La lettre juridique n°297 du 20 mars 2008

La lettre juridique - Édition n°297

Éditorial

Maïeutique sous X : quand la Cour européenne marche sur des oeufs...

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N4432BEU

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


"Je gagne au jour la journée mon pain avec assez de peine, comment nourrirais-je une famille". Ces quelques mots de Rousseau écrits à Madame de Francueil, en 1751, sont, à la fois, ceux du père de la pédagogie et de l'approche sentimentale de l'enfant, à travers son Emile, ou de l'Education, et ceux d'un père ayant abandonné ses cinq enfants auprès des Hôtels-Dieu du XVIIIème siècle. C'est l'illustration même de toute la complexité d'appréhension associée à l'accouchement sous X et à l'abandon d'enfant.

Vieille tradition française, que chacun souhaiterait voir tomber dans l'obsolescence, remontant à Saint-Vincent de Paul, l'abandon organisé d'enfants nouveau-nés concerne, aujourd'hui encore, près de 600 femmes par an (contre 10 000 par an dans les années 70). Les deux tiers d'entre elles ont moins de vingt-cinq ans ; et la majorité de ces femmes est sans autonomie et sans ressources. Aujourd'hui, on dénombrerait plus de 400 000 personnes nées sous X en France.

Depuis l'ordonnance de 1556, relative à l'obligation de déclaration de naissance luttant contre les infanticides, jusqu'à la loi du 22 janvier 2002, relative à l'accès aux origines personnelles, en passant par le décret-loi du 2 septembre 1941, organisant la gratuité des frais d'hébergement des femmes accouchant anonymement et qui constitue le fondement actuel de l'accouchement sous X, seules deux aspirations étaient légitimement prises en considération : la volonté maternelle de ne pas reconnaître son enfant et d'être déchargée de sa responsabilité naturelle et la volonté de l'enfant de retrouver ses origines biologiques. C'est dans l'équilibre de ces deux aspirations que l'Etat et la jurisprudence ont organisé la procédure d'accouchement sous X et d'abandon inscrite aux articles L. 222-6 et suivants du Code de l'action sociale et des familles.

Pourtant, un troisième parti pourrait bien devoir être, également, pris en compte : celui de la mère accouchant sous X, abandonnant son enfant, mais souhaitant se rétracter -elle se heurte alors non pas à l'anonymat, mais à l'adoption éventuelle de son enfant-. C'est le cas de figure rencontré dans un arrêt du 6 avril 2004 rendu par la Cour de cassation et qui vient de connaître son épilogue auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme, dans un arrêt rendu le 10 janvier dernier, sur lequel revient, pour nous, cette semaine, Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université de Montesquieu Bordeaux IV. Sur le délai de rétractation légal de deux mois offert à la mère, la Cour considère qu'il s'agit là d'un délai raisonnable pour que cette dernière prenne conscience de son acte et que l'enfant puisse, au terme de ce délai, entamer une procédure d'adoption en qualité de pupille de l'Etat. Sur le consentement éclairé requis de la mère accouchant sous X, la Cour, contrairement à la Haute juridiction française, reconnaît le droit de la mère à être accompagnée et à bénéficier d'un soutien lui permettant de donner ce consentement éclairé. Mais, au cas d'espèce, la Cour précise que la procédure française d'abandon d'enfant garantit justement ce consentement.

Aux termes de l'article 7 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, "l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux". Mais, "la France n'a pas excédé sa marge d'appréciation qui doit lui être reconnue en raison du caractère complexe et délicat de la question qui soulève le secret des origines au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques, du lien familial". Et la Cour européenne de confirmer sa position soutenue précédemment dans l'arrêt "Odièvre" du 13 février 2003.

Sous la Révolution, la Convention avait ainsi disposé qu'"il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine de la mère et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour qui durera jusqu'à ce qu'elle soit parfaitement rétablie de ses couches. Le secret le plus inviolable sera conservé sur tout ce qui la concerne". La solution laissait assurément le temps aux mères, en péril social, de revenir sur leurs décisions lourdes d'abandonner leurs enfants, au prix d'une reconstruction psychologique dépassant, malheureusement mais nécessairement,... deux mois.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] La soumission à la TVA des indemnités transactionnelles

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 14 janvier 2008, n° 297221, Société Cuzet (N° Lexbase : A1122D4C)

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N4476BEI

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 14 janvier 2008, le Conseil d'Etat a offert un nouvel exemple de la démarche qu'il entreprend lorsqu'il s'agit de déterminer si une indemnité est imposable à la TVA. Cette démarche mêle un critère général (l'existence d'un lien direct entre l'indemnité versée et un éventuel service rendu) issu du droit communautaire à un examen très minutieux du cadre juridique et économique dans lequel s'effectue le versement de l'indemnité en cause. En l'espèce, le Conseil d'Etat a jugé que l'indemnité forfaitaire transactionnelle versée par le maître d'ouvrage à une entreprise de travaux créancière du promoteur défaillant devait être regardée comme la rémunération des travaux de l'entreprise et devait donc être soumise à la TVA. La solution peut paraître à première vue constructive eu égard à l'absence de lien contractuel entre le maître d'ouvrage et l'entreprise mais un examen plus attentif révèle qu'elle ne l'est pas tant que cela puisque la somme versée à cette dernière avait bien eu pour but de rémunérer les travaux qu'elle avait effectués et qu'en outre le maître de l'ouvrage avait repris les obligations contractuelles que le promoteur avait envers l'ensemble des entreprises, dont la requérante. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là d'une décision d'espèce comme le sont, d'ailleurs, la plupart des décisions relatives à l'assujettissement des indemnités à la TVA : il y a, en effet, presque autant de régimes d'assujettissement à la TVA des indemnités qu'il y a d'indemnités. 1. Si l'application du critère du lien direct pouvait sembler malaisée eu égard à la spécificité des contrats de promotion immobilière...

1.1. La décision du 14 janvier 2008 confirme la pertinence du critère général du lien direct pour déterminer la qualification d'une indemnité au regard de la TVA

1.1.1. Origine et définition du critère du lien direct

Pendant de nombreuses années, le Conseil d'Etat a estimé que les indemnités perçues par un assujetti dans le cadre de ses relations contractuelles devaient être soumises à la TVA, dès lors qu'elles avaient pour objet de compenser des préjudices commerciaux courant et correspondant à des aléas normaux inhérents à la profession du bénéficiaire. L'article 2 § 1 de la 6ème Directive-TVA du 17 mai 1977 (N° Lexbase : L9279AU9) a cependant prévu de soumettre à la TVA "les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel". C'est cet article qui a été transposé à l'article 256-I du CGI (N° Lexbase : L6774HWS). Selon la jurisprudence communautaire, relève de la TVA une prestation à titre onéreux, s'il y a un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur perçue (CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86, Apple and Pear Development Council, N° Lexbase : A7336AH8, RJF, 1988, n° 970). Cette condition est remplie si le service est individualisé, c'est-à-dire rendu directement à un bénéficiaire déterminé et s'il existe une relation nécessaire entre le niveau des avantages retirés par le bénéficiaire du service et la contre-valeur qu'il verse au prestataire. Par une décision en date du 29 juillet 1998 (CE Contentieux, 29 juillet 1998, n° 146333, SNC GEFIROUTE N° Lexbase : A7896ASA, RJF, 1998, n° 926, BDCF, 1998, n° 81, conclusions Loloum), le Conseil d'Etat a, pour la première fois, fait application de la jurisprudence communautaire issue de la 6ème Directive en abandonnant, comme critère d'assujettissement à la TVA, la théorie des préjudices commerciaux courants et des aléas normaux de la profession pour s'attacher à vérifier s'il existe ou non un lien direct entre le versement de la somme et une prestation de services nettement individualisable fournie par le bénéficiaire du versement à la personne qui l'effectue : imposition dans l'affirmative, absence d'imposition dans le cas contraire.

Au total, pour être soumise à la TVA, une recette doit représenter la contrepartie d'un service individualisé en rapport avec le prix payé, ce qui suppose que soient cumulativement caractérisées une prestation individualisable accomplie au profit de la personne assurant le versement et une relation d'équivalence entre l'avantage retiré par le bénéficiaire et la contrepartie versée au prestataire. Etant ainsi envisagé comme le prolongement de la notion de contrepartie, le lien direct se trouve caractérisé dès l'instant que l'indemnité vise à rémunérer une prestation à laquelle le bénéficiaire s'est engagé. C'est donc la cause de l'indemnité (son but ou sa raison d'être) que le juge recherche pour déterminer si elle doit ou non être soumise à la TVA. S'il existe une relation d'équivalence entre l'indemnité et la prestation promise (si l'une est l'équivalent économique de l'autre), il faut alors conclure à l'existence entre l'une et l'autre d'un lien direct. Soulignons, à cet égard, que cette équivalence est une équivalence subjective, c'est-à-dire qu'il suffit que le montant de l'indemnité corresponde à la valeur de la prestation telle qu'elle a été évaluée par les parties : il ne s'agit donc pas d'une équivalence objective qui imposerait que le montant de l'indemnité fût égal à la valeur objective de la prestation. Par ailleurs, la taxation de l'indemnité est indépendante de la source de cette indemnité : que celle-ci ait été prévue par la loi, par un contrat ou encore qu'elle ait été fixée par un juge est sans influence sur sa taxation dans la mesure où sa fonction rémunératrice ne dépend nullement de sa source.

1.1.2. Une critère dont l'application a donné lieu à des solutions diverses selon l'objet des indemnités en cause

L'application du critère du lien direct par le juge de l'impôt illustre l'impossibilité de donner une définition générale et synthétique de l'indemnité. Ce terme regroupe, en effet, des situations économiques et juridiques très diverses qui ne permettent en aucun cas de dégager un régime général de l'assujettissement à la TVA des indemnités. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a jugé que ne pouvait être soumise à la TVA l'indemnité d'assurance versée en cas de perte ou de destruction d'un véhicule donné en location longue durée au bailleur dans la mesure où cette indemnité avait pour objet de dédommager ce dernier de l'inexécution par le locataire de son obligation de restituer le bien loué en fin de location. De manière plus générale, ce sont toutes les indemnités d'assurance qui échappent à la TVA (CE Contentieux, 18 mars 1988, n° 66891, SA Fruehauf-Finance-France N° Lexbase : A6594APW, RJF, 1988, n° 581). Par ailleurs, les indemnités qui ont pour objet de réparer un préjudice, notamment le préjudice subi du fait de la résiliation unilatérale du contrat, ne sont pas assujetties à la TVA (CE 3° et 8° s-s-r., 28 mai 2004, n° 250817, Société Magneti Marelli France N° Lexbase : A2955DCG, RJF, 2004, n° 916). En revanche, lorsqu'elle constitue en réalité la contrepartie directe et la rémunération d'une prestation individualisable, l'indemnité doit être soumise à la TVA : c'est ce qu'a jugé le Conseil à propos d'une indemnité rémunérant un service rendu sous la forme d'une réservation d'une capacité de production adaptée aux besoins du client (CE Contentieux, 15 décembre 2000, n° 194696, Société Polyclad Europe N° Lexbase : A1468AI9, RJF, 2001, n° 293, BDCF, 2001, n° 36, conclusions Goulard).

La jurisprudence relative aux indemnités rejoint en fait la jurisprudence relative aux subventions. En effet, toute subvention ne correspondant pas à des prestations de service individualisées échappe à la TVA (CE Contentieux, 10 juillet 1991, n° 61575, CCI de Perpignan et des Pyrénées Orientales N° Lexbase : A8982AQQ, RJF, 1991, n° 1215 ; CE Contentieux, 20 mars 1996, n° 139062, SARL Informations Juives N° Lexbase : A8117ANX, RJF, 1996, n° 567).

Au fond, le juge est amené en permanence à requalifier ce que les parties ont dénommé "indemnité" et, sur ce point, seul un examen de l'économie générale du contrat et plus généralement des relations contractuelles peut lui permettre de cerner la réalité économique de l'indemnité en cause.

1.2. La spécificité des contrats de promotion immobilière

1.2.1. Les faits de l'espèce

Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 14 janvier 2008, un promoteur immobilier, la société PH, avait conclu avec plusieurs sociétés immobilières pour le commerce et l'industrie (SICOMI) des contrats de crédit-bail immobilier pour le financement de la construction d'ensemble hôteliers. Parallèlement à ces contrats, les SICOMI avaient conclu avec la société PH des contrats de promotion immobilière. Un premier lien contractuel existait, donc, entre le promoteur et les SICOMI qui étaient les maîtres d'ouvrage. Un second lien contractuel existait, en outre, entre le promoteur et diverses entreprises, dont l'entreprise requérante chargée de réaliser des travaux de plomberie. Cependant, le promoteur avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire alors qu'il n'avait pas réglé l'intégralité de ses dettes.

Les créanciers avaient engagé des actions en paiement et en responsabilité pour faute auprès des SICOMI maîtres d'ouvrage. Ces actions s'étaient conclues par un accord transactionnel prévoyant le versement par les SICOMI au groupement de créanciers d'une indemnité forfaitaire moyennant le désistement réciproque de toutes les actions engagées. Cette somme avait été répartie entre les créanciers selon des modalités qu'ils avaient eux-mêmes déterminées. La société Cuzet avait ainsi perçu environ 22 % de sa créance hors taxe demeurée impayée, portant à 70 % le règlement des travaux qu'elle avait réalisés.

Il appartenait, donc, au Conseil d'Etat de rechercher si la somme reçue des maîtres d'ouvrage par l'entreprise prestataire et qualifiée d'indemnité par cette dernière, avait un lien direct avec les travaux effectués par celle-ci en exécution du marché passé avec le promoteur défaillant et a conclu à l'existence d'un tel lien. Ce constat n'était pas évident car le lien direct implique, en principe, une relation directe entre la prestation fournie et la somme perçue, qui résulte le plus souvent d'un lien contractuel. Or, il n'existait initialement aucun lien contractuel direct et immédiat entre les SICOMI maîtres d'ouvrage et les entrepreneurs de travaux. Pour admettre l'existence d'un lien direct entre les travaux et l'indemnité, le Conseil d'Etat s'est attaché à l'analyse juridique du contrat de promotion immobilière.

1.2.2. Le contrat de promotion immobilière ne lie a priori que le promoteur et le maître de l'ouvrage

Le maître de l'ouvrage peut choisir de contracter avec un promoteur immobilier lorsqu'il souhaite éviter de prendre la responsabilité du choix des constructeurs, pour éviter de procéder avec eux à toutes les opérations juridiques, administratives et financières nécessaires à la réalisation de l'ouvrage ou encore tout simplement pour éviter d'avoir à établir le programme. Le contrat de promotion immobilière est un "mandat mélangé de louage d'ouvrage" (Malinvaud et Jestaz). Le promoteur est, en effet, investi d'un mandat d'intérêt commun selon l'article 1831-1 du Code civil (N° Lexbase : L1996ABK) (cf. Cass. civ. 3, 8 mars 1977, Delmotte es qualité c/ Société Decelle et Kieb, JCP 1978 II, n° 18945, note Meysson), c'est-à-dire qu'il agit au nom et pour le compte du maître d'ouvrage.

L'article 1831-1 du Code civil (repris à l'article L. 222-1 du CCH N° Lexbase : L7269ABT) définit donc le contrat de promotion immobilière comme un mandat d'intérêt commun par lequel une personne s'oblige envers le maître de l'ouvrage à faire procéder, pour un prix convenu, au moyen de contrats de louage d'ouvrage, à la réalisation d'un programme de construction d'un ou plusieurs édifices ainsi qu'à procéder elle-même ou à faire procéder, moyennant une rémunération convenue, à tout ou partie des opérations juridiques, administratives et financières concourant au même objet. Ce texte permet de mettre en exergue les deux critères du contrat.

Le contrat de promotion immobilière nécessite, en premier lieu, la réalisation d'un programme de construction d'un ou plusieurs édifices. Le promoteur doit donc faire construire pour le compte de quelqu'un. La réalisation de l'édifice doit, de surcroît, être faite pour le compte du maître d'ouvrage. Le promoteur doit donc faire réaliser lui-même faute de quoi il n'y aurait pas contrat de promotion.

Le promoteur doit, en second lieu, procéder lui-même ou faire procéder, moyennant une rémunération convenue, à tout ou partie des opérations juridiques, administratives et financières. Celui qui réaliserait les seules opérations matérielles de construction sans s'occuper de l'aspect administratif et financier jouerait un rôle s'apparentant davantage à celui d'un maître d'ouvrage délégué qu'à celui d'un véritable promoteur. En réalité, les deux critères présentent des aspects liés car l'obligation de passer des contrats de louage d'ouvrage pour mener à bien la construction implique de procéder à des opérations juridiques. De surcroît, la notion de rémunération du promoteur sera, pour l'essentiel, justifiée par de telles activités.

Dans la décision du 14 janvier 2008, le Conseil a recherché si la somme reçue des maîtres d'ouvrage par la requérante et qualifiée par celle-ci d'indemnité avait un lien direct avec les travaux effectués par elle en exécution du marché qu'elle avait passé avec le promoteur. Le Conseil d'Etat s'est à cet égard appuyé sur les dispositions de l'article 1831-2 du Code civil (N° Lexbase : L1997ABL), selon lesquelles "le maître d'ouvrage est tenu d'exécuter les engagements contractés en son nom par le promoteur en vertu des pouvoirs que celui-ci tient de la loi ou de la convention", dispositions qu'il a donc fait prévaloir sur la qualification donnée par les parties (les SICOMI et la société requérante) à l'indemnité versée à la société requérante. En fait, le Conseil a recherché l'origine de cette indemnité, au sens à la fois personnel et matériel du terme. En effet, il a estimé que cette indemnité avait pour origine le promoteur (plus exactement le contrat conclu entre celui-ci et l'entreprise requérante) et qu'elle avait pour origine non pas la réparation du préjudice subi par la requérante, mais la rémunération des travaux effectués par celle-ci.

2. ... le Conseil d'Etat a retenu une interprétation souple et dynamique de ce lien qui ne vaut cependant que pour ces types de contrats

2.1. Une interprétation souple et dynamique du critère du lien direct qui manifeste néanmoins la nécessité d'un lien contractuel entre le débiteur de l'indemnité et son créancier

2.1.1. Une interprétation souple

Le Conseil d'Etat a fait prévaloir une interprétation souple du critère du lien direct. Cette souplesse se vérifie particulièrement en ce qui concerne les modalités de calcul et de paiement de l'indemnité en cause. Il faut, en effet, souligner que cette indemnité transactionnelle avait pour but non seulement de rémunérer les entreprises qui n'avaient pu être rémunérées par le promoteur mais aussi de clore les actions en responsabilité pour faute engagées par celles-ci à l'encontre des SICOMI en prévoyant l'abandon des procédures ouvertes sur ce fondement. Toutefois, les sommes effectivement versées en application de cette transaction n'incluaient pas la réparation des préjudices résultant d'une éventuelle faute des SICOMI. L'on peut estimer que, dans le cas contraire, l'indemnité aurait pu échapper à la TVA.

Le Conseil d'Etat a également retenu une interprétation souple de la notion de prestation de services individualisable puisqu'il a considéré que ce critère pouvait être rempli même lorsque l'indemnité en cause avait été versée en contrepartie des travaux effectués par plusieurs autres entreprises et qu'il s'agissait donc d'une indemnité globale devant, ensuite, être répartie entre toutes les entreprises. C'est dire qu'une indemnité doit être assujettie à la TVA même si son montant représente la somme de plusieurs prestations individualisables. Plus généralement, le caractère forfaitaire de l'indemnité ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit regardée comme la rémunération d'une prestation dispensée à son bénéficiaire. Cela est d'ailleurs cohérent avec le principe selon lequel la nécessaire (pour qu'il y ait taxation à la TVA) relation d'équivalence entre l'indemnité et la prestation promise n'impose nullement que le montant de l'indemnité soit égal à la valeur objective de la prestation. Le Conseil d'Etat a ainsi écarté de façon explicite toute interrogation sur le montant de la réparation pécuniaire au regard de sa qualification de recette commerciale (CE Contentieux, 8 juin 1983, n° 27750, Pelletier, RJF, 1983, n° 956).

2.1.2. Une interprétation dynamique

Le Conseil d'Etat a également fait prévaloir une approche dynamique du critère du lien direct. En effet, en relevant qu'aucun lien contractuel n'existait "initialement" entre les entreprises, dont la requérante, et les SICOMI maîtres d'ouvrage, il a implicitement affirmé que ce lien contractuel avait ensuite été consacré par la substitution des maîtres d'ouvrage au promoteur défaillant "pour l'exécution de ses obligations contractuelles". En bref, les SICOMI ont repris les engagements qui figuraient dans le contrat conclu entre les SICOMI et la société requérante et, ce faisant, elles sont devenues ses cocontractantes. Le Conseil d'Etat ne s'arrête donc pas à une lecture statique des liens contractuels, à savoir celle qui consisterait à s'arrêter à l'identité des signataires du contrat, mais il privilégie une approche dynamique tenant compte de l'évolution de la situation des contractants.

Ainsi, en application de l'article 1831-2 du Code civil, le maître d'ouvrage est tenu à une obligation légale de paiement du prix des travaux réalisés par les entreprises cocontractantes du promoteur défaillant dès lors qu'en cours d'exécution des prestations effectuées par ces dernières, il (le maître d'ouvrage) s'est substitué à ce promoteur. Il faut, donc, insister sur le fait que la décision du 14 janvier 2008 confirme la nécessité de l'existence d'un lien juridique entre le débiteur et le créancier de l'indemnité pour que celle-ci puisse être regardée comme représentative d'une prestation fournie par le second. En d'autres termes et en l'espèce, l'existence d'un lien juridique entre la société requérante et les SICOMI maîtres d'ouvrage était nécessaire pour que l'indemnité versée par les secondes à la première (et à d'autres entreprises) pût être considérée comme un versement opéré en contrepartie d'une opération qu'elles rémunéraient, à savoir comme un versement opéré en contrepartie des travaux effectués par la société requérante. Plus précisément, il s'avère que ce lien juridique doit être contractuel et c'est toute la subtilité de la décision du 14 janvier 2008 de s'appuyer sur la spécificité des contrats de promotion immobilière pour affirmer l'existence d'un lien contractuel entre le maître d'ouvrage et les entreprises constructrices dès lors que le promoteur avec lequel celles-ci avaient initialement contracté s'avère défaillant et que le maître de l'ouvrage reprend en conséquence ses obligations contractuelles.

La solution dégagée par le Conseil d'Etat est, à cet égard, conforme à la jurisprudence communautaire selon laquelle la notion de prestation à titre onéreux suppose l'existence d'un "rapport juridique au cours duquel des prestations de services sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire" (CJCE, 3 mars 1994, aff. C-16/93, R. J. Tolsma c/ Inspecteur der Omzetbelasting Leeuwarden N° Lexbase : A7246AHT, RJF, 1994, n° 759). Dans ses conclusions sous cet arrêt, l'Avocat général Carl Otto Lenz affirmait, ainsi, que "le fondement du système communautaire de TVA réside dans une convention portant sur un échange de prestations-livraison ou prestations de services d'une part, contrepartie, d'autre part, réciproques". L'on voit donc que le lien direct indispensable à l'assujettissement à la TVA d'une indemnité est à la fois et, si l'on peut dire, indissolublement, économique (l'indemnité devant être versée en contrepartie d'une prestation effectuée par celui qui la perçoit pour le compte de celui qui la verse) et juridique (le versement de cette indemnité devant intervenir dans le cadre de relations contractuelles).

2.2. Une solution d'espèce qui ne vaut que pour les contrats de promotion immobilière

2.2.1. Une solution d'espèce qui confirme l'approche pragmatique du Conseil d'Etat en matière de taxation des indemnités

Dans la décision du 14 janvier 2008 comme dans les précédentes décisions relatives à la soumission à la TVA des indemnités, le Conseil d'Etat n'a fait, ni plus ni moins, qu'appliquer sa méthode habituelle, qui consiste à examiner au cas par cas l'économie des relations contractuelles dont il a à connaître. L'analyse à laquelle il procède ne prétend pas avoir une valeur qui dépasse le cas de l'espèce : elle s'attache seulement à déceler la réalité des rapports entre les parties au contrat sur la base de stipulations qui ne sont pas toujours claires et qui, assez fréquemment, donnent aux éléments qui les constituent des qualifications très éloignées de la réalité, qu'il revient au juge de corriger. Dans les cas limites, la lecture que celui-ci retient n'est certainement pas la seule susceptible d'être mise en oeuvre. Chaque décision doit donc être regardée comme tranchant un litige particulier.

2.2.2. Une solution qui ne vaut que pour les contrats de promotion immobilière

La solution adoptée par le Conseil d'Etat est donc fondée, nous l'avons vu, sur la spécificité du contrat de promotion immobilière. Il s'agit, donc, d'une solution d'espèce qui n'a pas vocation à s'appliquer, notamment, aux indemnités perçues dans le cadre de l'assurance crédit "insolvabilité" que le Conseil d'Etat, on le rappelle, a regardées comme des sommes non taxables (CE Contentieux, 18 mars 1988, n° 66891, précité).

Cette solution ne remet pas en cause non plus le caractère non taxable des indemnités de résiliation unilatérale du contrat qui ont pour seul but de réparer le préjudice subi du fait de cette résiliation.

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté

Lecture: 13 min

N4524BEB

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouve, au premier plan de cette actualité, une décision rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 mars 2008, portant sur l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée. Une décision d'un grand intérêt a, également, été rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation ce même jour, qui vient préciser le régime du courrier de contestation de créances, et, plus particulièrement, l'exigence d'une proposition exprès de la part du représentant des créanciers.
  • Les conséquences de l'application erronée des règles de la liquidation judiciaire simplifiée (Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-10.033, Société civile immobilière (SCI) Babiole, FS-P+B N° Lexbase : A3304D7I)

L'une des innovations importantes de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT) tient à la création d'une liquidation judiciaire simplifiée. Le constat avait été fait de la longueur excessive des procédures collectives. L'idée qui a, ici, inspiré le législateur a été d'adapter à la faiblesse des actifs, exclusivement mobiliers au demeurant, donc a priori faciles à réaliser, et pour des entreprises de petite taille, une procédure de liquidation permettant, dans un délai raisonnable, de réaliser l'actif, de payer les créanciers et de mettre fin à l'activité du débiteur, afin de lui permettre d'exercer à nouveau sa capacité d'entreprendre, si le tribunal n'estime pas nécessaire de prononcer à son encontre une mesure emportant interdiction de gérer (1).

Il y a place à liquidation judiciaire simplifiée sous trois conditions cumulatives, énoncées par l'article L. 641-2, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L4045HBG) : l'absence de bien immobilier à réaliser, le non dépassement d'un certain nombre de salariés au cours des six mois précédant l'ouverture de la procédure collective, fixé à 5 par l'article 223 du décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3297HET), aujourd'hui codifié dans le Code de commerce à l'article R. 641-10 (N° Lexbase : L1038HZH), et le non dépassement d'un certain chiffre d'affaires, fixé à 5 000 000 d'euros par ce même décret.

Si ces conditions sont réunies, l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée est-elle obligatoire ou, simplement, facultative ? La lettre de la loi laisse la porte ouverte aux deux interprétations, puisque l'article L. 641-2, alinéa 1er, du Code de commerce indique que cette procédure "est applicable". Lors des travaux parlementaires préparatoires à la loi de sauvegarde, il a été dit qu'il ne s'agirait, pour le tribunal, que d'une faculté (2). En outre, comme cela a été, justement, relevé par un auteur (3), l'article L. 644-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3947HBS) indique que "par dérogation aux dispositions de l'article L. 642-19 (N° Lexbase : L3926HBZ), lorsque le tribunal décide de l'application du présent chapitre, il détermine les biens du débiteur pouvant faire l'objet d'une vente de gré à gré". Le tribunal aurait, donc, le pouvoir de décider d'appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée. En outre, le tribunal, à tout moment, peut décider de revenir aux règles générales de la liquidation judiciaire, ce qui rendait curieux le caractère obligatoire de l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée (4). C'est, donc, logiquement, dans le sens du caractère facultatif, que la Cour de cassation, saisie pour avis, s'est prononcée (5), après qu'une circulaire se fut identiquement positionnée, en indiquant que la juridiction "en apprécie souverainement l'opportunité" (6).

Il est, en tout cas, certain, que, si l'une des conditions d'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée fait défaut, le tribunal ne peut décider de faire application de ces règles. Soit. Mais, que se passe-t-il si, néanmoins, le tribunal s'affranchit des règles légales posées par l'article L. 641-2, alinéa 1er, du Code de commerce ? C'est à cette question, évidemment inédite, que répond l'arrêt de la Cour de cassation ici commenté.

En l'espèce, une SCI est déclarée en liquidation judiciaire et, au cours de l'année 2005, la procédure est clôturée, pour extinction du passif exigible. Quatre mois plus tard, sur demande de son liquidateur amiable -liquidateur au sens du droit des sociétés et non liquidateur judiciaire- le tribunal est saisi d'une déclaration de cessation des paiements et ouvre une procédure de liquidation judiciaire simplifiée. La société interjette appel, en faisant observer une violation flagrante de la loi, en ce que les règles de la liquidation judiciaire simplifiée avaient été appliquées à un débiteur propriétaire d'un appartement, donc, d'un actif immobilier. La cour d'appel va confirmer le jugement, décidant d'appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée. La société va, alors, se pourvoir en cassation. La Cour de cassation va rejeter le pourvoi, en relevant que "si la décision qui statue sur l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire est susceptible d'appel ou de pourvoi en cassation en application de l'article L. 661-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4167HBX), l'exercice de la faculté par le tribunal ou la cour d'appel d'appliquer à la procédure les règles de la liquidation judiciaire simplifiée est une mesure d'administration non susceptible de recours ; le moyen qui critique l'arrêt uniquement en ce qu'il a pris une telle décision est irrecevable".

La solution ne pouvait, à la vérité, depuis le décret n° 2006-1709 du 23 décembre 2006 (N° Lexbase : L9070HT4), modifiant le décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, prêter à discussion. En effet, l'article R. 644-1, alinéa 2, du Code de commerce ([LXB=L1134HZZ ]), issu de la rédaction que lui a donnée le décret du 23 décembre 2006, dispose que "cette décision -qui décide de faire application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée- est une mesure d'administration judiciaire non susceptible de recours". Pareille décision ne peut, donc, être l'objet d'un quelconque recours de qui que ce soit.

La Cour de cassation n'a pas visé l'article R. 644-1, alinéa 2, du Code de commerce, pour justifier sa solution. Il est vrai qu'à la date à laquelle la cour d'appel a statué (19 octobre 2006), la disposition résultant de ce texte n'existait pas encore. Il apparaît, ainsi, que l'article R. 644-1, alinéa 2, est une disposition interprétative, ne faisant que préciser une solution sous-jacente dans les textes.

La précaution de style prise par la Cour de cassation mérite, toutefois, la plus grande attention. Si elle pose en règle que la décision d'appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée n'est pas susceptible de recours, elle prévoit, tout de même, qu'il n'en est ainsi que parce que le moyen invoqué au pourvoi se bornait à critiquer l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée. C'est par là, nous semble-t-il, permettre d'exercer un recours, si des conséquences précises sont tirées de l'impossibilité d'appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée. Et cela se conçoit aisément. Mais, encore faut-il que des conséquences manifestement incompatibles avec l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée puissent apparaître. Quelles pourraient-elles être ?

En cas de vente d'un immeuble grevé d'une sûreté, la vente du bien, qui peut intervenir aux enchères ou de gré à gré, deux voies praticables en liquidation judiciaire simplifiée, conduit à une procédure de distribution du prix de l'immeuble, nouvelle dénomination de la procédure d'ordre. Or, cette procédure nous semble parfaitement inconciliable avec les règles de la liquidation judiciaire simplifiée. En effet, si les règles de cette dernière sont appliquées, après réalisation des actifs, le liquidateur doit établir un projet de répartition du prix de vente de ces actifs, qui n'est pas identique à ce qui est prévu dans la procédure de distribution du prix de vente d'un immeuble. Les contestations qui s'élèveraient à la suite de ce projet de répartition n'ont strictement rien à voir avec la contestation dans le cadre d'une procédure de distribution du prix de vente de l'immeuble. Ainsi, on le voit, des conséquences précises peuvent s'évincer de la décision d'appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée, qui sont bien inconciliables avec la présence d'un immeuble dans les actifs à réaliser. Dès lors, on peut comprendre que, bien que qualifiée de décision d'administration judiciaire, le jugement du tribunal qui décide d'appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée puisse générer un contentieux.

La décision sera, évidemment, comme l'énonce la Cour de cassation, non susceptible de recours en tant que telle. En revanche, la Cour de cassation laisse la porte ouverte si le plaideur démontre que l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée conduit à rendre impossible le corps de règles normalement applicables à la situation envisagée.

Il importe, également, de remarquer que le tribunal qui a décidé, en ouvrant la procédure de liquidation judiciaire, de faire application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée, n'a pas respecté la règle de droit qui oblige le liquidateur à établir un rapport, dans le mois du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, pour déterminer s'il y a, ou non, lieu à application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée (C. com., art. R. 644-1, anc. décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, art. 312). Le tribunal ne pouvait, donc, appliquer immédiatement à un jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, les règles de la liquidation judiciaire simplifiée.

Cette possibilité d'appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée dès le jugement de liquidation judiciaire a, ensuite, été reconnue par un avis de la Cour de cassation (7). Mais, le pouvoir réglementaire a entendu réagir contre cette interprétation souple de la Cour de cassation et a modifié, à l'occasion du décret n° 2006-1709 du 23 décembre 2006, l'article 312 du décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005. Il résulte, désormais, clairement du texte que, en cas de liquidation judiciaire immédiate, le tribunal ne pourra statuer qu'au vu du rapport du liquidateur, ce qui conduit à décider que deux décisions doivent intervenir.

Observons, également, que la possibilité de faire application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée, qui sera généralement prise par le tribunal, peut également l'être, comme l'énonce ici la Cour de cassation, par la cour d'appel.

La liquidation judiciaire est source d'un certain nombre de complications, ce qui est paradoxal s'agissant d'une procédure dite simplifiée. Et c'est pourquoi, il est à peu près certain que les règles de la liquidation judiciaire seront remaniées, lorsqu'il sera question, en 2009, de réformer la réforme.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe)

  • Précision sur le contenu du courrier de contestation de créance : l'exigence d'une proposition exprès du représentant des créanciers (Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-11.189, F-D N° Lexbase : A3319D73)

Une fois que le créancier a adressé sa déclaration de créances au représentant des créanciers, devenu, depuis la loi n° 2005-845 de sauvegarde des entreprises, le mandataire judiciaire, ou au liquidateur, une phase d'instruction préparatoire comparable à une mesure d'instruction s'ouvre : celle de la vérification des créances. Elle est l'oeuvre du mandataire de justice, qui reçoit l'assistance du débiteur, de l'administrateur, si celui-ci a reçu mission d'administration, et les observations des contrôleurs.

Dans le cadre de la vérification des créances, si une discussion s'élève sur tout ou partie d'une créance autre que salariale, le représentant des créanciers en avise le créancier intéressé en l'invitant à faire connaître ses explications. Ces dispositions de l'article L. 622-27 du Code de commerce (N° Lexbase : L3747HBE), intéressant la procédure de sauvegarde, sont, également, applicables en redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-14-I N° Lexbase : L4025HBP) et en liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-3, alinéa 2 N° Lexbase : L4046HBH).

A compter de la réception de la contestation, le créancier dispose, alors, d'un délai de trente jours pour répondre. S'il répond dans ce délai, et, qu'en dépit des explications fournies, le mandataire maintient la contestation, le créancier sera obligatoirement convoqué à une audience de contestation devant le juge-commissaire, lequel rendra une ordonnance statuant sur la créance. Dans la négative, c'est-à-dire, si le créancier se garde de répondre, ou répond après expiration du délai de réponse imparti, la sanction qui atteint le créancier intervient sur le terrain procédural : le greffier du tribunal n'aura pas l'obligation de convoquer le créancier à l'audience des créances contestées (8). Le créancier se trouve, ainsi, exclu du débat sur la créance, puisqu'il ne pourra plus assurer sa défense. En outre, "le défaut de réponse dans le délai de trente jours interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire" (C. com., art. L. 622-27), sanction confirmée par l'article L. 624-3, alinéa 2 (N° Lexbase : L3982HB4), précisant que "le créancier dont la créance est discutée en tout ou en partie et qui n'a pas répondu au mandataire judiciaire dans le délai mentionné à l'article L. 622-27 (anc. art. L. 621-47 N° Lexbase : L6899AID) ne peut pas exercer de recours contre la décision du juge-commissaire lorsque celle-ci confirme la proposition du mandataire judiciaire".

Pour qu'une telle sanction intervienne, encore faut-il que le courrier de contestation adressé par le mandataire judiciaire puisse, effectivement, valoir contestation au sens de la loi. La question est importante, puisque le défaut d'une mention obligatoire rendra le courrier impropre à la qualification de véritable contestation de créance. Le Code de commerce prévoit, de manière explicite, le contenu du courrier de contestation. Selon l'article L. 624-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3757HBR), qui ne fait que reprendre l'article 72, alinéa 3, du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L9117AGR), applicable sous l'empire de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L7852AGW), le courrier de contestation doit mentionner l'objet de la discussion, indiquer le montant de la créance dont l'inscription est proposée et rappeler les dispositions de l'article L. 622-27. Une jurisprudence fournie est venue préciser les caractéristiques du courrier de contestation de créance. Le respect de ces mentions constitue une condition sine qua non pour que la qualification de contestation, au sens du Code de commerce, puisse être reconnue. Au rang des éléments devant impérativement être contenus dans le courrier de contestation, figurent l'objet de la contestation, le rappel des dispositions de l'article L. 622-27, et, enfin, l'indication du montant de la créance dont l'inscription est proposée. L'absence de l'une de ces indications, par exemple l'omission du rappel du délai de réponse imparti au créancier ou la sanction du défaut de réponse (9), entraîne l'irrégularité de la contestation et, partant, l'impossibilité pour le délai de trente jours de courir. Dans l'arrêt commenté, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 mars 2008, la mention obligatoire dont il est discuté est celle de la proposition du représentant des créanciers.

Dans l'espèce rapportée, rendue sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, un banquier avait déclaré sa créance, à la suite du prononcé du redressement judiciaire de ses débiteurs. Le représentant des créanciers avait adressé au créancier un courrier de contestation et l'avait invité à former ses observations dans le délai de trente jours. Le créancier n'avait pas répondu dans le délai imparti. Cependant, se prévalant d'une irrégularité de la contestation, il avait fait juger par le juge-commissaire que le délai de trente jours n'avait pas couru. Un arrêt de la cour d'appel (10) était, ensuite, rendu, confirmant l'ordonnance du juge-commissaire, laquelle avait invité le représentant des créanciers à aviser le créancier de la contestation de la créance, en précisant le montant pour lequel l'inscription était proposée.

En l'espèce, le corps du courrier de contestation ne comportait pas l'indication du montant de la créance litigieuse pour lequel le représentant des créanciers entendait proposer l'inscription. Le courrier du représentant des créanciers (désormais, le mandataire judiciaire, depuis la loi de sauvegarde des entreprises) comportait, simplement, en annexe, des éléments de contestation élevés par les débiteurs, sans que le représentant des créanciers ait pris le soin de préciser sa proposition. Se pourvoyant en cassation, les débiteurs soutenaient que l'annexe du courrier du représentant des créanciers mentionnait le montant de la créance dont l'inscription était proposée, de sorte que, le courrier valant contestation de créance, le délai de réponse de 30 jours avait effectivement couru. Les débiteurs estimaient, en effet, que le représentant des créanciers avait, nécessairement, fait siens les documents et le montant des créances annexées, tout comme le montant des créances dont l'inscription avait été proposée. La question était, donc, de savoir, lorsque le représentant des créanciers relaye une contestation de créances des débiteurs, s'il faut que le montant de l'admission proposée soit indiqué dans le courrier de contestation lui-même, établi par le mandataire, ou s'il suffit qu'un montant soit indiqué en annexe, en l'occurrence, dans le courrier émanant des débiteurs.

En rejetant le pourvoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond, clairement, que le courrier de contestation de créances établi par le mandataire doit comporter le montant de la proposition d'admission. Il ne saurait être opéré par renvoi implicite au courrier de contestation des débiteurs, annexé au courrier du représentant des créanciers. Les choses sont, donc, parfaitement claires : pour valoir contestation, la lettre doit contenir la proposition de rejet total ou partiel (11), sur la base de laquelle le juge-commissaire sera en mesure de confirmer ou non la proposition de rejet émanant du mandataire de justice.

Il a, certes, été précédemment jugé que le courrier de contestation pouvait se contenter de viser le courrier du débiteur, contestant la créance pour des motifs précis, dès lors que ce courrier est annexé à la lettre recommandée envoyée par le mandataire de justice (12). Cela suppose, cependant, qu'un renvoi explicite soit effectué par le courrier de contestation à l'annexe de celui-ci. En l'espèce, il semble qu'un tel renvoi explicite n'ait pas été opéré, le mandataire n'ayant pas indiqué qu'il faisait sienne la proposition des débiteurs tendant à ce que la créance ne soit admise que pour partie. Le mécanisme prévu par le texte nécessite l'existence d'une proposition émanant du mandataire. En effet, le texte prévoit qu'en cas de défaut de réponse, la sanction est constituée par l'impossibilité pour le créancier d'exercer une voie de recours à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire qui confirmerait la proposition du mandataire judiciaire. On aperçoit bien que, pour que cette sanction existe, il faut, nécessairement, qu'une proposition de rejet ou d'admission de la créance soit formulée par le mandataire de justice. En conséquence, le courrier de contestation de créances ne peut valoir contestation, si aucune proposition explicite n'est formulée par le mandataire et, en tout cas, ne peut ouvrir la sanction procédurale de la privation du droit d'appel à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire, puisque cette sanction présuppose une confirmation pure et simple par le juge-commissaire de la proposition d'admission ou de rejet émanant du mandataire de justice.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences des Universités, Directrice du Master 2 droit de la banque de la faculté de Toulon


(1) Exposé des motifs, loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, p. 2.
(2) Rapport de J.-J. Hyest, n° 335, p. 366.
(3) A. Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté, 1ère éd., Delmas, 2006, n° 2202.
(4) F. Pérochon, La liquidation judiciaire simplifiée, Rev. proc. coll., 2006/2, p. 191 et suiv., sp., p. 197, n° 29 - Adde Vallasan, 4ème éd., n° 398.
(5) Avis du 10 juillet 2006, n° 00-60.008, Bull., Avis, n° 5 ; lire nos obs., La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 228 du 6 septembre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N2919ALP) ; D., 2006, AJ, p. 2032, obs. A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2006/4, p. 22, note M. Sénéchal ; JCP éd. E, 2006, n° 379, p. 1510, note Ph. Roussel Galle ; JCP éd. E, 2007, chron. 1004, p. 21, n° 6, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., 2006/3, p. 254, n° 3, obs. Ph. Roussel Galle.
(6) Circ. min., n° CIV 2006-02, du 9 janvier 2006, relative aux mesures législatives et réglementaires applicables de la loi de sauvegarde des entreprises applicables aux procédures en cours, NOR JUSC0620008C (N° Lexbase : L3711HP7), JCP éd. E, 2006, n° 1306.
(7) Avis du 10 juillet 2006, n° 00-60.008 précité et réf. précitées.
(8) Voir Cass. com., 28 mars 2000, n° 97-21.593, Caisse fédérale de Crédit mutuel du Sud-Ouest c/ M. Jean-Claude Picoulet (N° Lexbase : A4595A4X) ; Act. proc. coll., 2000 /11, n° 132.
(9) Voir Cass. com., 5 décembre 1995, n° 93-18.803, Epoux Reigner c/ Société Gestel et autre (N° Lexbase : A1275ABT) ; Bull. civ. IV, n° 282 ; Dr. sociétés, 1996, n° 35, obs. Y. Chaput ; JCP éd. E, 1996, I, 554, n° 16, obs. Ph. Pétel.
(10) CA Fort-de-France, 27 octobre 2006.
(11) Voir, également, en ce sens, Cass. com., 20 juin 2000, n° 97-17.857, Pierre Beaunieux et autres c/ Société industrielle pour l'agriculture moderne (SIAM) (N° Lexbase : A2634AZL) ; Act. proc. coll., 2000/14, n° 180, obs. J. Vallansan ; RD Banc. et fin., 2000/4, n° 158, obs. F.-X. Lucas ; CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 3 décembre 2003, RD Banc. et fin., 2000/4, p. 253, n° 171, obs. F.-X. Lucas ; CA Nancy, 24 février 2004, RD Banc. et fin., 2000/4, p. 253, n° 171, obs. F.-X. Lucas.
(12) Voir Cass. com., 10 mars 2004, n° 00-21.358, Société Abbey national France c/ M. Dominique Thirion, F-D (N° Lexbase : A5894DBW).

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Le consentement de la femme qui accouche sous X doit être libre et éclairé

Réf. : CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04, Kearns c/ France (N° Lexbase : A2492D3P)

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N4397BEL

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Alors que la plupart des affaires relatives à l'accouchement sous X opposaient le droit de la mère à garder l'anonymat au droit de l'enfant de connaître ses origines, l'arrêt "Kearns c/ France", rendu le 10 janvier 2008 par la Cour européenne des droits de l'Homme, concerne la possibilité pour la femme de revenir sur sa décision d'abandonner son enfant après avoir accouché sous X. Une fois encore (1), la Cour européenne des droits de l'Homme valide le système français de l'accouchement anonyme tel qu'il résulte de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002, relative à l'accès aux origines personnelles (N° Lexbase : L1434AWZ). Selon les juges européens, "le délai [de rétractation] prévu par la législation française vise à atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisants entre les intérêts en cause" et la requérante a été suffisamment informée des conditions dans lesquelles elle pouvait reprendre son enfant. Vice de consentement. L'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme est l'épilogue d'une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation abondamment critiqué. Dans un arrêt du 6 avril 2004 (2), la Cour de cassation avait, en effet, considéré que la jeune femme irlandaise, venue accoucher en France de manière anonyme, ne pouvait invoquer un vice du consentement pour remettre en cause la remise de son enfant à l'aide sociale à l'enfance plus de deux mois après la naissance. La Cour avait affirmé qu'"en l'absence de reconnaissance, la filiation n'était pas établie de sorte que le consentement de Mme [K.] n'avait pas à être constaté lors de la remise de l'enfant au service de l'aide sociale l'enfance".

Droit au respect de la vie familiale. Devant la Cour européenne des droits de l'Homme, madame K. se fonde sur le droit à la vie familiale et soutient d'une part que le délai de rétractation lui permettant de revenir sur l'abandon de son enfant était trop court (I), d'autre part, qu'elle n'avait pas été suffisamment informée des modalités de restitution de son enfant (II).

I - Le délai de rétractation

Madame K. soutenait que le délai de rétractation de deux mois prévu par le deuxième alinéa de l'article L. 224-6 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5362DKS) constitue une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie familiale. Ce texte dispose que "dans un délai de deux mois suivant la date à laquelle il a été déclaré pupille de l'Etat à titre provisoire [au moment où il est recueilli par le service de l'aide sociale à l'enfance], l'enfant peut être repris immédiatement et sans aucune formalité par celui de ses père ou mère qui l'avait confié au service". Au-delà de ce délai de deux mois, la demande de restitution de l'enfant par son parent est recevable mais soumise à l'appréciation du tuteur de l'enfant. En pratique, l'enfant né sous X est rapidement placé en vue de son adoption et la volonté tardive de la mère de reprendre son enfant est le plus souvent vouée à l'échec (3).

Intérêt supérieur de l'enfant. Pour la plupart des auteurs, la protection du consentement de la mère pour abandonner son enfant dans le cadre de l'accouchement sous X était très insuffisante, surtout si on la compare à celle dont elle bénéficie dans le cadre de l'adoption ou avec les garanties qui entourent la déclaration judiciaire d'abandon de l'article 350 du Code civil (N° Lexbase : L8900G9I) (4). La Cour européenne des droits de l'Homme estime pourtant que, parmi les différents intérêts en présence dans le cadre de l'accouchement sous X, c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit primer. L'argument opposé par le Gouvernement français, selon lequel la brièveté du délai permet à l'enfant de bénéficier rapidement de relations affectives stables au sein d'une nouvelle famille et de s'inscrire dans une filiation, a emporté la conviction des juges européens, la diversité des législations européennes en matière de rétractation du consentement des parents à l'abandon ou à l'adoption de leur enfant permettant, par ailleurs, à la France de disposer d'une large marge d'appréciation en la matière. La Cour européenne considère ainsi que "si le délai de deux mois peut sembler bref, il paraît néanmoins suffisant pour que la mère biologique ait le temps de réfléchir et de remettre en cause le choix d'abandonner l'enfant".

II - L'information de la mère

Nécessité du consentement. La requérante soutenait, également, que les autorités françaises n'ont pas pris toutes les dispositions pour qu'elle comprenne exactement la portée de ses actes. Ce faisant, elle tentait de démontrer qu'en réalité son consentement n'avait pas été suffisamment éclairé. Cet argument avait été balayé par la Cour de cassation qui avait considéré, de manière sans doute excessive, que le consentement à l'abandon de son enfant par la femme ayant accouché sous X n'est pas nécessaire puisqu'aucun lien de filiation n'est établi. La Cour européenne ne semble pas faire la même analyse. En procédant à un examen minutieux de l'information reçue par la requérante dans les jours qui ont suivi son accouchement, elle établit, au contraire, la nécessité de s'assurer du caractère éclairé du consentement de la femme. Pour la Cour européenne, le droit à la vie familiale, applicable en l'espèce, peut être atteint alors même qu'aucun lien de filiation n'a été établi entre l'enfant et son parent biologique. Le raisonnement de la Cour de cassation paraît ainsi condamné par l'arrêt "Kearns".

Caractère éclairé du consentement. Toutefois, la Cour européenne considère que, en l'espèce, le droit au respect de la vie familiale de la requérante n'a pas été violé parce qu'elle a reçu une information suffisante et détaillée, aussi complète que possible, sur les conséquences de son choix d'accoucher sous X, ainsi que sur les délais et les modalités pour rétracter son consentement. La Cour constate, notamment, que la requérante, certes de nationalité étrangère, était accompagnée de sa mère et d'un avocat, qu'elle a bénéficié d'une assistance linguistique non prévue par les textes (5), qu'elle s'est entretenue à deux reprises avec les représentants des services sociaux après son accouchement. La requérante a, également, reçu les documents prévus par la loi du 22 janvier 2002 et le décret n° 2002-781 du 3 mai 2002 ([LXB=PANIER]) qui informent la mère de la date à laquelle sa décision d'abandon sera définitive et des modalités concrètes de sa rétractation. Le décret prévoit même que le document d'information émanant du Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP), qui précise les délais et conditions de restitution de l'enfant, est accompagné d'un modèle de lettre de demande de restitution de l'enfant. La Cour conclut de ces éléments que "dès lors, aucune ambiguïté ne pouvait subsister dans l'esprit de la requérante sur le délai dont elle bénéficiait pour réclamer la restitution de sa fille".


(1) La Cour européenne a déjà admis la conformité de l'accouchement sous X au droit à la vie privé dans l'arrêt "Odièvre c/ France" : CEDH, 13 février 2003, Req. 42326/98, Odièvre (N° Lexbase : A9676A47), JCP éd. G, 2003, I, 120, étude P. Malaurie, JCP éd. G, 2003, II, 10049, obs. A. Gouttenoire et F. Sudre ; RTDCiv., 2003, p. 276, obs. J. Hauser et p. 375 obs. J.-P. Marguénaud.
(2) Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 03-19.026, Préfet du Nord, ès qualités de tuteur de l'enfant Ella, Karen, Isabel, née le 18 février 2002 c/ Mme Karen Kearns, épouse Taher, FS-P (N° Lexbase : A8479DBN), AJFamille, 2004, p. 241, obs. F. Bicheron, RTDCiv., 2004, p. 242, obs. J. Hauser ; Dr. fam., 2004, comm. n° 120, obs. P. Murat, RTDSanit et soc., 2004, p. 691, note F. Moneger, D., 2005, pan. p. 1748 obs. F. Granet.
(3) J. Massip, La remise de l'enfant à l'aide sociale en cas d'accouchement anonyme, D., 1997, p. 587.
(4) D. Fenouillet et F. Terré, Droit civil, Les personnes, la famille, les incapacités, Précis Dalloz, 2005, 7ème éd., n° 736.
(5) La Cour est d'avis que l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) ne saurait s'interpréter comme exigeant des autorités, dans un tel cas, qu'elles assurent la présence d'un interprète qualifié.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Convention de reclassement personnalisé et contestation du motif économique de la rupture du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-41.964, M. Dominique Benard, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3379D7B)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

La convention de reclassement personnalisé (CRP) permet au salarié visé par une procédure de licenciement pour motif économique, dans une entreprise de moins de 1 000 salariés, de bénéficier d'un ensemble de mesures permettant un reclassement personnalisé, qui se traduit par un accompagnement individualisé de 8 mois ; par le versement d'une allocation spécifique de reclassement de 8 mois, s'il remplit une condition d'ancienneté de 2 ans dans la même entreprise, à défaut d'une allocation égale au montant et à la durée de l'allocation d'aide au retour à l'emploi ; par le versement d'une indemnité différentielle de reclassement à certains bénéficiaires qui reprennent un emploi salarié dont la rémunération est inférieure d'au moins 15 % par rapport à la rémunération de l'emploi précédent. La Cour de cassation vient, pour la première fois, dans un arrêt du 5 mars dernier, de se prononcer sur une question déjà posée à propos des dispositifs qui lui étaient antérieurs, notamment, la convention de conversion, à savoir si l'acceptation par le salarié d'une CRP peut lui interdire de contester le motif économique de son licenciement.
Résumé
Si l'adhésion du salarié à une convention de reclassement personnalisé entraîne une rupture qui est réputée intervenir d'un commun accord, elle ne le prive pas de la possibilité d'en contester le motif économique.

Le dispositif de la convention de reclassement personnalisé du 27 avril 2005, entré en vigueur depuis le 31 mai 2005, a fait l'objet d'une abondante production normative (1) et de quelques arrêts marquants (ainsi, par exemple, le dispositif avait été censuré par le Conseil d'Etat, en 2007 (2)).

La CRP s'inscrit dans un ensemble riche et complexe de mesures financées par le régime d'assurance chômage, destinées à aider les chômeurs dans leur démarche de retour vers l'emploi : aide à la validation des acquis de l'expérience, aides à la formation, aides incitatives au contrat de professionnalisation, aide à l'insertion durable des salariés en contrat à durée déterminée, aide à l'insertion durable des salariés en situation de chômage saisonnier, incitations à la reprise d'un emploi par le cumul d'une allocation d'aide au retour à l'emploi avec une rémunération, aide différentielle de reclassement, aide dégressive à l'employeur, aide à la création ou à la reprise d'entreprise et, enfin, aide à la mobilité (3). L'ensemble est d'une particulière complexité : dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, le dispositif du Pare-anticipé (4) a été remplacé par la convention de reclassement personnalisé, proche de l'ancienne convention de conversion (supprimée par la convention d'assurance chômage du 1er juillet 2001 (N° Lexbase : L4594AQ9).

Dans l'arrêt rapporté, M. B., engagé le 1er janvier 1984 en qualité d'aide magasinier, a été licencié pour motif économique le 11 août 2005. Il a adhéré à la convention de reclassement personnalisé qui lui avait été proposée lors de l'entretien préalable. Il a, ensuite, saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de son licenciement. Pour débouter le salarié de l'ensemble de ses prétentions, la cour d'appel de Douai a retenu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 321-4-2 du Code du travail (N° Lexbase : L7855HBK) que le contrat de travail est rompu d'un commun accord par l'effet de son consentement à la convention de reclassement personnalisé et que l'intéressé n'est, dès lors, plus fondé à contester le caractère économique du licenciement (CA Douai, 23 février 2007, n° 06/01057, M. Dominique Benard c/ SARL Auto self service N° Lexbase : A4413DUY). La Cour de cassation, dans son arrêt du 5 mars, décide, au contraire, que, si l'adhésion du salarié à une convention de reclassement personnalisé entraîne une rupture qui est réputée intervenir d'un commun accord, elle ne le prive pas de la possibilité d'en contester le motif économique.

I - Arguments contre la reconnaissance d'un droit du salarié adhérent à une convention de reclassement personnalisé à contester le motif économique de la rupture du contrat de travail

A - Convention de reclassement personnalisé

Une jurisprudence (très minoritaire) soutient que le salarié qui accepte une convention de reclassement personnalisé ne peut contester le motif économique de la rupture. En effet, le contrat de travail du salarié est réputé rompu d'un commun accord par l'effet de son seul consentement à la convention en cause. Il appartient au salarié de justifier en quoi son consentement a été vicié par l'attitude de l'employeur, dont la bonne foi reste présumée. En l'espèce, la cour d'appel de Douai a relevé que le salarié ne saurait se prévaloir du fait que le délai de réflexion qui lui a été accordé a été insuffisant pour lui permettre d'apprécier la légitimité du caractère économique de la rupture du contrat de travail, dès lors qu'il disposait d'un délai suffisant de réflexion de 14 jours pour lui permettre d'apprécier la situation de l'entreprise et la validité du licenciement en cause. Pour les juges du fond, le salarié n'est donc plus fondé à contester le caractère économique du licenciement.

Dans l'espèce rapportée, les juges du fond avaient retenu la même solution. Comme nous l'avons déjà souligné, pour débouter le salarié de l'ensemble de ses prétentions, l'arrêt retient qu'il résulte des dispositions de l'article L. 321-4-2 du Code du travail, que le contrat de travail est rompu d'un commun accord par l'effet de son consentement à la convention de reclassement personnalisé et que l'intéressé n'est, dès lors, plus fondé à contester le caractère économique du licenciement.

Enfin, dans une troisième affaire, l'employeur avait (sans succès) invoqué ce même argument (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 22 mars 2007, n° 06/09060, M. Jean-Claude Poupon et autres N° Lexbase : A9970DXK). Selon l'employeur, la convention de reclassement personnalisé place expressément ce mode de rupture sous le régime de la rupture d'un commun accord et n'oblige nullement l'employeur à adresser au salarié une lettre précisant les motifs de la rupture. S'agissant, ainsi, d'une rupture amiable excluant l'application des règles afférentes au licenciement économique, elle n'avait pas, en conséquence, à motiver la rupture résultant de l'acceptation d'une convention de reclassement personnalisé par le salarié et celui-ci n'est pas recevable à contester le motif de la rupture, ni à revendiquer le bénéfice des dispositions propres au licenciement économique et les obligations corrélatives de l'employeur en matière de reclassement et de priorité de réembauchage. Le régime de la convention de conversion, aujourd'hui supprimé, ne serait pas applicable à la convention de reclassement personnalisé.

Le mécanisme de la rupture du contrat de travail par convention de conversion, dans le cadre d'une procédure de licenciement économique, était encadré par l'article L. 321-6 du Code du travail (N° Lexbase : L6117ACK) alors en vigueur. Ainsi, l'alinéa 3 de ce texte prévoyait que le contrat de travail d'un salarié, ayant accepté de bénéficier d'une convention de conversion visée à l'article L. 322-3 du même code (N° Lexbase : L0962DPC) et proposée à l'initiative de l'employeur, [soit] rompu du fait du commun accord des parties. L'alinéa suivant prévoyait les modalités de cette rupture, celle-ci prenant effet à l'expiration du délai de réponse de 21 jours dont dispose le salarié, sauf si l'employeur et le salarié conviennent de poursuivre le contrat de travail pour une durée maximale de deux mois à compter de cette date.

B - Convention AS-FNE (préretraite totale)

A titre comparatif, il faut relever que la Cour de cassation a retenu cette solution, s'agissant des conventions de préretraite totale. A moins d'établir une fraude de leur employeur ou l'existence d'un vice du consentement, les salariés licenciés pour motif économique, qui ont personnellement adhéré à la convention passée entre leur employeur et l'Etat, laquelle, compte tenu de leur classement dans la catégorie des salariés non susceptibles d'un reclassement, leur assure le versement d'une allocation spéciale jusqu'au jour de leur retraite, ne peuvent remettre en discussion la régularité et la légitimité de la rupture de leur contrat de travail (Cass. soc., 27 janvier 1994, n° 90-46.034, Société Pomona c/ M. Leclerc et autres N° Lexbase : A0469ABY, Bull. civ. V, n° 33, p. 22).

Les salariés ordinaires ne peuvent plus contester la régularité (la légitimité) du licenciement en cas d'adhésion à un dispositif tel que l'AS-FNE (Cass. soc., 27 janvier 1994, n° 90-46.034, Société Pomona c/ M. Leclerc et autres, publié N° Lexbase : A0469ABY ; Cass. soc., 14 octobre 1997, n° 95-40.599, Mme Nicole Pruvost c/ Association Fontainebleau Loisirs et Culture (FLC), inédit N° Lexbase : A8367AYK ; Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-42.636, Société Raynier et Marchetti c/ M. Belaïd Amoura, FS-P+B N° Lexbase : A4890AZ7 : à moins d'établir une fraude de leur employeur ou l'existence d'un vice du consentement, les salariés licenciés pour motif économique, qui ont personnellement adhéré à la convention passée entre leur employeur et l'Etat, laquelle, compte tenu de leur classement dans la catégorie des salariés non susceptibles d'un reclassement, leur assure le versement d'une allocation spéciale jusqu'au jour de leur retraite, ne peuvent remettre en discussion la régularité et la légitimité de la rupture de leur contrat de travail même dans le cas où la convention leur a été proposée dans le cadre d'un plan social dont ils entendent contester la validité ; Cass. soc., 30 avril 2003, n° 01-41.171, M. Gérard Vallois c/ Société Compaq Computer, FS-D N° Lexbase : A7572BSA) (5).

En revanche, l'adhésion d'un salarié licencié pour motif économique à une convention de préretraite FNE, lorsqu'elle est postérieure au licenciement, n'a pas pour effet d'annuler celui-ci, en sorte que le contrat de travail a bien été résilié par l'employeur : il appartient, alors, aux juges d'examiner le bien-fondé du licenciement. La Cour de cassation refuse le principe selon lequel, quel que soit le moment auquel intervient l'adhésion à la convention AS-FNE, celle-ci rend impossible toute contestation du motif économique du licenciement (Cass. soc., 20 novembre 2002, n° 00-46.758, F-D N° Lexbase : A0602A43).

II - Arguments pour la reconnaissance d'un droit du salarié adhérent à une convention de reclassement personnalisé à contester le motif économique de la rupture du contrat de travail

Les juges du fond avaient déjà retenu la solution selon laquelle le salarié ayant accepté une convention de reclassement personnalisé est recevable à contester la cause de son licenciement (CA Paris, 22 mars 2007, préc.). Le salarié faisait valoir que la rupture de son contrat de travail constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif principal que cette rupture résulte de son acceptation d'une convention de reclassement personnalisé et que l'employeur ne lui a remis aucun écrit énonçant le motif économique de celle-ci. La convention de reclassement personnalisé a le même objet que la convention de conversion, qu'elle a remplacée. Dès lors, l'obligation incontestable qu'avait l'employeur, d'énoncer le motif économique de la rupture, lorsqu'il proposait à un salarié une convention de conversion dans le cadre d'un licenciement économique, s'impose désormais à l'employeur qui, dans les mêmes conditions, propose au salarié une convention de reclassement personnalisée.

L'employeur objectait que la CRP place expressément ce mode de rupture sous le régime de la rupture d'un commun accord et n'oblige nullement l'employeur à adresser au salarié une lettre précisant les motifs de la rupture. Comme nous l'avons déjà noté, s'agissant, ainsi, d'une rupture amiable excluant l'application des règles afférentes au licenciement économique, elle n'avait pas, en conséquence, à motiver la rupture résultant de l'acceptation d'une CRP par le salarié et celui-ci n'est pas recevable à contester le motif de la rupture, ni à revendiquer le bénéfice des dispositions propres au licenciement économique et les obligations corrélatives de l'employeur en matière de reclassement et de priorité de réembauchage. Le régime de la convention de conversion n'est pas applicable à la CRP.

Mais, pour la cour d'appel de Paris, la CRP n'a pas eu pour effet de créer un mode de rupture amiable qui ferait obstacle à ce que le salarié ayant accepté une CRP puisse ultérieurement contester cette rupture devant le juge. En effet, si l'article L. 321-4-2 précité dispose que le contrat de travail est réputé rompu d'un commun accord à la suite de l'acceptation par le salarié d'une CRP, ce texte réserve le bénéfice de cette convention aux seuls salariés dont l'employeur envisage de prononcer le licenciement économique et fait corrélativement obligation à l'employeur de proposer ce dispositif aux salariés intéressés -ceux-ci étant donc nécessairement licenciés, à défaut d'acceptation de la convention proposée. En outre, l'article 1 de l'accord du 5 avril 2005 énonce clairement qu'il est institué des conventions de reclassement personnalise dont l'objet est de permettre aux salariés licenciés pour motif économique de bénéficier, après la rupture de leur contrat de travail, d'un ensemble de mesures leur permettant un reclassement accéléré. Il ne peut, ainsi, être soutenu par l'employeur que le nouveau dispositif de la CRP constituerait un mode autonome de rupture du contrat de travail, alors que les partenaires sociaux eux-mêmes ont manifestement compris cette mesure, comme une simple modalité du licenciement économique, permettant aux salariés visés par un tel licenciement de bénéficier d'un meilleur reclassement. La CRP fait partie intégrante de la procédure de licenciement économique, que si le délai (de 14 jours) -laissé au salarié pour accepter une CRP- n'est pas expiré à la date prévue pour l'envoi des lettres de licenciement, les dispositions de l'accord interprofessionnel du 5 avril 2005 (article 4) obligent l'employeur à adresser au salarié concerné, une lettre lui rappelant la date d'expiration de ce délai et l'avisant qu'en cas de refus de sa part, elle vaudra notification de son licenciement -cette lettre, par conséquent, devant nécessairement préciser le motif économique du licenciement, conformément aux dispositions de l'article L. 122-14-2 du Code du travail. En définitive, pour les juges du fond, aucune disposition, ni aucune raison ne justifie que le droit de contester la cause de son licenciement, reconnu à tout salarié licencié pour motif économique, soit retiré au salarié passible d'un tel licenciement, au seul motif qu'il a accepté une CRP.

Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation reprend la solution déjà avancée avec les conventions de conversion. Il résulte de la combinaison des articles L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) et L. 321-4-2 I, alinéa 4 (N° Lexbase : L7855HBK) du Code du travail que, si l'adhésion du salarié à une convention de reclassement personnalisé entraîne une rupture qui est réputée intervenir d'un commun accord, elle ne le prive pas de la possibilité d'en contester le motif économique.

La solution s'impose d'autant plus que la Cour de cassation l'avait admise à propos d'un dispositif très proche de la CRP, la convention de conversion. Il résulte des articles L. 321-6 (N° Lexbase : L9635GQW) et L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT) du Code du travail que la convention de conversion qui entraîne la rupture du contrat de travail d'un commun accord des parties implique l'existence d'un motif économique de licenciement qu'il appartient au juge de rechercher en cas de contestation (Cass. soc., 29 janvier 1992, n° 90-43.229, M. Orcel c/ Société Industrie des peintures associées Gauthier N° Lexbase : A3748AA3, Bull. civ. V, n° 52, p. 30 ; Cass. soc., 19 novembre 1992, n° 90-45.970, Société Viennot c/ Mme Massing N° Lexbase : A5224AB4, Bull. civ. V, n° 564, p. 356 ; Cass. soc., 19 mars 1998, n° 95-44.024, Association Automobile club Hérault-Aveyron c/ Mme Chanot N° Lexbase : A2556ACN, Bull. civ. V, n° 163, p. 120).

La Cour avait même admis qu'un employeur, qui a licencié un salarié pour motif économique, sans lui proposer une convention de conversion, doit indemniser le salarié. Or, selon la Cour de cassation, le préjudice lié au défaut de proposition d'une convention de conversion est distinct de celui lié à la perte de l'emploi (Cass. soc., 8 juillet 2003, n° 01-42.170, M. Christian Duchateau c/ Société Nord France, publié N° Lexbase : A1082C9X), confirmant un arrêt du 6 juillet 1999 : Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 97-41.743, Mme Rochedieu c/ Société Etilam Gravigny N° Lexbase : A8106AYU). Ainsi, l'indemnité pour défaut de proposition de ladite convention s'ajoute à celle qui indemnise le préjudice subi à la fois du fait des irrégularités de procédure et de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. En conséquence, doit être cassé l'arrêt d'appel qui a débouté le salarié de sa demande en dommages et intérêts pour défaut de proposition d'une convention de conversion au motif que cette indemnité ne peut se cumuler avec celle déjà octroyée, pour réparer le préjudice subi du fait des irrégularités procédurales et de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.


(1) Accord national interprofessionnel du 5 avril 2005, retranscrit dans une Convention relative à la convention de reclassement personnalisé du 27 avril 2005 (N° Lexbase : L4927G8Y) (arrêté du 24 mai 2005, portant agrément de la convention relative à la convention de reclassement personnalisé, de l'avenant n° 5 à la convention du 1er janvier 2004, relative à l'aide au retour à l'emploi et à l'indemnisation du chômage N° Lexbase : L7949G8W). Lire nos obs., La convention de reclassement personnalisé, juridiquement opératoire, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N5323AIY) et Le nouveau régime des conventions de reclassement personnalisé, Lexbase Hebdo n° 179 du 1er septembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N7566AI3).
(2) Voir nos obs., Le Conseil d'Etat valide la convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006, mais pas la convention portant sur la convention de reclassement personnalisé, Lexbase Hebdo n° 249 du 22 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0772BAT).
(3) Voir nos obs., Précisions réglementaires sur la convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006, Lexbase Hebdo n° 228 du 21 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2941ALI).
(4) Voir les obs. de D. Baugard, Loi de modernisation sociale : le dispositif du PARE anticipé entre en vigueur mais laisse subsister des interrogations, Lexbase Hebdo n° 19 du 18 avril 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N2614AA3).
(5) Voir nos obs., Conclusion dolosive d'une convention AS-FNE, Lexbase Hebdo n° 189 du 10 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0638AKT).

Décision

Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-41.964, M. Dominique Benard, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3379D7B)

Cassation (CA Douai, 23 février 2007, n° 06/01057, M. Dominique Benard c/ SARL Auto self service N° Lexbase : A4413DUY)

Textes visés : C. trav., art. L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) et L. 321-4-2 I, alinéa 4 (N° Lexbase : L7855HBK)

Mots-clefs : Convention de reclassement personnalisé ; adhésion du salarié ; droit de contester le motif économique de la rupture du contrat de travail (oui).

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] L'obligation de sécurité de l'employeur plus forte que le pouvoir de direction

Réf. : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888, Société Snecma c/ Syndicat CGT Snecma Gennevilliers, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3292D73)

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N4384BE4

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


La Haute juridiction rappelle, dans un arrêt du 5 mars 2008, que l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et qu'il lui est interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.
Résumé

Dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans dénaturation, la cour d'appel a constaté que la nouvelle organisation mise en place par l'employeur, en février 2005, réduisait le nombre des salariés assurant le service de jour et entraînait l'isolement du technicien chargé d'assurer seul la surveillance et la maintenance de jour, en début de service et en fin de journée, ainsi que pendant la période estivale et à l'occasion des interventions, cet isolement augmentant les risques liés au travail dans la centrale, et que le dispositif d'assistance mis en place était insuffisant pour garantir la sécurité des salariés. Elle a pu en déduire, sans modifier l'objet du litige, que cette organisation était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés et que sa mise en oeuvre devait en être suspendue.

Commentaire

1. Nouvelle application de l'obligation de sécurité de résultat du chef d'entreprise

  • Caractères de l'obligation de sécurité de résultat du chef d'entreprise

La Cour de cassation a décidé de consacrer, depuis 2002, l'existence d'une obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur (1).

Initialement destinée à justifier la redéfinition de la faute inexcusable dans le cadre de l'indemnisation des victimes d'accidents du travail (2) et de maladies professionnelles, cette obligation de sécurité de résultat a, par la suite, subi une triple évolution.

Cette obligation s'est, tout d'abord, étendue en dehors du régime d'indemnisation des victimes de dommages d'origine professionnelle pour atteindre d'autres aspects de la santé ou de la sécurité au travail, qu'il s'agisse de l'obligation d'assurer au salarié la visite médicale de reprise à l'issue d'un congé pour maladie ou accident (3), de tenir compte de l'avis du médecin du travail dans le reclassement d'un salarié inapte (4), d'assurer le respect dans l'entreprise de la législation anti-tabac (5) ou des dispositions du Code du travail relative au harcèlement moral (6).

L'obligation de sécurité s'est, ensuite, détachée de ses amarres contractuelles pour acquérir son autonomie et ne plus être fondée que sur les seules dispositions du Code du travail, interprétées à la lumière du droit communautaire (7).

Enfin, l'obligation de sécurité a fondé de nouvelles obligations pour l'employeur, comme celle de répondre des dommages consécutifs à des faits de harcèlement commis par les salariés de l'entreprise sur des collègues de travail (8).

C'est ce triple mouvement qu'illustre ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 5 mars 2008.

  • Interdiction de contrarier l'obligation de sécurité de résultat

Cette affaire opposait le syndicat CGT de la Snecma et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au chef d'entreprise.

Ce dernier, qui exploitait, à Gennevilliers, un établissement comportant des unités assurant la fabrication de pièces de moteurs d'avions, ainsi qu'un "centre énergie", classé "Seveso", chargé de produire et de distribuer en permanence l'énergie et les fluides nécessaires à cette activité, envisageait de mettre en place, dans le centre énergie, une nouvelle organisation du travail de maintenance et de surveillance effectué par équipes et sans interruption. La Snecma avait informé et consulté le CHSCT, qui avait décidé de désigner un expert avant d'émettre, au vu de son rapport, un avis négatif, suivi en ce sens par le comité d'établissement.

Trois mois plus tard, l'employeur informait le personnel de l'application prochaine de la nouvelle organisation du travail dans le centre énergie, suivant des modalités précisées dans une note de service.

Le syndicat CGT Snecma avait, alors, saisi le tribunal de grande instance pour que cette note soit annulée et qu'il soit fait défense à l'employeur de mettre en application les dispositions qu'elle prévoyait.

Le syndicat ayant obtenu gain de cause devant les juridictions du fond, l'entreprise tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt d'appel, au terme d'un pourvoi fortement motivé. Le demandeur faisait, notamment, valoir "que, sauf disposition légale contraire, l'employeur décide seul de l'organisation du travail dans le cadre de son pouvoir de direction ; le juge saisi à titre préventif ne peut s'ingérer dans l'exercice de ce pouvoir, sauf lorsque l'organisation adoptée enfreint une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; qu'en annulant la note du 21 février 2005 au prétexte que les modalités d'organisation du travail au sein de la centrale qu'elle prévoyait comportaient globalement une aggravation des contraintes imposées aux salariés concernés de nature à compromettre leur santé et leur sécurité sur le site, en contravention avec les dispositions de l'article L. 230-2 du Code du travail(N° Lexbase : L8438HNT) et celles plus générales de l'article L. 120-2 du même code ([LX=L5441ACI]), sans constater qu'elle méconnaissait une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la cour d'appel a violé les textes précités, ensemble le principe fondamental de la liberté d'entreprendre". Et il reprochait aux juges du fond d'avoir, à la fois, dénaturé les différents documents présents au dossier et mal apprécié la situation de danger qui avait justifié la décision intervenue.

Ces arguments n'ont pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. Après avoir réaffirmé le principe selon lequel "l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs", la Haute juridiction en tire comme conséquence "qu'il lui est interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet, ou pour effet, de compromettre la santé et la sécurité des salariés", avant de constater que, "dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans dénaturation, la cour d'appel a constaté que la nouvelle organisation mise en place par l'employeur en février 2005 réduisait le nombre des salariés assurant le service de jour et entraînait l'isolement du technicien chargé d'assurer seul la surveillance et la maintenance de jour, en début de service et en fin de journée, ainsi que pendant la période estivale et à l'occasion des interventions, cet isolement augmentant les risques liés au travail dans la centrale, et que le dispositif d'assistance mis en place était insuffisant pour garantir la sécurité des salariés ; qu'elle a pu en déduire, sans modifier l'objet du litige et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les sixième, neuvième et douzième branches du moyen, que cette organisation était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés et que sa mise en oeuvre devait en conséquence être suspendue".

  • Intérêt de la décision

Cette décision est intéressante à plus d'un titre.

En premier lieu, elle confirme l'autonomisation de l'obligation de sécurité du chef d'entreprise qui s'est détachée de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) pour trouver ses racines uniquement dans les dispositions du Code du travail, en l'occurrence de l'article L. 230-2.

Mais, surtout, la solution innove doublement en affirmant que l'obligation de sécurité de résultat "lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs", et qu'en cas de manquement, le juge peut s'opposer à la mise en oeuvre de dispositions contraires.

2. L'emprise du juge sur la sécurité dans l'entreprise

  • Obligations positives de l'employeur

Ce n'est pas, à proprement parler, la première fois que la Chambre sociale de la Cour de cassation fait référence à l'obligation faite à l'employeur de "prendre les mesures nécessaires" pour préserver la santé et la sécurité du salarié ; cette référence figure, en effet, dans les arrêts relatifs à la faute inexcusable de l'employeur rendus depuis 2002 (9). Depuis 2006, cette obligation fonde même, avec les dispositions propres du Code du travail (10), l'obligation de "prévention des risques professionnels liés au harcèlement moral" (11).

La Cour de cassation a donné, dans le cadre de l'application du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, quelques exemples d'entreprises qui ont adopté des "mesures nécessaires à la prévention des risques professionnels" et qui, pour cette raison, ont échappé à la reconnaissance d'une faute inexcusable, qu'il s'agisse d'avoir assuré la formation et l'information des salariés exposés à des risques connus (12) ou d'avoir interdit l'accès du personnel à des zones de particulière exposition aux risques dans l'entreprise (13).

  • Nouvelle immixtion du juge dans la politique de prévention des risques dans l'entreprise

C'est, toutefois, la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation est amenée à statuer en amont de la réalisation d'un risque professionnel, c'est-à-dire dans la phase de prévention proprement dite, et pour admettre que les juges du fond puissent faire interdiction à l'employeur de mettre en oeuvre un dispositif exposant les salariés à des risques professionnels, après avoir souverainement analysé la situation de danger qui en résulterait. Il ne s'agit donc plus, ici, d'engager la responsabilité de l'employeur pour n'avoir pas pris les mesures nécessaires, sanctionnant une faute d'abstention, mais bien de s'opposer à des mesures positives qu'il a adoptées et qui seraient contraires à son obligation de sécurité.

  • Une solution audacieuse

Le moins que l'on puisse dire est que la solution est particulièrement audacieuse. Jusqu'à présent, la Cour de cassation répugnait à s'immiscer dans le pouvoir de gestion du chef d'entreprise, qu'il s'agisse de déterminer les meilleures solutions de reclassement pour les salariés licenciés pour un motif économique (14), ou le meilleur emplacement pour placer les pointeuses au sein de l'entreprise (15), cette dernière solution se fondant sur le "principe fondamental de la liberté d'entreprendre", invoqué, dans le pourvoi, par le demandeur pour obtenir la cassation de l'arrêt.

C'est, toutefois, grâce au soutien de l'article L. 120-2 du Code du travail que les juges parviennent, aujourd'hui, à justifier l'intrusion judiciaire dans le pouvoir de direction du chef d'entreprise, dès que ce dernier porte atteinte aux droits et libertés des salariés. Ainsi, l'employeur ne peut prétendre déplacer unilatéralement le local d'un syndicat dès lors qu'il accroît les contraintes d'accès des salariés sans justifier que cette atteinte à la liberté syndicale serait nécessaire et proportionnée (16).

  • Une solution justifiée, mais à manier avec mesure

Reste à s'interroger sur la valeur de la décision.

On ne sait pas, à la lecture de la décision, si la saisine du juge des référés se fondait sur la nécessité de prévenir un dommage imminent ou sur celle de faire cesser un trouble manifestement illicite. Il semble, ici, que la demande devait certainement avoir été présentée pour prévenir un dommage imminent, mais le débat ne portait pas sur ce point.

Force est de constater que cette décision, qui confère aux juges du fond le pouvoir de bloquer tout initiative patronale contraire aux impératifs de santé et de sécurité dans l'entreprise, est de nature à assurer l'effectivité de l'obligation faite à l'employeur de garantir le respect de cette obligation de sécurité, et ce, conformément aux dispositions communautaires applicables (17). Elle permet au juge d'intervenir en amont de la réalisation du risque et privilégie, ainsi, la logique de prévention des risques, sur une logique de pure sanction, ce dont on ne peut que se réjouir.

La solution donne, également, aux représentants du personnel un moyen d'action très efficace, grâce au relais judiciaire, singulièrement lorsque le juge des référés est saisi et ordonne la suspension des mesures envisagées par le chef d'entreprise, dans l'attente d'une décision à rendre sur le fond. Ne disposant pas du pouvoir de s'opposer à la mise en oeuvre de décisions du chef d'entreprise qui porteraient atteinte à son obligation de sécurité, à l'instar d'un inspecteur du travail arrêtant un chantier, mais simplement de rendre des avis, les syndicats de l'entreprise, défendant les intérêts généraux de la profession, peuvent saisir le juge des référés pour tenter de le convaincre de suspendre les mesures qui menaceraient la santé ou la sécurité des salariés dans l'entreprise (18).

Si le renforcement du volet "préventif" de l'obligation de sécurité qui pèse sur le chef d'entreprise ne peut qu'être approuvé, il faut espérer que les juges sauront faire usage de ce pouvoir avec parcimonie pour ne s'opposer qu'à des mesures qui, manifestement, exposent les salariés à des risques avérés, et ce, afin que les entreprises ne se transforment pas (un peu plus) en champ de bataille.


(1) Voir, notamment, Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ Société Ascométal, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI), JCP éd. G, 2002, II, 10053, concl. Benmakhlouf ; Dr. soc., 2002, p. 445, chron. A. Lyon-Caen.
(2) Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, Mme Dounya Edrissi, épouse Hachadi c/ Société Camus industrie, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4836AYR), Dr. soc., 2002, p. 676, obs. P. Chaumette.
(3) Cass. soc., 28 février 2006, n° 05-41.555, M. Dany Deprez c/ Société Cubit France technologies, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2163DNG), lire les obs. de Stéphanie Martin-Cuenot, Vers un principe général de sécurité dans l'entreprise ?, Lexbase Hebdo n° 206 du 15 mars 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5665AKZ) ; Cass. soc., 9 janvier 2008, n° 06-46.043, Société G Kubas, F-D (N° Lexbase : A2741D3W), lire nos obs., L'obligation de sécurité de résultat de l'employeur et la visite médicale de reprise, Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8489BDR).
(4) Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 05-42.925, Société Comptoir des levures, FS-D (N° Lexbase : A3102DRC).
(5) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412, Société ACME Protection c/ Mme Francine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8545DIC), Dr. soc., 2005, p. 971, chron. J. Savatier.
(6) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, M. Jacques Balaguer, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9600DPA). Sur cet arrêt, lire nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 12 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI).
(7) Cass. soc., 29 juin 2005, préc..
(8) Cass. soc., 21 juin 2006, préc..
(9) Cass. soc., 28 févr. 2002, préc. ; Cass. civ. 2, 31 mai 2006, n° 04-30.654, Mme Annick Lepineau, épouse Freulon c/ Société Renault Le Mans, F-P+B+R (N° Lexbase : A7437DP7), Bull. civ. II, n° 141, lire, également, les obs. de O. Pujolar, Amiante : l'innocuité des tableaux de maladies professionnelles sur la preuve de la faute inexcusable de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 219 du 14 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9613AKA) ; Cass. civ. 2, 14 septembre 2006, n° 04-30.418, Société CRB, F-D (N° Lexbase : A0230DRX).
(10) C. trav., art. L. 122-48 (N° Lexbase : L5586ACU).
(11) Cass. soc., 21 juin 2006, préc..
(12) Cass. civ. 2, 20 juin 2007, n° 06-13.957, M. Karim Guerri, F-D (N° Lexbase : A8759DWC) : "la société [...] avait fait suivre à M. X une formation interne à la sécurité menée par des salariés expérimentés, [...] à l'issue de cette formation M. X avait pris connaissance du règlement intérieur et des règles de sécurité, [...] ces consignes faisait, notamment, état des risques liés au compactage, de l'interdiction de bloquer les commandes de mise en route et de récupérer des choses se trouvant dans la trémie, que le système de compactage était conforme aux règles de sécurité et ne présentait aucune défectuosité".
(13) Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-16.806, M. Houcine Mosbah, F-D (N° Lexbase : A2866DUP) : "l'accident est survenu dans une zone de chantier interdite à la circulation du personnel".
(14) Ass. plén., 8 décembre 2000, n° 97-44.219, Société anonyme de télécommunications (SAT) c/ M. Coudière et autres (N° Lexbase : A0328AUP) ; Dr. soc., 2001, p. 126, concl. P. de Caigny, note A. Cristau, p. 417, chron. A. Jeammaud et M. le Friant ; D., 2001, jur. p. 1125, note J. Pélissier : "Dès lors qu'une réorganisation de l'entreprise est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, il n'appartient pas au juge d'apprécier le choix opéré par l'employeur entre les différentes solutions de réorganisation possibles".
(15) Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 02-15.142, Société Carrefour France c/ Union des syndicats CGT des personnels du commerce de la distribution et des services du Rhône, F-P+B (N° Lexbase : A1017DDZ) : "si la cour d'appel, qui a relevé que lors des déplacements litigieux, les salariés étaient à la disposition de l'employeur, tenus de se conformer à ses directives, en a déduit à bon droit que ces périodes constituaient un temps de travail effectif, elle ne pouvait pour autant imposer à l'employeur la modification de l'implantation des appareils de pointage sans porter atteinte à son pouvoir de direction". Lire nos obs., La liberté d'entreprendre, principe fondamental du droit du travail, Lexbase Hebdo n° 131 du 29 juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2465ABW).
(16) Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-13.810, Syndicat CFDT Servair 1, FS-P+B (N° Lexbase : A5806DYP) : "les syndicats faisaient valoir que pour se rendre dans les nouveaux locaux, il fallait passer sous un portique électronique, présenter un badge et subir éventuellement une fouille, sans que de telles mesures soient justifiées par des impératifs de sécurité et proportionnées au but recherché, ce dont il résulte que le trouble apporté à la liberté syndicale était manifestement illicite". Sur cet arrêt, lire les obs. de S. Tournaux, Les frontières du temps de travail effectif, Lexbase Hebdo n° 276 du 11 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0157BD8).
(17) Cass. soc., 28 février 2006, préc. ; Cass. soc., 20 septembre 2006, préc. : "l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé des travailleurs que le médecin du travail est habilité à faire par l'article L. 241-10-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4223GTL)".
(18) Sur la recevabilité de l'action engagée par un syndicat pour défendre l'application de la législation sur la durée du travail (repos compensateur) : Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-42.091, M. Serge Simon c/ Société Walon nord-ouest, F-D (N° Lexbase : A5181DCU). Sur la possibilité, pour le syndicat, de se constituer partie civile pour toutes affaires mettant en cause la sécurité des salariés : Cass. crim., 11 octobre 2005, n° 05-82.414, Procureur général près la cour d'appel de Paris, F-P+F (N° Lexbase : A0403DLI).
Décision

Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888, Société Snecma c/ Syndicat CGT Snecma Gennevilliers, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3292D73)

Rejet (CA Versailles,1ère ch., sect. 1, 14 septembre 2006)

Textes concernés : C. trav., art. L. 230-2 (N° Lexbase : L8438HNT) et L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI)

Mots clef : chef d'entreprise ; obligation de sécurité de résultat ; mesure portant atteinte à la sécurité ; juge des référés ; suspension.

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[Le point sur...] La cession de créance à titre de garantie : un an après l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 19 décembre 2006

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par Alexandre Bordenave, Juriste, Chargé d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan

Le 07 Octobre 2010

Peut-être le droit est-il une science. A tout le moins, semble-t-il animé par des "forces créatrices" (1) qui n'ont rien à envier aux lois de conservation bien connues des physiciens et résumées dans le célèbre aphorisme : "Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme" (2). Dans ces circonstances, il est difficile de s'étonner de l'engouement actuel manifesté pour la propriété-garantie, dont on retrouve trace en droit romain et dans le Code d'Hammourabi (3).
Dans sa thèse (4), le Professeur Crocq énonce que la notion de propriété-garantie répond à deux critères :
- la qualité de propriétaire du créancier doit préexister à la mise en oeuvre de la garantie ;
- et le maintien de la qualité de propriétaire du créancier doit supposer l'inexécution fautive de son obligation par le débiteur (5). Récemment, le droit français, en raison de la sévérité dont il fait montre à l'égard des créanciers, s'est révélé être un contexte favorable au sacre de la propriété comme nec plus ultra des garanties. D'ailleurs, le législateur s'y est ouvert. Ainsi, depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH), le Code civil consacre un chapitre à la propriété retenue à titre de garantie (6). Il n'existe rien de comparable concernant le transfert de propriété à titre de garantie, même si le Code monétaire et financier organise la cession de créance professionnelle à titre de garantie (dite "cession Dailly") (7).

De facto, peut-on voir dans la "cession Dailly" l'aiguillon législatif qui a accéléré le développement de la "cession civile" (8) de créance à titre de garantie. Ce développement a connu un arrêt brutal à l'occasion de la décision rendue par la Cour de cassation le 19 décembre 2006 (Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-16.395, Société Disques investissements audio vidéo (DIVA), FP-P+B+R+I, et les obs. de Géraud Mégret La Cour de cassation tranche : pas de fiducie sans texte..., Lexbase Hebdo n° 250 du 1er mars 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N1071BAW). Cet arrêt, non de règlement (9) mais, clairement, de " portée générale" (10), a donné à la Chambre commerciale l'occasion de juger que "en dehors des cas prévus par la loi, l'acte par lequel un débiteur cède et transporte à un créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créance".

Cette jurisprudence, largement diffusée, a été largement commentée après sa publication. Plus d'un an après son prononcé, l'arrêt du 19 décembre 2006 continue de laisser songeur tant il semble à contre-courant. A vrai dire, il a, sans doute, eu pour principal mérite de proposer à la communauté des juristes français de reprendre et, peut-être aussi d'accélérer, la réflexion sur l'admission, à titre de principe général, de la cession de créance à titre de garantie.

Plus que jamais, les difficultés soulevées par l'arrêt sont de deux ordres : il laisse perplexe quant à son application dans le temps (I) et met cruellement en exergue les insuffisances du droit français en matière de cession de créance à titre de garantie (II).

I Le temps et l'arrêt du 19 décembre 2006

Le rapport remis au Premier Président de la Cour de cassation en novembre 2004 par le Professeur Molfessis (11) suggérait l'introduction dans notre système juridique des "revirements pour l'avenir". Pour ce qui le concerne, pétri d'une méfiance anachronique (A) et prononcé sous un visa ancien (B), l'arrêt du 19 décembre 2006 est peut être condamné à n'être qu'un "revirement pour le passé" (12).

A - Une méfiance anachronique

Alors que la propriété-garantie s'affirme toujours un peu plus en droit français (1), l'arrêt du 19 décembre 2006 peine à convaincre, tant ses justifications semblent faibles (2).

1) Le transfert de propriété à titre de garantie en droit français

On peut percevoir, dans l'arrêt du 19 décembre 2006, le spectre de débats doctrinaux sur le point de savoir si la propriété peut tenir lieu de sûreté ou de garantie. Les arguments des opposants à cette thèse tiennent principalement à l'existence d'un pseudo numerus clausus des droits réels, et au fait qu'il y aurait quelque chose de dégradant à utiliser la propriété, droit réel principal, comme une simple garantie. Devant la variété des mécanismes permettant de faire jouer un tel rôle à la propriété, le débat a clairement perdu de sa pertinence (13).

A cet égard, citons, notamment, les nombreux montages contractuels qui recourent à la propriété-garantie : par exemple, c'est le cas du lease-back (14) ou des conventions de portage. De manière encore plus flagrante, le législateur a prévu de nombreux cas particuliers de transfert d'actifs à titre de garantie : la "cession Dailly", le régime dérogatoire des "garanties financières" (15), les opérations de pensions (16), les cessions de marchés publics (17)... Le dernier exemple en date est l'introduction de la fiducie aux articles 2011 et suivants du Code civil (18) qui conforte l'idée, sans la troubler : rien ne permet de penser que le régime spécial institué en 2007 a sonné le glas des fiducies innomées (19).

2) Les faibles justifications de l'arrêt du 19 décembre 2006

Prononcé dans un environnement acquis à la cause des transferts de propriété à titre de garantie, l'arrêt du 19 décembre 2006 pourrait puiser ses justifications dans des considérations plus diverses que celles exposées précédemment.

On pourrait y voir le souci de préserver l'égalité entre créanciers, mais cette égalité n'est qu'une illusion, dès lors que certains sont titulaires de sûretés alors que d'autres restent chirographaires. La protection du débiteur face à un créancier usurier serait, également, susceptible de rentrer en ligne de compte : mais que vaudrait un tel raisonnement s'agissant d'un actif dont la valeur nominale (augmentée éventuellement d'un intérêt) permet de le valoriser sans trop de difficultés ? Peut-être, enfin, la Cour de cassation souhaitait-elle reprocher aux parties ne pas avoir eu recours à la "cession Dailly" (20) alors qu'elles le pouvaient.

Ces justifications potentielles sont faibles. Elles nous font regretter, comme le Professeur Larroumet (21), que la Cour de cassation, dans le souci de la sécurité et de la cohérence juridiques, ne se soit pas montrée pragmatique et inspirée par le droit nouveau.

B - Un visa ancien

La Cour de cassation a rendu sa décision à l'heure d'un droit nouveau, ce qui la contraint à viser les articles 2075 (N° Lexbase : L2312ABA) et 2078 (N° Lexbase : L2316ABE) du Code civil "dans leur rédaction alors applicable" au jour des faits de l'espèce (1). Cette précision, presque surprenante, est liée à l'impact de l'ordonnance du 23 mars 2006 (2).

1) Les anciens articles 2075 et 2078 du Code civil

Si la Cour de cassation vise les articles 2075 et 2078 du Code civil, c'est parce qu'elle choisit de requalifier la cession fiduciaire organisée par les parties, mécanisme qu'elle préfère ignorer, en nantissement de créance.

Avant la réforme intervenue le 23 mars 2006, les articles 2075 et 2078 faisaient partie des dispositions applicables à ce que le Code civil appelait alors le gage. L'article 2075 traitait des formalités de constitution de la sûreté. Il disposait que "lorsque le gage s'établit sur des meubles incorporels, tels que les créances mobilières, l'acte authentique ou sous seing privé, dûment enregistré (22), est signifié au débiteur de la créance donnée en gage, ou accepté par lui dans un acte authentique". Quant à l'article 2078, il portait prohibition du pacte commissoire, à savoir la convention par laquelle le créancier se fait consentir le droit de s'approprier de son propre chef (sans avoir à demander au juge) la chose remise en gage, faute de paiement à l'échéance.

Ignorant qu'elles avaient conclu un nantissement, les parties n'avaient pas pris la peine de se conformer aux prescriptions des articles 2075 et 2078 du Code civil. C'est ce qui a motivé la cassation de la décision rendue en appel.

2) L'impact de l'ordonnance du 23 mars 2006

Les deux textes figurant au visa de l'arrêt du 19 décembre 2006 n'étaient plus en vigueur à la date de la décision : ils avaient été abrogés quelques mois plus tôt par l'ordonnance du 23 mars 2006. En effet, il a résulté de la réforme des sûretés que, en termes de formalités, le nouvel article 2356 du Code civil (N° Lexbase : L1183HIN) n'exige plus qu'un simple écrit. Quant au nouvel article 2365 dudit code (N° Lexbase : L1192HIY), il rend licite le pacte commissoire.

Il est exact que ces nouveaux articles ne pouvaient s'appliquer aux faits de l'espèce : la loi n'a pas normalement vocation à être rétroactive. Comme nous l'avons précédemment souligné, leur esprit aurait, toutefois, pu inspirer la Cour de cassation. Tout particulièrement, l'admission nouvelle du pacte commissoire aurait pu convaincre la Haute juridiction de la pertinence juridique d'une "cession civile" de créance à titre de garantie. Malheureusement, cela n'a pas été le cas.

Néanmoins, le visa tel qu'exprimé par la Chambre commerciale laisse entrevoir un espoir de rédemption pour la cession fiduciaire de créance : si la base textuelle n'est plus de droit positif, il en va peut-être de même pour la solution qui en a découlé (et ce dès son prononcé). Aussi, pourrait-on légitimement estimer que des cessions de créance à titre de garantie conclues en application des articles 1689 et suivants du Code civil après l'abrogation des anciens articles 2075 et 2078 du Code civil sont valables.

Hors de son temps et privée de base textuelle, à la suite de la réforme des sûretés, la prohibition des cessions de créances à titre de garantie hors les "cas prévus par la loi" pourrait être d'ordre simplement historique. Il reste que l'opprobre a clairement été jeté sur cette garantie. L'onction législative lui profiterait donc grandement.

II Le législateur et l'arrêt du 29 décembre 2006

La cession de créance à titre de garantie prend tout son sens lorsque créanciers et débiteurs sont des professionnels. En premier lieu, les créances sont des "biens" (23) dont toute entreprise détient normalement un certain "stock" et dont l'aliénation ne devrait pas entraver la capacité économique. En second lieu, le simple nantissement de créance (24) contraint son titulaire à la discipline de la procédure collective ; ce n'est pas le cas du transfert à titre de garantie.

Devant le doute raisonnable introduit en droit français par l'arrêt du 19 décembre 2006 au sujet de la validité des "cessions civiles" de créance à titre de garantie, et face à la nécessité de permettre que des créances soient cédées à cette fin, il faut constater que l'inadaptation des textes existants (A) appelle des modifications législatives (B).

A - L'inadaptation des textes existants

Certains des textes de droit positif organisant une cession fiduciaire de créance ont été évoqués plus avant. Les plus emblématiques portent sur la "cession Dailly" (1) et la fiducie (2) : ces deux mécanismes se montrent, toutefois, inefficaces à donner toute sa mesure à la cession de créance à titre de garantie.

1) L'inadaptation de la "cession Dailly"

Les articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier autorisent un transfert de créance à titre de garantie à condition que les créances cédées soient des créances professionnelles et que le cessionnaire soit un établissement de crédit au sens de l'article L. 511-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9477DYN).

C'est ce dernier point qui pose problème : tous les créanciers, et parmi eux tous les prêteurs, ne sont pas systématiquement des établissements de crédit. Par exemple, les prêts intra-groupes, peuvent être conclus en dérogation aux dispositions relatives au monopole bancaire (25), mais ils ne peuvent être garantis par l'emprunteur via une "cession Dailly". Il en va de même, dès lors que le prêteur est, pour des raisons de gestion bilantielle (entre autres), non l'établissement de crédit lui-même mais l'une de ses filiales ad hoc non agréée par le CECEI (26). C'est également ce qui interdit aux fonds communs de créances d'être cessionnaires directs d'une créance cédée par voie de "bordereau Dailly" (27).

2) L'inadaptation de la fiducie

De même, le régime actuel de la fiducie ne permet pas la généralisation de la cession de créance à titre de garantie. Certes, il est possible de transmettre des créances au patrimoine fiduciaire des créances et de désigner comme bénéficiaire éventuel des dites créances le créancier du constituant.

Toutefois, comme en matière de "bordereau Dailly", c'est la qualité que la loi exige des parties à l'opération qui est problématique. D'abord, la fiducie n'est pas accessible à tous types de débiteurs ou de garants : en effet, ne peuvent constituer une fiducie que les personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés (28). Ensuite, pour ce qui est du bénéficiaire, il est exact qu'il peut être toute personne. Mais, cela implique qu'un tiers intervienne en qualité de fiduciaire, puisque ce dernier est obligatoirement un professionnel réglementé du secteur financier (29). Il en résulte un coût supplémentaire, nuisible à l'intérêt économique de l'opération.

B - Les modifications législatives envisageables

Les limites qui viennent d'être exposées justifient de plaider soit pour une réforme des régimes existants (1), soit pour l'introduction dans le Code civil du concept de cession de créance à titre de garantie (2).

1) La réforme des régimes existants

L'exigence d'introduire en droit français la cession de créance à titre de garantie serait l'occasion de moderniser et d'assouplir les dispositions relatives à la "cession Dailly" et à la fiducie.

Dans la mesure où nous avons souligné que le principal problème posé par la "cession Dailly", pour être apte à s'approcher de ce que serait le droit commun de la cession fiduciaire de créance, est la qualité du cessionnaire, c'est sur ce point qu'il convient de formuler une proposition. La solution vient, sans doute, des textes communautaires, et, notamment, de la Directive 2006/48 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (Directive du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 N° Lexbase : L1385HKI) : l'article 24 de ce texte est relatif à la notion d'"établissement financier" et uu principe de "prêt d'agrément". Il s'agit de permettre à des filiales d'établissements de crédit, qui répondent à un certain nombre de critères strictement définis, d'exercer une activité d'établissement de crédit, sans pour autant être agréées. En matière de "cession Dailly", sur le fondement de cette disposition, il serait envisageable de réécrire l'article L. 313-23 comme suit : "tout crédit qu'un établissement de crédit, ou qu'un établissement financier filiale d'un établissement de crédit [...]". Cette solution permettrait, sans dénaturer le texte, de garantir par voie de "cession Dailly" les financements accordés par des special purpose vehicles filiales d'établissements de crédit.

Quant à la fiducie, nous sommes d'avis que l'ouverture doit procéder de l'assouplissement des contraintes concernant la qualité du constituant qui devrait pouvoir être toute personne physique ou morale. Par ailleurs, le dispositif tirerait avantage d'une précision relative au mode de transfert des actifs au patrimoine fiduciaire et au fait que ce transfert est opposable aux tiers par la simple publication de la fiducie. Il serait regrettable qu'un mécanisme de garantie soit générateur d'insécurité juridique !

2) L'introduction de la cession de créance à titre de garantie dans le Code civil

Il va de soi que, au-delà des aménagements techniques et parcellaires qui viennent d'être suggérés, l'idéal serait d'insérer dans le Code civil une disposition spécifique à la cession de créance à titre de garantie. D'ailleurs, le rapport Catala va en ce sens, puisqu'il propose l'introduction d'un article disposant qu'"une créance peut être cédée en propriété sans stipulation de prix à titre de garantie. Elle fait retour au cédant lorsque le cessionnaire a été rempli de ses droits ou que l'obligation garantie est éteinte pour une autre cause" (30).

Cette solution a le mérite de la simplicité et de la clarté. Elle donne une base légale à la cession de créance à titre de garantie et fait de ce transfert un simple cas particulier pour raison de son objet. Si le rapport Catala devait intégrer, au moins pour partie, le droit positif, il serait appréciable que l'article précité ne soit pas oublié par le législateur. Cette cession fiduciaire ne serait pas soumise aux dispositions sur la fiducie : il s'agirait d'une fiducie allégée, sans patrimoine d'affectation, par opposition à la fiducie de droit commun des articles 2011 et suivants du Code civil.

"La méfiance est la mère de la sûreté" (31). Doutant de sa validité, la pratique semble, aujourd'hui, avoir abandonné la cession civile de créance à titre de garantie. Il faut le déplorer car des solutions simples existent, de lege ferenda. A l'heure où l'attractivité de notre droit se trouve un peu rapidement remise en cause (32), il est serait appréciable que soit remédié au flou esquissé par la Cour de cassation.


(1) G. Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955.
(2) De manière erronée, cette citation est attribuée à Lavoisier. En vérité, ce dernier n'a fait que l'emprunter au philosophe grec Anaxagore de Clazomènes.
(3) A cet égard, on pourra se référer à la thèse de Geny : Etude sur la fiducie, 1885, p. 65 et s..
(4) Notamment, RTDCiv., 2007, p. 160 s., obs. P. Crocq ; JCP éd. G, 2007, I, 158, n° 26, obs. P. Delebecque ; D. Houtcieff, A la recherche de la cession de créance à titre de garantie..., Revue Lamy Droit civil, n° 36, 1er mars 2007, p. 29.
(5) P. Crocq, op. cit., p. 9 et s..
(6) C. civ., art. 2367 (N° Lexbase : L1194HI3) et s..
(7) C. mon. fin., art. L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et s..
(8) Conclue en application des articles 1689 (N° Lexbase : L1800ABB) et suivants du Code civil.
(9) Dans le cas contraire, il aurait violé le principe napoléonien selon lequel : "Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises" (C. civ., art. 5 N° Lexbase : L2230AB9).
(10) P. Bellet, Le juge et l'équité, Mélanges Rodière, Litec, 1981, p. 12.
(11) Les revirements de jurisprudence : Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, Litec, 2005.
(12) Avant l'arrêt commenté, la Cour de cassation avait eu l'occasion de se montrer bienveillante à l'égard de la cession de créances à titre de garantie : Cass. civ. 1, 20 mars 2001, n° 99-14.982, Banque Sovac immobilier c/ M. Olivier Fabre, publié (N° Lexbase : A1457AT7), D., 2001, p. 3110, obs. L. Aynes.
(13) Cf. P. Crocq, op. cit., p. 129 s..
(14) Le lease-back (ou "cession-bail") est la "technique de crédit dans laquelle l'emprunteur, par une vente dont le prix représente le montant du prêt, transfère dès l'origine au prêteur la propriété d'un bien offert en garantie et conserve ce bien à titre de locataire, tout en le rachetant progressivement en vertu d'une promesse unilatérale de vente jointe au bail qui accompagne la vente initiale" (Association H. Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, 8ème éd. revue et augmentée, 2007).
(15) C. mon. fin., art. L. 431-7-3 (N° Lexbase : L2814G94) et s..
(16) C. mon. fin., art. L. 432-12 (N° Lexbase : L3905APC) et s..
(17) C. marchés publ., art. 106 (N° Lexbase : L2766HP7) et s..
(18) Loi n° 2007-211 du 19 février 2007, instituant la fiducie (N° Lexbase : L4511HUM).
(19) Au nombre desquelles pourraient figurer la "cession civile" à titre de garantie. En ce sens, voir Droit et Patrimoine, 2008, n° 166, p. 12, obs. L. Aynes et P. Dupichot.
(20) Ce qui aurait été possible en l'espèce.
(21) D., 2007, p. 344.
(22) Prévu par l'article 2074 du Code civil (N° Lexbase : L2311AB9).
(23) S'agissant d'un droit personnel, il faut voir dans cette qualification une forme de syncrétisme pragmatique qui mériterait qu'émerge un véritable "droit financier des biens" : cf. M. Jeantin, Dialogues avec Michel Jeantin - Prospective du droit économique, Dalloz, 1999, p. 1 et s..
(24) Aménagé par les articles 2355 (N° Lexbase : L1182HIM) et suivants du Code civil.
(25) C. mon. fin., art. L. 511-7, 3° (N° Lexbase : L6371DIS).
(26) Un special purpose vehicle ou SPV.
(27) Le sujet a récemment donné lieu à débat à l'occasion d'un arrêt de la Cour de cassation : Com., 16 octobre 2007. Voir X. de Kergommeaux, E. Barres, A. Bordenave, La transmission d'un bordereau Dailly' à un fonds commun de créances : arrêt du 16 octobre 2007 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, Revue trimestrielle de Droit Financier, 2007, n° 4, p. 124 et s..
(28) C. civ., art. 2014 (N° Lexbase : L6510HWZ).
(29) C. civ., art. 2015 (N° Lexbase : L6511HW3).
(30) Rapport remis au Garde des Sceaux, ministre de la Justice le 22 septembre 2005, relatif à l'avant-projet de réforme du droits des obligations et du droit de la prescription : proposition d'article 1257-1, s'insérant au sein de la section 1 "De la cession de créance" d'un chapitre consacré aux opérations sur créance.
(31) J. de la Fontaine, Le chat et un vieux rat.
(32) Voir les rapports Doing Business, publiés sous l'égide de la Banque mondiale.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le comité d'entreprise doit être consulté sur la dénonciation d'un accord d'entreprise

Réf. : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-40.273, Société Oce Business services et a. c/ Syndicat CGT Oce France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3373D73)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



En affirmant "qu'il résulte des articles L. 431-5 (N° Lexbase : L8867G7K) et L. 432-1 (N° Lexbase : L3116HIA) du Code du travail que le comité d'entreprise doit être consulté sur la dénonciation, par le chef d'entreprise, d'un accord d'entreprise qui intéresse l'organisation, la gestion ou la marche générale de l'entreprise", la Cour de cassation énonce, dans un arrêt en date du 5 mars 2008, une solution qui était largement prévisible et attendue. Il faut, d'ailleurs, espérer que les chefs d'entreprise auront su tenir compte des recommandations que nombre d'auteurs avait pu faire en ce sens. Car, ainsi que le souligne la Chambre sociale, une dénonciation irrégulière demeure sans effet jusqu'à l'accomplissement de cette formalité. Par suite, tout accord irrégulièrement dénoncé demeure en vigueur, ce qui ne devrait pas manquer de susciter de graves conséquences pratiques.
Résumé

Il résulte des articles L. 431-5 et L. 432-1 du Code du travail que le comité d'entreprise doit être consulté sur la dénonciation, par le chef d'entreprise, d'un accord d'entreprise qui intéresse l'organisation, la gestion ou la marche de l'entreprise. A défaut, la dénonciation demeure sans effet jusqu'à l'accomplissement de cette formalité.

Commentaire

1. L'obligation de consulter le comité d'entreprise en cas de dénonciation d'un accord collectif

  • Une solution attendue

En application de l'alinéa 1er de l'article L. 432-1 du Code du travail , "dans l'ordre économique, le comité d'entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel". Cette disposition revêt une importance capitale dans la mesure où elle pose le principe d'une compétence générale du comité d'entreprise dans l'ordre économique. Il faut donc comprendre que le chef d'entreprise peut être tenu d'informer et de consulter l'institution représentative du personnel en cause, alors même qu'aucun texte spécifique ne l'exige. Le texte précité doit être combiné avec l'alinéa 1er de l'article L. 431-5 qui dispose que "la décision du chef d'entreprise doit être précédée par la consultation du comité d'entreprise". Il en résulte que le chef d'entreprise doit consulter le comité d'entreprise avant de prendre une décision ayant pour objet l'une des questions ou mesures mentionnées à l'article L. 432-1.

La Cour de cassation a su tirer profit de ces deux articles. On se souvient, en effet, que par un retentissant arrêt en date du 5 mai 1998, elle a affirmé qu'"il résulte de la combinaison des articles L. 431-5 et L. 432-1 du Code du travail que la décision du chef d'entreprise doit être précédée par la consultation du comité d'entreprise quand elle porte sur l'une des questions ou mesures visées par le second de ces textes, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la décision en cause est une décision unilatérale ou prend la forme de la négociation d'un accord collectif d'entreprise portant sur l'un des objets soumis légalement à l'avis du comité d'entreprise" (1).

Cette solution n'allait pas de soi dans la mesure où, notamment, la "décision" visée par l'article L. 431-5 du Code du travail semble plutôt renvoyer à la décision unilatérale du chef d'entreprise. Toutefois, cela étant acquis, restait, alors, à régler la question de la dénonciation d'un accord collectif par l'employeur. Dans un arrêt particulièrement motivé rendu le 6 mars 2002, la cour d'appel de Paris avait apporté certains éléments de réponse en jugeant que, "loin de violer les textes relatifs à la consultation du comité d'entreprise, le juge des référés en fait, au contraire, une exacte application en privant d'effet la dénonciation par l'employeur d'une convention collective d'entreprise non précédée d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise et en décidant qu'une éventuelle poursuite de la procédure de dénonciation devait être précédée d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise. Malgré son caractère discrétionnaire, la dénonciation d'une convention collective constitue, en effet, une décision ayant des conséquences évidentes sur l'emploi, la formation et les conditions de travail des salariés" (2).

Eu égard à la position adoptée par la Cour de cassation dans l'arrêt "EDF" de 1998 et à la lettre même de la loi, il ne faisait guère de doute que celle-ci reprendrait la solution de la cour d'appel de Paris. C'est chose faite avec l'arrêt rapporté. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "il résulte des articles L. 431-5 et L. 432-1 du Code du travail que le comité d'entreprise doit être consulté sur la dénonciation, par le chef d'entreprise, d'un accord d'entreprise qui intéresse l'organisation, la gestion ou la marche de l'entreprise". A dire vrai, cette solution encourt moins la critique que celle issue de l'arrêt de 1998 (3). En effet, la dénonciation d'un accord collectif est, par essence, un acte unilatéral. Or, ainsi qu'il a été déjà mentionné, la "décision" évoquée par l'article L. 431-5 est, d'abord et avant tout, la décision unilatérale du chef d'entreprise.

Cette qualification ne suffit, cependant, pas à déclencher l'obligation de consultation du comité d'entreprise. Encore faut-il, en application de l'article L. 432-1 du Code du travail, que la décision en cause soit "notamment, de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel". On admettra qu'il y a bien peu d'hypothèses dans lesquelles la dénonciation d'un accord d'entreprise n'aura pas, de près ou de loin, de conséquences sur, au moins, l'un des points visés par ce texte. Bien plus, on est tenté de dire que les conséquences de la dénonciation importent peu. En effet, il faut rappeler que l'article L. 432-1 prescrit de consulter le comité sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise. Par conséquent, et ainsi que le souligne la Cour de cassation, il suffit que l'accord dénoncé intéresse l'une de ces questions.

Il est, par suite, pour le moins difficile de souscrire à l'argumentation développée dans le pourvoi selon laquelle la dénonciation d'un accord collectif n'a pas pour effet de modifier les règles en vigueur dans l'entreprise, l'accord dénoncé trouvant à s'appliquer jusqu'à la conclusion d'un accord de substitution ou, au moins, pendant un certain délai de survie. On se bornera à relever que l'article L. 432-1 vise "les mesure de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail" (4). Or, il est difficile de contester que la dénonciation d'un accord de réduction du temps de travail n'est pas, notamment, de nature à affecter la durée du travail.

Au total, et pour en rester au plan des principes, la solution retenue par la Cour de cassation, dans l'arrêt sous examen, doit être pleinement approuvée. Il importe, maintenant, d'en mesurer la portée.

  • La portée de la solution

Etant acquis que la dénonciation d'un accord collectif d'entreprise intéressant l'organisation, la gestion ou la marche de l'entreprise, doit être précédée de la consultation du comité d'entreprise, il convient d'apporter les précisions suivantes.

Tout d'abord, le comité devra, évidemment, être consulté préalablement à la dénonciation, au stade du "projet" de dénonciation (5). Ensuite, "si une dénonciation d'accord n'a pas à être motivée, en revanche, la consultation peut, sur le plan pratique, rapidement se transformer en justification devant le comité d'entreprise. Il est, dès lors, évident qu'aucun employeur ne peut prendre le risque de se lancer dans une telle dénonciation sans avoir préalablement préparé un argumentaire sur sa motivation et une ouverture sur la suite qui sera donnée à la dénonciation" (6).

Enfin, dans la mesure où la dénonciation d'un accord collectif doit être précédée de la consultation du comité d'entreprise, il faut, alors, considérer que la même procédure doit être suivie lorsque l'employeur dénonce un usage (7), voire lorsqu'il démissionne du groupement patronal dont il faisait partie (8). Cette exigence entraînera des changements importants car, qu'il s'agisse de la dénonciation d'un usage ou de la démission du groupement patronal, ces deux décisions sont, pour l'heure, soumises à une simple information, qu'elle soit collective pour la démission (C. trav., art. L. 135-8, al. 2 N° Lexbase : L5721ACU, art. L. 2262-6, recod. N° Lexbase : L0600HXI) ou, à la fois, collective et individuelle pour l'usage (9).

2. La sanction du défaut de consultation

  • Pluralité de sanctions

L'employeur qui ne respecte pas l'obligation de consulter le comité d'entreprise, avant de dénoncer un accord collectif, encourt une pluralité de sanctions. Tout d'abord, il peut faire l'objet d'une condamnation pénale sur le fondement du délit d'entrave. Ensuite, il encourt des sanctions civiles sur lesquelles il convient de s'arrêter.

Ainsi que le rappelle un auteur, il découle du droit commun qu'"un acte juridique fait en violation des formes requises est, en principe, nul, dès lors que ces formes ont pour objet d'influer sur le fond de l'acte. Or, la consultation du comité d'entreprise est bien une formalité substantielle de ce type : elle n'a de sens que comme un moyen d'influence au fond des représentants du personnel sur les décisions de l'employeur" (10).

En l'espèce, la Cour de cassation n'évoque pas la nullité de la dénonciation intervenue sans que le comité ait été préalablement consulté, mais souligne que celle-ci "demeure sans effet jusqu'à l'accomplissement de cette formalité". Le résultat est, cependant, le même, puisque cette absence d'effet conduit à retenir que l'accord irrégulièrement dénoncé reste en vigueur. En ne consultant pas le comité d'entreprise, l'employeur ne viole pas seulement les prérogatives de cette institution, il porte atteinte au droit des salariés de participer, par l'intermédiaire de leurs délégués, à la détermination collective de leurs conditions de travail et à la gestion de l'entreprise. La nullité de l'acte juridique, ou encore son absence d'effets, est, de ce fait, parfaitement justifiée.

Au-delà, il faut encore admettre que le juge des référés est à même, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC), de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Il peut, par suite, prononcer la suspension des décisions arrêtées par le chef d'entreprise sans avoir été soumises, pour avis, au comité d'entreprise. L'arrêt rapporté démontre que le juge des référés peut, en outre, mettre fin à des mesures prises par le chef d'entreprise consécutivement à la décision qui aurait dû être soumise au comité d'entreprise. Il s'agissait, en l'espèce, d'une note de service relative à l'aménagement et à la réduction du temps de travail (11).

  • Conséquences de l'absence d'effets de la dénonciation irrégulière

Ainsi que nous l'avons vu précédemment, dans la mesure où la dénonciation irrégulière ne produit aucun effet, l'acte juridique affecté par celle-ci reste en vigueur tant que cette formalité n'a pas été accomplie. On imagine, sans peine, les conséquences pratiques d'une telle sanction : tous les accords collectifs dénoncés sans que le comité d'entreprise ait été consulté préalablement sont restés en vigueur dans les entreprises concernées et les salariés sont donc à même de s'en prévaloir.

Lourde de conséquences pour l'employeur, cette situation peut, cependant, être, à notre sens, évitée, si un accord a été conclu avant la fin de la période de survie de l'acte dénoncé. On sait qu'un tel accord se substitue immédiatement à celui qui a été dénoncé, quand bien même il serait moins favorable. En outre, il convient de rappeler que la Cour de cassation a expressément exclu que l'application d'une convention collective conclue en violation des prérogatives du comité puisse être suspendue par le juge (12). Si cette solution peut être critiquée en ce qu'elle constitue une exception difficilement compréhensible au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les sanctions de l'absence de consultation du comité, elle prend, ici, un sens nouveau.

Reste, évidemment, le cas des chefs d'entreprises qui, ces dernières années, n'auront pas pris soin de suivre la recommandation qui leur avait été faite de consulter le comité d'entreprise, avant de dénoncer une convention ou un accord collectif de travail (13). L'addition risque de s'avérer lourde à défaut d'accords de substitution.


(1) Cass. soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498, Comité supérieur consultatif des comités mixtes à la production et a. c/ EDF et a. (N° Lexbase : A2677AC7), Bull. civ. V, n° 219 ; Dr. soc., 1998, p. 579, rapp. J.-Y. Frouin ; D., 1998, p. 608, avec nos obs..
(2) CA Paris, 14ème ch., sect. A, 6 mars 2002, n° 2001/20638, Association pour la gestion du groupe Mornay Europe (AGME) c/ Comité d'entreprise de l'association pour la gestion du groupe Mornay Europe (AGME) (N° Lexbase : A9034A7Q), RJS, 5/02, n° 598 (confirmation de la décision du TGI de Paris du 18 octobre 2001, RJS, 3/02, n° 311). On peut, encore, relever que la cour d'appel de Paris a précisé que "par ailleurs, le caractère discrétionnaire de la dénonciation d'un accord collectif de travail n'est pas incompatible avec l'obligation préalable d'information du comité d'entreprise qui, sans remettre en cause le droit de dénonciation appartenant aux signataires de l'accord, a seulement pour objet de permettre un échange entre employeur et représentants des salariés sur les questions en débat". Adde, S. Béal, Accord collectif d'entreprise. Le rôle du comité d'entreprise en cas de dénonciation, JCP éd. E, 2002, p. 116.
(3) Solution que nous avions au demeurant approuvée (cf. notre note préc.).
(4) C'est nous qui soulignons.
(5) En tout état de cause, la consultation du comité d'entreprise devra intervenir avant que la dénonciation ne soit notifiée par son auteur aux autres parties signataires de la convention ou de l'accord collectif de travail (C. trav., art. L. 132-8, al. 2).
(6) S. Béal, op. cit., p. 117.
(7) S. Béal, ibid..
(8) Admettre la consultation du comité d'entreprise, dans ces deux hypothèses, entraînerait des changements importants car, qu'il s'agisse de la dénonciation d'un usage ou de la démission du groupement patronal, ces deux décisions sont, pour l'heure, soumises à une simple information, qu'elle soit collective pour la démission (C. trav., art. L. 135-8, al. 2) ou, à la fois collective et individuelle, pour l'usage.
(9) Sur les conditions qui doivent être, pour l'heure, respectées pour la dénonciation d'un usage, v., par ex., E. Dockès, Droit du travail, HyperCours Dalloz, 2ème éd., 2007, § 143.
(10) E. Dockès, ouvrage préc., § 897.
(11) Note de service qui, semble-t-il, avait été soumise à l'appréciation du comité d'entreprise.
(12) Cass. soc., 19 mars 2003, n° 01-12.094, Centre de recherche et de valorisation des produits de consommation (CERVAC) c/ Comité d'entreprise de la société Cervac, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4955A7N). Lire nos obs., La sanction du défaut de consultation du comité d'entreprise préalablement à la conclusion d'un accord collectif : pas de suspension possible !, Lexbase Hebdo n° 65 du 2 avril 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6739AAT).
(13) V., en ce sens, S. Béal, art. préc..
Décision

Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-40.273, Société Oce Business services et a. c/ Syndicat CGT Oce France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3373D73)

Rejet, CA Paris, 14ème ch., sect. A, 22 novembre 2006, n° 06/08148, Syndicat CGT Oce France et autres c/ Syndicat des travailleurs de la métallurgie (N° Lexbase : A1888DT4)

Textes visés : C. trav., art. L. 431-5 (N° Lexbase : L8867G7K) et L. 432-1 (N° Lexbase : L3116HIA)

Mots-clefs : accord collectif ; dénonciation ; consultation du comité d'entreprise ; sanction.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Délégué syndical et dénonciation par l'employeur d'un engagement unilatéral

Réf. : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-60.305, Compagnie Corsair, FS-P+B (N° Lexbase : A3383D7G)

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N4429BER

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Dénonciation, suppression, articulation, amélioration, tels sont les termes souvent rencontrés en présence de normes venant améliorer le dispositif législatif. L'employeur peut-il remettre en cause un avantage pris en application d'une disposition légale d'ordre public social ? Si la dénonciation d'un avantage concédé par l'employeur est toujours possible, il faut, néanmoins, que cet avantage soit à la disposition de l'employeur. Tel est le cas d'un engagement unilatéral par lequel un employeur offre aux syndicats la possibilité de désigner plus de délégués syndicaux que ce que prévoit la loi. C'est ce que prévoit la Haute juridiction, dans un arrêt en date du 5 mars 2008. Elle considère, ainsi, que l'employeur pouvait, sous réserve du respect du principe d'égalité entre syndicats, revenir sur l'engagement unilatéral venant augmenter le dispositif législatif et, partant, imposer au syndicat le respect de la loi. Cette décision ne peut qu'être approuvée.
Résumé

Si le nombre de délégués syndicaux fixé par la loi peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peut modifier les dispositions légales correspondantes. L'employeur, qui décide seul d'une telle augmentation, peut unilatéralement décider de revenir à l'application des textes légaux qui n'ont pas cessé d'être applicables, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés.

Commentaire

1. Légitimité de la mise en cause d'un engagement unilatéral par l'employeur

  • Caractère d'ordre public social des dispositions relatives à l'exercice de l'activité syndicale

Dans les entreprises de cinquante salariés et plus (C. trav. art., L. 412-11 N° Lexbase : L6331ACH), tout syndicat représentatif peut désigner un délégué syndical. Le nombre de délégué que peut désigner chaque syndicat varie en fonction de la taille de l'entreprise (C. trav., art. L. 412-13 N° Lexbase : L9600GQM et L. 412-1 N° Lexbase : L6326ACB).

L'article L. 412-21 du Code du travail (N° Lexbase : L6341ACT), qui vient clore le chapitre sur l'exercice du droit syndical dans les entreprises, soutient que "les dispositions du présent chapitre ne font pas obstacle aux conventions ou accords comportant des clauses plus favorables, notamment celles relatives à l'institution de délégués syndicaux ou de délégués syndicaux centraux dans tous les cas ou les dispositions législatives n'ont pas rendu obligatoire cette institution".

Dans un second alinéa, l'article L. 412-21 du Code du travail prévoit qu'"aucune limitation ne peut être apportée aux dispositions relatives à l'exercice du droit syndical tel qu'il est défini par le présent chapitre, par note de service ou décision unilatérale de l'employeur".

Ce texte pose le caractère d'ordre public social des dispositions applicables aux syndicats.

Partant, les partenaires sociaux, comme l'employeur, peuvent améliorer les règles applicables à l'activité syndicale dans les entreprises. Cette amélioration peut prendre la forme d'une convention, d'un accord collectif de travail ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, voire d'une note de service ou d'un usage. Cette source peut augmenter les droits concédés par le législateur ou permettre la désignation d'un délégué syndical là où elle n'est pas obligatoire et, singulièrement, dans les entreprises dont le seuil d'effectif ne dépasse pas cinquante salariés.

Si l'employeur peut, toujours, améliorer les droits des salariés, il ne peut venir les réduire. Toute diminution n'est, toutefois, pas forcément contraire à l'ordre public social.

Le caractère d'ordre public social des dispositions légales applicables à l'exercice du droit syndical lui interdit de diminuer les droits que les salariés tiennent de la loi mais, également, de la convention ou de l'accord collectif de travail.

  • Validité de la remise en cause d'un avantage trouvant sa source dans un engagement unilatéral de l'employeur

Singulièrement, rien n'empêche l'employeur de revenir sur un avantage qu'il avait accordé à ses salariés.

Il peut, sous réserve du respect des conditions prévues par la jurisprudence, supprimer ou, pour reprendre les termes de la jurisprudence, "remettre en cause" un droit, qui trouvait sa source dans un engagement unilatéral ou toute autre source de même niveau hiérarchique (usage, note de service...).

Il appartient, dans ce cas, à l'employeur, qui souhaite revenir sur un engagement unilatéral ou un usage, de procéder préalablement, en plus de l'information donnée aux salariés de l'entreprise, à une information des institutions représentatives du personnel, dans un délai permettant d'éventuelles négociations (Cass. soc., 3 novembre 2004, n° 02-45.945, F-D N° Lexbase : A7631DDY).

Cette procédure respectée, l'engagement unilatéral est supprimé et la ou les norme(s) qu'il venait améliorer retrouvent à s'appliquer.

Telle était la situation dans la décision commentée. Le problème ne portait pas sur les conditions de dénonciation de l'engagement unilatéral de l'employeur, mais sur le principe même de la faculté pour l'employeur de revenir sur l'avantage qu'il avait accordé.

  • Espèce

Dans cette espèce, après avoir permis, par voie d'engagement unilatéral, aux syndicats représentatifs, autres que les syndicats catégoriels constitués dans le secteur de l'aviation, de désigner quatre délégués syndicaux, au lieu des deux prévus par le Code du travail, la société avait décidé de remettre en cause cette mesure et avait informé les syndicats intéressés qu'ils ne pourraient, dorénavant, procéder au remplacement des délégués antérieurement désignés qu'après que leur nombre soit redescendu à deux.

Le syndicat CGT, indépendamment de cette dénonciation, avait désigné un salarié en qualité de délégué syndical à la suite du départ de l'un des quatre délégués qui le représentait. La société, qui entendait voir cette désignation annulée, avait saisi le tribunal d'instance.

Pour casser la décision des juges du premier degré, qui avaient débouté la société de sa demande tendant à l'annulation de la désignation du nouveau délégué syndical, la Haute juridiction rappelle que, "si le nombre de délégués syndicaux fixé par la loi peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peut modifier les dispositions légales correspondantes" et que "l'employeur, qui décide unilatéralement d'une telle augmentation, peut unilatéralement décider de revenir à l'application des textes légaux qui n'ont pas cessés d'être applicables, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés".

Constatant la régularité de la décision de l'employeur de revenir à l'application des dispositions légales et l'absence de discrimination, elle procède directement à l'annulation de sa désignation.

Comme nous l'avons déjà affirmé, cette solution ne peut qu'être approuvée.

2. Légitimité de la faculté pour l'employeur de revenir sur un engagement unilatéral

  • Une solution de principe

Sur le principe, la solution est irréprochable. L'ordre public social permet, tout à la fois, la réglementation et impose un contenu de l'engagement unilatéral. Le principe de faveur vient, ensuite, régler le conflit créé par la présence de plusieurs normes portant sur la même cause et le même objet, en faisant primer la plus favorable au salarié et, corrélativement, en préservant celles qui ont été écartées en raison de leur caractère moins favorable au salarié (Ass. plén., 18 mars 1988, n° 84-40.083, Mme Chevallier N° Lexbase : A8500AA3, D., 1989, 221, note Chauchard).

La norme ou les normes substituées ne sont pas supprimées, elles sont en attente et pourront éventuellement trouver à s'appliquer si la norme la plus favorable vient à disparaître. Elles restent " applicables " mais ne sont pas appliquées.

L'employeur peut, ainsi, revenir sur un engagement unilatéral, sans que cette remise en cause n'entraîne un vide juridique. La simple "mise en attente" des règles écartées emporte l'application de la disposition immédiatement la plus favorable au salarié. Cette disposition peut être la loi ou, si elle existe et qu'elle est plus favorable au salarié, la convention collective.

Il n'existe donc, eu égard aux principes généraux du droit du travail, aucun obstacle à la remise en cause d'un avantage par l'employeur, pourvu que cet avantage trouve sa source dans une norme dont il peut disposer. La solution aurait, en effet, été différente, si l'avantage avait été issu d'une convention ou d'un accord collectif de travail. Ne pouvant pas en disposer, l'employeur n'aurait pas pu unilatéralement le supprimer.

Bien que justifiée, cette décision peut, cependant, être critiquée.

  • Une rédaction malaisée

Si la seconde partie de l'attendu de principe est d'une certaine clarté, il n'en va pas de même de la première partie.

La seconde partie ne pose aucune difficulté. Il est, en effet, énoncé, comme nous l'avons déjà souligné, que l'employeur peut unilatéralement décider d'adopter une norme plus favorable que ce à quoi il est tenu en application de la loi et qu'il peut, corrélativement, unilatéralement revenir dessus, à condition qu'il respecte le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés.

Il ne faut pas voir dans cette rédaction la volonté de la Haute juridiction d'abandonner les conditions de dénonciation de l'engagement unilatéral de l'employeur. L'obligation pour l'employeur, qui revient sur un engagement unilatéral, de ne pas rompre l'égalité entre les syndicats est une condition supplémentaire à la dénonciation, elle ne se substitue aucunement aux autres conditions.

Cette condition n'est, en outre, pas nouvelle. L'employeur ne peut, en effet, accorder des droits différents selon les syndicats. Tout syndicat représentatif doit disposer des mêmes droits dans l'entreprise. Le fait que, comme dans l'espèce commentée, la CFDT soit le premier et que, par voie de conséquence, il dispose temporairement de moins de représentants que les autres syndicats de l'entreprise n'est pas de nature à entraîner une discrimination. Il s'agit d'une étape vers la réduction générale de la représentation syndicale dans l'entreprise. L'égalité ne peut pas, à ce stade, être préservée, les mandats étant intuitu personae et leur perte attachée à la personne désignée.

La première partie de l'attendu de principe est plus difficile à appréhender. La Haute juridiction vient, en effet, affirmer que, si l'accord collectif peut augmenter le nombre de délégués prévu par la loi, ni un usage ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes. Que faut-il entendre par là ?

Ainsi, selon la Haute juridiction, l'employeur ne peut pas, par voie d'engagement unilatéral, modifier le nombre de délégués fixé par la loi et qu'il ne peut pas, non plus, revenir par voie d'engagement unilatéral sur le nombre plus élevé de délégués fixé par l'accord collectif de travail. Une telle modification serait contraire au caractère d'ordre public social des règles applicables aux syndicats et au principe de la hiérarchie des normes.

La seule modification qui lui est offerte par voie d'engagement unilatéral est l'amélioration sur laquelle il peut revenir à tout moment s'il respecte les conditions inhérentes à la dénonciation.

Décision

Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-60.305, Compagnie Corsair, FS-P+B (N° Lexbase : A3383D7G)

Cassation sans renvoi de tribunal d'instance de Villejuif, 10 mai 2007

Texte concerné : C. trav., art. L. 412-21 (N° Lexbase : L6341ACT)

Mots clefs : désignation d'un délégué syndical ; engagement unilatéral de l'employeur ; augmentation du nombre de délégués désignés ; dénonciation de l'engagement unilatéral ; application des dispositions légales ; légitimité de la dénonciation ; respect du principe d'égalité entre syndicats.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'expert-comptable du comité d'entreprise détermine seul les documents nécessaires à l'exercice de sa mission

Réf. : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754, Société Impress métal packaging Imp, FS-P (N° Lexbase : A3342D7W)

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N4433BEW

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Apparue en 1982, la faculté du comité d'entreprise de se faire assister par un certain nombre d'experts (1) n'a cessé de se développer, au point de tendre vers un "audit permanent" des comptes de l'entreprise (2). La mission de l'expert-comptable, particulièrement essentielle à la compréhension, par le comité, des résultats et des prévisions de l'entreprise se trouve, pourtant, parfois entravée par les structures de plus en plus complexes des entreprises. Dans l'affaire traitée par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 5 mars 2008, était en cause une entreprise appartenant à un groupe de sociétés de dimension communautaire, comportant un comité d'entreprise européen et dont la société mère ressortissait des Pays-Bas. L'expert-comptable pouvait-il, pour autant, exiger la transmission de documents comptables relatifs à cette société étrangère ? La Haute juridiction, dans le sillage des juges du fond, répond à cette question par l'affirmative. Ecartant l'influence du droit communautaire sur le rôle de l'expert-comptable du comité d'entreprise de l'entreprise française (I), les juges confirment le mouvement contemporain de renforcement du rôle des experts en droit du travail (II).
Résumé

Ni la Directive 94/45 CE (N° Lexbase : L8165AUX), ni la Directive 2002/14/CE (N° Lexbase : L7543A8U) ne portent atteinte aux systèmes nationaux dans le cadre desquels s'exerce concrètement le droit d'information des travailleurs. En conséquence, il appartient au seul expert comptable désigné par le comité d'entreprise, par application de l'article L. 434-6 du Code du travail (N° Lexbase : L8967G7A), de déterminer les documents utiles à l'exercice de sa mission, laquelle porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise.

Commentaire

I. Le droit communautaire sans influence sur la faculté de l'expert-comptable d'exiger des documents comptables

  • L'assistance au comité d'entreprise d'un expert-comptable

Aux termes de l'article L. 434-6 du Code du travail, "le comité d'entreprise peut se faire assister d'un expert-comptable de son choix en vue de l'examen annuel des comptes". La mission de cet intervenant "porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise" et il a, pour cela, accès "aux mêmes documents que le commissaire aux comptes".

Le pouvoir de recourir à l'expert-comptable bénéficie à tous les comités de l'entreprise, qu'il s'agisse du comité d'établissement (3), du comité de groupe (4) ou, encore, du comité d'entreprise européen (5). Ainsi, la consultation concomitante du comité d'entreprise et du comité d'entreprise européen ne devrait pas faire difficulté.

En revanche, la question pouvait se poser de savoir si les textes communautaires n'entraînaient pas la restriction des informations perçues par le comité d'entreprise, par l'effet de l'identification des informations dont pouvait être destinataire le comité d'entreprise européen.

  • L'expert-comptable et le comité d'entreprise européen

En effet, la Directive 2002/14/CE dispose que les institutions représentatives du personnel établies sur le territoire d'un Etat membre ont droit à une information à un "niveau approprié" et avec un "contenu approprié" (6). Par ailleurs, la Directive CE 94/45 précise que le comité d'entreprise européen voit sa compétence "limitée à l'information et à la consultation sur les questions qui intéressent l'ensemble de l'entreprise de dimension européenne ou au moins deux établissements ou entreprises du groupe situés dans des Etats membres différents". Une interprétation extensive de ces textes pouvait laisser penser, comme le soulevaient les requérants, que le comité d'entreprise européen ne devait être informé que d'éléments d'un niveau et d'un contenu "appropriés" (7).

Il ne restait plus, alors, qu'un pas pour étendre ces restrictions aux documents que l'expert-comptable peut exiger lorsqu'il assiste un simple comité d'entreprise.

  • En l'espèce : l'absence d'influence du régime du comité d'entreprise européen

En l'espèce, un comité d'entreprise avait fait appel à un expert-comptable pour l'assister dans l'examen des comptes annuel de 2004 et des documents prévisionnels de 2005. Afin de mener à bien sa mission, l'expert avait exigé que lui soit fournies des informations relatives à d'autres sociétés du groupe auquel appartenait l'entreprise et, spécialement, des documents comptables de la société mère dont le siège s'établit aux Pays-Bas. Face au refus de l'entreprise de procurer ces documents, le comité d'entreprise et le cabinet d'expertise demandèrent, en référé, que soit ordonnée la transmission de ces documents.

Alors que la cour d'appel faisait droit à cette demande, l'entreprise formait un pourvoi en cassation, arguant d'une limitation des documents dont l'expert-comptable pouvait exiger la transmission sur le fondement des Directives communautaires évoquées.

La Cour de cassation refuse une telle extension de l'interprétation des textes communautaires en estimant que "ni la Directive 94/45 CE, ni la Directive 2002/14/CE ne portent atteinte aux systèmes nationaux dans le cadre desquels s'exerce concrètement le droit d'information des travailleurs". L'interprétation de ces textes doit donc être strictement limitée au fonctionnement du comité d'entreprise européen, sans pouvoir avoir d'influence sur le recours à l'expert-comptable par le comité d'entreprise.

  • Appréciation

Cette solution paraît raisonnable. En effet, la Directive 94/45 CE ne concerne pas l'ensemble des institutions représentatives du personnel mais, seulement, le comité d'entreprise européen. S'il peut, éventuellement, paraître légitime que l'information de ce comité soit moins étendue puisqu'elle ne fait que se surajouter à des instances déjà présentes au niveau interne dans la plupart des législations européennes, il n'y aurait, en revanche, aucune raison d'étendre par analogie le raisonnement aux instances représentatives internes, non concernées directement par le texte.

Quant à la Directive 2002/14/CE, si elle exige des informations d'un niveau et d'un contenu appropriés, elle ne fournit aucune indication sur ce caractère approprié, si bien que les législations nationales de transpositions peuvent librement fixer cet élément. Or, le Code du travail ouvre largement le pouvoir des experts-comptables, si bien qu'aucune restriction fondée sur la Directive ne peut s'imposer.

II. Une solution manifestant le caractère particulièrement étendu des pouvoirs de l'expert-comptable assistant le comité d'entreprise

  • La mise en cause du principe de territorialité du droit du travail français

Les moyens soulevaient un autre argument s'appuyant sur l'élément d'extranéité caractéristique des groupes de société à dimension internationale. La Cour de cassation devait trancher, ici, entre deux arguments antagonistes.

D'un côté, l'article L. 434-6, alinéa 3, du Code du travail renvoie explicitement aux pouvoirs du commissaire aux comptes pour déterminer les documents auxquels l'expert a accès. Or, l'article L. 823-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L3049HCW) précise que les investigations du commissaire aux comptes "peuvent être faites tant auprès de la personne ou de l'entité dont les commissaires aux comptes sont chargés de certifier les comptes que des personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle". En application de ce texte, il ne faisait, alors, aucun doute que les documents de la société mère puissent être exigés par l'expert-comptable (8).

D'un autre côté, l'entreprise requérante avançait le "principe de territorialité" du droit français, au nom duquel les dispositions du Code du travail français ne devraient pouvoir s'imposer à une société de droit néerlandais.

  • Le pouvoir de l'expert-comptable écartant le principe de territorialité

Là encore, la Chambre sociale ne se laisse pas convaincre par cette argumentation et estime qu'il appartient à l'expert-comptable "de déterminer les documents utiles à l'exercice de sa mission, laquelle porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise". Celui-ci est donc en droit d'exiger les documents comptables de la société mère néerlandaise, dans la mesure où ces documents sont nécessaires à la compréhension de la situation financière de l'entreprise.

La décision doit, une nouvelle fois, être approuvée. D'un point de vue juridique, le principe de territorialité ne paraît pas être entravé par la simple fourniture de documents comptables, principalement parce que la demande de transmission de ces éléments n'était pas adressée à la société mère étrangère, mais directement à l'entreprise qui les avait en sa possession. En outre, par analogie avec les pouvoirs des commissaires aux comptes, seul le principe de territorialité du droit pénal s'oppose à ce que des mesures soient prises à l'encontre d'une société étrangère, la transmission de documents comptables n'étant, dès lors, manifestement pas concernée par une telle règle (9).

  • Le large pouvoir de l'expert justifié

Mais c'est, surtout, d'un point de vue pratique que la solution est particulièrement opportune, tant l'appréciation de la santé financière et économique d'une entreprise inscrite dans un groupe, a fortiori de dimension internationale, ne peut s'effectuer convenablement sans l'observation de divers éléments relatifs au reste du groupe. C'est, d'ailleurs, ce type de considération qui a présidé à l'émergence du groupe comme unité de représentation, qu'il s'agisse de l'apparition du comité de groupe (10) ou de la possibilité de conclure des accords collectifs au niveau du groupe (11).

Enfin, d'une manière plus générale, la façon dont la motivation de la Cour de cassation est rédigée, laissant le soin à l'expert-comptable de déterminer les documents qui lui sont nécessaires, va nettement dans le sens d'un élargissement des pouvoirs de l'expert-comptable en droit du travail. Quoi que l'on en pense, l'expert est, désormais, une pièce essentielle de la compréhension de l'information au comité d'entreprise et la Cour de cassation entend bien se poser en garante de ce pouvoir (12).

  • La faculté exceptionnelle de l'entreprise à se dégager de l'obligation de fournir les documents comptables

La Cour de cassation ménage, néanmoins, une exception. En effet, la Chambre sociale estime que l'entreprise n'avait jamais "soutenu qu'elle aurait été dans l'impossibilité de produire les documents demandés" et que ces documents avaient déjà "été communiqués pour des exercices antérieurs". Par une interprétation a contrario, on peut en déduire que l'entreprise pourra s'exonérer de l'obligation de transmettre les documents comptables de la société mère étrangère, à partir du moment où elle prouvera qu'elle était dans l'impossibilité de fournir ces documents.

En réalité, seul un refus de la société mère de transmettre ces documents à l'entreprise française semblerait en mesure de constituer une telle impossibilité, ce qui, il faut bien le reconnaître, paraît peu probable, tant le fonctionnement économique des différentes entités d'un groupe est entrelacé.


(1) Expert-comptable, expert en technologie et expert libre (C. trav., art. L. 434-6 N° Lexbase : L8967G7A).
(2) V. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 870 et s.. Pour des développements récents portant sur le rôle de l'expert-comptable, v. Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-17.389, Commune de Balaruc-les-bains c/ Société anonyme Syndex, FS-P+B (N° Lexbase : A1199D3S) et les obs. de G. Auzero, Conditions d'exercice de la mission d'assistance du comité d'entreprise par l'expert-comptable pour l'examen annuel des comptes de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 288 du 17 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6251BDU).
(3) Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 98-16.810, Comité d'établissement de la succursale Renault Lyon Est c/ Société Renault France automobiles et autre (N° Lexbase : A4883AGX) ; RJS, 1/2000, n° 64 ; JCP éd. E, 2000, 2054, note Q. Urban.
(4) C. trav., art. L. 439-2 (N° Lexbase : L3134HIW) ; Cass. soc., 6 décembre 1994, n° 92-21.437, Compagnie générale des établissements Michelin c/ Société Secafi Alpha et autre (N° Lexbase : A1040AB7) ; D., 1995, IR. 21 ; Dr. soc., 1995, p. 40, note M. Cohen ; RJS, 1995, p. 37, n° 38, concl. Y. Chauvy ; Bull. Joly, 1995, p. 242, note J.- J. Barbièri.
(5) Directive (CE) 94/45 du 22 septembre 1994, concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen ou d'une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d'entreprises de dimension communautaire en vue d'informer et de consulter les travailleurs, point 6.
(6) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne.
(7) Dans le même sens, v. B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, 3ème éd., p. 334.
(8) V. déjà, dans le même sens, Cass. crim., 26 mars 1991, n° 89-85.909, Lescur (N° Lexbase : A5057ABW) ; Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 99-21.903, Société Benoist Girard SAS, FS-P (N° Lexbase : A2911AX4) ; Dr. soc., 2002, p. 164, obs. G. Couturier.
(9) V. B- H. Dumortier, Sociétés, Infractions relatives au commissariat aux comptes, n° 36. L'extra-territorialité des lois n'est pas nécessairement condamnée par le droit international public, v. P-M. Dupuy, Droit international public, Dalloz, 7ème éd., 2004, pp. 79-87. D'ailleurs, le principe de territorialité du droit du travail connaît de nombreuses exceptions, parmi lesquelles celle de l'obligation de rapatriement en cas de licenciement par une filiale étrangère est l'avatar le plus abouti (v. C. trav., art. L. 122-14-8 N° Lexbase : L5573ACE, v., également, G. Lyon-Caen, Observations sur le licenciement dans les groupes internationaux de société (Article 8 de la loi du 13 juillet 1973), Rev. crit. dr. int. privé, 1974, p. 439).
(10) Institution créée par la pratique et introduite dans le Code du travail par la loi n° 82-915 du 28 octobre 1982, relative au développement des institutions représentatives du personnel (N° Lexbase : L7836HYU).
(11) Elle aussi issue de la pratique (v. déjà Cass. soc., 30 avril 2003, n° 01-10.027, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7524BSH) ; Dr. soc. 2003, p. 740, obs. B. Gauriau et les obs. de G. Auzero, Consécration jurisprudentielle des accords collectifs de groupe, Lexbase Hebdo n° 71 du 14 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7327AAM) et légalisée par la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8).
(12) Sur le rôle croissant des experts dans l'entreprise, v. A. Supiot, Le progrès des lumières dans l'entreprise, in Les transformations du droit du travail : études offertes à Gérard Lyon-Caen, Dalloz, 1989, p. 463.
Décision

Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754, Société Impress métal packaging Imp, FS-P (N° Lexbase : A3342D7W)

Rejet, CA Versailles, référé, 10 janvier 2007

Textes cités : Directive (CE) 94/45 du 22 septembre 1994, concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen ou d'une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d'entreprises de dimension communautaire en vue d'informer et de consulter les travailleurs (N° Lexbase : L8165AUX) ; Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (N° Lexbase : L7543A8U) ; et C. trav., art. L. 434-6 (N° Lexbase : L8967G7A).

Mots-clés : Information des représentants du personnel ; comité d'entreprise ; expert comptable ; documents utiles à l'exercice de sa mission ; groupe à dimension internationale.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Retour sur les conditions de mise en oeuvre de l'action de in rem verso (à propos de l'absence de cause)

Réf. : Cass. civ. 3ème, 27 février 2008, n° 07-10.222, Mme Nadine Daudet, veuve Morisseau, FS-P+B (N° Lexbase : A1764D7H)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Après avoir admis l'enrichissement sans cause de façon occulte sous couvert de la gestion d'affaires, par un important arrêt "Boudier" de la Chambre des requêtes du 15 juin 1892, la Cour de cassation en a fait un principe autonome en accordant, de manière générale, à l'appauvri une action de in rem verso "qui dérive du principe d'équité qui défend de s'enrichir au détriment d'autrui" (1). Et l'on a, alors, traditionnellement enseigné que l'enrichissement sans cause supposait la réunion d'un élément positif d'ordre économique -un mouvement de valeur d'un patrimoine à l'autre- et d'un élément négatif, d'ordre juridique -l'absence de cause de ce mouvement. La jurisprudence a, cependant, par la suite, cherché à moraliser l'institution, l'attitude de l'appauvri pouvant être prise en compte pour lui refuser le bénéfice de l'action de in rem verso. La théorie de l'enrichissement sans cause ne serait donc pas, comme on a parfois pu le dire, purement objective (2), mais présenterait, au contraire, une dimension subjective (3). Encore faut-il sans doute distinguer entre les fautes de l'appauvri. Assez récemment encore, à la question de savoir si le banquier, qui commet une faute l'ayant appauvri, peut, ou non, se retourner contre celui qu'elle a enrichi, la Cour de cassation a jugé que "le fait d'avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l'enrichissement sans cause celui qui, en s'appauvrissant, a enrichi autrui", pour en déduire que l'action demeure recevable "quand la seule faute commise par la banque était la perte du chèque, laquelle, en dépit de sa découverte tardive, ne constituait pas une faute lourde au regard de l'enrichissement sans cause" (4). C'est dire que la mise en oeuvre du principe, dégagé par la jurisprudence à partir des textes spéciaux du Code civil, selon lequel "nul ne peut s'enrichir injustement aux dépens d'autrui", continue de faire l'objet d'un important contentieux (5). Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 février dernier, à paraître au Bulletin, confirme à nouveau les difficultés suscitées par la mise en oeuvre de l'action de in rem verso.

En l'espèce, par acte notarié, des époux avaient vendu une maison à usage d'habitation. L'acte mentionnait que le paiement du prix avait eu lieu "à concurrence de 100 000 francs [15 245 euros] en dehors de la compatibilité du notaire dont quittance". Invoquant l'existence d'un montage destiné à régler leurs difficultés financières et d'une convention aux termes de laquelle, en contrepartie de leur engagement de rembourser le prêt souscrit par l'acquéreur pour l'acquisition de la maison et de payer les frais afférents à la vente, il se serait engagé à revendre aux vendeurs l'immeuble, ceux-ci ont assigné l'ayant droit de l'acquéreur, décédé accidentellement depuis, en paiement du solde du prix et des frais et commissions. La Cour de cassation censure les juges du fond d'avoir condamné l'ayant droit à payer le solde du prix alors que, "si la quittance d'une somme payée en dehors de la compatibilité du notaire ne fait foi que jusqu'à preuve contraire, celle-ci ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 (N° Lexbase : L1451ABD) et suivants du Code civil", ce qui n'était pas, ici, le cas.

Plus délicate était la question posée par le second moyen. Pour condamner l'ayant droit à rembourser aux époux vendeurs une somme correspondant aux frais et commissions payés par ceux-ci lors de la vente, les juges avaient retenu qu'ils avaient un intérêt légitime à agir sur le fondement de l'action de in rem verso, faute d'autres actions, leur appauvrissement ne trouvant pas sa source dans leur propre volonté mais dans le fait qu'ils n'ont pu racheter leur maison comme convenu avec l'acquéreur avant son décès brutal, sa veuve ayant finalement entendu bénéficier de la donation faite à son profit de l'universalité des biens composant sa succession qui avait fait d'elle la propriétaire de cet immeuble. Sans grande surprise, compte tenu de la teneur des solutions du droit positif en la matière, la Cour de cassation casse l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Orléans, sous le visa de l'article 1371 du Code civil (N° Lexbase : L1477ABC) et des principes régissant l'enrichissement sans cause : "en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'appauvrissement des époux [vendeurs] et l'enrichissement corrélatif de [l'ayant droit de l'acquéreur] trouvaient leur source dans les conventions conclues avec l'acquéreur, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

La solution est parfaitement conforme à l'idée, aujourd'hui acquise, selon laquelle la mise en oeuvre de l'action de in rem verso suppose l'existence d'un élément juridique (à côté de l'élément économique qui consiste, lui, dans l'enrichissement au détriment d'autrui), en l'occurrence l'absence de cause. Seul un enrichissement sans cause peut permettre à l'appauvri d'obtenir de l'enrichi une indemnisation. Or, en l'état du droit positif, un enrichissement est considéré comme étant sans cause lorsqu'il n'existe aucun mécanisme juridique, aucun titre juridique, qu'il soit légal, conventionnel ou judiciaire, qui puisse justifier le flux de valeurs du patrimoine de l'appauvri à celui de l'enrichi. Ainsi, par exemple, est-il jugé que lorsque le déplacement de valeur s'est réalisé en vertu d'un contrat valable conclu entre les parties, l'action de in rem verso ne peut être mise en oeuvre, quand bien même le contrat serait inéquitable. La Cour de cassation affirme, en effet, qu'"il n'y a pas enrichissement sans cause [...] lorsque l'enrichissement réalisé par une personne a sa justification dans un acte juridique, et spécialement lorsqu'il résulte de l'exécution d'un contrat légalement formé entre la personne appauvrie et la personne bénéficiaire de l'enrichissement" (6). Admettre le contraire conduirait à contourner le refus de principe de sanction de la lésion (C. civ., art. 1118 N° Lexbase : L1206ABB).


(1) Cass. req., 15 juin 1892, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., n° 227.
(2) En ce sens, J. Carbonnier, Droit civil, T. 4, Thémis, n° 307.
(3) Voir J. Djoudi, La faute de l'appauvri : un pas de plus vers une subjectivisation de l'enrichissement sans cause, D., 2000, Chr., p. 609.
(4) Cass. civ. 1, 19 décembre 2006, n° 04-17.664, Crédit lyonnais, FS-P+B (N° Lexbase : A0819DTI), et les obs. de R. Routier, Enrichissement sans cause : toutes les fautes ne privent pas l'appauvri fautif de sa possibilité d'agir, Lexbase Hebdo n° 248 du 15 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0295BA8).
(5) Voir not., sur l'exigence de subsidiarité en la matière, P. Drakidis, La "subsidiarité", caractère spécifique et international de l'action d'enrichissement sans cause, RTDCiv., 1961, p. 577 et s. ; adde Cass. civ. 3, 4 décembre 2002, n° 01-03.907, FS-P+B (N° Lexbase : A1891A4S) ; Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 01-01.304, F-P (N° Lexbase : A6835A4W) ; Cass. civ. 1, 26 septembre 2007, n° 06-14.422, Mme Odyle Tapie-Debat, épouse Castetbieilh, F-P+B (N° Lexbase : A5818DY7).
(6) Cass. civ., 21 février 1944, DA, 1944, p. 58 ; Cass. civ., 17 mai 1944, S., 1944, 1, 132 ; Cass. com., 18 janvier 1994, n° 91-22.237, Société de location d'équipement informatique c/ Société Unimat et autre (N° Lexbase : A6656AB7), Bull. civ. IV, n° 27 ; Cass. com., 29 mars 1994, n° 92-12.780, Mme Tosser c/ Caisse d'épargne et de prévoyance de La Flèche et autres (N° Lexbase : A6852ABE), Bull. civ. IV, n° 128 ; adde, jugeant que l'enrichissement a une cause légitime quand il trouve sa source dans un acte juridique, même passé entre l'enrichi et un tiers : Cass. civ. 3, 28 mai 1986, n° 85-10.367, Société à responsabilité limitée Entreprise Desjoyaux et Compagnie c/ Société à responsabilité limitée Le Vallon du Soleil (N° Lexbase : A5025AAD), Bull. civ. III, n° 83.

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Sécurité sociale

[Jurisprudence] Rupture négociée et cotisations sociales

Réf. : Cass. civ. 2, 6 mars 2008, n° 07-40.591, Régie autonome des transports parisiens (RATP), agissant en qualité de Caisse autonome de coordination des assurances sociales de la RATP (CCAS), F-P+B (N° Lexbase : A3374D74)

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N4513BEU

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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Licenciement et démission constituent les modes de rupture du contrat de travail à durée indéterminée les plus fréquents. La jurisprudence admet, cependant, également, la rupture négociée du contrat de travail, à la suite d'un accord entre l'employeur et le salarié. Des conditions relativement classiques doivent être respectées pour garantir la validité d'un tel mode de rupture du contrat de travail. En particulier, et de façon très évidente, le consentement du salarié doit être parfaitement exempt de toute trace de vice (pour un exemple de motivation particulièrement explicite, v. Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-43.568, FS-P N° Lexbase : A7384A4A). Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 6 mars 2008, est l'occasion d'aborder d'autres aspects qui se révèlent problématiques en matière de rupture négociée du contrat de travail. Se posent, en effet, fréquemment des questions à propos des sommes qui peuvent accompagner une rupture négociée et de leur assujettissement à cotisations de sécurité sociale.
Résumé

A l'occasion d'une restructuration de services, une salariée refusant le transfert de son contrat de travail demande et conclut une rupture négociée. Les sommes allouées à la salariée à l'occasion de cette rupture ont un caractère indemnitaire et ne sont donc pas soumises à cotisations de sécurité sociale, car la rupture du contrat avait pour origine une restructuration de services provoquée par l'employeur.

Commentaire

1. Rupture négociée et autres modes de rupture

En matière de rupture du contrat de travail à durée indéterminée, le droit du travail réserve une place majeure aux deux modes de résiliation unilatérale que sont le licenciement et la démission. Qu'elle soit à l'initiative de l'employeur ou du salarié, la voie de la résiliation unilatérale du contrat de travail est, en effet, sans nul doute, celle qui est la plus en adéquation avec certaines caractéristiques de la relation de travail salarié, au premier chef desquelles le fameux lien de subordination.

On sait, cependant, que le droit du travail n'est pas complètement hermétique aux principes issus du droit commun des contrats. C'est, ainsi, qu'avec, certes, de nombreuses précautions, la jurisprudence a admis que les parties au contrat de travail puissent rompre ce dernier de manière négociée, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (1). De la même manière, et même si elle ne constitue pas un mode de rupture du contrat, la transaction a trouvé sa place en droit du travail, souvent en articulation avec le licenciement ou la démission.

Pourtant, rupture négociée (ou d'un commun accord) et transaction ne sont pas sans soulever de nombreuses interrogations, notamment, en ce qu'elles sont l'une et l'autre susceptible de constituer des voies d'évitement de certaines obligations issues du droit social (tant sous son versant de droit du travail que sous son versant de droit de la Sécurité sociale).

En principe, la rupture d'un commun accord du contrat de travail n'est possible qu'en l'absence d'un litige sur la rupture du contrat de travail. Les deux parties au contrat de travail, conviennent, par consentement mutuel, de mettre fin au contrat qui les lie. Classiquement, on distingue clairement la rupture d'un commun accord de la transaction. Cette dernière constitue, en elle-même, un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent des contestations à naître (C. civ., art. 2044 N° Lexbase : L2289ABE). Ainsi, la transaction peut être un instrument utilisé pour prévenir ou faire cesser un litige survenu à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail. Dans cette hypothèse, il n'y a pas rupture d'un commun accord du contrat de travail, mais consentement mutuel des parties pour vider un litige relatif à cette rupture. La transaction n'est donc envisageable qu'en cas de litige et elle ne saurait constituer une voie permettant d'éluder les règles du licenciement entourant la rupture unilatérale du fait de l'employeur.

Il est difficilement admissible qu'un même acte emporte, à la fois, rupture amiable et transaction. De la même façon, on ne saurait admettre qu'un accord de rupture négociée ait pour objet de mettre fin à un litige concernant la rupture du contrat de travail. La jurisprudence est bien établie et considère que tout litige sur la rupture du contrat de travail exclut toute rupture d'un commun accord (v., notamment, Cass. soc., 6 mai 1998, n° 96-40.610, M. Milesi c/ M. Serafinos N° Lexbase : A2870ACB).

Pourtant, des décisions montrent régulièrement que les situations concrètes ne sont pas toujours aussi simples. Ainsi, dans certaines hypothèses de rupture négociée, même s'il y a bien eu accord pour rompre, il apparaît, parfois, que l'une des parties a été à l'origine de la rupture. La jurisprudence sociale est loin d'être insensible à ces situations, mais elle s'enferme, parfois, dans des solutions pour le moins assez peu claires.

2. Les étranges contradictions de la décision

La décision rendue le 6 mars 2008 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation laisse une impression d'étranges contradictions. Si l'on a bien compris, rupture négociée et transaction ne devraient pas faire bon ménage ou pouvoir s'articuler car elles sont destinées à intervenir dans des situations très distinctes. Si la rupture est réellement négociée, nul besoin de transaction pour régler un litige qui n'existe manifestement pas. Si une transaction est utile, c'est que les parties ont connu un litige qui touche, par exemple, la décision de rupture du contrat de travail (spécialement le licenciement). La décision du 6 mars 2008 paraît, cependant, jouer sur les deux tableaux de la rupture négociée et de la transaction.

En effet, la deuxième chambre civile ne remet pas en cause la rupture négociée du contrat de travail conclue entre la salariée et son employeur. Mais, dans le même temps, la juridiction retient que les sommes versées à la salariée à l'occasion de cette rupture ont une nature indemnitaire et ne doivent donc pas être soumises à cotisations sociales. Or, habituellement, les indemnités versées à l'occasion d'un départ volontaire du salarié sont soumises à cotisations (v. notamment, Cass. soc., 6 janvier 1998, n° 94-21.159, Urssaf de Paris c/ Société Rhône-Poulenc Chimie N° Lexbase : A2133AAA). A l'inverse, les indemnités versées à l'occasion d'une transaction, qui fait suite à la rupture d'un contrat de travail, sont, dans certaines limites, habituellement exonérées de cotisations de sécurité sociale, au moins pour la partie qui correspond à la réparation du préjudice né de la cette rupture. En l'espèce, la Cour de cassation ne remet pas en cause la rupture négociée, mais soumet les sommes versées à cette occasion au régime social des indemnités transactionnelles destinées à compenser un préjudice.

La solution retenue par la deuxième chambre civile peut laisser perplexe, elle était, pourtant, tout à fait prévisible eu égard à d'assez nombreuses décisions antérieures du même type. En effet, dans des espèces voisines, la même solution est, souvent, retenue. C'est, en particulier, le cas depuis une décision de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en ce sens (Ass. plén., 2 avril 1993, n° 89-15.490, Société Jeumont-Schneider N° Lexbase : A6238ABN) : "les indemnités, versées par l'employeur aux salariés qui acceptent de quitter volontairement l'entreprise et qui ont, comme les indemnités légales ou conventionnelles de licenciement, le caractère de dommages-intérêts, compensant le préjudice né de la rupture du contrat de travail, ne doivent pas être incluses dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale". La Cour de cassation ne remet pas en cause le fait que les salariés concernés ont accepté de quitter l'entreprise, mais elle fonde manifestement sa décision sur le fait qu'ils n'étaient pas à l'origine de la rupture de leur contrat de travail.

L'espèce du 6 mars 2008 est dans la même lignée, lorsqu'il insiste sur le fait que "la rupture du contrat de travail [...] a pour origine la restructuration de certains services [...] et [...] qu'elle a été provoquée par l'employeur". L'accent est mis sur l'origine de la rupture, sur son initiative. Le même raisonnement est suivi en matière d'assurance chômage. A cet égard, on sait que le bénéfice des allocations chômage est, en principe, réservé aux salariés involontairement privés d'emploi. En toute rigueur, le salarié ayant conclu avec son employeur une rupture négociée de son contrat de travail ne devrait pas être susceptible de percevoir des allocations chômage. L'assurance chômage adopte, cependant, une position plus nuancée. S'il apparaît, en effet, que la rupture négociée a un motif économique, la situation du salarié est considérée comme relevant du chômage involontaire susceptible d'ouvrir droit à allocations chômage.

Mais alors, dans les cas de rupture provoquée par l'employeur, pourquoi ne pas écarter la qualification de rupture négociée pour privilégier la voie du licenciement ? En effet, cette dernière se trouve finalement souvent éludée. On ne peut s'empêcher de poser la question à la lecture de certains passages de l'arrêt de la cour d'appel de Paris dont la solution est confirmée par l'arrêt ici commenté : "Mme B. a contesté auprès de la CCAS la ponction ainsi effectuée par elle, en faisant valoir qu'elle ne l'avait pas avisée de cet assujettissement qui était contraire, tant à la teneur qu'à l'esprit de leur accord, lequel, précisait-elle, n'avait eu, en réalité, pour objet, compte tenu des circonstances de sa conclusion, que de permettre à la CCAS d'échapper aux conséquences d'un licenciement"... (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 30 novembre 2006, n° 05/06526, Mme Catherine Bassila N° Lexbase : A5736DXQ).


(1) Le Code du travail envisage expressément la possibilité d'une rupture d'un commun accord pour les contrats à durée déterminée.
Décision

Cass. civ. 2, 6 mars 2008, n° 07-40.591, Régie autonome des transports parisiens (RATP), agissant en qualité de Caisse autonome de coordination des assurances sociales de la RATP (CCAS), F-P+B (N° Lexbase : A3374D74)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 30 novembre 2006, n° 05/06526, Mme Catherine Bassila (N° Lexbase : A5736DXQ)

Textes concernés : CSS, art. L. 242-1 (N° Lexbase : L3404HWY)

Mots clefs : rupture du contrat de travail ; rupture d'un commun accord ; indemnités de rupture ; caractère indemnitaire ; assiette des cotisations de sécurité sociale.

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Sociétés

[Le point sur...] Régime des déclarations formulées par le dirigeant d'une entreprise à la demande du commissaire aux comptes

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N3802BEK

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par Anne Lebescond - SGR droit des affaires

Le 07 Octobre 2010

Nombreux sont les dirigeants d'entreprise sollicités par le commissaire aux comptes de la société qu'ils dirigent, qui, dans le cadre de sa mission de certification des comptes ou des autres missions que lui confère la loi, leur demande d'émettre des déclarations portant sur des points allant du plus précis au plus large.

Ces déclarations sont formulées, soit par oral, soit, le plus souvent, par un écrit, la "lettre d'affirmation", conservée dans les dossiers du commissaire aux comptes pendant dix ans, et qui sera, très souvent, produite dans le cadre d'un litige, en tant que preuve des informations qui lui ont été transmises par les dirigeants et de la façon dont il a accompli ses diligences. Par cette lettre, le dirigeant donne pour vrais des informations, faits ou événements significatifs pour la mission du commissaire aux comptes. Il s'agit, on le comprend, d'un outil précieux offert à celui-ci dans l'exercice de sa mission, qui, concernant les comptes sociaux, est de certifier les comptes d'une entreprise et, de ce fait, engager sa responsabilité, tant civile que pénale, sur des sujets où il se fie, majoritairement, aux écritures comptables et aux informations fournies par les dirigeants. Elle constitue, dans ce cadre, un des éléments collectés lui permettant d'aboutir à des conclusions sur lesquelles il fonde son opinion sur les comptes, en leur conférant une plus grande autorité.

Auparavant, seuls les grands cabinets internationaux, qui intervenaient sur des groupes généralement côtés ou lors d'audits d'acquisition ou d'opérations de rapprochement, recouraient à la lettre d'affirmation, car elle n'était pas considérée comme nécessaire pour renforcer la responsabilité des dirigeants de la société, compte tenu des sanctions encourues par ceux-ci (QE n° 12300 de M. Rémi Herment, JO Sénat 5 octobre 1995 p. 1886, réponse publ. 23 mai 1996 p. 1273, 10ème législature N° Lexbase : L8371H3G). Alors qu'il ne s'agissait que d'une faculté laissée au commissaire aux comptes, les impératifs de rapidité et de sécurité, inhérents à l'évolution des affaires, et une reconnaissance croissante de la responsabilité des commissaires aux comptes (notamment, depuis certains scandales financiers tels qu'Enron, dans le cadre duquel l'intégrité du cabinet Arthur Andersen avait été mise en cause) conduisent, aujourd'hui, ces derniers à obtenir des lettres d'affirmation de façon quasi-systématique.

De leur côté, les dirigeants refusent parfois de délivrer une telle lettre ou d'y formuler toutes les déclarations sollicitées par le commissaire aux comptes. Ils ne comprennent pas, en effet, l'utilité du contrôle du commissaire aux comptes, si, finalement, celui-ci exige une certification d'éléments qu'il a, justement, la charge de vérifier. Il arrive, en outre, que certaines déclarations demandées ou questions posées par le commissaire aux comptes, compte tenu de leurs termes très larges, soient telles qu'il peut être difficile d'y apporter une réponse satisfaisante.

Les enjeux sont importants et tout est question, d'une façon ou d'une autre, de responsabilité (du dirigeant et/ou du commissaire aux comptes) et, de part et d'autre, d'équilibre et de juste mesure : il s'agit de concilier les difficultés rencontrées par le commissaire aux comptes dans l'exercice d'une mission pour laquelle il engage une grande responsabilité, avec les intérêts des chefs d'entreprises, qui doivent pouvoir gérer "paisiblement" leur société, sans crainte d'une "inquisition" et d'une répression systématiques.

Fondée sur un principe de transparence, la lettre d'affirmation est, en réalité, aussi nécessaire pour le commissaire aux comptes, qu'elle l'est pour le dirigeant qui l'émet, si elle est utilisée à bon escient, en vue, notamment, d'éclairer le premier sur des points réellement obscurs ou difficiles à vérifier, et de porter l'attention du deuxième sur les responsabilités inhérentes à sa gestion, qui est transcrite dans l'arrêté des comptes. Au contraire, son utilisation "abusive" peut être sanctionnée ; ne dispensant pas le commissaire aux comptes d'effectuer toutes les diligences utiles à ses missions, sa responsabilité sera retenue s'il n'a procédé à aucune diligence, conforté par les déclarations du dirigeant.

Pratique courante de la vie des affaires, cette lettre dispose, aujourd'hui, d'un cadre juridique précis, exposé dans la norme d'exercice professionnelle n° 580 "Déclarations de la direction", homologuée par arrêté du 7 mai 2007 (N° Lexbase : L4830HX8) (ci-après la "Norme").

L'appréhension du cadre juridique de la lettre d'affirmation amène à se poser quatre questions principales :

  • quels sont les cas dans lesquels le commissaire aux comptes peut solliciter son émission (I) ?
  • qui est habilité à formuler les déclarations, sous quelle forme et pour quel contenu (II) ?
  • quelle latitude est laissée au dirigeant (III) ?
  • quelle utilisation le commissaire aux comptes peut-il en faire (IV) ?

I - La faculté étendue du commissaire aux comptes de solliciter du dirigeant l'émission de lettres d'affirmation

Le domaine d'intervention, très large, du commissaire aux comptes et la façon dont il se doit d'accomplir ses diligences sont fixés, de façon très précise, par la loi, les règlements, les normes d'exercice professionnelles et les usages, les obligations à sa charge étant, selon une jurisprudence constante (1), de moyens. Par conséquent, il ne peut lui être reproché une faute, dès lors qu'il aura mis en oeuvre l'ensemble des procédures et règles applicables à sa mission, étant précisé qu'il n'est pas tenu de vérifier, de façon exhaustive, l'ensemble des informations et écritures comptables qui lui sont soumises, mais qu'il doit procéder à des sondages et demandes de confirmation, en cas de découverte ou de suspicion d'anomalies. Une lettre d'affirmation peut, et même, doit être demandée par le commissaire aux comptes aux dirigeants de la société concernée, dans ce contexte, sous peine de se voir reprocher de ne pas l'avoir fait.

Le rôle du commissaire aux comptes étant, principalement, d'obtenir l'assurance que les comptes ou les autres opérations qu'il se doit de contrôler ne comportent pas d'anomalies significatives, la Norme lui reconnaît la faculté de solliciter du dirigeant l'émission d'une lettre d'affirmation dans le cadre de sa mission de contrôle et de certification des comptes annuels d'une société (A) et dans le cadre de toutes les autres interventions que lui confère la loi (B).

A - Demande d'émission d'une lettre d'affirmation dans le cadre du contrôle et de la certification des comptes sociaux et consolidés d'une société

A plusieurs reprises dans le texte de la Norme, il est rappelé la faculté laissée au commissaire aux comptes de solliciter du dirigeant la formulation de déclarations et l'émission d'une lettre d'affirmation :

  • "tout au long de l'audit des comptes, la direction fait, au commissaire aux comptes, des déclarations orales ou écrites, spontanées ou en réponse à des demandes spécifiques" ;
  • "le commissaire aux comptes demande au représentant légal une formulation écrite des déclarations qu'il estime nécessaires pour conclure sur les assertions qu'il souhaite vérifier" ;
  • "dans le cadre de l'audit des comptes, les membres de la direction, y compris le représentant légal, font des déclarations au commissaire aux comptes ; celles-ci constituent des éléments collectés pour aboutir sur des conclusions sur lesquelles il fonde son opinion sur les comptes".

En aucun cas, la Norme n'impose au commissaire aux comptes une automaticité de demande de déclarations dans le cadre de la certification des comptes, mais elle laisse, au contraire, à sa libre appréciation, la nécessité d'une telle formulation de la part du dirigeant, nécessité qu'il relèvera le plus souvent.

Pour comprendre l'enjeu, il convient de rappeler ce que signifie la certification des comptes par le commissaire. De façon générale, la certification consiste à affirmer qu'une chose est certaine et, par conséquent, en répondre. Dans le cadre de sa mission de contrôle et de certification des comptes sociaux et consolidés, le commissaire aux comptes doit certifier que les comptes sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle des résultats des opérations de l'exercice, ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice (2). La certification engage le commissaire aux comptes qui est responsable à l'égard de la société, des associés/actionnaires, partenaires et tiers intéressés, en cas de certification donnée à la légère ou erronée.

Cette mission de contrôle "n'est pas limitée à un contrôle a posteriori mais [le commissaire aux comptes] est investi d'une mission permanente de contrôle" (3), l'obligation étant, comme indiqué plus haut, de moyens. Il lui appartient de déterminer, sous sa responsabilité, les moyens de contrôle qu'il doit mettre en oeuvre pour engager sa signature. Il collecte, pour ce faire, des éléments probants suffisants et appropriés pour fonder l'assurance raisonnable lui permettant de délivrer sa certification, la lettre d'affirmation en faisant partie. Il n'aura, donc, pas rempli sa mission, s'il n'a pas mis en oeuvre ces moyens et sera susceptible, notamment, de se voir reproché l'absence de demande d'émission d'une telle lettre.

B - Demande d'émission d'une lettre d'affirmation dans le cadre de toutes les autres interventions du commissaire aux comptes prévues par la loi

Les cas dans lesquels le commissaire aux comptes peut solliciter du dirigeant l'émission d'une lettre d'affirmation sont aussi nombreux que les missions que lui reconnaît la loi (4). Comme dans le cadre de la certification des comptes sociaux et des comptes consolidés, le commissaire aux comptes aura tendance à solliciter, la plupart du temps, la délivrance d'une lettre d'affirmation pour ces opérations importantes.

II - Auteur, forme et contenu de la lettre d'affirmation - un régime fondé sur le pragmatisme et l'efficacité

Le régime des déclarations formulées par le dirigeant, et, plus particulièrement, de celles contenues dans une lettre d'affirmation, est fondé sur un fort souci de pragmatisme et d'efficacité, l'objectif étant de mettre à la disposition du commissaire aux comptes un outil lui permettant d'effectuer au mieux ses missions. Ainsi, les règles relatives à l'auteur (A), à la forme (B) et au contenu (C) de la lettre d'affirmation sont toutes dictées par cet impératif.

A - Multiplicité des auteurs de la lettre d'affirmation

La Norme indique que les déclarations sont faites par les membres de la direction, y compris le représentant légal, étant précisé qu'il appartient au commissaire aux comptes de "détermine[r] si les personnes à l'origine des déclarations sont celles qui possèdent la meilleure compétence et la meilleure connaissance au regard des éléments sur lesquels elles se prononcent".

En vue d'une efficacité optimale des déclarations formulées, la Norme prévoit que les auteurs des déclarations seront les personnes les plus à même de les formuler. Elles émaneront, donc, du représentant légal, en charge de l'établissement des comptes, mais, également, de tout membre de la direction de la société, salarié ou non, le plus concerné, compte tenu de sa position et/ou de ses compétences particulières. En pratique, la lettre est signée par les responsables opérationnels de l'entité, présidents, directeurs généraux, directeurs généraux délégués, directeurs financiers... au mieux de leur connaissance et en toute bonne foi.

B - Forme de la lettre d'affirmation

Selon le paragraphe 8 de la Norme, les déclarations écrites prennent la forme d'une lettre du représentant légal adressée au commissaire aux comptes, cette lettre devant être émise à une date la plus rapprochée possible de la date de signature du rapport de celui-ci. Elles peuvent, également, prendre la forme d'une lettre adressée par le commissaire aux comptes au représentant légal, dans laquelle il explicite sa compréhension de la situation. Dans ce cas, il est demandé au représentant légal d'en accuser réception et de confirmer, par écrit, son accord sur les termes exposés, cette confirmation devant intervenir à une date la plus rapprochée possible de celle de la signature du rapport du commissaire aux comptes et préalablement à celle-ci.

Ces déclarations peuvent être consignées dans le procès-verbal d'une réunion de l'organe en charge de l'administration de la société, le commissaire aux comptes s'assurant, alors, que la date de cette réunion est suffisamment proche de celle de la signature de son rapport. La lettre d'affirmation est datée, signée par la personne en charge de l'établissement des comptes qui doit le spécifier (5) et comporte, le cas échéant, la co-signature du membre de la direction compétent sur un élément spécifique des comptes, objet d'une déclaration (6). La lettre d'affirmation est envoyée directement au commissaire aux comptes.

C - Contenu minimum encadré par la Norme et libre appréciation du commissaire aux comptes pour le reste

Le paragraphe 7 de Norme liste de très nombreux points qui doivent être soulevés par le commissaire aux comptes, lorsqu'il sollicite du dirigeant une lettre d'affirmation, et qui portent, pour la plupart, sur la réalité et l'exactitude des informations comptables, l'absence de fraudes et d'anomalies et l'exhaustivité des informations fournies, ces points étant adaptés et complétés en fonction de la situation en cause.

La Norme autorise, également, le commissaire aux comptes, à côté des déclarations listées expressément par le texte, qui se doivent de figurer dans la lettre, à solliciter toutes déclarations écrites qu'il estime nécessaires à l'exercice de sa mission. En principe, la diversité de ces déclarations est importante, même si, en général, les demandes du commissaire aux comptes se limitent à des aspects qui, pris isolément ou dans leur ensemble, revêtent un caractère significatif pour l'objectif de sa mission.

III - Les limites de l'absence de caractère contraignant de la sollicitation du commissaire aux comptes

En théorie, le dirigeant décide des suites qu'il donne à la sollicitation du commissaire aux comptes. Toutefois, selon le paragraphe 7 de la Norme, "lorsque le représentant légal refuse de fournir ou de confirmer une ou plusieurs des déclarations écrites demandées par le commissaire aux comptes, celui-ci s'enquiert auprès de lui des raisons de ce refus [...] ; en fonction des réponses formulées, le commissaire aux comptes tire les conséquences éventuelles sur l'expression de son opinion".

Ainsi, bien que le dirigeant ne soit pas juridiquement lié par la sollicitation du commissaire aux comptes, un refus de sa part risque d'être mal perçu par ce dernier et entraînera, à coup sûr, de nombreuses conséquences, si les motivations de ce refus ne satisfont pas le commissaire.

En effet, en fonction de l'importance de l'élément en cause, le commissaire aux comptes reconsidèrera le degré de confiance qu'il accorde aux autres déclarations de la direction et en tirera les conséquences quant à l'expression de son opinion sur les comptes.

Dans un pareil cas, il est peu probable qu'il certifie sans réserve les comptes, même lorsque l'élément sur lequel porte la déclaration est d'importance mineure. En effet, le refus de donner des déclarations écrites constitue une limitation dans l'étendue des travaux  du commissaire aux comptes, or la certification sans réserve n'est possible que si un certain nombre de conditions ont pu être réunies, dont, notamment, la possibilité pour celui-ci de mettre en oeuvre, sans restriction, les diligences qu'il a estimées nécessaires. La certification est, cependant, laissée à sa libre appréciation, à charge pour lui d'en assumer les conséquences éventuelles.

Le commissaire, en pratique, décidera, le plus souvent, de certifier les comptes, tout en formulant des réserves. Cette certification "limitée" intervient quand il n'a pu mettre en oeuvre toutes les diligences utiles, bien que les effets possibles des limitations qui lui ont été imposées ne lui semblent pas suffisamment significatifs pour refuser une certification. Dans ce cas, le commissaire aux comptes précise clairement dans son rapport la nature du désaccord ou de la limitation justifiant les réserves, le refus de déclarations étant mentionné à ce titre.

Dans les cas les plus graves, pour lesquels il n'est pas possible pour le commissaire de se faire une opinion, il refusera de certifier les comptes. Le refus de certification devant être motivé, le commissaire aux comptes a le devoir d'expliquer, aussi longuement qu'il est nécessaire et utile, les raisons de son refus.

La vigilance du commissaire aux comptes lui recommandera, en outre, très souvent, de procéder à des audits plus approfondis. Il pourra, alors, décider d'utiliser tout autre moyen dont la loi le dote pour mener à bien sa mission, dont :

  • la procédure d'alerte, lorsque la continuité de l'exploitation lui semble en péril et qu'il n'a pu obtenir, de la part des dirigeants, d'assurance à ce sujet ;
  • les droits d'investigation auprès de la société, auprès des sociétés mères ou filiales et auprès des tiers.

Lorsqu'il refuse de certifier les comptes ou les certifie avec réserves, le commissaire aux comptes peut en informer le conseil d'administration. Face à un fait délictueux, il lui incombe, même, d'en informer le procureur de la République.

Compte tenu des conséquences ci-dessus exposées, il est recommandé au dirigeant et au commissaire aux comptes d'ouvrir le dialogue.

IV - Utilisation des déclarations de la direction par le commissaire aux comptes

Les déclarations formulées par le dirigeant dans une lettre d'affirmation sont utilisées par le commissaire aux comptes, aussi bien dans l'exercice de ses missions (A), que dans le cadre d'un litige (B).

A - Dans le cadre de sa mission

Les paragraphes 4 et 5 de Norme régissent l'utilisation par le commissaire aux comptes des déclarations des dirigeants. Ainsi "lorsqu'elles concernent des éléments significatifs des comptes, le commissaire aux comptes :

  • cherche à collecter des éléments qui corroborent les déclarations de la direction ;
  • apprécie le cas échéant si elles sont cohérentes avec les autres éléments collectés ;
  • détermine si les personnes à l'origine de ces déclarations sont celles qui possèdent la meilleure compétence et la meilleure connaissance au regard des éléments sur lesquels elles se prononcent".

Le paragraphe 14 de la Norme précise que "le commissaire aux comptes conserve dans son dossier de travail les comptes rendus de ses entretiens avec la direction de l'entité et les déclarations écrites obtenues de cette dernière". Les informations contenues dans ce dossier sont conservées pendant dix ans et mises à la disposition d'un grand nombre d'acteurs ou d'autorités de contrôle : conseil régional des commissaires aux comptes, Conseil national, procureur général près la cour d'appel, chambres de discipline, et, dans l'hypothèse où il exerce ses fonctions dans une société faisant appel public à l'épargne, Autorité des marchés financiers.

B - Dans le cadre d'un litige : atténuation ou renforcement de la responsabilité du dirigeant et du commissaire aux comptes

Très souvent, les lettres d'affirmation obtenues par le commissaire aux comptes sont produites dans le cadre de litiges par celui-ci, afin d'atténuer sa responsabilité ou de la voir non reconnue par les juges. Pourtant, la jurisprudence donne des exemples illustrant le fait que cette lettre n'exonère en rien le commissaire aux comptes de procéder à tous les contrôles et diligences nécessaires. Au contraire, il peut arriver qu'elle desserve ses intérêts.

Ainsi, dans une décision "Albin Michel", rendue en février 2003 (7), la Cour de cassation, ne faisant aucun cas du devoir de loyauté auquel sont tenus les dirigeants à l'égard de leur commissaire aux comptes, a estimé que ces derniers ne devaient pas faire confiance aux dirigeants, mais qu'ils devaient, au contraire, vérifier leurs déclarations. Il s'agissait, dans l'espèce rapportée, d'un groupe de sociétés d'édition acquis, sans audit préalable, en s'appuyant uniquement sur la certification des comptes consolidés du groupe. Il est apparu, par la suite, que ces comptes comportaient d'importantes irrégularités, la responsabilité des commissaires aux comptes a, donc, été recherchée. Ceux-ci ont tenté de réduire leur condamnation, en invoquant la faute des dirigeants et en leur reprochant de leur avoir fourni des informations erronées : ils avaient certifiés les comptes d'une des société d'édition en formulant des réserves sur la valeur comptable de son stock, celle-ci étant, en réalité, très largement supérieure à ce qu'elle aurait dû être. La Cour de cassation a estimé que les commissaires aux comptes avaient disposé de tous les éléments nécessaires à leur mission et que, dans la mesure où leur réserve portait sur un poste du bilan très important, ils auraient dû approfondir leurs contrôles, ce qui les aurait conduits à refuser la certification des comptes.

Dans une autre affaire (8), la Haute juridiction a confirmé la responsabilité pénale d'un commissaire aux comptes pour délivrance d'informations mensongères et non révélation de faits délictueux (escroquerie, abus de confiance...). Les juges ont, notamment, relevé que la lettre d'affirmation remise au commissaire aux comptes démontrait que "celui-ci avait une parfaite connaissance de la réalité des problèmes dans la mesure où les points cruciaux de la société [...] sont abordés, à savoir : les mouvements importants sur le compte courant [...], la variation des stocks, l'absence de garantie de rachat pour les clients". Le commissaire aux comptes avait, donc, cru bien faire en obtenant des déclarations écrites de la direction. Mais loin d'atténuer sa responsabilité, la lettre d'affirmation n'a fait, ici, qu'aggraver la situation, en apportant la preuve de sa parfaite connaissance des irrégularités.


(1) Voir Cass. com., 9 février 1988, n° 86-13.121, M. Foillard c/ M. Viellard et autres (N° Lexbase : A6876AAW) ; Cass. com., 12 novembre 1992, n° 90-18.502, Camayor c/ De la Grancière de Villez et autres (N° Lexbase : A2155AGW) ; Cass. com., 28 janvier 1992, n° 90-15.837, SA Expertises comptables Ollivier c/ Société Saga (N° Lexbase : A2147AGM).
(2) La régularité est la conformité aux lois, en général, et aux prescriptions réglementaires applicables à la comptabilité. La sincérité est l'expression claire de la situation sociale, sans déguisements ni détours, elle consiste à préciser les règles qui ont été suivies dans l'établissement des documents comptables, en attirant l'attention sur les résultats, parfois inhabituels, auxquels elles peuvent aboutir. Les comptes sincères sont des comptes établis de manière claire, avec loyauté et bonne foi. Les comptes doivent, également, donner une image fidèle des résultats de l'exercice et de la situation de la société, c'est-à-dire qu'ils doivent donner une information telle qu'un jugement sain peut être formé sur la situation et les résultats de l'exercice.
(3) Voir Cass. com., 19 octobre 1999, n° 96-20.687, Société des garages Voltaire c/ M. Lefèvre (N° Lexbase : A8049AG9).
(4) Pour le détail de ces missions, voir Mémento comptable Francis Lefebvre 2008, n° 5044-1.
(5) Comme l'indiquent les dispositions du paragraphe 9 de la Norme "lorsque le commissaire aux comptes sollicite une lettre d'affirmation, il demande que le signataire précise qu'il établit cette lettre en tant que responsable de l'établissement des comptes".
(6) Comme l'indiquent les dispositions du paragraphe 9 de la Norme "lorsqu'une déclaration porte sur un élément spécifique des comptes qui demande des compétences particulières, celle-ci peut être cosignée par le membre de la direction compétent sur le sujet".
(7) Voir Cass. com., 11 février 2003, n° 99-20.139, M. Jacques Bendavid c/ Société Editions Albin Michel , F-D (N° Lexbase : A0004A7B).
(8) Voir Cass. crim., 7 juin 2000, n° 99-82.812, Fillonneau Michel et autres (N° Lexbase : A2377CPQ).

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Social général

[Panorama] Panorama des arrêts inédits rendus par la Cour de cassation - Semaine du 10 mars 2008 au 14 mars 2008

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N4522BE9

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Le 07 Octobre 2010

Retrouvez, chaque semaine, une sélection des arrêts inédits de la Cour de cassation, les plus pertinents, classés par thème.
  • Principe "à travail égal, salaire égal"/Atteinte/Preuve

- Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-44.186, Société Desbois autocars voyages, F-D (N° Lexbase : A3987D7S) : en application de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence. Dès lors, la cour d'appel qui a constaté que l'employeur rapportait la preuve d'éléments objectifs tenant à la nature des fonctions exercées, au rang hiérarchique, au niveau de formation et à l'expérience professionnelle respectifs de M. C. et des autres salariés auxquels il se comparait, a pu décider que ces éléments pertinents justifiaient la différence de traitement entre les salariés .

  • Astreinte/Rémunération

- Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-44.928, Association des résidences pour personnes âgées (AREPA), F-D (N° Lexbase : A3994D73) : constitue un travail effectif, au sens de l'article L. 212-4 du Code du travail alors applicable (N° Lexbase : L8959G7X), le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Constitue, au contraire, une astreinte, la période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif. Dès lors, la cour d'appel, qui a constaté que pendant qu'elle se trouvait dans son logement de fonction personnel situé au sein de l'établissement, libre de vaquer à des occupations personnelles, la salariée devait assurer une présence chez elle, y compris la nuit, afin de pouvoir répondre à des appels téléphoniques éventuels et intervenir en cas de besoin d'un résident, spécialement en cas d'urgence touchant à la sécurité des personnes et des biens, en a exactement déduit que la période litigieuse constituait une astreinte. Par ailleurs, toute heure d'astreinte doit donner lieu à rémunération. En l'absence de toute disposition contractuelle ou conventionnelle prévoyant que l'attribution du logement à titre gratuit et le paiement de factures d'électricité constitueraient une modalité de rémunération de l'astreinte, la cour d'appel a apprécié souverainement le montant de la rémunération revenant à la salariée .

  • Preuve/Faute grave

- Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-41.906, M. Thierry Goin, F-D (N° Lexbase : A4108D7B) : la preuve est libre en matière prud'homale. Dès lors, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à de simples allégations non assorties d'une offre de preuve, a retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que le salarié avait volontairement trompé la confiance de son employeur. En l'état de ces motifs qui caractérisent l'existence d'une faute grave et excluent, par là même, que le licenciement ait eu une cause non disciplinaire, elle n'encourt aucun des griefs du moyen .

  • Rupture anticipée du CDD/Faute grave de l'employeur

- Cass. soc., 11 mars 2008, n° 06-41.606, Mme Nathalie Porquet, F-D (N° Lexbase : A3978D7H) : il résulte de l'article L. 122-3-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5457AC4) que, sauf accord des parties, le contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave de l'une ou l'autre des parties ou de force majeure. La cour d'appel, qui a constaté l'inexécution par l'employeur de son obligation contractuelle de paiement du salaire et que la régularisation intervenue ultérieurement n'était pas de nature à retirer à ce manquement son caractère de faute grave, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations quant à la rupture du contrat de travail .

  • Préavis de grève

- Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-18.494, Régie autonome des transports parisiens (RATP), F-D (N° Lexbase : A3936D7W) : aucune disposition légale n'interdit l'envoi de préavis de grève successifs mentionnant des motifs différents. La cour d'appel a retenu à bon droit que le nombre important de préavis déposés par le syndicat ne suffit pas à caractériser un usage abusif du droit de grève, peu important qu'ils aient concerné un seul dépôt de bus, dès lors qu'ils respectaient le délai de cinq jours prévu avant le déclenchement du conflit et qu'ils exprimaient, chacun, des revendications différentes .

  • Transfert d'une entité économique autonome/Sort des contrats de travail/Cabinet d'avocat

- Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-46.090, Mme Nadine Gasparetti, F-D (N° Lexbase : A4013D7R) : en cas de transfert d'une entité économique autonome, qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise, les contrats de travail des salariés qui en relèvent se poursuivent de plein droit avec le cessionnaire. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, ce qui est le cas d'un cabinet d'avocat. Dès lors, le transfert des dossiers du cabinet entraînait celui de la totalité de la clientèle qui y était attachée et qui constituait l'élément essentiel de cette entité .

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