Jurisprudence : CJCE, 04-06-2002, aff. C-483/99, Commission des communautés européenne c/ France

CJCE, 04-06-2002, aff. C-483/99, Commission des communautés européenne c/ France

A8098AYL

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Cour de justice des Communautés européennes

4 juin 2002

Affaire n°C-483/99

Commission des Communautés européennes
c/
République française



ARRÊT DE LA COUR


4 juin 2002 (1)


"Manquement d'État - Articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) et 73 B du traité CE (devenu article 56 CE) - Droits attachés à l'action spécifique de la République française dans la Société nationale Elf-Aquitaine"


Dans l'affaire C-483/99,


Commission des Communautés européennes, représentée par Mme M. Patakia, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,


partie requérante,


contre


République française, représentée initialement par Mme K. Rispal-Bellanger et M. S. Seam, puis par MM. G. de Bergues et S. Seam, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,


partie défenderesse,


soutenue par


Royaume d'Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,


et par


Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par Mme R. Magrill, en qualité d'agent, assistée de MM. J. Crow, barrister, et D. Wyatt, QC, ayant élu domicile à Luxembourg,


parties intervenantes,


ayant pour objet de faire constater que, en maintenant en vigueur l'article 2, paragraphes 1 et 3, du décret n° 93-1298, du 13 décembre 1993, instituant une action spécifique de l'État dans la Société nationale Elf-Aquitaine (JORF du 14 décembre 1993, p. 17354), selon lequel l'action spécifique de la République française dans ladite société est assortie des droits suivants:


a) tout franchissement à la hausse des seuils de détention directe ou indirecte de titres du dixième, du cinquième ou du tiers du capital ou des droits de vote de la société par une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert, doit être approuvé préalablement par le ministre de l'Économie (article 2, paragraphe 1, dudit décret);


b) il peut être fait opposition aux décisions de cession ou d'affectation à titre de garantie des actifs figurant en annexe audit décret, à savoir la majorité du capital des quatre filiales de la compagnie mère que sont Elf-Aquitaine Production, Elf-Antar France, Elf-Gabon SA et Elf-Congo SA (article 2, paragraphe 3, dudit décret),


et en n'ayant pas prévu des critères suffisamment précis et objectifs concernant l'approbation des opérations susmentionnées ou l'opposition à celles-ci, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) à 58 du traité CE (devenu article 48 CE) ainsi que 73 B du traité CE (devenu article 56 CE),


LA COUR,


composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, M. P. Jann (rapporteur), Mme N. Colneric et M. S. von Bahr, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O.Edward, A. La Pergola, J.-P. Puissochet, R. Schintgen, V. Skouris et J. N. Cunha Rodrigues, juges,


avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,


greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,


vu le rapport d'audience,


ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 2 mai 2001, au cours de laquelle la Commission a été représentée par Mme M. Patakia et par M. F. de Sousa Fialho, en qualité d'agent, la République française par M. S. Seam et par M. F. Alabrune, en qualité d'agent, le royaume d'Espagne par M. S. Ortiz Vaamonde, en qualité d'agent, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord par Mme R. Magrill, assistée de M. D. Wyatt,


ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 3 juillet 2001,


rend le présent


Arrêt


1.


Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 décembre 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en maintenant en vigueur l'article 2, paragraphes 1 et 3, du décret n° 93-1298, du 13 décembre 1993, instituant une action spécifique de l'État dans la Société nationale Elf-Aquitaine (JORF du 14 décembre 1993, p. 17354, ci-après le "décret n° 93-1298"), selon lequel l'action spécifique de la République française dans ladite société est assortie des droits suivants:


a) tout franchissement à la hausse des seuils de détention directe ou indirecte de titres du dixième, du cinquième ou du tiers du capital ou des droits de vote de la société par une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert, doit être approuvé préalablement par le ministre de l'Économie (article 2, paragraphe 1, dudit décret);


b) il peut être fait opposition aux décisions de cession ou d'affectation à titre de garantie des actifs figurant en annexe audit décret, à savoir la majorité du capital des quatre filiales de la compagnie mère que sont Elf-Aquitaine Production, Elf-Antar France, Elf-Gabon SA et Elf-Congo SA (article 2, paragraphe 3, dudit décret),


et en n'ayant pas prévu des critères suffisamment précis et objectifs concernant l'approbation des opérations susmentionnées ou l'opposition à celles-ci, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 du traitéCE (devenu, après modification, article 43 CE) à 58 du traité CE (devenu article 48 CE) ainsi que 73 B du traité CE (devenu article 56 CE).


2.


Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 13, 22 et 27 juin 2000, le royaume d'Espagne, le royaume de Danemark et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ont demandé à intervenir dans l'affaire au soutien des conclusions de la République française. Par ordonnances du président de la Cour des 4, 7 et 12 juillet 2000, respectivement, ces États membres ont été admis à intervenir. Par lettre du 6 avril 2001, le royaume de Danemark s'est désisté de son intervention.


Cadre juridique du litige


Droit communautaire


3.


L'article 73 B, paragraphe 1, du traité est libellé comme suit:


"Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites."


4.


En vertu de l'article 73 D, paragraphe 1, sous b), du traité CE [devenu article 58, paragraphe 1, sous b), CE]:


"L'article 73 B ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres:


[...]


b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique."


5.


L'annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en oeuvre de l'article 67 du traité (JO L 178, p. 5), comporte une nomenclature des mouvements de capitaux visés à l'article 1er de cette directive. Elle énumère notamment les mouvements suivants:


"I. Investissements directs [...]


1) Création et extension de succursales ou d'entreprises nouvelles appartenant exclusivement au bailleur de fonds, et acquisition intégrale d'entreprises existantes


2) Participation à des entreprises nouvelles ou existantes en vue de créer ou maintenir des liens économiques durables


[...]"


6.


En vertu des notes explicatives figurant à la fin de l'annexe I de la directive 88/361, on entend par "investissements directs":


"Les investissements de toute nature auxquels procèdent les personnes physiques, les entreprises commerciales, industrielles ou financières et qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et le chef d'entreprise ou l'entreprise à qui ces fonds sont destinés en vue de l'exercice d'une activité économique. Cette notion doit donc être comprise dans son sens le plus large.


[...]


En ce qui concerne les entreprises mentionnées au point I 2 de la nomenclature et qui ont le statut de sociétés par actions, il y a participation ayant le caractère d'investissements directs, lorsque le paquet d'actions qui se trouve en possession d'une personne physique, d'une autre entreprise ou de tout autre détenteur donne à ces actionnaires, soit en vertu des dispositions de la législation nationale sur les sociétés par actions, soit autrement, la possibilité de participer effectivement à la gestion de cette société ou à son contrôle.


[...]"


7.


La nomenclature figurant à l'annexe I de la directive 88/361 vise également les mouvements suivants:


"III. Opérations sur titres normalement traités sur le marché des capitaux [...]


[...]


A. Transactions sur titres du marché des capitaux


1) Acquisition par des non-résidents de titres nationaux négociés en bourse [...]


[...]


3) Acquisition par des non-résidents de titres nationaux non négociés en bourse [...]


[...]"


8.


L'article 222 du traité CE (devenu article 295 CE) dispose:


"Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres."


Droit national


9.


Le décret n° 93-1298 prévoit à ses articles 1er et 2:


"Article premier


Afin de protéger les intérêts nationaux, une action spécifique ordinaire de l'État dans la Société nationale Elf-Aquitaine est transformée en une action spécifique assortie des droits définis à l'article 2 ci-après.


Article 2


I. Tout franchissement à la hausse des seuils de détention directe ou indirecte de titres, quelle qu'en soit la nature ou la forme juridique, du dixième, du cinquième ou du tiers du capital ou des droits de vote de la société par une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert, doit être approuvé préalablement par le ministre chargé de l'économie. Cette approbation doit être renouvelée si le bénéficiaire vient à agir de concert, à subir un changement de contrôle ou si l'identité d'un ou des membres du concert vient à changer. De même, tout seuil franchi à titre individuel par un membre du concert doit faire l'objet d'un agrément préalable. [...]


II. Deux représentants de l'État nommés par décret siègent au conseil d'administration de la société sans voix délibérative. Un représentant est nommé sur proposition du ministre chargé de l'économie et un sur proposition du ministre chargé de l'énergie.


III. Dans les conditions fixées par le décret n° 93-1296 susvisé, il peut être fait opposition aux décisions de cession ou d'affectation à titre de garantie des actifs dont la liste figure en annexe au présent décret."


10.


La liste figurant en annexe du décret n° 93-1298 vise la majorité du capital d'Elf-Aquitaine Production, d'Elf-Antar France, d'Elf-Gabon SA et d'Elf-Congo SA.


La procédure précontentieuse


11.


Par lettre du 15 mai 1998, la Commission a adressé au gouvernement français une mise en demeure relative à certaines dispositions de la législation française concernant l'acquisition d'actions dans des compagnies privatisées, qui seraient incompatibles avec le droit communautaire.


12.


Le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie a, par lettre du 31 juillet 1998, répondu qu'il était d'avis que les dispositions du traité ne font pas obstacle à ce que les États membres assurent la sécurité de leurs approvisionnements énergétiques.Il se déclarait cependant disposé à modifier certains points de la législation concernée, en concertation avec la Commission.


13.


Considérant que les arguments et les propositions de modifications présentés par le gouvernement français n'étaient pas satisfaisants, la Commission a adressé à la République française, en date du 18 janvier 1999, un avis motivé l'invitant à s'y conformer dans un délai de deux mois.


14.


Le gouvernement français a répondu à l'avis motivé par lettre du 11 février 1999, accompagnée d'un projet de décret modifiant le décret n° 93-1298, qui précisait que l'autorisation du ministre de l'Économie prévue à l'article 2, paragraphe 1, de ce décret serait dorénavant seulement exigée au cas où le franchissement des seuils en question "serait de nature à remettre en cause la continuité de l'approvisionnement en produits pétroliers de la France".


15.


Dans une note adressée à la Commission le 19 avril 1999, les autorités françaises ont souligné l'importance du maintien d'un centre de décision en France, la crainte d'une prise de contrôle de la Société nationale Elf-Aquitaine par une compagnie non communautaire ainsi que l'importance des réserves de pétrole de cette société pour la sécurité d'approvisionnement en énergie de la France et l'économie française en général.


16.


Considérant les modifications proposées par le gouvernement français insuffisantes, la Commission a décidé de saisir la Cour du présent recours.


Moyens et arguments des parties


17.


La Commission expose, à titre liminaire, que l'ampleur considérable des investissements intracommunautaires a amené certains États membres à prendre des mesures dans le souci de contrôler cette situation. Lesdites mesures, adoptées en grande partie dans le cadre de privatisations, risqueraient d'être incompatibles, dans certaines conditions, avec le droit communautaire. C'est pour cette raison qu'elle aurait adopté, le 19 juillet 1997, la communication concernant certains aspects juridiques touchant aux investissements intracommunautaires (JO C 220, p. 15, ci-après la "communication de 1997").


18.


Dans cette communication, la Commission aurait interprété en la matière les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux et à la liberté d'établissement, notamment dans le cadre des procédures d'autorisation générale ou de droit de veto de la part des autorités publiques.


19.


Le point 9 de la communication de 1997 est rédigé comme suit:


"Il ressort de cet examen des mesures revêtant un caractère restrictif pour les investissements intracommunautaires que les mesures discriminatoires (c'est-à-direcelles qui s'appliquent exclusivement aux investisseurs ressortissants d'un autre État membre de l'Union européenne) seront jugées incompatibles avec les articles 73 B et 52 du traité relatifs à la libre circulation des capitaux et au droit d'établissement, à moins qu'elles ne rentrent dans le cadre de l'une des exceptions prévues par le traité. En ce qui concerne les mesures non discriminatoires (c'est-à-dire celles qui s'appliquent aux nationaux comme aux ressortissants d'un autre État membre de l'Union européenne), elles sont admises dans la mesure où elles se fondent sur une série de critères objectifs, stables et rendus publics et peuvent se justifier par des raisons impérieuses d'intérêt général. En tout état de cause, le principe de proportionnalité devra être respecté."

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