La lettre juridique n°288 du 17 janvier 2008 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Conditions d'exercice de la mission d'assistance du comité d'entreprise par l'expert-comptable pour l'examen annuel des comptes de l'entreprise

Réf. : Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-17.389, Commune de Balaruc-les-bains c/ Société anonyme Syndex, FS-P+B (N° Lexbase : A1199D3S)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Parmi les attributions économiques du comité d'entreprise, une place particulière doit être réservée à l'examen des comptes annuels de l'entreprise. Cette prérogative présente, en effet, un aspect essentiel, dans la mesure où elle permet à l'institution représentative du personnel de connaître la situation économique et sociale de l'entreprise. Afin de permettre au comité d'exercer cette prérogative dans toute sa plénitude, le législateur a pris soin de lui permettre de faire appel à un expert-comptable. L'arrêt rendu le 18 décembre dernier par la Cour de cassation vient rappeler la durée de la mission d'assistance de cet expert et apporte d'importantes précisions sur les modalités de sa rémunération, dont on sait qu'elle est, en principe, à la charge de l'employeur.
Résumé

Le droit pour le comité d'entreprise de procéder à l'examen annuel des comptes de l'entreprise et de se faire assister d'un expert-comptable, dont la rémunération est à la charge de l'employeur, s'exerce au moment où les comptes lui sont transmis et est, par application des articles L. 432-4 (N° Lexbase : L6408ACC) et L. 434-6 (N° Lexbase : L8967G7A) du Code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2002/14/CE du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (N° Lexbase : L7543A8U), indépendant de la date à laquelle ces comptes sont approuvés.

L'expertise décidée par le comité d'entreprise et réalisée pour son compte, en application de ces mêmes textes, n'est pas soumise aux règles qui régissent les relations entre l'employeur et ses prestataires de service. Lorsque l'employeur est une collectivité territoriale, il lui appartient de procéder aux formalités permettant le règlement d'une dépense légalement obligatoire.

Observations

1. La durée de la mission de l'expert-comptable

  • Les textes

Pour que le comité d'entreprise puisse procéder à l'examen des comptes annuels de l'entreprise, ceux-ci doivent, par définition, lui être préalablement transmis par le chef d'entreprise. C'est ce que prévoit l'article L. 432-4 du Code du travail, dans ses alinéas 9 et 13, en distinguant les sociétés commerciales et les entreprises qui ne revêtent pas cette forme. En l'espèce, était en cause une collectivité territoriale et, plus précisément, un service public industriel et commercial géré en régie directe par une commune. C'est donc l'alinéa 13 du texte précité qui devait être appliqué (1).

Renvoyant aux textes qui viennent d'être évoqués, l'article L. 434-6 du Code du travail autorise le comité d'entreprise à se faire assister d'un expert-comptable pour examiner les comptes annuels. Ce renvoi paraît fixer le cadre d'exercice de la mission de l'expert-comptable, mais, également, l'étendue de la prérogative conférée au comité. La lecture de l'alinéa 9 de l'article L. 432-4 nous apprend, en effet, que le chef d'entreprise est tenu de communiquer au comité les documents comptables "avant leur présentation à l'assemblée générale des actionnaires ou à l'assemblée des associés". Le caractère préalable de cette communication à l'assemblée générale est nécessaire dans la mesure où l'alinéa suivant précise que le comité peut formuler toutes les observations utiles sur la situation économique et sociale de l'entreprise ; observations qui sont obligatoirement transmises à l'assemblée des actionnaires ou des associés, en même temps que le rapport du conseil d'administration, du directoire ou des gérants.

A l'évidence, ces dispositions n'intéressent que les sociétés commerciales. S'agissant des entreprises qui ne revêtent pas cette forme juridique, on ne trouve pas trace de semblables précisions. Pour être regrettable, cette lacune peut être dépassée si l'on admet que, sous réserve d'adaptations, les dispositions précitées peuvent être appliquées à ces entreprises (2).

Cela étant précisé, on peut considérer que, dans la mesure où le comité a le droit de faire appel à un expert-comptable pour l'examen des comptes annuels qui seront, ensuite, présentés à l'assemblée générale (3), la date à laquelle celle-ci se réunit constitue le terme de la mission de l'expert-comptable. Telle n'est, cependant, pas la position retenue par la Cour de cassation.

  • Leur mise en oeuvre prétorienne

Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, "le droit pour le comité d'entreprise de procéder à l'examen annuel des comptes de l'entreprise et de se faire assister d'un expert-comptable, dont la rémunération est à la charge de l'employeur, s'exerce au moment où les comptes lui sont transmis et est, par application des articles L. 432-4 et L. 434-6 du Code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2002/14/CE du 11 mars 2002, établissant un cadre général à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, indépendant de la date à laquelle ces comptes sont approuvés".

Cette affirmation ne constitue pas une nouveauté. La Chambre sociale avait, en effet, adopté une position similaire dans un arrêt précédent et non publié, rendu le 1er juillet 2004 (4). Il faut, cependant, remarquer que, dans cette dernière affaire, était concernée une société commerciale. La décision ici commentée permet à la Cour de cassation de donner une portée générale à la solution retenue. Outre le fait qu'était en cause, en l'espèce, une collectivité territoriale, la référence à la Directive du 11 mars 2002 confirme cette volonté de généralisation (5).

Pour le reste, la solution retenue peut être diversement appréciée. Tout d'abord, il est difficile de discuter l'affirmation selon laquelle "le droit pour le comité de procéder à l'examen annuel des comptes de l'entreprise et de se faire assister d'un expert-comptable [...] s'exerce au moment où les comptes lui sont transmis". Cela paraît relever de l'évidence, dans la mesure où la prérogative conférée au comité ne peut être exercée que si les comptes lui ont été préalablement transmis ce qui, en vertu de la loi, relève de la responsabilité du chef d'entreprise (6).

On peut, en revanche, trouver plus contestable le fait que l'exercice des prérogatives du comité soit détaché de la date à laquelle les comptes annuels sont approuvés par l'organe compétent (7). Il faut, ainsi, comprendre que le comité d'entreprise pourra examiner les comptes, alors même qu'ils ont été approuvés par cet organe. De même, la mission de l'expert-comptable en la matière pourra se prolonger postérieurement à cette approbation, voire même, comme en l'espèce, intervenir après celle-ci. D'un point de vue très concret, cela peut paraître regrettable car le comité d'entreprise se trouve de facto priver de la possibilité de communiquer ses observations à l'organe compétent pour approuver les comptes. Pour autant, cela n'enlève rien à l'objet essentiel de l'examen annuel des comptes qui est, à notre sens, de permettre au comité d'apprécier la situation économique et sociale de l'entreprise. Peu importe, ici, que les comptes aient été, ou non, approuvés.

Par ailleurs, il serait excessif de trouver dans les textes une limite ultime à l'exercice de ses prérogatives par le comité, qui résiderait dans l'examen ou l'approbation des comptes par l'organe compétent. Il importe, ici, de rappeler que, nonobstant la référence faite aux observations que peut présenter le comité, l'examen des comptes annuels de l'entreprise relève de la procédure d'information, et non de consultation. Or, selon la Directive précitée, l'information doit être donnée "à un moment, d'une façon et avec un contenu appropriés, susceptibles, notamment, de permettre aux représentants des travailleurs de procéder à un examen adéquat et de préparer, le cas échéant, la consultation". En droit interne, cet "examen adéquat" exige seulement du chef d'entreprise qu'il communique les comptes au comité avant leur présentation à l'assemblée générale. Pour le reste, le comité d'entreprise n'est pas tenu d'examiner les comptes et de faire appel à un expert-comptable avant leur approbation, même si c'est, sans doute, la solution à privilégier, ne serait-ce que pour lui permettre de présenter ses observations à l'assemblée générale ou à l'organe qui en tient lieu (8).

2. La rémunération de la mission de l'expert-comptable

  • Une dette de l'employeur

Alors même qu'il est choisi et désigné par le comité d'entreprise, l'expert-comptable est rémunéré par l'entreprise. C'est ce qui ressort expressément de l'article L. 434-6, alinéa 5, du Code du travail. Cette relation triangulaire peut être source de contentieux, dans la mesure où celui qui paie n'est pas celui qui fixe le contenu de la mission (9). Cela étant, les questions relatives à la rémunération de l'expert-comptable ne sauraient, en aucune façon, venir perturber le droit pour le comité de recourir aux services de ce dernier.

Ainsi, et à l'évidence, le chef d'entreprise ne saurait s'opposer à l'intervention de l'expert au prétexte que les tarifs de ce dernier seraient trop élevés. Plus généralement, le comité n'a pas vocation à participer aux discussions relatives à la rémunération de l'expert-comptable qui ne regardent, par définition, que celui-ci et le chef d'entreprise.

Il convient, cependant, de relever que ces règles ne valent que si le recours à l'expert-comptable correspond à l'une des hypothèses visées par la loi. A défaut, sa rémunération incombe au comité lui-même, dans le cadre de l'expertise dite "libre". Remarquons, qu'en l'espèce, la commune soutenait précisément que le recours à l'expert-comptable ayant été décidé postérieurement à l'approbation des comptes par le conseil municipal, son intervention ne relevait pas des cas prévus par l'article L. 434-6. Sa rémunération devait donc être assumée par le comité. Cette argumentation n'était pas dénuée de tout fondement dans la mesure où, dans un arrêt déjà ancien, la Cour de cassation avait pu décider que la désignation de l'expert-comptable postérieurement à l'approbation des comptes était tardive et que la rémunération de l'expert n'avait pas, de ce fait, à être supportée par l'employeur (10). L'arrêt rapporté nous paraît mettre un terme à cette solution. Dès lors que le droit pour le comité de procéder à l'examen annuel des comptes de l'entreprise et de se faire assister d'un expert-comptable est, de manière générale, indépendant de la date à laquelle ces comptes sont approuvés, le comité est en mesure de faire appel à cet expert postérieurement à l'approbation des comptes. Expert qui devra alors être rémunéré par l'entreprise.

  • Les modalités de paiement

Dans la première branche de son moyen, la commune soutenait que, lorsque le comité d'entreprise d'un service public industriel et commercial, géré en régie directe par une commune, décide de se faire assister par un expert-comptable en vue de l'examen annuel des comptes, la prise en charge des honoraires par la commune est nécessairement soumise aux règles de comptabilité publique. En conséquence, faute d'acte d'engagement de la commune, aucune créance d'honoraires ne pouvait être opposée à cette dernière par l'expert-comptable.

La Cour de cassation a refusé d'entrer dans une telle logique. Ainsi qu'elle l'affirme, "l'expertise décidée par le comité d'entreprise et réalisée pour son compte en application de ces mêmes textes n'est pas soumise aux règles qui régissent les relations entre l'employeur et ses prestataires de service". Par suite, "lorsque l'employeur est une collectivité territoriale, il lui appartient de procéder aux formalités permettant le règlement d'une dépense légalement obligatoire".

Cette solution doit être entièrement approuvée. Le Code du travail ne laisse pas le choix à l'employeur. Dès lors qu'un expert-comptable a été désigné par le comité en application de la loi, l'employeur doit le rémunérer sans pouvoir mettre en avant une quelconque impossibilité de ce point de vue-là. Admettre le contraire reviendrait à amoindrir, pour ne pas dire supprimer, les prérogatives du comité. Il relève donc de la responsabilité de l'employeur de prendre les dispositions nécessaires pour qu'une telle rémunération soit possible. Sans doute, l'expert-comptable peut-il être considéré comme un prestataire de service. Néanmoins, et c'est toute la particularité du dispositif, il n'intervient pas pour le compte de l'employeur, mais pour celui du comité. Il faut, dès lors, admettre, avec la Cour de cassation, que l'expertise décidée par le comité n'est pas soumise aux règles qui régissent les relations entre l'employeur et ses prestataires de service.


(1) Selon ce texte, "le comité d'entreprise reçoit communication des documents comptables établis par les entreprises qui ne revêtent pas la forme de société commerciale".
(2) Il suffit, dans ce cas, de déterminer quelle est l'institution compétente pour approuver les comptes annuels. Dans l'espèce rapportée, il apparaît que c'est le conseil municipal de la commune en cause.
(3) Ou à l'institution qui en tient lieu dans la structure en cause.
(4) Cass. soc., 1er juillet 2004, n° 02-11.404, Société Etablissements Jean Richard Ducros c/ Comité central d'entreprise de la société Jean Richard Ducros, F-D (N° Lexbase : A3203DBA) ; Bull. Joly Sociétés, 2004, p. 977, obs. B. Saintourens ("l'exercice du droit que le comité d'entreprise tient des articles L. 432-4 et L. 434-6 du Code du travail de procéder à l'examen annuel des comptes de la société pour l'exercice clos et donc de se faire assister d'un expert-comptable, est indépendant de la date de l'examen des mêmes comptes par l'assemblée générale des actionnaires de la société"). Il est important de souligner que, dans cette affaire, l'expert-comptable avait été désigné avant l'approbation des comptes, tandis que, dans l'espèce sous examen, sa désignation était intervenue postérieurement.
(5) Selon ce texte, le terme entreprise renvoie à toute "entreprise publique ou privée exerçant une activité économique, qu'elle poursuive ou non un but lucratif " (Directive 2002/14/CE du 11 mars 2002, art. 2, point a). Sur cette Directive, v. B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, 3ème éd., 2006, pp. 293 et s..
(6) Ce n'est donc pas à proprement parler au comité de demander communication de ces comptes. L'initiative appartient au chef d'entreprise. Cela étant, il va de soi que sa passivité autorise le comité à exiger communication des comptes.
(7) Sur ces critiques, v. la note préc. de B. Saintourens.
(8) L'article L. 432-4 n'interdit nullement une telle interprétation. Soulignons, aussi, que le chef d'entreprise encourait une condamnation pour délit d'entrave s'il communiquait les comptes après leur présentation à l'assemblée générale ou à une date trop proche de cette présentation. En effet, une telle pratique empêcherait le comité de présenter ces observations à l'assemblée.
(9) Contentieux qui oppose alors, comme en l'espèce, l'entité employeur et l'expert-comptable.
(10) Cass. soc., 13 janv. 1999, n° 96-22.477, Société d'expertise comptable Syndex c/ Société boulangerie de Champagne (N° Lexbase : A2951AGE). Notons que, dans l'arrêt précité du 1er juillet 2004, la désignation de l'expert était intervenue avant l'approbation des comptes par l'assemblée générale. L'employeur soutenait que cette approbation mettait fin à la mission de l'expert, ce qui est différent.

Décision

Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-17.389, Commune de Balaruc-les-bains c/ Société anonyme Syndex, FS-P+B (N° Lexbase : A1199D3S)

Rejet, CA Montpellier (5ème ch., section A), 22 mai 2006

Textes concernés : C. trav., art. L. 432-4 (N° Lexbase : L6408ACC) et L. 434-6 (N° Lexbase : L8967G7A), interprétés à la lumière de la Directive 2002/14/CE du 11 mars 2002, établissant un cadre général à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (N° Lexbase : L7543A8U)

Mots-clefs : comité d'entreprise, attributions économiques, examen des comptes annuels, recours à un expert-comptable, rémunération.

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