La lettre juridique n°294 du 28 février 2008

La lettre juridique - Édition n°294

Éditorial

L'acte d'enfant sans vie sans condition

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N2286BEE

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle "Presse"

Le 27 Mars 2014


Lors de la remise de son rapport annuel le 20 février dernier, le Médiateur de la République avait émis, parmi ses priorités pour 2008, le souhait de voir instituer un état civil pour les enfants nés sans vie et un congé de paternité dans ce cas précis. Si, pour ce dernier point, c'est désormais chose faite avec la publication, le 11 janvier 2008, d'un décret et d'un arrêté précisant la liste des éléments à fournir pour bénéficier de ce congé, parmi lesquels figure l'acte d'enfant sans vie, la Cour de cassation, par trois arrêts rendus le 6 février dernier, énonce que l'acte d'enfant sans vie est établi sans condition de poids, ni de durée de gestation. L'acte d'enfant sans vie est une création de la loi du 8 janvier 1993 qui prévoit qu'un tel acte doit être dressé à défaut de certificat médical attestant la vie et la viabilité, sans préjuger de ces faits, qui relèvent de la compétence du juge. L'objectif de cette mesure est d'aider les parents à surmonter cette terrible épreuve, pour les enfants ne remplissant pas les conditions d'accès à la personnalité juridique. Sans avoir les conséquences juridiques d'un acte de naissance, il permet aux parents de lui donner un prénom, et de réclamer le corps pour procéder à des funérailles, chose impossible avant cette loi puisque le foetus était assimilé à un déchet organique et traité comme tel. Dans la pratique, et depuis 2001, une circulaire interministérielle, intégrée à l'Instruction générale de l'état civil, se fondant sur l'idée que l'acte d'enfant sans vie est destiné aux enfants à naître qui n'ont pas vécu, mais qui étaient suffisamment développés pour être viables, limitait l'acte d'enfant sans vie aux enfants nés vivants mais non viables et aux enfants mort-nés après un terme de 22 semaines d'aménorrhée ou ayant un poids de 500 grammes et plus, en référence au seuil de viabilité défini par l'Organisation mondiale de la santé. Par ces trois arrêts la Cour de cassation, sans remettre en cause ni l'interruption volontaire de grossesse -bien que la presse généraliste se faisant l'écho de certaines associations, soit pro soit anti avortement, ait pu laisser penser le contraire-, ni l'absence de personnalité juridique de l'enfant à naître, fait application de l'adage ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus. Pour être plus précis, l'article 79-1 du Code civil ne pose aucune condition de développement du foetus pour l'établissement d'un acte d'enfant sans vie, ainsi, soit l'enfant est né vivant et viable avant de mourir et c'est attesté par un médecin, via un certificat médical, et un acte de naissance est dressé, soit tel n'est pas le cas et un acte d'enfant sans vie est établi. Dans son avis, l'Avocat général, M. Legoux, demandait la cassation des arrêts déférés afin de mettre en lumière les imprécisions du Code civil et d'inviter, en conséquence, le législateur à se saisir de cette question.

Pour faire le point sur la portée de ces trois arrêts, les éditions juridiques Lexbase vous proposent, cette semaine, de lire l'analyse de Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV qui préconise l'adoption d'un décret pour définir la notion de viabilité et pour, tant qu'à faire, préciser quelques notions incertaines de la circulaire de 2001 concernant l'établissement de la filiation ou encore l'inhumation.

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Rel. individuelles de travail

[Doctrine] Atelier Droit du travail et Nouvelles technologies (Partenariat ADIJ - Commissions ouvertes du Barreau de Paris) : Actualité sur la cybersurveillance

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N1994BEL

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par Christine Baudoin, Avocat associé, LMT Avocats, spécialiste en droit social et Aurélie Smadja, DEA droit social et syndical, Université Paris X Nanterre

Le 07 Octobre 2010

En vertu du lien de subordination unissant l'employeur et le salarié, et, en particulier, du pouvoir de direction de l'employeur qui en découle, ce dernier bénéficie d'un pouvoir de contrôle de l'activité de ses salariés. Ce pouvoir de surveillance doit être mis en perspective avec deux évolutions majeures.


La première évolution est celle de l'entreprise et du travail. En effet, la surveillance, à l'heure du travail immatériel dans une société de l'information et de la communication, ne peut plus être traitée de la même manière que lorsqu'il appartenait au contremaître de s'assurer que le travail des ouvriers était effectué correctement. Aujourd'hui "le salarié n'est plus sous les ordres de quelqu'un. Il est surveillé par la machine, à la limite par lui-même, par tous et par personne" (1). La cybersurveillance donne donc à l'employeur une puissance théorique de contrôle (2) bien supérieure à celle qu'il était susceptible d'exercer auparavant. En effet, la cybersurveillance recouvre deux types de contrôles :


- "Cybersurveiller", c'est contrôler l'activité du salarié grâce et par le biais des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Sont, ici, visés le développement des procédés de vidéosurveillance, de contrôle d'accès à l'entreprise, en particulier par des procédés de biométrie, et de géo-localisation.


- Mais "cybersurveiller", c'est, également, contrôler l'outil de travail, ainsi que ces conditions d'utilisation. Il s'agit alors pour l'employeur de contrôler l'utilisation que fait le salarié du téléphone (autocommutateurs, systèmes d'écoutes téléphoniques) et, surtout, de l'outil informatique (utilisation d'internet, courriers électroniques, fichiers informatiques...)


La seconde évolution est celle des droits et libertés individuelles, qui se sont progressivement affirmés et enrichis, de sorte qu'aujourd'hui, la vie privée du salarié est protégée au sein même de l'entreprise. Avec la numérisation de l'information, se développe un important risque d'accès indu à cette information que l'entreprise cherche à minimiser. A cette fin, elle met en place des dispositifs de surveillance des systèmes informatiques, dispositifs qui sont susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles de ses salariés. La CNIL, notamment, à travers son rapport relatif à la cybersurveillance sur les lieux de travail des 5 février 2002 et 18 décembre 2003 (mis à jour en mars 2004), a influé grandement sur le législateur et les juges, qui élaborent donc progressivement un régime de la cybersurveillance, avec pour ligne directrice la nécessaire conciliation des risques en termes de sécurité de l'accès à l'information et de la protection de la vie privée des salariés.


I. Le régime légal de la cybersurveillance


A. Les règles procédurales encadrant la cybersurveillance : le principe de transparence


Il s'agit de s'assurer que le contrôle que va exercer l'employeur ne se fait pas à l'insu des salariés.


Obligation de l'employeur vis-à-vis des représentants du personnel : consultation préalable du CE


L'employeur a l'obligation d'informer le comité d'entreprise avant de mettre en oeuvre des traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci (C. trav., art. L. 432-2-1, al.2 N° Lexbase : L6403AC7).


En vertu de l'article L. 432-2, alinéa1er, du Code du travail (N° Lexbase : L6402AC4), le comité d'entreprise doit, également, être consulté préalablement à tout projet important d'introduction de nouvelles technologies, lorsqu'elles sont susceptibles d'avoir des conséquences sur l'emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel.


Enfin, il doit l'informer et le consulter "préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des employés"" (C. trav., art. L. 432-2-1).


Le comité d'entreprise peut, donc, via ces procédures, "donner son avis sur la pertinence et sur la proportionnalité entre les moyens techniques utilisés et le but recherché par l'entreprise". (Circ. DRT, 15 mars 1993 N° Lexbase : L2670HDA).


Obligation de l'employeur vis-à-vis des salariés : information préalable du salarié


Cette obligation est posée par l'article L. 121-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5450ACT), qui dispose "qu'aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à un emploi". Cette obligation découle plus largement de l'obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail. De la même manière, la CNIL précise que les salariés doivent être informés individuellement et préalablement de la mise en place d'un dispositif de cybersurveillance.


Les salariés doivent, notamment, être informés des objectifs poursuivis par le dispositif, des destinataires des données et des modalités d'exercice de leur droit d'accès, de rectification et d'opposition.


Enfin, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que "si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés" (3) et précise qu'il en va ainsi même lorsque le dispositif est matériellement visible (4).


Comment satisfaire à cette obligation d'information ?

En l'absence de précisions jurisprudentielles, cette information doit pouvoir se faire par note de service distribuée à l'ensemble du personnel, attenante à la feuille de paie, ou apparaître sur l'écran de l'ordinateur au moment de son démarrage. Le simple affichage dans l'entreprise ne semble pas, en revanche, suffire.

Nous verrons que d'autres outils, négociés ou définis unilatéralement au niveau de l'entreprise, doivent permettre de satisfaire, également, à cette obligation. Certains d'entre eux seraient même à privilégier dans la perspective d'une meilleure information des salariés.


Obligation de déclaration à la CNIL


La loi du 6 janvier 1978 (loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS), modifiée par la loi du 6 août 2004 (loi n° 2004-801 du 6 août 2004, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel N° Lexbase : L0722GTW), impose de déclarer à la CNIL toute mesure de collecte et de traitement d'informations nominatives.


Ainsi, lorsque l'entreprise met en place des logiciels permettant de surveiller les connexions des salariés à internet ou bien lorsqu'elle organise un système d'écoutes téléphoniques, elle doit faire une déclaration à la CNIL. En revanche, la mise en place d'enregistrements de vidéosurveillance ne nécessite pas d'effectuer une telle déclaration, ces enregistrements n'étant pas considérés comme des informations nominatives. Cette déclaration peut se faire sur le site internet de la CNIL. Les entreprises ayant désigné un Correspondant Informatique et Libertés en sont dispensées.


B. La recherche d'un équilibre entre nécessité de surveillance de l'activité des salariés et respect des libertés individuelles : le principe de proportionnalité


Pour que le système de cybersurveillance mis en place dans l'entreprise soit licite, le contrôle exercé par l'employeur doit poursuivre un intérêt légitime. Par exemple : exigence de sécurité, nécessité d'éviter un usage abusif de l'informatique à des fins personnelles, surveillance d'un poste de travail dangereux...


Le dispositif de cybersurveillance envisagé doit, également, respecter le principe de proportionnalité. Ce principe trouve sa source dans l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI). L'application de la règle de proportionnalité implique un triple examen : critère de pertinence (il s'agit de se demander si le moyen choisi est bien propre à atteindre le but visé) ; critère de nécessité (ne peut-on pas atteindre le même objectif avec un moyen plus respectueux de la liberté ?) ; critère de proportionnalité (les effets de la mesure ne sont-ils pas disproportionnés par rapport au résultat escompté ?)


La proportionnalité s'apprécie par rapport aux libertés fondamentales et, notamment, au droit au respect de la vie privée. Ce droit est affirmé et protégé par l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR).


Mais que recouvre réellement le droit à la vie privée au travail ?


Dans un cadre où l'utilisation des nouvelles technologies est généralisée, il devient difficile de différencier ce qui relève de la vie professionnelle et ce qui appartient à l'intimité de la vie privée du salarié.


- S'agissant des informations révélées par courrier électronique, l'arrêt "Nikon" (5) a posé comme principe que "le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur".


Deux conditions doivent être réunies pour bénéficier du droit au respect du secret des correspondances s'agissant des courriers électroniques. D'une part, on ne peut parler de correspondances qu'en présence de deux personnes identifiables. Le principe ne s'applique donc pas à la consultation de site internet. D'autre part, pour bénéficier de cette protection, les courriers électroniques doivent être clairement identifiés comme étant personnels. Certaines juridictions du fond ont déjà considéré que les messages intitulés "photos de vacances" ou "enfants" étaient des messages identifiés comme personnels.


- S'agissant des informations révélées par l'ordinateur, il convient de se demander si l'employeur est libre d'examiner le contenu de l'ordinateur du salarié. La Cour de cassation a décidé que tout document ou fichier non identifié comme personnel est présumé professionnel et peut donc être ouvert par l'employeur hors de la présence de l'intéressé.


Cette solution a été récemment appliquée dans un arrêt du 16 mai 2007 (7). Au visa des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, 9 du Code civil et L. 120-2 du Code du travail, la Cour décide que "les fichiers dont le contenu était reproché au salarié n'avaient pas été identifiés par lui comme personnels, ce dont il résultait que l'employeur pouvait en prendre connaissance sans qu'il soit présent ou appelé". La Cour de cassation réserve, toutefois, à l'employeur la possibilité de procéder à l'ouverture des fichiers personnels du salarié figurant dans le disque dur de l'ordinateur "en présence du salarié ou celui-ci dûment appelé" (8). Cette exigence est une application du principe du contradictoire.


Mais, si le salarié refuse, après convocation effective, de se présenter, l'employeur peut, alors, procéder à l'ouverture des fichiers. Pour éviter le risque d'un contentieux, l'employeur doit se ménager des preuves de cette convocation. Il est, également, souhaitable de se faire accompagner par des témoins qui ne relèvent pas de la direction. Pour paralyser toute contestation, l'employeur peut aussi solliciter du juge des requêtes une mesure d'instruction préventive, en application de l'article 145 du NCPC (N° Lexbase : L2260AD3). La Cour de cassation a récemment admis que l'employeur puisse demander au juge qu'il désigne un huissier aux fins d'accéder au contenu de l'ordinateur mis à la disposition du salarié, y compris à ses courriers personnels (9). Toutefois, pour être recevable, l'employeur doit justifier de motifs légitimes et la mesure être nécessaire à la protection de ses droits.


C. Sanctions encourues par l'employeur en cas de non-respect du régime légal de la cybersurveillance


Sanctions pénales : délit d'entrave en cas de non-consultation du comité d'entreprise, délit d'atteinte à la vie privée, sanction très lourde en cas de non-respect des formalités de déclaration à la CNIL, puisque l'employeur s'expose à une peine d'emprisonnement de 5 ans et d'une amende de 300 000 euros (C. pén., art. 226-16 N° Lexbase : L4476GTX).


Sanction civile : l'employeur peut être condamné au paiement de dommages-intérêts en fonction du préjudice subi par le salarié.


Illicéité de la preuve : risque, dans l'hypothèse où une sanction a été prise par l'employeur sur la base d'agissements fautifs du salarié établis grâce au procédé de cybersurveillance, que la preuve soit considérée comme illicite devant les juridictions civiles et soit écartée des débats.


Ainsi, l'employeur ne peut prendre connaissance des messages personnels d'un salarié et la preuve issue d'une telle intrusion dans la vie privée de l'employé est illicite.


II. La recherche d'un équilibre dans l'utilisation des différents dispositifs de cybersurveillance


A. Contrôle de l'outil de travail et de ses conditions d'utilisation


S'agissant des contrôles de l'utilisation des outils informatiques, tels que le contrôle de l'usage d'internet, le contrôle des courriers électroniques et des fichiers informatiques, l'employeur peut y procéder s'il respecte les conditions d'information, de consultation et de déclaration énoncées précédemment. Le critère qui va déterminer si l'employeur peut, ou non, accéder aux informations dont le support est informatique est celui de l'identification du courriel ou du fichier informatique comme étant "personnel".


En toute hypothèse :

L'utilisation de la messagerie et d'internet par le salarié doit rester raisonnable : elle ne doit pas porter atteinte au bon fonctionnement de l'entreprise. Ainsi, la Chambre sociale de la Cour de cassation approuve la cour d'appel de Paris, à propos de fichiers informatiques qui n'avaient pas été identifiés par le salarié comme étant personnel, d'avoir "retenu que le stockage, la structuration, le nombre conséquent de ces fichiers et le temps dès lors consacré à eux par le salarié attestaient d'une méconnaissance, par lui, de son obligation d'exécuter les fonctions lui incombant en utilisant le matériel dont il était doté pour l'accomplissement de ses tâches, et a pu en déduire que ce comportement empêchait son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et constituait une faute grave, peu important une absence, sur un tel point, de mise en garde, de charte informatique ou de règlement intérieur" (10).


L'entreprise conserve le droit, sous réserve du respect des obligations précédemment énoncées, d'exercer un contrôle global sur l'activité des salariés en installant un dispositif de filtrage afin d'interdire l'accès à certains sites, évaluation des flux de messages entrants et sortants, ouverture de fichiers professionnels...


L'utilisation que fait le salarié de sa messagerie doit être licite. Cela pose le problème de la tenue, par le salarié dans ses courriels, de propos injurieux, diffamatoires, racistes ou antisémites. La Cour de cassation a jugé, à cet égard, que le fait pour un salarié d'utiliser la messagerie électronique de l'entreprise pour émettre, dans des conditions permettant d'identifier l'employeur, un message électronique contenant des propos antisémites est, nécessairement, constitutif d'une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise (11).


Concernant le contrôle de l'utilisation des téléphones fixes et portables sur les lieux de travail, la CNIL a défini une procédure de déclaration simplifiée pour le traitement des données relatives à l'utilisation des téléphones fixes et portables sur les lieux de travail. Cette déclaration simplifiée s'applique aux traitements mis en oeuvre pour gérer la dotation en matériel téléphonique et la maintenance du parc téléphonique, pour gérer l'annuaire téléphonique interne, pour gérer techniquement la messagerie interne de l'entreprise, gérer le remboursement des services téléphoniques utilisés à titre privé par les employés, et pour maîtriser les dépenses liées à l'utilisation des services de téléphonie.


Sont, en revanche, exclus, tous les traitements incluant la mise en place d'un dispositif permettant l'écoute ou l'enregistrement d'une communication, ou la localisation d'un salarié à partir de l'usage de son téléphone mobile. Dans ce cadre, peuvent seules être collectées et traitées les données liées à l'identité de l'utilisateur du service de téléphonie, sa situation professionnelle et l'utilisation faite des services de téléphonie (numéro appelé, service utilisé, opérateur appelé, durée, date et heure de l'appel).


L'écoute et l'enregistrement des conversations téléphoniques sur le lieu de travail sont a priori interdits. Ils constituent même un délit pénal, compte-tenu des risques d'atteinte à la vie privée des salariés. Toutefois, une écoute ou un enregistrement ponctuels des conversations téléphoniques sont possibles dans des cas limités et pouvant être justifiés et selon des modalités strictement encadrées : elles ne peuvent être réalisées qu'en cas de nécessité reconnue et doivent être proportionnées aux objectifs poursuivis. Ainsi, il est possible de procéder à des enregistrements de conversations téléphoniques dans un but de formation et de contrôle.


En toute hypothèse, l'employeur devra, dans un souci de transparence, respecter les prescriptions relatives à l'information des salariés. C'est à cette seule condition que la preuve issue d'enregistrements de conversations téléphoniques sera licite.


Les fichiers de journalisation permettent, quant à eux, d'identifier et d'enregistrer toutes les connexions et tentatives de connexion à un système automatisé d'information dans le but de garantir une utilisation normale des ressources des systèmes d'information. Ils n'ont pas, en principe, à faire l'objet d'une déclaration à la CNIL, excepté lorsqu'est mis en place un logiciel d'analyse des différents journaux, permettant de collecter des informations individuelles poste par poste, destiné à contrôler l'activité des utilisateurs.


B. Contrôle de l'activité des salariés


Contrôle des salariés par vidéosurveillance


S'agissant de l'installation d'un système de vidéosurveillance, une condition supplémentaire vient s'ajouter à celles précédemment évoquées. En effet, la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité, dite "Loi Pasqua" (N° Lexbase : L8331AIE), prévoit, en son article 10, que l'installation d'un système de vidéosurveillance dans un lieu ouvert au public exposé à des risques particuliers d'agression ou de vol est subordonnée à une autorisation préfectorale. Il s'agira, tout particulièrement, des centres commerciaux, des stations-service, des banques et des bijouteries.


Les demandes d'autorisation sont soumises à une commission départementale composée de cinq membres : un magistrat, un membre du tribunal administratif, un maire, un représentant de la Chambre de commerce et d'industrie et une personne qualifiée choisie par le préfet. La durée de conservation des enregistrements est fixée par l'autorisation, dans la limite d'un mois. Le silence gardé pendant 2 mois vaut décision de rejet. Lorsqu'elle est donnée, l'autorisation est valable pour 5 ans (12).


De façon générale, la mise en place du système de vidéosurveillance ne doit pas avoir pour seul but le contrôle de l'activité des salariés et les enregistrements effectués à l'insu du salarié ne constituent pas un mode de preuve licite. Toutefois, l'employeur peut mettre en place des procédés de surveillance sans en informer au préalable le comité d'entreprise et les salariés dans les locaux où les salariés ne travaillent pas. Ainsi, est licite la preuve issue d'un système de vidéosurveillance installé par l'employeur dans un entrepôt de marchandises (13) ou dans des locaux auxquels les salariés n'ont pas accès (14).


Le décret n° 2007-916 du 15 mai 2007 a créé une Commission nationale de la vidéosurveillance (N° Lexbase : L5527HXY). Cette commission a un rôle d'avis, d'orientation et de contrôle concernant le développement de la vidéosurveillance. A l'heure où le nombre de caméras sur la voie publique va être considérablement augmenté, cette commission devra être garante des libertés : liberté individuelle, droit à l'intimité de la vie privée, droit à l'image, droit à l'oubli, transparence.


Contrôle des salariés par biométrie


Le juge judiciaire est très réticent à admettre le contrôle des salariés par biométrie : ce mode de contrôle ne peut se justifier que par une finalité sécuritaire ou protectrice de l'activité exercée dans les locaux identifiés. Opérant un contrôle de proportionnalité sévère, le TGI de Paris décide que l'utilisation d'empreintes digitales afin d'assurer un contrôle du temps de travail met en cause le corps humain et porte atteinte aux libertés individuelles (15).


La position de la CNIL a évolué. Elle s'est prononcée de manière défavorable à l'égard de la mise en place de systèmes de contrôle du temps de travail par reconnaissance d'empreintes digitales ou de l'iris de l'oeil, en l'absence d'impératifs sécuritaires incontestables (16). En revanche, la CNIL a autorisé la mise en place de dispositifs d'accès à des locaux reposant sur la reconnaissance du contour de la main (17). Le critère retenu par la CNIL pour autoriser un tel dispositif réside dans le fait que ce type de biométrie (contour de la main) ne laisse pas de traces permettant l'identification des personnes.


Dans une communication du 28 décembre 2007 (18), la CNIL a précisé les principaux critères sur lesquels elle se fonde pour autoriser ou refuser le recours à des dispositifs reposant sur la reconnaissance des empreintes digitales avec stockage sur un terminal de lecture-comparaison ou sur un serveur.


Les dispositifs, qui doivent être fondés "sur un fort impératif de sécurité", doivent satisfaire aux quatre exigences suivantes :

- la finalité du dispositif doit être limitée au contrôle de l'accès d'un nombre limité de personnes à une zone bien déterminée, représentant ou contenant un enjeu majeur dépassant l'intérêt strict de l'organisme, tel que la protection de l'intégrité physique des personnes, de celle des biens et des installations ou encore de celles de certaines informations ;

- le système doit être proportionné à la finalité préalablement définie eu égard aux risques qu'il comporte en matière de protection des données à caractère personnel ;

- le dispositif doit permettre à la fois une authentification et/ou une identification fiable des personnes comportant toutes garanties de sécurité pour éviter la divulgation de données ;

- l'information des personnes concernées doit être réalisée dans le respect de la loi Informatique et Libertés, et, le cas échéant, du Code du travail.


Géo-localisation des véhicules des salariés


Les systèmes de GPS permettent aujourd'hui un contrôle permanent des véhicules fournis aux salariés. De tels dispositifs peuvent être installés à des fins de gestion d'activité (transport, livraison...) mais, aussi, pour contrôler l'activité des salariés (analyse des déplacements, parcours, horaires...). Une déclaration doit être faite à la CNIL qui se charge de vérifier le respect des principes relatifs à la protection des données personnelles. De manière générale, l'utilisation de ces procédés de géo-localisation doit se faire dans le strict respect du principe de proportionnalité.


Contrôle des salariés par la mise en place de dispositifs d'alerte éthique


De plus en plus d'entreprises conçoivent et adoptent des "chartes éthique" qui parfois mettent en place des systèmes d'alerte éthique. Ces systèmes concernent des initiatives des salariés dans le cadre de la lutte contre la corruption et, de façon plus générale, contre la délinquance dans l'entreprise. Les salariés sont libres de dénoncer, ou non, des actes répréhensibles dont ils auraient connaissance. Les systèmes d'alerte sont encadrés par la loi et placés sous la surveillance des juges.


La CNIL a admis un régime simplifié de déclaration de ces systèmes, en vue de permettre aux entreprises cotées en bourse aux Etats-Unis de respecter les dispositions de la loi dite "Sarbanes-Oxley" (c'est uniquement pour les traitements mis en oeuvre dans les domaines comptable et de l'audit). Lorsque le système d'alerte dépasse ces domaines, il y a lieu de respecter les dispositions de la loi du 6 janvier 1978. Les dispositions du Code du travail relatives à l'information des salariés et à la consultation du CE doivent évidemment être respectées.


Actualité sur les dispositifs d'alerte éthique : TGI Nanterre, 19 octobre 2007, Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT / Dassault Systèmes (19)


La société a mis en place une charte éthique, intitulée "Code of Business Conduct", qui comprend un dispositif d'alerte s'appliquant non seulement à tout manquement sérieux en matière comptable, financière ou de lutte contre la corruption, "mais, également, en cas de manquement grave aux autres principes décrits par ledit code lorsqu'est mis en jeu l'intérêt vital du groupe DS ou l'intégrité physique ou morale d'une personne (notamment en cas d'atteinte aux droits de propriété intellectuelle, de divulgation d'informations strictement confidentielles, de conflit d'intérêt, de délit d'initié, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel)".


Le tribunal a recherché si le dispositif instauré était contraire aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978. Il décide, alors, que "la notion de manquements graves aux principes décrits dans le Code of Business Conduct', lorsqu'est mis en jeu l'intérêt vital du groupe DS ou l'intégrité physique ou morale d'une personne apparaît trop vaste ; que la mise en place par un employeur d'un dispositif destiné à organiser auprès de ses employés le recueil de données personnelles concernant les faits contraires aux règles de l'entreprise ou à la loi imputables à leurs collègues de travail doit rester très limitée dans la mesure où elle pourrait dégénérer en système organisé de délation professionnelle, qu'en effet un tel dispositif est susceptible d'encourager les dénonciations calomnieuses et de porter atteinte gravement aux salariés visés par des alertes en les stigmatisant ; qu'à cet égard, il sera relevé que la protection des droits de propriété intellectuelle, de la confidentialité, des intérêts de l'entreprise et du marché boursier, des victimes de discrimination ainsi que de harcèlement moral ou sexuel peut être assuré par d'autres moyens qu'un dispositif d'alerte, que, dès lors, l'extension du dispositif d'alerte à de tels faits apparaît disproportionné aux objectifs poursuivis [...]".


C. Le rôle des administrateurs informatiques


Les administrateurs de réseaux ont pour rôle de veiller à ce que le système fonctionne normalement et à la sécurité des réseaux. Ils sont donc naturellement amenés à accéder à l'ensemble des informations sur les utilisateurs (messageries, connexions à internet...). Ils ont généralement les moyens de prendre le contrôle du poste en lieu et place de l'utilisateur. Ils sont tenus au secret professionnel et sont soumis à une obligation de discrétion professionnelle. Toutefois, il convient de rappeler cette obligation de confidentialité dans le contrat de l'administrateur.


La CNIL précise donc "qu'aucune exploitation à des fins autres que celles liées au bon fonctionnement et à la sécurité des applications des informations, dont les administrateurs de réseaux peuvent avoir connaissance dans l'exercice de leurs fonctions, ne saurait être opérée, d'initiative ou sur ordre hiérarchique". En toute hypothèse, les conditions d'intervention des administrateurs de réseaux doivent être portées à la connaissance des employés au titre de l'obligation de transparence.


D. L'utilisation des TIC par les instances représentatives du personnel et les syndicats


Depuis la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), les organisations syndicales peuvent accéder à l'intranet et à la messagerie de l'entreprise à condition d'avoir préalablement négocié et conclu un accord d'entreprise. La finalité du traitement, fixée par l'accord d'entreprise, doit être strictement respectée.


Les employés doivent pouvoir exercer leur droit d'opposition à l'envoi de tout message syndical sur leur messagerie professionnelle. Les salariés doivent donc être informés préalablement de l'accord conclu et des modalités d'exercice de leur droit d'opposition. Ils doivent pouvoir exercer ce droit à tout moment, et, à ce titre, ce droit doit leur être rappelé dans chaque message. La CNIL préconise que l'intitulé de ces messages fasse clairement apparaître leur nature syndicale. Les échanges entre les employés et les organisations syndicales étant confidentiels, la CNIL considère que l'employeur ne doit pas pouvoir exercer de contrôle sur les listes de diffusion ainsi constituées.


III. Les outils permettant d'encadrer conventionnellement la cybersurveillance : règlement intérieur, charte informatique et code de conduite, accord collectif de travail


A. Encadrer la cybersurveillance par le règlement intérieur


Le contenu du règlement intérieur est strictement défini par la loi. Ainsi, il ressort de l'article L. 122-34 du Code du travail (N° Lexbase : L5547ACG) que "le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement :

- les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, et notamment les instructions prévues à l'article L. 230-3 (N° Lexbase : L5947ACA) ; ces instructions précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d'utilisation des équipements de travail, des équipements de protection individuelle, des substances et préparations dangereuses ; elles doivent être adaptées à la nature des tâches à accomplir ;

- les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la sécurité et de la santé des salariés dès lors qu'elles apparaîtraient compromises ;

- les règles générales et permanentes relatives à la discipline, et, notamment, la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur.

Il énonce, également, les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés, tels qu'ils résultent de l'article L. 122-41 (N° Lexbase : L5579ACM) ou, le cas échéant, de la convention collective applicable.

Il rappelle les dispositions relatives à l'abus d'autorité en matière sexuelle, telles qu'elles résultent notamment des articles L. 122-46 (N° Lexbase : L5584ACS) et L. 122-47 (N° Lexbase : L5585ACT) du présent code.

Il rappelle également les dispositions relatives à l'interdiction de toute pratique de harcèlement moral".


Il s'agit donc de se demander si l'employeur peut insérer dans le règlement intérieur les normes qu'il aurait définies afin d'encadrer la cybersurveillance. Il semble bien que l'encadrement de la cybersurveillance touche à la fois aux conditions d'utilisation des équipements de travail et à la problématique de la sécurité au travail. En outre, la cybersurveillance concourt au respect des règles générales de discipline dans l'entreprise.


Le règlement intérieur peut donc contenir des dispositions relatives à la cybersurveillance dans l'entreprise. Il convient de rappeler que les dispositifs qu'il va prévoir et/ou encadrer doivent respecter le principe de proportionnalité. On peut, ainsi, y trouver des clauses relatives au contrôle électronique, à l'utilisation non professionnelle des PC, de l'internet, de l'intranet et de la messagerie électronique de l'entreprise, à la confidentialité des données de l'entreprise.


Cet outil est-il réellement efficace ? Quels intérêts présente-t-il ?


Le règlement intérieur présente l'avantage d'être un acte unilatéral laissant, ainsi, à l'entreprise la complète initiative en matière d'élaboration des normes. L'avis des représentants du personnel est requis sans que, toutefois, leur accord soit nécessaire. De plus, une fois qu'il a donné lieu à information des représentants du personnel et de l'inspecteur du travail ainsi qu'aux formalités de dépôt et de publicité, il s'impose automatiquement et est pleinement opposable aux salariés, sans avoir à rechercher si ce dernier y a souscrit lors de son engagement.


L'employeur est, ainsi, admis à sanctionner le salarié en cas de non-respect des dispositions du règlement intérieur concernant la cybersurveillance, sous réserve, toutefois, que les dispositifs de contrôle élaborés par le règlement intérieur aient bien fait l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL. Le règlement intérieur constitue donc un outil approprié à la mise en place d'un certain nombre de règles relatives à la cybersurveillance dans l'entreprise. Toutefois, il demeure un outil incomplet. En effet, il ne permet pas de brasser l'ensemble de la réglementation de l'entreprise en matière de TIC et, plus particulièrement, de cybersurveillance.


B. La charte informatique : un outil spécifique à la gestion des TIC


Pour éviter les litiges, l'employeur peut fixer dans un document les conditions d'usage des outils informatiques dans l'entreprise. Ce document permet de fixer les règles internes de déontologie et de sécurité relatives à l'utilisation de l'informatique et des réseaux. Il permet, également, de répondre à l'exigence légale d'information, dès lors que le document a été porté à la connaissance des salariés et de leurs représentants.


La charte doit répondre aux objectifs suivants : assurer l'information des salariés utilisateurs de l'outil informatique (mesures de contrôle notamment) ; sensibiliser les salariés aux exigences de sécurité ; attirer leur attention sur les comportements de nature à porter atteinte à l'intérêt de l'entreprise.


Selon la CNIL, qui recommande la rédaction de telles "chartes" ou "codes de conduite", pour être efficaces, ces documents doivent présenter des vertus pédagogiques et ne pas se limiter au cumul de prohibitions de toutes sortes.


Nature de la charte : note de service ou annexe au règlement intérieur ?


Le choix du support doit être guidé par le principe de proportionnalité. Ce choix est très important dans la mesure où il va déterminer la valeur juridique, donc le degré d'opposabilité du document aux salariés. La charte peut, ainsi, revêtir la forme d'une simple note de service ou, au contraire, être adjointe au règlement intérieur. Quel que soit le support choisi, et bien qu'elle n'ait pas la nature ni la valeur d'un accord collectif de travail, la charte doit être le fruit d'une concertation préalable entre l'employeur et les salariés de l'entreprise ou leurs représentants. C'est à cette condition uniquement qu'elle pourra déployer ses vertus pédagogiques.


Etapes de mise en place de la charte d'utilisation des outils informatiques


- Consultation des représentants du personnel : consultés à trois titres : art. L. 432-2 (N° Lexbase : L6402AC4), art. L. 432-2, alinéa 3, consultation du CHSCT (cf. avis de la CNIL "les incidences d'une surveillance électronique sur la vie du salarié dans l'entreprise, sur l'idée qu'il se fait de la confiance qu'on lui accorde et sur l'estime de soi pourraient conduire à conférer une responsabilité particulière en ce domaine, au CHSCT afin que ces questions puissent être évoquées périodiquement" (20) ;

- Information préalable du personnel ;

- Formalités de dépôt ;

- Déclaration auprès de la CNIL.


Contenu de la charte


Les contraintes mises en place par la charte et les intérêts protégés par cette dernière doivent se balancer pour respecter le principe de proportionnalité.


La charte devra comprendre, outre les moyens mis en place par l'employeur pour contrôler l'activité des salariés (traçabilité, contrôle d'accès, utilisation de certificats électroniques, processus d'horodatage, statut de l'administrateur réseau...), les infractions répréhensibles comme telles avec les sanctions correspondantes, ainsi que les moyens de preuves. Cependant, la charte ne pourra prévoir tous les cas d'infractions au règlement. Aussi doit-elle laisser une marge de manoeuvre à l'employeur, pour adapter les sanctions conformément aux stipulations de la charte et au règlement intérieur de l'entreprise.


Les principales clauses que l'on trouve dans une charte informatique sont les suivantes : utilisation des outils informatiques de la société (mot de passe, accès au réseau, existence d'un correspondant CNIL, rappel que les outils informatiques sont avant tout destinés à un usage professionnel) ; utilisation de la messagerie professionnelle ; utilisation des fichiers informatiques ; utilisation d'internet ; utilisation des logiciels ; procédure d'alerte ; contrôle et sauvegarde de données.


L'efficacité de la charte


Le non-respect des dispositions de la charte autorise l'employeur à sanctionner le salarié en cause. Toutefois, les juges exigent que l'employeur rapporte la preuve que les salariés ont effectivement eu connaissance du contenu de la charte. Pour satisfaire à cette obligation, l'employeur peut envoyer la charte par courrier électronique ou par intranet, ce moyen ayant été reconnu comme un moyen de communication dans l'entreprise. Quelles sanctions l'employeur peut-il prendre à l'encontre du salarié qui contreviendrait aux dispositions de la charte ?


Un récent arrêt de la cour d'appel de Lyon nous offre un exemple de licenciement pour faute fondé sur le non-respect des dispositions d'une charte informatique (21). La cour décide, ainsi, que constitue une faute et justifie un licenciement, le fait pour un salarié d'avoir téléchargé des logiciels extra professionnels à caractère pornographique sur son ordinateur professionnel, alors que cela était prohibé par la charte informatique signée par le salarié et que ce dernier avait précédemment fait l'objet d'un blâme pour les mêmes faits. En l'espèce, le salarié a été engagé en qualité de médecin par la croix rouge française, il a été promu chef de service et a été licencié pour non-respect des principes de base de la charte informatique de la croix rouge française en téléchargeant des logiciels prohibés. La charte prévoyait, en effet, la possibilité pour l'employeur d'effectuer des contrôles et vérifications réguliers des outils informatiques ; la maintenance et le contrôle de ces outils qui ont été confiés à une société extérieure qui a établi que le salarié naviguait couramment sur des sites pornographiques et qu'un lien était possible entre la consultation de ces sites extra professionnels et un incident informatique survenu. Il s'ensuit que le salarié n'a pas respecté la charte signée par lui-même et a, ainsi, commis une faute, constituant une récidive de celle lui ayant valu un blâme précédemment, qui justifie son licenciement pour une cause réelle et sérieuse.


C. Négocier la cybersurveillance dans l'entreprise


La négociation des outils d'encadrement conventionnel de la cybersurveillance avec les syndicats représentatifs présente l'avantage de placer le salarié au coeur même du processus de définition des droits et devoirs en matière de cybersurveillance : il va, ainsi, pouvoir s'approprier les objectifs et les enjeux de ces questions.


Pour être efficace, cette négociation doit, nécessairement, avoir un caractère préalable à toute mise en place de système de cybersurveillance et collectif. Employeur et organisations syndicales vont, ainsi, rechercher un accord, non pas sur le principe du contrôle des salariés et de l'utilisation qu'ils font de l'outil informatique, mais sur les modalités et finalités de ce contrôle.


Dans la mesure où la cybersurveillance des salariés influe sur l'organisation du travail et touche aux libertés individuelles des salariés, il s'agit de privilégier une logique de sécurité et de prévention plutôt qu'une logique de sanction.


(1) Gérard Lyon-Caen, Les libertés publiques et l'emploi, Rapport pour le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle, décembre 1991, La Documentation Française.
(2) Jean-Emmanuel Ray, Organiser la Cybersurveillance, Les Cahiers du DRH, n° 115, novembre 2005.
(3) Cass. soc., 22 mai 1995, n° 93-44.078, Société Manulev service c/ M. Salingue, (N° Lexbase : A4033AAM), Bull. civ. V, n° 164.
(4) Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.937, Mme Claude Aymard c/ Cabinet Regimbeau (N° Lexbase : A4308ATQ), Bull. civ. V, n° 168.
(5) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Société Nikon France c/ M. Frédéric Onof (N° Lexbase : A1200AWD), voir, notamment, J.-E. Ray, Courrier privé et courriel personnel, Dr. Soc., novembre 2001, p. 915.
(6) Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.025, M. Jérémy Le Fur, F-P+B (N° Lexbase : A9621DRR), JCP éd. S, 2006, 1946, note J.-Y. Frouin.
(7) Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-43.455, M. Patrick Eve, F-D (N° Lexbase : A2484DWW).
(8) Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017, M. Philippe Klajer c/ Société Cathnet-Science, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2997DIT).
(9) Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818, Société Datacep c/ M. Lionel Hansart, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3963DWP), v., notamment, Stéphane Beal et Anna Ferreira, Accès aux messages électroniques personnels du salarié, JCP éd. S, 2007, 1537.
(10) Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-43.455, préc..
(11) Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-45.269, M. Marc X... c/ Société Spot image SA (N° Lexbase : A5260DCS).
(12) Décret n° 96-926 du 17 octobre 1996, JO 20 octobre 1996 ; circulaire du 22 octobre 1996 (N° Lexbase : L7964HG3), relative à l'application de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (décret sur la vidéosurveillance), JO 7 décembre 1996, p. 17835.
(13) Cass. soc., 31 janvier 2001, n° 98-44.290, M. Alaimo c/ Société Italexpress (N° Lexbase : A2317AIN), Bull. civ. V. n° 28.
(14) Cass. soc., 19 avril 2005, n° 02-46.295, M. Patrick Lembert c/ Société Immodef, F-P+B (N° Lexbase : A9552DHA), Bull. civ. V. n° 141.
(15) TGI Paris, 1ère ch., sect. soc., 19 avril 2005, n° 05-003.82.
(16) Délib. CNIL n° 04-018, 8 avril 2004.
(17) Délib. CNIL n° 2005-169, 2005-185 et 2005-186, 5 juillet 2005.
(18) Communication de la CNIL relative à la mise en oeuvre de dispositifs de reconnaissance par empreinte digitale avec stockage dans une base de données du 28 décembre 2007, JCP éd. G, n° 2, 9 janvier 2008, act. 29.
(19) Ph. Waquet, Règlement Intérieur, charte d'éthique et système d'alerte A propos du jugement du 19 octobre 2007 du TGI de Nanterre, Semaine Sociale Lamy, 12 novembre 2007 n° 1328.
(20) La cybersurveillance sur les lieux de travail, Rapp. CNIL 5 février 2002, mise à jour 18 décembre 2003.
(21) CA Lyon, 26 janvier 2007.

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Social général

[Textes] Présentation de la loi du 13 février 2008, relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi

Réf. : Loi n° 2008-126 du 13 février 2008, relative à la réforme du service public de l'emploi (N° Lexbase : L8051H3L)

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N2376BEQ

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Dès les années 1970, de nombreux rapports et études (1) convergeaient vers la nécessité d'un rapprochement entre les institutions françaises chargées du placement (ANPE) et celles chargées de l'indemnisation (Unédic, Assédic). L'instauration d'un "guichet unique" a marqué la première étape d'une efficacité accrue dans le service rendu aux chômeurs. De même, ANPE et Unédic avaient conclu de nombreuses conventions qui formalisaient cette volonté de travailler ensemble (2). La loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 N° Lexbase : L6384G49) a, certes, réformé le service public de l'emploi, mais la dynamique n'était pas celle d'un rapprochement, mais, au contraire, celle d'un éclatement, puisque de nouveaux intervenants (agences privés d'emploi, entreprises de travail temporaire) rejoignaient le cercle des acteurs du service public de l'emploi (3). La loi n° 2008-126 du 13 février 2008 modifie, au contraire, en profondeur l'organisation du service public de l'emploi, en procédant à la fusion de l'ANPE et de l'Unédic, en une institution nationale publique ayant pour mission de faciliter le placement des demandeurs d'emploi, d'assurer le service de l'allocation d'assurance chômage et d'étudier le marché du travail (4). Cette institution nationale agit en collaboration avec les instances territoriales intervenant dans le domaine de l'emploi, en particulier les maisons de l'emploi, ainsi qu'avec les associations nationales et les réseaux spécialisés d'accueil et d'accompagnement. La loi n° 2008-126 est une première étape essentielle de la réforme du service public de l'emploi. La mise en place du nouvel opérateur devrait permettre de resserrer les liens avec les différents réseaux spécialisés d'accueil et d'accompagnement des demandeurs d'emploi (missions locales, Apec, réseaux "Cap emploi" ou maisons de l'emploi). Au-delà de la réforme des structures, la fusion des réseaux opérationnels de l'ANPE et de l'Unédic simplifiera les démarches des demandeurs d'emploi et permettra d'offrir une gamme de prestations complète et unifiée à tous les demandeurs d'emploi, indemnisés ou non, et de déployer davantage d'agents au service des usagers.

I. Fusion de l'ANPE et de l'Unédic

A. Une nouvelle institution (encore innomée)

Le rapport "Ortoli" (5) préconisait, dès 1967, la création d'un office national de l'emploi, chargé de la gestion des services de placement et d'orientation, de la gestion de la formation professionnelle des adultes et, enfin, de la gestion des actions du fonds national de l'emploi (FNE). Il aura donc fallu plus de quarante ans pour que le législateur et les partenaires sociaux parviennent à un accord pour refondre les institutions françaises chargées du placement et de l'indemnisation. Le législateur consacre, ainsi, le principe d'une création d'une nouvelle institution issue de la fusion de l'ANPE et du réseau opérationnel de l'assurance chômage (C. trav., art. L. 311-7, nouv.).

  • Le statut : une "institution nationale publique"

La loi n° 2008-126 fixe, en ces termes, le statut juridique du nouvel opérateur : il s'agit d'une institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière (C. trav., art. L. 311-7, nouv.). Dans le Code du travail en vigueur, l'ANPE est définie comme un établissement public national doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière, tandis qu'il est indiqué que la gestion de l'assurance chômage est confiée, par les partenaires sociaux, à un ou des organismes de droit privé, l'Unédic et les Assédic étant, en conséquence, des associations.

  • Les missions

La définition des missions de la nouvelle institution recouvre l'ensemble des tâches effectuées jusqu'alors par l'ANPE et les Assédic, à l'exception du recouvrement des cotisations d'assurance chômage, qui est transféré aux Urssaf. Par ailleurs, l'Unédic subsiste en tant que gestionnaire du régime d'assurance chômage, de même que n'est pas modifié le principe d'une fixation, par voie conventionnelle, au plan national et interprofessionnel, des modalités d'indemnisation du chômage et de financement de cette indemnisation. Le recouvrement des cotisations comme le service des allocations seront assurés respectivement par les Urssaf et par la nouvelle institution pour le compte de l'Unédic.

Les missions du nouvel opérateur sont donc la prospection du marché du travail, la collecte des offres d'emploi, l'aide et le conseil aux employeurs pour les pourvoir et la mission d'intermédiation ; la participation à la lutte contre les discriminations à l'embauche et pour l'égalité professionnelle ; l'accueil et l'accompagnement des personnes inscrites, ainsi que la prescription d'actions en leur faveur ; la gestion administrative de la liste des demandeurs d'emplois (inscription, mise à jour de celle-ci, contrôle de la recherche d'emploi (6) ; le versement des allocations d'assurance chômage (pour le compte de l'Unédic), des allocations de solidarité, telles que l'allocation de solidarité spécifique et les primes d'intéressement au retour à l'activité que peuvent percevoir les bénéficiaires de cette allocation (pour le compte du fonds de solidarité et de l'Etat), missions actuellement assurées par les Assédic ; le recueil et l'exploitation de données statistiques ; la gestion pour le compte de l'Etat de contrats aidés et de divers dispositifs d'aides ou aux prestations assurées au bénéfice des départements pour aider à la remise à l'emploi des bénéficiaires du RMI (C. trav., art. L. 311-7, nouv.).

B. Mise en oeuvre de la fusion ANPE-Unédic

  • La gouvernance

La loi n° 2008-126 (C. trav., art. L. 311-7-1 à L. 311-7-4, nouv.) prévoit que la nouvelle institution sera administrée par un conseil d'administration et un directeur général, ce dernier étant nommé par l'Etat (par décret) après avis du conseil d'administration. Sauf en matière budgétaire, le conseil d'administration a un rôle d'orientation générale, le directeur général préparant ses délibérations et les exécutant. Le conseil d'administration, qui élira le président de l'institution en son sein, comportera 18 membres : cinq représentants de l'Etat, cinq représentants des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, cinq représentants des organisations patronales répondant au même critère, deux personnalités qualifiées désignées par le ministre chargé de l'emploi et un représentant des collectivités territoriales (C. trav., art. L. 311-7-2, nouv.).

La composition de ce nouvel organisme est proche de celle de l'actuel conseil de l'ANPE (19 membres, soit un président, cinq représentants de l'Etat, cinq représentants des organisations de salariés, cinq représentants de celles d'employeurs et trois représentants des collectivités territoriales). Elle est plus resserrée que celle des conseils d'autres organismes (30 à 35 membres du conseil pour les différentes caisses nationales de Sécurité sociale et 50 pour l'Unédic). Elle instaure un équilibre des collèges Etat/organisations d'employeurs/organisations de salariés qui rend compte du principe de tripartisme. Elle ne comporte pas de représentation des personnels de l'institution.

  • La présentation et l'élaboration du budget

Le budget de la nouvelle institution comporte (C. trav., art. L. 311-7-5, nouv.) quatre sections non fongibles et présentées en équilibre, consacrées à l'assurance chômage, au régime de solidarité (ASS et autres allocations de solidarité) et, enfin, au fonctionnement, à l'intervention et à l'investissement (cette troisième section constituant le véritable budget de la nouvelle institution). Devront apparaître clairement les transferts opérés depuis les ressources d'indemnisation du chômage (cotisations d'assurance chômage) pour le financement du fonctionnement et des politiques actives de la nouvelle institution (dans la continuité du financement actuel par l'assurance chômage du réseau Assédic et des diverses mesures d'activation). Les partenaires sociaux pourront contrôler ces flux. Les décisions relatives au budget, aux emprunts et aux encours maximaux de trésorerie devront être prises par le conseil d'administration à la majorité des deux tiers des présents (C. trav., art. L. 311-7-3, nouv.). La fraction des cotisations d'assurance chômage, qui sera transférée à la nouvelle institution, sera déterminée dans le cadre de la convention d'assurance chômage, donc par les seuls partenaires sociaux. Cette fraction ne pourra être inférieure à 10 % de la collecte opérée par l'Unédic (C. trav., art. L. 354-1, nouv.).

  • Le recouvrement des cotisations d'assurance chômage confié aux Urssaf

La loi n° 2008-126 confie aux Urssaf le recouvrement des cotisations d'assurance chômage, ainsi que des cotisations dues au titre de l'assurance de garantie des salaires. Il est précisé que les cotisations chômage seront recouvrées et contrôlées selon les règles et sous les garanties et sanctions applicables au recouvrement des cotisations du régime général de la Sécurité sociale, le contentieux afférent étant transféré aux tribunaux des affaires de Sécurité sociale. Une période transitoire est prévue : le transfert de la mission de recouvrement s'effectuera à une date fixée par décret, au plus tard le 1er janvier 2012. Ce transfert aux Urssaf présente des avantages : simplification des obligations des employeurs, qui ne devraient plus avoir qu'une déclaration et un paiement à effectuer, à la fois, pour les cotisations de sécurité sociale et celles d'assurance chômage ; compte-tenu de la très grande proximité des métiers et des règles de recouvrement des cotisations du régime général de Sécurité sociale et de l'assurance chômage, la réunion des deux missions permettra des économies d'échelle, un seul circuit se substituant à deux.

  • Le personnel

L'article 2 de la loi n° 2008-126, qui comprend les dispositions permanentes relatives à la nouvelle institution issue de la fusion de l'ANPE et du réseau opérationnel de l'assurance chômage, pose le principe que ses agents seront régis par le Code du travail, donc de droit privé, et, dans ce cadre, par une convention collective (C. trav., art. L. 311-7-7, nouv.). Cette convention collective comportera les stipulations, notamment, en matière de stabilité de l'emploi et de protection à l'égard des influences extérieures, nécessaires à l'accomplissement de la mission des personnels. Les statuts actuels des 28 500 agents de l'ANPE et 14 000 salariés (titulaires fin 2006) de l'assurance chômage sont très différents : si les seconds sont des salariés de droit privé, les premiers sont, en grande majorité, des contractuels de droit public à durée indéterminée, régis par le décret n° 2003-1370 du 31 décembre 2003 (décret fixant les dispositions applicables aux agents contractuels de droit public de l'Agence nationale pour l'emploi N° Lexbase : L2444HEA). La transition conduira, à terme, au statut unique de droit privé régi par une convention collective ad hoc.

II. Autres changements institutionnels et matériels

A. Changements institutionnels : création du conseil national de l'emploi

  • Le Conseil national de l'emploi

En créant un Conseil national de l'emploi (C. trav., art. L. 311-1-1, nouv.), la loi institue une structure assez différente du Comité supérieur de l'emploi que ce conseil remplacera (7). Cette instance sera placée auprès du ministre en charge de l'Emploi, quand le Comité supérieur de l'emploi est défini comme chargé d'assister le ministre chargé du Travail. Le conseil comprendra, comme le comité supérieur, des représentants des organisations professionnelles d'employeurs et de travailleurs, des administrations intéressées et des collectivités territoriales, mais il sera élargi, aussi, à des personnalités qualifiées et aux principaux opérateurs du service public de l'emploi (trois d'entre eux étant nommés : la nouvelle institution issue de la fusion de l'ANPE et des Assédic, l'assurance chômage et l'AFPA) (C. trav., art. L. 311-1-1, nouv.).

Le nouveau conseil voit sa mission, également consultative, mieux définie : il concourt à la définition des orientations stratégiques des politiques de l'emploi et veille à la mise en cohérence des actions des différentes institutions et organismes du service public de l'emploi et à l'évaluation des actions engagées. A cette fin, il émet un avis sur les projets de loi, d'ordonnance et de décret relatifs à l'emploi, la convention pluriannuelle d'objectifs et de gestion Etat / assurance chômage (Unédic) / nouvelle institution issue de la fusion de l'ANPE et des Assédic et l'agrément de la convention d'assurance chômage.

  • Les conseils régionaux de l'emploi et les instances paritaires régionales

La loi établit une instance paritaire au niveau régional de la nouvelle institution issue de la fusion de l'ANPE et des réseaux opérationnels de l'assurance chômage. Cette instance sera composée paritairement de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives au plan national et interprofessionnel ; elle aura pour rôle de veiller à l'application de la convention d'assurance chômage et sera consultée sur les interventions de l'institution (C. trav., art. L. 311-1-1, nouv.). Cette instance s'inscrit dans la continuité des conseils d'administration des Assédic, dont elle reprend la composition, et permettra l'association des partenaires sociaux, au niveau territorial, à la mise en oeuvre des politiques de l'emploi.

B. Changements relatifs à la prise en charge des chômeurs et salariés licenciés

  • Sanctions pénales à l'encontre des organisateurs de fraudes à l'assurance chômage

Le législateur a rétabli la possibilité de sanctionner pénalement les organisateurs de fraudes à l'assurance chômage (dans les mêmes conditions que les bénéficiaires de ces fraudes), que la loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 (loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux N° Lexbase : L8128HHI) a supprimée par erreur (C. trav., art. L. 365-1, nouv.).

S'agissant de l'assurance chômage, le montant des seules fraudes organisées (c'est-à-dire les opérations reposant sur des documents faux ou usurpés, des sociétés fictives, des faux chômeurs par centaines), en cours de traitement contentieux, a été estimée par l'Unédic, en décembre 2006, à 140 millions d'euros, et ce, consécutivement aux travaux d'une mission d'information de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur les moyens de contrôle de l'Unédic et des Assédic (8).

  • Prolongation de l'expérimentation du contrat de transition professionnelle

La loi prolonge jusqu'au 1er décembre 2008 l'expérimentation en cours du contrat de transition professionnelle. Selon les travaux parlementaires, ce dispositif donne de bons résultats et il serait dommage de l'abandonner alors que les négociations sur les nouvelles modalités de sécurisation des parcours professionnels et d'indemnisation du chômage ne déboucheront pas avant décembre 2008, échéance qui correspond à l'expiration de la convention d'assurance chômage en vigueur.

Le processus de fusion entre ANPE et Unédic est loin d'être finalisé et les travaux parlementaires témoignent que de nombreuses questions restent ouvertes : débat sur l'appellation ; question du statut ; enjeux liés à la gouvernance nationale de la nouvelle institution ; interrogations concernant le budget de la nouvelle institution ; questions relatives à la gouvernance régionale ; reconnaissance nécessaire du rôle fédérateur des maisons de l'emploi ; prise en compte du rôle de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ; conditions de l'élaboration du premier budget du nouvel opérateur ; conditions de la mise à disposition du nouvel opérateur des biens du réseau des Assédic ; promotion d'un statut fédérateur qui assure une transition respectueuse des attentes des personnels.

Comme l'a rappelé si justement la Cour des comptes (9), cette fusion ANPE-Unédic n'a de sens que dans la réalisation d'un objectif d'amélioration du service rendu aux usagers (employeurs, demandeurs d'emploi) et, surtout, d'un accompagnement renforcé des demandeurs d'emploi, priorité sur laquelle converge de nombreux travaux (10).


(1) P. Lacarrière et M.-T. Join-Lambert, Rapport relatif à l'Agence nationale pour l'emploi et au service public de l'emploi, Inspection générale des finances/Inspection générale des affaires sociales, octobre 1989 ; B. Brunhes, Un service public de l'emploi pour les années 1990, rapport au commissaire au Plan, mars 1989 ; J. Mattéoli, Rapport au Premier ministre sur les obstacles structurels à l'emploi, septembre 1993 ; J. Marimbert, Rapport au ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité sur le rapprochement des services de l'emploi, janvier 2004, la Documentation française.
(2) Convention ANPE-Unédic du 23 juillet 1983, dite convention Gide ; convention ANPE-Unédic du 4 juillet 1996, relative à la gestion des opérations d'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi par les Assedic (N° Lexbase : L1977BGC) ; convention ANPE-Unédic du 8 juin 1988, relative à l'exploitation du fichier unique des demandeurs d'emploi (avenant n° 1, 18 mars 1999, JO du 20 juin 1999 ; Directive Unédic n° 30-99) ; convention ANPE-Unédic du 13 juin 2001, relative à la mise en oeuvre du plan d'aide au retour à l'emploi et du projet d'action personnalisé (N° Lexbase : L5176BEG).
(3) Ch. Willmann, La réforme du service public de l'emploi par la loi de cohésion sociale : une évolution prévisible, TPS, avril 2005, étude n° 6, p. 8 ; Sénat Rapport n° 32 (2004-2005) de L. Souvet et V. Létard, 20 octobre 2004 ; Assemblée Nationale, 18 novembre 2004, Rapport n° 1930, T. 1, F. de Panafieu et D. Dord ; Avis n° 1920, Assemblée Nationale, 16 novembre 2004, par. A. Joyandet ; J. Bastide, D. Bourdeaux, H. Brin et C. Larose, Avis, Conseil économique et social, 2004, disponible sur le site internet du Conseil économique et social.
(4) Y. Rousseau, Sur la fusion de l'ANPE et des Assédic, Dr. soc., 2008, p. 151.
(5) F.-X. Ortoli, Rapport sur les conséquences sociales de l'évolution des structures de l'économie, 1967.
(6) La nouvelle rédaction des articles L. 311-7, L. 351-17 et L. 351-18 du Code du travail confie ce contrôle aux seuls agents de la nouvelle institution, le pouvoir de prononcer, ensuite, une sanction financière restant, en revanche, du seul ressort des services de l'Etat, comme c'est le cas aujourd'hui.
(7) D. Tian, Rapport d'information n° 600, Assemblée Nationale, XIIIème législature, 15 janvier 2008.
(8) D. Tian, Rapport d'information n° 3529, Assemblée nationale, XIIème législature, 19 décembre 2006.
(9) Cour des comptes, Rapport public annuel, 2008 ; Ch. Willmann, La gestion du chômage-placement par l'Etat sous le contrôle de la Cour des comptes (Rapport 2008), Lexbase Hebdo n° 293 du 21 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N2048BEL).
(10) N. Grivel et D. Méda, Rapport sur les prestations et services d'accompagnement des demandeurs d'emploi - comparaisons internationales Suède, Pays-Bas et Royaume-Uni, Centre d'études de l'emploi n° 41 et IGAS, RM 2007-169P, octobre 2007.

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Social général

[Jurisprudence] Prescription des actions en paiement et en répétition des sommes indûment payées : bientôt l'éclaircie ?

Réf. : Cass. soc., 13 février 2008, n° 06-14.386, ASSEDIC Aquitaine c/ M. Jean Descamps, F-D (N° Lexbase : A9186D4Y)

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N2175BEB

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La question de la prescription des actions en remboursement de sommes indûment versées divise aujourd'hui les chambres de la Cour de cassation, la Chambre sociale persistant dans son désir d'assurer à la prescription quinquennale des salaires l'application la plus large. Un arrêt inédit rendu par la Chambre sociale, en date du 13 février 2008, relance le débat en consacrant le principe de distinction des prescriptions des actions en paiement et en remboursement, dans une affaire qui opposait un salarié aux ASSEDIC (I). Cet arrêt devrait, du moins peut-on l'espérer, conduire la Chambre sociale à rentrer dans le rang, en attendant la réforme du droit de la prescription (II).
Résumé

Est soumise à la prescription de trente ans l'action d'un salarié en remboursement de sommes indûment reversées sur mise en demeure de l'ASSEDIC, dans la mesure où cette action ne s'analyse pas en une action en paiement d'allocation d'assurance chômage, mais en une action en répétition de l'indu, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats.

Commentaire

I. Le principe de distinction des prescriptions des actions en paiement et en remboursement

  • Problématique des actions en répétition de l'indu

Les salariés perçoivent de leur employeur un salaire, et, plus largement, une rémunération, ainsi qu'un certain nombre de prestations servies soit par la Sécurité sociale, au titre des assurances sociales ou du régime d'indemnisation des victimes de dommages professionnels, soit par les ASSEDIC, au titre de l'assurance chômage. La technicité des règles applicables au calcul des droits des salariés entraîne fréquemment des erreurs qui peuvent se traduire par la perception de cotisations inexistantes ou le versement de prestations sociales indues. Indépendamment de la question des conditions de fond de la restitution de ces sommes, qui a été réglée en 1993 par la suppression de la preuve du caractère erroné du versement des sommes par le solvens à l'accipiens (1), se pose la délicate question de la prescription de ces actions et de la concurrence qui peut exister entre la prescription trentenaire, de droit commun, et les courtes prescriptions prévues par des textes spéciaux.

  • Actions en remboursement engagées par les salariés contre les organismes sociaux

Une difficulté est née lorsque les actions en répétition opposent des salariés aux organismes sociaux.

La plupart du temps, ce sont les organismes sociaux qui versent indûment des prestations sociales et qui en réclament, ensuite, le remboursement aux salariés.

Ce remboursement s'opèrera assez souvent directement par la compensation avec les sommes restant dues aux assurés, dans des proportions fixées par des dispositions particulières.

Les organismes peuvent, également, agir directement contre les bénéficiaires de ces paiements indus. Logiquement, la jurisprudence a considéré que ces actions en répétition devaient être prescrites selon les règles du droit commun, c'est-à-dire dans le cadre du délai de trente ans de l'article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) (2), à tout le moins avant la réforme intervenue par la loi du 17 juillet 2001 (loi n° 2001-624, portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel N° Lexbase : L1823ATP), qui ramenait la prescription des actions engagées par l'ASSEDIC à trois ans (3), délai porté à dix ans en cas de fraude ou de fausse déclaration de l'assuré (4).

Parfois, ces actions en remboursement peuvent être exercées directement par les salariés qui réclameront, alors, soit le remboursement de cotisations indûment perçues, soit le remboursement de... remboursements injustifiés, comme c'était le cas dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 13 février 2008.

  • Faits de l'espèce

Un chômeur avait perçu une allocation d'assurance chômage à compter du 20 août 1993 et jusqu'au mois de mai 1995. Le 23 juin 1995, l'ASSEDIC l'avait mis en demeure de lui restituer des sommes correspondant aux allocations perçues à tort entre le 20 août 1993 et le 30 septembre 1994, en application de l'article 50 du règlement annexé à la Convention d'assurance chômage du 1er janvier 1994 (N° Lexbase : L1601DPY) et de la délibération n° 5 prise par la Commission paritaire nationale en exécution de cet article. Or, ces articles et délibérations ayant été annulés, le chômeur avait assigné, le 24 janvier 2002, l'ASSEDIC, en remboursement des sommes indûment retenues et reversées par ses soins. Se posait, alors, la question de la prescription applicable à cette action, et donc de la qualification adéquate des sommes en jeu. S'agissait-il d'une action en paiement de l'allocation d'assurance, à l'époque soumise à la prescription quinquennale de l'article 2277 du Code civil, ou d'une action en répétition de l'indu soumise à la prescription trentenaire de droit commun ? L'intérêt pour le salarié était évident dans la mesure où l'action dirigée en 2002 contre l'ASSEDIC aurait été déclarée forclose si la prescription quinquennale, alors applicable, lui avait été opposée.

  • Qualification d'action en répétition et application de la prescription trentenaire

Comme le précise très justement la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cette affaire, qui confirme, d'ailleurs, les termes d'une précédente décision intervenue dans une espèce en tous points identiques (5), "la cour d'appel, saisie par le salarié d'une demande en remboursement des sommes indûment reversées sur mise en demeure de l'ASSEDIC, a exactement retenu que cette action ne s'analysait pas en une action en paiement d'allocation d'assurance chômage, mais en une action en répétition de l'indu qui relève du régime spécifique des quasi-contrats", la prescription applicable étant, alors, la prescription trentenaire de droit commun.

Cette solution doit être approuvée. En effet, le salarié ne réclamait pas le paiement de ses indemnités, qu'il avait déjà perçues, mais le remboursement de sommes qu'il avait été contraint de rendre à l'ASSEDIC au titre de remboursement de prestations prétendument indues. Elle semble, également, juste, dans la mesure où l'ASSEDIC, lorsqu'il lui avait réclamé le remboursement des allocations indûment perçues, avait, également, bénéficié de la prescription trentenaire.

Elle place, toutefois, la Chambre sociale de la Cour de cassation devant une forme de contradiction, compte tenu des solutions qui prévalent lorsque les actions opposent salariés et employeurs.

II. Plaidoyer pour une généralisation de la distinction des prescriptions

  • Critique de la confusion des prescriptions

Le principe de distinction des actions en paiement de certaines sommes, et en remboursement de ces mêmes sommes, qui s'évince des solutions que nous venons d'évoquer, n'est malheureusement pas respecté par la Chambre sociale de la Cour de cassation de manière homogène.

Lorsqu'un litige oppose un salarié et son employeur sur le paiement des salaires, la Chambre sociale de la Cour de cassation fait, en effet, application de la prescription quinquennale de l'article L. 143-14 du Code du travail (N° Lexbase : L5268AC4), non seulement à l'action dirigée par le salarié contre son employeur, ce qui va de soi (6), mais, également, à l'action en remboursement exercée par l'employeur contre le salarié en cas de paiement indu (7).

Une même solution a été retenue lorsque l'action en remboursement émane de la Mutualité sociale agricole, qui réclame à un assuré la restitution de sommes correspondant à des points d'indice supplémentaires de salaire auxquels il n'avait pas droit, la Cour de cassation affirmant que "la prescription quinquennale s'applique à toute action afférente au salaire, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il s'agit d'une action en paiement ou en restitution de ce paiement" (8).

  • Explication de la confusion des prescriptions

Totalement critiquable sur le plan juridique, cette application indifférenciée de la prescription quinquennale vise à rétablir l'égalité des armes entre salariés et employeurs, car l'application de la prescription trentenaire aux actions en remboursement exercées par l'employeur lui confèrerait un avantage significatif par rapport au salarié qui se heurte, lorsqu'il exerce l'action en paiement, à la prescription quinquennale.

Quoique créant une asymétrie dans les délais de prescriptions bénéficiant, de manière assez inhabituelle en droit du travail, à l'employeur, cette application distributive des prescriptions, selon la nature de l'action, résulte directement des termes de la loi. Faut-il le rappeler, l'article L. 143-14 du Code du travail ne concerne que l'action "en paiement" du salaire, et non les actions relatives aux salaires, ce qui est très différent.

C'est, d'ailleurs, en ce sens, que les autres chambres civiles de la Cour de cassation statuent dans des hypothèses voisines où l'action en répétition porte sur des sommes soumises à une courte prescription, lorsque leur paiement est en cause, créant, également, un déséquilibre entre le régime des actions.

C'est, ainsi, que la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que, "si l'action en paiement de pensions de retraite se prescrit par cinq ans, l'action en répétition de ces prestations, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats, n'est pas soumise à la prescription abrégée de l'action en paiement desdites prestations mais à la prescription trentenaire de droit commun" (9), contredisant, ainsi, la Chambre sociale, qui avait affirmé, s'agissant de l'action en remboursement exercée par la MSA, exactement le contraire (10).

La deuxième chambre civile affirme, dans le même sens, que "la répétition de l'indu, en ce qu'elle trouve sa justification dans l'inexistence de la dette, ne dérive pas du contrat d'assurance et n'est donc pas soumise à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP)" (11). Une même solution prévaut s'agissant de la prescription de l'action en remboursement de pensions alimentaires indûment perçues, qui ne se trouve pas soumise à la prescription quinquennale, mais bien à la prescription trentenaire (12).

Pour sa part, et dans le cadre de l'exécution du contrat de bail, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, également, bien dissocié le régime des actions en paiement des charges locatives, et en répétition de ces mêmes charges indûment perçues, en affirmant que "l'action en répétition de sommes indûment versées au titre des provisions sur charges locatives, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats, n'est pas soumise à la prescription quinquennale, mais à la prescription trentenaire" (13). Dans cette dernière affaire, d'ailleurs, le principe de dissociation des prescriptions a été confirmé par une Chambre mixte réunie le 12 avril 2002 (14).

  • Perspectives de réformes

Reste à déterminer si cette application, juridiquement très discutable, de la prescription quinquennale doit perdurer. Il ne nous semble pas.

Les réformes récentes ont, en effet, ramené le délai de prescription des actions en remboursement exercées par les ASSEDIC, par la loi du 17 juillet 2001, et de la Sécurité sociale par la loi du 18 décembre 2003 (loi n° 2003-1199, de financement de la Sécurité sociale pour 2004 N° Lexbase : L9699DLS), à trois années (15). Le projet de réforme du droit de la prescription envisage, d'ailleurs, d'étendre, légalement, le délai de prescription de l'action en paiement des salaires aux actions en remboursement de ces derniers (16).

Mais, en attendant, il nous semblerait souhaitable, à la fois pour unifier la jurisprudence des différentes chambres de la Cour de cassation et pour rendre sa cohérence aux solutions admises par sa Chambre sociale, que le principe de distinction des prescriptions, que vient confirmer cet arrêt en date du 13 février 2008, soit pleinement respecté.


(1) Ass. plén., 2 avril 1993, n° 89-15.490, Société Jeumont-Schneider (N° Lexbase : A6238ABN), JCP éd. G, 1993, II, 22051, concl. M. Jéol.
(2) Cass. soc., 22 mars 2005, n° 03-13.505, M. Guy Thomas c/ ASSEDIC du Val-d'Oise, F-D (N° Lexbase : A4132DHI) : "l'action en répétition des sommes indûment versées au titre de l'allocation d'assurance chômage, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats, n'est pas soumise à la prescription abrégée de l'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L5385G7L)".
(3) C. trav., art. L. 351-6-2, al. 3 (N° Lexbase : L8914ATC). Cette "prescription réduite commence à courir, sauf disposition contraire, du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que sa durée totale ne puisse excéder le délai prévu par la loi antérieure" (Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 05-16.998, FS-D N° Lexbase : A7297DYW).
(4) Alors que l'action en paiement se prescrit par deux ans : C. trav., art. L. 351-6-2, al. 2.
(5) Cass. soc., 30 janvier 2007, n° 05-15.279, M. Francis Llopis, F-D (N° Lexbase : A7801DT4).
(6) La solution s'applique, tout aussi logiquement, lorsque les salariés réclament à leur employeur des arriérés de salaires correspondant à des cotisations sociales indûment précomptées : Cass. soc., 31 janvier 1996, n° 93-43.801, Mme Anguellu et autres c/ Pavillon de la mutualité (N° Lexbase : A6361AH3), D., 1997, p. 306, note Thullier ; Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-40.799, Madame Bauquis et autres c/ Association Les Mésanges (N° Lexbase : A2875ACH), RJS 1998, n° 866 ; Cass. soc., 6 avril 1999, n° 96-44.162, M. Soreau, ès qualités d'ayant droit de son père Michel Soreau c/ M. Moreau (N° Lexbase : A8102AG8), Bull. civ. V, n° 161 ; Cass. soc., 26 octobre 2000, n° 98-21.450, Caisse de mutualité sociale agricole d'Ile-de-France c/ M. Lelong (N° Lexbase : A7703AHR), Bull. civ. V, n° 349 ; Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-45.097, M. Robert To Hoanh c/ Société Copagly, FP-P+B (N° Lexbase : A3648DAD), Bull. civ. V, n° 306, p. 308, RJS 2004, p. 115, avis J. Duplat ; Dr. soc. 2004, p. 204, obs. A. Jeammaud ; Cass. soc., 13 janvier 2004, n° 01-47.128, M. Robert Souilhol c/ Société La Dépêche du Midi, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7814DAN), Bull. civ. V, n° 2, p. 2, lire les obs. de Sonia Koleck-Desautel, Précisions concernant le domaine de la prescription quinquennale, Lexbase Hebdo n° 106 du 4 février 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0338AB7) ; Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-47.193, M. Frédéric Monsinjon c/ Société Texa services, F-P+B (N° Lexbase : A4850DBA), Bull. civ. V, n° 79 p. 72 ; Cass. soc., 27 septembre 2006, n° 04-45.754, M. Bernard Wong, FS-D (N° Lexbase : A3425DRB).
(7) Cass. soc., 18 juin 1980, n° 79-40220, Riou c/ SA Sagra, publié au bulletin (N° Lexbase : A0191CIW), D., 1980, p. 542 ; Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 97-10133, M. Pillot ès qualités de liquidateur de la Caisse modernisation industrielle c/ Caisse nationale de l'Organisation autonome de l'assurance vieillesse de l'industrie et du commerce (Organic) et autre, publié (N° Lexbase : A1178CH4), Dr. soc., 1999, p. 312, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-48.687, Société ATEIM, F-P+B (N° Lexbase : A5006DQH), RDT 2006, p. 324, obs. G. Pignarre ; JCP éd. S, 2006, p. 1693, obs. P.-Y. Verkindt.
(8) Cass. soc., 23 juin 2004, n° 02-41.877, Caisse de mutualité sociale agricole (CMSA) du Tarn et Garonne, F-P+B (N° Lexbase : A8072DCX), Dr. soc. 2004, p. 1030, obs. Ch. Radé.
(9) Cass. civ. 1, 12 avril 2005, n° 02-13.762, Union de retraite des cadres, anciennement dénommée Union de prévoyance des cadres, F-D (N° Lexbase : A8588DHK).
(10) Cass. soc., 23 juin 2004, préc..
(11) Solution constante depuis Cass. civ. 1, 27 février 1996, n° 94-12.645, La Mutuelle du Mans c/ Cabinet Lecart et autre (N° Lexbase : A9692ABL), Bull. civ. I, n° 105 ; Defrénois 1996, art. 36365, rapp. P. Sargos ; RTD civ. 1997, p. 428, obs. J. Mestre. Dernièrement, Cass. civ. 2, 18 mars 2004, n° 03-10.620, M. Mario Maida c/ Société Assurances générales de France-Vie (AGF-Vie), FS-P+B (N° Lexbase : A6085DBY), Resp. civ. et assur. 2004, chron. 16, H. Groutel.
(12) Cass. civ. 2, 22 novembre 2001, n° 99-16.052, M. Raymond Cloarec, FS-P+B (N° Lexbase : A2164AXG), Bull. civ. II, n° 170 ; Defrénois 2002, p. 268, obs. E. Savaux.
(13) Solution constante depuis Cass. civ. 3, 21 février 1996, n° 93-12.675, Consorts Giraud (N° Lexbase : A9346ABR), Bull. civ. III, n° 32 ; Defrénois 1996, p. 1436, obs. A. Bénabent ; RTD civ. 1997, p. 428, obs. J. Mestre. Dernièrement, Cass. civ. 3, 6 juillet 2004, n° 03-13.123, M. Alain Launer c/ M. Michel Bestagno, F-D (N° Lexbase : A0498DDS). Mais il faut dire que, dans cette hypothèse, l'application de la prescription trentenaire bénéficiait au locataire, partie faible au contrat.
(14) Cass. mixte, 12 avril 2002, n° 00-18.529, Société civile immobilière (SCI) du 32, rue de Seine, publié (N° Lexbase : A0398AZR), Bull. n° 2, BICC n° 557 du 1er juin 2002, concl. Guérin, rapp. Duvernier.
(15) La loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, de financement de la Sécurité sociale pour 2004, qui a ramené à trois ans la prescription des actions en remboursement des cotisations sociales indûment versées, mais, également, des prestations sociales versées aux assurées qui pourraient en découler (CSS, art. L. 243-6 N° Lexbase : L0250DPX).
(16) Proposition de loi n° 432 (2006-2007) de M. Jean-Jacques Hyest, déposé au Sénat le 2 août 2007, art. 12 ; proposition de loi n° 433 déposé à l'Assemblée nationale le 21 novembre 2007. Le nouvel article L. 3245-1 du Code du travail , applicable à compter du 1er mai 2008, serait, ainsi, rédigé : "L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2258 du Code civil (N° Lexbase : L0277HPX)".
Décision

Cass. soc., 13 février 2008, n° 06-14.386, ASSEDIC Aquitaine c/ M. Jean Descamps, F-D (N° Lexbase : A9186D4Y)

Rejet (CA Pau, 1ère ch. civ., 20 février 2006)

Textes concernés : C. civ., art. 1235 (N° Lexbase : L1348ABK), 1376 (N° Lexbase : L1482ABI) et 2277 (N° Lexbase : L5385G7L) ; C. trav., art. L. 351-3 (N° Lexbase : L6262ACW) et L. 351-19 (N° Lexbase : L6250ACH)

Mots clef : assurance-chômage ; prestations remboursées indument ; action en restitution du salarié ; prescription trentenaire.

Liens base :

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Social général

[Textes] Loi pour le pouvoir d'achat : mode d'emploi

Réf. : Loi n° 2008-111 du 8 février 2008, pour le pouvoir d'achat (N° Lexbase : L8013H38)

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N2257BEC

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La loi n° 2008-111 du 8 février 2008, pour le pouvoir d'achat, vient mettre en place un certain nombre de dispositifs pour permettre aux salariés de bénéficier de liquidités. Les dispositifs extérieurs au droit du travail sont nombreux et d'une importance financière considérable : tentative de freinage de l'augmentation des loyers en fondant l'indice IRL sur l'évolution des prix à la consommation hors loyer et hors tabac (article 9), limitation du dépôt de garantie versé par le locataire au bailleur à un mois de loyer (article 10), modifications des modalités de versement de l'allocation logement (article 11). Les autres dispositions ont trait au droit du travail et permettent aux salariés d'obtenir de l'argent en plus de leur salaire mensuel. Les principaux dispositifs ont pour objet la conversion des jours de repos en jours de travail rémunérés dotés d'un régime social et fiscal intéressant (I), le déblocage anticipé de la participation, et la possibilité, pour les entreprises sans participation, de débloquer une prime maximale de 1 000 euros au profit de leurs salariés (II). Cette loi reste, toutefois, complexe et subordonnée à l'entrée en vigueur de décrets et/ou à la conclusion d'accords collectifs, qui risquent d'en atténuer les effets. I. Conversion du repos

Le législateur a prévu la faculté, pour le salarié, de convertir directement son repos en argent (A) ou en une participation au financement des salaires versés aux salariés impliqués dans une oeuvre caritative (B).

A. Conversion du repos en argent

1. Conversion des jours de congés acquis au titre de la réduction du temps de travail ou d'une convention de forfait en rémunération

C'est le dispositif phare de cette loi.

L'article 1er permet à tout salarié, quelle que soit la taille de l'entreprise dans laquelle il travaille, de renoncer au bénéfice des jours de repos et de les convertir en jours travaillés, en contrepartie d'une rémunération majorée. Cette renonciation ne concerne que les jours acquis au 31 décembre 2007 et ceux qui seront acquis jusqu'au 31 décembre 2009, et sous certaines conditions.

  • Salariés concernés

L'article 1er de la loi prévoit la possibilité, pour tout salarié, de convertir les jours ou demi-journées de repos acquis, en contrepartie de la réduction du temps de travail, en jours travaillés bénéficiant d'une rémunération majorée.

Le même dispositif est ouvert aux salariés qui bénéficient d'une convention de forfait jours. L'article 1er I, 2° prévoit, en effet, que les cadres ou salariés bénéficiant d'une convention de forfait jour peuvent, également, convertir leurs jours de repos compensateur en heures de travail. Le législateur précise, dans ce cas, que le décompte des journées et demi-journées travaillées et de prises de journées et demi-journées intervient dans les conditions prévues par la convention de forfait. Cette précision tombe sous le sens, il est logique de décompter, de la même manière, et selon les mêmes modalités, les droits au repos et les droits aux jours de travail majorés.

  • Modalités de renonciation

La demande de renonciation émane du salarié. Pour qu'elle soit effective, l'employeur doit donner son accord.

Pour les cadres, néanmoins, ou plus précisément pour les salariés en forfait jours sur l'année, cette renonciation doit intervenir, en principe, conformément aux dispositions de la convention ou de l'accord collectif de travail prévoyant la convention de forfait. Cette renonciation ne peut intervenir librement, c'est-à-dire sur simple demande du salarié à son employeur, qu'en l'absence d'accord venant en régler les modalités.

  • Majoration de la rémunération des jours reconvertis

Ces journées ouvrent droit à une majoration de salaire minimale égale à 25 % ou le taux minimal conventionnel, si l'entreprise entre dans le champ d'un accord d'entreprise, d'une convention ou d'un accord de branche étendu.

Pour les salariés bénéficiant d'une convention de forfait annuelle, le travail des jours de repos ouvre droit à une majoration de rémunération qui fait l'objet d'une négociation entre l'employeur et le salarié. Il est, toutefois, précisé qu'en tout état de cause, la majoration appliquée à ces heures ne pourra être inférieure à 10 %.

Une question se pose alors. Pour les salariés ne bénéficiant pas d'une convention de forfait, la majoration peut-elle être négociée entre l'employeur et le salarié ?

Contrairement aux dispositions propres aux cadres, la loi ne dit rien sur ce point. Le législateur précise que ces heures donnent lieu à une majoration au moins égale au taux de la majoration de la première heure supplémentaire applicable à l'entreprise (qu'elle soit légale ou conventionnelle).

  • Régime

Afin de ne pas pénaliser les salariés, de rendre le dispositif effectif et qu'il permette une réelle augmentation du pouvoir d'achat des salariés, le législateur précise que les heures effectuées dans ces conditions ne viennent pas s'imputer sur le contingent d'heures légal (C. trav., art. L. 212-6 N° Lexbase : L4616DZY et art. D. 212-25 N° Lexbase : L8863G7E, soit 200 heures par an et par salarié), ou conventionnel d'heures supplémentaires prévu par l'article L. 212-6 du Code du travail.

2. Utilisation des jours affectés sur un compte épargne temps

L'article 1er II de la loi du 8 février prévoit un autre dispositif pour permettre aux salariés de convertir un maximum de jours de repos acquis en argent. Tout salarié peut, en effet, utiliser les droits qu'il a affectés sur son compte épargne temps, même en l'absence d'accord prévoyant cette possibilité.

  • Congés concernés

Tout salarié peut utiliser les droits affectés sur le compte épargne temps au 31 décembre 2009 pour compléter sa rémunération. Seuls les congés annuels versés sur ce compte ne peuvent être utilisés pour offrir au salarié un complément de rémunération, au sens de l'article L. 223-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3104HIS). Le législateur exclut expressément cette possibilité.

  • Modalités

La conversion des jours de congés en jours travaillés majorés se fera de deux manières distinctes, selon qu'il existe, ou non, un accord.

S'il n'existe pas d'accord, le salarié adresse une demande à l'employeur et, si ce dernier l'accepte, les jours de repos sont convertis en jours de travail majorés, au minimum de majoration prévue par la convention collective de travail ou la loi.

Si la convention mettant en place le compte épargne temps, ou prévoyant le forfait, a précisé les modalités et définit les conditions permettant au salarié de compléter sa rémunération en utilisant ses droits acquis à repos, les demandes devront être effectuées selon les modalités et conformément aux stipulations de l'accord.

3. Régime applicable aux sommes reconverties

Il convient, ici, de procéder à une distinction selon la date d'acquisition des journées de repos.

  • Journées acquises ou droits affectés au 31 décembre 2007

Les sommes correspondant aux jours reconvertis sont exonérées de cotisations sociales et d'impôt à la triple condition :

- qu'elles correspondent à des journées acquises ou à des droits affectés au 31 décembre 2007 ;

- qu'elles soient rémunérées au plus tard le 30 décembre 2008 ;

- que la demande de renonciation soit formulée par le salarié au plus tard le 31 juillet 2008.

Les sommes remplissant cette triple condition sont exonérées de toute cotisation et contribution d'origine légale ou conventionnelles rendue obligatoire par la loi, à l'exception de la CSG et de la CRDS.

Il convient de souligner, ici, que contrairement au dispositif de la loi "TEPA" (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8), pour le calcul de l'exonération, la majoration est prise en compte dans la limite du taux maximal de majoration des heures supplémentaires applicable à l'entreprise.

  • Journées acquises à compter du 1er janvier 2008

Pour les journées acquises à compter du 1er janvier 2008, ces sommes bénéficieront des exonérations sociales et fiscales de la loi "TEPA".

L'exonération d'impôt concerne, ici, l'intégralité des sommes versées aux salariés (CGI, article 81 quater N° Lexbase : L9236HZ4) et, non seulement, celles correspondant au taux de majoration maximum légal ou conventionnel.

Une question reste, cependant, en suspend : quid des journées affectées à compter du 1er janvier 2008 ? Quelles exonérations ? En effet, l'article 1er IV, alinéa 2, ne précise pas, comme dans l'alinéa précédent et l'alinéa suivant, qu'il concerne les journées acquises et affectées...

4. Garantie des sommes converties

L'article 3 de la loi du 8 février 2008 impose la mise en place d'une garantie conventionnelle des salaires pour les droits acquis convertis en unités monétaires, qui excèdent le plus élevé des montants prévus par l'AGS. La loi renvoie à l'accord mettant en place le compte épargne temps le soin de prévoir un dispositif d'assurance ou de garantie pour couvrir les sommes excédant le plafond de l'AGS.

Le problème est qu'il faut un accord collectif pour mettre en place le système et que cet accord doit être, lui-même, pris en application d'un décret à venir. Il semble difficile de faire autrement, mais cela risque d'allonger les délais de protection, pourtant, impératifs des sommes destinées à être couvertes et d'emporter l'application générale du régime de substitution légal.

Le législateur prévoit, en effet, que, dans l'hypothèse ou aucun accord n'est intervenu dans le délai d'un an à compter du 8 février 2008, donc si aucun accord n'est intervenu au 7 février 2009, le dispositif légal trouvera à s'appliquer.

En attendant la conclusion des accords, le législateur renvoie, pour la garantie des sommes converties, à l'article L. 227-1, alinéa 13, du Code du travail (N° Lexbase : L1400G9Q).

B. Conversion du repos en projet : financement d'une oeuvre désintéressée (article 2)

La loi permet aux salariés de convertir en argent les jours de repos acquis en vue de financer une oeuvre humanitaire ou caritative à laquelle participent certains salariés de l'entreprise.

L'article 2 de la loi prévoit, ainsi, que tout salarié, qu'il soit ou non cadre, peut renoncer aux jours de repos acquis en application de l'accord de réduction du temps de travail, dans le cadre d'une convention de forfait ou aux jours de repos compensateur de remplacement dus en contrepartie des heures supplémentaires effectuées, afin de financer le maintien de la rémunération d'un ou plusieurs autres salariés de l'entreprise, au titre d'un congé pris en vue de la réalisation d'une activité désintéressée, pour le compte d'une oeuvre ou d'un organisme d'intérêt général au sens de l'article 200 du Code général des impôts (N° Lexbase : L2717HWK).

Pour ce faire le salarié doit formuler une demande auprès de l'employeur.

Ces sommes sont versées directement par l'employeur au nom, et pour le compte du salarié, à un fonds spécifique mis en place par l'entreprise destiné à maintenir la rémunération des salariés concernés. Les rémunérations versées aux salariés impliqués dans l'oeuvre sociale sont intégralement soumises à cotisations et imposables.

La loi renvoie à un décret les modalités d'application du texte. Il faudra donc attendre le décret d'application, avec tous les inconvénients que cela entraîne, notamment, au niveau délai ; n'aurait-il pas été possible de laisser aux partenaires sociaux le soin de mettre en place le système ?

C. Rémunérations des repos compensateurs de remplacement (article 4)

Du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, tout salarié peut demander la conversion du repos compensateur de remplacement acquis en contrepartie des heures supplémentaires, en rémunération. La rémunération perçue en contrepartie de ces jours devra être au moins égale à celle que le salarié aurait perçue s'il s'était vu payer les heures supplémentaires au taux légal ou conventionnel, lorsqu'il existe.

Comme pour tous les autres dispositifs de conversion, la demande devra émaner du salarié et elle devra être acceptée par l'employeur.

II. Autres mécanismes

A. Exigibilité anticipée des sommes versées au titre de la participation (article 5)

Le législateur offre la possibilité, pour les salariés, de demander le déblocage anticipé des sommes correspondant aux droits acquis au titre de la participation aux résultats de l'entreprise, c'est-à-dire sans attendre le délai de cinq ans prévu par la loi.

Le salarié a le choix entre un déblocage total ou partiel des sommes placées au titre de la participation.

Attention, cependant, le législateur vient expressément exclure du champ de la loi les sommes affectées à un plan d'épargne collectif pour la retraite.

  • Modalités

Les sommes concernées sont celles qui correspondent aux droits affectés au titre de la participation au plus tard le 31 décembre 2007.

Deux conditions entourent ce déblocage : que la demande survienne avant le 30 juin 2008 et que le déblocage se fasse en une seule fois.

A noter que les droits seront négociés pour leur valeur au jour du déblocage.

De plus, le déblocage se fait, en principe, sur demande du salarié.

Dans certaines hypothèses, toutefois, le déblocage des sommes est subordonné à la conclusion d'un accord négocié, dans les conditions prévues aux articles L. 442-10 (N° Lexbase : L6508ACZ) et L. 442-11 (N° Lexbase : L6509AC3) du Code du travail. Tel est le cas des sommes versées aux salariés au titre de la participation aux résultats de l'entreprise supérieure à la répartition d'une réserve spéciale, ou lorsque le déblocage concerne les titres de l'entreprise ou d'une entreprise du même groupe, des parts ou actions d'organismes de placement collectif en valeur mobilière (dans ce cas l'accord peut décider de limiter ou de cibler les déblocages...).

  • Montant plafonné

Le déblocage est limité à 10 000 euros par salarié (après prélèvement des cotisations).

  • Régime

Les sommes sont, en application de l'article L. 442-8 du Code du travail (N° Lexbase : L4225HWE), exonérées de cotisation sociale et n'entrent pas dans l'assiette des impôts.

B. Prime exceptionnelle : entreprises n'ayant pas conclu d'accord de participation

Dans les entreprises de moins de 50 salariés, dans lesquelles il n'a pas été conclu d'accord de participation, il est offert la possibilité aux employeurs de verser, à l'ensemble de leurs salariés, une prime exceptionnelle d'un montant maximum de 1 000 euros. Pour ouvrir droit au régime prévu par la loi, ce versement doit être effectué avant le 20 juin 2008.

  • Mise en place

La mise en place de cette prime exceptionnelle est subordonnée à un accord conclu selon les modalités prévues à l'article L. 442-10 du Code du travail (accord collectif, accord entre le chef d'entreprise et les représentants d'organisations syndicales représentatives, accord au sein du comité d'entreprise ou ratifié à la majorité des deux tiers des salariés).

  • Régime

Le versement de la prime sera obligatoire pour tous les salariés de l'entreprise lorsqu'il aura été décidé, mais son montant pourra être modulé. Le législateur pose limitativement les éléments qui pourront être retenus au soutien de cette modulation et impose à l'accord de définir la modulation retenue. Celle-ci ne pourra, ainsi, être faite qu'en fonction du salaire, de la qualification du salarié, de son niveau de classification, de la durée du travail, de l'ancienneté ou de la durée de sa présence dans l'entreprise.

Cette prime est une prime exceptionnelle, elle ne peut donc, en aucun cas, se substituer à un élément de rémunération auquel l'employeur est tenu en vertu de la loi ou d'un dispositif conventionnel.

  • Obligation de l'employeur

L'employeur devra impérativement notifier à l'organisme de recouvrement dont il relève le montant des sommes versées au salarié.

  • Régime fiscal et social

Cette prime, lorsqu'elle est régulièrement attribuée (en application d'un accord et versée avant le 30 juin 2008) est exonérée de cotisations sociales et d'impôt, à l'exception de la CSG et de la CRDS.

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Immobilier et urbanisme

[Chronique] Chronique en droit immobilier

Lecture: 5 min

N2302BEY

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit immobilier de Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris. Au premier plan de cette chronique, un arrêt énonçant que la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police. A l'honneur également, une décision conséquente de la Cour de cassation qui met fin à l'application de la théorie du mandat apparent concernant les opérations entrant dans le champ d'application de la loi "Hoguet".
  • S'agissant de la construction d'un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police (Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 06-14.641, FS-P+B N° Lexbase : A5992D4P)

S'inscrivant dans la droit ligne de la solution adoptée par la Chambre mixte de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 novembre 2007 (Cass. mixte, 30 novembre 2007, n° 06-14.006, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9891DZD), la troisième chambre civile, citant in extenso l'attendu de principe de l'arrêt de 2007, confirme que s'agissant de la construction d'un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance (loi n° 75-1334 N° Lexbase : L5127A8E), en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police.

En l'espèce, une société de droit belge (société A1), maître de l'ouvrage, a confié à une société de droit allemand (société B) la conception, la livraison, le montage et la mise en service de machines et d'équipements pour une unité de fabrication de panneaux de fibres, située en France. Le contrat prévoyait l'application du droit suisse des obligations. La société qui devait réaliser les travaux a sous-traité, à une seconde société de droit allemand (société C), le montage des machines. Dans ce nouveau contrat, il est prévu l'application du droit allemand. Le sous-traitant allemand a sous-traité, à son tour, divers travaux à trois sociétés différentes. Plus spécifiquement, le montage de certaines machines a été sous-traité à une société de droit allemand (société D) -ici encore, le contrat prévoit l'application du droit allemand-. Par ailleurs, une société de droit français (société A2) est intervenue en qualité de maître d'ouvrage délégué de la société de droit belge. Le sous-traitant de premier rang (la société C) a fait l'objet, en Allemagne, d'une procédure de faillite.

Ses trois sous-traitants ont engagé à l'encontre du maître d'ouvrage délégué (société française A2) une action en paiement direct des sommes qui leur restaient dues.

Les juges du fond ont débouté l'un des sous-traitants de ses demandes. Ils rappelaient qu'aucune des lois, suisse ou allemande, applicables au marché principal puis aux marchés de sous-traitance, ne confère au sous-traitant une action directe lui permettant d'obtenir, auprès du maître de l'ouvrage, le paiement de tout ou partie des créances qu'il détenait à l'encontre de l'entreprise principale.

Ils considéraient que ces lois ne sont pas contraires à l'ordre public international français et que l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance n'est pas une loi de police régissant impérativement la situation au sens de l'article 7-2 de la Convention de Rome du 16 juin 1980 (N° Lexbase : L6798BHA).

Cette solution est censurée par la Cour de cassation qui, dans un attendu de principe, rappelle que s'agissant de la construction d'un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police.

Si le caractère d'ordre public de la loi du 31 décembre 1975 ne fait aucun doute à la lecture de son article 15 qui déclare que sont "nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi", elle ne comporte, en revanche, aucune indication sur son champ d'application territorial.

La doctrine majoritaire était très réticente à accorder la qualification de "loi de police" à la loi sur la sous-traitance.

Dans son avis sur l'arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 30 novembre 2007, Monsieur Olivier Guérin, avocat général, formule les observations suivantes : "Il convient de différencier ce qui est une sous-traitance d'exportation, pour laquelle l'entreprise accepte les règles de la globalisation, le risque du marché mondial, la concurrence d'acteurs étrangers, et ce qui est, comme ici, malgré la qualification internationale du contrat, une opération qui se réalise sur le territoire national. Les frontières sont ouvertes, les principaux appels d'offres sont maintenant internationaux. Il n'y a plus de marché protégé. En Europe, la concurrence est libre. Mais encore faut-il que cette concurrence ne soit pas faussée, et ne joue pas au détriment des acteurs nationaux. Le contrat de construction conclu entre des entreprises françaises pour la réalisation d'un ouvrage en France sera soumis, s'il y a sous-traitance, à la loi de 1975. L'entrepreneur principal devra supporter le coût des garanties financières. Pourra-t-il en être exonéré s'il fait appel à une entreprise polonaise en soumettant le contrat de sous-traitance à une loi autre que la loi française ?".

Dès lors, lorsque l'ouvrage est exécuté sur le territoire national la loi de 1975 doit recevoir application, que le sous-traitant soit français ou étranger.

Tel est le sens de l'arrêt du 30 novembre 2007, confirmé aujourd'hui par l'arrêt du 30 janvier 2008.

  • Le mandat apparent ne peut tenir en échec les règles impératives de la loi "Hoguet" (Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 05-15.774, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5980D4A)

Par un arrêt de principe en date du 31 janvier 2008, la Cour de cassation met fin à l'application de la théorie du mandat apparent concernant les opérations entrant dans le champ d'application de la loi "Hoguet" (loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce N° Lexbase : L7536AIX).

En l'espèce, la propriétaire d'un appartement avait confié, par acte du 8 juin 2001, un mandat exclusif dit "de vente" concernant ce bien à un agent immobilier. Ce dernier a signé, le 22 juin 2001, un acte sous seing privé de vente avec le locataire du logement, au nom de la propriétaire, mandante. Celle-ci ayant refusé de signer l'acte authentique, l'acquéreur l'a assignée, avec la société intermédiaire, afin de voir constater judiciairement la vente litigieuse.

Les premiers juges ont fait droit à cette demande en considérant que la propriétaire était engagée en vertu d'un mandat apparent. Selon l'arrêt d'appel, l'acquéreur, fondé à ne pas vérifier les pouvoirs de la société intermédiaire, a pu légitimement croire que celle-ci avait été dûment mandatée par la propriétaire en vue de conclure le compromis de vente.

La Cour de cassation censure cette solution au visa des articles 1er et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et l'article 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 (N° Lexbase : L8042AIP).

Par un attendu de principe, elle énonce que, selon les dispositions des deux premiers de ces textes, qui sont d'ordre public, les conventions conclues avec les personnes physiques ou morales se livrant ou prêtant leur concours, d'une manière habituelle, aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives, notamment, à la vente d'immeubles, doivent être rédigées par écrit. Selon le troisième texte, le titulaire de la carte professionnelle "transactions sur immeubles et fonds de commerce" doit détenir un mandat écrit précisant son objet et qui, lorsqu'il comporte l'autorisation de s'engager pour une opération déterminée, fait expressément mention de celle-ci. Au visa des principes rappelés par ces textes, la Cour de cassation énonce que le mandat apparent ne peut tenir en échec ces règles impératives.

Jusqu'à présent, la théorie du mandat apparent pouvait s'appliquer dans le cadre d'opérations soumises à la loi "Hoguet". Tout était affaire de circonstances.

Désormais, l'acquéreur ne pourra se retrancher derrière la croyance qu'il a pu avoir de l'engagement du mandant. Il conviendra de s'assurer que le mandat de l'intermédiaire comporte la mention expresse de l'autorisation de s'engager pour une opération déterminée.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La fraude à l'obligation de réintégration, nouveau cas de nullité du licenciement

Réf. : Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413, Société Daimler Chrysler France, F-P+B sur les quatrième et cinquième moyens (N° Lexbase : A9335D4I)

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N2253BE8

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

En cas de transfert partiel d'entreprise, il arrive, parfois, que certains salariés voient leur contrat de travail scindé si leurs fonctions ne ressortent pas intégralement de l'activité transférée. Cela peut emporter des conséquences assez inattendues, comme l'illustre cet arrêt du 12 février 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation mettant, ici, un terme à un véritable marathon judiciaire (1). Le licenciement du salarié prononcé par le cédant étant annulé, les juges ont imposé sa réintégration. Mais, son emploi étant, désormais, réparti entre l'entreprise du cédant et celle du cessionnaire, la réintégration impliquait, également, des effets pour l'entreprise repreneur. Or, si celle-ci, après avoir réintégré le salarié, prononce son licenciement dans le but inavoué d'éviter une véritable réintégration, la Cour décide que ce licenciement est frauduleux. Elle en déduit, de manière très surprenante, que ce licenciement est nul (I), ce qui, en revanche, emporte des conséquences parfaitement classiques (II).
Résumé

Le licenciement destiné à éviter la réintégration d'une salariée dont le licenciement a été annulé, réintégration imposée à l'entreprise ayant partiellement repris l'activité du premier employeur auteur du licenciement, procède d'un dessein frauduleux et est, à ce titre, atteint de nullité.

Commentaire

I. Un nouveau cas de nullité du licenciement

  • Transfert partiel d'entreprise

L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) prescrit que, s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

Cette règle peut, néanmoins, subir des modulations, notamment, si le salarié était affecté à diverses fonctions dans l'entreprise initiale et que seules certaines d'entre elles ressortissaient de l'activité transférée. On se trouve, alors, dans l'hypothèse d'un transfert partiel du contrat de travail, le salarié devenant un subordonné des deux entreprises, selon un ratio le plus souvent déterminé par les termes du contrat organisant la cession entre les deux employeurs (2).

Il s'agissait bien, dans cette affaire, d'un transfert partiel du contrat de travail, la salariée ne consacrant que 40 % de ses fonctions à l'activité reprise (3).

  • Licenciement par le cédant

La Cour de cassation considère que l'employeur cédant une partie de son entreprise peut avoir à procéder à des licenciements pour motif économique avant le transfert (4), mais, ceci, à la stricte condition que les licenciements ne soient pas intervenus à la suite d'une collusion frauduleuse entre cédant et cessionnaire (5).

L'employeur initial avait, dans cette affaire, procédé au licenciement pour motif économique de plusieurs salariés, parmi lesquels figurait la requérante. En raison de l'insuffisance du plan social, son licenciement avait été déclaré nul par le juge, qui avait ordonné la réintégration de la salariée dans son emploi. L'entreprise ayant été en partie transférée, la réintégration concernait donc, à la fois, l'entreprise cédante et l'entreprise cessionnaire.

  • Réintégration auprès du cessionnaire

Le cessionnaire devait réintégrer la salariée dans son emploi, au moins pour la partie ressortissant de l'activité qui lui avait été transférée. Une fois cette réintégration opérée, il procéda au licenciement de la salariée pour motif personnel.

Là encore, le transfert d'entreprise et l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail ne font pas obstacle, par principe, à la possibilité, pour le nouvel employeur, de licencier le salarié transféré (6). Bien entendu, l'appréciation de l'existence d'une cause réelle et sérieuse guide la validité d'un tel licenciement. A défaut d'une telle cause justificative, la Cour de cassation estimait, jusqu'alors, que le licenciement ne donnait pas lieu à réintégration (7).

Ce n'est, pourtant, pas la voie que choisit la Chambre sociale dans l'espèce commentée. Estimant que l'entreprise cessionnaire "n'avait pas pris l'initiative d'accomplir les actes nécessaires à la réintégration de la salariée, [...] ne justifiait pas s'être trouvée dans l'impossibilité de réintégrer effectivement cette dernière [...] et que le refus de réintégration opposé par cet employeur ne résultait pas du comportement de la salariée", la Cour de cassation en déduit que le licenciement prononcé "n'était destiné qu'à éviter la réintégration de la salariée et qu'il procédait, ainsi, d'un dessein frauduleux", et qu'il devait, à ce titre, être atteint de nullité.

Il en ressort clairement que la Chambre sociale prononce la nullité du licenciement opéré en fraude à la poursuite des contrats de travail impliquée par l'article L. 122-12, alinéa 2.

  • Nullité sans texte

On s'était habitué, depuis le célèbre arrêt "Clavaud", à voir la Cour de cassation prononcer la nullité du licenciement, en dehors de toute prescription textuelle, lorsque la violation d'une liberté fondamentale du salarié était en cause (8). Mais cet élan avait été strictement encadré, si bien que la violation de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) ne pouvait légitiment permettre d'obtenir une telle annulation (9).

La fraude corrompant le licenciement intervenu dans le cadre d'un transfert d'entreprise était toujours sanctionnée, le licenciement étant considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. Pourtant, en l'absence de texte visant une telle sanction, la nullité accompagnée de la réintégration du salarié n'était jamais poursuivie.

  • Le licenciement poursuivant un "dessein frauduleux"

L'explication peut, éventuellement, être recherchée au travers de l'adage fraus omnia corrumpit (10). Pourtant, l'application de cet adage emporte, de manière générale, la seule inopposabilité de l'acte corrompu à l'égard de la victime de la fraude. Ce n'est que lorsque les droits des tiers ne peuvent être sauvegardés que par la destruction de l'acte que la sanction de la fraude réside dans la nullité (11). Si la fraude entre cédant et cessionnaire emporte bien des conséquences pour le salarié, ici, figure de tiers, il n'est pas certain que ses droits ne puissent être préservés par une juste indemnisation de la rupture illégitime.

Enfin, resterait l'hypothèse de l'existence d'une violation d'une liberté fondamentale du salarié, mais celle-ci semble bien difficile à identifier. A moins qu'il ne faille, justement, considérer que la décision rendue classe le maintien des contrats de travail dans le cadre d'un transfert d'entreprise dans le champ de telles libertés...

Il paraît, néanmoins, plus réaliste de limiter, dans l'attente d'une réponse plus claire, la portée de la solution à la fraude à l'obligation de réintégration. La nullité du licenciement se comprend plus aisément s'il ne s'agit que de sanctionner l'employeur qui fait mine d'assouvir l'obligation de réintégration qui lui a été imposée, tout en vidant immédiatement l'exécution de cette obligation de son contenu.

La nullité du licenciement étant prononcée, celle-ci emporte des conséquences tout à fait classiques.

II. Les conséquences classiques de la nullité

  • Réintégration et indemnisation du salarié

Lorsque un licenciement est annulé, le salarié peut choisir d'être, ou non, réintégré dans son emploi (12). S'il choisit la réintégration, il aura, en outre, "droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé" (13). Cette formule est reprise, au mot près, par la Chambre sociale dans l'espèce commentée.

Cette sanction n'aurait posé aucune difficulté particulière si, comme c'est souvent le cas, la salariée n'avait pas perçu, entre-temps, des revenus de remplacement. Le juge devait-il déduire des indemnités versées les sommes perçues afin de tenir compte de la réalité du préjudice ?

  • La compensation des sommes déjà perçues

En l'espèce, la salariée avait perçu, à la fois, des revenus de remplacement servis par l'ASSEDIC et des revenus tirés d'une autre activité. La cour d'appel estimait ne pouvoir opérer aucune réduction sur le montant des sommes que l'employeur doit verser au salarié et qui correspond au montant du salaire de l'emploi occupé avant le licenciement, la question relative aux indemnités de chômage servies par l'ASSEDIC relevant des seuls rapports entre cet organisme et la salariée.

La Cour de cassation demeure, néanmoins, dans la ligne qu'elle s'était fixée en 2003 et soutient que l'évaluation du préjudice subi par la salariée doit prendre en considération les sommes perçues durant son éviction de l'entreprise (14). Elle ajoute, en outre, que les indemnités versées par l'employeur n'ayant pas pris en compte ces éléments seront sujettes à répétition, ce qui n'étonne guère, puisque la Cour de cassation accepte relativement facilement le mécanisme de la répétition de l'indu dans la relation de travail (15).

On ne peut, néanmoins, que relever qu'une telle solution risque d'emporter une cascade d'actions en répétition. L'employeur agira en répétition contre le salarié, l'ASSEDIC agira en répétition contre l'employeur. Cette complexité reste insoluble dans la mesure ou la salariée avait perçu des sommes provenant, à la fois, de l'ASSEDIC et de revenus tirés d'une autre activité. Mais, dans l'hypothèse où seules des indemnités de chômage auraient été versées, il serait certainement plus simple d'alléger la procédure, en permettant directement à l'ASSEDIC d'introduire une action en répétition contre le salarié.


(1) L'affaire a donné lieu à quatre décisions de la Cour de cassation s'agissant d'un premier licenciement prononcé en 1996 ! V. les précédents arrêts : Cass. soc., 2 mai 2001, n° 99-41.960, Mme Evenas-Baro c/ Société Sonauto et autre (N° Lexbase : A5482AG7), Dr. soc., 2001, p. 769 ; Cass. soc., 17 juin 2003, n° 02-43.321, Société Daimler Chrysler France, FS-D (N° Lexbase : A0686D7K) ; Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 04-16.530, Mme Rose Evenas-Baro, F-D (N° Lexbase : A0811DT9).
(2) V., par exemple, l'hypothèse dans laquelle le salarié est affecté à deux établissements, dont l'un a fait l'objet d'un transfert et passe au service du cessionnaire pour la partie de l'activité qu'il consacrait au secteur cédé (Cass. soc., 22 juin 1993, n° 90-44.705, M. Launay c/ Société Baume et autre N° Lexbase : A6396ABI, RJS, 1993, n° 844). Ou, encore, le cas d'un comptable dont le contrat s'exécutait "pour l'essentiel" sur le secteur repris (Cass. soc., 10 janvier 1995, n° 91-45.280, Société ECS c/ Société Data Leasing et autres N° Lexbase : A6835AHM, RJS, 1995, n° 108). La Cour valide, également, le transfert, "pour moitié", du contrat de travail d'un salarié affecté à une partie de la clientèle de son employeur, que celui-ci a scindée pour la céder à deux sociétés (Cass. soc., 9 mars 1994, n° 92-40.916, Société d'expertise et d'audit Goria-Theillet c/ M. Goupil, N° Lexbase : A1063ABY, RJS, 1994, n° 377). Sur ce point, v. I. Francou, Transfert partiel d'activité : les salariés ont-ils le don d'ubiquité ?, JSL, 2001, n° 84, p. 4.
(3) Selon les termes d'un arrêt antérieur de la procédure, Cass. soc., 2 mai 2001, préc..
(4) Cass. soc., 17 juillet 1990, n° 87-40.867, Mme Lubat c/ Mme Sarrailh (N° Lexbase : A9683AAU), RJS, 1990, n° 650 ; Cass. soc., 27 juin 1995, n° 94-40.359, M. Schmitt c/ Société Audis et autres (N° Lexbase : A9610AA8), RJS, 1995, n° 1013, JCP éd. S, 1996, I, 3899, obs. Ph. Coursier ; Cass. soc., 9 avril 2002, n° 00-41.958, Mme Suzanne Reali c/ M. Lucien Laborde, F-D (N° Lexbase : A4883AYI).
(5) Par ex., Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-45.143, Société Paradis Thalassa (N° Lexbase : A4418AR3).
(6) Cass. soc., 6 mars 1974, n° 72-40.767, Société d'exploitation des procédés Cellonite c/ Dechatte (N° Lexbase : A1538ABL) ; Cass. soc., 30 mai 1980, n° 78-15.874, Dormoy c/ Bureau (N° Lexbase : A9812AGI).
(7) Cass. soc., 6 mai 1982, n° 81-12.007, SARL Relief c/ Dame Hulot, Vega, Beaupeux, Dame Omezeguine, Denis, Société des grands magasins de la Samaritaine et autres, publié au bulletin, Cassation partielle (N° Lexbase : A3205CGS).
(8) Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804, Société anonyme Dunlop France c/ M. Clavaud, publié (N° Lexbase : A4778AA9), Dr. soc., 1988, p. 428, concl. H. Ecoutin, note G. Couturier.
(9) Cass. soc., 31 mars 2004, n° 01-46.960, Société nouvelle Les Tricotages du Bassigny c/ Mme Anne Marie Fréquelin, épouse Voinchet, F-P+B (N° Lexbase : A7474DBG) et les obs. de Ch. Radé, Annulation du licenciement et article 6 de la CESDH : la salutaire mise au point de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 115 du 8 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1178ABA), D., 2004, IR. 1213; Dr. soc., 2004, 666, obs. Ch. Radé.
(10) H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., v. Fraus omnia corrumpit, spéc., pp. 288 et s..
(11) Ibid., p. 289.
(12) Depuis les arrêts "La samaritaine" et sous réserve, depuis la loi de cohésion sociale (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49), que cette réintégration ne soit pas devenue impossible. V. Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre, publié (N° Lexbase : A4174AAT), Dr. soc., 1997, p. 331, chron. T. Grumbach, p. 341, chron. F. Favennec ; JCP éd. G, 1997, II, 22843, note F. Gaudu ; JCP éd. E, 1997, I, 648, chron. G. Picca et A. Sauret ; RJS, 1997, p. 155, chron. P.-H. Antonmattéi ; Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.013, Association laïque pour l'Education et la formation professionnelle c/ Mme Berthelin et autres, publié (N° Lexbase : A4729AGA), Dr. soc., 1999, p. 593, chron. G. Couturier. C'est l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74) qui prévoit, désormais, que la réintégration ne peut être prononcée si elle est devenue impossible.
(13) Cass. soc., 3 juillet 2003, n° 01-44.522, Bernard Herbaux c/ Société Etablissements Normil, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A0223C97) et les obs. de Ch. Radé, Réintégration du salarié et réparation du préjudice salarial : la jurisprudence retient une solution réaliste, Lexbase Hebdo n° 79 du 10 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8124AA7) ; D., 2004, p. 180, obs. B. Reynès.
(14) Ibid..
(15) V. Cass. soc., 17 juillet 2007, n° 06-43.521, Mme Patricia Haure, épouse Vidal, F-D (N° Lexbase : A4619DXD) et nos obs., La répétition de salaires indûment versés, Lexbase Hebdo n° 271 du 6 Septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2444BCI).

Décision

Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413, Société Daimler Chrysler France, F-P+B sur les quatrième et cinquième moyens (N° Lexbase : A9335D4I)

Cassation partielle (CA Versailles, 6ème ch., 14 novembre 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q) ; C. civ., art. 1153-1 (N° Lexbase : L1255AB4) et 1376 (N° Lexbase : L1482ABI)

Mots-clés : transfert partiel du contrat de travail ; licenciement économique ; réintégration ordonnée ; licenciement prononcé par l'employeur repreneur ; fraude ; nullité ; réintégration ; indemnisation.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Encore et toujours le principe "à travail égal, salaire égal" !

Réf. : Cass. soc., 12 février 2008, n° 06-45.397 à 06-45.401 (jonction), M. Stéphane Lietaer et a. c/ Société la Montagne, FS-P+B (N° Lexbase : A9277D4D)

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N2188BER

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le principe "à travail égal, salaire égal" commande que l'employeur rémunère de manière identique des salariés se trouvant dans la même situation. Par suite, une différence de traitement peut être admise, dès lors que des salariés exécutant le même type de travail ne sont pas, pour des raisons objectives et matériellement vérifiables, dans la même situation. La difficulté réside, alors, dans la détermination de ces raisons objectives, autorisant une différence de traitement. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser, au fil des nombreux arrêts qu'elle a rendus sur la question, quelles pouvaient être les justifications admissibles. En considérant, dans l'arrêt rapporté, en date du 12 février 2008, que la seule circonstance que des salariés aient été engagés avant, ou après, la dénonciation d'un engagement unilatéral ne saurait justifier des différences de traitement entre eux, la Chambre sociale apporte une nouvelle pierre à son édifice.
Résumé

Au regard du principe "à travail égal, salaire égal", la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant, ou après, la dénonciation d'un engagement unilatéral ne saurait justifier des différences de traitement entre eux.

En se déterminant comme elle l'a fait, par des motifs impropres à caractériser les raisons objectives et matériellement vérifiables justifiant la différence de rémunération des salariés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Commentaire

I. L'ambiguïté du principe "à travail égal, salaire égal"

  • Le principe

Affirmé dans le fameux arrêt "Ponsolle" (1), le principe "à travail égal, salaire égal" n'en finit pas de susciter interrogations (2) et litiges. Cet état de fait tient essentiellement à deux difficultés. La première réside dans l'ambiguïté de la notion de "travail égal" ou de "travail de valeur égale". C'est, en réalité, une double ambiguïté qui est, ici, en cause. Que faut-il, tout d'abord, entendre par le terme de "travail" ? Ainsi qu'il a été relevé, celui-ci renvoie tout à la fois aux caractéristiques de l'emploi occupé et à la prestation de travail fournie par le salarié (3). Ensuite, la notion de travail "à valeur égale" n'est pas, non plus, facile à saisir. On peut, toutefois, avancer, avec un auteur qu'elle renvoie "à des emplois de même classification ou de même coefficient, c'est-à-dire à des emplois ayant fait l'objet d'une évaluation les mettant à égalité dans les grilles de salaires" (4).

Au vu de ces quelques éléments, il serait, sans doute, plus juste d'avancer qu'un travail "de qualité égale" doit être rémunéré de manière identique. Il ne saurait donc être exigé, sur le fondement du principe en cause, que les salariés qui exécutent un même type de travail reçoivent tous la même rémunération. Tout au contraire, des différences de rémunération peuvent être tolérées à condition d'être justifiées. Or, c'est là que réside la seconde difficulté de l'application du principe "à travail égal, salaire égal", quelles sont les raisons qui peuvent motiver une telle différence de traitement ?

  • Les justifications de la différence de traitement

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, la différence de traitement doit être justifiée par des "raisons objectives et matériellement vérifiables". Ces dernières peuvent résider dans les qualités professionnelles du salarié (5) ou, encore, dans les caractéristiques de l'emploi (6). L'employeur est, ainsi, en droit de "récompenser" le salarié qui, d'un point de vue qualitatif ou quantitatif, s'investit plus dans son travail que ses collègues. Il est, cependant, évident que l'on ne saurait se cantonner aux seules allégations de l'employeur et celui-ci doit, au contraire, établir ce qui justifie la différence de traitement (7).

La Cour de cassation ne s'est, cependant, pas contentée, au titre des justifications d'une différence de traitement, de raisons tenant au travail lui-même, aux qualités professionnelles du salarié ou, encore, à sa situation personnelle. Elle a admis que la différence de traitement pouvait être liée moins au contenu de l'emploi qu'au contexte de ce dernier (8).

II. Différence de traitement et remise en cause du statut collectif

  • Une solution prévisible

Dans un important arrêt rendu le 11 juillet 2007, la Cour de cassation a affirmé "qu'au regard de l'application du principe 'à travail égal, salaire égal', la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d'un accord collectif ne saurait justifier des différences de traitement entre eux, à la seule exception de celles résultant, pour les salariés engagés avant la dénonciation, des avantages individuels acquis par ces derniers, conformément à l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN), lesquels ont pour objet de compenser, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution, le préjudice qu'ils subissent du fait de la dénonciation de l'accord collectif dont ils tiraient ces avantages" (9).

L'arrêt rapporté se situe dans le droit fil de cette jurisprudence. Etait en cause, en l'espèce, non pas la dénonciation d'un accord collectif, mais celle d'un engagement unilatéral de l'employeur. Plus précisément, l'employeur avait dénoncé l'engagement d'appliquer à certains de ses ouvriers le statut d'agent technique de la Convention collective nationale des cadres techniques de la presse quotidienne régionale (10). Cette dénonciation ne produisait, cependant, et en quelque sorte, effet que pour l'avenir, puisqu'étaient seuls concernés les ouvriers embauchés à compter du 1er janvier 1992. Ces derniers avaient, alors, saisi le conseil de prud'hommes de demandes en rappel de salaires et de repositionnement sur le fondement de la Convention collective nationale des cadres techniques de la presse quotidienne régionale, dont bénéficient les salariés occupant un emploi identique.

Pour débouter les salariés de leur demande, les juges d'appel ont retenu que, si la dénonciation de l'avantage, à effet au 1er janvier 1992, a entraîné une inégalité de statut social entre les salariés en poste au 31 décembre 1991 et les salariés embauchés postérieurement, cette inégalité ne constitue pas une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", les anciens salariés ne se trouvant pas dans une situation identique aux nouveaux salariés et les différences s'expliquant par des raisons objectives.

Cette décision est cassée par la Chambre sociale au visa du principe "à travail égal, salaire égal". Pour la Cour de cassation au regard de l'application de ce principe, "la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d'un engagement unilatéral ne saurait justifier des différences de traitement entre eux".

Compte tenu de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation et, spécialement de son arrêt en date du 11 juillet 2007, cette solution ne constitue pas une surprise et était, au contraire, prévisible. Elle n'en demeure pas moins problématique.

  • Une solution problématique

La solution retenue par la Cour de cassation a ceci de regrettable qu'elle risque de conduire à une sorte de "nivellement par le bas". En effet, à s'en tenir au motif de principe de l'arrêt, l'employeur n'est pas en droit de traiter différemment des salariés pour le seul motif qu'ils ont été embauchés avant ou après la dénonciation d'un engagement unilatéral. Cela revient, par suite, à exiger de l'employeur qu'il applique l'avantage dénoncé à tous les salariés, qu'ils étaient engagés avant ou après sa dénonciation. Or, et sauf pour l'employeur à renoncer à faire produire le moindre effet à sa dénonciation, la seule issue réside dans la suppression de l'avantage pour tous les salariés, qu'ils aient été embauchés avant ou après la dénonciation (11).

Ce scénario semble, cependant, pouvoir être écarté si l'on a égard aux "portes de sortie" que la Cour de cassation a pris soin de ménager dans sa décision. En effet, il ressort de l'arrêt que "la seule circonstance" que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d'un engagement unilatéral ne peut justifier de différences de traitement. Cela laisse entendre que d'autres motifs peuvent être avancés pour justifier la différence de rémunération. Ce sentiment est confirmé par l'affirmation selon laquelle "en se déterminant comme elle a fait, par des motifs impropres à caractériser les raisons objectives et matériellement vérifiables justifiant la différence de rémunération des salariés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

Il reste, alors, à se demander ce que peuvent bien être ces raisons "objectives et matériellement vérifiables". En s'inspirant de l'arrêt précité du 11 juillet 2007, on pourrait avancer qu'il s'agit du souci de compenser le préjudice que subissent les salariés en poste du fait de la dénonciation de l'engagement unilatéral. Le problème est qu'il ne peut être fait état, en la matière, d'un quelconque maintien des avantages individuels acquis à défaut d'accord de substitution, ainsi que le prévoit le Code du travail, pour la dénonciation ou la mise en cause des conventions et accords collectifs de travail. On ne peut donc qu'être dubitatif quant aux chances de succès de cette argumentation. Mais, on peine, alors, à imaginer quelle autre raison pourrait, en l'espèce, être évoquée pour justifier la différence de traitement.

Cette impossibilité ne pourrait être, en définitive, que le signe de l'atteinte portée au principe "à travail égal, salaire égal". Une telle conclusion peut, cependant, être contestée, au même titre, d'ailleurs, que la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté. En effet, rappelons qu'il n'y a violation du principe sus-évoqué que dans la mesure où les salariés percevant une rémunération différente sont dans la même situation (12). Or, et ainsi que l'avaient retenu les juges du fond, on peut avancer que tel n'est pas le cas ici. Les salariés embauchés après la dénonciation de l'engagement unilatéral n'en ont, par définition, jamais bénéficié. Bien plus, on peut considérer que c'est en pleine connaissance de cause, qu'ils ont accepté d'entrer au service de l'employeur. Objectivement, leur situation n'est donc pas la même que celle de leurs collègues qui ont, peut-être pendant de longues années, bénéficier de l'avantage dénoncé. On admettra qu'une telle différenciation n'est, sans doute, pas facteur de paix sociale dans l'entreprise. Cela étant, il faut, à rebours, considérer que l'employeur averti de la solution retenue dans le présent arrêt sera certainement enclin à supprimer purement et simplement l'avantage objet de son engagement unilatéral. Faut-il s'en satisfaire ?


(1) Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle (N° Lexbase : A9564AAH).
(2) Parmi les nombreux articles publiés sur la question, v., notamment, A. Jeammaud, Du principe d'égalité de traitement des salariés, Dr. soc. 2004, p. 694 ; Th. Aubert-Monpeyssen, Principe 'à travail égal, salaire égal', quels éléments objectifs justifient une différence de rémunération ?, JCP éd. E, 2007, 1960 ; nos obs., L'application du principe d'égalité de traitement dans l'entreprise, Dr. soc. 2006, p. 822.
(3) V. Th. Aubert-Monpeyssen, art. préc., § 8.
(4) Th. Aubert-Monpeyssen, ibid..
(5) Justifient, ainsi, une différence de rémunération, la qualité du travail fourni (Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-41.633, Société Peintamelec c/ M. Jean-François Nadot, publié N° Lexbase : A0743A4B) ou, encore, l'expérience acquise (Cass. soc., 16 février 2005, n° 03-40.465, M. Gabriel Aguera c/ Société M2PCI N° Lexbase : A7451DG3).
(6) Peut, ainsi, être pris en compte la charge de responsabilités particulières (Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 03-15.258, Société Sécaphi Alpha N° Lexbase : A0211DGW).
(7) Ce qui pose le problème de l'évaluation des performances des salariés et de la nécessité de faire appel à des méthodes fiables et objectives.
(8) V., sur la question, Th. Aubert-Monpeyssen, art. préc. et la jurisprudence citée.
(9) Cass. soc. 11 juill. 2007, n° 06-42.128, Mme Julie Ashton, divorcée Romano, publié ([LXB=4724DXA]). Lire les obs. de Ch. Radé, La justification des inégalités salariales par le principe du maintien des avantages individuels acquis, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2737BCD). Cette solution a été confirmée et précisée par un arrêt postérieur en date du 4 décembre 2007 (Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, publié N° Lexbase : A0465D3M). Lire les obs. de Ch. Radé, Justification des inégalités salariales et cession de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 285 du 13 décembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3933BDZ).
(10) Alors que ces derniers relevaient normalement, semble-t-il, de la Convention collective des ouvriers de la presse quotidienne régionale. On était donc en présence, en l'espèce, de l'application volontaire d'une convention collective, dont on sait qu'elle a valeur d'engagement unilatéral.
(11) Relevons, au passage, que c'est là l'effet normal de la dénonciation d'un engagement unilatéral. L'affaire est donc particulière puisque l'employeur n'avait dénoncé l'engagement qu'à l'égard des salariés engagés a posteriori.
(12) Rappelons que la Cour de cassation admet des différences de traitement entre des salariés, alors même qu'ils effectuent un travail similaire. Ces dernières sont alors justifiées par des disparités dans la situation personnelle des intéressés, telles que, par exemple, l'ancienneté du salarié.
Décision

Cass. soc., 12 février 2008, n° 06-45.397 à 06-45.401 (jonction), M. Stéphane Lietaer et a. c/ Société la Montagne, FS-P+B (N° Lexbase : A9277D4D)

Cassation partielle de CA Riom, 4ème ch. soc., 12 septembre 2006

Mots-clefs : principe "à travail égal, salaire égal" ; engagement unilatéral ; dénonciation ; date d'embauche des salariés.

Liens base :

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Famille et personnes

[Jurisprudence] L'acte d'enfant sans vie libéré par la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 1, 6 février 2008, 3 arrêts, n° 06-16.498, M. Yves T., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6715D4H), n° 06-16.499, M. Emmanuel P., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6716D4I), n° 06-16.500, M. Jean-Michel B., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6717D4K)

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N2255BEA

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu, Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Par trois arrêts rendus le 6 février 2008, la Cour de cassation a déclaré illégales les conditions de délai ou de poids qui étaient, en pratique, appliquées à l'acte d'enfant sans vie de l'article 79-1 du Code civil (N° Lexbase : L3391AB9). Ces décisions suppriment toutes limites à l'établissement de cet acte qui pourrait donc être utilisé quelle que soit la durée de la grossesse prématurément interrompue. Ce nouveau régime de l'acte d'enfant sans vie ne modifie pas, quoiqu'on ait pu en dire, le statut du foetus. Il impose, cependant, de s'interroger sur le nécessaire encadrement de l'acte d'enfant sans vie. I - Le nouveau régime de l'acte d'enfant sans vie

Enjeux de l'acte d'enfant sans vie. La disparition des espoirs liés à une grossesse déjà bien avancée provoque incontestablement une grande souffrance pour ceux qui se considéraient déjà comme des parents. L'acte d'enfant sans vie, d'origine ancienne (1), est destiné à faciliter leur deuil, notamment parce qu'il leur permet d'organiser des obsèques (2) et d'individualiser l'enfant né sans vie à travers l'octroi d'un prénom et son inscription administrative sur le livret de famille. C'est l'article 79-1 du Code civil, issu de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 (N° Lexbase : L8449G8G), qui fixe le régime de l'acte d'enfant sans vie. Le texte prévoit seulement que cet acte, élaboré par l'officier d'état civil, à défaut du certificat indiquant que l'enfant est né vivant et viable, contient les jour, heure et lieu de l'accouchement ainsi que les prénoms, noms, dates et lieux de naissance, professions et domicile des père et mère.

Conditions posées par la circulaire. Depuis 2001, une circulaire interministérielle (3), intégrée à l'Instruction générale de l'état civil, se fondant sur l'idée que l'acte d'enfant sans vie est destiné aux enfants à naître qui n'ont pas vécu, mais qui étaient suffisamment développés pour être viables, limitait l'acte d'enfant sans vie aux enfants nés vivants mais non viables et aux enfants mort-nés après un terme de 22 semaines d'aménorrhée ou ayant un poids de 500 g, en référence au seuil de viabilité défini par l'Organisation mondiale de la santé.

Effet de seuil. La technique des seuils, séduisante par sa simplicité, se révèle cependant implacable et particulièrement difficile à vivre pour ceux qui, tout en étant très proches du critère retenu, ne le satisfont pas. C'est la situation que devaient affronter les parents auteurs des pourvois ayant donné lieu aux trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 6 février 2008. Pour deux d'entre eux, en effet, il ne manquait qu'une semaine pour atteindre le seuil fatidique de vingt-deux semaines (dans la troisième hypothèse, l'accouchement avait eu lieu après seulement dix-huit semaines d'aménorrhée). Le refus de l'officier d'état civil, puis des juridictions du fond, d'établir un acte d'enfant sans vie les a conduit à contester les limites qui leur étaient opposées, au motif qu'elles n'étaient pas contenues dans l'article 79-1 du Code civil.

Illégalité des conditions. En toute logique, la Cour de cassation répond favorablement à la critique du pourvoi en constatant qu'effectivement "l'article 79-1, alinéa 2, du Code civil, ne subordonne pas l'établissement d'un acte d'enfant sans vie, ni au poids du foetus, ni à la durée de la grossesse" et en en déduisant que "la cour d appel, qui a ajouté au texte des conditions qu'il ne prévoit pas l'a violé". La cassation des arrêts de cour d'appel ayant opposé aux parents une simple circulaire pour limiter l'application d'une loi était inévitable et une solution contraire aurait été éminemment critiquable. Une circulaire ne peut évidemment pas venir limiter le champ d'application d'un texte légal sous couvert d'interprétation. Elle ne constitue qu'une information pour guider les personnes chargées de la mise en oeuvre du texte mais n'est pas opposable à ceux qui sont susceptibles d'en bénéficier, en l'occurrence les parents dont l'enfant est mort-né avant terme.

II - L'absence d'évolution du statut du foetus

Application à tous les enfants mort-nés. Les arrêts de la Cour de cassation imposent donc, désormais, aux officiers de l'état civil d'établir un acte d'enfant sans vie dans toutes les hypothèses où l'enfant ne serait pas né vivant et viable. Cette obligation s'applique d'ailleurs aux enfants mort-nés avant ces arrêts, notamment dans les trois espèces ayant donné lieu aux décisions du 6 février 2008. En effet, l'acte d'enfant sans vie ne doit pas, contrairement à l'acte de naissance, être établi dans les trois jours suivant l'accouchement.

Effets limités. Pour autant, cette obligation ne modifie en rien le statut juridique du foetus. L'acte d'enfant sans vie ne confère pas à ce dernier la personnalité juridique. Ce n'est pas un acte d'état civil, même s'il est établi par un officier d'état civil. S'il emporte un certain nombre de conséquences non négligeables, celles-ci ne sont que des conséquences matérielles et non juridiques. La production d'un acte d'enfant sans vie permet, notamment, en vertu d'un décret très récent du 9 janvier 2008 (4), l'octroi au père, d'un congé de paternité pour accompagner la mère dans son travail de deuil. Le régime accordé au foetus et aux parents en présence d'un acte d'enfant sans vie témoigne, sans aucun doute, de la volonté légitime des pouvoirs publics de reconnaître la douleur des parents mais n'entraîne en aucun cas la reconnaissance, même partielle, de la personnalité juridique du foetus. Celui-ci n'est pas une personne, même s'il est, sans aucun doute, plus qu'une chose et mérite à ce titre, parce qu'il constitue une potentialité de vie humaine, une protection particulière (5).

Interruption volontaire de grossesse. Les arrêts du 6 février 2008 n'ont ainsi aucune incidence sur la législation relative à l'interruption volontaire de grossesse, ni sur la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui refuse la qualification d'homicide involontaire pour une atteinte à la vie d'un foetus (6). Ce n'est pas parce qu'on admet qu'une femme peut matérialiser par un acte d'enfant sans vie le projet parental qu'elle a élaboré autour de sa grossesse prématurément interrompue, qu'on ne respecte pas la volonté de certaines femmes de ne pas poursuivre la leur. Il est, toutefois, concevable que d'aucuns pourraient voir dans la possibilité pour un foetus du "même âge" de faire l'objet d'une interruption de grossesse (7) ou d'un acte d'enfant sans vie, si celui-ci n'est limité par aucune condition de délai, une forme d'incohérence. C'est sans doute parce que l'acte d'enfant sans vie, désormais soumis au seul article 79-1 du Code civil, mérite d'être mieux encadré.

III - Le nécessaire encadrement de l'acte d'enfant sans vie

Nécessité d'une limite. La Cour de cassation, en refusant qu'une simple circulaire puisse délimiter le champ d'application de l'acte d'enfant sans vie, ne rejette pas forcement l'idée que celui-ci doit être limité aux hypothèses dans lesquelles le foetus est viable. L'acte d'enfant sa vie n'est pas, dans son esprit, destiné à matérialiser toute grossesse interrompue prématurément ; il a pour finalité d'enregistrer l'existence d'un être humain qui n'a jamais vécu indépendamment du corps de sa mère, mais qui aurait pu y parvenir parce qu'il avait atteint le seuil de viabilité. Pour cette raison, et compte tenu des conséquences, même non juridiques, qu'il implique, parmi lesquelles l'octroi d'un congé de maternité et de paternité, il paraît nécessaire qu'il soit réservé à certaines situations. Il est évident qu'il continuera à s'appliquer à l'enfant né vivant mais non viable. Il serait, en outre, nécessaire qu'un texte vienne préciser les conditions dans lesquelles il pourrait s'appliquer à l'enfant mort-né.

Viabilité. La référence à la définition de la viabilité de l'Organisation mondiale de la santé avait, jusqu'alors, fait l'unanimité. Elle est, d'ailleurs commune à la plupart des pays (8). Il semble qu'elle devrait être reprise, mais cette fois dans un texte normatif. Une loi ne paraît pas nécessaire, sauf à considérer que l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), qui réserve au pouvoir législatif une compétence exclusive pour ce qui concerne les personnes, doit être entendu largement. Un décret devrait suffire pour finalement reprendre les termes de la circulaire.

Etablissement de la filiation. Peut-être ce décret pourrait-il, également, revenir sur certaines questions traitées par la circulaire et qui mériteraient d'être tranchées plus clairement. Il en va, notamment, ainsi de la possibilité pour les parents de reconnaître cet "enfant sans vie" et de lui donner leur nom, permettant son intégration dans la famille (9). Il faudrait sans doute préciser, pour éviter les confusions, que ce rattachement de l'enfant sans vie à une famille ne lui confère pas la personnalité juridique et n'a aucune conséquence en matière successorale, par exemple.

Inhumation. Sans doute aussi faudrait-il, lorsque des conditions de l'acte d'enfant sans vie ne seraient pas réunies, permettre l'inhumation du foetus sans tenir compte du délai de vingt-deux semaines. Certaines communes admettent cette possibilité ; il conviendrait qu'une telle solution soit généralisée pour tenir compte de la souffrance de ceux qui doivent faire le deuil difficile de leur projet parental.


(1) Décret du 4 juillet 1806.
(2) C. santé publ., art. R.1112-75 et s. (N° Lexbase : L3003HPW).
(3) Circulaire n° 2001/571 du 30 novembre 2001, relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des enfants décédés avant leur déclaration de naissance (N° Lexbase : L5092GU7).
(4) Décret n° 2008-32 du 9 janvier 2008, relatif aux conditions d'indemnisation du congé de paternité (N° Lexbase : L7498H34), JO du 11 janvier 2008.
(5) N. Baillon-Wirtz, La condition juridique de l'enfant sans vie : retour sur les incohérences du droit français, Dr. fam., 2007, Etude n° 13.
(6) Ass. plén., 29 juin 2001, n° 99-85.973, Procureur général près la cour d'appel de Metz c/ M. Nicolas Calvente Rubio, P (N° Lexbase : A6448ATY), RTDCiv. 2001, p. 560, obs. J. Hauser, JCP éd. G, 2001, II, 10569, rapp. P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note M.-L. Rassat, D., 2001, p. 2917, note Y. Mayaud, D., 2001, p. 2907, note J. Pradel ; Cass. crim., 25 juin 2002, n° 00-81.359, Procureur général près la cour d'appel de Versailles, FP-P+F (N° Lexbase : A0058AZ8), Dr. pén., septembre 2002, comm. n° 93, obs. M. Véron, JCP éd. G, 2002, II, 10155, note M.-L. Rassat, D., 2002, p. 3099, note J. Pradel, RPDP, 2003, p. 362, obs. J.-Y. Chevallier.
(7) L'interruption volontaire de grossesse est possible jusqu'à la douzième semaine (C. santé publ., art. L. 2212-1 N° Lexbase : L3693DLD) et l'interruption thérapeutique de grosse n'est pas limitée dans le temps.
(8) F. Granet, Etat civil et décès périnatal dans les Etats de la Commission Internationale de l'Etat Civil (CIEC), JCP éd. G, 1999, I, 124.
(9) Conformément à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, "Znamenskaya c/ Russie", du 2 juin 2005, qui rattache au droit à la vie privée le droit de choisir le nom de son enfant mort-né ; en ce sens P. Murat, Acte d'enfant sans vie : un mieux, Dr. fam., 2002, comm. n° 48.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Délai de rétractation du Code de la construction et de l'habitation et clause pénale

Réf. : Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 06-21.145, M. Mehmet Erdogan, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1712D48)

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N2191BEU

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Le 30 janvier dernier, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un fort important arrêt, dont la Haute juridiction a, d'ailleurs, entendu assurer une diffusion maximale puisque la décision, en ligne sur le site de la Cour et à paraître au Bulletin officiel des arrêts civils, figurera dans le prochain Rapport annuel. Il faut dire qu'il tranche une question incertaine tenant au domaine exact d'application de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1988HPC), issu de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L2053A4S), prévoyant une faculté de rétractation et un délai de réflexion au profit de l'acquéreur non professionnel d'un immeuble à usage d'habitation. Concrètement, en effet, dans le silence de la loi, la question était discutée de savoir si les dispositions du texte pouvaient s'appliquer non pas seulement aux immeubles à usage d'habitation exclusivement, mais aussi aux immeubles à usage mixte (usage d'habitation et professionnel ou commercial). L'arrêt présente, en outre, l'intérêt de revenir sur les modalités de mise en oeuvre de la clause pénale même si, sur ce point, il ne fait que confirmer des solutions assez classiques. En l'espèce une société civile immobilière (SCI) avait vendu un immeuble sous condition suspensive de l'obtention d'un prêt par les acquéreurs. Ceux-ci, n'ayant finalement pas obtenu leur financement, avaient alors assigné la société venderesse en annulation de l'acte de vente pour absence de mention du délai de rétractation prévu par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation d'une part et, d'autre part, en restitution de l'acompte versé. La SCI demandait, elle, l'exécution de la clause pénale stipulée au contrat.

S'agissant de l'application des dispositions du Code de la construction et de l'habitation d'abord, les premiers juges avaient rejeté la prétention des acquéreurs qui faisaient valoir que sont assimilés aux immeubles à usage d'habitation visés par le texte les locaux mixtes, d'habitation et professionnel, si bien que l'article L. 271-1 devait ici s'appliquer, le compromis de vente signé entre les parties portant, précisément, sur un immeuble destiné à l'habitation et au commerce. Cette argumentation, qui n'avait pas emporté l'adhésion des juges du fond, n'a pas davantage convaincu la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, décide, dans un attendu manifestement de principe, que "l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation ne mentionnant dans son champ d'application que les immeubles à usage d'habitation, ses dispositions ne sont pas applicables aux immeubles à usage mixte". Il en résulte "qu'ayant constaté que la promesse de vente portait sur un immeuble destiné non seulement à l'habitation mais aussi au commerce, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle n'était pas soumise au délai de rétractation prévu par ce texte". L'arrêt a, ainsi, le mérite de délimiter nettement le champ d'application du texte et de mettre fin aux hésitations en la matière, dans un sens à vrai dire assez prévisible, d'autant qu'une réponse ministérielle avait exclu l'application des dispositions du Code de la construction et de l'habitation au cas d'un local (en l'occurrence un garage) annexe à un immeuble d'habitation (QE n° 23425 de M. Schreiner Bernard, JOANQ 11 août 2003 p. 6240, min. Equip. Trans. et Log., réponse publ. 3 novembre 2003 p. 8463, 12ème législature N° Lexbase : L8195H3W).

S'agissant, ensuite, de l'application de la clause pénale prévue au contrat, les acquéreurs reprochaient aux premiers juges d'avoir réduit le montant de la peine, aux motifs que la pénalité contractuelle était manifestement excessive au sens de l'article 1152, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ), sans pour autant, selon le moyen, s'expliquer sur la disproportion manifeste de la clause qui doit s'apprécier en comparant le montant de la peine conventionnellement fixé et celui du préjudice effectivement subi par le créancier. En clair, les acquéreurs contestaient le caractère prétendument manifestement excessif de la pénalité alors que le vendeur avait finalement rapidement trouvé un acquéreur et pour un bon prix. On peut même se demander si l'argumentation ne contestait pas, au moins implicitement, le maintien de la pénalité, fût-elle réduite, laissant penser que le créancier n'avait en définitive pas véritablement subi de préjudice du fait de l'inexécution contractuelle imputable au débiteur. Toujours est-il que, logiquement d'ailleurs, la Cour de cassation rejette le moyen en prenant soin de bien mettre en évidence les fautes du débiteur dans l'exécution de sa mission contractuelle pour finalement approuver la cour d'appel d'avoir caractérisé la disproportion excessive entre la pénalité forfaitaire mise à la charge de la partie responsable de la non-réalisation de la vente et le préjudice effectivement subi par le créancier. En effet, "en constatant que l'immeuble avait ensuite rapidement trouvé acquéreur et pour un bon prix, [la cour d'appel] a souverainement fixé le montant de la condamnation prononcée au titre de la clause pénale aux sommes séquestrées par les acquéreurs à la signature de la promesse et a légalement justifié sa décision de ce chef". On retrouve là les principes directeurs de la matière, suffisamment connus pour qu'il soit inutile d'y insister davantage : pouvoir souverain des juges du fond dans l'appréciation de l'excès manifeste tiré d'une comparaison de la pénalité et du préjudice subi par le créancier (Cass. civ. 1, 24 juillet 1978, n° 77-11.170, SA Locafrance c/ Vassali N° Lexbase : A0055AYP, Bull. civ. I, n° 280 ; Cass. civ. 1, 10 mars 1998, n° 96-13.458, Monsieur Bonneau et autres c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Centre-Ouest N° Lexbase : A2241ACY, Bull. civ. I, n° 98) et maintien d'une pénalité même dans l'hypothèse dans laquelle le préjudice du créancier s'avérerait faible, voire inexistant (Cass. civ. 3, 12 janvier 1994, n° 91-19.540, Epoux Siégel c/ Commune de Metz N° Lexbase : A6543ABX, Bull. civ. III, n° 5, Defrénois, 1994, p. 804, obs. D. Mazeaud et Cass. civ. 3, 20 décembre 2006, n° 05-20.065, FS-P+B N° Lexbase : A1023DT3, Bull. civ. III, n° 256, et nos obs., La seule inexécution imputable au débiteur suffit à mettre en oeuvre la clause pénale, Lexbase Hebdo n° 244 du 18 janvier 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N7429A9Z, et nos obs. in JCP éd. G, 2007, II, 10024).

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Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

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N2229BEB

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Au sommaire de cette chronique seront abordés, entre autres, le pouvoir d'agir pour le compte d'une association, l'intervention du ministère comme partie jointe et le respect du contradictoire, ou encore, l'exécution provisoire. L'auteur attire l'attention de son lectorat sur le fait que la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007, relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H) a abrogé l'ancien Code de procédure civile et décidé, dans son article 26 que le Nouveau Code de procédure civile devenait le "Code de procédure civile". Les dispositions de l'ancien Code de procédure civile sur la prise à partie sont transférées dans le Code de l'organisation judiciaire (COJ, art. L. 141-3 et L. 223-8).

I - Le pouvoir d'agir pour le compte d'une association

En l'absence de stipulations spéciales dans les statuts, le pouvoir d'agir au nom d'une association appartient à l'assemblée générale : Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 07-60.126, Centre médical Sainte-Geneviève, association pour la pratique des examens de santé La Rocade, FS-P+B (N° Lexbase : A7817D3W)

L'article 117, alinéa 3, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2008ADQ) prévoit, parmi les cas de nullité pour vice de fond, le "défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale". Le pouvoir d'agir, que l'on considère parfois comme la quatrième condition de l'action en justice (après l'intérêt, la capacité et la qualité), correspond ainsi aux hypothèses dans lesquelles le représentant de la personne morale détient un mandat ad agendum, c'est-à-dire lui permettant d'exercer toutes les prérogatives relatives à l'action en justice.

La question se pose de savoir quel est l'organe qui dispose, au sein d'une association, de ce pouvoir de représentation.

Dans l'espèce étudiée, une association qui employait plusieurs salariés avait agi en justice pour contester la désignation de l'un de ses salariés comme représentant syndical. Cette action avait été engagée par le directeur général de l'association.

La cour d'appel déclara l'action en justice irrecevable pour défaut de qualité du directeur général "à représenter l'association". Cette décision d'irrecevabilité fit l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation.

La Haute juridiction pose, d'abord, le principe selon lequel, en l'absence de toute précision dans les statuts de l'association, seule l'assemblée générale dispose du pouvoir de représenter en justice la personne morale. En conséquence, elle déclare l'action en justice exercée par le directeur général irrecevable.

La solution mérite l'approbation sur le fond. L'assemblée générale est l'organe délibérant de l'association. Elle peut habiliter tout autre organe à la représenter, ou modifier les statuts pour que ceux-ci attribuent au président ou au directeur le pouvoir d'agir en justice.

En revanche, il semble bien qu'en déclarant l'action irrecevable, la cour d'appel puis la Cour de cassation aient commis une erreur pour le moins grossière.

Une fin de non-recevoir sanctionne effectivement le défaut du droit d'agir, tel le défaut d'intérêt ou de qualité. Dans l'espèce étudiée, la cour d'appel évoque à tort le défaut de qualité. Ce défaut ne frappe par le représentant d'une partie, mais la partie elle-même. La qualité est utilisée lorsque l'action est attitrée. Ainsi, ne possède pas la qualité pour agir, le tiers à un contrat qui invoquerait une nullité relative, ou l'amant d'une épouse qui formerait une action en divorce contre le mari trompé. En dehors de l'action attitrée, la qualité pour agir se confond avec l'intérêt.

Dès lors, le défaut de pouvoir de représentation d'une personne morale ne constitue pas une fin de non-recevoir, mais un vice de fond visé expressément dans la liste (limitative) de l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2008ADQ). La Cour de cassation aurait donc dû confirmer la décision de la cour d'appel, mais, par une substitution de motifs, considérer que l'assignation adressée par le directeur général de l'association était nulle pour vice de fond. Le régime juridique de ces deux actions en défense est proche, mais il ne mérite pas qu'elles soient confondues.

II - Intervention du ministère public comme partie jointe et respect du contradictoire

Les parties doivent avoir communication des pièces produites par le ministère public à l'appui de son intervention comme partie jointe : Cass. civ. 1, 23 janvier 2008, n° 07-11.297, Mme Myriam Mathieu, divorcée Joulin, F-P+B (N° Lexbase : A1052D4Q)

L'intervention du ministère public comme partie jointe à une procédure civile n'est pas fréquente. Cette action particulière est alors assez proche de celle de l'avocat général près la Cour de cassation. Le magistrat intervient "pour faire connaître son avis sur l'application de la loi" (C. proc. civ., art. 425 N° Lexbase : L7708HE9). Il n'a pas, à proprement parler, un intérêt à agir, et ne subit pas les effets de la décision de justice. Il est donc une partie à part. La Cour européenne des droits de l'Homme a ainsi considéré ainsi, dans son arrêt "Borgers c/ Belgique" (1), du 30 octobre 1991, que l'avocat général près la Cour de cassation présente l'apparence d'une partie.

La question se pose alors de savoir si le ministère public est soumis aux mêmes obligations que les autres parties au procès, notamment s'agissant du respect du contradictoire.

Dans l'espèce étudiée, le procureur général près la cour d'appel était intervenu comme partie jointe dans une instance en divorce pour émettre un avis sur la fixation de la résidence d'un enfant et sur la contribution à son entretien. Le magistrat du ministère public avait produit à l'appui de son avis la copie d'un arrêt rendu en matière d'assistance éducative. La cour d'appel avait, ensuite, statué au vu des conclusions du ministère public et des pièces produites par lui.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation, au motif "qu'en statuant ainsi, sans constater que [Mme X] avait eu communication des conclusions du ministère public et des pièces jointes ni qu'elle avait eu la possibilité d'y répondre, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Cet arrêt est rendu au visa des articles 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2222ADN) et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Ce double visa est éclairant. Le principe du contradictoire implique la communication des pièces entre les parties, tant en vertu du droit interne qu'en vertu du droit international des droits de l'Homme (2). L'article 6 § 1 implique ainsi que les parties disposent d'un égal accès aux pièces (sur le fondement du principe de l'égalité des armes ou du contradictoire). En revanche, le visa de l'article 16 du Code de procédure civile est plus décevant. Il indique que le juge n'a pas fait observer le principe du contradictoire entre les parties (C. proc. civ., art. 16, al. 2). Certes, en retenant dans sa décision des conclusions et des pièces qui n'avaient pas été débattues contradictoirement, le juge avait manqué à son devoir élémentaire. Mais la Cour de cassation aurait pu faire preuve de plus d'audace en visant aussi l'article 15 du même code qui impose aux parties de "faire connaître en temps utile" les moyens et les pièces qu'elles invoquent. Ce visa aurait permis de reconnaître au ministère public le rôle qu'il a joué dans la procédure : celui d'une partie, au moins apparente.

On retiendra de cet arrêt l'essentiel : une juridiction ne peut retenir dans sa décision des conclusions ou des pièces produites par le ministère public intervenant comme partie jointe sans avoir communiqué ces éléments aux parties principales et leur avoir laissé le temps d'y répondre, soit par voie de conclusions, soit par la procédure de la note en délibéré.

III - Relevé d'office du moyen de droit : épilogue ou pas ?

Si le juge est tenu de requalifier les faits, il n'est pas obligé de soulever un moyen d'office : Ass. plén., 21 décembre 2007, n° 06-11.343, M. Denis Dauvin c/ Société Carteret automobiles, P+B+R+I (N° Lexbase : A1175D3W)

Voici enfin venu l'épilogue de plusieurs décennies d'incertitudes et de querelles au sein de la Cour de cassation sur le relevé d'office des moyens de droit. L'Assemblée plénière vient de trancher la controverse qui régnait entre les différentes chambres de la Haute juridiction pour proposer une vision apparemment claire de l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2043ADZ)

Les faits de l'espèce étaient des plus classiques. A la suite de la panne d'un véhicule acheté d'occasion, l'acquéreur avait cru pouvoir agir contre le vendeur sur le terrain de la garantie contractuelle et de la garantie des vices cachés. Il avait été débouté par la cour d'appel et reprochait, alors, aux juges du fond de na pas avoir relevé d'office le moyen tiré du défaut de conformité du véhicule.

La Cour de cassation a rejeté ce pourvoi en affirmant que "si, parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes".

Ce motif présente une apparente clarté. On comprend que la Cour de cassation reprend la distinction traditionnelle entre requalification des faits, imposée par l'article 12, alinéa 2, du Code de procédure civile, et relevé d'office d'un moyen de droit qui constitue une simple faculté pour la juridiction.

La décision se situe dans le fil de l'esprit du code de 1975 (3). Elle constitue aussi une solution pragmatique. Le juge, s'il détient un certain pouvoir sur le droit applicable au litige, ne doit pas se substituer à la carence des parties quant aux moyens susceptibles de fonder leurs prétentions. Après tout, si les parties se défendent mal, pourquoi imposer au juge de palier cette maladresse ? Par ailleurs, si l'Assemblée plénière avait contraint le juge de soulever d'office les moyens de droit pertinents, il aurait, par là même, suscité la multiplication des pourvois en cassation de plaideurs déçus de s'être eux-mêmes mal défendus. La solution adoptée apparaît donc comme la seule susceptible de garantir l'application de la règle de droit adéquate tout en évitant l'encombrement inévitable des juridictions civiles, et particulièrement de la Cour de cassation.

Pour autant, cet arrêt présente une zone d'ombre importante : celle de la requalification. En effet, on peut se demander si la transformation d'une action pour défaut de conformité en action en garantie des vices cachés relève d'un travail de requalification ou plutôt d'un relevé d'office d'un moyen de droit. Implicitement, l'Assemblée plénière penche pour la deuxième solution. Dans un arrêt du 12 juillet 2001 (Cass. civ. 1, 12 juillet 2001, n° 99-16.687, Mme Huguette Durrenberger, épouse Fini N° Lexbase : A1969AUH), la première chambre civile avait ainsi considéré que le juge saisi d'une action en nullité pour erreur était tenu de rechercher, sur le fondement de l'article 12, alinéa 2, du Code de procédure civile, si cette action ne devait pas être requalifiée en garantie des vices cachés.

On voit bien à travers cet exemple que le changement d'action est perçu par l'Assemblée plénière comme un relevé de moyen de droit (possible), alors que la première chambre civile considère qu'il s'agit d'une requalification (imposée).

Les juridictions et les auteurs s'affrontent depuis plusieurs décennies sur la question de savoir si le juge "peut" ou "doit" relever d'office un moyen de droit, alors que la véritable question consiste à se demander quelle est la ligne de partage entre la requalification et le relevé d'office. Cette question reste à ce jour sans réponse. Nul doute qu'elle donnera lieu à de nouvelles controverses doctrinales et jurisprudentielles.

IV - Exécution provisoire : la violation de l'article 12 du Code de procédure civile

L'erreur commise par un juge dans l'application ou l'interprétation d'une règle de droit ne constitue pas une violation manifeste de l'article 12 et ne permet pas d'obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire de droit : Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-44.548, M. Jean Daniel Torcheux, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1360D3R)

On sait que l'arrêt de l'exécution provisoire présente une certaine complexité, notamment, depuis le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, portant modification de la procédure civile (N° Lexbase : L0896GTD), qui a permis l'arrêt de l'exécution provisoire de droit dans des conditions très strictes. Ce décret visait, notamment, à trouver un compromis entre la position de la Cour de cassation, qui interdisait tout arrêt de l'exécution provisoire de droit (4), et la dissidence opérée par certains premiers présidents de cours d'appel qui n'hésitaient pas à arrêter l'exécution provisoire attachée à une décision manifestement illégale (5).

Depuis l'entrée en vigueur du décret précité, le premier président d'une cour d'appel peut arrêter l'exécution provisoire de droit, lorsque sont réunies deux catégories de conditions cumulatives (C. proc. civ., art. 524 N° Lexbase : L4949GUT) :

- cette exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ;
- en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 du Code de procédure civile.

A la suite de cette réforme, une incertitude importante planait sur l'interprétation à donner à cette disposition. Notamment, il s'agissait de connaître la signification exacte de la "violation de l'article 12 du Code de procédure civile". La notion même de violation de l'article 12 est très ambiguë, surtout lorsque l'on sait que, désormais, cet article ne fait pas obligation au juge de relever un moyen d'office (cf. notre commentaire ci-dessus).

Seule la jurisprudence pouvait donner un éclairage sur cette condition obscure. C'est dans cette perspective qu'il faut situer l'arrêt rendu par la Chambre sociale le 18 décembre 2007.

En l'espèce, un litige opposait un VRP et son employeur sur l'octroi d'une indemnité qui faisait suite à un licenciement. Les juges de première instance avaient condamné l'employeur au versement de cette indemnité et la décision était exécutoire de droit. En formant appel, l'employeur avait alors sollicité l'arrêt de l'exécution provisoire et le premier président de la cour d'appel avait fait droit à cette demande en estimant que la décision des premiers juges violait une règle de droit.

La Cour de cassation a censuré cette décision en affirmant clairement que "l'erreur commise par un juge dans l'application ou l'interprétation d'une règle de droit ne constitue pas une violation manifeste de l'article 12 du code précité, au sens de l'article 524 du même code".

Par cette affirmation, la Cour de cassation prolonge sa jurisprudence antérieure au décret de 2004. Elle considère, ainsi, avec constance, que le premier président d'une cour d'appel ne peut arrêter l'exécution provisoire d'une décision lorsqu'il soupçonne une illégalité, même manifeste. A l'évidence, la sanction de cette illégalité ne relève pas de sa compétence, mais de celle de la cour d'appel.

On en déduit que l'illégalité au fond de la décision n'est pas susceptible d'entraîner l'arrêt d'une exécution provisoire de droit, car elle ne constitue pas une violation de l'article 12.

La Cour de cassation donne ainsi une définition négative de la violation de l'article 12. On attend encore la définition positive.

Etienne Vergès,
Professeur agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université de Grenoble II


(1) CEDH, 30 octobre 1991, Req. n° 39/1990/230/296, Borgers c/ Belgique (N° Lexbase : A6419AWN), RDIDC, 1992, 125, note A. Wauters ; RTDH, 1992, 204, note J. Callewaert, RUDH, 1992, 6, obs. F. Sudre ; JDI, 1992, 797, obs. E. Decaux.
(2) Voir, pour plus de détail, le commentaire des arrêts "Borgers" et "Nideröst-Hubert" (CEDH, 18 février 1997, Req. n° 104/1995/610/698, Nideröst-Huber c/ Suisse N° Lexbase : A8290AWX), F. Sudre et autres, in Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 4ème éd. p. 298 et s..
(3) On se souvient que l'article 12, alinéa 3, du Code de procédure civile prévoyait à son origine une simple faculté pour le relevé d'office des moyens de droit mais que cette disposition avait été annulée par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 12 octobre 1979 (CE, 12 octobre 1979, n° 01875, Rassemblement des nouveaux avocats de France et autres N° Lexbase : A8873B7R, JCP éd. G, 1980, II, 19288) pour non-conformité au principe du contradictoire.
(4) Par ex., Cass. civ. 2, 14 mars 1979, n° 77-14466, Dame H. c/ H., publié (N° Lexbase : A4115CHU), Bull. civ. II, n° 80, parmi de très nombreuses décisions.
(5) Par ex. CA Versailles, 25 avril 1986, D., 1986, p. 521.

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Environnement - Bulletin d'actualités n° 1

[Jurisprudence] Bulletin droit de l'environnement du Cabinet Savin Martinet Associés : actualités "Commentaire du jugement du 16 janvier 2008 dans l'affaire Erika"

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N2247BEX

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Le 07 Octobre 2010

Par un jugement du 16 janvier 2008, la 11ème chambre du tribunal correctionnel de Paris semble avoir marqué une nouvelle étape vers la reconnaissance du préjudice écologique, principalement en accordant la réparation, à côté du préjudice matériel et moral que sont en droit d'obtenir certains acteurs du droit de l'environnement à l'occasion d'une catastrophe écologique, le droit à réparation de "l'atteinte portée à l'environnement". Nous verrons, après un bref rappel des faits (I), quelles responsabilités ont été retenues par le tribunal (II), et les apports que semblent présenter du point de vue de la reconnaissance du préjudice écologique le jugement du 16 janvier dernier (III), tout en les relativisant, eu égard au droit positif (IV).

I - Rappel des faits

Le 12 décembre 1999, s'échouait sur les côtes bretonnes le navire Erika, entraînant l'une des plus grandes catastrophes écologiques connues jusqu'alors par le pays (A) et justifiant des poursuites pénales à l'encontre d'un certain nombre d'acteurs de l'affaire, dont la société pétrolière Total (B).

A - Naufrage du 12 décembre 1999

En mai 1999, la société Total passe un contrat avec le groupe d'énergie Italien Enel pour la livraison de 200 à 280 000 tonnes de fuel.

Dans ce cadre, le pétrolier conclut en novembre 1999 un contrat d'affrètement avec la société Selmont, propriétaire du navire l'Erika, pour le transport de 30 000 tonnes de fuel.

Le 12 décembre 1999 au matin, l'Erika s'échoue au large des côtes bretonnes, déversant 19 000 tonnes de fuel sur 400 km de côtes.

Les dommages sont alors considérables : perte de biens privés ou professionnels (bateaux de plaisance, de pêche, dégradation des plages, ...) ; manque à gagner énorme pour les professionnels de la mer, tels les conchyliculteurs, les professionnels de tourisme, ... ; dépenses de l'Etat occasionnées par les mesures de sauvegarde ; destruction du milieu, ...

B - Procédure pénale

A l'issue d'une instruction de plusieurs années, la juge d'instruction Dominique de Talancé décide de renvoyer 15 personnes physiques ou morales devant le tribunal correctionnel de Paris pour "pollution" et "mise en danger de la vie d'autrui".

Parmi les prévenus on compte, notamment :

- en tant que personnes physiques le commandant du pétrolier, Karun M., l'armateur italien Giuseppe S., et le gestionnaire du navire Antonio P. ;
- du côté des personnes morales, le Rina (Registro Italiano Navale), société de classification italienne, à qui l'on reproche la certification du navire tout en le considérant non navigable, la société Total en tant qu'affréteur pour "complicité de mise en danger de la vie d'autrui" (inertie en dépit de la connaissance de l'état du navire).

Plus de cent parties civiles se sont constituées dont l'Etat, le Conseil général de Loire-Atlantique, des élus locaux réunis en association (Association ouest littoral solidarité), les régions, départements et communes, ainsi que de nombreuses associations de protection de l'environnement (LPO, Greenpeace, FNE,...).

II - Les responsabilités pénales retenues par le tribunal correctionnel

Le tribunal correctionnel a prononcé les condamnations sur le fondement de l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983 (loi n° 83-581, sur la sauvegarde de la vie humaine en mer, l'habitabilité à bord des navires et la prévention de la pollution N° Lexbase : L7108HTG) réprimant le délit de pollution (A). Trois des prévenus ont vu ainsi leur responsabilité pénale reconnue (B).

A - L'application de l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983

Le tribunal a retenu l'application de l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983, aujourd'hui codifié à l'article L. 218-22 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L3426DYK), qui transpose en droit interne les dispositions de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires dite "Marpol" de 1973.

Le délit de l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983 est constitué, selon le tribunal correctionnel par "la pollution des eaux territoriales, des eaux intérieures ou des voies navigables jusqu'à la limite de la navigation maritime, consécutive à un accident de mer résultant d'une faute qui, soit l'a provoqué, soit a consisté dans l'abstention de prendre les mesures permettant de l'éviter".

Plusieurs prévenus avaient demandé au tribunal d'écarter l'application de la loi française du 5 juillet 1983, au motif qu'elle n'aurait pas correctement transposé la Convention "Marpol" en droit français. Ils estimaient, en effet, que la loi présentait un caractère plus répressif en donnant une définition trop large de l'infraction de pollution, le texte français allant plus loin que la seule infraction de rejet illicite d'hydrocarbures dans la mer prévue dans la Convention "Marpol".

Le tribunal n'a pas suivi cette analyse et a estimé que le délit prévu à l'article 8 de la loi de 1983 n'était pas contraire à la Convention "Marpol". L'article 8 établit, en effet, selon lui une simple distinction entre l'infraction de rejet illicite d'hydrocarbures dans la mer, prévue par la Convention "Marpol" et l'infraction de pollution consécutive à un accident de mer provoqué par une faute d'imprudence ou de négligence, issue non pas de la Convention "Marpol" mais des dispositions de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer.

En vertu de cette convention, l'Etat côtier était donc, selon le juge, habilité à sanctionner le délit de pollution à la suite d'un accident en mer, en complément des dispositions de la Convention "Marpol".

B - Les personnes condamnées

1. Sur les responsabilités du propriétaire du pétrolier Erika, M. S., et du dirigeant de la société Panship, assurant la gérance technique de l'Erika, M. P.

MM S. et P. ont été condamnés au titre de l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983 pour avoir commis une faute caractérisée en ayant "de façon délibérée et concertée, pour des raisons de coûts, décidé une diminution des travaux effectués à Bijela [travaux réalisés en juin 1998 au chantier naval de Bijela au Monténégro dans le cadre de la visite quinquennale de l'Erika] dans des proportions telles qu'ils ne pouvaient ignorer que cela mettait en jeu la sécurité du navire".

Ils ont été condamnés chacun à une peine d'amende de 75 000 euros.

2. Sur la responsabilité de la société Rina

La société Rina a été condamnée pour avoir commis une faute d'imprudence ayant provoqué l'accident de mer et entraîné une pollution au sens de l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983.

La société Rina a, en effet, renouvelé le certificat nécessaire à l'affrètement dans la précipitation, sous la pression de contraintes commerciales, alors que des zones suspectes de corrosion avaient été observées sur le navire et que celles-ci constituaient le signe manifeste de l'état préoccupant de ses structures.

Le certificateur a été condamné en conséquence à une peine d'amende de 375 000 euros.

3. Sur la responsabilité de la société Total

La société Total a été condamnée pour avoir commis une faute d'imprudence ayant provoqué l'accident de mer.

Pour reconnaître la faute d'imprudence, le tribunal relève :

- d'une part, que l'acceptation par le service Vetting de Total (processus par lequel une société pétrolière vérifie qu'un navire est apte à être utilisé) de l'Erika à l'affrètement, "fût-il muni de tous ses certificats", constituait une faute d'imprudence, dès lors que le navire présentait un certain nombre de dangers certains (son âge, la discontinuité dans sa gestion technique, la nature des produits transportés...) ;
- d'autre part, que la vérification de la viabilité du navire n'avait pas eu lieu dans les temps exigés initialement par le service Vetting (défaut de renouvellement annuel de la validation du contrôle), ce qui constituait en soi "un aveu d'imprudence".

La société Total SA a ainsi été condamnée, au titre du délit de pollution de l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983, à une peine d'amende de 375 000 euros.

III - La contribution du jugement sur la question du préjudice écologique

Le jugement du 16 janvier 2008 n'est pas novateur sur la question de la reconnaissance du préjudice écologique (A). Il l'est davantage, en revanche, sur les montants accordés au titre de la réparation de l'atteinte à l'environnement (B). On peut, également, voir dans cette jurisprudence une extension intéressante à certaines collectivités territoriales du droit d'obtenir une réparation au titre de l'atteinte à l'environnement (C).

A - Confirmation du principe posé par certaines juridictions judiciaires de la réparation des atteintes à l'environnement

Le jugement du tribunal correctionnel de Paris a retenu toute l'attention sur la question des postes de préjudices indemnisables, en affirmant que les associations de protection de l'environnement visées à l'article L.142-2 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8526HN4), c'est-à-dire les associations agréées ou régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans, "peuvent demander réparation, non seulement du préjudice matériel et du préjudice moral, directs ou indirects, causés aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre, mais aussi celui résultant de l'atteinte portée à l'environnement, qui lèse de manière directe ou indirecte ces mêmes intérêts qu'elles ont statutairement pour mission de sauvegarder".

Le tribunal reconnaît ainsi explicitement, à côté du préjudice matériel et du préjudice moral de l'association, la possibilité pour cette dernière d'être indemnisée au titre de "l'atteinte à l'environnement".

L'indemnisation de la Ligue de la protection des oiseaux (LPO) fait clairement ressortir cette analyse. La LPO est, en effet, indemnisée :

- d'une part, au titre de son préjudice matériel correspondant aux "frais exposés pour le fonctionnement des centres de sauvetage et de soins des oiseaux mazoutés" et  aux "dépenses liées aux campagnes de communication spécifiques" ;
- d'autre part, au titre de son préjudice moral, la LPO étant reconnue comme "une association connue pour un engagement historique dans la lutte pour la protection des oiseaux" et une pollution de l'ampleur de celle consécutive au naufrage de l'Erika ayant "gravement mis en échec les efforts menés à cette fin depuis de nombreuses années" ;
- enfin, au titre du préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement, étant établi que la catastrophe de l'Erika "a causé un véritable désastre ornithologique".

Deux conditions étaient requises pour qu'une association justifie d'un intérêt à demander réparation de ce dernier préjudice :

- qu'il s'agisse d'une association agréée ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans, conformément à l'article L.142-2 du Code de l'environnement ;
- que l'objet statutaire de l'association lui permette de prétendre à une indemnisation du préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement.

En permettant l'indemnisation du préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement, la décision "Erika" a pu faire dire à certains qu'il s'agissait d'une première en matière de reconnaissance du préjudice écologique.

Or, il ne s'agissait pas de la première décision du juge judiciaire allant en ce sens. Quelques décisions avaient, en effet, déjà isolé la réparation du préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement des autres postes de préjudice.

Ainsi, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux avait, par un arrêt du 13 janvier 2006, jugé que l'indemnisation d'une association de protection de l'environnement agréée était justifiée au titre "du préjudice subi par la flore et les invertébrés du milieu aquatique" (CA Bordeaux, 3ème ch., 13 janvier 2006, n° 05/00567 N° Lexbase : A0571DSX).

De façon encore plus claire, le tribunal de grande instance de Narbonne, par un jugement en date du 4 octobre 2007, indemnisait le parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée de son préjudice matériel, de son préjudice moral et du "préjudice environnemental" lié à une pollution des eaux par le déversement dans la mer d'un produit insecticide par une usine de produits phytosanitaires.

Avec le jugement du 16 janvier 2008, le principe d'une réparation du "préjudice environnemental" ou du "préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement" est nettement renforcé, non pas par l'impact médiatique de cette nouvelle décision, mais surtout en raison des sommes octroyées au titre du préjudice environnemental.

B - Première par l'importance de la réparation

Le jugement du tribunal correctionnel de Paris se distingue très nettement des jurisprudences antérieures par l'ampleur de la réparation pécuniaire accordée à certaines parties civiles au titre de la réparation du préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement.

Dans les décisions précitées de la cour d'appel de Bordeaux et du tribunal de grande instance de Narbonne, le montant maximal des réparations accordées au titre des atteintes à l'environnement avait atteint respectivement 1 000 euros devant la cour et 10 000 euros devant le tribunal.

La réparation accordée dans l'affaire de l'Erika à la LPO au titre du préjudice écologique atteint la somme de 300 000 euros et vient compléter une indemnisation de 303 167,13 euros au titre du préjudice matériel et de 100 000 euros au titre du préjudice moral. Du point de vue du montant, cette décision reste sans précédent.

Elle est justifiée par l'ampleur du désastre ornithologique consécutif au naufrage, la LPO ayant notamment recueilli plus de 60 000 oiseaux et n'ayant pu sauver que 6 % de ceux arrivés vivant dans les centres de soins.

La décision semble également novatrice en ce qu'elle a accordé au département du Morbihan une réparation du préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement pour un montant de plus de 1 million d'euros.

C - Nouveauté quant à la réparation du préjudice environnemental accordée à une collectivité territoriale

Jusqu'alors il ne semblait pas qu'une collectivité territoriale soit recevable à demander une indemnisation au titre du préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement.

Dans l'affaire de l'Erika, alors que les demandes de réparation au titre d'un tel préjudice ont été rejetées pour les communes, et pour les départements du Finistère et de la Vendée, le département du Morbihan a obtenu réparation de l'atteinte à ses espaces naturels.

Les raisons de cette réparation tiennent au fait que le département répondait aux deux conditions requises par le juge pour qu'une collectivité territoriale soit indemnisée d'un préjudice environnemental :

- elle disposait d'une compétence spéciale en matière d'environnement lui "conférant une responsabilité particulière dans la protection, la gestion et la conservation d'un territoire", en vertu de l'article L. 142-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7605DKU) qui donne aux départements la mission de protection et sauvegarde des espaces naturels sensibles. Cette condition était, également, de fait, remplie par les départements du Finistère et de la Vendée. En revanche, le juge a souligné que les communes ne disposaient pas d'une telle compétence spéciale. Elles ne disposent ainsi, par principe, d'aucun droit à demander réparation du préjudice environnemental ;
- elle était parvenue à démontrer, contrairement aux départements du Finistère et de la Vendée, "une atteinte effective des espaces naturels sensibles". Le département du Morbihan avait, en effet, délimité précisément d'un point de vue géographique les espaces affectés par la pollution (662 hectares sur le littoral), contrairement aux deux autres collectivités.

Le jugement du 16 janvier 2008 contribue donc certainement à la reconnaissance du principe de la réparation du préjudice environnemental, même si cet apport doit être relativisé.

IV - Les limites a l'apport de la décison "Erika"

Il convient de relativiser l'apport du jugement du tribunal correctionnel de Paris, et de façon générale de la jurisprudence sur la reconnaissance du dommage écologique, pour trois raisons :

- tout d'abord, les juridictions reconnaissant un tel préjudice sont soit des juridictions de première instance, soit une juridiction d'appel. Aucun arrêt de la Cour de cassation n'est encore venu confirmer cette position. On peut, également, noter que le jugement du 16 janvier 2008 a fait l'objet d'un appel ;
- de surcroît, la reconnaissance du préjudice écologique ne semble avoir été effectuée que par les juridictions judiciaires. Le Conseil d'Etat refuse pour le moment de reconnaître la réparation d'un tel préjudice (CE, 26 octobre 1984, n° 49134, Fédération des associations de pêche de la Somme N° Lexbase : A5148ALA) ;
- enfin, la confirmation du principe de réparation du préjudice environnemental semble tout à fait discutable en droit positif : le dommage, pour donner lieu à réparation, doit être certain, personnel et direct. Le caractère personnel implique que seule la personne victime du dommage peut en demander réparation. En conséquence, seuls les dommages ayant des répercussions sur les personnes sont réparables.

Pour finir, la reconnaissance d'une réparation "générale" du préjudice environnemental ne semble pas en accord avec la Directive du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale (Directive n° 2004/35 N° Lexbase : L2058DYU), qui limite les possibilités de réparations aux atteintes causées aux espèces et habitats naturels protégés aux seuls cas de responsabilité sans faute pour les exploitants dont l'activité est listée dans les annexes de la Directive, et pour faute pour tout autre type d'exploitant.

On peut ainsi s'interroger sur l'articulation de cette jurisprudence avec la transposition de la Directive communautaire en droit français qui devrait avoir lieu très prochainement.

Savin Martinet Associés - www.smaparis.com - Cabinet d'avocats-conseils
Contacts :
Patricia Savin (savin@smaparis.com)
Yvon Martinet (martinet@smaparis.com)

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Fiscalité des particuliers

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine

Lecture: 10 min

N2256BEB

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en fiscalité du patrimoine réalisée par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris. En matière de droits d'enregistrement, cette chronique revient, d'abord, sur la question de la réintégration à l'actif de succession de retraits bancaires intervenus avant le décès (Cass. com., 4 décembre 2007, n° 06-18.327, Mme Claire Ollivier, épouse Sabatier, F-D), puis sur la requalification d'un contrat d'assurance vie en donation (Cass. mixte, 21 décembre 2007, n° 06-12.769, Mme Hélène Bagne, épouse Giusti c/ Administration fiscale, FS-P+B+R+I), et, enfin, sur le problème de l'évaluation des immeubles (Cass. com., 18 décembre 2007, n° 06-18.879, M. Pascal, Yves Jean Boudier, F-D). Dans le domaine de l'IR, il est traité de l'imposition d'un couple marié sous le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 291849, Minefi c/ M. Foray).
  • Droits d'enregistrement : retraits bancaires réintégrés à l'actif de succession (Cass. com., 4 décembre 2007, n° 06-18.327, F-D N° Lexbase : A0339D3X)

Lorsqu'une personne a retiré des espèces de ses comptes bancaires peu de temps avant son décès, l'administration est en droit, sous certaines conditions, soit de démontrer l'omission des sommes correspondantes dans la déclaration de succession, soit d'établir l'existence d'un don manuel au profit d'un successible. Au motif de la conservation des fonds, la Haute juridiction vient de rendre une décision lourde de conséquences puisqu'elle a validé une procédure dans laquelle le retrait litigieux avait été effectué pratiquement sept ans avant le décès.

1. La preuve de la conservation des espèces

Depuis sa condamnation, lorsqu'elle réintégrait systématiquement les espèces retirées par le défunt moins d'un an avant son décès en s'appuyant sur la présomption de propriété de créance de l'article 752 du CGI (N° Lexbase : L4715HWK), l'administration tente de prouver, soit la conservation des espèces par le défunt, soit l'existence d'un don manuel. Ce dernier est incontestable lorsque, par exemple, une personne acquiert un immeuble appartenant à celle qui l'a désignée légataire universel et qu'elle opère, à la suite du retrait du prix de vente des comptes du défunt, un dépôt important sans pouvoir en justifier l'origine (TGI Argentan, 14 mai 1992). Pour établir la conservation des espèces, l'administration doit rapporter la preuve d'un faisceau de présomptions de faits, graves, précises et concordantes. Il s'agit, d'une part, de l'importance des sommes retirées par rapport au train de vie habituel du défunt, de la proximité des dates de retraits et du décès, d'autre part, de l'absence d'emploi connu des sommes en cause, de l'impossibilité de les dépenser et du placement par les héritiers peu de temps après le décès de sommes équivalentes aux retraits (Doc. adm. 7 G-2154 n° 31 et 32 du 20 décembre 1996). Ainsi, le service apporte la preuve de la conservation des fonds en cas d'absence de replacement des fonds auprès de l'établissement bancaire où le défunt avait tous ses avoirs, ce dernier disposant de revenus susceptibles de lui procurer un large train de vie qu'il ne semblait pas avoir, puisqu'il dépensait peu (Cass. com., 1er juin 1993, n° 91-17.682, Mme Tillon et autres c/ DGI N° Lexbase : A6590AXD).

2. Le délai entre le retrait et le décès

Le délai entre le retrait et le décès est l'un des éléments faisant partie du faisceau de présomptions qui autorise la réintégration à l'actif de succession (par exemple, retraits importants dans les quatre mois précédant le décès : Cass. com., 20 mai 2003, n° 00-19.330, F-D N° Lexbase : A1466B98 ; retraits sans rapport avec le train de vie cinq semaines avant le décès : Cass. com., 21 mars 2000, n° 97-18.305, M. Guillaume Le Bec c/ M. Le Directeur des services fiscaux du Finistère et autres N° Lexbase : A6593AXH). Pour autant, rien n'interdit aux services de tenter d'établir la conservation, s'agissant de retraits plus anciens, dès lors qu'ils disposent d'éléments autres que la date du retrait, démontrant cette conservation par le défunt. Mais, l'administration n'invoquait la conservation que dans des hypothèses où le délai écoulé entre les retraits et le décès était inférieur à deux ou trois ans. Dans l'affaire examinée récemment par la Cour, le redressement correspondait à la réintégration dans l'actif successoral de deux sommes de 600 000 francs (91 469 euros) et de 10 000 francs (1 524 euros), retirées l'une, le 17 novembre 1991, l'autre, le 15 octobre 1998. Le décès était intervenu le 18 octobre 1998, soit pratiquement sept ans après le premier retrait ! Le juge a décidé que l'administration rapportait la preuve de la conservation des fonds aux motifs, d'une part, que ce retrait était sans lien avec le train de vie du défunt et, d'autre part, que ce dernier était hébergé chez l'héritier depuis onze ans. Cette décision confirme, donc, qu'un bref délai entre le retrait et le décès n'est pas une condition impérative pour prétendre réintégrer les fonds à la succession. En ayant recours à leur droit de communication prévu par l'article L. 81 du LPF (N° Lexbase : L3950ALU), les services des impôts peuvent donc faire porter leurs investigations sur toute la période de conservation des documents bancaires, sans se limiter à la période immédiatement antérieure au décès. Bien entendu, dans l'hypothèse où une telle recherche révèlerait un ou plusieurs retraits importants plusieurs années avant le décès, la preuve de la conservation devra être rapportée en s'appuyant sur des éléments autres que la date de ce retrait, comme dans l'espèce ayant donné lieu à la décision récente.

  • Requalification d'un contrat d'assurance vie en donation : Cass. mixte, 21 décembre 2007, n° 06-12.769, Mme Hélène Bagne, épouse Giusti c/ Administration fiscale, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1178D3Z)

Renforçant son contrôle sur les conditions dans lesquelles a été modifiée la clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie, la Cour en déduit l'intention du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable, caractérisant ainsi une donation, rapportable à sa succession. Cette décision écarte, donc, par une analyse concrète des circonstances, l'argument tiré de l'existence de la faculté de rachat qui permettait de contester la requalification.

1. L'argument tiré de l'existence de la faculté de rachat

La requalification d'un contrat d'assurance vie en donation fait l'objet d'un contentieux fourni (cf. D. Faucher, Requalification d'un contrat d'assurance vie, Lexbase Hebdo n° 92 du 30 octobre 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N9216AAL). Dans ce domaine, l'administration a, sans nul doute, repris à son compte l'affirmation du Professeur Lécuyer selon lequel "l'assurance vie côtoie trop la mort pour ne pas rencontrer le droit des successions". En effet, invoquant un faisceau d'indices (âge et état de santé du souscripteur, liens de parenté ou d'alliance avec le bénéficiaire etc.), les services des impôts prétendent déceler l'existence d'une donation indirecte, écartant ainsi l'application du régime fiscal spécifique de l'assurance vie (CGI, art. 757 B N° Lexbase : L8111HLY ou art. 990 I N° Lexbase : L9266HZ9). Dans un premier temps, c'est la démonstration de l'existence d'un aléa véritable qui a permis de s'opposer à ces requalifications (CA Rouen, 22 juin 2005, n° 02-4532). Dans un second temps, l'argument permettant de contester la remise en cause du régime spécifique au motif de l'existence d'une donation a été celui du dessaisissement irrévocable. En effet, toute donation, même indirecte, suppose la réunion des conditions posées par l'article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY), et, donc, notamment, un dépouillement actuel et irrévocable. Or, tant que le bénéficiaire du contrat n'en a pas accepté formellement le bénéfice, le souscripteur a le pouvoir d'éteindre sa créance soit en désignant un autre bénéficiaire, soit en exerçant le droit de rachat. Ainsi, cette faculté de rachat, dont bénéficie le souscripteur pendant la durée du contrat, exclut qu'il se soit dépouillé irrévocablement au sens de l'article 894 du Code civil (Cass. com., 28 juin 2005, n° 03-18.397, FS-D N° Lexbase : A8481DIX).

2. L'examen concret de la Cour de cassation

En examinant les conditions concrètes dans lesquelles le bénéficiaire des contrats avait été désigné, la Cour renforce son rôle de juge du droit. Au cas particulier, en mettant en évidence "le caractère illusoire de la faculté de rachat", la Haute juridiction confirme que la décision de la cour d'appel qui avait décidé qu'à la suite de la souscription des contrats d'assurance vie, la modification de la désignation bénéficiaire, trois jours avant le décès du souscripteur, au profit de la légataire universelle qu'il avait instituée dans les jours précédents, démontrait que le souscripteur, informé ou conscient de l'issue fatale de sa maladie, avait manifesté sa volonté de se dépouiller irrévocablement des sommes investies par lui. En relevant, ainsi, l'existence d'un dépouillement irrévocable, le juge d'appel avait écarté toute critique fondée sur l'article 894 du Code civil. De surcroît, la Cour de cassation précise que l'acceptation en terme express visée par l'article 932 (N° Lexbase : L0089HPY) du même code ne concerne que les donations passées en la forme authentique. Dès lors, cette acceptation, condition également requise pour caractériser une donation, peut être tacite, s'agissant d'une donation indirecte, et résulter ainsi de l'attribution du bénéfice du contrat.

  • Droits d'enregistrement : évaluation des immeubles (Cass. com., 18 décembre 2007, n° 06-18.879, F-D N° Lexbase : A1216D3G)

La Cour de cassation vient de rappeler, avec fermeté, l'un des principes en matière d'évaluation des biens : lorsqu'elle entend contester la valeur retenue pour l'assiette de droits de succession, l'administration doit justifier de son évaluation au moyen d'éléments de comparaison tirés de la cession, avant le décès, de biens similaires. En effet, la remise en cause de la valeur déterminée lors de la transmission à titre gratuit d'immeubles est enfermée dans le respect de principes, parmi lequel l'antériorité des éléments de comparaison. La décision récemment rendue confirme, ainsi, que l'acceptation d'un élément de comparaison postérieur au fait générateur reste une décision d'espèce.

1. Le recours à des mutations de biens antérieurs au fait générateur de l'impôt

La valeur d'un immeuble s'apprécie au jour de sa transmission (Cass. com., 28 janvier 1992, n° 90-11.459, Consorts Obadia c/ Directeur Général des Impôts N° Lexbase : A4679ABW). Au nom de ce principe, ni l'administration, ni le redevable ne peuvent invoquer comme termes de comparaison la cession d'immeubles dont la date est postérieure au fait générateur de l'impôt. Ainsi, l'évaluation d'un immeuble transmis par donation ne peut être fixée en fonction du prix de vente qu'en a obtenu ultérieurement le donataire (Cass. com., 29 mars 1994, n° 2216 D). Cette jurisprudence se justifie par le fait qu'il ne saurait être reproché, soit aux redevables, soit à l'administration, de méconnaître, au jour du fait générateur de l'impôt, une cession intervenue ultérieurement. Il peut être considéré qu'admettre des cessions postérieures introduirait une certaine insécurité fiscale, insécurité qui existe déjà en pratique puisque les redevables n'ont pas, à leur disposition, les mêmes outils que l'administration pour déterminer une valeur de marché. De même, des circonstances postérieures au fait générateur et qui affectent le bien à évaluer ne sont pas prises en compte. Tel est le cas, par exemple, d'une modification du plan d'occupation de sols intervenue après l'acquisition (Cass. com., 19 décembre 2000, n° 98-13.355, M. Marc Lefébure c/ Directeur des Impôts, Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9327ATM).

2. La validité d'un élément de comparaison postérieur de deux jours par rapport au fait générateur

Dans une affaire examinée en 2001, la Cour de cassation a décidé que les services pouvaient valablement invoquer la cession d'un bien similaire intervenue deux jours après le décès, fait générateur de l'impôt (Cass. com., 27 mars 2001, n° 98-15.302, F-D N° Lexbase : A0927ATI). Les deux motifs, pour justifier de cette prise en compte, étaient, l'un, le fait que le prix avait été convenu avant le décès, l'autre, le fait que ce prix n'avait pu connaître de modification notable pendant ces deux jours. Cet arrêt doit, cependant, être considéré comme une décision d'espèce à la lumière de celle rendue récemment. En effet, au cas particulier, pour déterminer la valeur d'un immeuble figurant à l'actif d'une succession ouverte le 21 décembre 1994, le service invoquait le prix de vente d'un immeuble similaire intervenue en mars 2002. Pour casser l'arrêt de la cour d'appel qui avait validé la procédure, les juges ont fermement rappelé que, "lorsque l'administration entend substituer à la valeur déclarée dans un acte de mutation soumis aux droits d'enregistrement la valeur vénale réelle du bien en cause, il lui appartient, dès la notification de redressement, de justifier de l'évaluation par elle retenue au moyen d'éléments de comparaison tirés de la cession, avant le décès, de biens similaires".

  • IR : imposition d'un couple marié sous le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 291849, Minefi c/ M. Foray N° Lexbase : A1515D3I)

Des époux soumis au régime de la séparation de biens, assorti d'une société d'acquêts, doivent faire l'objet d'une imposition distincte dès lors qu'ils ne vivent pas sous le même toit. Cette décision précise donc que, malgré sa nature hybride permettant d'associer celui de la communauté et de la séparation de biens, le régime de séparation de biens avec société d'acquêts reste considéré, au regard des règles édictées par l'article 6 du CGI (N° Lexbase : L1025HLK), comme un régime séparatiste.

1. Règle de l'imposition par foyer

La règle de l'imposition par foyer, énoncée à l'article 6-1, alinéa 1er, du CGI, consiste à cumuler les revenus perçus par les différents membres du foyer fiscal afin de les soumettre à une imposition unique. S'agissant des personnes mariées, cette règle repose également sur l'égalité des droits reconnue aux deux époux.

2. Imposition séparée des époux

Le principe du cumul des revenus, soumis à une imposition unique par foyer, comporte des exceptions limitativement prévues à l'article 6-4 du CGI. Parmi ces exceptions, figure celle concernant les époux séparés de biens, soit par contrat de mariage, soit à la suite d'une séparation de corps, et ne vivant pas sous le même toit. Ces conditions, régime matrimonial séparatiste et résidence séparée, doivent être simultanément remplies. Ainsi, une femme mariée, séparée de corps de son époux ne peut faire l'objet d'une imposition distincte de celui-ci s'il résulte de l'instruction que les intéressés étaient domiciliés à la même adresse durant les années litigieuses (CAA Paris, 12 juin 2001, n° 97PA02925). De même, l'éloignement temporaire ne suffit pas pour justifier une imposition séparée (exemple d'un époux qui ne peut résider avec son épouse que pendant le période des congés annuels en raison de sa profession de marin : CE Contentieux, 6 juin 1984, n° 17369, M. et Mme Oskarsson N° Lexbase : A7583ALG). S'agissant du régime matrimonial, celui de la séparation de biens avec adjonction d'une participation aux acquêts est donc considéré comme un régime de séparation au regard de l'impôt sur le revenu. Pourtant, ce régime est mixte, conférant la protection d'un pur régime de séparation et apportant la juste répartition de l'enrichissement du ménage, caractéristique des régimes communautaires.

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Public général

[Textes] Loi relative à la simplification du droit : des normes qui doivent être intelligibles pour être respectées

Réf. : Loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007, relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H)

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N2189BES

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 07 Octobre 2010

Adoptée par le Parlement le 20 décembre 2007, la loi n° 2007-1787, relative à la simplification du droit, s'inscrit dans une démarche initiée par les lois n° 2003-591 du 2 juillet 2003 (N° Lexbase : L6771BHA) et n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 (N° Lexbase : L4734GUU). En effet, la complexité du droit français nuit à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Les causes de cette complexification proviennent, notamment, de l'importance prise par les normes communautaires et internationales dans notre environnement juridique et des transferts de compétence de l'Etat aux collectivités territoriales, à la suite des différentes lois de décentralisation. Comme l'a souligné Bernard Saugey dans son rapport, la simplification du droit est conforme à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, et elle répond, également, à une attente forte des citoyens, "déroutés par l'abondance et la complexité des normes, des entreprises, freinées dans leurs initiatives par la multiplicité des démarches administratives à accomplir, et des administrations publiques elles-mêmes, conscientes que l'inflation des textes et leur insuffisante clarté nuisent à l'efficacité de l'action des pouvoirs publics et en augmentent sensiblement le coût".

On a ainsi pu lire, dans le rapport public du Conseil d'Etat de 2006 : "ce rythme et ce désordre normatifs créent de nombreux effets préjudiciables pour l'ensemble des acteurs de la société : ils désorientent les citoyens qui perdent leurs repères et n'ont pas le temps d'en trouver de nouveaux, ils pénalisent les opérateurs économiques et nuisent à l'attractivité de notre territoire, ils désarçonnent les autorités publiques en charge de l'application et les juges sans cesse confrontés à de nouvelles normes".

Le rapporteur énonce, également, que la simplification du droit constitue, aussi, un objectif juridique à part entière comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 (N° Lexbase : A9631C89). En effet, examinant la conformité à la Constitution de la loi n° 2003-591, le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion de préciser que les mesures de simplification et de codification du droit répondaient "à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi". Ainsi, pour le Conseil, seule une connaissance suffisante par les citoyens des normes qui leur sont applicables assure à la fois l'effectivité de l'égalité devant la loi énoncée à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M), la garantie des droits requise par son article 16 (N° Lexbase : L1363A9D), et l'exercice des droits et libertés prévus par ses articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K) et 5 (N° Lexbase : L1369A9L).

Ces signaux d'alerte émanant des plus hautes autorités judiciaires françaises ont été entendus par les pouvoirs publics, lesquels ont déclenché le processus de simplification du droit en 2003 (I). Ce processus aboutit aujourd'hui, avec le vote de la loi n° 2007-1787, à des innovations importantes en matière de délivrance de permis de construire et d'occupation du domaine public (II).

I - La simplification du droit : une nécessité prise en compte depuis plusieurs années...

Le législateur, à deux reprises, en 2003 et 2004, a adopté des lois de simplification ayant ouvert la voie à la démarche actuelle. Cette activité législative a été complétée par la création de la Direction générale de la modernisation de l'Etat et la réactivation des études d'impact (A). Cette volonté tend à s'intensifier depuis, l'une des avancées importantes de la loi qui vient d'être votée résidant dans l'abrogation des dispositions devenues sans objet ou obsolètes (B).

A - Une démarche législative et réglementaire déjà entamée par les pouvoirs publics

Insufflant une dynamique résolument novatrice, la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, a permis d'apporter, dans des domaines très variés, de nombreuses simplifications. Le rapporteur, Bernard Saugey, cite, à cet égard, l'exemple du domaine sanitaire et social où les formalités ont été allégées, ainsi que les démarches des usagers et des entreprises. Ces simplifications sont intervenues par des mesures d'application directe, ainsi que par de nombreuses habilitations prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X). La loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 a opéré, quant à elle, de nombreuses simplifications de la législation, par voie d'ordonnances ou par des mesures d'application directe. Elle a, également, poursuivi le travail de codification en habilitant le Gouvernement à créer ou modifier de nombreux codes.

Pour le rapporteur, la volonté de l'Etat d'engager un vaste chantier de simplification du corpus juridique français s'est traduite par la création en 2006 de la Direction générale de la modernisation de l'Etat (DGME). Aux termes du décret n° 2005-1792 du 30 décembre 2005 (N° Lexbase : L6685HEC), la DGME a pour mission "de coordonner, d'aider et d'inciter, au niveau interministériel, les administrations en vue de moderniser les modes de fonctionnement et de gestion de l'Etat pour améliorer le service rendu aux usagers, contribuer à une utilisation plus performante des deniers publics et mobiliser les agents publics".

Enfin, le rapporteur souligne un élément important, à savoir que "l'effort de simplification passe nécessairement par la réactivation des études d'impact préparatoires aux choix publics, expérimentées dans les années 1990, puis progressivement tombées en désuétude". Destinées à endiguer la prolifération des textes et à en maîtriser la complexité, les études d'impact comprennent l'évaluation de la législation existante, les objectifs de la réforme envisagée, les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles, ainsi qu'une estimation sommaire des conséquences économiques et financières de la réforme. Cependant, pour une entière effectivité, il faudrait leur donner un ancrage constitutionnel, en définissant leur contenu dans une loi organique. Cette dernière disposerait que l'étude d'impact doit obligatoirement exposer les raisons du choix du dépôt d'un projet de loi et indiquer les effets attendus du projet. L'efficacité de cette formule exigerait, bien entendu, que l'étude d'impact, comme l'examen par le Conseil d'Etat, devienne une formalité substantielle soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, qui en vérifierait non seulement l'existence mais aussi la sincérité.

B - La disparition du corpus juridique français de multiples textes devenus sans objet ou obsolètes

L'article premier de la loi n° 2007-1787, qui insère un article 16-1 dans la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ([LXB=L04020AIE]), a pour objet de contraindre les autorités administratives à faire droit à toute demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal ou sans objet. S'agissant de l'abrogation des actes administratifs devenus illégaux ou qui le sont depuis leur origine, le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 (N° Lexbase : L0278A3P) concernant les relations entre l'administration et les usagers, a posé, pour la première fois, le principe selon lequel : "l'autorité compétente est tenue de faire droit à toute demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, soit que le règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte des circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date". Cette obligation a été confirmée dans les mêmes termes par l'arrêt du Conseil d'Etat "Alitalia" du 3 février 1989 (CE Contentieux, 3 février 1989, n° 74052, Compagnie Alitalia N° Lexbase : A0651AQ8). Outre la consécration législative d'un principe jurisprudentiel, l'article premier introduit un principe nouveau dans notre droit : l'abrogation de règlements administratifs devenus sans objet par l'effet de circonstances de droit ou de fait postérieures à leur publication. Cette mesure opportune vise à remédier à l'un des maux de la réglementation française : le maintien dans le corpus juridique national de dispositions illégales ou sans objet, générant une sédimentation des textes préjudiciable au citoyen.

La simplification du droit suppose, également, d'engager une démarche nouvelle, consistant en l'abrogation des textes superflus. Le rapporteur précise que cette entreprise vise à combattre le risque d'un empilement des textes de nature à affecter la lisibilité du droit applicable. Le constat est connu : en 1991, le Conseil d'Etat relevait l'existence de 7 500 lois et 100 000 décrets. Seize années après, les normes juridiques, que "nul n'est censé ignorer", ont progressé en volume. Le nombre de textes, dont le recensement s'avère extrêmement difficile, pourrait aujourd'hui avoisiner 8 000 lois et 140 000 décrets. En dépit des ambitions annoncées et d'un important travail de codification engagé dans les années 1990, le système juridique français n'a, en effet, pas échappé à la logique de sédimentation, consistant à prendre successivement des textes sur le même sujet sans réévaluation d'ensemble du dispositif et sans abrogation en conséquence de tout ce qui est devenu inutile, superfétatoire, redondant ou encore obsolète. C'est pourquoi la présente loi procède, dans son article 27, à l'abrogation de plus de 135 lois, articles de loi, décrets, ordonnances, devenus totalement sans objet, telle une loi de 1924, rendant les femmes commerçantes éligibles aux chambres de commerce, ou encore une loi de 1931, relative au commerce de la chicorée.

II - Des innovations importantes en matière de délivrance de permis de construire et d'occupation du domaine public

Le volet du texte touchant aux collectivités territoriales simplifie le fonctionnement de ces collectivités à plusieurs titres et harmonise le droit applicable en la matière. C'est ainsi que les modalités de suppléance au sein du comité des finances locales sont redéfinies. En matière de marchés publics, le maire peut, désormais, prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres d'un montant inférieur à un seuil défini par décret, ainsi que toute décision concernant leurs avenants qui n'entraînent pas une augmentation du montant du contrat initial supérieure à 5 %, lorsque les crédits sont inscrits au budget. Cependant, les deux innovations les plus importantes de la loi n° 2007-1787 concerne la sécurisation des autorisations d'urbanisme délivrées depuis le 1er octobre 2007 (A), et l'autorisation d'occupation du domaine public pour les activités non commerciales (B).

A - Le maire peut désormais déléguer sa signature aux agents chargés de l'instruction des demandes de permis de construire

Aux termes de l'article 16 de la loi n° 2007-1787, le maire peut, désormais, déléguer sa signature aux agents chargés de l'instruction des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et de l'examen des déclarations préalables à la réalisation de constructions, aménagements, installations ou travaux. Et le rapporteur rappelle qu'avant le 1er octobre, date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005, relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme (N° Lexbase : L4697HDC), l'article L. 421-2-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3421HZQ) permettait au maire ou au président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent de déléguer sa signature aux agents chargés de l'instruction des dossiers. Or, ces dispositions n'ont pas été reprises dans le nouvel article L. 423-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3438HZD). Dès lors, seul était jusqu'à présent applicable l'article L. 2122-19 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8587AAB), qui établit la liste des personnes auxquelles le maire peut déléguer sa signature : le directeur général des services, le directeur général adjoint des services, le directeur général et le directeur des services techniques.

En conséquence, depuis le 1er octobre 2007, les agents des services instructeurs des communes n'étaient plus autorisés à signer les actes d'instruction tels que, par exemple, la notification de la liste des pièces manquantes lorsqu'un dossier est incomplet. Les dispositions adoptées par la loi n° 2007-1787 ont pour objet de réparer cette omission, et valident, en outre, les décisions prises par les maires et les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale entre le 1er octobre 2007 et la date d'entrée en vigueur de la loi, en tant qu'elles seraient entachées de ce seul vice de forme.

En effet, le rapporteur souligne qu'à défaut de cette validation, des contentieux auraient pu être introduits pour contester des décisions d'octroi ou de refus de permis de construire ou même faire constater la délivrance tacite d'un permis puisque les demandes de pièces complémentaires seraient irrégulières. L'article L. 424-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3440HZG) dispose, en effet, que "le permis est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction". Cette validation ne remet donc pas en cause l'autorité de la chose jugée et répond à un motif d'intérêt général.

B) Une possibilité d'occupation du domaine public à titre gratuit pour des activités non commerciales

L'article 18 de la loi n° 2007-1787 complète l'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques , afin de permettre aux collectivités territoriales d'accorder une autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public à titre gratuit, à condition que le bénéficiaire n'y exerce pas d'activité commerciale. Dans sa rédaction antérieure, l'article L. 2125-1 précité disposait que toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique donne lieu au paiement d'une redevance. Etaient, toutefois, prévues deux dérogations, d'une part, lorsque l'occupation ou l'utilisation était la condition naturelle et forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage, intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous, et, d'autre part, lorsque l'occupation ou l'utilisation contribuait directement à assurer la conservation du domaine public lui-même.

Le rapporteur énonce que ces dérogations apparaissent aujourd'hui trop restrictives et obligent les collectivités territoriales à délivrer une permission de voirie ou un permis de stationnement donnant lieu au paiement d'une redevance d'occupation privative du domaine public, alors même que les bénéficiaires, par exemple des associations, n'exercent pas d'activités commerciales. Telle est la raison pour laquelle la loi du 20 décembre 2007 permet aux collectivités territoriales, dans des conditions déterminées par les assemblées délibérantes concernées, d'autoriser dans ce cadre l'occupation ou l'utilisation de leur domaine gratuitement. Cependant, cette occupation gratuite est nécessairement temporaire, les articles L. 2122-2 et L. 2122-3 du Code général de la propriété des personnes publiques précisant respectivement que "l'occupation ou l'utilisation du domaine public ne peut être que temporaire" et que "toute autorisation présente un caractère précaire et révocable".

La simplification du droit est une obligation qui s'impose tant au législateur qu'à l'administration. En la matière, le regard doit être tourné non seulement vers le passé, mais aussi vers l'avenir. Vers le passé, pour corriger les défauts de la législation actuellement en vigueur. Vers l'avenir, en recherchant des voies qui permettront d'éviter les écueils qui ont conduit à la situation actuelle de perte de lisibilité du droit.

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Social général

[Panorama] Panorama des arrêts inédits rendus par la Cour de cassation - Semaine du 18 février 2008 au 22 février 2008

Lecture: 7 min

N2289BEI

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Le 07 Octobre 2010

Retrouvez, chaque semaine, une sélection des arrêts inédits de la Cour de cassation, les plus pertinents, classés par thème.
  • Clause de non-concurrence

- Cass. soc., 21 février 2008, n° 07-40.520, M. Gilbert Schweitzer, F-D (N° Lexbase : A0680D7C) : Le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue. Il incombe à l'employeur qui s'oppose à la demande en paiement de dommages-intérêts de ce chef de prouver que le salarié n'a pas respecté cette clause .

  • Applicabilité des conventions collectives

- Cass. soc., 21 février 2008, n° 06-46.424, Association Anaïs, F-D (N° Lexbase : A0595D78) : Conformément à l'article R. 143-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1837G9W), interprété à la lumière de la Directive européenne 91/533/CEE du Conseil du 14 octobre 1991 (N° Lexbase : L7592AUQ), l'employeur est tenu de porter à la connaissance du salarié la convention collective applicable. Si, dans les relations collectives de travail, une seule convention collective est applicable, laquelle est déterminée par l'activité principale de l'entreprise, dans les relations individuelles, le salarié peut demander l'application de la convention collective mentionnée sur le bulletin de paie. Cette mention vaut présomption de l'applicabilité de la convention collective à son égard, l'employeur étant admis à apporter la preuve contraire. Pour décider que la Convention collective nationale du secteur sanitaire, social et médico-social du 26 août 1965 était applicable en totalité au salarié d'un atelier protégé et condamner l'employeur à verser divers rappels de primes et congés payés, les juges du fond ont retenu que l'application volontaire partielle de la convention collective ne s'appuie sur aucune réalité, que les dispositions conventionnelles plus favorables peuvent s'appliquer et s'ajouter au salaire fixé par les dispositions légales, que rien ne démontre l'absence de possibilité de transposer les dispositions de la convention collective aux travailleurs handicapés et que l'employeur ne justifie pas avoir dénoncé régulièrement l'engagement unilatéral qu'implique au profit du salarié la mention de la convention collective sur les bulletins de paie. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme il l'avait soutenu, l'employeur n'avait jamais appliqué volontairement les dispositions de la convention collective relatives à la rémunération aux travailleurs orientés par décision Cotorep en atelier protégé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision .

  • Calcul de la rémunération/Preuve

- Cass. soc., 21 février 2008, n° 06-41.547, M. Pierre Oddo, F-D (N° Lexbase : A0560D7U) : Lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire. Or, pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'indemnité au titre de la prime d'objectifs, la cour d'appel a retenu que celui-ci n'apportait pas la preuve qu'il lui était dû une somme à ce titre et que le fait pour lui de ne pas connaître le résultat net comptable à partir duquel la prime pouvait être calculée ne permettait pas de lui attribuer la somme sollicitée. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'employeur de justifier du résultat net comptable réalisé pendant la période sur laquelle portait la réclamation, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) .

  • Rupture du contrat de travail/Salarié malade

- Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-44.712, Société Compact G, anciennement dénommée Semat frères, F-D (N° Lexbase : A0576D7H) : Si l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8), qui fait interdiction de licencier un salarié, notamment, en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, ne s'oppose pas à son licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées de l'intéressé, celui-ci ne peut, toutefois, être licencié, que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif. Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de ce qu'il a procédé au remplacement définitif du salarié, licencié en raison de son absence prolongée pour maladie, dans un délai raisonnable après son licenciement. La cour d'appel, qui n'avait pas à pallier la carence de l'employeur dans l'administration de la preuve et qui a constaté que la promotion interne d'un salarié n'établissait pas à elle seule le remplacement définitif de M. V., licencié en raison de son absence prolongée pour maladie, a légalement justifié sa décision .

- Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-46.233, M. Christian Lacoux, F-D (N° Lexbase : A0594D77) : De même, est justifiée la décision de la cour d'appel ayant constaté que le salarié avait été remplacé dans ses fonctions de responsable du service paie par la promotion interne d'une autre salariée chef de groupe et qu'il avait été procédé à l'embauche d'une salariée pour occuper le poste laissé vacant .

  • Prise d'acte de la rupture

- Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-42.360, Clinique mutualiste Eugène André, F-D (N° Lexbase : A0561D7W) : La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission. Par ailleurs, lorsqu'un salarié refuse la modification de son contrat de travail l'employeur doit, soit le rétablir dans son emploi, soit tirer les conséquences du refus en engageant la procédure du licenciement. La cour d'appel qui a constaté qu'après avoir pris acte du refus par la salariée du régime d'alternance jour/nuit qui lui était proposé, l'employeur n'avait pas renoncé à modifier son contrat de travail en lui imposant une mutation dans un service dont le rythme de travail et les horaires n'étaient pas conformes à l'avenant, en a exactement déduit que la démission s'analysait en une prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse .

  • Rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur

- Cass. soc., 20 février 2008, n° 07-40.102, Société Trefileries de Conflandey, F-D (N° Lexbase : A0672D7Z) : La cour d'appel a, sans dénaturation, constaté qu'un salarié, directeur d'exploitation d'une usine avant son expatriation, avait été affecté, à son retour, à un poste sans autonomie ni responsabilités opérationnelles et "managériales" et que la société, qui l'avait, ainsi, "mis au placard", avait divulgué à l'ensemble des cadres les accusations qu'elle faisait peser sur lui. Ayant retenu que la violation par l'employeur de ses obligations justifiait la rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision .

  • Contrat de travail temporaire

- Cass. soc., 20 février 2008, n° 07-40.223, Société Alstom transport, F- (N° Lexbase : A0676D78) : Aux termes du premier alinéa de l'article L. 124-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5554ACP), le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet, de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice. Selon le second alinéa de ce texte, un utilisateur ne peut faire appel à des salariés intérimaires que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée "mission", et seulement dans les cas énumérés à l'article L. 124-2-1 du même code (N° Lexbase : L9584GQZ), notamment, en cas de remplacement ou d'accroissement temporaire d'activité. Il en résulte, d'une part, que l'entreprise utilisatrice ne peut employer des salariés intérimaires pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre, et, d'autre part, que le recours à des salariés intérimaires ne peut être autorisé que pour les besoins d'une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, notamment, en cas de variations cycliques de production, sans qu'il soit nécessaire ni que cet accroissement présente un caractère exceptionnel, ni que le salarié recruté soit affecté à la réalisation même de ces tâches. La cour d'appel, ayant constaté que le salarié avait occupé, durant plus de quatre années, le même emploi, pour des missions cumulées, sans interruption significative, ayant pour objet de faire face à l'exécution de commandes groupées, à la réalisation de travaux de reprise et à la nécessité de respecter les délais de livraison sur des chantiers prévus de longue date et liés à l'activité habituelle de la société et que cette société, qui ne démontrait en rien qu'elle était soumise à des variations cycliques de production, employait un tiers de ses effectifs en qualité d'intérimaires, a exactement décidé que ces contrats de travail temporaires, qui avaient pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, devaient être requalifiés en contrats de travail à durée indéterminée .

  • Travail à domicile

- Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-44.741, Mme Marie-Agnès Dewancker, F-D (N° Lexbase : A0577D7I) : La cour d'appel, qui a relevé que la salariée travaillait à domicile et était libre pour l'essentiel de l'organisation de son travail et que l'employeur ne pouvait exercer de contrôle autre que la réalisation des tâches par la salariée, en a exactement déduit que celle-ci n'était pas à la disposition permanente de l'employeur et travaillait à temps partiel .

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