières dispositions relatives au repos hebdomadaire est, d'ailleurs, constitutif d'une contravention de cinquième classe.
Décision

CA Paris, 18ème ch., sect. D, 12 février 2008, 3 arrêts, n° 07/02721, SA société Glem (N° Lexbase : A0261D7S) ; n° 07/02722 (N° Lexbase : A0260D7R) ; n° 07/02723 (N° Lexbase : A0250D7E)

Réformation, CPH Paris, 30 novembre 2005, 3 arrêts, n° 04/00618, Monsieur Arnaud Laize c/ Société Glem (N° Lexbase : A0715D7M) ; n° 04/00621, Monsieur Anthony Brocheton c/ Société Glem (N° Lexbase : A0716D7N) ; n° 04/00622, Madame Marie Adamiak c/ Société Glem (N° Lexbase : A0717D7P)

Mots-clés : Candidats à une émission de télé-réalité ; prestation de travail ; lien de subordination ; rémunération ; requalification ; contrat de travail à durée indéterminée ; inapplication de la convention collective des artistes interprètes ; paiement des heures supplémentaires ; licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; travail dissimulé.

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Social général

[Panorama] Panorama des arrêts inédits rendus par la Cour de cassation - Semaine du 3 mars 2008 au 7 mars 2008

Lecture: 4 min

N3962BEH

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Le 07 Octobre 2010

Retrouvez, chaque semaine, une sélection des arrêts inédits de la Cour de cassation, les plus pertinents, classés par thème.
  • Licenciement sans cause réelle et sérieuse/Appréciation des difficultés économiques d'une entreprise

- Cass. soc., 4 mars 2008, n° 06-45.002, Société Marcel Robbez-Masson (MRM), F-D (N° Lexbase : A3285D7S) : La cour d'appel, qui a constaté par motifs propres et adoptés, sans être tenue de répondre dans le détail à l'argumentation des parties, que l'activité de fabrication des alliances fait partie du même secteur d'activité que l'activité de bijouterie exercée par les autres sociétés du groupe, a pu en déduire que les difficultés économiques invoquées pour justifier la réorganisation de l'entreprise devaient être appréciées au niveau du groupe. Appréciant, ensuite, souverainement les éléments de fait et de preuve soumis à son examen, elle a constaté l'absence de difficultés économiques actuelles ou prévisibles rencontrées par ce groupe et a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision .

  • Action en réparation/Discrimination syndicale

- Cass. soc., 4 mars 2008, n° 06-44.846, Société Sanofi synthelabo France, F-D (N° Lexbase : A3284D7R) : L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale se prescrit par trente ans .

  • Différence de traitement

- Cass. soc., 4 mars 2008, n° 06-45.258, Société Smurfit Kappa, F-D (N° Lexbase : A3290D7Y) : La cour d'appel, qui a constaté qu'un salarié, après avoir connu une progression rapide à ses débuts, avait, à compter de l'exercice de ses premiers mandats, stagné au même coefficient durant trente ans et perçu un salaire régulièrement en dessous de la moyenne annuelle des salaires de sa catégorie, sans que l'employeur justifie par des éléments objectifs cette différence de traitement, a pu décider que l'intéressé avait fait l'objet d'une discrimination prohibée par l'article L. 412-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6327ACC). Dès lors, l'employeur, qui a soutenu devant la cour d'appel que l'augmentation de salaire dont avait bénéficié le salarié en 2003 s'expliquait par l'actualisation de la grille de classification de l'entreprise, n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à ses propres écritures .

  • Lettre de licenciement/Présomption d'innocence

Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-40.084, M. Jacques Dunan, F-D (N° Lexbase : A3370D7X) : Aucune disposition légale ne prévoit la nullité du licenciement, ni lorsqu'il est prononcé en méconnaissance des dispositions de l'article 8 du décret n° 59-1489 du 22 décembre 1959, portant réglementation des jeux dans les casinos des stations balnéaires, thermales, et climatiques, ni lorsque la lettre de licenciement mentionne des faits de nature à porter atteinte à la présomption d'innocence .

  • Plan de sauvegarde de l'emploi

- Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.477, Société TDA armements, F-D (N° Lexbase : A3291D7Z) : Le plan de sauvegarde de l'emploi doit comporter des mesures concrètes et précises, appréciées en fonction des moyens dont dispose l'entreprise et le groupe dont elle relève, pour faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne peut être évité. Il doit, notamment, indiquer le nombre, la nature et la localisation des emplois pouvant être proposés. Dès lors, ayant constaté que, si le plan de sauvegarde de l'emploi comportait, au titre des mesures d'accompagnement, l'engagement de proposer à chaque salarié, dont le poste était supprimé, au moins une offre d'emploi au sein des groupes dont relevait l'entreprise, il n'était pas justifié, malgré l'ampleur des moyens financiers de ces derniers et l'existence de possibilités de reclassement, de recherches pour recenser les emplois disponibles susceptibles de convenir aux catégories professionnelles énumérées dans le plan, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision .

  • Obligation de sécurité/Faute du salarié

- Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-42.435, Mme Yvette Pizzuti, F-D (N° Lexbase : A3276D7H) : La cour d'appel, qui a constaté que l'employeur, tenu à l'égard de sa salariée d'une obligation de sécurité, lui avait imposé le port d'un casque antibruit, en l'état des informations dont il disposait, à l'époque, sur son état de santé, a pu décider que le refus par celle-ci de se conformer à cette directive, en dépit d'un précédent avertissement, justifiait la sanction prise à son encontre, et que le refus de se soumettre à cette mesure présentait dès lors un caractère fautif. Cependant, eu égard à l'ancienneté de la salariée, la cour d'appel a pu décider que son comportement n'était pas de nature à rendre impossible le maintien du contrat de travail et ne constituait donc pas une faute grave .

  • Nombre de délégués syndicaux

- Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-60.032, Compagnie Corsair, FS-D (N° Lexbase : A3381D7D) : Si le nombre de délégués syndicaux, tel qu'il est fixé par la loi, peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes. Il s'ensuit que l'employeur, qui décide unilatéralement d'une telle augmentation, peut unilatéralement décider de revenir à l'application des textes légaux qui n'ont pas cessé d'être applicables, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés. Est régulière et ne méconnaît pas le principe d'égalité de traitement garanti par les articles 6 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), et 1 (N° Lexbase : L1365A9G), 5 (N° Lexbase : L1369A9L) et 6 (N° Lexbase : L1370A9M) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, la décision de l'employeur de s'opposer dorénavant à la désignation, par l'un quelconque des syndicats concernés, d'un délégué syndical tant que le nombre ne sera pas redescendu à celui fixé par la loi .

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Rel. individuelles de travail

[Le point sur...] Maladie non professionnelle et sort du contrat de travail

Lecture: 15 min

N3769BEC

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par Charlotte Figerou, Juriste en droit social

Le 07 Octobre 2010


Les entreprises doivent faire face, quotidiennement, à l'absentéisme des salariés malades. Que l'absence soit limitée à quelques heures ou qu'elle se prolonge sur plusieurs semaines, l'employeur doit être en mesure de limiter ses effets néfastes sur le fonctionnement de l'entreprise. La situation sera, de fait, différente selon la durée de l'absence. Or, devant le silence du législateur, la diversité des conventions collectives et une jurisprudence pour le moins fluctuante, l'incidence de la maladie non professionnelle sur le contrat de travail est complexe. Nous avons choisi, cette semaine, de faire le point sur cette question délicate.
1. La maladie de courte durée, cause de suspension du contrat de travail

En cas de maladie ou d'accident non professionnel, le contrat de travail de la victime n'est pas rompu, il est, d'abord, suspendu. La maladie du salarié doit être réelle, temporaire et être constatée par un médecin.

1.1. Obligation de prévenir l'employeur

Première obligation qui s'impose au salarié malade et absent de l'entreprise : informer son employeur de son absence dans un délai de 24 heures et fournir le certificat médical requis (Cass. soc., 25 janvier 1990, n° 89-43.651, Harkat c/ SARL Cetef Soultzmatt Industrie N° Lexbase : A2084AGB). Le manquement à cette obligation constitue, en théorie au moins, une cause de licenciement pour faute sérieuse. Cependant, l'employeur ne doit pas agir avec précipitation, au risque de se voir condamné par le conseil de prud'hommes. Le salarié est, également, tenu de prévenir son employeur de la prolongation de sa maladie à l'expiration de son congé maladie.

Le salarié devra se plier à des exigences parallèles effectuées à l'initiative de son employeur, comme, par exemple, rester à son domicile en cas d'envoi d'un contre-expert. En effet, le fait pour l'employeur de pouvoir procéder à une contre-visite est justifié dans la mesure où cela constitue la contrepartie de son engagement de verser les indemnités complémentaires (Cass. soc., 31 janvier 1995, n° 91-42.972, M. Claude, Roger Tristant c/ Société LCAB N° Lexbase : A2335AGL). Par suite, si le salarié est absent lors de la visite médicale de contrôle, l'employeur peut suspendre les indemnités complémentaires, sauf si l'absence est justifiée ou si les indications relatives aux autorisations d'absences sont imprécises (Cass. soc., 30 octobre 2000, n° 98-45.660, CNAVTS Sécurité sociale c/ M. Gérard Duserre N° Lexbase : A9815ATP).

En outre, l'employeur ne peut pas considérer que l'absence de justification du salarié sur son arrêt de travail pour fait de maladie constitue une volonté de sa part de démissionner de son poste de travail (Cass. soc., 29 mai 1990, n° 87-41.827, Mme Gil Martin, née Maria Gomez c/ Centre d'étude et de formation pédagogique N° Lexbase : A8295AGC).

1.2. Obligation vis-à-vis de la Sécurité sociale

Le salarié malade est tenu d'envoyer un certificat médical à sa Caisse dans les 48 heures, afin de lui permettre d'exercer son contrôle. A défaut, la Caisse lui enverra un avertissement. En outre, si dans les deux ans qui suivent, le salarié réitère ce comportement, ses indemnités journalières pourront être réduites à hauteur de 50 %. Le salarié est, également, tenu, vis-à-vis de la Sécurité sociale, de respecter ses heures de sortie inscrites sur le certificat médical (trois heures consécutives quotidiennes maximum de "sortie libre") (voir le décret n° 2007-1348 du 12 septembre 2007, relatif aux heures de sorties autorisées en cas d'arrêt de travail et modifiant le code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4568HYT). Le salarié malade devra, enfin, se soumettre, d'une part, aux contrôles médicaux diligentés par sa Caisse et, d'autre part, aux contrôles administratifs effectués par des agents assermentés des CPAM, chargés de s'assurer que les salariés malades sont bien en situation de repos.

1.3. Le respect de l'obligation de loyauté

Pendant la suspension de son contrat de travail, le salarié est tenu à une obligation de loyauté qui s'impose à lui-même si elle ne figure pas expressément dans son contrat. Elle doit être clairement distinguée de l'obligation de non-concurrence, laquelle ne prend effet qu'au moment de la rupture du contrat, et uniquement lorsque celui-ci contient une clause de non-concurrence. En outre, l'obligation de loyauté ne doit pas, non plus, être confondue avec la notion de concurrence déloyale.

Autrement dit, pendant la suspension de son contrat de travail, le salarié, dispensé de fournir sa prestation habituelle, ne peut pas utiliser son temps de repos pour s'adonner à une autre activité.

Selon la Haute juridiction, toutefois, l'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas, en lui-même, un manquement à l'obligation de loyauté (Cass. soc., 4 juin 2002, n° 00-40.894, FS-P+B+R N° Lexbase : A8561AYQ). Au fil de ses arrêts, la Cour de cassation a apprécié les activités du salarié effectuées au cours de son arrêt de travail pour savoir si elles constituaient, ou non, une atteinte à l'obligation de loyauté. Par exemple, la Cour a considéré qu'un salarié en arrêt maladie viole son obligation de loyauté envers son employeur pour avoir travaillé sur un chantier d'une maison avec des ouvriers sous ses ordres (Cass. soc., 21 juillet 1994, n° 93-40.554, M. Ziani c/ Société méridionale de travaux N° Lexbase : A1331ABW). Il en va de même du salarié qui, durant un arrêt de travail pour maladie, entreprend la réparation d'un véhicule pour son compte en faisant appel à un autre mécanicien de la société (Cass. soc., 21 octobre 2003, n° 01-43.943, F-P N° Lexbase : A9403C97).

En revanche, les juges semblent ne pas retenir la qualification d'acte de déloyauté quand le salarié exerce, durant la période de suspension pour arrêt maladie, une activité personnelle de faible importance, telle qu'une randonnée ou une brocante sur un marché aux puces un dimanche matin (Cass. soc., 26 janvier 1994, n° 92-40.090, Société Icare, société anonyme c/ M. Antoine Crozet N° Lexbase : A8865AHS ; Cass. soc., 21 mars 2000, n° 97-44.370, M. Marino c/ Société Semitag N° Lexbase : A6367AGW). Reste le célèbre cas du salarié qui, pendant son congé maladie, était parti en vacances en Yougoslavie et avait envoyé une carte postale à son employeur. La Cour de cassation avait, pourtant, estimé que le licenciement du salarié, pour ce motif, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'employeur ne pouvant se prévaloir d'aucun intérêt à agir (Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-41.558, M. Genovese c/ Société Ley's, publié N° Lexbase : A1965ABE).

1.4. La rémunération du salarié absent pour maladie

Aux termes de la loi du 19 janvier 1978 (loi n° 78-49 du 19 janvier 1978, relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle N° Lexbase : L1361AIA), en cas de maladie ou d'accident, le salarié en arrêt de travail perçoit des indemnités journalières de Sécurité sociale. A ces indemnités, peut s'ajouter un complément de salaire versé par l'employeur, notamment, si le salarié justifie de trois ans d'ancienneté dans l'entreprise ou l'établissement. Il perçoit 90 %, puis 66 % de la rémunération brute (y compris les indemnités journalières de la Sécurité sociale) qu'il aurait gagnée s'il avait continué à travailler, et ce, pour des durées qui varient selon son ancienneté. Des conventions ou accords collectifs peuvent prévoir une indemnisation plus avantageuse que l'indemnisation légale présentée ici. Il convient donc de consulter la convention ou l'accord applicable à l'entreprise.

Toute maladie, constatée par certificat médical, ouvre droit à indemnisation complémentaire dès lors que l'incapacité temporaire de travail est constatée, que le certificat médical a été transmis dans les 48 heures, que l'arrêt est pris en charge par la Sécurité sociale et, enfin, que les soins ont lieu dans l'un des pays de l'Union européenne. Rappelons, enfin, que si le salarié refuse le contrôle auquel l'employeur est en droit de faire procéder, l'employeur peut refuser de verser les indemnités complémentaires.

Les employeurs seront informés de la décision de suspendre le versement des indemnités journalières de Sécurité sociale prononcée par la caisse primaire d'assurance maladie à l'encontre des salariés qui ne respectent pas les obligations mises à leur charge pour les percevoir, notamment, celle de se soumettre à tout contrôle organisé par le service du contrôle médical de la CPAM.

1.5. Le cas du salarié en période d'essai

Par ailleurs, si le salarié malade est en période d'essai, alors cette dernière sera suspendue par la maladie. Elle est prolongée d'une durée égale à la durée de l'arrêt de travail (Cass. soc., 31 mars 1994, n° 90-40.204, Cortina c/ Dépêche du Midi N° Lexbase : A2189AG8). La Cour suprême a décidé, dans une espèce datant de 1996, que lorsque la période d'essai vient d'être renouvelée, puis le contrat suspendu pour maladie avant le début du renouvellement, l'employeur, qui rompt le contrat de travail en cours d'essai, agit avec une légèreté blâmable (Cass. soc., 18 juin 1996, n° 92-44.891, M. Climent c/ Société Conforama N° Lexbase : A2020AA3).

2. Maladies de longue durée ou à répétition et licenciement

Bien entendu, les règles énoncées ci-dessus, applicables aux salariés atteints de maladies de courtes durées, s'appliquent aux salariés victimes de longues maladies, ou de maladies à répétition. En revanche, et contrairement aux maladies brèves, les longues maladies posent de facto la question du maintien du salarié dans l'effectif de l'entreprise. De prime abord, le spectre de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) interdit à l'employeur de licencier un salarié en raison de sa maladie. Une telle mesure serait discriminatoire et donc frappée de nullité. Le salarié licencié dans de telles conditions est donc en droit de réintégrer son poste de travail s'il le souhaite.

Mais, si la maladie ne peut pas constituer, en elle-même, un motif de licenciement, en revanche, les conséquences qu'elle engendre peuvent, le cas échéant, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Ainsi, l'employeur n'est pas totalement démuni face à une telle situation. Il peut, à condition de respecter un ensemble de règles, se séparer d'un salarié dont l'absence prolongée ou répétée entraîne une perturbation du service. Il lui faudra démontrer que le nombre ou la durée des absences perturbe le fonctionnement de l'entreprise, mais aussi la nécessité pour lui de procéder au remplacement définitif du salarié. Il peut aussi se séparer du salarié malade si ce dernier ne respecte pas ses obligations.

Avant d'engager la procédure de licenciement, l'employeur doit impérativement consulter la convention collective applicable à la relation de travail. Celle-ci peut, en effet, comporter des restrictions au droit de licencier le salarié malade. Par exemple, la convention collective peut interdire le licenciement pour des absences inférieures à une durée fixée conventionnellement. Cela fera obstacle tout particulièrement au licenciement d'un salarié en raison d'absences répétées, si la dernière absence est d'une durée inférieure à cette durée minimale. Aussi, et surtout, beaucoup de conventions et accords collectifs prévoient des clauses de garantie d'emploi. Ces clauses sont de durées variables mais avoisinent, le plus souvent, 6 mois. Or, pendant ce laps de temps, l'employeur ne peut aucunement licencier. La seule issue pour lui est de recourir au CDD.

Il est important de souligner que l'employeur n'est nullement tenu de solliciter l'avis du médecin du travail pour procéder au licenciement du salarié malade.

2.1. Le licenciement du salarié pour non-respect de ses obligations

Ainsi que nous l'avons évoqué ci-dessus, le salarié qui enfreint un certain nombre d'obligations pourra valablement être licencié. Il en ira ainsi si le salarié n'informe pas son employeur de son état. Une telle abstention constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, d'autant plus si l'absence a été préjudiciable à l'entreprise (Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 87-41.713, Gomez c/ SARL Viseu N° Lexbase : A8897AHY). Il en va de même du salarié qui envoie un certificat médical antidaté afin de justifier son absence. Celui-ci se rend coupable de faute pouvant justifier un licenciement (Cass. soc., 12 février 1985, n° 82-42.983, Régie nationale des usines Renault c/ Anot N° Lexbase : A1715AB7).

Cependant, l'employeur doit rester prudent car, en principe, le retard dans l'information de la maladie du salarié ne justifie pas son licenciement. Ce dernier ne sera justifié que si la convention collective prévoit le respect d'un délai ou si l'attitude du salarié révèle sa mauvaise foi (Cass. soc., 25 mars 1998, n° 95-45.503, M. Gabriel Foschia c/ Société Berry levage manutention N° Lexbase : A8991AHH).

Ensuite, le salarié qui se rend coupable d'actes de déloyauté risque, également, une mesure de licenciement (voir ci-dessus).

2.2. Les conséquences de la maladie et la validité de la rupture du contrat de travail

Dès lors qu'il n'est pas motivé par l'état de santé du salarié mais par la situation objective de l'entreprise, dont le fonctionnement est perturbé par l'absence du salarié, le licenciement est justifié.

Il est, désormais, de jurisprudence classique que, "si l'article L. 122-45 du Code du travail fait interdiction de licencier un salarié, notamment, en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du Travail dans le cadre du titre IV du livre II de ce même Code, ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé, non pas par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement" (Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 97-43.484, Société La Parisienne assurances c/ M. Darcy et autre N° Lexbase : A3150ABB).

Le licenciement ne sera justifié que si la nécessité de procéder au remplacement définitif du salarié est rapportée (Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.187, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8472DD7).

Les juges de la Haute juridiction ont précisé, au fil des arrêts, cette notion de "remplacement définitif". Ce remplacement "définitif" suppose, d'abord, l'embauche d'un nouveau salarié sous contrat à durée indéterminée (Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-40.110, Mme Herbaut c/ Société Adressonord N° Lexbase : A9275ASC, Bull. civ. V, n° 84). Il en résulte que le recours à une entreprise prestataire de services ne peut caractériser le remplacement définitif d'un salarié (Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-44.251, FS-P+B N° Lexbase : A8190DYY).

Il apparaît, ensuite, que le remplacement définitif d'un salarié absent en raison d'une maladie ou d'un accident non professionnel doit intervenir dans un délai raisonnable après le licenciement (Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.156, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8471DD4 ; lire les obs. de N. Mingant, Licenciement du salarié malade et moment du "remplacement définitif", Lexbase Hebdo n° 144 du 25 novembre 2004 édition sociale N° Lexbase : N3636ABB). S'il est donc possible de ne remplacer le salarié malade qu'après qu'il ait été procédé à son licenciement, il convient, néanmoins, que le remplacement soit réalisé dans un délai raisonnable. Si tel n'est pas le cas, c'est que le remplacement définitif n'était pas nécessaire. Les juges apprécient souverainement et in concreto ce délai, en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement (voir, par exemple, Cass. soc., 14 mars 2007, n° 06-41.723, F-D N° Lexbase : A7561DUL). Par exemple, on imagine aisément que le recrutement d'un salarié sur un poste très "qualifié" ou très "spécifique" nécessite plus de temps qu'un recrutement sur un poste ne nécessitant pas de qualification particulière. Seront, également, prises en compte par les juges, pour apprécier ce délai raisonnable, les procédures de recrutement propres à chaque entreprise et dont on sait que certaines sont très longues. Au final, on comprend que le critère décisif n'est pas la "rapidité" du recrutement, mais les diligences accomplies par l'employeur pour y procéder, autrement dit sa bonne foi.

Sur la notion de remplacement "définitif", les juges de la Haute juridiction ont considéré, par exemple, un licenciement comme injustifié dès lors que la salariée malade avait été remplacée dans son poste par une promotion interne, sans constater si un salarié avait été embauché pour occuper les fonctions de la salariée remplaçante (Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-44.586, F-D N° Lexbase : A5713DDX). Par ailleurs, a décidé la Cour, les juges du fond ayant constaté que la situation géographique du lieu de travail empêchait de pourvoir temporairement au remplacement de la salariée par des contrats à durée déterminée, ils ont, par là même, caractérisé la nécessité d'un remplacement définitif (Cass. soc., 15 février 2006, n° 05-43.047, F-D N° Lexbase : A9945DMB).

C'est à l'employeur qu'incombe le soin de rapporter la preuve de ce qu'il a procédé au remplacement définitif du salarié, licencié en raison de son absence prolongée pour maladie, dans un délai raisonnable après son licenciement (Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-48.192, F-P sur le 1er moyen N° Lexbase : A3337DSE ; lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Licenciement d'un salarié malade, question de preuve, Lexbase Hebdo n° 238 du 30 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N2402A9T).

Très récemment, la Cour de cassation a, encore, précisé cette notion de "remplacement définitif", en décidant qu'engager une seule salariée selon un horaire de 61 heures par mois, soit la moitié du temps de travail de la salariée malade, ne constitue pas son remplacement définitif dans son emploi (Cass. soc., 6 février 2008, n° 06-44.389, FS-P+B N° Lexbase : A7265D4T ; lire les obs. de G. Auzero, Le remplacement définitif du salarié absent : nouvelles précisions de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 293 du 21 février 2008 - édition sociale N° Lexbase : N1875BE8). Ainsi, selon le professeur Auzero, "il ne suffit pas que l'employeur démontre avoir embauché un salarié en contrat à durée indéterminée pour remplacer celui qui était absent et dont le contrat a été rompu. Il faut encore que la durée du travail du nouveau salarié soit identique à celle du salarié remplacé. Cette exigence est logique et, partant, parfaitement justifiée. En effet, il ne peut être question de remplacement définitif et, surtout, nécessaire, du salarié malade, que si le ou les nouveaux salariés embauchés travaillent le même nombre d'heures que lui afin d'assumer sa charge de travail. On ne voit pas comment il pourrait être prétendu qu'un salarié engagé selon un horaire pour moitié inférieur à celui du salarié licencié remplace ce dernier à titre définitif !".

3. Les spécificités de la procédure de licenciement du salarié malade

L'employeur doit, dans tous les cas, respecter la procédure de licenciement. Il doit donc convoquer le salarié à un entretien préalable de licenciement, si possible pendant les heures de sorties autorisées (Cass. soc., 10 décembre 1992, n° 89-43.780, Société Rabadan c/ Palancioglu N° Lexbase : A8884AHI).

La Cour de cassation considère, par ailleurs, qu'est suffisamment motivée la lettre de licenciement qui mentionne la nécessité du remplacement du salarié absent en raison de son état de santé. Il appartient aux juges du fond de vérifier que ce remplacement est définitif (Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.187, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8472DD7 ; lire les obs. de Ch. Radé, Licenciement du salarié malade et motivation de la lettre de licenciement : une hirondelle fera-t-elle le printemps ?, Lexbase Hebdo n° 143 du 18 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3533ABH).

Avant cet arrêt, la Cour de cassation exigeait des entreprises qu'elles mentionnent dans la lettre de licenciement la nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié (Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-40.110, Mme Herbaut c/ Société Adressonord, publié N° Lexbase : A9275ASC ; Cass. soc., 5 juin 2001, n° 99-41.603, Société Imprimerie papeteries Sauvion-Champerret (IPS) c/ Mme Josette Morand, publié N° Lexbase : A5125AGW, Dr. soc. 2001, p. 1051, chron. J. Savatier). Ce temps est, aujourd'hui, révolu puisque, désormais, s'il appartient à l'employeur d'indiquer la nécessité dans laquelle il se trouve de pourvoir au remplacement du salarié, c'est au juge qu'il revient de vérifier que ce remplacement était définitif et de rechercher, dans le cadre des pouvoirs d'administration de la preuve, cette circonstance de fait particulière et de l'apprécier souverainement. Selon le Professeur Radé, cette solution est bienvenue puisqu'elle "assouplit incontestablement les exigences formelles qui semblaient peser, jusqu'à présent, sur les entreprises confrontées à la nécessité de remplacer un salarié absent pour cause de maladie". Cette solution constitue un allègement du formalisme pesant sur l'employeur.

Par ailleurs, le salarié malade et licencié doit percevoir son indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 87-43.243, Société Pasquet Mobilier de France et autre c/ Mme Mirale N° Lexbase : A1442AAN).

S'agissant de la question de l'indemnité compensatrice de préavis, en principe, lorsque la maladie empêche le salarié d'effectuer son préavis, l'employeur n'est pas redevable de l'indemnité compensatrice de préavis, sauf lorsqu'une clause d'une convention collective prévoit le contraire (Cass. soc., 9 octobre 1996, n° 93-43.587, Société Depoisier Gervex, société anonyme c/ M. Kouider Mihoubi N° Lexbase : A1615ABG).

Enfin, rappelons que, dès lors que l'employeur s'est fondé sur la maladie pour licencier le salarié, ce licenciement tombe sous le coup de la nullité. Le salarié peut, alors, solliciter sa réintégration dans son poste de travail, ou bien percevoir des indemnités (Cass. soc., 26 mai 2004, n° 02-41.325, F-P+B N° Lexbase : A2814DC9 ; lire les obs. de S. Martin Cuénot, Les effets de la nullité relative du licenciement prononcé en l'absence d'inaptitude régulièrement constatée Lexbase Hebdo n° 124 du 10 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1838ABP).

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