La lettre juridique n°295 du 6 mars 2008

La lettre juridique - Édition n°295

Éditorial

Conséquence ontologique de l'extinction progressive de l'appel suspensif

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N3535BEN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


"L'exécution provisoire ne peut pas être poursuivie sans avoir été ordonnée si ce n'est pour les décisions qui en bénéficient de plein droit. Sont notamment exécutoires de droit à titre provisoire les ordonnances de référé, les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l'instance, celles qui ordonnent des mesures conservatoires ainsi que les ordonnances du juge de la mise en état qui accordent une provision au créancier". "Hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation". A la lecture des articles 514 et 515 du Code de procédure civile, rien ne permet de penser qu'il s'agit là de l'une des traductions du séisme profond qui gouverne la philosophie française quant à la nature même de l'appel juridictionnel. Pourtant, combinés aux articles 524 et suivants du même code, d'aucuns noteront, cette semaine, avec Christian Boyer, Avoué à la cour d'appel de Toulouse, qu'en élargissant le champ d'application de l'exécution provisoire de droit ou ordonnée des jugements de première instance, et en contraignant le Premier président de la cour d'appel à justifier rigoureusement la suspension de cette exécution par des "conséquences manifestement excessives", c'est le principe même de l'effet suspensif de l'appel qui est progressivement remis en cause.

Or, un effet dévolutif et un effet suspensif : voilà ce que l'on apprenait sur les bancs universitaires au sujet de la voie de recours qu'est l'appel. Et, l'un ne va pas, philosophiquement et originellement, sans l'autre. Permettre à une cour d'appel de rejuger un litige, sans suspendre les effets d'un premier jugement, n'est-ce pas amputer quelque peu l'appel de sa force de réformation et, ainsi, les droits de la défense ? N'est-ce pas, même si l'exécution provisoire reste théoriquement de principe, et que la suspension peut toujours être ordonnée par le Premier président, un bouleversement fondamental de la nature même de l'appel qui s'opère progressivement sous l'empire du décret du 28 décembre 2005, réformant les procédures civiles ?

Poussons l'analyse un peu plus loin et remarquons qu'avec cette réforme, c'est non seulement un alignement de la procédure civile sur les canons de la procédure administrative, au regard des articles R. 811-14 à R. 811-19 du CJA, qui rejette, en principe, tout effet suspensif à l'appel des décisions des juridictions administratives, mais, plus encore, la réaffirmation que l'appel est, avant tout, une voie de réformation et non une voie d'achèvement.

L'appel voie de réformation, et le juge va pouvoir rejuger l'affaire au fond, sur les points où il y a eu appel, et changer le jugement rendu en première instance. L'appel voie d'achèvement, et le juge va pouvoir "tenir compte de ce que la matière a pu évoluer depuis la décision du premier juge, de ce que les parties ont pu changer de conseil, et, par conséquent de stratégie, de ce que, de toute façon, du fait de la décision même qui a été rendue au premier degré, la matière s'est décantée, les vraies difficultés apparaissent plus clairement" (Rapport "Magendie" au ministre de la Justice, 15 juin 2004, p. 63). Conception restrictive contre conception extensive de l'appel ?

Et M. Cedras, Avocat général près la Cour de cassation, d'ajouter : "Il n'y a pas d'équilibre réalisable, à proprement parler, entre ces deux aspirations. L'une des deux doit forcément être reconnue comme prépondérante, mais elle ne doit pas écraser l'autre. Il doit y avoir une coexistence, une conciliation, sous la forme d'un principe et d'une exception".

C'est la voie d'achèvement tempérée qui semble donc gouverner la nature de l'appel juridictionnel. Or, déboulonner progressivement l'effet suspensif de l'appel, tout en luttant certainement contre l'appel abusif, n'est-il pas un signe fort de la prééminence de la décision de première instance sur l'effet dévolutif de l'appel ? Autrement dit, en complexifiant, au regard des contrariétés d'appréciation des "conséquences manifestement excessives" qui peuvent naître entre le Premier président ou le juge de la radiation, la suspension de l'exécution d'un premier jugement, la réforme de 2005 rompt-elle l'équilibre entre les voies de réformation et d'achèvement, au bénéfice de la première ? Car entendons-nous bien, comment promouvoir une conception extensive de l'appel en faveur d'une dévolution entière du litige, si d'ores et déjà, on admet que la décision de première instance emporte une satisfaction telle, au regard de la Justice, qu'elle peut se prémunir d'une exécution de droit ou ad nutum ?

"L'article 6 de la Convention n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l'obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d'elles des garanties fondamentales de l'article 6 [autrement dit les droits de la défense]" peut-on lire aux termes de l'arrêt "Delcourt" rendu par la Cour européenne, le 17 janvier 1970. Mais comme "le principe du double degré de juridiction n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle" (Cons. const., décision n° 2004-491 DC, Loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française du 12 février 2004), l'affaiblissement de l'appel semblerait ne pouvoir être conscrit que par l'attention que les magistrats, eux-mêmes, pourront porter à chaque litige.

"La justice est gratuite. Heureusement, elle n'est pas obligatoire" ironisait Jules Renard. "Le moyen d'acquérir la justice parfaite, c'est de s'en faire une telle habitude qu'on l'observe dans les plus petites choses, et qu'on y plie jusqu'à sa manière de penser" ajoutait Montesquieu, dans [S]es pensées.

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences

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N3574BE4

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur de droit privé, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique seront abordés les deux derniers arrêts rendus par la Cour de cassation réunie en Chambre mixte, l'un du 21 décembre revenant sur une analyse plus civiliste des contrats d'assurance vie, et, l'autre, du 22 février dernier, présentant les nouvelles conséquences de l'acceptation par le tiers de la clause bénéficiaire faite à son profit. Egalement à l'honneur, deux arrêts inédits du 20 décembre dernier rappelant l'obligation d'information de l'assureur.
  • Retour à une analyse plus civiliste des contrats d'assurance vie (Cass. mixte, 21 décembre 2007, n° 06-12.769, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1178D3Z)

Après des années d'atermoiements (1) et donc d'incertitude sur la nature juridique de certains contrats d'assurance vie, chacun se souvient que, par quatre arrêts en date du 23 novembre 2004 (2), la Chambre mixte de la Cour de cassation avait enfin tranché. Elle avait considéré ces contrats d'assurance vie comme des accords de volonté parce qu'ils comprennent un aléa au sens des articles 1964 du Code civil (N° Lexbase : L1036ABY) et L. 310-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0312AAS). Ce faisant, elle confirmait l'autonomie de la matière par rapport au droit commun. Bien que ces contrats permettent de faire échec aux règles du droit des successions, ils avaient une existence légale valable, figurant dans le Code civil et conforté par des Directives européennes. Et cette autonomie ne pouvait être remise en cause par l'existence de dispositions du Code civil citant le contrat d'assurance comme illustration d'une définition fournie du contrat aléatoire ; on fait, ici, allusion à l'article 1964 du Code civil comme à l'article 1104, alinéa 2, (N° Lexbase : L1193ABS) du même code. En d'autres termes et pour caricaturer un peu : le droit des assurances l'avait emporté sur le droit civil.

Cela dit, pouvait-il en être autrement lorsque l'on sait les sommes qui étaient en jeu ? Le choix, pour les Hauts magistrats, était plus que cornélien ; ils ne pouvaient guère prendre le risque d'opter pour une autre voie. Toutefois, ces quatre arrêts du 23 novembre 2004 ayant été confirmés par la suite (3), nombreux étaient les juristes à considérer le débat clos. C'était sans doute sous-estimer le fort courant de pensée favorable à une analyse moins autonomiste du droit des assurances (4), y compris parmi nos Hauts magistrats. Le nouvel arrêt du 21 décembre 2007 rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation atteste, une fois encore, des divergences de point de vue entre certaines chambres civiles et commerciale de la Cour de cassation. Etaient en effet réunies, dans le cas présent, les première et deuxième chambre civile de la Cour de cassation et la Chambre commerciale.

Le nouvel arrêt de la Chambre mixte du 21 décembre 2007 n'était donc pas si improbable que cela, dans sa formulation tout au moins. Car au fond, la décision n'est pas surprenante ; les faits ne laissaient guère de place à une autre solution. En effet, un homme de 64 ans, atteint d'un cancer et connaissant son état, décide de souscrire deux contrats d'assurance vie. Il commence par désigner sa soeur comme tiers bénéficiaires, ainsi qu'une personne, madame B. épouse G., dont on ignore ce qui lui a valu cet élan de générosité extraordinaire. Le qualificatif n'est pas usurpé puisque 16 500 000 francs (environ 2 515 409 euros) sont versés sur les contrats d'assurance. Or, trois jours avant son décès dû au cancer, l'assuré procède à une modification de la clause bénéficiaire et n'y laisse figurer que madame B., épouse G., devenue aussi sa légataire universelle. La soeur de ce monsieur aurait pu réagir et contester les opérations réalisées. Mais c'est le fisc qui effectue un contrôle et considère, qu'en réalité, une donation indirecte a été effectuée. Il notifie alors un redressement fiscal à madame B., épouse G., qui le conteste.

La cour d'appel de Chambéry, le 17 janvier 2006, confirme l'analyse du fisc et estime qu'une donation indirecte a eu lieu. Sa motivation va être double. D'une part, elle adopte l'idée selon laquelle les critères de la donation sont réunis. D'autre part, elle considère que les versements effectués ont été manifestement exagérés eu égard aux facultés du contractant, selon la formule de l'article L. 132-13, alinéa 2, du Code des assurances (N° Lexbase : L0142AAI). En effet, l'assuré se savait très malade dès la souscription de son contrat d'assurance vie, ce qui ne l'avait pas empêché d'y effectuer des versements représentants 82 % de son patrimoine. Mais madame B., épouse G., ne réplique pas sur ce second point ; elle s'évertue à démontrer l'absence de donation indirecte en expliquant qu'elle n'avait jamais fourni son acceptation à celle-ci. En outre, elle conteste l'idée que le donateur se serait dépouillé de manière irrévocable, au sens de l'article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY), puisqu'en matière d'assurance vie, il lui est possible d'effectuer des rachats tout au long de la vie du contrat.

Néanmoins, la Cour de cassation ne fait pas droit à ses prétentions, suivant en cela les suggestions de son Avocat général, M. Sarcelet. Pour ce dernier, "l'acceptation d'une donation dans les formes prescrites par les articles 932 (N° Lexbase : L0089HPY) et suivants du Code civil n'est exigée que pour la donation passée en la forme authentique et peut résulter de l'attribution du bénéfice du contrat". Puis, elle reprend la motivation de la cour d'appel et décide "qu'un contrat d'assurance vie peut-être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable". Suivent alors les faits sur lesquels la cour d'appel s'est fondée. Et la Cour de cassation de conclure que la cour d'appel "a pu en déduire, en l'absence d'aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat et l'existence chez l'intéressé d'une volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller".

Deux leçons, au moins, sont à retenir de cet arrêt important. Sur le plan pratique, des indications précieuses sont fournies (I). Mais d'un point de vue juridique, la logique et les raisonnements adoptés par la cour d'appel comme par la Cour de cassation laissent plus dubitatifs (II).

I - Précisions sur les critères de reconnaissance du versement de primes manifestement exagérées

Bien que l'article L. 132-13, alinéa 2, du Code des assurances ne soit pas visé par la Cour de cassation, reprenant la motivation de la cour d'appel de Chambéry, cette dernière ne peut s'être fondée que sur ce texte. Tout au moins, applique-t-elle les critères retenus par la Cour de cassation, depuis un arrêt en date du 1er juillet 1997 (5), pour apprécier l'existence ou non de versements de primes manifestement exagérées eu égard aux facultés du cocontractant de l'assureur vie. L'intérêt pratique de cet arrêt est alors d'en retenir deux chiffres : celui du montant, en pourcentage, des primes versées par rapport au patrimoine total de l'assuré, contractant : 82 %, et celui du nombre de journées s'étant écoulées entre la dernière modification de la clause bénéficiaire par l'assuré et la date de son décès : trois jours. Si le premier chiffre aurait pu ne pas suffire à entraîner la solution, encore qu'il ait été déterminant (A), le second fut sans doute fatal (B).

A - Le volume de primes versées

Nous avons encore à l'esprit cet arrêt rendu il y a quelques mois : celui de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date 4 juillet 2007 (Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.048, FS-P+B N° Lexbase : A0813DXE et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo, n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N6221BAN), refusant de considérer que le versement d'un montant de primes, égal à 73 % du patrimoine de l'assuré, était manifestement exagéré. A vrai dire, les illustrations de la volonté de la Cour de cassation de ne pas faire un usage intempestif de l'article L. 132-13, alinéa 2, du Code des assurances (6) n'ont pas manqué, ces derniers mois. Les tentatives pour voir appliqué ce texte se sont pourtant multipliées. Mais les résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances. Et lorsque la Cour de cassation a retenu la sanction de cet article, elle n'a pas jugé bon de publier l'arrêt, manière d'indiquer certes que ce dernier n'apporte rien de plus que les précédents sur ce thème, tout en n'ajoutant pas aux statistiques que le juriste pourrait réaliser sur le nombre de décisions adoptées en ce sens.

Par conséquent, il était délicat d'indiquer avec précision quelle était la limite à ne pas franchir. A la lecture de l'arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation, c'est désormais chose possible. Il est à parier que le versement de primes dépassant 80 % du patrimoine de l'assuré entraînera le déclenchement de signaux lumineux d'alerte pour tout magistrat chargé de ces questions. D'ailleurs, ce seuil -puisqu'il pourrait en être ainsi- est celui à compter duquel nombre d'assureurs, suivant en cela les recommandations de la FFSA, informaient déjà les assurés des risques qu'ils prenaient en poursuivant les versements de primes. De ce point de vue, l'arrêt du 21 décembre 2007 ne devrait donc pas faire l'objet de critiques acerbes des assureurs, ni de tout autre juriste. Mais ce seul élément n'est pas suffisant ; encore faut-il tenir compte de l'âge du souscripteur.

B - L'âge du souscripteur

Tout comme pour le montant des primes versées, le critère de l'âge de l'assuré -que la Cour de cassation avait retenu dans l'arrêt du 1er juillet 1997 (7)- demeure à l'appréciation des juges du fond. Il n'y a pas davantage de date butoir, systématique. En réalité, les tribunaux ont fait preuve de pragmatisme. Plus encore même, ils ont doucement, sans le dire de façon explicite, introduit l'idée que l'état de santé de l'assuré devait également être pris en considération pour apprécier s'il avait souscrit, tardivement ou non, son contrat d'assurance vie. En elle-même, la précision est heureuse : en effet, au-delà des statistiques relatives à l'espérance de vie, une personne ne peut jamais être tout à fait placée sur le même plan qu'une autre. La première ne présentera aucun risque de connaître des défaillances physiques graves, tandis que la seconde aura été l'objet de diverses interventions chirurgicales ou de traitements médicamenteux.

Bien que ce seul constat ne soit pas une garantie scientifiquement fiable à cent pour cent, il mérite de constituer un indice non négligeable à prendre en considération. Les magistrats se sont donc souvent servis de cet élément pour décider si les versements de primes pouvaient avoir ou non une utilité réelle pour l'assuré lui-même parce que celui-ci avait encore l'espoir de vivre et d'effectuer des opérations financières, car tels sont bien les termes qu'il faut employer. Quoi qu'il en soit et quel que soit le caractère bienvenu de cette évolution, elle ne correspond pas tout à fait à ce qu'avait indiqué la Cour de cassation en 1997. Il doit donc être souligné, que réunie en Chambre mixte, celle-ci ait appliqué, sans ambages, cette nouvelle interprétation du critère initial. Ce n'est pas seulement l'âge de l'assuré qui compte, mais le caractère raisonnable de sa démarche contractuelle eu égard aussi à son état général.

Si le critère s'affine -ce que nul ne peut déplorer-, il ne peut, toutefois, être seul pris en compte. En effet, quels que soient les progrès de la médecine et la fiabilité des statistiques d'espérance de vie, une personne peut conclure, assez jeune, un contrat d'assurance vie, alors que ses analyses médicales sont satisfaisantes et décéder brutalement d'une rupture d'anévrisme, pour se limiter à ce seul exemple. Par conséquent, ce seul élément ne saurait suffire à caractériser l'existence de versements manifestement exagérés eu égard aux facultés du cocontractant. D'ailleurs, la formule elle-même témoigne de l'imprégnation financière, économique dont elle est l'objet. Les tribunaux ont donc raison de ne pas tant s'attacher à une date précise -un nouveau seuil dont on sait les inconvénients-, mais à un contexte patrimonial global.

De ces seuls points de vue, l'arrêt du 21 décembre 2007 n'appelle pas de critiques majeures. En revanche, sur le plan juridique, la même conclusion ne peut pas être tirée.

II - Requalification critiquable du contrat d'assurance

La Cour de cassation, si elle s'appuie sur le constat effectué par la cour d'appel de l'existence de primes manifestement exagérées, s'attache surtout à démontrer l'existence d'une donation (A) et la requalification à opérer du contrat d'assurance (B). Dans l'un et l'autre cas, on ne peut pas approuver les raisonnements adoptés

A - L'existence d'une donation

Selon la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, l'acceptation d'une donation n'a pas besoin d'une manifestation de volonté expresse. Cette affirmation surprend pour deux raisons au moins. D'une part, admettre qu'une manifestation de volonté puisse être implicite, contient un risque de dérive. La décision contraste au moins avec nombre d'autres qui exigent des manifestations claires, sans ambiguïté, et ce notamment dans le droit des assurances lui-même. D'autre part, le législateur vient justement de démontrer sa défiance à l'égard des acceptations tacites. La loi n° 2005-1775 du 17 décembre 2007 (loi n° 2007-1775, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés N° Lexbase : L5472H33 et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition privée générale, préc.), renforçant le formalisme en matière d'acceptation des tiers bénéficiaires (8), a décidé qu'il n'est, désormais, plus possible que l'acceptation se fasse sans l'accord du stipulant (9). Il est vrai que la jurisprudence avait accepté d'admettre, autrefois, que l'acceptation de la désignation bénéficiaire par le tiers se manifestait de toutes les manières, y compris tacitement. Tel n'est plus le cas aujourd'hui.

On ne peut donc que s'étonner de ce laxisme soudain, certes quatre jours seulement après la publication de la loi ; néanmoins, sur cet aspect, les travaux préparatoires avaient permis de connaître l'orientation voulue. Aucune surprise, issue d'un amendement de dernière minute, n'est venue modifier ce qui était donc prévu. Mais surtout, la Cour de cassation déduit de cette acceptation la disqualification du contrat d'assurance -même si elle utilise le vocable de requalification-, ce qui ne peut pas davantage être approuvé en la forme et les termes employés, comme à la lecture des quatre arrêts rendus également en Chambre mixte, le 23 novembre 2004, quoi que l'on ait pu penser de leur motivation juridique imprécise voire approximative.

B - L'impossible requalification

Prétendre que le contrat d'assurance peut faire l'objet d'une requalification suppose d'avoir admis que ses caractères fondamentaux ne sont plus présents. Depuis les arrêts du 23 novembre 2004, il a certes été considéré que le contrat d'assurance était aléatoire -au sens, notamment, de l'article 1964 du Code civil- parce qu'il comporte un aléa. Celui-ci n'a, toutefois, pas été autrement défini et précisé. Quoi qu'il en soit, aurait donc disparu cet aléa, en l'espèce, parce que l'assuré a versé des sommes manifestement exagérées eu égard à ses facultés. Or, un tel raisonnement ne nous paraît pas exact. Il consiste à appliquer une sanction -puisque là encore, il faut bien appeler ainsi celle-ci- qui n'a pas été prévue par le législateur, alors même que ce dernier en a institué une. En effet, l'article L. 132-13, alinéa 2, du Code des assurances a organisé une sanction consistant à soumettre les sommes jugées excessives aux règles du droit des successions. Mais il n'a jamais énoncé qu'il en résultait aussi une requalification du contrat lui-même. Une sorte de double peine ne saurait être appliquée, sans fondement légal.

Pour conclure, on ne peut que constater les difficultés juridiques incommensurables que rencontre la Cour de cassation pour faire vivre ces contrats dont chacun s'accorde à dire qu'ils sont utiles à la vie des affaires et même bénéfiques à l'ensemble des personnes intéressées. Aurait-elle voulue, après les quatre arrêts du 23 novembre 2004 renforçant l'autonomie du droit des assurances, procéder à quelques concessions en faveur du droit commun des successions et de ses défendeurs ? Elle ne s'y est peut-être pas prise de la meilleure manière...

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Universitéde Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé

  • Les nouvelles conséquences de l'acceptation par le tiers de la clause bénéficiaire faite à son profit (Cass. mixte, 22 février 2008, n° 06-11.934, Mme Brigitte Dupuy c/ Société Generali assurance vie, anciennement dénommée Generali France assurances-vie, P+B+R+I N° Lexbase : A0474D7P)

La richesse du contentieux de l'assurance vie ces derniers mois est sans précédent, sauf à se reporter à la deuxième partie du XIXème siècle. Trois arrêts de la Cour de cassation rendus en Chambre mixte en trois ans, dont deux en trois mois -23 novembre 2004 (10), 21 décembre 2007 (11) et le dernier en date du 22 février 2008- peu de matières peuvent se vanter de faire l'objet d'autant d'attentions. Et c'est sans compter avec les deux récentes interventions du législateur, certes, après des années de souhaits doctrinaux en ce sens : la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés (12), et la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance (N° Lexbase : L5277HDS), adoptée afin de procéder à la transposition de la Directive européenne du 5 novembre 2002, concernant l'assurance directe sur la vie (Directive 2002/83/CE N° Lexbase : L7763A8Z).

Pour autant, à chaque fois, le résultat obtenu -s'il est souvent inévitable et heureux d'un point de vue pratique- appelle, néanmoins, des remarques sur le plan de la rigueur juridique. En 2004, c'est une absence de choix véritable qui se présentait à nos Hauts magistrats, notamment eu égard aux sommes en jeu. Le 21 décembre 2007, là, la motivation retenue aurait pu être plus stricte. Enfin, dans le présent arrêt de la Cour de cassation réunie en Chambre mixte (les première et deuxième chambre civile ainsi que la Chambre commerciale), en date du 22 février 2008, le législateur ayant modifié le droit antérieur, le juge n'avait pas de raisons sérieuses de s'opposer à ce dernier en adoptant une solution contraire. A fortiori devait-il en être ainsi parce que les circonstances étaient de celles qui se rencontrent de manière fréquente. L'arrêt est donc appelé à faire jurisprudence.

Un assuré souscrit, en 1999, un contrat d'assurance vie mixte prévoyant donc, à son terme, le versement d'un capital à l'assuré, ou bien, en cas de décès de ce dernier auparavant, le règlement aux bénéficiaires désignés. N'est pas plus original le fait que ces tiers bénéficiaires aient accepté assez vite la stipulation faite à leur profit. Car, s'il n'est plus rare, depuis peu de temps, que le stipulant ait été prévenu des dangers, en assurance vie, d'indiquer aux tiers bénéficiaires l'avantage auquel ils peuvent prétendre, une telle mise en garde n'était pas systématique en 1999, date des faits de l'espèce. D'ailleurs, il ne faut pas exclure qu'elle ait eu lieu et que le stipulant soit passé outre, pensant pouvoir faire confiance aux tiers concernés ou souhaitant leur faire plaisir. Peu importe les raisons de cette attitude, sans nul doute altruiste et bienveillante, tout en étant hélas dangereuse et naïve, le résultat fut le refus, logique, par l'assureur, de faire droit à la demande ultérieure de rachat par l'assuré.

Pour pouvoir, néanmoins, récupérer les sommes versées, au moins en partie, le stipulant tente alors d'obtenir la nullité de son contrat d'assurance vie et, à titre subsidiaire, sa réduction. La démarche, a priori, était vouée à l'échec. Mais contre toute attente, la cour d'appel, décide que l'assuré a conservé le droit d'effectuer le rachat de son contrat d'assurance vie. Les tiers bénéficiaires ne manquent alors pas de rappeler la règle acquise jusqu'alors, à savoir que le droit au rachat de l'assuré suppose l'absence d'acceptation de la clause bénéficiaire. Lorsque celle-ci s'est produite, le stipulant perd son droit, sauf accord du ou des tiers bénéficiaires, conformément aux articles L. 132-8 (N° Lexbase : L9843HEB), L. 132-9 (N° Lexbase : L0138AAD), L. 132-12 (N° Lexbase : L0141AAH) et L. 132-14 (N° Lexbase : L0143AAK) du Code des assurances. Or, la Cour de cassation va confirmer l'analyse de la cour d'appel en indiquant que, "lorsque le droit au rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d'assurance vie mixte, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation, n'est pas fondé à s'opposer à la demande de rachat du contrat en l'absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit", ce qui, selon elle, était le cas en l'espèce.

En d'autres termes, les pouvoirs dont disposait le tiers bénéficiaire ont été réduits au profit de l'assuré, souscripteur et stipulant pour autrui (I), ce qui se trouve être, exactement, ce que le législateur a modifié par la loi n°2007-1775 du 17 décembre 2007 (II).

I - La limitation du droit du tiers bénéficiaire acceptant

Dans le passé, on se souvient que la règle était la suivante : tant que l'acceptation par le tiers n'a pas eu lieu, le stipulant peut révoquer à tout moment la désignation bénéficiaire qu'il a effectuée. Mais cette disposition s'appliquait lorsque les contrats d'assurance vie étaient de pures et simples opérations de prévoyance. Avec le développement de nouvelles formes d'assurances vie et les possibilités de gestion financière offertes, le régime adopté par la jurisprudence à la fin du XIXème siècle se révèle insuffisant. Certes, la Cour de cassation avait tenu compte des nouvelles formes d'assurance. Ainsi, elle avait décidé que tant que le contrat n'est pas dénoué, le souscripteur est seulement investi, sauf acceptation du bénéficiaire désigné, du droit personnel de faire racheter le contrat et de désigner ou de modifier le bénéficiaire de la prestation (Cass. com., 28 avril 1998, n° 95-15.453, Société Paris Sud transport industrie c/ Société de constructions mécaniques Panhard et Levassoret autres N° Lexbase : A2374ACW, Bull. civ. IV, n° 153, JCP éd. G, 1998, II, note J. Bigot ; Cass. com., 25 octobre 1994, n° 90-14.316, Caisse nationale de prévoyance c/ M Géniteau [LXB= A6298ABU], Bull. civ. IV, n° 311).

Pour autant, toutes les difficultés n'étaient pas réglées : la preuve. En l'espèce, l'argument développé par le pourvoi n'était donc pas absurde, loin s'en faut. Néanmoins, la Cour de cassation en décide différemment. Elle opère un revirement de jurisprudence en arguant d'une nouvelle motivation selon laquelle le droit de rachat du souscripteur ne peut pas lui être ôté lorsqu'il a été énoncé dans le contrat d'assurance. L'argument, sur le plan contractuel, semble imparable. Mais il résiste peu au constat que tous les contrats d'assurance offrant la possibilité d'effectuer des rachats, organisent ceux-ci depuis longtemps dans des clauses contractuelles comprenant force d'indications et précisions. A fortiori le font-ils depuis quelques années puisque le législateur leur a imposé, au nom du devoir d'information de l'assureur envers ses assurés, de détailler ce que représente ce type de disposition.

C'est donc une nouvelle forme de protection que la Cour de cassation offre aux souscripteurs de contrats d'assurance vie. Là où le tiers bénéficiaire était le centre des préoccupations ancestrales, il est en quelque sorte relégué au second plan. Mais il faut reconnaître que trop soumis au bon vouloir des tiers bénéficiaires ayant accepté la désignation faite à leur profit, les souscripteurs assurés ne pouvaient plus toujours user des possibilités de leur contrat alors qu'ils avaient conclu ce dernier en fonction des opérations financières pouvant être mises en oeuvre. Le décalage entre la fiction juridique d'origine et la réalité actuelle ne cessait donc de se creuser. Par conséquent, la solution adoptée par la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, le 22 février dernier, ne peut qu'être approuvée. Mais à dire vrai, un véritable choix ne s'offrait pas à celle-ci.

II - L'absence de choix véritable laissé à la Cour de cassation

La Cour de cassation n'a guère eu la possibilité de rendre une décision en contradiction avec les nouvelles dispositions de la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007. Celle-ci a eu le souci d'inverser les priorités. Loin de se concentrer sur le tiers bénéficiaire, elle a tenté de protéger avant tout l'assuré, stipulant. Il faut convenir qu'entre les contrats d'assurance vie de la fin du XIXème siècle ne poursuivant qu'un objectif de prévoyance et les assurances mixtes actuelles dont la fonction d'épargne n'est plus discutée par quiconque, un pas considérable a été franchi.

Le but du législateur a, clairement, été, de consacrer ce rôle des contrats d'assurance vie et, non sans logique, de mettre à l'abri de mauvaises surprises ceux qui contractent de tels accords de volonté : les assurés eux-mêmes, fussent-ils aussi des stipulants. Or, à partir du moment où, après des années de silence gêné, la jurisprudence a admis, de manière implicite voire explicite -avec, notamment, les quatre arrêts du 23 novembre 2004-, la fonction d'épargne, voire de spéculation de certains contrats d'assurance vie, il convenait d'en tirer toutes les conséquences logiques, pratiques et efficaces. Parions que nous ne sommes pas au terme de l'évolution législative et jurisprudentielle majeure qui s'opère depuis ces toutes dernières années.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Universitéde Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé

  • L'assureur pédagogue et honnête (variations autour de l'obligation d'information et ses prolongements) (Cass. civ. 2, 20 décembre 2007, 2 arrêts, n° 06-21.455, F-D N° Lexbase : A1288D34 et n° 07-10.060, F-D N° Lexbase : A1404D3E)

Ces deux décisions rendues le 20 décembre dernier méritent d'être signalées car, bien que non publiées, elles traduisent, par leur nature d'arrêt de censure, combien les juges du fond peuvent avoir une lecture différente de l'économie du rapport entre assuré et assureur. L'opiniâtreté des assurés est donc récompensée tandis que les assureurs sont appelés à se conformer à l'image attendue d'un "bon professionnel" opérant dans une manière à la technicité avérée : "l'honnête assureur" se doit d'être pédagogue, ce qui exclut toute équivoque dans ses rapports (notamment épistolaires comme en l'espèce) avec l'assuré. L'honnêteté exclut qu'il cherche, avec malice, à tirer profit des erreurs commises par son assuré au moment de sa déclaration de sinistre.

A l'heure où le devoir de mise en garde est sous les feux de l'actualité (13), ces deux décisions attestent que des fondements traditionnels, l'obligation d'information et, bien qu'elle ne soit expressément visée, la cause, concernée par cette démarche consistant à chercher à échapper à ses obligations essentielles (non par une clause exonératoire ou limitative mais par un comportement -ici un silence- cherchant à échapper à son obligation de couverture), auquel s'ajoute une volonté de sanctionner la déloyauté contractuelle, sont des moyens tout aussi opérants pour assurer une "police des comportements" dans les rapports entre assureurs et assurés.

Dans la première espèce, l'assureur couvrant une "multirisques habitation" adresse à son assuré une lettre de mise en demeure pour non-paiement de la prime venue à échéance le 27 janvier 2002, qui l'informe que "faute de règlement il s'exposait à la suspension des garanties après un délai de trente jours à compter de l'envoi recommandé puis à la résiliation du contrat après un délai supplémentaire de 10 jours". L'assureur ne fait ici que rappeler à son assuré les termes de l'article L. 113-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L0062AAK).

L'assuré s'acquitte du paiement le 17 juillet 2002. Un sinistre étant survenu le 16 septembre suivant, il réclame la couverture du dommage par son assureur. La cour d'appel de Bordeaux estime que la résiliation du contrat était acquise à la date du 25 juin 2002, de sorte qu'elle déboute l'assuré qui, croit-on deviner, avait dû soulever l'équivoque de la mise en demeure adressée par l'assureur. Les juges bordelais avaient écarté l'argument, aux motifs "que la mise en demeure envoyée par l'assureur est une lettre type dans laquelle il se laisse la possibilité de ne pas résilier le contrat, qu'il s'agit d'une éventualité qu'il se réserve, en fonction de critères qui lui appartiennent, la règle étant bien entendu la résiliation, et qu'il revient à l'assuré de se renseigner de manière précise sur les intentions de son assureur". La Cour de cassation redresse l'analyse en retenant que "la formulation de la mise en demeure n'était pas de nature à attirer l'attention de l assuré sur les conséquences précises du non-paiement intégral de la prime et sur l'intention de l'assureur de procéder à la résiliation, et alors qu'il n'appartient pas à l'assuré de se renseigner sur cette intention".

L'arrêt insiste donc sur la nécessaire clarté de la lettre de mise en demeure et chasse toute équivoque, laquelle se retourne contre l'assureur. En cela, il se situe dans la lignée d'un arrêt de censure, antérieur, ayant retenu que viole l'article L. 113-3 précité le juge qui déduit "de la mise en demeure et du silence de l'assureur sur le maintien du contrat, l'exercice par [l'assureur] de son droit de résiliation alors que la mise en demeure ne visait que la suspension [...] et que ni par la mise en demeure ni par une nouvelle lettre l'assureur n'a notifié son intention de résilier" (14).

La lecture combinée de ce précédent et de l'arrêt du 20 décembre 2007 permet d'attirer la vigilance des assureurs. Il résulte de cette jurisprudence que la mise en demeure initiale doit être d'une grande clarté dans sa description du mécanisme conduisant à une résiliation d'ores et déjà envisagée en tant que terme (évènement certain) se déclenchant après que se soit écoulé le délai de 10 jours postérieur à la période de suspension de la garantie. Toute équivoque dans la mise en demeure initiale nécessite un courrier distinct signifiant la résiliation. Un auteur a justement souligné que "l'assureur, à qui il appartient de prendre l'initiative de résilier, peut, dans le même instrumentum, mettre en demeure son assuré et, par un post-scriptum le plus souvent, indiquer son intention univoque de résilier en cas de non-paiement dans les délais (15). Il évite ainsi d'adresser une seconde lettre et la résiliation prend effet dès le délai de dix jours écoulés après la date de suspension des garanties. L'option de la lettre unique ou de la double lettre appartient à l'assureur (16)" (17).

Il nous semble, toutefois, plus prudent de ne pas faire l'économie de l'envoi de cette seconde lettre [recommandée de préférence, mais une lettre simple pourrait y suffire, l'article R. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0548AAK) n'exigeant une lettre recommandée (sans nécessité d'avis de réception) que pour la mise en demeure, donc pour le courrier initial de cette procédure]. On se souvient de la formule de Carbonnier à propos de la mitoyenneté : "l'économie d'un second mur se paie parfois des frais d'un procès" ! L'analogie est ici tentante : l'économie d'une seconde lettre pourrait bien se payer (au centuple !) des frais d'un procès en interprétation de la mise en demeure !

L'assuré n'ayant nulle obligation de se renseigner sur une éventuelle renonciation par l'assureur au bénéfice de son droit à la résiliation, ce qui est parfaitement logique, c'est sur l'assureur que pèse l'obligation de l'informer sur ses intentions. Tout doute sur la clarté de la mise en demeure quant à l'effectivité de la résiliation se retournera donc contre l'assureur...

On notera, cependant, qu'en l'espèce, l'assureur semble bien avoir encaissé sans réserve la prime postérieurement à la date retenue (finalement à tort) par les juges du fond comme celle à laquelle la résiliation devait (selon eux) être considérée comme acquise. Un encaissement au 17 juillet pour un contrat censé résilié au 25 juin ne traduit-il pas une renonciation de l'assureur au bénéfice de cette résiliation ?

Si une jurisprudence l'a, un temps, soutenu (18), elle s'est, depuis un arrêt de la première chambre civile rendu en 2003 (19), confirmé par un arrêt de la Chambre criminelle en 2006, positionné en sens contraire, énonçant dans un attendu de principe "que la renonciation à un droit ne peut résulter que d'un acte manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que tel n'est pas le cas de l'encaissement que fait sans réserves l'assureur, après la date de la résiliation, d'une prime venue à échéance antérieurement" (20). Que faut-il en penser ? Une prime (ou plutôt une quote-part de prime, prorata temporis) est bien due. Il ne saurait donc être question d'un indu complet. En outre, lorsque la mise en demeure est bien exempte d'ambiguïté et que la date à laquelle la résiliation sera acquise est bien présente à l'esprit de l'assuré, il est indéniable qu'en s'acquittant, en toute connaissance de cause, d'un paiement postérieurement à la date d'acquisition de la résiliation, il ne peut s'attendre à "réactiver le contrat". Comme on l'a judicieusement noté, "la jurisprudence a d'ailleurs déjà retenu que l'assureur n'était pas tenu d'informer l'assuré que son paiement tardif n'avait pas d'effet pour une mise en vigueur des garanties du contrat après la résiliation" (21).

En revanche, lorsque, comme en l'espèce, le paiement tardif est consécutif à une mise en demeure ambiguë, il y a lieu de considérer que l'assuré n'étant pas clairement informé de cette résiliation s'est, de bonne foi, acquitté de son obligation au paiement, apte à déclencher la reprise du contrat au lendemain à midi, en application de l'article L. 113-3, alinéa 4, du Code des assurances, donc à la couverture du dommage consécutif. Il appartiendra à la cour de renvoi de définir la sanction adaptée (maintien du contrat ou responsabilité de l'assureur).

Dans la seconde espèce jugée le 20 décembre 2007, une société ayant pour activité principale le stockage et la distribution de médicaments produits par des tiers, a souscrit auprès d'un assureur plusieurs polices destinées à couvrir les risques de son activité : une police n° 32838932 couvrant la "responsabilité civile des entreprises industrielles et commerciales" pour une activité déclarée dans les conditions particulières, "d'entreposage de médicaments sans distribution" et une police n° 13008192 couvrant l'activité de distribution de produits pharmaceutiques. Cinq sinistres survenus au cours de l'année 2002 à l'occasion de l'expédition de produits pharmaceutiques ont fait l'objet d'un refus de couverture par l'assureur. Aux termes de l'arrêt, "les déclarations de sinistres ont toutes été faites au titre de la police n° 32838932 visée expressément dans chaque courrier [...] ; que les cinq sinistres en cause se sont produits lors d'opérations de distribution des produits pharmaceutiques". L'assuré ayant déclaré des sinistres sur le fondement de la mauvaise police avait cherché à soulever, devant les juges d'appel, le bénéfice de la seconde police. La cour d'appel le reçoit par une "volée de bois vert" : "la société soutient vainement que le contrat applicable serait le contrat n° 13008192, qui vise l'activité de distribution de produits pharmaceutiques, alors qu'elle a délibérément placé les sinistres sous l'empire de la police n° 32838932 précisément visée lors de leur déclaration" ; l'analyse était extrêmement sévère, qui consiste à tenir l'attitude de l'assuré pour une démarche "délibérée", c'est-à-dire réfléchie et éclairée. Or, une telle analyse postule une parfaite compréhension du contrat d'assurance, a fortiori dans un contexte d'assurances multiples auprès d'un même assureur.

La Cour de cassation a heureusement censuré les juges d'appel, aux motifs que "la mention erronée sur une déclaration de sinistre d'un contrat ne couvrant pas ce risque, ne saurait suffire à soustraire l'assureur à son obligation à garantie au titre d'un autre contrat régulièrement souscrit par le même assuré, la cour d'appel a violé" les articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 113-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI).

L'erreur de l'assuré ne saurait profiter à l'assureur qui, sinon, encaisserait une prime pour un risque réalisé mais que l'assuré aurait porté à sa connaissance au titre d'un autre contrat par lui couvert. Il lui appartient d'assister l'assuré dans sa déclaration de sinistre et de signaler cette erreur. Ne faudrait-il pas distinguer ici entre assuré "averti" ou "non averti", à l'instar de la "pente" actuelle de l'obligation de mise en garde ? Il nous semble préférable de ne pas suivre ce chemin. Aucune réticence d'information n'est ici excusable de la part de l'assureur qui couvre plusieurs contrats du même assuré. Si le cumul d'assurances auprès de plusieurs assureurs débouche, logiquement, sur une obligation pesant sur l'assuré de faire connaître à l'assureur A le nom des assureurs B ou C couvrant le même risque (cf. en ce sens, C. assur., art. L. 121-4 N° Lexbase : L0080AA9), l'assurance cumulative "avec soi-même" nous semble logiquement déboucher sur une répartition tout autre des obligations. Dans ce contexte, s'impose une obligation d'information renforcée de l'assureur se traduisant, au moment de la déclaration de sinistre, par une assistance de l'assuré, à tout le moins par un signalement de ses erreurs, sans que, dans cette matière technique, il soit utile de distinguer entre erreur ou omission matérielles (qui seraient seules réparables) et erreurs intellectuelles (qui ne le seraient pas).

Dira-t-on qu'assister un assuré est faire peser sur l'assureur une obligation excessive ? Dira-t-on qu'un assureur pourrait légitimement profiter d'une erreur de son assuré comme, ailleurs, un acheteur sait profiter d'une erreur sur la valeur de son vendeur (22) ? Ce n'est pas souhaitable et ne correspond nullement à l'esprit du Code des assurances. Est-ce à dire qu'un assureur ne puisse jamais profiter d'une erreur de son assuré ? On prendra pour exemple la déclaration de sinistre tardive pour étayer l'idée selon laquelle le Code des assurances ne se satisfait nullement d'une erreur ou d'une faute "sèche" de l'assuré. L'article L. 113-2 du Code des assurances subordonne le jeu des clauses de déchéance pour déclaration tardive à la démonstration par l'assureur "que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice". N'y a-t-il pas quelque enseignement à en tirer, par analogie, sur le terrain, ici examiné par l'arrêt du 20 décembre 2007, d'une erreur dans la désignation de la police ? La couverture est due car l'erreur de l'assuré ne peut, ni moralement ni juridiquement, lui être opposée. Ne pourrait-on admettre que l'assureur puisse invoquer le préjudice que lui a causé une déclaration erronée de l'assuré ? Si l'on considère qu'il appartient à l'assureur de soulever "d'office" le jeu de la bonne police d'assurance, l'erreur de l'assuré ne saurait être causale d'une tel préjudice. Si l'on considère que cette obligation d'assistance, de "coopération" de l'assureur n'exclut pas la qualification de faute de l'erreur de l'assuré, cette voie d'une "faute du créancier" serait ouverte...

La lecture combinée de ces deux décisions conduit à approuver la double censure opérée par les Hauts magistrats, confrontés à des décisions excessivement sévères de cours d'appel. La Cour de cassation a raison de creuser le sillon d'une moralisation des affaires, singulièrement du droit des assurances.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de NantesMembre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) Les premières "découvertes" et mises en garde doctrinales de la difficulté née de la compatibilité de la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1009 N° Lexbase : L5011E4D), de la Directive européenne de 1992 (Directive (CE) 92/49 du 18 juin 1992 N° Lexbase : L7533AUK) et des articles 1104, alinéa 2, et 1964 du Code civil, datent de 1994 ; M. Grimaldi, Réflexions sur l'assurance vie et le droit patrimonial de la famille, Rép. Défr., 1994, n° 35841, p. 737 ; V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, dacty. 1994, LGDJ, 1996, préf. Jacques Héron.
(2) Cass. mixte, 23 novembre 2004, n° 03-13.673 (N° Lexbase : A0919DER), n° 01-13.592 (N° Lexbase : A0225DE3), n° 02-11.352 (N° Lexbase : A0235DEG) et n° 02-17.507 (N° Lexbase : A0265DEK), Bull. n° 4, p. 9 ; RTDCiv., 2005, p. 434, obs. M. Grimaldi ; RGDA, 2005, p. 480, note J. Bigot ; D., 2004, somm. 3192, obs. H. Groutel.
(3) Cass. civ. 1, 19 avril 2005, n° 02-10.985, M. René Lacoste c/ Mme Annie Philippe, FS-P+B (N° Lexbase : A9499DHB), Bull. civ. I, n° 189, p. 159 ; Cass. civ. 2, 12 mai 2005, n° 03-17.994, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGVAT) c/ Association Clair Soleil, FS-P+B (N° Lexbase : A2266DIR), RGDA, 2005, n° 2, p. 690, note L. Mayaux.
(4) L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11 ; F. Leduc et Ph. Pierre, Assurance-placement : une qualification déplacée, RCA, février 2005, n° 3, p. 7 ; R. Libchaber, Rép. Défr., 2005, n° 07/05, chron. 38142, p. 607 ; A.-M. Ribeyre, Assurance-vie : le débat se déplace de l'aléa vers la prime excessive, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 10. Sauf : B. Beignier, D., 2005, p. 1905 ; H. Lécuyer, Promesses jurisprudentielles de longue vie à l'assurance-vie, J. Cl. Droit de la famille, mars 2005, chron. n° 6, p. 11 ; L. Mayaux, RGDA, 2005, n° 1.
(5) Cass. civ. 1, 1er juillet 1997, n° 95-15.674, M. Daniel Regent c/ M. Raoul Regent (N° Lexbase : A0522ACC), Bull. civ. I, n° 217, D., 1998, p. 543, note Choisez, RCA, 1997 comm. 317, RGDA, 1997, p. 822, note J. Bigot, JCP éd. G, 1998, I 133, note Le Guidec.
(6) Voir, nos obs., sous Cass. civ. 1, 31 octobre 2007, n° 06-14.399, Mme Marie-Madeleine Morisset, épouse Picard, FS-P+B (N° Lexbase : A2316DZS), Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6017BD9) ; nos obs., Versement de primes manifestement exagérées en assurance vie : rares utilisations (à propos de l'arrêt du 4 juillet 2007), Droit de la famille, septembre 2007, n° 176, p. 30.
(7) Cass. civ. 1, 1er juillet 1997, précité.
(8) Nos obs., Assureur cherche désespérément tiers bénéficiaires de contrats d'assurance vie, Revue de Droit de la famille, janvier 2008, n° 18, p. 30 (première partie) et Revue de Droit de la famille, février 2008 (deuxième partie). Voir aussi : L. Mayaux, Les audaces tranquilles du législateur, JCP éd. G., 2008, I, 106.
(9) L. Mayaux, Assurance-vie : dans quelles conditions un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation, JCP éd. G, 2008, n° 7, 13 février 2008, p. 37 et s..
(10) Sur l'origine des difficultés, voir nos obs., Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, préc., J. Aulagnier, L'assurance vie est-elle un contrat d'assurance ?, Droit et patrimoine, décembre 1996, p. 44 et s., M. Grimaldi, Réflexions sur l'assurance vie et le droit patrimonial de la famille, Rép. Défr., 1994, n° 35841, p. 737, J. Kullmann, Contrats d'assurance sur la vie : la chance de gain ou de perte, D., 1996, chron. p. 205 et s.. Cf., également, notes (2) et (4) .
(11) L. Mayaux, Assurance-vie : dans quelles conditions un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation, préc. ; et nos obs. supra.
(12) Rapport n° 274 enregistré à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 10 octobre 2007, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur la proposition de loi (n°176) de MM. Jean-Michel Fourgous et Yves Censi, visant à permettre la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance vie non-reclamés et en déshérence, par M. Eric Straumann, député ; L. Mayaux, Les audaces tranquilles du législateur, préc., et nos obs. préc..
(13) Sur ce point, cf. V. Nicolas, Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 291 du 7 février 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N0518BEW).
(14) Cass. civ. 1, 19 mars 1985, n° 83-17.072, Société Le Lloyd Continental SA c/ Maulave (N° Lexbase : A2721AAZ), Bull. civ. I, n° 97.
(15) Validité du procédé, par ex., Cass. civ. 1, 10 janvier 1995, n° 92-13.158, Compagnie La France c/ Epoux Courtoisie (N° Lexbase : A6113AHU), Bull. civ. I, n° 19, D., 1995, IR p. 57, RCA, 1995, n° 106, RGAT, 1995, p. 358, note F. Chardin : "La mise en demeure résulte de l'envoi d'une lettre recommandée adressée à l'assuré, et que l'assureur peut notifier la résiliation dans cette même lettre, qui doit indiquer expressément qu'elle est envoyée à titre de mise en demeure, rappeler le montant et la date d'échéance de la prime et reproduire l'art. L. 113-3".
(16) Cass. civ. 1, 19 mars 1985, n° 83-17.072, préc., Bull. civ. I, n° 97, D., 1986, Somm. p. 295, 2ème esp., obs. C.-J. Berr et H. Groutel.
(17) D. Noguéro, note sous Cass. crim., 16 mai 2006, n° 05-80.974, MAAF, F-P+F (N° Lexbase : A8677DP3), D., 2006, p. 2771.
(18) Cass. civ. 1, 25 avril 1990, n° 88-11.430, Mme B. et autre c/ SA UAP, inédit (N° Lexbase : A0722C37), RCA, 1990, comm. 256 (1ère esp.) ; Cass. civ. 1, 9 juillet 1996, n° 94-15.054, M. Jean-René Besnard c/ M. André Goltais et autres, inédit (N° Lexbase : A3693CQT), RCA, 1996, comm. 373, D., 1998, somm. 49, obs. H. Groutel ; Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-15.280, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) (N° Lexbase : A6966A4R), RCA, 1998, comm. 371, RGDA, 1998, p. 709, note L. Fonlladosa.
(19) Cass. civ. 1, 18 février 2003, n° 99-21.175, Mutuelle du Mans assurances IARD c/ Mme Véronique Levavasseur, FS-D (N° Lexbase : A2044A7T), RCA, 2003, comm. 158 et chron. 10 par H. Groutel, RGDA, 2003, p. 338.
(20) Cass. crim., 16 mai 2006, préc..
(21) D. Noguéro, note préc., qui cite Cass. civ. 1, 10 janvier 1995, précité, Bull. civ. I, n° 19 ; D., 1995, IR p. 57 ; RCA, 1995, n° 106 ; RGAT, 1995, p. 358, note F. Chardin : "même rédigée partiellement sous forme de post-scriptum, la notification de la résiliation ne prêtait à aucune équivoque et répondait aux exigences légales et réglementaires, lesquelles n'imposent pas à l'assureur de préciser l'absence d'effet d'un paiement ultérieur de la prime".
(22) En ce sens, cf., en dernier lieu, Cass. civ. 3, 17 janvier 2007, n° 06-10.442, M. Didier, André, Edouard Theuillon, FS-P+B (N° Lexbase : A6928DTR), D., 2007, p. 1051, note D. Mazeaud et p. 1057, note Ph. Stoffel-Munck ; JCP éd. G, 2007, II. 10042, note Ch. Jamin ; RTDCiv., 2007 p. 335, obs. J. Mestre et B. Fages.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Chaud et froid sur la protection du principe "à travail égal, salaire égal"

Réf. : Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-40.085, Société anonyme Alcatel Cit, FS-P (N° Lexbase : A0557D7R) ; Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, Société Alain Bensoussan, FP-P+B sur le sixième moyen (N° Lexbase : A0480D7W)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Par deux décisions en date du 20 février 2008 (n° 06-40.085 et n° 05-45.601), la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme sa volonté d'assurer le respect du principe "à travail égal, salaire égal", dans des hypothèses où les employeurs invoquaient une prétendue incompétence du salarié (n° 06-40.085) ou le fait que l'avantage litigieux ne pouvait pas profiter aux cadres de l'entreprise (n° 05-45.601) (I). Plus discutable est, en revanche, le refus d'annuler le licenciement du salarié qui agit en justice pour obtenir le respect de ce principe (II).
Résumés

Pourvoi n° 06-40.085. N'est fondée sur aucun élément objectif valable la moindre progression salariale d'un salarié par comparaison avec ses collègues, dès lors que le procès-verbal d'entretien d'évaluation, réalisé en 1993, contenait des appréciations positives sur la qualité du travail fourni par le salarié, qu'aucune autre évaluation n'était intervenue postérieurement et que les critiques de l'employeur relatives aux difficultés de travailler en équipe et à la susceptibilité excessive du salarié à l'égard de sa hiérarchie n'ont été formulées qu'a posteriori et peu de temps avant la saisine par le salarié de la juridiction prud'homale, et qu'enfin la société avait, elle-même, admis la nécessité d'un rattrapage de salaires en 1993 et 1995.

Hors le cas visé à l'article L. 123-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5594AC8), le licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un salarié intervenu en raison de l'action en justice qu'il a introduite sur le fondement d'une violation du principe "à travail égal, salaire égal", n'encourt pas la nullité (moyen publié).

Pourvoi n° 05-45.601. La seule différence de catégorie professionnelle ne saurait, en elle-même, justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence. La cour d'appel a, par conséquent, exactement décidé que l'employeur, qui avait réservé l'octroi de tickets restaurant au seul personnel non cadre de son entreprise, ne justifiait, ainsi, d'aucune raison objective et pertinente pouvant légitimer cette disparité.

Commentaire

I. La détermination exigeante des éléments de nature à justifier une différence de rémunération

  • Sévérité de la Cour de cassation s'agissant des entorses au principe "à travail égal, salaire égal"

Ces deux arrêts, rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 20 février 2008, illustrent parfaitement la sévérité dont la Haute juridiction fait, aujourd'hui, preuve, lorsqu'elle vérifie que des différences de rémunération entre salariés ayant un même travail, ou de valeur égale, sont justifiées.

  • Rejet de justifications formulées pour les besoins de la cause

Dans la première affaire (n° 06-40.085), un salarié se plaignait d'une progression de carrière plus lente que ses collègues placés dans une même situation que lui. Ce salarié avait été embauché en 1971 comme ingénieur position II, coefficient 100, avec un statut cadre au regard de la classification de la Convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie. Il avait saisi la juridiction prud'homale en 1998 pour solliciter son reclassement à la position III C, à compter du 1er janvier 2000, et la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire, de dommages-intérêts sur salaires, de dommages-intérêts pour discrimination, pour détournement de pouvoir, pour inexécution du contrat et pour abus de droit, avant d'être licencié quelques semaines plus tard.

La cour d'appel ayant donné raison au salarié, l'employeur tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt en faisant valoir que la moindre progression salariale de l'intéressé s'expliquait par des critères objectifs tirés des appréciations particulièrement critiques portées par la hiérarchie du salarié sur son activité professionnelle, en raison de son refus constant de se plier aux directives données et de s'intégrer dans les équipes de travail au sein desquelles il était affecté.

L'argument n'a pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui rejette le moyen. Selon la Haute juridiction, en effet, le procès-verbal d'entretien d'évaluation, réalisé en 1993, contenait des appréciations positives sur la qualité du travail fourni par le salarié, aucune autre évaluation n'était intervenue postérieurement et les critiques de l'employeur relatives aux difficultés de travailler en équipe et à la susceptibilité excessive du salarié à l'égard de sa hiérarchie n'ont été formulées qu'a posteriori et peu de temps avant la saisine par le salarié de la juridiction prud'homale, et, enfin, que la société avait, elle-même, admis la nécessité d'un rattrapage de salaire en 1993 et 1995.

  • Une solution justifiée

Cette solution est parfaitement justifiée et s'inscrit, d'ailleurs, dans la droite ligne de la jurisprudence relative à la carrière des salariés.

On sait, en effet, que des différences de traitement peuvent valablement résulter de "parcours professionnels spécifiques" mis en place par des accords collectifs (1), à condition, toutefois, que ces "carrières conventionnelles" reposent sur des critères objectifs et valorisant, notamment, la performance individuelle des salariés.

En dehors de ces hypothèses, l'employeur peut, également, tenir compte des différences constatées dans la qualité du travail réalisé par les salariés pour valoriser les meilleurs éléments (2). L'arrêt rendu le 20 février 2008 confirme, ici, que ces éléments, matériellement vérifiables par le juge, doivent réellement justifier la différence de traitement ; or, dans cette affaire, les reproches adressés au salarié avaient été formulés pour les besoins de la cause, et l'examen de son parcours au sein de l'entreprise démontrait, au contraire, qu'il avait, jusqu'au moment où il avait saisi la juridiction prud'homale, donné entière satisfaction.

Les employeurs sont donc prévenus : les entretiens d'évaluation doivent être réalisés avec rigueur et mettre en évidence les éventuelles carences des salariés, si l'entreprise souhaite mettre en place une politique d'individualisation des rémunérations.

  • Mise à l'écart des justifications tirées de la seule qualité de cadre des salariés

Dans la seconde affaire (n° 05-45.601), l'employeur prétendait justifier la différence de traitement, non par des éléments personnels au salarié, mais par son rattachement à une catégorie professionnelle, en l'occurrence celle des cadres. Dans cette entreprise, en effet, l'employeur prétendait réserver le bénéfice des tickets-restaurants aux seuls salariés non-cadres. La cour d'appel avait refusé de se satisfaire de cette justification, pas plus, d'ailleurs, que la Cour de cassation, qui a rejeté le moyen. Pour la Haute juridiction, en effet, "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence".

  • Une solution également justifiée

Cette solution est, là encore, pleinement justifiée et s'inscrit dans un courant jurisprudentiel visant à rejeter toutes formes de justifications purement formelles, qu'il s'agisse d'avoir égard seulement à l'appartenance à un établissement distinct soumis à son propre statut collectif, au sein de l'entreprise (3), au statut juridique des salariés (4) ou à leur date d'embauche (5).

S'agissant du bénéfice des tickets-restaurant, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà rejeté la possibilité pour une entreprise d'en priver les travailleurs intérimaires (6), de même qu'elle a considéré que "ni l'affectation des salariées sur un site distinct de l'établissement de la société, ni leur horaire à temps partiel, ne justifiaient la discrimination dont elles étaient victimes par rapport aux autres salariés de l'entreprise pour l'attribution de titres-restaurant" (7).

Ce refus de se satisfaire de justifications purement formelles se comprend aisément, car les salariés, quoi qu'appartenant à l'une ou l'autre de ces catégories professionnelles de travailleurs, ne se trouvent ni nécessairement dans une situation différente, ni dans une situation nécessairement identique. Il convient, alors, d'aller rechercher la justification dans la situation concrète des salariés.

II. Les limites de la protection du droit d'agir en justice pour assurer le respect du principe "à travail égal, salaire égal"

  • Caractère particulier de la protection du droit d'agir ou de témoigner en justice

Le Code du travail ne contient pas de protection générale du droit d'agir ou de témoigner en justice, mais, simplement, des applications particulières qui concernent les discriminations femmes-hommes (8) et le harcèlement (9). Cette protection se traduit par l'annulation de toute mesure visant à sanctionner les salariés ayant témoigné dans de telles affaires.

  • Absence de nullité du licenciement du salarié agissant pour faire respecter le principe "à travail égal, salaire égal"

Mais qu'en est-il lorsqu'un salarié agit en justice en raison d'une atteinte portée au principe "à travail égal, salaire égal" ? C'est à cette question inédite que répond la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l'un des deux arrêts rendus le 20 février 2008 (n° 05-45.601) pour écarter la nullité du licenciement au profit d'une simple qualification de défaut de cause réelle et sérieuse.

En apparence, la solution semble justifiée.

Même si, pendant un certain temps, la Chambre sociale de la Cour de cassation semblait confondre les termes de "discrimination" et d'"inégalité salariale", les deux hypothèses sont, désormais, nettement différenciées, notamment, sur le plan procédural (10). Les dispositions de l'article L. 123-5 du Code du travail, dont il n'a, d'ailleurs, été que, très rarement, fait usage (11), sont donc logiquement inapplicables dans les hypothèses visées par la jurisprudence "Ponsole", c'est-à-dire de différences de rémunération fondée exclusivement sur le principe "à travail égal, salaire égal", sans que la considération du sexe des salariés ait quoi que ce soit à voir avec la contestation. La Cour de cassation avait, d'ailleurs, déjà eu l'occasion d'affirmer, dans une décision inédite rendue en 2003, "que les dispositions de l'article L. 123-5 du Code du travail ne pouvaient être étendues au-delà de leur objet" (12).

En l'absence de fondement légal, et pour s'en tenir au principe selon lequel il ne saurait y avoir de nullité sans texte (13), le licenciement du salarié ne pouvait être annulé, mais simplement considéré comme privé de cause réelle et sérieuse.

  • Proposition pour une sanction plus rigoureuse assurant l'effectivité du droit au juge

Il nous semble, toutefois, qu'une autre solution aurait pu s'imposer. On sait, en effet, que, depuis 2001 (14), la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que doit être annulé, en dehors des hypothèses prévues expressément par le législateur, tout licenciement portant atteinte à une liberté fondamentale du salarié (15).

Certes, la Haute juridiction n'a fait qu'une seule application positive de ce principe, depuis cette date, pour sanctionner l'employeur qui avait licencié un salarié en raison d'écrits injurieux produits par ce dernier en justice (16). N'ont, en revanche, pas été jugés suffisant le licenciement d'un salarié qui venait d'obtenir en justice la requalification de son CDD en CDI (17), ni celui pour lequel n'a pas été attendue l'issue de l'instance criminelle (18), ni le licenciement prononcé en violation d'un prétendu droit de se vêtir librement dans l'entreprise (19).

Or, il nous semble que la Cour de cassation pourrait montrer plus de zèle à protéger l'effectivité du droit d'accès à un tribunal, fondé sur l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et résultant de la jurisprudence "Golder" de la Cour de Strasbourg (20). Certes, l'employeur est sanctionné s'il licencie un salarié en raison de la saisine, par ce dernier, d'un tribunal, pour faire valoir ses droits, puisqu'il devra au salarié des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais, dans la mesure où ce licenciement sanctionne l'exercice d'un droit fondamental, qui plus est pour faire valoir que ses droits (substantiels) ont été lésés, ce qui était le cas dans l'arrêt du 20 février 2008, il nous semble que c'est bien la nullité du licenciement qui devrait être prononcée. Même s'il n'est pas possible de reprocher à la Cour de cassation d'avoir relevé d'office un moyen qui n'avait pas été soulevé par le demandeur, il nous semble que cette voie pourrait être utilement explorée dans l'avenir.


(1) Cass. soc., 3 mai 2006, n° 03-42.920, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) c/ Mme Catherine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2459DPR), lire nos obs., L'égalité salariale n'est pas l'identité salariale, Lexbase Hebdo n° 214 du 10 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N8019AK9) ; Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-43.418, Caisse d'allocations familiales (CAF) des Yvelines, F-D (N° Lexbase : A6632DYB), lire nos obs., Principe d'égalité salariale et différences de traitement conventionnelles : quels pouvoirs d'individualisation pour les partenaires sociaux ?, Lexbase Hebdo n° 276 du 11 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6257BCQ).
(2) Cass. soc., 8 novembre 2005, n° 03-46.080, M. Ricardo De Souza c/ Société Saint-Jacques hôtel, F-D (N° Lexbase : A5107DLQ).
(3) Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, Société Sogara France c/ Mme Lasoy Agion, F-P (N° Lexbase : A3972DM3), lire nos obs., Une différence de traitement fondée sur la pluralité des accords d'établissement n'est pas illicite, Lexbase Hebdo n° 199 du 25 janvier 2006 édition sociale (N° Lexbase : N3620AKB).
(4) Cass. soc., 15 mai 2007, n° 05-42.894, M. François Chavance, FP-P+B (N° Lexbase : A2480DWR), lire nos obs., Principe "à travail égal, salaire égal" et différence de statut juridique dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 261 du 24 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1641BBE).
(5) Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, Mme Julie Ashton, divorcée Romano, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4724DXA), lire nos obs., La justification des inégalités salariales par le principe du maintien des avantages individuels acquis, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2737BCD).
(6) Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-42.853, Société The Timken Company, prise en son établissement Timken European Service Center, FS-P+B (N° Lexbase : A7891DS3), Dr. soc., 2007, p. 355.
(7) Cass. soc., 19 décembre 2001, n° 99-45295, Société Publications Willy Fischer (PWF) c/ Mme Danielle Peudpièce, F-D (N° Lexbase : A7264AXC).
(8) C. trav., art. L. 123-5.
(9) C. trav., art. L. 122-46 (N° Lexbase : L5584ACS, harcèlement sexuel) et L. 122-49 (N° Lexbase : L0579AZH, harcèlement moral).
(10) Cass. soc., 5 juillet 2005, n° 03-44.281, Mme Josiane Franceschi c/ Caisse maladie régionale de Provence (CMR), FS-P+B (N° Lexbase : A8900DIH), Bull. civ. V, n° 231, p. 202 : "la cour d'appel, qui n'a pas modifié les termes du litige et qui était saisie du seul point de savoir si le principe "à travail égal, salaire égal" avait été méconnu par l'employeur, n'avait pas à se prononcer sur une discrimination en raison de l'un des cas énumérés par l'article L. 122-45 du Code du travail".
(11) Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 97-43.715, Mme Djennet Harba (N° Lexbase : A9257AHC), Bull. civ. V, n° 395, p. 302.
(12) Cass. soc., 17 décembre 2003, n° 01-43.558, Association ouvrière des compagnons du devoir du tour de France c/ M. Jacques Chojnacki, F-D (N° Lexbase : A4796DAU) : en l'espèce, le salarié avait soutenu, en vain, que " le licenciement d'un salarié faisant suite au dépôt d'une plainte ou à l'engagement d'une procédure contre un employeur, en raison de violations alléguées de la législation, est nul et de nul effet".
(13) Principe, d'ailleurs, consacré par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, n° 12 N° Lexbase : A7588AXC).
(14) Voir déjà, l'arrêt "Clavaud" : Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804, Société anonyme Dunlop France c/ M. Clavaud (N° Lexbase : A4778AA9), Dr. soc., 1988, p. 428, conc. H. Ecoutin, note G. Couturier.
(15) Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-45.735, Mme Hugues c/ Société France Télécom et autre (N° Lexbase : A0149ATP), Dr. soc., 2001, p. 1117, obs. C. Roy-Loustaunau ; Cass. soc., 31 mars 2004, n° 01-46.960, Société nouvelle Les Tricotages du Bassigny c/ Mme Anne Marie Fréquelin, épouse Voinchet, F-P+B (N° Lexbase : A7474DBG), Dr. soc., 2004, p. 666 et nos obs., Annulation du licenciement et article 6 de la CESDH : la salutaire mise au point de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 115 du 7 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1178ABA) ; Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-42.099, M. Bernard Rainero c/ Mme Annie Pons, FS-P+B (N° Lexbase : A8507DIW), Bull. civ. V, n° 227 ; Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.978, M. Luigi Pizzi c/ Association organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) Notre Dame du Bel Air, F-D (N° Lexbase : A8553DIM) ; Cass. soc., 22 février 2006, n° 03-46.027, Société Les Grands Garages du Berry, F-D (N° Lexbase : A1730DNE).
(16) Cass. soc., 28 mars 2006, n° 04-41.695, M. Jean-Marie Agboton, FS-P+B (N° Lexbase : A8616DNG) : "la teneur des écrits produits devant les juridictions, qui relève de la liberté fondamentale de la défense, ne peut connaître d'autres limites que celles fixées par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 qui organise, par la suppression, les dommages-intérêts et la réserve d'action qu'il prévoit, les seules sanctions possibles de leur méconnaissance ; qu'il en résulte qu'un licenciement prononcé des suites d'une telle méconnaissance est nul comme contraire à l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI)".
(17) Cass. soc., 13 mars 2001, préc..
(18) Cass. soc., 31 mars 2004, préc..
(19) CPH Rouen, sec. référé, 30 août 2001, RG n° 01/00334, M. Cédric Monribot c/ SA Sagem (N° Lexbase : A5074DT4), RJS, 2001, n° 1252. Confirmé par CA Rouen, référé prud'homal, 13 novembre 2001, n° 01/03255, M. Cédric Monribot c/ SA Sagem (N° Lexbase : A5351DHN), RJS, 2002, n° 8 ; Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, M. Cédric Monribot c/ Société Sagem, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6668CK8), Dr. soc., 2003, p. 808, chron. P. Waquet, JCP éd. G, 2003, II, 10128, note D. Corrignan-Carsin, P. Lokiec, Tenue correcte exigée. Des limites à la liberté de se vêtir à sa guise, Dr. soc., 2004, p. 132.
(20) CEDH, 21 février 1975, req. 4451/70, Golder c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A1951D7E). Voir Gouttenoire, Les grands arrêts de la CEDH, Puf, 4ème éd., 2007, p. 262.

Décisions

Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-40.085, Société anonyme Alcatel Cit, FS-P (N° Lexbase : A0557D7R)

Rejet (CA Versailles, 5ème ch., sect. B, 10 novembre 2005)

Mots clef : principe "à travail égal, salaire égal" ; retard de carrière ; absence de justification.

Liens base :

Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, Société Alain Bensoussan, FP-P+B sur le sixième moyen (N° Lexbase : A0480D7W)

Cassation partielle (CA Paris, 1ère ch., sect. A, 10 mai 2005 et 12 octobre 2005)

Texte concerné : C. trav., art. L. 123-5 (N° Lexbase : L5594AC8)

Mots clef : principe "à travail égal, salaire égal" ; atteintes ; différence de catégorie professionnelle ; justification insuffisance ; action en justice ; licenciement ; absence de cause réelle et sérieuse.

Liens base :

newsid:313474

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Directives 80/97/CEE et 2002/74/CE : conditions de l'exclusion de garanties par un fonds de garantie salariale

Réf. : CJCE, 21 février 2008, aff. C-498/06, Maira María Robledillo Núñez c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A0008D7G)

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N3629BE7

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

La jurisprudence communautaire relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur est assez rare et mérite donc toute l'attention. Saisie d'une demande de décision préjudicielle portant sur l'interprétation de la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (N° Lexbase : L9435AUY), la CJCE devait se prononcer, dans un arrêt du 21 février dernier, dans le cadre d'un litige opposant Mme X au 'Fogasa' (fond de garantie salariale espagnol) au sujet du refus de ce dernier de verser une indemnité à l'intéressée en raison du licenciement irrégulier dont elle a fait l'objet, le paiement de cette indemnité ayant été prévu par un accord de conciliation extrajudiciaire conclu entre Mme X et son employeur. Il lui était demandé si, eu égard au principe général d'égalité et de non-discrimination, la différence de traitement qu'opère le droit espagnol (dans sa version restée en vigueur jusqu'au 14 juin 2006), est objectivement dépourvue de justification. Faut-il, par conséquent, inclure les indemnités de licenciement dues au salarié au titre d'une conciliation extrajudiciaire dans le domaine d'application de la Directive 80/987, dès lors que le droit interne espagnol (art. 33 § l, statut des travailleurs) admet ce type de conciliation aux fins du versement par l'Institut de garantie des salariés échus, en conséquence, du même licenciement ? La CJCE admet que cette indemnité, ayant été prévue par un accord de conciliation extrajudiciaire, ne soit pas prise en charge par un fonds de garantie salariale, ayant, ainsi, arbitré entre deux principes : l'égalité de traitement entre les différentes créances, quelle que soit leur nature (I) ; et la lutte contre les fraudes (II).
Résumé

La Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (art. 3, al. 1er), modifiée par la Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E), doit être interprétée en ce sens qu'un Etat membre a la faculté d'exclure des indemnités accordées pour licenciement irrégulier de la garantie de paiement assurée par l'institution de garantie, lorsque celles-ci ont été reconnues par un acte de conciliation extrajudiciaire et qu'une telle exclusion, objectivement justifiée, constitue une mesure nécessaire en vue d'éviter des abus au sens de l'article 10, sous a), de cette même Directive.

I - Premier principe : égalité de traitement entre les différentes créances, quelle que soit leur nature

A - Application du droit communautaire

Aux termes de l'article 3, alinéa 1er, de la Directive 80/987 (1), les Etats membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail, y compris lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.

La CJCE relève (point 29) qu'en l'espèce, la législation espagnole entre dans le champ d'application de la Directive 80/987, dès lors qu'elle fait relever le paiement des dédommagements pour cessation de la relation de travail de la protection accordée par l'institution de garantie compétente, et ce, alors même qu'elle ne serait nullement tenue de le faire, en vertu de l'article 3, alinéa 1er, de la Directive 80/987.

La solution est conforme à la jurisprudence dégagée par la CJCE, selon laquelle, alors même que la Directive 80/987 (art. 3, al. 1er) n'oblige pas un Etat membre à prévoir dans sa législation nationale transposant la Directive 2002/74 que le paiement des dédommagements pour cessation de la relation de travail est assuré, il y a lieu de considérer que, dans la mesure où la législation espagnole comporte une disposition faisant relever de tels dédommagements de la protection accordée par l'institution de garantie compétente, cette disposition nationale entre, depuis le 8 octobre 2002 (date de l'entrée en vigueur de la Directive 2002/74), dans le champ d'application de la Directive 80/987 modifiée (CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-81/05, Anacleto Cordero Alonso c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A9492DQM (2), Rec. p. I-7569, point 31 ; CJCE, 17 janvier 2008, aff. C-246/06, Josefa Velasco Navarro c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A6708D3T, point 32, non encore publié au Recueil).

B - Principe de non-discrimination

La faculté reconnue au droit national, par la Directive 80/987, de préciser les prestations à la charge de l'institution de garantie, est soumise aux exigences découlant du principe général d'égalité et de non-discrimination.

En 2002, la CJCE s'est, en effet, clairement prononcée en ce sens (CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-442/00, Ángel Rodríguez Caballero c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A0414A7H (3), points 29 à 33 (4). Selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la CJCE assure le respect. Les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridique communautaire lient, également, les Etats membres lorsqu'ils mettent en oeuvre des réglementations communautaires. Ceux-ci sont tenus d'appliquer ces réglementations dans des conditions qui ne méconnaissent pas ces exigences (CJCE, 24 mars 1994, aff. C-2/92, The Queen c/ Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Dennis Clifford Bostock N° Lexbase : A9930AUC, point 37, Rec. p. I-2737).

Dès lors qu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, la CJCE doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont la Cour assure le respect (CJCE, 18 juin 1991, aff. C-260/89, Elliniki Radiophonia Tiléorassi AE et Panellinia Omospondia Syllogon Prossopikou c/ Dimotiki Etairia Pliroforissis et Sotirios Kouvelas et Nicolaos Avdellas et autres N° Lexbase : A1657AWB, point 42, Rec. p. I-2925 ; CJCE, 19 novembre 1998, aff. C-85/97, Société financière d'investissements SPRL (SFI) c/ Etat belge N° Lexbase : A0470AWC, point 29, Rec. p. I-7447). Au nombre des droits fondamentaux figure, notamment, le principe général d'égalité et de non-discrimination. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (CJCE, 12 juillet 2001, aff. C-189/01, H. Jippes et autres c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij N° Lexbase : A8091AYC, Rec. p. I-5689 ; CJCE, 23 novembre 1999, aff. C-149/96, République portugaise c/ Conseil de l'Union européenne N° Lexbase : A1962AWL, point 91, Rec. p. I-8395).

Cette jurisprudence a, depuis lors, été confirmée (CJCE, 16 décembre 2004, aff. C-520/03, José Vicente Olaso Valero c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A3780DEQ (5), points 34 et 35 (6)).

En l'espèce, la CJCE relève que les travailleurs licenciés irrégulièrement se trouvent dans une situation comparable pour autant qu'ils ont droit à une indemnité en cas de non-réintégration (CJCE, aff. C-442/00, préc., point 33, et aff. C-520/03, préc., point 35). Aussi, logiquement, la CJCE en tire la conséquence que les indemnités de licenciement reconnues dans le cadre d'une procédure de conciliation extrajudiciaire ne sauraient être traitées différemment des autres indemnités dues, en les excluant des indemnités relevant de l'article 33, § 2, du statut des travailleurs espagnols, à moins que cette différence de traitement ne soit objectivement justifiée (CJCE, ordonnance, aff. C-177/05, 13 décembre 2005, Guerrero Pecino, Rec. p. I-10887, points 26 et 28 ; CJCE, aff. C-520/03, préc., points 34 et 36).

II - Second principe : lutte contre la fraude et les abus liées à des créances douteuses

Par sa question, la juridiction de renvoi a demandé à la CJCE si l'exclusion des indemnités pour licenciement irrégulier de la garantie de paiement assurée par les institutions de garantie est objectivement justifiée, en tant que mesure nécessaire en vue d'éviter des abus prise au titre de la Directive 80/987 (art. 10-a), lorsque ces indemnités sont reconnues par un acte de conciliation extrajudiciaire.

A - Droit interne

La jurisprudence mise en place par la Cour de cassation décide que l'AGS n'est recevable à contester un accord transactionnel conclu au cours d'une procédure de médiation et homologué par le juge prud'homal qu'à la condition d'établir que cet accord procède d'une fraude (Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-45.444, FS-P+B+R N° Lexbase : A5501DMP) (7).

Comme l'a relevé la doctrine (8), dans le cadre d'une transaction, l'employeur peut être amené à consentir au salarié le paiement d'indemnités d'un montant parfois plus élevé que ce à quoi il aurait pu prétendre en application du Code du travail. Ces indemnités ne changent pas de nature lorsqu'elles sont comprises dans une transaction. Elles doivent donc, normalement, être garanties par l'AGS (9). La transaction possède un effet déclaratif et n'est pas censée créer de nouveaux droits au profit de ses parties, mais, seulement, reconnaître l'existence de créances préexistantes. Rompant avec une solution jusque-là bien établie, la Cour de cassation avait limité ce droit à l'hypothèse de l'inexistence du contrat ou d'une fraude des parties (10). Enfin, il faut relever que la Cour de cassation a admis, en 2007, que les créances résultant d'une transaction conclue postérieurement à la rupture du contrat de travail sont des créances salariales et ne sont, en conséquence, pas soumises à déclaration dans le cadre d'une procédure collective (Cass. soc., 12 septembre 2007, n° 06-42.304, FS-D N° Lexbase : A2198DY3) (11).

B - Droit communautaire

Le droit communautaire a consacré cette volonté de lutter contre les fraudes de salariés-employeurs mettant en oeuvre des manoeuvres destinées à exploiter les possibilités d'une faillite. L'article 10 de la Directive 80/987 dispose, à cet effet, que les Etats membres peuvent prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus ou de réduire l'obligation de paiement d'une créance salariale (art. 3) ou l'obligation de garantie (art. 7), s'il apparaît que l'exécution de l'obligation ne se justifie pas en raison de l'existence de liens particuliers entre le travailleur salarié et l'employeur et d'intérêts communs concrétisés par une collusion entre ceux-ci.

Se référant à l'ordonnance de la CJCE du 13 décembre 2005 (préc.), relative à une indemnité fixée lors d'une procédure de conciliation judiciaire, la juridiction de renvoi avait précisé la différence entre la conciliation extrajudiciaire et la conciliation judiciaire, en ce sens que cette dernière est réalisée devant un tribunal, alors que la conciliation extrajudiciaire a lieu devant un organe chargé spécifiquement de cette fonction, qui n'est doté d'aucune possibilité de contrôle du contenu de l'accord ni d'aucune compétence pour approuver, ou désapprouver, ledit accord. Cette différenciation légale entre ces deux modalités de conciliation viserait à mettre un frein à de possibles conduites frauduleuses. Toutefois, selon la même juridiction, le "Fogasa" pourrait tout à fait refuser le paiement de l'indemnité de licenciement, fixée selon la procédure de conciliation extrajudiciaire, en se fondant sur la fraude constatée dans le cadre de la procédure à suivre pour obtenir des prestations de cet organisme en cas d'insolvabilité de l'employeur.

La Directive 80/987 (art. 10-a) confère aux Etats membres la faculté d'adopter les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus (CJCE, aff. C-442/00, préc., point 36). A cette fin, le droit espagnol prévoit que les indemnités de licenciement accordées à la suite d'une procédure de conciliation extrajudiciaire sont exclues du bénéfice de la prise en charge par le Fogasa.

La CJCE, en l'espèce, admet qu'une telle exclusion ne saurait être considérée comme nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi par l'article 10-a de la Directive 80/987, lorsque l'institution de garantie dispose d'éléments suffisants pour être en mesure d'éviter des abus. Tel est, notamment, le cas lorsque la conciliation est surveillée par un organe juridictionnel (CJCE, aff. C-442/00, préc., points 36 et 37 ; CJCE, aff. C-520/03, préc., point 37).

Le Gouvernement espagnol estimait que la conciliation extrajudiciaire n'est pas comparable à la conciliation judiciaire en raison du fait qu'elle ne comporte pas suffisamment de garanties permettant d'éviter des abus. Au contraire, la Commission considère que la différence de traitement mise en évidence par la décision de renvoi est dénuée de toute justification objective. Le "Fogasa" serait doté de moyens adéquats et suffisants pour détecter et empêcher les fraudes dans des cas concrets.

En premier lieu, un accord portant sur des indemnités de licenciement conclu lors d'une procédure de conciliation extrajudiciaire intervient en l'absence de tout organe judiciaire. En particulier, l'élaboration d'un tel accord n'est pas surveillée par un juge. Ainsi qu'il ressort, notamment, de l'article 10 du décret royal 2756/1979, le conciliateur n'est pas investi de pouvoirs lui permettant d'influer sur la procédure de conciliation. Dans ce contexte, la CJCE (point 36) souligne que le droit espagnol, alors en vigueur, ne prévoyait pas l'intervention du "Fogasa" lors de la procédure de conciliation extrajudiciaire. A la différence de la procédure de conciliation judiciaire, l'institution de garantie n'est pas autorisée à participer à une procédure de conciliation extrajudiciaire. En conséquence, le "Fogasa" n'est pas en mesure, en pratique, de prendre connaissance de circonstances qui seraient constitutives d'abus ou de fraude. De même, la participation du "Fogasa" à la procédure de déclaration d'insolvabilité de l'employeur concerné ne permet pas non plus à cet organisme de s'opposer à une créance afférente à des indemnités de licenciement qu'il soupçonne d'avoir été abusivement établie.

En deuxième lieu, en droit espagnol, l'acte de conciliation extrajudiciaire aboutissant à un accord sur les indemnités de licenciement se déroule devant les organes du Centre de médiation, d'arbitrage et de conciliation. L'accord, ainsi, conclu n'est pas soumis à l'approbation d'un organe judiciaire, le conciliateur n'étant pas habilité à contrôler le contenu de l'accord comme peut le faire l'organe juridictionnel.

Enfin, en troisième lieu, de la possibilité de l'institution de garantie de refuser, par décision motivée, le paiement de l'indemnité de licenciement mise à sa charge (CJCE, aff. C-442/00, point 36), il ressort de l'article 28, paragraphe 3, du décret royal 505/1985 qu'une telle institution est seulement habilitée à rejeter effectivement la demande de paiement si elle est en mesure, par exemple dans une éventuelle procédure judiciaire ultérieure, d'apporter la preuve de circonstances permettant de conclure à l'existence d'un cas d'abus au sens de cette disposition. Or, en pratique, il est difficile de concevoir la manière dont l'institution de garantie concernée pourra établir et prouver de telles circonstances, dès lors que cette dernière n'est pas admise à participer à la procédure de conciliation extrajudiciaire.

Ainsi, selon la CJCE (arrêt rapporté, point 40), les indemnités de licenciement reconnues par un acte de conciliation extrajudiciaire n'offrent pas de garanties suffisantes en vue d'éviter des abus, contrairement à celles qui sont fixées lors d'une procédure de conciliation effectuée en présence d'un organe juridictionnel et à laquelle l'institution de garantie a le droit d'intervenir.

L'article 3, alinéa 1er, de la Directive 80/987 doit être interprété en ce sens qu'un Etat membre a la faculté d'exclure des indemnités accordées pour licenciement irrégulier de la garantie de paiement assurée par l'institution de garantie en vertu de cette disposition, lorsque celles-ci ont été reconnues par un acte de conciliation extrajudiciaire et qu'une telle exclusion, objectivement justifiée, constitue une mesure nécessaire en vue d'éviter des abus, au sens de l'article 10- a) de la même Directive.


(1) Directive 80/987, art. 3, al. 1er : Les Etats membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent, sous réserve de l'article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail, y compris lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.
(2) J. Cavallini, Le mécanisme de garantie des créances salariales doit respecter le principe général d'égalité, JCP éd. S, 2006, nº 1816 pp. 31-32 ; H. Tissandier, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS 2007 pp. 21-22.
(3) Recueil 2002, p. I-11915.
(4) Point 33. Selon la législation espagnole, tous les travailleurs licenciés irrégulièrement se trouvent dans la même situation, en ce sens qu'ils ont droit à des "salarios de tramitación". Toutefois, en cas d'insolvabilité de l'employeur, l'article 33, paragraphe 1, du statut des travailleurs, réserve aux travailleurs licenciés un traitement différent, dans la mesure où le droit au paiement, par le "Fogasa", des créances portant sur les "salarios de tramitación" n'est reconnu que pour celles qui ont été fixées par décision judiciaire.
(5) Recueil 2004, p.I-12065. Voir, L. Idot, Protection des salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, Europe 2005, février, comm. nº 46, p.18.
(6) La faculté reconnue au droit national de préciser les prestations à la charge de l'institution de garantie est soumise au respect des droits fondamentaux, au nombre desquels figure, notamment, le principe général d'égalité et de non-discrimination. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (CJCE, aff. C-442/00, préc., points 29 à 32). Les travailleurs licenciés irrégulièrement se trouvent dans une situation comparable, pour autant qu'ils ont droit à une indemnité en cas de non-réintégration.
(7) Lire les obs. de Ch. Radé, Seule l'hypothèse d'une fraude autorise l'AGS à contester le montant des créances garanties en exécution d'une transaction, Lexbase Hebdo n° 200 du 2 février 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3838AKD).
(8) Ch. Radé, Seule l'hypothèse d'une fraude autorise l'AGS à contester le montant des créances garanties en exécution d'une transaction, préc..
(9) Cass. soc., 3 avril 2001, n° 99-42.183, M. Gers c/ M. Pavec, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Senicorp (N° Lexbase : A5705AGE), Dr. soc., 2001, p. 672, obs. Ch. Radé.
(10) Cass. soc., 4 décembre 2002, n° 00-43.750, AGS de Paris c/ M. Victor Capitao, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1592A4Q) ; lire les obs. de Ch. Radé, Seule la fraude autorise l'AGS à demander la requalification d'un contrat à durée déterminée - chronique d'un revirement annoncé, Lexbase Hebdo n° 52 du 19 décembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N5245AAI).
(11) Lire les obs. de S. Tournaux, La déclaration et la preuve des créances salariales dans le cadre d'une procédure collective, Lexbase Hebdo n° 274 du 27 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N4955BCI).
Décision

CJCE, 21 février 2008, aff. C-498/06, Maira María Robledillo Núñez c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) (N° Lexbase : A0008D7G)

Textes visés : Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (art. 3, al. 1er) (N° Lexbase : L9435AUY), modifiée par la Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E)

Mots-clefs : Politique sociale ; protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur ; indemnité pour licenciement irrégulier convenue lors d'une procédure de conciliation extrajudiciaire ; paiement assuré par l'institution de garantie ; paiement subordonné à l'adoption d'une décision judiciaire ; principes d'égalité et de non-discrimination.

Liens bases :

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Passage d'un temps partiel à un temps partiel modulé : la modification doit être acceptée

Réf. : Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-43.349, M. Hervé Vidal, FS-P+B (N° Lexbase : A0569D79)

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N3498BEB

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Beaucoup pratiqué et souvent imposé, le travail à temps partiel peut être mis en oeuvre dans les entreprises industrielles, commerciales et agricoles, les professions libérales, les offices publics et ministériels, les sociétés civiles, les syndicats professionnels et les associations de quelque nature que ce soit. Ce type de contrat est fondé sur un dispositif conventionnel collectif (convention ou accord collectif de branche ou d'entreprise, décision unilatérale de l'employeur après avis des représentants du personnel) ou individuel, qui doit être transmis à l'inspection du travail. Il doit faire l'objet d'un écrit, et ne peut être modifié sans l'accord du salarié. Ainsi, le passage d'un temps partiel à un temps partiel modulé doit avoir été proposé et accepté par ce dernier. C'est ce principe qu'est venue réaffirmer la Haute juridiction dans un arrêt du 20 février dernier. Elle rappelle, à cette occasion, que la mise en oeuvre du contrat de travail à temps partiel modulé, au sens de l'article L. 212-4-6 du Code du travail (N° Lexbase : L7890HBT), qui se traduit par une modification de la répartition du travail par semaine ou sur le mois, constitue, pour le salarié déjà titulaire d'un contrat de travail à temps partiel, une modification du contrat, qui nécessite son accord exprès. Cette solution, bien que parfaitement justifiée et classique du point de vue des règles de droit applicables au contrat de travail à temps partiel, nécessite quelques précisions au regard des règles entourant la réduction du temps de travail.
Résumé

La mise en oeuvre du travail à temps partiel modulé, au sens de l'article L. 212-4-6 du Code du travail, qui se traduit par une modification de la répartition du travail par semaine ou sur le mois, constitue pour le salarié, déjà titulaire d'un contrat de travail à temps partiel, une modification de son contrat de travail, qui nécessite son accord exprès.

Commentaire

I. Conditions entourant la conclusion d'un contrat de travail à temps partiel

  • Spécialité du contrat de travail à temps partiel

On qualifie de contrat de travail à temps partiel le contrat conclu pour une durée inférieure à la durée légale hebdomadaire. S'agissant d'un contrat dérogatoire au contrat de travail à durée indéterminée à taux plein, il doit faire l'objet d'un écrit et contenir des mentions obligatoires.

L'article L. 212-4-3 du Code du travail impose, ainsi, que le contrat de travail à temps partiel fasse l'objet d'un écrit. A défaut d'écrit, outre les sanctions pénales encourues par l'employeur, ce dernier s'expose à voir le contrat requalifié en un contrat de travail à temps complet. En l'absence d'écrit, en effet, le salarié est présumé travailler à temps plein, la présomption instituée étant une présomption simple (Cass. soc., 29 janvier 1997, n° 94-41.171, Mme Barba c/ M. Renard N° Lexbase : A6457AHM).

Parmi les éléments obligatoires du contrat de travail à temps partiel, figurent la qualification du salarié, les éléments de sa rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les cas dans lesquels une modification de cette répartition peut intervenir et la nature de la modification.

Il n'existe pas un contrat à temps partiel, mais des contrats à temps partiel. Dans certains cas, le contrat de travail à temps partiel revêt une forme spéciale, soit pour tenir compte des particularités tenant à la personne du salarié (mi-temps thérapeutique, retraite progressive), soit pour tenir compte des particularités de l'emploi occupé (temps partiel annualisé, temps partiel modulé).

C'était de temps partiel modulé dont il était question dans la décision commentée.

  • Particularité du contrat de travail à temps partiel modulé

Le contrat de travail à temps partiel modulé permet, dans des limites fixées par le législateur, de faire varier la durée du travail sur tout ou partie de l'année (C. trav., art. L. 212-4-6). Sa mise en place est subordonnée à la conclusion d'un accord collectif étendu ou d'un accord d'entreprise en prévoyant le régime (C. trav., art. L. 212-4-6). Ce contrat est soumis aux mêmes conditions de fonds et de forme que le contrat de travail à temps partiel classique (écrit, mentions obligatoires...), ces conditions devant être combinées avec celles qui lui sont propres.

En premier lieu, la durée annuelle du travail du salarié ne doit pas excéder la moyenne de la durée prévue au contrat. Elle ne peut pas, en second lieu, varier dans une proportion supérieure à un tiers de la durée initialement prévue au contrat et ne doit ni égaler, ni dépasser la durée légale hebdomadaire.

Les heures que le salarié peut être amené hebdomadairement ou mensuellement à effectuer, au-delà de la durée prévue au contrat et dans la limite du tiers de la durée prévue, sont des heures complémentaires, qu'il ne peut refuser d'effectuer, à peine de commettre une faute (pour un contrat de travail à temps partiel classique, les heures complémentaires sont limitées par semaine à 10 % de durée prévue au contrat : C. trav., art. L. 212-4-3 N° Lexbase : L7888HBR).

Le passage d'un contrat de travail à temps partiel classique à un contrat de travail à temps partiel modulé requiert-il des conditions particulières ? Le salarié doit-il accepter la modulation ou l'employeur peut-il la lui imposer ?

C'est à cette question que devait répondre la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié avait été engagé par contrat de travail à temps partiel pour une durée initiale de 27 heures hebdomadaires. A la suite de la réduction du temps de travail dans la branche d'activité, la durée du travail du salarié avait été réduite à 24 heures 25 et modulée. Licencié pour avoir refusé d'accomplir des heures complémentaires, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaires, au titre des heures de travail de nuit, d'heures complémentaires et d'heures supplémentaires pour la période de 1999 à 2004.

La cour d'appel avait fait droit aux diverses demandes du salarié en se fondant sur l'absence d'écrit. Elle avait considéré qu'en l'absence d'écrit, la modulation ne pouvait être imposée au salarié et que le refus du salarié d'effectuer des heures complémentaires ne pouvait justifier son licenciement.

Cette solution est suivie par la Cour de cassation. En effet, la Haute juridiction vient, ici, rappeler que la mise en oeuvre du travail à temps partiel modulé, au sens de l'article L. 212-4-6 du Code du travail, qui se traduit par une modification de la répartition du travail par semaine ou sur le mois, constitue pour le salarié déjà titulaire d'un contrat de travail à temps partiel, une modification de son contrat de travail qui nécessite son accord exprès.

Cette solution, désormais classique, semble, en raison de la particularité des faits de l'espèce, "contredire" les dispositions particulières à la réduction du temps de travail.

II. Conditions entourant la modification du contrat de travail à temps partiel

  • Conformité de la solution aux principes entourant la modification du contrat de travail

Depuis le 10 juillet 1996, la Haute juridiction substitue à la distinction modification d'un élément substantiel/modification d'un élément non substantiel du contrat de travail, la distinction entre la modification du contrat de travail qui doit être acceptée et le changement des conditions de travail qui peut être librement imposé par l'employeur. Le principe veut donc que l'employeur, qui souhaite modifier le contrat de travail de son salarié, recueille, au préalable, son accord (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-40.966, M. Le Berre c/ Société Socorem N° Lexbase : A2037AAP, Dr. soc., 1998, n° 120, note M.-C. Amauger-Lates). Le régime de la modification du contrat de travail s'applique aux éléments contractuels par nature : la rémunération, le lieu de travail, la qualification et la durée du travail, ainsi qu'aux éléments expressément contractualisés par les parties.

Dans le cas du temps partiel, le contrat étant écrit, la durée du travail, comme les horaires, sont au nombre des éléments devant obligatoirement figurer dans le contrat mettant en place le temps partiel. Ces deux éléments font donc partie du socle contractuel intouchable sans l'accord du salarié, en l'absence de clause particulière prévoyant la possibilité pour l'employeur de faire varier les horaires de travail du salarié (Cass. soc., 12 octobre 1999, n° 97-42.432, Mme Thomas c/ Société Pimkie N° Lexbase : A4768AGP). Cette solution est classiquement rappelée par les juges pour le contrat de travail à temps partiel.

Dans l'espèce commentée, le passage de 27 heures à 24 heures 25 modulées aurait dû faire l'objet d'un avenant au contrat de travail signé par l'employeur et le salarié. A défaut d'un tel avenant, la volonté du salarié d'accepter la modification de son contrat de travail ne pouvait être présumée et son refus d'effectuer des heures complémentaires ne pouvait lui être reproché et, partant, être sanctionné.

Cette solution justifiée eu égard aux règles entourant le contrat de travail à temps partiel et la modification du contrat pourrait être "ébranlée" au regard des règles ayant accompagné la réduction de la durée légale du travail.

  • Interférence des règles entourant la réduction de la durée légale du travail

L'article L. 212-3 du Code du travail (N° Lexbase : L7966AIU) dispose que la seule diminution du nombre d'heures stipulées au contrat, en application d'un accord de réduction du temps de travail, ne constitue pas une modification du contrat de travail. L'employeur peut donc, en se fondant sur l'accord de réduction du temps de travail, imposer une modification de la durée du travail de son salarié.

Dans l'espèce commentée, la nouvelle durée du travail était, apparemment, la conséquence d'un accord de réduction du temps de travail. Toutefois, ce n'est pas de la durée légale dont il était question, puisque le salarié bénéficiait d'un contrat de travail à temps partiel conclu pour une durée mensuelle inférieure à la nouvelle durée imposée par le législateur. La règle offrant à l'employeur la possibilité d'imposer la modification ne trouvait donc pas à jouer ici. Ce n'était, en outre, pas uniquement la durée qui était touchée par la modification, mais cette dernière concernait, également, et surtout, la répartition du travail sur la semaine ou le mois.

C'est cette modification de la répartition imposée au salarié sans son accord que sanctionne la Haute juridiction. Sur ce point, il est normal que la modification doive être proposée au salarié et acceptée par lui.

Seule la modulation acceptée aurait pu être modulée.

Décision

Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-43.349, M. Hervé Vidal, FS-P+B (N° Lexbase : A0569D79)

Rejet de CA Riom, 11 avril 2006

Mots clefs : contrat de travail à temps partiel ; passage d'un temps partiel à un temps partiel modulé ; modification des horaires de travail ; modification du contrat ; légitimité du refus par le salarié d'accomplir des heures complémentaires en application du temps partiel modulé ; caractère injustifié du licenciement fondé sur le refus du salarié d'accepter d'accomplir des heures complémentaires.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Retour sur quelques éléments de la procédure de licenciement

Réf. : Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-40.949, Société Aquipose, FP-P+B (N° Lexbase : A0558D7S)

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N3481BEN

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt rendu par la Chambre sociale le 20 février 2008, la Cour de cassation effectue quelques rappels relatifs à la procédure de licenciement devant être mise en oeuvre lorsque un salarié est déclaré inapte à la suite d'un accident du travail sans pouvoir être reclassé. L'employeur doit, tout d'abord, s'astreindre aux règles de droit commun de la procédure de licenciement et, particulièrement, respecter un délai de cinq jours ouvrables entre le moment de la convocation et celui de l'entretien préalable au licenciement. La Cour de cassation réitère la règle de principe en la matière, ceci en parfaite conformité avec les règles de droit commun de computation des délais (I). L'employeur doit, ensuite, respecter la procédure spéciale des articles L. 122-32-1 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L1371G9N). Parmi ces règles, figure l'obligation de consulter la délégation du personnel au sujet de l'éventuel reclassement du salarié, obligation qui ne doit pas être influencée par la reconnaissance, au cours de la procédure judiciaire, d'une unité économique et sociale (II).
Résumé

Selon l'article 122-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74), l'entretien préalable au licenciement ne peut intervenir moins de cinq jours ouvrables après la présentation au salarié de la lettre de convocation. Il en résulte que le salarié doit disposer d'un délai de cinq jours pleins pour préparer sa défense, si bien que le jour de remise de la lettre ne compte pas dans le délai, ni même le dimanche, qui n'est pas un jour ouvrable.

La décision judiciaire reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale a un caractère déclaratif à la date de la requête introductive d'instance, de sorte qu'elle ne peut produire d'effet à l'égard d'un licenciement produit antérieurement.

Commentaire

I. La computation du délai entre convocation et entretien préalable

  • Délai de cinq jours ouvrables

Selon l'article L. 122-14 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en l'absence d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié a la faculté de se faire assister par un conseiller de son choix et l'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation au salarié de la lettre recommandée de convocation ou sa remise en main propre.

L'objectif d'une telle mesure, souvent rappelé par la Cour de cassation, est de permettre au salarié de préparer sa défense en vue de l'entretien (1). C'est, d'ailleurs, pour cette raison qu'il ne lui est pas permis de renoncer à ce délai (2).

L'article 2-I de l'ordonnance du 24 juin 2004 ayant harmonisé la durée de ce délai pour les entreprises dotées ou non d'institutions représentatives du personnel, cette règle s'applique, désormais, de manière générale (3).

  • Computation du délai

Les règles de computation des délais issues du Code de procédure civile sont, par principe, applicables en droit du travail. Il en va spécialement ainsi du délai de cinq jours ouvrables devant s'écouler entre la convocation et l'entretien préalable au licenciement, délai soumis aux dispositions des articles 641 (N° Lexbase : L2906ADY) et 642 (N° Lexbase : L2907ADZ) du Code de procédure civile (4).

Ainsi, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide, de manière classique, que "le jour de la première présentation de la lettre de convocation qui fait courir le délai ne compte pas", mais, également, que "si ce délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié, il est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant" (5).

La Cour réitère clairement cette méthode de computation.

  • En l'espèce : cinq jours ouvrables pleins

La Cour de cassation estime, dans cette affaire, que "le salarié doit disposer d'un délai de cinq jours pleins pour préparer sa défense" et que "le jour de remise de la lettre ne compte pas dans le délai, non plus que le dimanche, qui n'est pas un jour ouvrable".

La règle initiale est donc, simplement, confirmée. Le jour de la convocation n'est plus comptabilisé, dans aucun cas de figure, de manière parfaitement conforme à l'article 621 du Code de procédure civile. S'agissant de l'exclusion des dimanches du décompte, c'est encore une confirmation à l'identique de la règle précédemment posée par le juge.

Le souci de protection de la réflexion du salarié est patent. Le juge souhaite prémunir le salarié contre tout calcul d'un employeur peu scrupuleux qui aurait pu, sans l'application de cette règle, réduire, en pratique, le délai à trois jours, en y incluant un dimanche et en remettant la convocation en main propre à la fin d'une journée de travail.

Mais, cela traduit, également, un rapprochement latent entre procédure de licenciement et procédure judiciaire. Car, à l'application des règles judiciaires de computation des délais, s'ajoute la volonté de protéger la défense du salarié, comme si le juge souhaitait, dès le départ de la procédure de licenciement, assurer au salarié des droits proches de ceux que l'on dénomme les "droits de la défense" et qui sont plus souvent des attributs du procès que du licenciement. Cela ne doit, à vrai dire, guère étonner, tant le contentieux prud'homal est principalement axé autour de la rupture du contrat de travail.

A côté de ces précisions, la Chambre sociale saisit l'occasion de cet arrêt pour réitérer une règle, elle aussi classique, s'agissant de la prise en compte de la reconnaissance d'une unité économique et sociale et de son influence sur la procédure de licenciement.

II. Les effets de la reconnaissance d'une UES sur la procédure de licenciement

  • Rôle des institutions représentatives dans la procédure de licenciement

Les institutions représentatives du personnel interviennent dans le cours de nombreuses procédures de licenciement. Ainsi en va-t-il, par exemple, de tous les licenciements pour motif économique, pour lesquels le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel doivent être consultés (6). C'est, également, le cas lors du licenciement d'un salarié protégé (7).

Les délégués du personnel doivent, en outre, être consultés avant le licenciement d'un salarié déclaré inapte à la suite d'un accident du travail, afin de se prononcer sur les éventuelles possibilités de son reclassement dans l'entreprise. Cette règle, posée par l'article L. 122-32-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5523ACK) était spécialement en jeu dans l'affaire commentée, la cour d'appel ayant attribué au salarié l'indemnité spéciale prévue, en cas de manquement à cette obligation de consultation, à l'article L. 122-32-7 du même code (N° Lexbase : L5525ACM).

  • L'influence de la reconnaissance d'une unité économique et sociale

La cour d'appel avait reconnu, par sa décision, l'existence d'une unité économique et sociale entre l'employeur du salarié licencié et une autre société. La reconnaissance de cette entité emportait, notamment, le dépassement du seuil nécessaire à la mise en place d'élection visant à l'institution d'une délégation du personnel.

Cette reconnaissance judiciaire, intervenue après le licenciement, pouvait-elle permettre d'invalider la procédure pour non-respect de l'obligation de consultation des délégués du personnel ?

Si la cour d'appel de Bordeaux s'était bien engagée dans cette voie, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision en estimant que "la décision judiciaire reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale a un caractère déclaratif à la date de la requête introductive d'instance", si bien que "sa décision de reconnaître une unité économique et sociale ne pouvait produire effet à l'époque du licenciement".

  • Caractère déclaratif de la reconnaissance de l'unité économique et sociale

La Cour de cassation estime, depuis longtemps, que la reconnaissance judiciaire d'une unité économique et sociale présente un caractère déclaratif permettant, par conséquent, de conférer à cette décision un caractère rétroactif (8). Mais la rétroactivité de cette décision devant être limitée à la requête introductive d'instance, elle ne peut emporter d'effet à l'égard d'un licenciement prononcé antérieurement à l'action. Cela paraît entièrement justifié.

En effet, si le déclenchement d'une action devant le juge judiciaire visant, notamment, à la reconnaissance d'une unité économique et sociale, peut éveiller, chez l'employeur, un soupçon quant à la future éventuelle reconnaissance d'une telle entité, il n'y a aucune raison de penser que l'auteur du licenciement pouvait prévoir une telle reconnaissance au moment de sa décision.

En outre, une solution contraire aurait impliqué, pour tout employeur qui envisage de prononcer le licenciement d'un salarié, dans le cadre d'une procédure exigeant la consultation d'institutions représentatives du personnel, de s'interroger sur l'éventuelle existence d'une unité économique et sociale et de mettre en place des élections de manière préventive... Même s'il est absolument indispensable que les salariés victimes d'accident du travail soient hautement protégés dans le cadre d'un licenciement, ne serait-ce que pour éviter toute mesure discriminatoire, cela ne justifie pas, pour autant, de telles mesures, pour le moins disproportionnées.

Il reste qu'une dernière question figurait en filigrane dans cet arrêt, celle du cumul des indemnités pour manquement à la procédure de droit commun et pour violation de la procédure spéciale relative aux accidentés du travail.

  • Cumul des indemnités : une occasion manquée ?

En estimant que l'indemnisation spéciale de l'article L. 122-32-7 du Code du travail ne pouvait être allouée au salarié, puisque l'employeur n'était pas tenu de mettre en place une délégation du personnel, la Cour de cassation se dispense de répondre à la question inopérante posée par les moyens relative au cumul des différentes indemnités.

Car, si l'on sait que la Cour refuse de cumuler l'indemnité pour licenciement irrégulier prévu à l'article L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) et celle de l'article L. 122-32-7, il y a, pourtant, tout lieu de s'interroger sur la rationalité d'une telle solution (9).

On trouve, certes, une explication dans le fait que les deux indemnités sanctionnent des irrégularités de forme, si bien qu'il ne devrait y avoir lieu à procurer deux indemnités différentes pour un préjudice identique. Pourtant, cette analyse se trouve fortement contrariée par une décision du Conseil d'Etat, estimant que le manquement à l'obligation de consultation des délégués du personnel dans le cadre du licenciement d'un salarié accidenté du travail constitue une "formalité substantielle" (10). Cette solution pourrait laisser penser que le licenciement comporterait, alors, un vice tel qu'il ne serait pas seulement irrégulier sur la forme, mais serait, encore, dépourvu de cause réelle et sérieuse, à l'image du licenciement du salarié prononcé à défaut de lettre de licenciement dûment motivée.

Dans ces conditions, le cumul entre l'indemnité pour irrégularité de forme et l'indemnité spéciale, faisant figure d'indemnisation pour un manquement au fond, ne serait plus, alors, injustifié. La Cour n'a pas eu à répondre ici à cette question... mais, comme l'affaire et les moyens le laissaient penser, il fait peu de doute qu'elle se représentera.


(1) V., par exemple, Cass. soc., 13 septembre 2006, n° 04-45.698, M. E. Nicolas c/ Société V. Fraas Paris, F-P (N° Lexbase : A0245DRI) et les obs. de S. Martin-Cuenot, La télécopie, nouvel exclu de la convocation à l'entretien préalable, Lexbase Hebdo n° 229 du 28 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3205ALB) ; JCP éd. E, 2006, 1058, obs. D. Corrignan-Carsin.
(2) V., Cass. soc., 28 juin 2005, n° 02-47.128, Mme Nadia Dumazeau c/ Mme Laurence Jeanson-Leclercq, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8385DIE) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Le caractère d'ordre public social du délai de convocation à l'entretien préalable, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6495AIE) ; D., 2005, 2662, note Gaba ; RJS, 2005. 691, n° 967.
(3) Ordonnance n° 2004-602 du 24 juin 2004, relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (N° Lexbase : L5050DZ3).
(4) Ces règles sont, néanmoins, parfois aménagées comme, par exemple, en matière de computation de la durée de la période d'essai du contrat de travail, durée qui se décompte en jours calendaires et pour laquelle les règles du Code de procédure civile ne sont donc pas applicables. V. Cass. soc., 15 mars 2006, n° 04-44.544, Mme Corinne Gachet-Ponnaz c/ Société Hôtel Europe Saint-Séverin, F-P+B (N° Lexbase : A6132DNG) ; JCP éd. E, 2006, 1681 ; RJS, 2006, n° 516.
(5) Cass. soc., 9 juin 1999, n° 97-41.349, Mlle Clément c/ Société Centre de protection du feu (N° Lexbase : A4742AGQ) ; RJS, 1999, 557, n° 905.
(6) Sur cette question, v. Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 06-46.313, Société Oce business service Est (OBS EST), FS-P+B (N° Lexbase : A7768D34) et nos obs., Procédure de licenciement économique et UES : le statu quo maintenu, Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8536BDI).
(7) V., par ex., pour le licenciement d'un délégué du personnel ou d'un membre du comité d'entreprise, règles figurant respectivement aux articles L. 425-1 (N° Lexbase : L0054HDD) et L. 436-1 (N° Lexbase : L0044HDY) du Code du travail.
(8) Cass. soc., 27 juin 1990, n° 89-60.033, Société Serpo et autres c/ Comité d'entreprise de Serpo et autres (N° Lexbase : A4712ACI) ; Dr. ouvrier, 1991, p. 17, note M. Cohen ; RJS, 1990, 580, n° 872 ; Cass. soc., 21 janvier 1997, n° 95-60.992, Syndicat CGT Michelin et autres c/ Manufacture française des pneumatiques Michelin et Cie et autres, publié (N° Lexbase : A2155ACS) ; Dr. soc., 1997, 347, note J. Savatier ; RJS, 1997, 201, n° 300 (1ère esp.) ; Dr. ouvrier, 1997. 170, note M. Cohen (2ème esp.).
(9) Sur le refus d'un tel cumul, v. Cass. soc., 15 octobre 1987, n° 85-40.427, M. Pluchard c/ Société anonyme Entreprise Gustin (N° Lexbase : A1446AHZ) ; Cass. soc., 29 mai 1991, n° 88-43.114, Société Grivetto c/ M. Fenniche (N° Lexbase : A4467AB3).
(10) V. CE 3° et 8° s-s-r., 22 mai 2002, n° 221600, Société civile d'Arbonne (N° Lexbase : A8199AYC) ; RJS, 2002, p. 764, n° 1000.

Décision

Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-40.949, Société Aquipose, FP-P+B (N° Lexbase : A0558D7S)

Cassation partielle sans renvoi, CA Bordeaux, 15 décembre 2005, n° 04/04383, M. Jean-Claude Boyrie c/ SARL Aquipose (N° Lexbase : A1502DSG)

Textes visés ou concernés : C. trav., art. L. 122-32-7 (N° Lexbase : L5525ACM), L. 122-14 (N° Lexbase : L8990G74) et L. 431-1 (N° Lexbase : L6389ACM)

Mots-clés : Licenciement ; convocation à l'entretien préalable ; délais ; computation ; salarié accidenté du travail ; consultation des délégués du personnel ; unité économique et sociale.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le refus abusif, par un salarié protégé déclaré inapte, du reclassement proposé par l'employeur

Réf. : Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-44.867 et n° 06-44.894 (jonction), Société Safari parc de Peaugres c/ M. Christian Plenet, FS-P+B sur le moyen unique de l'employeur (N° Lexbase : A0579D7L)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Un employeur ne peut licencier un salarié déclaré inapte à reprendre son emploi qu'à la stricte condition d'avoir respecté l'obligation de reclassement qui lui incombe en vertu de la loi. Partant, il appartient à l'employeur de justifier soit de l'impossibilité où il se trouve de proposer un emploi adapté, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé. Lorsque l'inaptitude est d'origine professionnelle, le salarié licencié peut prétendre à des indemnités spécifiques, en vertu de l'article L. 122-32-6 du Code du travail (N° Lexbase : L5524ACL). Toutefois, ce même texte prévoit que ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif. Pour la Cour de cassation, peut revêtir un caractère abusif le refus sans motif légitime, par un salarié, d'un poste approprié à ses capacités et comparable à l'emploi précédemment occupé. Reprenant cette position dans un arrêt rendu le 20 février dernier, la Chambre sociale précise, en outre, qu'un tel refus abusif peut être le fait d'un salarié protégé.
Résumé

La cour d'appel, après avoir énoncé que la lettre de licenciement fixe les limites du litige, a exactement décidé que le salarié, licencié en raison de son inaptitude, du refus des postes de reclassement proposés et de l'impossibilité de son reclassement, l'avait été pour les faits ayant motivé l'autorisation administrative de licenciement, peu important la qualification du refus des postes de reclassement invoquée postérieurement par l'employeur.

Le refus sans motif légitime par un salarié, fût-il protégé, d'un poste approprié à ses capacités et comparable à l'emploi précédemment occupé, peut revêtir un caractère abusif et entraîner la privation du bénéfice des indemnités spécifiques de rupture de l'article L. 122-32-6 du Code du travail.

Commentaire

I. L'inaptitude physique d'un salarié protégé

  • L'obligation de reclassement de l'employeur

Lorsque le médecin du travail constate l'inaptitude du salarié à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer une des tâches existant dans l'entreprise. Cette obligation de reclassement pèse sur l'employeur lorsque l'inaptitude est consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle (C. trav., art. L. 122-32-5 N° Lexbase : L5523ACK), mais, également, lorsqu'elle fait suite à un accident ou une maladie d'origine non-professionnelle (C. trav., art. L. 122-24-4 N° Lexbase : L1401G9R).

Dans l'espèce qui nous intéresse, était en cause un salarié employé en qualité de soigneur animalier. Ce salarié avait été victime, au mois de mars 2002, d'un accident du travail à la suite duquel il s'était trouvé en arrêt de travail. A l'issue de cette période, le médecin du travail l'avait déclaré, par avis du 18 novembre 2002, apte au "travail aux primates avec mise à disposition d'un siège réglable pour la préparation des aliments", puis, par avis du 19 décembre 2002, "inapte à la polyvalence du poste de soigneur animalier" avec proposition de reclassement au poste des primates. Par lettre du 22 décembre 2002, l'employeur avait confirmé au salarié son reclassement à ce poste de soigneur des primates, que l'intéressé avait refusé. La société employeur lui avait, alors, proposé un reclassement à un poste administratif, que le salarié avait, également, refusé.

  • Le licenciement du salarié inapte

Ainsi que l'affirme expressément l'article L. 122-32-5, alinéa 4, "l'employeur ne peut prononcer le licenciement que s'il justifie soit de l'impossibilité où il se trouve de proposer un emploi dans les conditions prévues ci-dessus, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ses conditions".

Cette disposition doit être strictement entendue. La cause déterminante et première du licenciement reste l'inaptitude du salarié. Toutefois, parce qu'il est tenu de l'obligation de reclassement précitée, l'employeur doit pouvoir justifier qu'il a respecté celle-ci, soit qu'il lui a été impossible de trouver un poste adapté aux nouvelles capacités du salarié, soit que ce dernier a refusé le poste proposé. En d'autres termes, le licenciement ne saurait être exclusivement fondé sur ce refus ou sur cette impossibilité.

  • Le licenciement du salarié protégé inapte

Lorsque le salarié inapte est, par ailleurs, un salarié protégé, on sait que l'employeur se doit de recueillir l'accord de l'inspecteur du travail pour pouvoir rompre le contrat de travail. Dans une telle hypothèse, le contrôle de l'autorité administrative s'étend aux offres de reclassement dans l'entreprise.

Muni de l'autorisation administrative, l'employeur peut, alors, prononcer le licenciement du salarié. Faisant preuve d'une certaine souplesse, la Cour de cassation considère que l'employeur peut se borner, dans la lettre de notification, à faire référence à l'autorisation administrative de licenciement (1). Cela étant, et de manière évidente, l'employeur peut opter pour la classique énonciation des motifs dans la lettre de notification. Il appartiendra, dans ce cas, aux juges de vérifier que les motifs avancés sont bien ceux pour lesquels l'autorisation a été demandée et accordée (2).

Pour en revenir à l'arrêt rapporté, le salarié faisait précisément grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que son licenciement n'était pas fondé sur des faits étrangers à ceux dont avait été saisi l'inspecteur du travail et de l'avoir débouté de sa demande tendant à voir prononcer, à ce titre, la nullité du licenciement, ainsi que de sa demande en paiement de dommages-intérêts. Or, ainsi que le relève la Chambre sociale, "la cour d'appel, après avoir énoncé que la lettre de licenciement fixe les limites du litige, a exactement décidé que le salarié, licencié en raison de son inaptitude, du refus des postes de reclassement proposés et de l'impossibilité de son reclassement, l'avait été pour les faits ayant motivé l'autorisation administrative de licenciement, peu important la qualification du refus des postes de reclassement invoquée postérieurement par l'employeur".

Cette solution doit être approuvée. En effet, l'employeur n'avait nullement licencié le salarié pour d'autres motifs que ceux ayant motivé l'autorisation administrative de licenciement. Bien au contraire, le licenciement avait bien été prononcé pour inaptitude, refus des postes de reclassement et impossibilité de son reclassement. Il n'était, par suite, nullement question d'un licenciement pour faute grave et on est en droit de se demander ce qui pouvait bien motiver la demande du salarié. En réalité, la confusion découlait du fait que l'employeur avait tiré certaines conséquences du refus des postes de reclassement par le salarié, ce qu'il était, au demeurant, parfaitement en droit de faire.

II. Le refus des postes de reclassement proposés

  • Le droit au refus du salarié

Quand l'obligation de reclassement a été normalement assumée par l'employeur et débouche sur la proposition faite au salarié d'un poste adéquat, c'est-à-dire conforme aux prescriptions du médecin du travail, le salarié est-il tenu de l'accepter ou peut-il la refuser ?

Avant de répondre à cette question, il importe de souligner que cette hypothèse du refus d'un poste de reclassement conforme aux recommandations du médecin du travail doit être nettement distinguée de celle dans laquelle le salarié conteste la compatibilité du poste auquel il est affecté avec ces mêmes recommandations. On sait, désormais, qu'il appartient, dans ce cas, à l'employeur de solliciter à nouveau l'avis du médecin du travail (3). Cette solution nouvelle risque de susciter quelques difficultés pratiques quant à sa mise en oeuvre. En effet, lorsqu'un salarié se borne à refuser le poste proposé sans autre explication, comment déterminer si ce refus procède d'une convenance personnelle ou révèle une contestation quant à la compatibilité du poste avec les recommandations du médecin du travail. Sans doute sera-t-il prudent pour l'employeur, sinon de solliciter, dans tous les cas, et à nouveau, l'avis du médecin du travail, du moins de demander quelques explications au salarié.

Pour en revenir maintenant à l'interrogation précitée, il convient de distinguer selon que le poste de reclassement proposé par l'employeur emporte modification du contrat de travail du salarié ou non. Dans le premier cas, et conformément au droit commun, ce dernier est certainement fondé à refuser le poste. Ce refus ne dispense pas l'employeur de faire de nouvelles propositions. Ce n'est que dans les situations où il n'existe aucun emploi dans l'entreprise et dans le groupe, qui puisse être tenu par le salarié inapte, ou dans les cas de refus répétés par le salarié des postes proposés, que l'employeur pourra procéder de façon légitime au licenciement du salarié (4).

Si le poste de reclassement proposé par l'employeur n'emporte pas modification du contrat de travail du salarié, il faut distinguer selon que l'inaptitude est d'origine professionnelle ou non. Si l'inaptitude est d'origine non-professionnelle, il y a tout lieu de penser que le refus du salarié peut être considéré comme fautif. Cela étant, il convient d'être particulièrement prudent quant aux conséquences que l'employeur peut tirer de ce refus. En effet, nonobstant la faute commise par le salarié, il semble que la cause première et déterminante du licenciement reste l'inaptitude du salarié. En d'autres termes, il serait pour le moins aventureux de licencier le salarié pour faute. Tout au plus, et en s'inspirant du régime de l'inaptitude d'origine professionnelle, pourrait-il être avancé que le refus abusif du salarié (5) lui fait perdre le droit à l'indemnité légale de licenciement et à l'indemnité compensatrice de préavis.

S'agissant du refus d'un poste n'entraînant pas de modification de son contrat par un salarié, victime d'une inaptitude d'origine professionnelle, il paraît, en revanche, exclusif de toute faute, la loi tirant des conséquences particulières du refus abusif du salarié.

  • Le refus abusif du salarié victime d'une inaptitude d'origine professionnelle

Ainsi qu'il l'a déjà été mentionné, il résulte de l'alinéa 4 de l'article L. 122-32-5 que "l'employeur ne peut prononcer le licenciement que s'il justifie soit de l'impossibilité où il se trouve de proposer un emploi dans les conditions prévues ci-dessus, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions". Le salarié licencié peut alors prétendre, en application de l'article L. 122-32-6 à une indemnité spéciale de licenciement (6) et à une indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis (7). Le salarié perd, cependant, le droit à ces indemnités spécifiques lorsque l'employeur établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif (C. trav., art. L. 122-32-6, al. 2). Interprétant strictement cette disposition, la Cour de cassation juge avec constance que le refus abusif du salarié ne lui fait pas perdre le droit à l'indemnité "normale" de licenciement ou à l'indemnité conventionnelle si elle est plus favorable et si la convention collective ne l'exclut pas (8).

La combinaison des articles L. 122-32-5 et L. 122-32-6 du Code du travail tend à démontrer que le refus d'un poste de reclassement par le salarié est un droit, alors même que le poste n'entraîne pas de modification de son contrat de travail. L'exercice de ce droit, dans cette hypothèse, peut, cependant, dégénérer en abus, le privant des indemnités spécifiques prévues à l'article L. 122-32-6, mais non de l'indemnité légale de licenciement. Selon la Cour de cassation, est abusif le refus du salarié, sans motif légitime, d'un poste approprié à ses capacités et comparable à l'emploi précédemment occupé (9).

Dans l'arrêt rapporté, les juges d'appel s'étaient contentés, pour allouer au salarié une "indemnité de préavis", de retenir que le refus de ce dernier, à la suite de l'expiration de la période de suspension consécutive à un accident du travail, d'une proposition d'un nouvel emploi, ne peut être qualifié d'abusif et ne le prive pas des indemnités de rupture. Cette motivation, pour le moins lapidaire, ne pouvait qu'entraîner les foudres de la Cour de cassation, qui décide "que le refus sans motif légitime par un salarié, fût-il protégé, d'un poste approprié à ses capacités et comparable à l'emploi précédemment occupé peut revêtir un caractère abusif et entraîner la privation du bénéfice des indemnités spécifiques de rupture de l'article L. 122-32-6 du Code du travail". Par suite, la cour d'appel aurait dû expliquer en quoi le refus de reclassement opposé par le salarié n'était pas abusif.

La solution doit, là encore, être entièrement approuvée, tout comme est justifiée l'affirmation selon laquelle "le droit du salarié à obtenir paiement de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 122-32-6 du Code du travail ou de l'indemnité conventionnelle de licenciement étant alternatif et subordonné au caractère abusif, ou non, de son refus d'un poste de reclassement, il convient de casser par voie de conséquence les dispositions de l'arrêt ayant condamné la société au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement et débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité spéciale de licenciement, lesquelles dispositions sont dans la dépendance nécessaire du chef atteint par la cassation".

En définitive l'arrêt rapporté s'inscrit parfaitement dans la jurisprudence classique de la Cour de cassation. Cela ne saurait, cependant, conduire à minimiser son intérêt. Il importe, en effet, de relever que la Chambre sociale prend soin de souligner que le refus sans motif légitime par un salarié d'un poste approprié à ses capacités et comparable à l'emploi précédemment occupé peut revêtir un caractère abusif, alors même que ce salarié est protégé. Cette précision est importante, dans la mesure où, on le sait, la Cour de cassation juge qu'"aucune modification de son contrat de travail, aucun changement de ses conditions de travail ne peuvent être imposées à un représentant du personnel sans son accord" (10). Sur le fondement de cette jurisprudence, on aurait pu penser que lorsque l'inaptitude d'origine professionnelle concerne un salarié protégé, celui-ci ne peut se rendre coupable d'un refus abusif d'un poste de reclassement puisque, par hypothèse, ne peut pas même lui être imposé un changement de ses conditions de travail. Toutefois, l'article L. 122-32-6 du Code du travail ne distingue pas selon que le refus abusif émane d'un salarié protégé ou d'un salarié ordinaire. Or, on sait que là où la loi ne distingue pas, il convient de ne pas distinguer (11).


(1) Jurisprudence constante : v., par ex., Cass. soc., 10 janvier 1995, n° 93-42.020, Société Aux Galeries de la Croisette c/ Mme Loison (N° Lexbase : A1339AB9) ; Cass. soc., 5 avril 2005, n° 02-47.518, Société Beicip-Franlab c/ M. Philippe Le Bars, publié (N° Lexbase : A7524DH7) ("Mais attendu que l'obtention d'une autorisation administrative de licenciement ne dispense pas l'employeur d'adresser une lettre de licenciement motivée au salarié, à défaut de laquelle le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que la cour d'appel, répondant aux conclusions, qui a constaté que la lettre de licenciement ne faisait pas mention de l'autorisation administrative ou de la cause économique du licenciement, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision").
(2) Cass. soc., 28 octobre 2003, n° 01-46.168, M. Jean-Louis Cormier c/ Société générale, FS-P+B (N° Lexbase : A0006DAH).
(3) Cass. soc., 6 février 2008, n° 06-44.413, M. Alaoua Bounouar, FS-PBRI (N° Lexbase : A7266D4U). Lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Avis du médecin du travail et reclassement : question de comptabilité, Lexbase Hebdo n° 293 du 20 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1937BEH).
(4) V., en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 368. Il n'est guère besoin de s'étendre sur le fait que ce licenciement ne pourra, en aucune façon, être fondé sur le seul refus du salarié, qui exerce, ici, un droit.
(5) Faute de texte spécial, c'est plutôt l'exigence d'une faute grave qui nous paraît, ici, nécessaire.
(6) Cette indemnité spéciale est égale au double de l'indemnité légale de licenciement, mais, à la différence de cette dernière, elle n'est pas soumise à une condition d'ancienneté. Elle n'est, en outre, versée que si le salarié ne bénéficie pas d'une indemnité conventionnelle plus élevée, ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, en évoquant le caractère "alternatif" de ces deux indemnités.
(7) Ainsi que le relèvent MM. Pélissier, Supiot et Jeammaud (op. et loc. cit.), il s'agit d'un "droit original, puisque l'indemnité compensatrice de préavis n'est normalement due que lorsque le salarié se tient à la disposition de l'employeur pour exécuter la prestation de travail prévue par le contrat".
(8) V., notamment, Cass. soc., 19 juillet 1994, n° 90-41.362, M. Maury c/ Société Tannerie Pechdo et autres (N° Lexbase : A0422ABA) ; Cass. soc., 23 janvier 2001, n° 98-40.651, Calejon c/ Société Minoterie Durand et fils (N° Lexbase : A9394AT4).
(9) Cass. soc., 7 mai 1996, n° 92-42.572, Société Cadiou c/ M. Duthil (N° Lexbase : A1980AAL). V., aussi, Cass. soc., 12 janvier 2005, n° 02-44.643, M. Abdelhamid Larabi c/ Société Total Fina Elf France, F-D (N° Lexbase : A0157DGW).
(10) V., notamment, Cass. soc., 12 octobre 2000, n° 98-45.174, M. Jean-Paul Olivier c/ Société Onet propreté (N° Lexbase : A8324AHR) ; Cass. soc., 21 novembre 2006, n° 04-47.068, Mme Marie-Luce Ratier, publié (N° Lexbase : A5221DS8).
(11) Cela étant, on peut avancer que l'appréciation de l'abus par le juge ne sera pas la même selon que le salarié est, ou n'est pas, protégé. En effet, au titre des motifs légitimes que celui-ci peut invoquer pour s'opposer à son reclassement, il pourra, dans certains cas, être fait état de considérations propres au mandat.

Décision

Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-44.867 et n° 06-44.894 (jonction), Société Safari parc de Peaugres c/ M. Christian Plenet, FS-P+B sur le moyen unique de l'employeur (N° Lexbase : A0579D7L)

Cassation partielle de CA Nîmes (ch. soc.), 6 juillet 2006

Mots-clefs : accident du travail et maladie professionnelle ; inaptitude ; obligation de reclassement ; refus abusif du poste de reclassement ; salarié protégé.

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Urbanisme

[Jurisprudence] L'exception d'illégalité et les autorisations d'urbanisme : des conditions nouvelles au service de la sécurité juridique

Réf. : CE Contentieux, 7 février 2008, n° 297227, Commune de Courbevoie (N° Lexbase : A7166D48)

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par François Brenet, Maître de Conférences en droit public à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public

Le 07 Octobre 2010

Sans cesse il faut remettre l'ouvrage sur le métier ! La quête du juste équilibre entre le respect du principe de légalité et celui de la sécurité juridique nécessite un combat de tous les jours (1). Elle exige, en effet, une relecture minutieuse de certaines solutions qui, bien qu'apparaissant équilibrées au départ, se sont révélées favoriser, au final, l'un des deux principes au détriment de l'autre. L'arrêt "Commune de Courbevoie", rendu par la Section du contentieux du Conseil d'Etat le 7 février 2008, illustre les réels efforts déployés par le juge administratif pour tendre vers cet équilibre entre légalité et sécurité juridique dans le domaine si sensible du droit de l'urbanisme (2). En l'espèce, le maire de Courbevoie avait délivré un permis de construire pour la réalisation d'un immeuble de vingt-trois logements sur un terrain situé dans le périmètre de la ZAC Jules Ferry. Plusieurs voisins de l'immeuble ont saisi le juge civil d'une demande de démolition des ouvrages au motif qu'ils leur causaient un préjudice de perte de vue et de luminosité. La cour d'appel de Versailles a, alors, prononcé le sursis à statuer (arrêts du 5 avril 2004), et a renvoyé les parties à saisir le juge administratif de la question de la légalité du permis de construire. Saisi de neuf recours en appréciation de légalité, le tribunal administratif de Paris a déclaré le permis de construire illégal en faisant droit à une exception d'illégalité dirigée contre le règlement du plan d'aménagement de la ZAC. La commune de Courbevoie a alors saisi le Conseil d'Etat d'un appel (3) dirigé contre ces neufs jugements du 7 juillet 2006. L'illégalité de ce règlement était indiscutable puisqu'il ne précisait pas, comme le lui imposait l'article R. 123-1 du Code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur (N° Lexbase : L2914DZX), les prescriptions relatives à l'implantation des constructions par rapport aux voies, aux limites séparatives et aux autres constructions. Comme l'on s'en doute, ce n'est pas tant la question de l'illégalité du règlement qui a justifié le renvoi de l'affaire devant la Section du contentieux, mais bien celle, beaucoup plus importante, des conséquences à tirer de cette illégalité sur le permis de construire délivré.

La technique de l'exception d'illégalité est, en effet, au coeur de la délicate conciliation entre le principe de légalité et la sécurité juridique (4), sécurité juridique dont on sait, désormais, qu'elle est un principe général du droit aux yeux du Conseil d'Etat (5). L'exception d'illégalité est un effet un mécanisme utile en termes de respect de la légalité, mais dangereux en termes de sécurité juridique. L'utilité de l'exception d'illégalité n'est plus à démontrer : un administré peut, en effet, se prévaloir, à l'appui d'un recours exercé en temps utile contre une décision de l'illégalité d'une décision définitive réglementaire (l'exception d'illégalité est, comme chacun sait, irrecevable à l'égard des actes non réglementaires (6)), et ainsi faire d'une pierre deux coups en obtenant l'annulation de la décision attaquée, et la déclaration de l'illégalité de celle sur le fondement de laquelle elle a été édictée. Vue sous cet angle, l'exception d'illégalité est efficace et redoutable, car elle permet de purger l'ordre juridique des actes réglementaires illégaux, et cela sans condition de délai, puisque l'exception d'illégalité des règlements est en principe perpétuelle (7). Mais pour utile qu'elle soit, l'exception d'illégalité n'est pas sans risque en termes de stabilité des situations juridiques, car elle peut conduire à la remise en cause très tardive d'actes réglementaires qui ont été prolongés par des actes individuels, actes individuels dont la légalité est évidemment dépendante de celle des actes réglementaires sur le fondement duquel ils ont été édictés. En un mot, la quête du rétablissement de la légalité peut conduire, dans des situations extrêmes, à un désordre normatif difficilement surmontable et supportable par les administrés.

L'exception d'illégalité étant une technique dont les avantages en termes de respect du principe de légalité peuvent rapidement se transformer en inconvénients en termes de sécurité juridique, le juge administratif et le législateur ont cherché des solutions permettant de préserver les exigences de la légalité, sans pour autant sacrifier la stabilité des situations juridiques. Cet effort s'est manifesté avec une acuité toute particulière en droit de l'urbanisme. En témoigne l'existence, dans le Code de l'urbanisme, d'un Livre VI intitulé "Dispositions relatives au contentieux de l'urbanisme" (8). La superposition des normes juridiques est en la matière plus qu'en toute autre, particulièrement importante, de même que les sources d'illégalité sont nombreuses tant la procédure d'élaboration des documents d'urbanisme est complexe. Dans les faits, la constatation de l'illégalité d'un acte réglementaire est susceptible de retentir sur bon nombre d'actes individuels, derrière lesquels se cachent des administrés qui découvrent, avec stupeur, que le bâtiment qu'ils ont construit depuis plusieurs années déjà l'a été sur la base d'un permis de construire édicté sur le fondement d'un acte réglementaire illégal. On devine sans aucun mal quels peuvent être leur désarroi et leur colère et se dire qu'elle est légitime, car ils sont finalement victimes d'une illégalité à l'origine de laquelle ils sont totalement étrangers.

Dès 1992, le Conseil d'Etat a formulé différentes propositions afin de rendre le droit de l'urbanisme plus "efficace", et figurait, parmi celles-ci, l'idée de supprimer, purement et simplement, l'exception tirée d'une irrégularité procédurale entachant l'élaboration des plans d'occupation des sols (9). A la suite de cette suggestion, différents projets de lois ont suivi, et le projet dit "Bosson" a débouché sur la loi du 9 février 1994 (loi n° 94-112, portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction N° Lexbase : L8040HHA), qui a limité à six mois seulement la recevabilité des exceptions tirées de l'illégalité externe (pour cause de vice de forme ou de procédure) des plans et documents d'urbanisme (10). Avec ce texte, le législateur apportait, ainsi, une dérogation importante à la règle jurisprudentielle posant le principe du caractère perpétuel de l'illégalité des règlements, et replaçait le curseur, en droit de l'urbanisme tout au moins, plus du côté de la sécurité juridique que de celui de la légalité.

Il reste que cette loi n'a pas réglé toutes les difficultés, loin s'en faut. Figure, parmi celles-ci, la question des conséquences à tirer sur un permis de construire du constat de l'illégalité d'un plan d'urbanisme. Après avoir considéré, à une époque, que l'annulation d'un plan d'occupation des sols (11), ou le constat de son illégalité (12), entraînait automatiquement l'annulation de l'autorisation de construire, le Conseil d'Etat a pris conscience que cette systématicité était excessive et trop attentatoire à la stabilité des situations juridiques. Pour y remédier, il a alors dégagé une nouvelle solution. Celle-ci résulte de l'arrêt "Gepro" du 12 décembre 1986 (13), aussitôt confirmé par l'arrêt "Comité de défense des espaces verts" du 28 janvier 1987 (14), et a été cantonnée, au départ, aux annulations par voie de conséquence. Il est décidé que "si le permis de construire ne peut être délivré que pour un projet de construction respectant la réglementation applicable, il ne constitue pas un acte d'application de cette réglementation". Et de ce constat, il est déduit que l'annulation d'un plan d'occupation des sols n'entraîne plus de plein droit celle d'un permis de construire délivré sous l'empire de ce plan. A ce principe évidemment protecteur de la sécurité juridique, il est apporté une exception de nature à préserver les exigences de la légalité, dans l'hypothèse où la décision individuelle est "indissociable" du document d'urbanisme annulé.

La jurisprudence "Gepro" a, ensuite, été transposée au cas qui nous intéresse ici, c'est-à-dire au cas où l'illégalité du document d'urbanisme est constatée par voie d'exception. L'arrêt "Assaupamar" du 8 juin 1990 (15) rappelle, en effet, que l'autorisation de créer un lotissement ne constitue pas un acte d'application de la réglementation d'urbanisme, affirmation qui permet, une fois de plus, de justifier la solution, selon laquelle, le constat de l'illégalité de la seconde n'entraîne pas automatiquement l'annulation de la première. Est réservé le cas où l'illégalité affecte la décision attaquée, parce qu'elle a eu pour objet de rendre "possible" l'octroi de l'autorisation.

Selon toutes vraisemblances, le tribunal administratif de Paris s'est contenté d'appliquer la jurisprudence "Gepro"-"Assaupamar" dans l'affaire commentée. Il a considéré que le permis de construire était indissociable du plan d'aménagement de la ZAC et que le constat de l'illégalité du second devait entraîner l'annulation du premier. En appel et suivant en cela les remarquables conclusions d'Anne Courrèges (16), le Conseil d'Etat a considéré que l'occasion lui était ici donnée de modifier sa jurisprudence dans l'optique d'une meilleure sécurisation des autorisations d'urbanisme. Tenant compte des évolutions jurisprudentielles intervenues récemment et notamment de l'arrêt "Association Préservons l'avenir à Ours Mons Taulhac" du 25 février 2005 (17) qui a singulièrement restreint les possibilités d'exception d'illégalité, le Conseil d'Etat a posé en principe que l'invocation de l'illégalité d'un document d'urbanisme ne pouvait à elle seule justifier l'annulation d'une autorisation d'urbanisme. Surtout, et c'est sur ce point que l'arrêt "Commune de Courbevoie" se démarque de la double jurisprudence "Gepro"-"Assaupamar", la Haute juridiction a accepté de déroger à cette règle dans la seule hypothèse où la personne contestant la décision ne se borne pas à exciper de l'illégalité du plan d'urbanisme mais fait, en outre, prévaloir que cette décision méconnaît les dispositions pertinentes remises en vigueur du fait de l'illégalité. Cela lui a permis en l'espèce de faire droit à l'appel de la commune de Courbevoie. Pour mieux cerner l'intérêt de l'arrêt du 7 février 2008, il nous paraît important d'identifier les motifs ayant conduit le Conseil d'Etat à modifier sa jurisprudence (I) avant d'essayer d'analyser la portée du revirement ainsi opéré (II).

I - Les raisons du revirement

Les arguments plaidant en faveur du revirement de jurisprudence opéré peuvent être synthétisés autour de deux axes. La double jurisprudence "Gepro"-"Assaupamar" s'est révélée insuffisante à l'usage en ce qu'elle a conduit à faire primer trop largement les impératifs de la légalité sur ceux de la stabilité des situations juridiques (A). A cela s'ajoute le fait qu'elle n'était plus tout à fait en phase avec le mouvement contemporain allant dans le sens d'un resserrement des conditions de mise en oeuvre de l'exception d'illégalité (B).

A - Les insuffisances de la double jurisprudence "Gepro"-"Assaupamar"

Justifiable sur le plan des principes, la double jurisprudence "Gepro"-"Assaupamar" s'est révélée contre-productive en pratique, car elle a trop facilement débouché sur la remise en cause des autorisations d'urbanisme reposant sur un document annulé (annulation par voie de conséquence) ou illégal (exception d'illégalité).

Le fondement des arrêts "Gepro" et "Assaupamar" est à rechercher dans la volonté de protéger les autorisations d'urbanisme d'une éventuelle remise en cause du document d'urbanisme sur le fondement duquel elles ont été prises. Sans doute peut-on être septique à l'égard de l'affirmation selon laquelle le permis de construire ne constitue pas un acte d'application de la réglementation d'urbanisme. Il reste que cette solution a le mérite d'exister car elle fait obstacle à la consécration d'une équation de type "annulation/constat de l'illégalité du document d'urbanisme = annulation de l'autorisation d'urbanisme" qui aurait été dévastatrice en termes de stabilité des situations juridiques.

Le problème vient de ce que le principe a progressivement perdu du terrain et a laissé trop de place à l'exception d'indissociabilité. La notion d'indissociabilité, perçue comme devant être subjective au départ (le lien d'indissociabilité devait être rétabli à chaque fois que l'on avait le sentiment que l'administration avait spécialement édicté le plan d'urbanisme litigieux pour rendre possible l'opération litigieuse (18)), s'est teintée d'une coloration objective qui a fait que les annulations par voie de conséquence ont concerné des autorisations d'urbanisme qui avaient simplement été rendues "possibles" par les plans d'urbanisme (19). A cette première difficulté s'est ajouté le fait que les cas d'annulation par voie de conséquence n'ont pas été réservés, comme on l'a pensé initialement, aux vices de légalité interne. Ils ont aussi concerné les cas d'illégalités externes comme l'illustre l'arrêt "Mme Ricard" du 28 juillet 1999 (20).

Ces évolutions ont, bien évidemment, contribué à la fragilisation des autorisations d'urbanisme. Il reste que, si elles étaient peut-être encore acceptables dans le cadre des annulations par voie de conséquence, la fragilisation des autorisations d'urbanisme étant le résultat de l'annulation d'un plan d'urbanisme qui a été attaqué dans le délai du recours contentieux, elles ont pris une toute autre ampleur dans le cadre de l'exception d'illégalité. En transposant la jurisprudence "Gepro" aux cas d'exceptions d'illégalité, l'arrêt "Assaupamar" a, considérablement, augmenté le risque de remise en cause très tardive des autorisations d'urbanisme. La légalité prenait ainsi définitivement le pas sur la sécurité juridique et ce, d'autant plus, que le critère du lien indissociable n'était plus utilisé comme un critère permettant de déterminer le caractère opérant de l'exception d'illégalité. Il était, au contraire, utilisé pour distinguer les conséquences à tirer du constat de l'illégalité du plan d'urbanisme (annulation de plein droit de l'acte en cas de lien indissociable et substitution de base légale possible en l'absence d'un tel lien).

L'assimilation ainsi faite entre l'annulation par voie de conséquence et l'exception d'illégalité avait sans doute pour elle un mérite, celui d'éviter de traiter différemment des hypothèses sinon identiques du moins très proches. Seulement, c'était ignorer que l'exception d'illégalité n'a jamais été considérée en droit du contentieux administratif comme étant l'équivalent de l'annulation par voie de conséquence, son caractère perpétuel à l'égard des actes réglementaires étant une source supplémentaire et redoutable de déstabilisation des situations juridiques. Et de fait, l'élargissement des possibilités de remise en cause des autorisations d'urbanisme devenait difficilement compatible avec la solution traditionnelle selon laquelle un moyen d'exception d'illégalité "ne peut être accueilli que dans la mesure où la décision dont l'annulation est demandée constitue une mesure d'application de celle dont l'illégalité est invoquée par voie d'exception et où sa légalité est subordonnée à celle du premier texte" (21). Comment expliquer, en effet, que, dans le droit commun de l'exception d'illégalité, il faut que l'acte attaqué soit une mesure d'application de l'acte dont l'illégalité est invoquée et que la légalité de celui-là soit liée à celle de celui-ci alors qu'en droit de l'urbanisme il peut être excipé de l'illégalité d'un acte règlementaire pour obtenir l'annulation de l'acte individuel indissociable alors que ce dernier est considéré en même temps comme ne constituant pas une mesure d'application du premier (22) ? Comment expliquer que l'exception d'illégalité puisse finalement être plus facilement invoquée en droit de l'urbanisme dont on sait qu'il exige un degré élevé de sécurité juridique ? Cette situation devenait d'autant plus paradoxale et insoutenable que les textes et la jurisprudence avaient récemment opté pour un resserrement des conditions de mise en oeuvre de l'exception d'illégalité.

B - Le resserrement des conditions de mise en oeuvre de l'exception d'illégalité

Ce resserrement est le fruit de l'évolution du contexte législatif (1) et jurisprudentiel (2).

1 - Le contexte législatif

Le contexte législatif de 2008 n'est plus celui de 1986 (arrêt "Gepro") ou de 1990 (arrêt "Assaupamar"). La loi du 9 février 1994 a, en effet, changé la donne sur deux points essentiels qui sont de nature à renforcer la sécurité juridique. Le premier point, déjà évoqué, tient à ce qu'elle a limité les possibilités d'exciper de l'illégalité d'un document d'urbanisme. Passé un délai de six mois, il devient en effet impossible d'exciper de l'illégalité externe (vices de forme et de procédure) d'un plan d'urbanisme (C. urb., art. L. 600-1 N° Lexbase : L7650ACC).

Le second point, figurant aujourd'hui à l'article L. 121-8 du même code (N° Lexbase : L2933DZN), dispose que l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un document d'urbanisme a pour effet de remettre en vigueur le document d'urbanisme immédiatement antérieur. Le but recherché au travers de cette disposition, qui résulte d'une proposition de loi (et non d'un projet de loi comme l'article L. 600-1), est évidemment de combler le vide juridique consécutif à l'annulation ou à la déclaration d'illégalité. En faisant revivre les textes antérieurs, le législateur comble le vide juridique laissé par l'annulation ou la déclaration d'illégalité et permet à l'autorité administrative de continuer à délivrer des autorisations d'urbanisme. On doit, d'ailleurs, noter que le Conseil d'Etat a donné plein effet à ces dispositions en délivrant un véritable vade mecum aux autorités administratives dans son avis contentieux "Marangio" du 9 mai 2005 (23).

2 - Le contexte jurisprudentiel

Le contexte jurisprudentiel incitait lui aussi à une remise en cause de la jurisprudence "Assaupamar". Par son arrêt de Section du 25 février 2005 "Association 'Préservons l'avenir à Ours Mons Taulhac'", le Conseil d'Etat a réaffirmé son attachement à une conception restrictive du lien juridique justifiant le jeu de l'exception d'illégalité. Il a en effet jugé qu'une déclaration d'utilité publique (DUP) ne constituait pas une mesure d'application d'un schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme, non plus d'ailleurs que d'un autre document d'urbanisme et que l'illégalité de ces documents ne pouvait pas être utilement invoquée à l'appui du recours contre la DUP et ce "alors même que ce document ou sa modification auraient eu pour objet de rendre possible l'édiction de la déclaration".

Pour répondre aux inconvénients nés de la mise en oeuvre de la double jurisprudence "Gepro"-"Assaupamar" et prendre en compte les évolutions textuelles et jurisprudentielles en matière d'exception d'illégalité, le Conseil d'Etat a cru bon d'opérer un revirement de jurisprudence en consacrant un nouveau critère de mise en oeuvre de l'exception d'illégalité en matière d'urbanisme.

II - La portée du revirement

L'arrêt "Commune de Courbevoie" affirme que l'exception tirée de l'illégalité d'un plan d'urbanisme invoquée à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire n'est opérante que si le requérant fait prévaloir que le permis attaqué méconnaît les dispositions pertinentes remises en vigueur du fait du constat de l'illégalité du plan (A). Il consacre, ainsi, une solution nouvelle dont les conséquences doivent être envisagées (B).

A - Le nouveau critère de l'opérance de l'exception d'illégalité en droit de l'urbanisme

Si la modification de la jurisprudence "Gepro"-"Assaupamar" était devenue une nécessité au regard de ce qui vient d'être dit, il restait encore à trouver la solution adéquate permettant de tendre vers plus de sécurité juridique sans pour autant sacrifier les exigences du principe de légalité. Le commissaire du Gouvernement Anne Courrèges a étudié plusieurs propositions reposant sur une nouvelle définition/utilisation du critère d'indissociabilité avant de retenir celle qui allait être finalement choisie par le Conseil d'Etat. Elle consiste à poser un principe d'"inopérance de l'exception d'illégalité sèche" pour reprendre ses termes (1) et à lui déroger dans l'hypothèse où le requérant invoque à l'appui de l'exception la méconnaissance des dispositions antérieures ressuscitées du fait du constat de l'illégalité du plan d'urbanisme (2).

1 - L'inopérance de l'exception d'illégalité sèche

"Un requérant demandant l'annulation d'un permis de construire ne saurait utilement se borner à soutenir qu'il a été délivré sous l'empire d'un document d'urbanisme illégal, quelle que soit la nature de l'illégalité dont il se prévaut". Par cette formule, le Conseil d'Etat pose le principe de l'inopérance de l'exception d'illégalité sèche, c'est-à-dire de l'exception tirée de la seule illégalité du document d'urbanisme sur le fondement duquel une autorisation d'urbanisme a été délivrée. Le fondement de cette solution est à rechercher, ainsi que l'indique l'arrêt, dans l'idée que "si le permis de construire ne peut être délivré que pour un projet qui respecte la réglementation d'urbanisme en vigueur, il ne constitue pas un acte d'application de cette réglementation".

Cette solution présente l'avantage de respecter (au moins dans un premier temps) le droit commun de l'exception d'illégalité qui considère qu'un moyen d'exception d'illégalité ne peut être accueilli que si l'acte attaqué constitue une mesure d'application du règlement dont l'illégalité est invoquée et que si sa légalité est subordonnée à celle du premier texte (24). A y regarder de plus près, cette solution n'est acceptable que parce qu'elle comporte une dérogation. Il n'était sans doute pas possible de fermer définitivement la porte de l'exception d'illégalité au nom de la sécurité juridique et ce d'autant plus que le Conseil d'Etat a pris soin de préciser que la nature de l'illégalité n'était pas de nature à renverser à elle seule le principe de l'inopérance. En un mot, la sécurité juridique, "nouvel opium des juges" pour reprendre la formule de Pierre Brunet (25), ne devait pas conduire à une méconnaissance totale des exigences de la légalité et cela passait bien entendu par la consécration d'une dérogation au principe ainsi posé.

2 - L'opérance de l'exception invoquant la méconnaissance des dispositions antérieures qui auraient dû être appliquées

L'exception d'illégalité ne redevient opérante que dans l'hypothèse où le requérant fait "en outre prévaloir que ce permis méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur". Le critère du lien étroit, c'est-à-dire de l'indissociabilité, est ainsi définitivement écarté aussi bien comme critère permettant de déterminer les conséquences de l'exception d'illégalité (c'est l'usage qu'en faisait la jurisprudence "Assaupamar") que comme critère permettant de déterminer l'opérance de l'exception d'illégalité (solution qui a été envisagée avant d'être rejetée par Anne Courrèges en raison de la difficulté à définir l'indissociabilité).

Le nouveau critère justifiant une exception au principe de l'inopérance trouve son fondement direct dans les dispositions du Code de l'urbanisme. En vertu de l'article L. 121-8 de ce code (introduit initialement sous l'article L. 125-5 par la loi "Bosson" de 1994), la déclaration d'illégalité d'un document d'urbanisme a, au même titre que son annulation pour excès de pouvoir, pour effet de remettre en vigueur le document d'urbanisme immédiatement antérieur. De cette disposition, le Conseil d'Etat extrait donc la règle selon laquelle l'exception d'illégalité ne devient opérante, indépendamment de tout lien d'indissociabilité, que si le requérant invoque le moyen tiré du non-respect par la décision attaquée des dispositions remises en vigueur à la suite du constat de l'illégalité de la réglementation sur le fondement de laquelle l'acte a été édicté. Plus concrètement, il est exigé du requérant qu'il fasse l'effort d'aller au bout de sa logique en déroulant toute la chaîne des différentes réglementations qui se sont succédées.

La possibilité d'exciper de l'illégalité de la réglementation d'urbanisme est ainsi sérieusement encadrée. Elle l'est d'autant plus qu'elle doit être lue en combinaison avec les dispositions précitées de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme qui "amnistient" les vices de forme et de procédure au-delà d'un délai de six mois.

Malgré les apparences, le critère dégagé par le Conseil d'Etat n'est pas totalement nouveau. Comme l'a rappelé Anne Courrèges, la jurisprudence "Gepro" permettait également au requérant, en cas de dissociabilité du plan et du permis de construire, d'invoquer des moyens tirés de la violation des dispositions redevenues applicables. Cette possibilité a seulement été moins utilisée, par la suite, du fait de l'élargissement de la notion d'indissociabilité, laquelle conduisait plus facilement à des annulations par voie de conséquence. De même, on retrouvait ce critère dans la jurisprudence "Assaupamar" même s'il était utilisé différemment. Dans l'hypothèse où l'illégalité n'affectait pas une disposition ayant pour objet de rendre "possible" l'octroi de l'autorisation (26), le juge administratif vérifiait dans un second temps, à condition d'avoir été saisi de moyens en ce sens, si l'autorisation était conforme ou non aux dispositions d'urbanisme redevenues applicables. Là encore, ce second temps du raisonnement de la jurisprudence "Assaupamar" a rapidement été occulté car le juge admettait très facilement être en présence d'une disposition qui avait eu pour objet de rendre possible l'octroi de l'autorisation. Le critère consacré par l'arrêt "Commune de Courbevoie" n'est donc pas totalement nouveau, il reste que l'utilisation qui en est faite est plus novatrice et que les conséquences qui en découlent doivent donc être précisées.

B - Les conséquences attachées au nouveau critère

Outre qu'il perpétue le particularisme de l'exception d'illégalité en matière d'urbanisme, le nouveau critère implique une responsabilisation accrue du requérant (1). Quant à l'objectif tiré du renforcement de la sécurité juridique, il n'est pas certain qu'il puisse être totalement atteint (2).

1 - La responsabilisation accrue du requérant : du statut de "perturbateur" au statut "d'acteur" de la sécurisation des autorisations d'urbanisme

Que le Conseil d'Etat ait pris le parti d'exiger du requérant qu'il invoque la méconnaissance des dispositions d'urbanisme "ressuscitées" du fait de l'illégalité des premières pour admettre l'opérance de l'exception ne doit rien au hasard. Par cette solution, le juge administratif entend responsabiliser le requérant. Il veut lui faire prendre conscience du fait que l'exception d'illégalité est une technique par nature déstabilisatrice et que le constat de l'illégalité d'un règlement d'urbanisme a pour effet de faire revivre des dispositions anciennes. Ce n'est finalement que dans l'hypothèse où le requérant aura pris la pleine et juste mesure de toutes les conséquences de l'exception d'illégalité, ce qui se manifestera en pratique par l'invocation de la violation des dispositions anciennes, que le juge administratif acceptera de statuer sur sa demande.

Cette solution est assurément novatrice car elle implique, selon nous, un changement de perspectives. On sait, depuis longtemps, que la sécurité juridique n'est pas une fin en soi, elle a été consacrée pour assurer une meilleure protection des administrés. Cela est bien connu et n'appelle pas de commentaires particuliers. Ce qui change, en revanche, avec l'arrêt "Commune de Courbevoie" est que le Conseil d'Etat a pris acte de ce qu'il ne pourrait à lui seul garantir la sécurité juridique, qu'il avait besoin pour ce faire de l'appui des administrés. Les requérants sont ainsi appelés à devenir, en droit de l'urbanisme tout au moins, des acteurs de la sécurisation accrue des autorisations d'urbanisme et non d'éternels perturbateurs. Comme l'affirme Anne Courrège, "c'est sans doute une charge pour ce[s] dernier[s], mais contester le droit de construire d'autrui est une lourde responsabilité et saisir le juge est une chose sérieuse".

2 - Un réel renforcement de la sécurité juridique ?

Les inconvénients pratiques nés de la jurisprudence "Gepro"-"Assaupamar" et les évolutions législatives et jurisprudentielles récentes plaidaient pour l'adoption d'un nouveau critère permettant d'exciper de l'illégalité d'un règlement d'urbanisme et il n'est pas douteux que celui retenu par l'arrêt "Commune de Courbevoie" est plus satisfaisant car plus opérationnel et plus lisible (27). Il n'est pas certain, pourtant, qu'il produira à terme l'effet escompté, c'est-à-dire qu'il favorisera la sécurisation des autorisations d'urbanisme. Les requérants ne prendront-ils pas rapidement l'habitude de compléter systématiquement le moyen tiré de l'exception d'illégalité du plan d'urbanisme par celui tiré de la méconnaissance par l'autorisation d'urbanisme attaquée des dispositions ainsi remises en vigueur ? Si tel était le cas, et on a la faiblesse de le penser, il ne fait aucun doute que l'exception l'emportera rapidement sur le principe, que l'opérance primera souvent sur l'inopérance, bref que la légalité l'emportera très souvent sur la stabilité des situations juridiques. Assurément, ce n'est pas une mince affaire que de concilier deux principes aussi forts de notre corpus juridique !


(1) Daniel Labetoulle, Principe de légalité et principe de sécurité, Mélanges en l'honneur de Guy Braibant, Dalloz 1996, p. 403.
(2) Sur ce thème de la sécurité juridique en matière d'urbanisme, les recherches et les propositions sont nombreuses, preuve s'il en est que le droit de l'urbanisme est plus sensible que d'autres pans du droit administratif à l'insécurité juridique : Conseil d'Etat, L'urbanisme : pour un droit plus efficace, DF 1992 ; Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d'urbanisme (Rapport Pelletier), DF 2005 ; Rapport d'information de Thierry Repentin au nom de la Commission des affaires économiques et du plan du Sénat, Les acteurs fonciers et immobiliers de la crise du logement, Doc. Sénat, juin 2005, n° 442 ; etc.
(3) Compétence d'appel du Conseil d'Etat qui trouve son fondement dans l'article R. 321-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2976ALS) : "Le Conseil d'Etat est compétent pour statuer sur les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs rendus sur les recours sur renvoi de l'autorité judiciaire [...]".
(4) Comme le note si justement René Chapus, "la jurisprudence relative à l'exception d'illégalité est une jurisprudence partagée entre deux préoccupations également légitimes : assurer la stabilité des normes et situations juridiques ; éviter la perpétuation de l'illégalité" (Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12ème édition, 2006, p. 666).
(5) CE, 24 mars 2006, n° 288460, Société KPMG et autres (N° Lexbase : A7837DNL), Rec. CE, p. 154, AJDA, 2006, p. 1028, chron. C. Landais et F. Lénica, RFDA, 2006, p. 463, concl. Y. Aguila, note F. Moderne, GAJA, 117, GDJA, 215, etc..
(6) Pour un rappel récent de cette règle : CE 3° et 8° s-s-r., 4 février 2008, n° 292956, M. Peretti (N° Lexbase : A7159D4W).
(7) René Chapus, Droit du contentieux administratif, précité, p. 667.
(8) On ne doit pas s'étonner non plus que la très récente loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK) contienne un chapitre intitulé "Sécuriser les autorisations d'urbanisme et les constructions existantes".
(9) Conseil d'Etat, L'urbanisme : pour un droit plus efficace, Documentation française, 1992.
(10) C. urb., art. L. 600-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7650ACC) : "L'illégalité pour vice de forme ou de procédure d'un schéma directeur, d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan d'occupation des sols, d'un plan local d'urbanisme, d'une carte communale ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu ne peut être invoquée par voie d'exception, après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la prise d'effet du document en cause.
Les dispositions de l'alinéa précédent sont également applicables à l'acte prescrivant l'élaboration ou la révision d'un document d'urbanisme ou créant une zone d'aménagement concerté.
Les deux alinéas précédents ne sont pas applicables lorsque le vice de forme concerne :
- soit l'absence de mise à disposition du public des schémas directeurs dans les conditions prévues à l'article L. 122-1-2 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains ;
- soit la méconnaissance substantielle ou la violation des règles de l'enquête publique sur les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales ;
- soit l'absence du rapport de présentation ou des documents graphiques".
(11) CE 2° et 6° s-s-r., 5 janvier 1979, n° 03173, Dames Robinet et Flandre (N° Lexbase : A3378B7A), Rec. CE, Tables, p. 928 et CE, 8 novembre 1985, n° 20222, SCI du Moulin (N° Lexbase : A3629AMD), Rec. CE, Tables, p. 814.
(12) CE, 17 octobre 1980, n° 19451, M. Paul Laudrain (N° Lexbase : A6187AIY), Rec. CE, Tables, p. 926 ; CE, 23 avril 1982, n° 20972, Chantebout (N° Lexbase : A8893AKL), Rec. CE, p. 158.
(13) CE, 12 décembre 1986, n° 54701, Société Gepro (N° Lexbase : A4849AMK), Rec. CE, p. 282, AJDA 1987, p. 275, concl. C. Vigouroux, CJEG, 1987, p. 523, note D. Delpirou.
(14) CE, 28 janvier 1987, n° 39145, Comité de défense des espaces verts c/ SA Le Lama (N° Lexbase : A4064AP9), Rec. CE, p. 20, AJDA, 1987, p. 279, concl. C. Vigouroux.
(15) CE Contentieux, 8 juin 1990, n° 93191, Association de sauvegarde du patrimoine martiniquais (Assaupamar) (N° Lexbase : A5623AQC), Rec. CE, p. 149, RFDA, 1991, p. 149, concl. H. Toutée : "Considérant que si l'autorisation de créer un lotissement ne peut, en vertu, de l'article R. 315-28 du Code de l'urbanisme être délivrée que pour un projet qui respecte la réglementation d'urbanisme en vigueur, elle ne constitue pas un acte d'application de cette réglementation ; qu'il suit de là que la constatation par le juge de l'illégalité d'un plan d'occupation des sols n'entraîne pas de plein droit celle d'une autorisation de lotir qui a été délivrée sous l'empire de ce plan à l'exception du cas où cette illégalité affecte une disposition ayant pour objet de rendre possible l'octroi de l'autorisation ; que, tel n'étant pas le cas en l'espèce, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'illégalité du plan d'occupation des sols révisé de Ducos approuvé le 11 octobre 1984 entacherait d'excès de pouvoir l'autorisation de lotir délivrée le 18 septembre 1986 ; que le moyen doit donc être écarté".
(16) Que nous remercions pour avoir accepté de nous communiquer ses conclusions.
(17) CE Contentieux, 25 février 2005, n° 248060, Association "Préservons l'avenir à Ours Mons Taulhac" (N° Lexbase : A8440DGP), Rec. CE, p. 83, RFDA 2005, p. 608, concl. M. Guyomar, p. 619, note R. Hostiou ; AJDA, 2005, p.1224, chron. C. Landais et F. Lénica.
(18) Anne Courrèges évoque à cet égard "des hypothèses proches du détournement de pouvoir".
(19) Pour Bernard Poujade et Jean-Claude Bonichot, cités par Anne Courrèges dans ses conclusions, le permis de construire est illégal si la disposition illégale du document d'urbanisme "a eu pour objet ou pour effet de ne permettre la délivrance. Il en va ainsi dans trois cas de figure : lorsqu'il y a détournement de pouvoir, quand la disposition discutée a été introduite illégalement pour permettre l'opération ou si elle a eu simplement cet effet, par exemple, car elle a ouvert un secteur à l'urbanisation" (Droit de l'urbanisme, Montchrestien, coll. Focus droit, 2006, p. 78).
(20) CE, 28 juillet 1999, n° 137246, Mme Ricard (N° Lexbase : A4282AXU), Rec. CE, p. 271. Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat considère que l'annulation initiale emporte celle de la décision attaquée quel que soit le motif d'annulation retenu par le jugement.
(21) CE, 19 février 1967, Société des Etablissements Petitjean, Rec. CE, p. 63, AJDA 1967, p. 285, RTDE 1967, p. 681, concl. N. Questiaux.
(22) Dans ses conclusions sur CE Contentieux, 25 février 2005, n° 248060, Association "Préservons l'avenir à Ours Mons Taulhac", Mattias Guyomar notait que "sous couvert de rompre l'automaticité des annulations, la décision Assaupamar recrée en fait du lien entre plan d'occupation des sols et autorisation de construire en s'affranchissant des principes commandant le mécanisme de l'exception d'illégalité" (RFDA 2005, p. 614).
(23) CE, Avis, 9 mai 2005, n° 277280, Marangio (N° Lexbase : A2186DIS), Rec. CE, p. 195, RFDA 2005, p. 901.
(24) CE, 19 février 1967, Société des Etablissements Petitjean, précité.
(25) Pierre Brunet, La sécurité juridique, nouvel opium des juges ?, Mélanges en l'honneur de Danièle Lochak, LGDJ 2007, p. 24.
(26) Si l'illégalité affectait une disposition ayant eu pour objet de rendre possible l'octroi de l'autorisation, le juge prononçait soit l'annulation en cas de lien indissociable, soit procédait en cas d'absence de lien direct à une substitution de base légale.
(27) Il semble que ce critère devra, également, s'appliquer aux annulations par voie de conséquence, c'est-à-dire à l'hypothèse d'une annulation pour excès de pouvoir d'un plan d'urbanisme. Les conclusions d'Anne Courrèges sont en ce sens. De même, l'article L. 121-8 du Code de l'urbanisme semble vouloir assimiler annulation et déclaration d'illégalité.

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Procédure civile

[Le point sur...] Le juge d'appel existe-t-il encore ? (Point sur la réforme de l'exécution provisoire du 29 décembre 2005)

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N3448BEG

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par Christian Boyer, Avoué à la cour d'appel de Toulouse

Le 07 Octobre 2010

Au travers du bilan de la dernière réforme de la procédure civile touchant à l'exécution provisoire des décisions de première instance (décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, relatif à la procédure civile, à certaines procédures d'exécution et à la procédure de changement de nom N° Lexbase : L3298HEU), il convient de s'interroger sur la réalité de l'existence actuelle du juge d'appel. Après de nombreux rapports d'éminents magistrats, loin derrière d'autres réformes, d'autres projets, et malgré certaines mises en garde, au coeur d'un très volumineux décret balayant tout le Code de procédure civile, voire toutes les procédures en général, quelques dispositions modifient les règles relatives à l'exécution provisoire des décisions frappées d'appel. Il est inutile de rappeler que la voie de recours qu'est l'appel a, pour l'essentiel, deux effets :
- l'effet dévolutif, qui va permettre à la cour de rejuger l'entier litige ;
- l'effet suspensif qui permet de ne pas exécuter la décision de première instance en attendant l'arrêt de la cour. A l'énoncé de ce deuxième effet de l'appel, certains peuvent paraître surpris comme devant un survivant inattendu. En effet, de plus en plus de décisions sont dites "exécutoires de droit à titre provisoire", c'est-à-dire qu'elles peuvent être exécutées, nonobstant l'appel, de par le seul effet de la loi. En dresser une liste serait risquer d'en oublier ; aussi comme le législateur dans l'article 514 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5009GU3), il faut considérer que "sont notamment exécutoires", les ordonnances de référé, la plupart des décisions du juge aux affaires familiales, les décisions en matière de procédure collectives... rien qu'avec ces exemples, il est clair que l'effet suspensif est un principe dont le législateur a fait peu à peu une exception. Les projets les "plus fous" pensaient même inverser le principe : "toute décision serait exécutoire de plein droit par provision, sauf [...]".

Pourquoi ? Officiellement pour restaurer l'"imperium" du juge de première instance, l'autorité de la première décision ; en réalité, plus statistiquement parlant, pour limiter le nombre de recours soumis à la cour d'appel.

Le principe est donc "sauf" ... jusqu'à quand ? Nul ne le sait.

Le ministre de la Justice, en son décret du 28 décembre 2005, a, cependant, retouché une nouvelle fois les textes en la matière (la précédente modification ne datait que du 20 août 2004 et elle avait alors permis au premier président d'arrêter dans des cas très exceptionnels l'exécution des décisions exécutoires de plein droit : décret n° 2004-836, portant modification de la procédure civile N° Lexbase : L0896GTD).

Apparemment en lisant les textes, on ne relevait pas grand chose :

- on "lime" l'article 515 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7666HEN) : l'exécution provisoire peut, désormais, être ordonnée sur l'intégralité de la décision, y compris les dépens.
- on fait glisser l'article 526 en un article 525-1 (N° Lexbase : L7649HEZ), et on comble le vide ainsi créé avec un nouvel article 526 (N° Lexbase : L7650HE3).

C'est autour de ce dernier, et après presque deux ans d'application que l'on peut tenter de se demander si le juge d'appel n'est pas, peu à peu, en train de perdre tous pouvoirs.

I - Nouvelle révérence de la cour devant le jugement

Que prévoit donc cet article 526 du Code de procédure civile ? Il dispose que, "lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président, ou, dès qu'il est saisi le conseiller de la mise en état, peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé, et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions de l'article 521 (N° Lexbase : L4946GUQ), à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision".

Il n'y a pas d'erreur de ponctuation : il n'y a qu'une phrase. Le style n'est pas limpide. On peut résumer ainsi : une décision exécutoire ; un défaut d'exécution (ou de consignation autorisée) ; un appel ; l'intimé bénéficiaire des condamnations peut demander la radiation de l'appel ; elle sera prononcée sauf si l'exécution a des conséquences manifestement excessives et si l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter.

Il y a tout de même un second alinéa : "Le premier président ou le conseiller de la mise en état autorise, sauf s'il constate la péremption de l'instance, la réinscription de l'affaire au rôle de la cour, sur justification de l'exécution de la décision attaquée".

On peut déjà donner raison aux commentateurs les plus avisés : il s'agit "d'un dispositif sophistiqué rempli de chausses trappes".

Ce mécanisme existe déjà au niveau de la Cour de cassation. Il est prévu par l'article 1009-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7695HEQ), mais avec la particularité que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire.

Ce décret du 28 décembre 2005 est entré en vigueur le 1er mars 2006.

Certainement conscient des dérives d'application possibles, dès le 8 février 2006, le ministère offrait aux praticiens une circulaire de glose en 21 pages (circulaire CIV/04/06 du 8 février 2006).

Sur notre article 526, elle insiste sur le nécessaire contrôle du juge au cas par cas des circonstances de l'espèce, en s'assurant (ce que le texte ne prévoit pas !!) que la radiation ne constituerait pas une mesure disproportionnée eu égard aux buts poursuivis -au pluriel- ce qui peut paraître singulier puisque le seul but affirmé est d'assurer l'effectivité de la décision de première instance.

Quoique l'on en pense et quelle que soit l'application de ce texte, il est clair que le magistrat de la mise en état en radiant ou refusant de radier l'appel s'incline avec respect devant la décision de son collègue de première instance.

Rappelons que ce dernier peut ordonner l'exécution provisoire sans la motiver, alors que le premier président de la cour d'appel ne peut la suspendre qu'avec une motivation draconienne sur des critères très stricts -il ne peut même pas suspendre l'exécution d'une décision manifestement nulle ! On peut alors se poser la question de savoir qui est, ici, prééminent.

II - Le bilan de deux ans d'application

Afin de permettre d'appréhender la qualité de ce texte par le biais de la pratique, il reste à dresser le panorama de 23 mois de son application, avec toutes ses variantes.

A - Variations du contrôle sur le fond

1.Variabilité du contrôle du juge

  • Sur le fond du litige

La circulaire excluait toute appréciation de fond et, pourtant, le conseiller de la mise en état n'a pu résister à relever que l'appel ne pouvait être considéré comme dilatoire, puisque l'appelante avait conclu au fond, et que rien ne permettait d'emblée de dire que ses moyens seraient dénués de tout sérieux. Il osait même ajouter qu'il y aurait disproportion entre la sanction de radiation portant atteinte au droit au double degré de juridiction et la protection recherchée du créancier (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 13 juin 2007, n° 06/12825, SARL La Grange c/ M. Claude, Henri, Léon D. N° Lexbase : A2218DYS).

Il est à noter que cette appréciation est fondée sur des principes étrangers au seul qui fonde le texte : l'effectivité de la décision en évitant les appels dilatoires.

Le juge d'appel tenterait-il de faire de la résistance ?

  • Sur l'état de la procédure : le critère de la "police du rôle"

Les décisions considèrent fréquemment que le but affiché est d'éviter les appels dilatoires. On peut cependant considérer que ces appels n'existent plus depuis que l'article 915 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9055HGH) oblige l'appelant à conclure dans les quatre mois de l'appel. C'est ce qui fait que les radiations ne sont jamais ou presque prononcées pour ce motif. Au contraire, il est classique que les conseillers de la mise en état rejettent la demande de radiation en constatant que l'affaire est en état d'être jugée.

  • Sur la hiérarchie des normes

Ainsi le conseiller de la mise en état, tout en paraissant le regretter, constate qu'il ne peut contrôler la légalité ou la constitutionnalité de ce texte, alors qu'il lui appartient d'apprécier sa conformité avec la norme supérieure qu'est la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH), et son article 6 (N° Lexbase : L7558AIR) en particulier. Il a considéré que ce fameux article 6 ne permet pas de faire échec à l'application de l'article 526 du Code de procédure civile car il n'a un caractère ni systématique, ni automatique, le juge ayant un pouvoir d'appréciation au terme d'un débat contradictoire (CA Colmar, 3ème ch., sect. A, 30 avril 2007). Au contraire, dans un arrêt rendu par la cour de Limoges, un premier président a considéré que ce même texte est incompatible avec l'article 6 de la CESDH, car il prive de fait le justiciable de l'accès au double degré de juridiction (CA Limoges, 1ère ch., 31 août 2006). Comment donner tort à ce dernier ? Faut-il parler ici de variabilité ou d'insécurité ? Le débat est manifestement ouvert entre les magistrats autour d'un texte trop flou. Le magistrat devient ainsi, et grâce à ce fameux article 6, le gardien des droits "fondamentaux", terme qui peut présenter une certaine analogie avec certains commentaires rugbystiques... oserait-on pousser la métaphore jusqu'à l'essence ou l'esprit du jeu, comme l'essence ou l'esprit du procès réside dans les règles essentielles à son déroulement loyal et complet ?

  • Sur l'étendue de l'exécution et des mesures d'exécution nécessaires

Dans un premier temps, l'exécution intégrale était exigée pour éviter la radiation.

Certaines décisions permettent, désormais, de considérer qu'un début d'exécution ou une exécution en cours, qu'elle soit volontaire ou forcée, interdit la radiation.

On note une curiosité supplémentaire en matière de procédure collective : l'ouverture d'un redressement judiciaire, postérieurement à la radiation, permet la réinscription au rôle et la poursuite de l'appel. En effet, l'exécution étant interdite, l'appel ne peut plus être radié.

En revanche, la jurisprudence hésite quant au degré de "menace" que doit avoir exercé l'intimé pour exiger l'exécution du jugement : pour certains de simples demandes amiables de règlement entre avocats ou entre avoués suffisent, alors que d'autres exigent des actes d'exécution forcée.

2. Variabilité de la compétence du premier président

Il est compétent durant toute la procédure d'appel pour suspendre l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 524 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L4949GUT). Mais il n'est compétent pour radier l'appel que jusqu'à la désignation du conseiller de la mise en état, en pratique de un à trois jours au plus, sauf dans les procédures où il n'y a pas de conseiller de la mise en état. Dans ces cas, il pourra connaître d'une demande principale en référé aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par l'appelant et d'une demande reconventionnelle en radiation par l'intimé. Toutes les deux sont fondées sur les "conséquences manifestement excessives" de l'exécution provisoire. Nous verrons un peu plus loin si cette notion unique recouvre la même réalité dans les deux cas. Il arrive, en effet, que le premier président soit saisi d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire concomitamment avec une demande de radiation devant le conseiller de la mise en état.

3. Variabilité de la notion de "conséquences manifestement excessives"

Là naît le conflit entre le premier président, toujours exclusivement compétent pour arrêter l'exécution provisoire, si existent des conséquences manifestement excessives, et le conseiller de la mise en état compétent pour radier l'appel, sauf s'il existe les "mêmes" conséquences manifestement excessives. Les mêmes ? Pas si sûr.

C'est ainsi qu'un appelant a demandé au premier président de la cour d'appel de Toulouse d'arrêter l'exécution provisoire d'un jugement qui l'a condamné à faire des travaux (notamment de réfection de toiture). Le premier président rejette la demande car il n'est pas invoqué de conséquences manifestement excessives (impossibilité de restituer...) (CA Toulouse, 10 octobre 2007).

Dans une autre affaire, l'intimé ayant présenté une requête sur le fondement de l'article 526 du Code de procédure civile a sollicité la radiation de l'appel. Le conseiller de la mise en état, à la surprise générale, rejette la demande car l'exécution provisoire des travaux de remise en état aurait des conséquences manifestement excessives car irrémédiables, puisqu'il serait impossible de remettre les lieux en leur état antérieur (CA Toulouse, 2ème ch., sect. 1, 23 octobre 2007).

La perplexité est de mise, à moins que de futures décisions ne permettent de déterminer que les conséquences manifestement excessives n'ont pas le même sens dans les deux textes ?

B - Incertitudes sur la forme du contrôle

1. Variabilité de la décision selon le juge

Citons l'exemple de Paris, où sur un an, on a relevé, pour 30 saisines du conseiller de la mise en état, 18 radiations et 12 rejets ; et, pour 12 saisines du premier président, 1 radiation et 11 rejets.

2. Variabilité du périmètre d'application

Ainsi d'une chambre à l'autre de la même cour, un magistrat refusera la radiation si un seul des intimés la sollicite en considérant qu'il y aurait des conséquences manifestement excessives à ce que certaines parties se voient ainsi privées de tout droit à un recours effectif, alors que son collègue n'hésitera pas à prononcer une radiation partielle (concept nouveau) qui ne concernera que le lien d'instance entre l'appelant et l'intimé demandeur à la radiation, et que subsistera devant la cour la procédure opposant le même appelant à un autre intimé qui aura formé à son encontre un appel provoqué (nouvelle méthode pour "saucissonner" le litige) (CA Paris 19ème ch., sect. B, 3 mai 2007, n° 05/20931, Syndicat des copropriétaires du 9, rue Dunois N° Lexbase : A3494DWC). D'autres magistrats refuseront systématiquement de prononcer une radiation, dès lors qu'il y a plusieurs intimés qui ne sollicitent pas tous simultanément la radiation.

3. Variabilité quant au délai de la demande

Le texte ne prévoit aucun délai pour présenter la demande. Cependant peu à peu, mais là aussi tous les critères ne sont pas aboutis, les conseillers de la mise en état déterminent jusqu'à quand la demande peut-être présentée. Ainsi dans le cadre d'une procédure à jour fixe devant la cour, le premier président de la cour d'appel de Paris a considéré que la radiation serait une réponse inadaptée à la conduite d'une procédure équitable. La fixation à très bref délai interdit de considérer que le recours est dilatoire (CA Paris, 1er septembre 2006). Certains conseillers de la mise en état ont retenu que l'affaire étant fixée au fond la demande de radiation est sans objet (CA Toulouse, 1ère ch., sect. 1, 11 octobre 2007 ). Voire que la radiation d'une affaire fixée à une date peu éloignée présenterait des conséquences manifestement excessives (CA Orléans, 25 octobre 2006, n° 06/01290).

Se trouve ainsi dressé une sorte d'inventaire "à la Prévert".

Il faut bien reconnaître qu'il est extrêmement délicat de faire une synthèse des caractéristiques d'application de ce texte important quant à ses conséquences, au moins au plan des principes.

En revanche, il est plus aisé de prendre un peu de recul pour discerner les interrogations majeures que suscite la pratique quotidienne de ce texte :

- Au travers d'une telle réforme ne détourne-t-on pas la procédure civile de sa nature même de règle du jeu processuel, pour en faire un instrument de régulation des flux de procès ?
- Celui qui réfléchit à comment juger moins, plutôt que mieux, ne risque-t-il pas de transformer le juge, qui dit le droit, en justicier du rôle ?
- A trop vouloir, soit disant, restaurer l'imperium du premier juge (rappelons qu'il peut ordonner l'exécution provisoire sans la motiver, alors que le premier président de la cour d'appel ne peut la suspendre qu'avec une motivation draconienne sur des critères très stricts -il ne peut même pas suspendre l'exécution d'une décision manifestement nulle-) n'efface-t-on pas, peu à peu, le pouvoir des magistrats de la cour d'appel, second et ultime degré de juridiction ?
- Enfin, la question se pose de savoir s'il est nécessaire que dans le droit du procès également, tout change pour que rien ne change ?

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Responsabilité

[Jurisprudence] Accidents de la circulation : nouvelle illustration de l'appréciation extensive faite par la Cour de cassation des conditions de mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1985

Réf. : Cass. crim., 15 janvier 2008, n° 07-80.800, Société électricité Domange, F-P+F+I (N° Lexbase : A7369D4P)

Lecture: 3 min

N3446BED

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'importance du contentieux en matière d'accidents de la circulation ne se dément décidément pas. Continuent ainsi régulièrement de se poser, en dépit des interventions répétées de la Cour de cassation, des difficultés suscitées par la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9), applicable, aux termes de son article 1er, "même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Le régime d'indemnisation prévu par la loi, qu'il s'agisse, du côté du conducteur, de l'incidence de sa faute (art. 4) sur la réparation de son dommage (1) ou, du côté du non conducteur, de l'appréciation de sa "faute inexcusable cause exclusive de l'accident" (art. 3), a d'ailleurs donné lieu à de vifs débats. Mais ce sont aussi, en amont, les conditions même de mise en oeuvre du dispositif légal qui génèrent du contentieux, comme en témoigne une fois encore un nouvel arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 15 janvier dernier. En l'espèce, un électromécanicien au service d'une société avait été mortellement blessé au moment où, pour changer les lampes du hall d'un atelier, il manoeuvrait, avec l'aide d'un ouvrier intérimaire désigné dans les heures précédent l'accident, une nacelle autoportée de location, mise le matin même à la disposition de la société sans aucune démonstration de fonctionnement. On laissera ici de côté l'aspect pénal du litige pour relever, au plan civil, que la société, qui avait dû indemniser les conséquences du dommage, avait appelé en garantie son assureur auprès duquel elle avait souscrit une police "multirisques professionnels". Les juges du fond avaient, cependant, pour la débouter de sa demande, fait valoir que les dispositions contractuelles excluant la garantie des dommages causés par un véhicule terrestre à moteur et survenus lors d'un accident régi par la loi du 5 juillet 1985 avaient, ici, vocation à s'appliquer "dès lors que, les faits s'étant produits au moment où [la victime] effectuait une marche arrière pour positionner la nacelle sous une lampe, l'engin qu'il manoeuvrait et qui se déplaçait en roulant était impliqué en tant que véhicule dans un accident de la circulation". La Cour de cassation approuve cette solution et juge "qu'en décidant ainsi, la cour d'appel, loin de méconnaître les textes visés au moyen [en l'occurrence les articles 1er de la loi du 5 juillet 1985 et 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC], en a fait, au contraire, l'exacte application".

La solution, tant elle était parfaitement prévisible, ne justifie pas que l'on y insiste longuement. Tout au plus, faut-il ici rapidement relever que l'arrêt confirme l'appréciation extensive que fait la Cour de cassation depuis de nombreuses années déjà des conditions de mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1985. On n'ignore pas, en effet, qu'elle entend très largement la notion "d'implication" pour, finalement, considérer qu'un véhicule est impliqué dès lors qu'il est intervenu d'une manière ou d'une autre dans cet accident (2). C'est, ensuite, encore très largement qu'elle entend non seulement les notions de "conducteur d'un véhicule terrestre à moteur" (3), mais aussi celle "d'accident de la circulation" (4). Encore très récemment, le lecteur de cette revue se souvient peut-être qu'un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 25 octobre 2007 (préc.) a considéré, pour approuver les premiers juges, "qu'ayant retenu que le véhicule était stationné dans un atelier de réparation automobile, qui n'est pas un lieu impropre au stationnement d'un véhicule, et que, mis en mouvement par le démarrage du moteur alors qu'une vitesse était enclenchée, il avait percuté [l'employé], la cour d'appel a exactement décidé que ce véhicule était impliqué dans un accident de la circulation au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, peu important qu'il se fût trouvé sur un pont élévateur". Plus récemment encore, à propos d'un dommage qui s'était réalisé au cours d'une opération de déchargement de plaques de béton sur un chantier, les plaques de béton étant arrimées sur la benne de son camion, et dans une affaire dans laquelle il s'agissait de savoir si un accident de la circulation pouvait être retenu, ce qui rendait la loi du 5 juillet 1985 applicable et excluait, par suite, le principe posé par l'article 706-3, 1°, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI) de l'indemnisation de toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits présentant le caractère matériel d'une infraction, la même deuxième chambre civile de la Cour de cassation décidait que "l'accident survenu au moment du déchargement du camion sans instrument de levage, constituait un accident de la circulation" (5).


(1) Ass. Plén., 6 avril 2007, 2 arrêts, n° 05-81.350, M. Daniel Duboust c/ Mme Patricia Pipon, P+B+R+I (N° Lexbase : A9501DUG) et n° 05-15.950, MACIF Provence-Méditerranée c/ M. Stéphane Devos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9499DUD), BICC 15 juin 2007, rapp. Gallet, avis Charpenel, JCP éd. G, 2007, II, 10078, note P. Jourdain, D., 2007, p. 1839, note H. Groutel, et p. 2906, obs. Ph. Brun ; Cass. crim., 27 novembre 2007, n° 07-81.585, Compagnie Monceau générale assurances, F-P+F (N° Lexbase : A0861D3B) et nos obs., Accidents de la circulation : le défaut de permis de conduire imputable au conducteur victime n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale du dommage, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N5925BDS), JCP éd. G, 2008, 10022, note D. Bakouche.
(2) Cass. civ. 2, 18 mars 1998, n° 96-13.726, Fonds de garantie automobile (FGA) c/ Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF) et autres, (N° Lexbase : A2686ACH), Bull. civ. II, n° 88 ; pour une illustration récente de cette tendance, voir encore Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.484, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B (N° Lexbase : A0822DXQ).
(3) Pour une illustration récente, voir not. Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 05-21.807, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B (N° Lexbase : A2528DZN) et nos obs., Appréciation des notions de "conducteur" et d'"accident de la circulation" au sens de la loi du 5 juillet 1985, Lexbase Hebdo n° 281 du 15 novembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0115BDM).
(4) Voir not., à propos d'un accident causé par un girobroyeur : Cass. civ. 2, 5 janvier 1994, n° 92-13.245, Caisse mutuelle d'assurance et de prévoyance c/ M. Caneiro et autres (N° Lexbase : A6879ABE), Bull. civ. II, n° 1 ; causé par un tracteur : Cass. civ. 2, 6 juin 2002, n° 00-10.187, M. André Deshors c/ M. Marcel Lidove, FS-P+B (N° Lexbase : A8490AY4), Bull. civ. II, n° 114 ; causé sur un chantier par une pelleteuse : Cass. civ. 2, 30 juin 2004, n° 02-15.488, Société Colas Sud-Ouest c/ Société Rougeron, FS-P+B (N° Lexbase : A8916DC9), Bull. civ. II, n° 334 ; causé par un engin agricole de chargement d'une remorque de maïs : Cass. civ. 2, 19 février 1997, n° 95-14.279, Compagnie La Union et Le Phénix espagnol et autres c/ Union départementale des associations familiales des Landes et autres (N° Lexbase : A0461AC3), Bull. civ. II, n° 42.
(5) Cass. civ. 2, 7 février 2008, n° 07-13.397, Fonds de garantie des actes de terrorisme et d'autres infractions, FS-P+B (N° Lexbase : A7348D4W), et nos obs., L'exclusion de l'indemnisation des victimes d'infraction pour les atteintes donnant lieu à l'application de la loi du 5 juillet 1985 en matière d'accidents de la circulation, Lexbase Hebdo n° 293 du 21 février 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N1935BEE) ; et, sur le même arrêt, les obs. de Ch. Radé, Les victimes d'accidents du travail injustement privées du régime d'indemnisation des victimes d'infraction en présence d'une faute intentionnelle, Lexbase Hebdo n° 293 du 21 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1900BE4).

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Immobilier et urbanisme

[Chronique] Chronique en droit immobilier

Lecture: 4 min

N3542BEW

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit immobilier de Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris. Au premier plan de cette chronique, un arrêt rappelant que le bail à nourriture est caractérisé par l'obligation contractée par l'acquéreur de subvenir à la vie et aux besoins de l'auteur de l'aliénation, spécialement, en lui assurant la fourniture et la prise en charge de ses aliments. A l'honneur également, une décision rappelant que l'obligation de déposer une demande de permis de construire modificatif ôte au permis initialement délivré tout caractère définitif.
  • Le bail à nourriture est caractérisé par l'obligation contractée par l'acquéreur de subvenir à la vie et aux besoins de l'auteur de l'aliénation, spécialement, en lui assurant la fourniture et la prise en charge de ses aliments (Cass. civ. 1, 20 février 2008, n° 06-19.977, F-P+B N° Lexbase : A0505D7T)

Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation donne une définition très précise du "bail à nourriture", contrat innomé qu'il est rare de rencontrer en pratique.

En l'espèce, un oncle avait vendu à son neveu une propriété sise en Ardèche. La clause "Prix" était ainsi libellée : "La présente vente est consentie et acceptée moyennant un prix de soixante mille francs, 60 000 francs [environ 9 147 euros], lequel prix converti d'un commun accord entre les parties en l'obligation que prend l'acquéreur envers le vendeur, de lui assurer deux promenades hebdomadaires sur le département de l'Ardèche, de lui fournir l'habillement nécessaire, et généralement lui assurer le suivi de sa correspondance. En outre, il est bien convenu que pour le cas où l'état de santé du vendeur nécessiterait une admission en hospice ou hôpital suite à la dégradation de son état de santé, cette obligation cesserait pendant la période de séjour dans lesdits établissements, et uniquement en ce qui concerne les deux promenades hebdomadaires. Ladite prestation représentant une valeur annuelle de sept mille deux cents francs (7 200 francs) [environ 1 098 euros]". En outre, le neveu disposait d'une procuration sur les comptes ouverts au nom de son oncle auprès d'un établissement bancaire.

L'oncle est décédé le 7 mars 2000 en laissant pour lui succéder ses neveux et nièce.

Sa nièce a alors assigné le neveu bénéficiaire de l'acte précité en annulation de la vente pour défaut de prix. Le neveu faisait, notamment, grief à l'arrêt d'appel d'avoir décidé que l'acte par lequel son oncle lui avait vendu l'immeuble ne pouvait être qualifié de bail à nourriture et qu'il devait être résolu pour vil prix, et, enfin, d'avoir ordonné le rapport de cet immeuble à la succession de ce dernier.

La Cour de cassation devait donc se prononcer sur la nature du contrat conclu entre l'oncle et son neveu.

La définition donnée dans l'arrêt rapporté est très précise : le bail à nourriture est caractérisé par l'obligation contractée par l'acquéreur de subvenir à la vie et aux besoins de l'auteur de l'aliénation, spécialement, en lui assurant la fourniture et la prise en charge de ses aliments. Ainsi, dès lors que l'acte de vente ne mettait pas à la charge de l'acquéreur l'obligation d'assumer la subsistance du vendeur, le contrat litigieux ne constituait pas un bail à nourriture mais un contrat de vente qui pouvait être résolu pour vileté du prix. Cette décision a une portée importante, surtout dans la mesure où elle s'inscrit dans une matière où le contentieux est rare.

Rappelons qu'il avait, notamment, été précisé par la Cour de cassation que le bail à nourriture est caractérisé par l'obligation prise par l'acquéreur de subvenir entièrement à la vie et aux besoins de l'auteur de l'aliénation. Aucun texte ne fait du logement permanent commun la condition essentielle de ce contrat dont le caractère personnel n'est nullement incompatible avec une résidence séparée (Cass. soc., 9 février 1961, n° 59-10.918, Sieur Achille de L. c/ Sieur Emile D., N° Lexbase : A1948D7B, Bull. civ. IV n° 185).

  • L'obligation de déposer une demande de permis de construire modificatif ôte au permis initialement délivré tout caractère définitif : en conséquence, la condition suspensive insérée au sein d'un contrat de vente tenant en l'obtention du permis de construire n'est pas satisfaite (Cass. civ. 3, 13 février 2008, n° 07-11.462, FS-P+B N° Lexbase : A9313D4P)

Une promesse synallagmatique de vente peut être conclue sous condition suspensive, notamment, de l'obtention d'un permis de construire. En l'espèce, le promettant avait assigné le bénéficiaire d'une promesse de vente d'un bien immobilier sous condition suspensive en paiement du montant de l'indemnité d'immobilisation pour défaut de signature de l'acte de vente dans le délai convenu. La condition suspensive tenait, notamment, en l'obtention d'un permis de construire définitif. Les parties avaient réservé au chapitre "recours des tiers" l'éventualité d'un contrôle de légalité. Dans le cadre du contrôle de légalité, le sous-préfet avait fait obligation au bénéficiaire de la promesse de déposer une demande de permis modificatif.

La cour d'appel avait indiqué que l'obligation de déposer une demande de permis modificatif privait le permis initial de tout caractère définitif. Dès lors, la condition devait être réputée défaillante et chacune des parties à la promesse devait retrouver son entière liberté contractuelle. Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation a confirmé la position adoptée par les premiers juges.

La défaillance ou la réalisation de la condition doivent avoir lieu dans le délai prévu par le contrat ou, le cas échéant, par la loi. Si aucun délai n'est prévu, il résulte de l'article 1176 du Code civil (N° Lexbase : L1278ABX) que la condition n'est défaillie que s'il est certain que sa réalisation soit impossible.

Ainsi, la vente d'un immeuble conclue sous la condition suspensive de l'obtention d'un permis de construire, dont la réalisation n'était soumise à aucun délai, n'a pu intervenir faute pour la commune d'avoir statué sur le plan d'occupation des sols. La vente a pu être déclarée caduque dès lors que l'arrêt, après avoir justement rappelé que toute condition doit être accomplie de la manière dont les parties ont vraisemblablement voulu et entendu qu'elle le fût, retient souverainement que les parties n'ont pu envisager que la condition suspensive puisse s'accomplir plus de six ans après la signature de la convention alors qu'il n'avait été stipulé aucune indexation du prix de vente ni aucun coefficient de revalorisation (Cass. civ. 3, 3 février 1982, n° 80-15.794 N° Lexbase : A1952D7G, Bull. civ. III, n° 37).

Lorsqu'un délai a été stipulé, la Cour de cassation a précisé que le permis de construire obtenu "hors délai" impliquait la caducité de la promesse de vente sous condition suspensive (Cass. civ. 3, 13 juillet 1999, n° 97-20.110, Mme Baron c/ M. Bonnefon N° Lexbase : A5290AWT, Defrénois 1999, 1331, note D. Mazeaud).

newsid:313542

Sociétés

[Jurisprudence] Le caractère d'ordre public de l'article 1843-4 du Code civil relatif à la détermination par expertise de la valeur de droits sociaux

Réf. : Cass. com., 4 décembre 2007, 2 arrêts, n° 06-13.912, M. Bruno Quilliard, FS-P+B (N° Lexbase : A0299D3H), n° 06-13.913, M. Denis Jacqmin, FS-D (N° Lexbase : A0300D3I)

Lecture: 5 min

N3475BEG

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par Deen Gibirila, Professeur à l'Université des Sciences sociales de Toulouse I

Le 07 Octobre 2010

Nul n'ignore les avantages procurés par l'exercice d'une activité sous la forme sociétaire plutôt que sous la forme individuelle. Outre la séparation du patrimoine social de celui des associés, alors que le patrimoine de l'exploitant se confond avec celui de l'entreprise, la transmission de celle-ci est plus facile à réaliser quand elle est exploitée sous la forme sociétaire. Il en va ainsi non seulement en cas de décès, mais également lorsque les dirigeants proches de la retraite souhaitent laisser la place à leurs enfants ou à des tiers repreneurs.
En effet, l'entreprise individuelle reste liée au bon vouloir et à la vie de l'entrepreneur. Le décès de ce dernier s'accompagne fréquemment de la disparition de l'exploitation qui tombe en indivision et devient de ce fait plus difficile à gérer. A l'inverse, la société permet généralement d'assurer la pérennité de l'entreprise, dans la mesure où la personne morale se maintient avec les héritiers auxquels sont attribuées les parts ou actions du défunt. De son vivant, il est parfois difficile au chef d'entreprise individuelle d'en assurer la continuité et, lorsqu'il envisage de la céder, se posent les problèmes de l'évaluation des éléments de son patrimoine, de la publicité donnée à cette évaluation et de la négociation avec le bailleur d'immeuble. En revanche, la cession de parts sociales ou d'actions s'opère beaucoup plus aisément et à des conditions fiscales souvent avantageuses.
Pareille cession n'est, cependant, pas exclusive de difficultés et, par conséquent, de différends. En attestent deux arrêts rendus le même jour, le 4 décembre 2007, et dans la même affaire, par la Chambre commerciale de la Cour de cassation à propos de la détermination par un expert de la valeur de droits sociaux cédés en application de l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L2018ABD). I - Le litige puise ses racines dans la constitution d'une société civile financière, pièce majeure d'un montage de transmission d'une entreprise à un parent du fondateur, en l'occurrence son neveu, et au personnel salarié de celle-ci. A cet égard, les statuts de la société conféraient la qualité d'associé aux seuls salariés répondant à certaines conditions d'ancienneté et de catégorie professionnelle. En conséquence, la perte de l'une des conditions requises obligeait l'intéressé à céder ses droits sociaux. Néanmoins, à défaut de contrepartie d'achat des parts de l'associé sortant, la société s'engageait à les racheter à un prix déterminé au regard d'un certain taux appliqué au montant nominal. Les statuts stipulaient, également, que la valeur nominale des parts serait déterminée chaque année par un expert.

A la suite de son licenciement, l'un des associés avait demandé à l'une des sociétés du montage social de racheter ses parts, mais n'avait pas accepté la proposition de celle-ci d'acquérir ses parts aux conditions posées par les statuts. N'ayant pas, non plus, obtenu satisfaction auprès de l'autre société qui avait refusé sa proposition, il avait sollicité en justice à la fois l'autorisation de se retirer de sa société pour juste motif et la condamnation de celle-ci au rachat de ses parts sociales sur la base d'une valeur déterminée par expertise.

Débouté semble-t-il en première instance, l'intéressé avait vu sa demande rejetée à nouveau par la cour d'appel de Versailles. Pour statuer de la sorte, cette dernière juridiction s'était fondée sur les stipulations statutaires en vertu desquelles l'associé en cause serait exclu avec pour conséquence le rachat de ses droits sociaux évalués sur la base d'une clause qui l'emporterait sur les dispositions de l'article 1843-4 du Code civil. Elle érigeait en principe l'impossibilité, en cas de contestation, de déroger statutairement à l'évaluation des droits sociaux à dire d'expert.

La Cour de cassation censure cette décision, au motif que la juridiction de seconde instance a porté atteinte à ce texte. Elle renvoie l'affaire auprès de cette dernière cour autrement composée.

II - En cas de cession libre ou forcée de droits sociaux, la désignation d'un expert suppose un litige relatif à l'évaluation de ceux-ci. Est-ce le cas en l'espèce ?

La cour d'appel de Versailles semblait répondre négativement à cette interrogation, dans la mesure où les statuts sociaux, qui constituent la loi des parties, en avaient déterminé le prix par une clause d'évaluation. Seule pourrait donner lieu à contestation l'application de cette clause. Dans cette hypothèse, il ne serait toutefois pas nécessaire de désigner un expert dont la fonction est d'apprécier la valeur des parts sociales cédées ou rachetées, mais non de trancher le litige relatif à la mise en oeuvre de ladite clause, cette mission relevant de la compétence du juge saisi de l'affaire.

Ce n'est pas le point de vue de la Chambre commerciale, pour qui tout désaccord sur le prix, quelle qu'en soit la cause, suffit à susciter la désignation d'un expert dans les conditions de l'article 1843-4 du Code civil, soit par les parties, soit, en cas de désaccord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés (1). Cette idée apparaît clairement dans l'article L. 227-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L6173AIH), aux termes duquel le prix de cession des actions "est fixé par accord entre les parties ou, à défaut, est déterminé dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du Code civil".

Reste à savoir si l'expert désigné est tenu de suivre les règles d'évaluation préalablement déterminées par les parties ou, autrement dit, si celles-ci peuvent lui dicter la méthode d'évaluation à suivre. On peut admettre cette solution quand l'expert est nommé d'un commun accord entre les parties et qu'à cet instant le principe du transfert des droits sociaux est acquis. Dès lors que les parties ont le pouvoir de fixer elles-mêmes le prix, elles disposent de la faculté de confier cette mission à un tiers à qui elles auront indiqué l'exacte étendue de son mandat (2).

Il convient, en revanche, d'exclure la solution lorsque, comme en l'espèce, l'expert a été désigné en justice à la suite d'un désaccord entre les parties. C'est d'ailleurs ce que laisse entendre la Cour de cassation qui, conférant à l'article 1843-4 du Code civil un caractère d'ordre public, considère que les énonciations de ce texte l'emportent sur les stipulations statutaires d'évaluation des parts cédées.

C'est dire que l'ordre public ne s'attache pas seulement au droit d'obtenir en justice la désignation d'un expert rendant nulle toute énonciation statutaire qui ferait obstacle au recours à cette procédure (3), mais encore à l'inopposabilité à son égard des clauses statutaires fixant les règles d'évaluation des parts sociales. La solution se justifie par le défaut d'accord entre les parties, sinon à quoi servirait-il de désigner en justice un expert chargé d'apprécier la valeur des parts rachetées.

Appliquée à la présente affaire, cette solution paraît quelque peu sévère. En effet, si l'on conçoit que la clause d'exclusion d'un associé soit valable, dès lors qu'elle a été insérée dans les statuts à la constitution de la société ou en cours de vie sociale à l'unanimité des associés, ce qui est le cas en l'espèce, cette validité devrait s'appliquer à la clause d'évaluation des parts sociales de l'associé sortant, laquelle fait corps avec la clause d'exclusion. Les deux clauses étant liées, le caractère incontestable de l'une devrait valoir pour l'autre. L'associé évincé, qui a consenti à la clause d'exclusion, a nécessairement adhéré à la clause d'évaluation des droits sociaux. Or, pour la Cour de cassation il n'en est rien.

Toujours est-il que le mode de sortie de la société importe peu : qu'il se retire volontairement ou contre son gré, l'associé a droit au rachat de ses droits sociaux par la société, les associés en place ou un tiers, éventuellement agréé, le remboursement de ses droits n'étant que la conséquence de la perte de sa qualité d'associé (4). L'évaluation judiciaire des parts sociales échappe à toute critique émanant des parties qui, faute d'accord entre elles, et s'en remettant à l'expert conformément aux articles L. 228-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L8379GQE) et 1843-4 du Code civil, font de la décision de ce dernier leur loi (5). Les juges ne sauraient, non plus, modifier le prix et imposer aux parties une convention différente de celle qu'elles envisageaient d'établir (6). Seule une erreur grossière de l'expert pourrait remettre en cause l'évaluation des parts sociales, sans pour autant faire retrouver à l'intéressé sa qualité d'associé puisqu'il ne remplit plus les conditions requises pour l'être. Il ne resterait plus qu'à cet expert de se remettre à l'ouvrage dans l'évaluation des droits sociaux, sauf pour le président de la juridiction, saisi en référé d'une nouvelle demande par l'une des parties, à désigner un autre expert.


(1) A. Couret, L. Cesbron, B. Provost, P. Rosenpick et J.-C. Sauzey, Les contestations portant sur la valeur des droits sociaux, Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 1052.
(2) Cass. com., 4 avril 1995, n° 92-22.020, Société anonyme Kis photo industrie c/ M. Pascal Rabbe (N° Lexbase : A2394AGR), RJDA, 10/1995, n° 1102.
(3) CA Paris, 10 mai 1985, BRDA, 14/1985, p. 19.
(4) Cass. com., 8 mars 2005, n° 02-17.692, Mme Christine Dauverchain, agissant en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de Mme Françoise Lauzière c/ Société en nom collectif (SNC) Pharmacie Lauzière-Durand, F-P+B (N° Lexbase : A2484DHH), Bull. civ. IV, n° 47, D, 2005, cah. dr. aff., act. jur., p. 839, obs. A. Lienhard.
(5) V., H. Le Nabasque, La force obligatoire du rapport d'expertise dans la procédure d'agrément, Dr. sociétés, décembre 1992, chron. p. 1.
(6) Cass. com., 4 novembre 1987, n° 86-10.027, Morel c/ Consorts Djerdjian (N° Lexbase : A3942AG4), Bull. civ. IV, n° 226, Bull. Joly Sociétés, 1987, p. 859, JCP éd. E, 1988, II, 15212, note A. Viandier ; Cass. com., 20 décembre 1988, n° 87-14.767, Société Escogypse et autre c/ Société anonyme La Rhénane (N° Lexbase : A9830AAC), JCP éd. G, 1989, II, 21260, note A. Viandier ; Cass. com., 9 avril 1991, n° 89-21.611, Epoux Robbe c/ M. Bellanger (N° Lexbase : A4047ABI), Bull. civ. IV, n° 139, Bull. Joly Sociétés, 1991, p. 1130, Rev. Sociétés, 1992, p. 50, RTDcom., 1992, p. 217, obs. C. Champaud et D. Danet ; CA Paris, 5 mai 1998, Dr. Sociétés, novembre 1998, n° 135, obs. Th. Bonneau ; CA Paris, 1ère ch., sect. A, 22 septembre 1998, n° 1994/25296, Goust Jean-Pierre c/ SCP Jean Bertolas, Monique S. Bertolas (N° Lexbase : A7931DEH), Bull. Joly Sociétés, 1998, p. 1275, note J.-J. Daigre.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - mars 2008

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N3501BEE

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique débute par la portée à conférer, en droit fiscal, à la publicité entourant la cession ou la concession d'un brevet et à la remise en cause rétroactive, par l'administration, d'un avantage fiscal (1). Puis, en matière de report en arrière des déficits (carry-back), sont abordés la possibilité d'imputer un déficit sur un bénéfice issu d'un redressement et le délai dont peut se prévaloir, alors, le contribuable pour introduire sa réclamation (2). Enfin, le Conseil d'Etat fait évoluer sensiblement sa jurisprudence "Sife" quant à la notion d'immobilisation incorporelle et admet la possibilité d'amortir une marque acquise à certaines conditions (3).
  • Concession d'exploitation d'un brevet : portée de la publicité exigée par le Code de la propriété intellectuelle et remise en cause rétroactive par l'administration d'un avantage fiscal (CE 3° et 8° s-s-r., 14 janvier 2008, n° 301239, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Serras-Paulet N° Lexbase : A1133D4Q)

Le litige opposant le contribuable, ingénieur-conseil de son état, à l'administration avait trait à l'application, en 1993, du régime de taxation forfaitaire au taux de 16 % aux redevances d'exploitation de brevets (CGI, art. 39 terdecies, version du 31 décembre 1991 N° Lexbase : L1449HLA ; CGI, art. 93 quater, version du 4 juillet 1992 N° Lexbase : L1997HLK). Après annulation, par la cour administrative d'appel de Paris, du jugement rendu par le tribunal administratif (CAA Paris, 5ème ch., 22 décembre 2006, n° 05PA04961 [LXB=]), le Conseil d'Etat, saisi au moyen d'un pourvoi en cassation émanant du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, prend position, d'une part, quant à la portée, en droit fiscal, de la publicité prévue par l'article L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3594ADH) (1) ; d'autre part, quant à la remise en cause rétroactive, par l'administration, d'un avantage fiscal que le contribuable tient de la loi (2).

1. Portée de la publicité de l'article L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle

Les faits de l'espèce rapportent que le vérificateur a remis en cause l'application du régime de taxation forfaitaire au motif qu'il ne lui a été présenté aucun contrat de concession de brevet au cours de la vérification de comptabilité dont le contribuable a fait l'objet.

Aux termes de l'article L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle : "Tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit registre national des brevets, tenu par l'Institut national de la propriété industrielle". Selon la jurisprudence judiciaire, cette formalité doit être satisfaite même en cas de fusion de sociétés emportant transmission universelle de patrimoine (1) (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 29 mai 2002, n° 2001/05850, Société Ronis SA c/ Société Systec Pos Technology GmbH N° Lexbase : A1271A3H).

Quelle portée accorder à cette formalité de publicité ? L'administration fiscale était-elle en droit de considérer que son accomplissement constituait une condition de fond ad validitatem du contrat de concession conclu entre le contribuable concédant et l'entreprise concessionnaire ?

La réponse du Conseil d'Etat est sans équivoque : l'inscription de l'acte n'est pas une condition de validité de la convention conclue entre les parties. Elle ne "concerne que les contestations nées du droit de la propriété industrielle". Et au cas particulier, l'administration ne pouvait se prévaloir d'aucun droit de cette nature concurrent avec celui du contribuable. Par conséquent, "en jugeant que le défaut d'enregistrement sur le registre prévu à l'article précité de la convention d'exploitation de brevet [...] ne pouvait fonder à lui seul le refus de l'administration d'imposer selon le régime des plus-values à long terme les redevances versées au contribuable en 1993, la cour n'a pas commis une erreur de droit".

Cette décision est conforme à ce que son homologue judiciaire a déjà jugé et doit être approuvée. Ainsi, dans une décision du 18 décembre 2001 (Cass. com., 18 décembre 2001, n° 99-11.183, F-D N° Lexbase : A7138AXN), la Cour de cassation a dit pour droit que "l'inscription d'un acte transmettant les droits attachés à un brevet au registre national des brevets, n'est pas une condition de validité de l'acte mais a pour seul objet l'opposabilité de cette cession aux tiers".

Elle est, à nouveau, la parfaite démonstration que le droit fiscal est un droit de superposition : le Doyen Carbonnier (2) avait déjà évoqué cette distinction cardinale entre les droits substantiels (3) -dont le droit civil et le droit commercial- et les droits de mise en oeuvre.

A n'en pas douter, le droit fiscal fait partie de cette dernière catégorie si, toutefois, l'administration fiscale ne se méprend pas quant à l'interprétation du texte susvisé : à défaut d'une conception propre à la matière fiscale, il faut alors se référer au droit de la propriété intellectuelle qui n'accorde pas, à la formalité de l'article L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle, une portée autre que celle consacrée par la présente décision.

2. Rétroactivité de la loi fiscale

Si l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4) précise que la loi ne dispose que pour l'avenir, il n'aura échappé à aucun juriste que le législateur ne se prive pas d'adopter la solution inverse -spécifiquement en droit fiscal (4)- au nom de "l'intérêt général" (2.1). L'arrêt "Serras-Paulet" relance le débat quant à la portée de la rétroactivité en droit fiscal spécifiquement lorsque l'administration entend remettre en cause rétroactivement un avantage fiscal que le contribuable tient de la loi (2.2).

2.1. La légitimité de la rétroactivité en droit fiscal

C'est au nom de "l'intérêt général", notion pour le moins évanescente, que le législateur peut être amené à valider rétroactivement des actes administratifs. La rétroactivité est une bouée de sauvetage des autorités publiques en permettant un certain nombre de contorsions (5) afin de mettre un terme à des "incertitudes" (6) tenant aux conséquences financières issues d'une décision rendue par le juge de l'impôt. L'article 43 de la loi de finances rectificative pour 2004 (N° Lexbase : L5204GUB) est l'un des exemples les plus topiques : le Parlement mettra un terme à la jurisprudence du Conseil d'Etat adoptée moins de six mois auparavant quant à la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture sacrifiant ainsi les droits des contribuables au nom de l'équilibre budgétaire (7) (CE Contentieux, 7 juillet 2004, n° 230169, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SARL Ghesquière Equipement N° Lexbase : A0698DD9 ; V. note de J.-L. Pierre (8), Dr. fisc., 2005, comm. 302).

Les avis quant à la légitimité de la rétroactivité restent aujourd'hui très partagés : si certains auteurs tentent d'en justifier le concept (9) (A. Lievre-Gravereaux, La rétroactivité de la loi fiscale Une nécessité en matière de procédures, L'Harmattan, collection Finances publiques, 2007), d'autres y sont ouvertement hostiles (10).

Quelle que soit l'opinion adoptée par la doctrine, cette notion, souvent mal comprise par les contribuables, resurgit régulièrement lors des contentieux les opposant à l'administration fiscale : ainsi, quant au fait générateur -fixé au 31 décembre- de contributions sociales adoptées par le Parlement le 23 décembre 1998, il fut récemment jugé que l'administration était bien fondée à assujettir le contribuable à ces nouveaux prélèvements, quand bien même l'entreprise individuelle du requérant aurait clôturé ses comptes le 31 mai 1998 et qu'il n'avait pu alors en apprécier la portée, puisque ces derniers n'existaient pas encore dans l'ordonnancement juridique (CAA Nantes, 1ère ch., 1er octobre 2007, n° 06NT00623, M. et Mme Robert Cadiou N° Lexbase : A6182DZY).

C'est un exemple de ce que la doctrine appelle "la petite rétroactivité" (11), inhérente au régime d'adoption de nos lois de finances en France (Céline Bas, Le fait générateur de l'impôt, L'Harmattan, collection Finances publiques, 2007, p. 166).

Il est regrettable que la jurisprudence du juge de l'impôt administratif n'accepte pas de remettre en cause la rétroactivité de la loi fiscale au nom du principe de sécurité juridique issu du droit communautaire (CJCE, 11 juin 1991, aff. C-307/89, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A9342AUK), dès lors que les dispositions de la loi de finances ne constituent pas une mise en oeuvre du droit communautaire (CAA Paris, 2ème ch., 11 juillet 2003, n° 98PA01676, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Moet-Hennessy-Louis Vuitton (LVMH) N° Lexbase : A6120C9K ; CE Contentieux, 30 novembre 1994, n° 128516, Société civile immobilière Résidence Dauphine N° Lexbase : A3582ASH).

2.2. Le caractère rétroactif de la remise en cause d'un avantage fiscal obtenu par un contribuable qui cesse de remplir les conditions de son obtention ne peut résulter que de dispositions explicites de la loi

L'action de l'administration est loin de se limiter à "inviter" le législateur à adopter une loi rétroactive -parfois sous couvert d'une interprétation (12)- : elle peut également tenter, devant les juridictions, de remettre en cause rétroactivement un avantage fiscal que le contribuable tient de la loi.

Dans cette hypothèse, l'arrêt "Serras-Paulet" formule une réponse sans aucune équivoque possible : il ne peut y avoir de remise en cause à caractère rétroactif dès lors que la loi fiscale ne l'a pas explicitement formulée.

Par conséquent, "le contribuable qui cesse de remplir la condition prévue par cet article conserve le bénéfice de l'avantage fiscal obtenu les années qui précèdent celle au cours de laquelle il a cessé de remplir les conditions auxquelles est subordonné le bénéfice du régime des plus-values à long terme".

En effet, selon les dispositions combinées des articles 39 terdecies et 93 quater applicables aux faits de l'espèce, le régime de taxation forfaitaire de 16 % ne pouvait s'appliquer que si l'année de création de l'entreprise cessionnaire de la licence exclusive d'exploitation d'un brevet déposé par le contribuable, et les deux années suivantes, l'exploitation des droits concédés représentait au moins la moitié du chiffre d'affaires de l'entreprise.

Par conséquent, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas méconnu le droit dès lors qu'elle a constaté que cette condition relative au pourcentage de chiffre d'affaires n'était remplie qu'au titre de la première année de concession uniquement.

En effet, l'article 93 quater du CGI ne subordonnait pas l'avantage fiscal au respect des conditions susvisées pendant toute la période considérée. En d'autres termes, à défaut d'une disposition législative expresse, l'avantage fiscal perçu au titre de la première année n'avait pas à être remis en cause parce que le contribuable ne remplissait plus les conditions susvisées les deux années suivantes.

Il est sain que le Conseil d'Etat ait réservé la remise en cause d'un avantage fiscal à une position clairement affirmée en ce sens par le législateur : la volonté affichée par les autorités publiques, de faire évoluer les relations entre l'administration et les contribuables, commande de ne pas laisser ces derniers s'adonner aux arts divinatoires pour tenter de percer le mystère de la rédaction législative soulevé, a posteriori et à dessein, par l'administration fiscale.

  • Report en arrière des déficits : du bon exercice du carry-back (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 285588, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société anonyme Vérimédia N° Lexbase : A1488D3I)

Les entreprises françaises soumises à l'impôt sur les sociétés ont un choix à exercer quant à la gestion de leurs déficits : les reporter en avant sans limitation de durée depuis la loi de finances pour 2004 (13) (loi n° 2003-1311, art. 89 N° Lexbase : L6348DM3) ou les reporter en arrière depuis l'adoption de l'article 19 de la loi de finances pour 1985 codifié à l'article 220 quinquies du CGI (N° Lexbase : L3412HNP). A ce titre, l'entreprise peut imputer les déficits qu'elle constate sur les bénéfices des trois exercices précédents. Cette créance de carry-back, qui offre un certain nombre d'avantages par rapport au régime du report en avant des déficits, constitue une augmentation de l'actif net non imposable. Elle est alors imputable sur l'IS ou, au terme d'une période de cinq ans, peut être remboursée par le Trésor. La créance de carry-back peut également être mobilisée auprès d'un établissement financier dans certaines conditions (CGI ann. III, art. 46 quater-0 U N° Lexbase : L8526HLD, C. mon. fin., art. L. 313-23 N° Lexbase : L9256DYH à L. 313-35). La Haute juridiction administrative confirme l'illégalité de l'article 46 quater-0 S annexe III au CGI (N° Lexbase : L8523HLA) déjà relevée par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 3ème ch., 15 décembre 1994, n° 94PA00140, Ministre du budget c/ SA Drouet et Cie N° Lexbase : A9987BHD)

A la suite d'une remise en cause de l'exonération prévue au profit des entreprises nouvelles instituée par l'article 44 sexies du CGI (N° Lexbase : L4651HW8) dont s'était prévalue la société Vérimédia au titre des années 1991 et 1992, l'administration a procédé à la mise en recouvrement, le 31 décembre 1997, du supplément d'impôt découlant du redressement. La contribuable a alors formulé en janvier 1998 une option pour le carry-back portant sur le déficit de l'exercice 1994 sur les bénéfices rectifiés par l'administration fiscale des exercices 1991 et 1992.

Cette décision rendue après saisine de la juridiction d'appel (CAA Paris, 2ème ch., 29 mars 2006, n° 04PA03257, Société Vérimédia N° Lexbase : A3187DPQ ; CAA Paris, 2ème ch., 29 juin 2005, n° 04PA03257, Société Vérimédia N° Lexbase : A3716DKT) permet d'éclaircir deux aspects relevant du fond (1) et de la procédure (2).

1. La possibilité d'imputer un déficit en arrière sur des bénéfices issus d'un redressement : Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus...

L'article 220 quinquies du CGI n'ayant pas opéré de distinction entre les bénéfices déclarés par le contribuable et ceux issus d'un redressement -que ce soit au titre d'un rehaussement de bénéfices ou d'une remise en cause d'une exonération d'impôt (contra : TA Paris, 21 mars 2000, n° 95-4279, Société RDG Plus, RJF, 2000 n° 911)-, le Conseil d'Etat en tire la conséquence juridiquement exacte que la requérante était, sur le fond du droit, bien fondée à déposer une réclamation visant à reporter le déficit de l'année 1994 sur les résultats des années 1991 et 1992 devenus bénéficiaires à la suite du redressement notifié par l'administration fiscale (comp. : CAA Bordeaux, 3ème ch., 28 janvier 2003, n° 00BX02223, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Sodere N° Lexbase : A6723A77).

Cette solution, qui doit être approuvée, est comparable à celle admise par le Conseil d'Etat dans l'hypothèse où les déficits sont reportés en avant sur des bénéfices issus de résultats redressés par l'administration fiscale (14) (CE Contentieux, 29 octobre 1990, n° 51067, SARL Entreprise Rabadan N° Lexbase : A4659AQM).

2. Le dépôt de la réclamation dans les délais visés par l'article R. 196-1 du LPF ou R. 196-3 du LPF en fonction de l'objet de la reprise

Il est de jurisprudence constante que l'option pour le report en arrière des déficits est analysée comme étant une réclamation au sens de l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L5858HIS ; CE Contentieux, 30 juin 1997, n° 178742, Ministre délégué au Budget c/ Société anonyme Sectronic N° Lexbase : A0501AEB).

Cette réclamation doit, aux termes de l'article R. 196-1 du LPF (N° Lexbase : L6486AEX) être présentée au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. Mais, selon les dispositions de l'article R. 196-3 du LPF (N° Lexbase : L5551G4D), si le "contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations".

Quel texte alors appliquer ?

Pour la Haute juridiction, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit en déclarant recevable la réclamation de janvier 1998 sur le fondement de l'article R. 196-3 du LPF.

Evoquant et statuant au fond, le Conseil d'Etat estime, en effet, que c'est au regard de l'article R. 196-1 que la juridiction d'appel aurait dû se prononcer car l'objet de la réclamation de la contribuable ne portait que sur l'option pour le carry-back : elle ne visait pas à remettre en cause le redressement émis par l'administration. Le Haut conseil opère, ainsi, une distinction quant à l'objet de la réclamation qui différait de la procédure de redressement initiée par l'administration fiscale, ce qui justifiait l'application de l'article R. 196-1 du LPF au présent litige.

Par suite, la souscription de l'option pour le carry-back en janvier 1998, au titre des exercices alors considérés comme bénéficiaires à la suite du redressement mis en recouvrement le 31 décembre 1997, a bien été effectuée dans le délai de réclamation expirant, in casu, le 31 décembre 1999.

  • La possibilité d'amortir une marque acquise (CE 9° et 10° s-s-r., 28 décembre 2007, n° 284899, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, SA Domaine Clarence Dillon N° Lexbase : A2114D3P)

La question de l'amortissement des éléments d'actifs incorporels fait l'objet d'un contentieux nourri entre les contribuables et l'administration fiscale tant les enjeux financiers découlant de la valeur de ces actifs sont importants. La présente décision en est l'illustration et apporte une réponse inédite quant à la possibilité d'amortir une marque acquise.

La société anonyme Domaine Clarence Dillon a fait l'acquisition d'un vignoble et des marques viticoles qui y étaient attachées. A la suite d'une vérification de comptabilité, la contribuable a obtenu, devant la juridiction d'appel, la décharge du supplément d'impôt résultant de la réduction des dotations aux amortissements de plantations de vignes inscrites à l'actif de son bilan -et qui comprenait la valeur des marques- pour un montant jugé excessif par l'administration (CAA Bordeaux, 3ème ch., 28 juin 2005, n° 01BX01207, SA Domaine Clarence Dillon N° Lexbase : A1956DKN).

La cour administrative d'appel a considéré que le caractère incessible des marques viticoles, attachées aux plantations de vignes amortissables, s'opposait à leur valorisation. Pour les juges bordelais, ces marques viticoles ne pouvaient être dissociées en comptabilité et n'avaient, par conséquent, aucune valeur.

Prononçant la cassation et le renvoi de l'affaire devant la juridiction d'appel afin de déterminer "la valeur non amortissable pour laquelle la marque viticole attachée au domaine [...] doit être inscrite" (15) , le Conseil d'Etat estime, tout au contraire, qu'une "marque viticole acquise en même temps que l'exploitation viticole à laquelle elle est légalement attachée, confère à son propriétaire un droit d'usage exclusif et produit ses effets sans limitation de durée ; que, d'une part, eu égard à cette durée illimitée, au haut degré de protection et au gain de parts de marché qu'elle implique, une telle marque constitue un élément autonome [...] de l'actif incorporel de l'entreprise, alors même qu'elle n'est pas cessible par elle-même".

Cette décision est importante car elle admet le principe de l'amortissement d'une marque acquise, situation qu'il faut distinguer de la marque créée en interne (17), même si, au cas d'espèce, il ne pourra pas s'appliquer à une marque viticole acquise dès lors que le caractère prévisible de la fin des effets bénéfiques sur l'exploitation de l'entreprise ne pourra pas être déterminé. En effet, la requérante n'était pas en mesure de l'établir.

Si, par principe, seuls les actifs corporels peuvent faire l'objet d'une dépréciation du fait de leur usage ou du temps, il a été admis que les actifs incorporels étaient concernés dans la mesure où le contribuable pouvait apporter la preuve que leur durée d'exploitation, et les effets bénéfiques attachés, étaient limités dans le temps (CE Contentieux, 3 février 1989, n° 58260, Société anonyme Gaumont N° Lexbase : A0917AQZ). Plus récemment, la solution fut étendue aux autorisations de mise sur le marché d'une spécialité pharmaceutique (CE 3° et 8° s-s-r., 28 décembre 2005, n° 260450, Société Les Laboratoires du Docteur E. Bouchara N° Lexbase : A1816DM9 ; F. Dal Vecchio, Déduction d'une dotation aux amortissements relative aux droits d'exploitation de produits pharmaceutiques, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 février 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N3521AKM).

Les hypothèses ainsi visées par la Haute juridiction administrative dans la décision "SA Domaine Clarence Dillon" relatives à la possibilité d'amortir une marque acquise, dans les conditions relatées ci-dessus, trouveront à s'appliquer, notamment, pour des marques dont le cycle de vie économique est court et dont la valeur est inversement proportionnelle à l'effet du temps (18). Ainsi, la possibilité de renouveler à l'infini la protection légale de la marque conférée par son enregistrement (CPI, art. 712-1 N° Lexbase : L3714ADW) ne doit pas constituer un obstacle per se à son amortissement pourvu que le contribuable puisse "déterminer la durée prévisible durant laquelle la marque produira des effets bénéfiques sur l'exploitation".

Par ailleurs, la présente décision déroge sensiblement aux critères traditionnels de l'actif incorporel résultant de la désormais célèbre décision "SA Sife" (CE Contentieux, 21 août 1996, n° 154488, SA Sife N° Lexbase : A0686AP4 ; C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, collection Grands arrêts, 4ème édition, 2003, p. 510) : une immobilisation constituant une source régulière de profits, dotée d'une pérennité suffisante et susceptible de faire l'objet d'une cession.

En effet, s'agissant d'une marque acquise légalement attachée à l'exploitation d'un domaine viticole, le Haut Conseil juge que cette dernière est un élément autonome de l'actif incorporel de l'entreprise "alors même qu'elle n'est pas cessible par elle-même". La doctrine avait déjà émis l'idée selon laquelle les critères de l'immobilisation des actifs incorporels n'avaient pas tous la même portée : ainsi, le commissaire du Gouvernement, Emmanuelle Mignon, écrivait, dans ses conclusions relatives à la décision "Société la Chemise Lacoste" (CE 3° et 8° s-s-r., 20 février 2002, n° 221437, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société La Chemise Lacoste N° Lexbase : A1663AYA) que la notion de cessibilité ne constituait "un critère de l'immobilisation incorporelle que pour les concessions de marque et de brevets" (E. Mignon, Actif immobilisé : Indemnités conventionnelles relatives à l'usage d'une marque, RJF mai 2002, p. 362). Une étape supplémentaire vient d'être franchie puisque, s'agissant des marques viticoles acquises, la possibilité de les céder ou non est indifférente à la solution retenue par le Conseil d'Etat dans la présente décision ; ce qui ne signifie pas que le critère de cessibilité ait été abandonné dans les hypothèses autres que celles visées dans l'arrêt "SA Domaine de Clarence Dillon".


(1) Loi du 24 juillet 1966, anc. art. 372-1 (N° Lexbase : L6245AHR) ; aujourd'hui : C. com., art. L. 236-3 (N° Lexbase : L6353AI7).
(2) J. Carbonnier, Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10ème édition, 2001, p. 406
(3) Aussi appelés droits matériels ou droits de fond.
(4) Aucun principe ni règle de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce qu'une disposition fiscale ait un caractère rétroactif : Cons. const., 29 décembre 1984, n° 84-184 DC (N° Lexbase : A8098ACW).
(5) Il existe des limites (Cons. const., 30 décembre 1997 n° 97-395 DC N° Lexbase : A8445ACR) : l'intérêt général, la non-rétroactivité des lois répressives plus dures, le respect des décisions de justice passées en force de chose jugée même si la loi de validation n'a pas réservé le cas des décisions passées en force de chose jugée (CE 3° et 8° s-s-r., 28 mai 2003, n° 238255, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Commune de Saint-Martin-d'Hères N° Lexbase : A0311DAR ; CE Contentieux, 6 avril 1998, n° 133985, Ministre du Budget c/ SARL Courcelles Investissements N° Lexbase : A6978ASA) et, enfin, la définition stricte de la portée de la rétroactivité juridique (Cons. const., 7 février 2002, n° 2002-458, Loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française N° Lexbase : A2232AZP).
(6) "Noël Chahid-Nouraï, conseiller d'Etat, relevait justement qu'il est troublant de lire l'exposé des motifs des dispositions rétroactives et des validations dans les projets de loi de finances. Elles sont souvent présentées par cette formule rituelle : 'il s'agit de mettre un terme à certaines incertitudes nées à la suite d'un arrêt', qui manque d'honnêté", J. Turot, Moins de laine ou moins de moutons ?, in La rétroactivité de la loi fiscale face au principe de la sécurité juridique, Dr. fisc. numéro hors série novembre 1996, p. 5.
(7) "[...] il ne faut pas se cacher que la nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat exerce un impact budgétaire très important. [...] l'administration fiscale a évalué à 3 milliards d'euros en base le montant annuel de la perte possible" : P. Marini, Rapport n° 114 (2004-2005) fait au nom de la commission des finances du Sénat, article 34.
(8) "Dans une première phase, de nature jurisprudentielle, le respect des garanties du contribuable l'emporte sur la préservation des intérêts financiers de l'Etat. [...] Dans une seconde phase, le législateur, à la demande du Gouvernement, efface assez largement les effets de l'évolution de la jurisprudence. Moins de six mois après la décision de la Haute Assemblée, le législateur intervient, pour des raisons budgétaires, afin d'écarter à peu près totalement les effets de celle-ci".
(9) "Les lois rétroactives provoquent l'hostilité des praticiens de la fiscalité et de la doctrine. Il faut dédramatiser le débat et ne pas regarder la rétroactivité comme une perversion du droit fiscal. [...] Il s'est donc agi d'établir à l'aide d'exemples relatifs à la procédure d'imposition et de recouvrement que les lois rétroactives sont justifiées. En effet, ces dernières tendent à assurer la sécurité juridique tant des contribuables que de l'administration fiscale puisqu'elles vont au moins sur un point perfectionner le droit", 4ème de couverture.
(10) "[...] les avocats ou conseils spécialisés en droit fiscal sont unanimes à dénoncer les conditions d'application dans le temps des lois fiscales françaises : aux yeux de leurs clients étrangers, la rétroactivité des lois fiscales donne à la France, cet Etat de droit' des discours officiels, l'image d'une République bananière", O. Fouquet, La rétroactivité des lois fiscales, Rev. adm. 1994, p. 140 cité par F. Douet, Radiographie de la France fiscale, D. 2005, p. 1241.
(11) "[...] la loi de finances n'est pas considérée comme rétroactive puisqu'elle ne s'applique pas à une situation définitivement fixée', faute pour le fait générateur de l'impôt d'être constitué. Cette rétroactivité de fait' de la loi fiscale, justifiée par le fait qu'elle permet au Parlement d'équilibrer, sans décalage dans le temps, les dépenses qu'il vote, est depuis longtemps vivement critiquée car elle crée une incertitude économique pour le contribuable qui peut finalement se voir appliquer une loi fiscale différente de celle en vigueur au moment où il a effectué une opération", Céline Bas, op. cit. p. 167.
(12) Cependant, la Cour de cassation veille : une loi tendant à substituer de nouvelles conditions d'imposition n'a pas de caractère interprétatif : Cass. com., 7 avril 1992, n° 89-20.418, Mme Pavie c/ Directeur général des Impôts (N° Lexbase : A4010AB7).
(13) Antérieurement, le report des déficits ne pouvait se faire que sur les cinq exercices suivant celui au titre duquel ils étaient constatés.
(14) "Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39 B et 209-I 3ème alinéa du CGI que les amortissements réputés différés en période déficitaire s'imputent sur le premier exercice bénéficiaire y compris dans le cas où cet exercice, d'abord déficitaire, dans la déclaration du contribuable, devient bénéficiaire du fait de rehaussements apportés par l'administration à ses résultats ou à ceux d'exercices antérieurs".
(15) Selon le Conseil d'Etat, cette valorisation se fera soit, avant toute chose, par évaluation directe soit, en cas d'impossibilité, "par différence entre le coût total d'acquisition de l'exploitation et celui des autres éléments dont le coût est connu".
(16) Comp. : CE Contentieux, 1er octobre 1999, n° 177809, Ministre de l'Economie et des Finances c/ Société Foncia Particimo venant aux droits de la SA Franco-Suisse de Gestion N° Lexbase : A4893AXI, "qu'il résulte de ces dispositions qu'un élément d'actif incorporel identifiable, y compris un fonds de commerce, ne peut donner lieu à une dotation à un compte d'amortissement que s'il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition par l'entreprise, que ses effets bénéfiques sur l'exploitation prendront fin à une date déterminée ; qu'en outre, cet élément d'actif incorporel, lorsqu'il fait partie des éléments constitutifs d'un fonds de commerce et qu'il est représentatif d'une certaine clientèle attachée à ce fonds, ne peut donner lieu à une dotation spécifique d'amortissement que si, en raison de ses caractéristiques, il est dissociable à la clôture de l'exercice des autres éléments représentatifs de la clientèle attachée au fonds".
(17) S'agissant d'une marque créée en interne, l'instruction 4 A-13-05 du 30 décembre 2005 (N° Lexbase : X5228ADY) précise que : "Le 3 de l'article 311-3 du PCG prévoit que les dépenses engagées pour créer en interne notamment des marques ne doivent pas être comptabilisées en tant qu'immobilisations incorporelles, dans la mesure où ces dépenses ne peuvent pas être distinguées du coût de développement de l'activité dans son ensemble. Il en va de même des coûts ultérieurement engagés relatifs à ces dépenses internes. Du point de vue fiscal, les coûts de cette nature, notamment les frais de recherche d'antériorité et de dépôt de marque à l'INPI ou de renouvellement liés aux marques développées en interne, doivent également être déduits immédiatement en charges. La doctrine antérieure est par conséquent rapportée".
(18) Nous pensons à certains jeux ou jouets qui font fureur auprès de nos "chères têtes blondes" pendant un laps de temps très court.

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