La lettre juridique n°293 du 21 février 2008

La lettre juridique - Édition n°293

Éditorial

Confiance dans l'économie numérique : to be or not to be à l'heure du boycott et du buzz

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Près de quatre ans après l'adoption de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, l'heure est-elle encore à trouver, verbatim, "le bon niveau du curseur de la contrainte juridique, celui qui assure une protection contre les débordements excessifs, en prévenant au passage le risque que cette poussée régénératrice ne se discrédite et ne provoque alors une résistance sociale légitime à son épanouissement, et celui qui n'étouffera pas l'envie d'inventer, d'améliorer, de prendre des risques, qui est à l'origine de toute création de richesse économique", comme le soulignait Jean Dionis du Séjour, dans son Rapport auprès de l'Assemblée nationale ? L'échange électronique est, désormais, B2B (business to business) entre entreprises, B2C (business to consumer) à destination des particuliers, C2C (consumer to consumer) entre particuliers, B2E (business to employee) entre une entreprise et ses employés, ou B2G (business to government) entre les entreprises privées et le gouvernement ; le commerce électronique a-t-il encore besoin d'être promu ?

16 milliards d'euros annuels transitent en France par le biais de ce "nouveau type de vente à distance" (sic). Et l'essor est tel que, lorsque, jadis, il s'agissait de s'attacher, en priorité, à la définition de la communication publique en ligne, au régime de responsabilité pour les hébergeurs, à la définition du commerce électronique, ou à un régime de consentement préalable pour la prospection par voie de courrier électronique, les questions nouvelles posées par la pratique du commerce électronique paraissent d'une complexité, réfutée en son temps par le législateur, mais qu'il apparaît difficile, aujourd'hui, de contourner, comme l'ont fort bien mis en évidence Isabelle Gavanon, Avocat - Directeur associé, propriété intellectuelle - technologies de l'information, Cabinet Fidal, Camille Beurdeley, Chef de service, Affaires juridiques, FIEEC (Fédération des industries électriques électroniques et de communication), et Katrina Senez, Responsable propriété intellectuelle FIFAS (Fédération des industries du sport et des loisirs), à l'occasion d'un atelier organisé par l'Association pour le développement de l'informatique juridique (Adij), le 12 février dernier, et dont nous vous proposons cette semaine, un compte-rendu.

Que l'on s'attarde sur l'existence d'une activité commerciale pour des particuliers supposés vendre sur internet à titre exceptionnel ; sur la vente de produits contrefaisants favorisée par le commerce électronique ; sur l'absence d'un contrôle a priori du contenu véhiculé via les infrastructures des prestataires techniques ; sur le principe d'exonération de responsabilité quant au contenu véhiculé par les prestataires techniques ; sur l'exécution du contrat en ligne ; sur la technique du référencement payant proposé par les sites exploitant des moteurs de recherche ; ou sur la reconnaissance progressive par la jurisprudence du délit de contrefaçon retenu à l'encontre des sites exploitant des moteurs de recherche et proposant ces référencements payants ; force est de constater que la simple extension aux activités nouvelles des dispositions déjà prévues par le droit pour les activités traditionnelles équivalentes ne semble plus suffisant pour répondre aux enjeux du développement de l'économie numérique, quelques années seulement après l'adoption de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. D'aucuns diront que la loi transposait une Directive du 8 juin 2000, et qu'en cela, les principes juridiques dégagés n'ont pas loin de huit ans : autant dire qu'il s'agit du Crétacé à l'ère d'internet.

En effet, l'heure n'est peut-être plus vraiment à la seule protection des consommateurs profanes. Deux phénomènes révèlent un rééquilibrage des forces en présence, entre commerçants et consommateurs : le boycott commercial et le phénomène de buzz. Ainsi, les utilisateurs du premier site d'enchères en ligne mondial appelaient, voici peu, au boycott général en invitant les utilisateurs à stopper toute activité pendant huit jours, protestant contre les mesures prises par la direction du site, concernant l'évaluation des acheteurs et la mise en place d'un système de paiement Paypal. Sur le registre du contre-marketing, les commerçants auront tout à craindre de cette publicité sauvage, dite buzz, qui passe par le consommateur et le fait devenir vecteur du message et qui, par son mode de diffusion anarchique, est non seulement incontrôlable, mais peut emporter des effets désastreux sur la notoriété ou les ventes d'un site commerçant.

"Une des premières choses de l'homme, c'est sa fureur pour la nouveauté, deux grands mobiles font agir les hommes ; la peur et la nouveauté", extrait de Le Prince de Machiavel. Le couple "droit et économie numérique" est manifestement habité par cette fureur ; ce qui explique toute l'attention qu'il convient d'y porter, aujourd'hui, pour le développement de l'activité de demain.

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Responsabilité

[Jurisprudence] L'éviction de l'article 1382 du Code civil parmi les règles de responsabilité du fait de l'expression

Réf. : Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 07-12.643, M. Stéphane Favier, F-P+B (N° Lexbase : A6112D47)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Il est décidément des contentieux récurrents qui, en dépit des interventions répétées de la Cour de cassation, ne paraissent pas véritablement vouloir se tarir. Ainsi en est-il du refoulement de la responsabilité civile délictuelle pour faute de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) en cas de dommages causés par voie de presse lorsque les faits reprochés relèvent de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW). La question de principe, aujourd'hui bien connue, est la suivante : les abus de la liberté d'expression, prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, peuvent-ils être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, lequel dispose que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer" ? En raison de la généralité des termes de l'article 1382 du Code civil, les juges n'ont pas hésité, dans un premier temps, à l'appliquer en cas d'abus de la liberté d'expression. Toutefois, ces derniers exigeaient que l'abus soit caractérisé. Une telle solution, appréhendée comme une menace à la liberté d'expression, fut vivement critiquée par une partie de la doctrine. Elle fut finalement remise en cause par deux arrêts du 12 juillet 2000, rendus par l'Assemblée plénière : opérant un revirement, les arrêts énoncent, en effet, que "les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil" (Ass. Plén., 12 juillet 2000, 2 arrêts, n° 98-10.160, Consorts X. c/ Société Y. et autres N° Lexbase : A2598ATE et n° 98-11.155, Epoux X. c/ M. Y. et autres N° Lexbase : A2599ATG, Bull. civ. n° 8, D., 2000, Somm. p. 463, obs. P. Jourdain). La règle a été, ensuite, à plusieurs reprises, réaffirmée. Une incertitude paraît, cependant, exister quant à sa portée véritable. L'arrêt de la première chambre civile du 31 janvier dernier participe de ce débat et mérite, à ce titre, d'être signalé.

En l'espèce, dans des notes adressées au personnel d'un supermarché, le délégué syndical et le délégué du personnel du syndicat CFDT l'avaient informé des raisons pour lesquelles un membre du syndicat n'avait pas été choisi parmi les candidats aux élections. L'intéressé, se plaignant du contenu de ces écrits, avait fait assigner les syndicalistes sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Les premiers juges, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action, avaient retenu que les propos litigieux constitutifs d'une diffamation n'avaient pas été tenus dans un lieu public.

Cependant, après avoir rappelé, sous le visa des articles R. 621-1 du Code pénal (N° Lexbase : L0962ABA), 23 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, et 1382 du Code civil, que "les abus de la liberté d'expression, prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 et par l'article R. 621-1 du Code pénal, ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil", la Haute juridiction casse l'arrêt rendu par la cour d'appel de Pau, aux motifs "qu'en statuant ainsi, quand bien même les destinataires des propos litigieux constituaient une communauté d'intérêt, circonstance étant de nature à écarter seulement la publicité, la cour d'appel a violé [les textes susvisés]". Et elle en déduit que "la prescription prévue par l'article 67 de la loi du 29 juillet 1881 n'a pu être interrompue par des actes fondés à tort sur l'article 1382 du Code civil".

On ne discutera pas ici de la solution quant au régime proprement dit de la loi du 29 juillet 1881, mais plutôt, sur le terrain de la responsabilité civile, de l'articulation des règles spéciales en matière de presse et des règles de la responsabilité pour faute de l'article 1382 du Code civil.

De la solution de l'Assemblée plénière du 12 juillet 2000, on avait pu déduire, par un raisonnement a contrario, que si les abus de la liberté d'expression n'étaient pas prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, alors ils pouvaient être poursuivis et réparés sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile pour faute, l'article 1382 du Code civil retrouvant en quelque sorte dans ce cas son empire. Mais, assez rapidement, la Cour de cassation a étendu l'éviction de l'article 1382 aux cas où les faits reprochés au défendeur n'auraient pas pu être punis ou poursuivis sur le fondement du texte spécial, dès lors qu'ils constituaient matériellement un délit de presse (Cass. civ. 2, 9 octobre 2003, n° 00-21.079, FS-P+B N° Lexbase : A7128C9U, Bull. civ. II, n° 293 et nos obs., La sanction des abus de la liberté d'expression, Lexbase Hebdo n° 94 du 13 novembre 2003 - édition affaires N° Lexbase : N9399AAD ; Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 01-16.787, F-P+B N° Lexbase : A1965DAZ, Bull. civ. II, n° 347 ; Cass. civ. 1, 12 décembre 2006, n° 04-20.719, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8999DS4, JCP éd. G, 2007, II, 10010). La Cour de cassation a même, ensuite, élargi la portée de la règle aux atteintes à la présomption d'innocence de l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ) (Cass. civ. 2, 8 mars 2001, n° 98-17.574, Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) c/ M. Godefroy, ès qualités de directeur de publication du journal La Grosse Bertha N° Lexbase : A4951ARS, Bull. civ. II, n° 46 ; Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 01-10.426, Société nationale de radiodiffusion Radio France c/ Mme Agnès Casero, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0975DDH, Bull. civ. II, n° 387 ; voir cep., récemment, décidant que l'article 9-1 est de nature à exclure les dispositions de la loi 1881, Cass. civ. 1, 20 mars 2007, n° 05-21.541, Société Le Parisien libéré, FS-P+B N° Lexbase : A7425DUK, Bull. civ. I, n° 124) et à toutes les hypothèses où ces abus sont sanctionnés par un "texte spécial du Code pénal" (Cass. civ. 2, 10 mars 2004, n° 00-16.934, FS-P+B N° Lexbase : A4796DBA, Bull. civ. II, n° 114), pour les cas de diffamation et d'injure, comme en l'espèce, non publiques. Une nouvelle étape a été franchie par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 septembre 2005 écartant la responsabilité civile pour faute de l'article 1382 du Code civil, alors même qu'aucun délit de presse ne serait caractérisé (Cass. civ. 1, 27 septembre 2005, n° 03-13.622, FS-P+B N° Lexbase : A5767DKS, Bull. civ. I, n° 438). L'arrêt avait, en effet, considéré que les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, sans plus viser les abus "prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881". Le feuilleton ne devait semble-t-il pas s'arrêter là, puisque, par la suite, la Cour de cassation avait repris la formule de l'Assemblée plénière du 12 juillet 2000 -et donc la limitation qu'elle contient à l'éviction de l'article 1382- (Cass. civ. 1, 7 février 2006, n° 05-10.309, F-P+B N° Lexbase : A8537DM7, Bull. civ. I, n° 57, JCP éd. G, 2007, II, 10010), avant, de nouveau, d'exclure l'application de ce texte sans se référer aux délits de presse et dans des hypothèses dans lesquelles aucun d'eux n'était caractérisé (Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 03-20.506, FS-P+B N° Lexbase : A6729DTE, Bull. civ. II, n° 19, RTDCiv., 2007, p. 354, obs. P. Jourdain).

On comprend mieux, dans ces conditions, l'intérêt que présente l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 31 janvier dernier : il paraît, à nouveau, faire "marche arrière" et cantonner l'exclusion du jeu de l'article 1382 du Code civil en matière d'expression au cas dans lequel les abus de la liberté d'expression en cause seraient tout de même prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. A suivre donc...

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les victimes d'accidents du travail injustement privées du régime d'indemnisation des victimes d'infraction en présence d'une faute intentionnelle

Réf. : Cass. civ. 2, 7 février 2008, n° 07-10.838, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, FS-P+B (N° Lexbase : A7323D4Y)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt en date du 7 février 2008, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation interdit à la victime d'un accident du travail, résultant de coups et blessures volontaires, causés par un collègue de travail, d'invoquer le bénéfice du régime d'indemnisation des victimes d'infractions. Cette décision conforte et amplifie les solutions admises précédemment, et qui nous semblaient déjà discutables (I), dans le cas de figure particulier où l'accident du travail résulte de la faute intentionnelle d'un autre salarié, ce qui nous semble encore plus contestable (II).
Résumé

Les dispositions propres à l'indemnisation des victimes d'infractions ne sont pas applicables aux victimes d'un accident du travail, même en cas de faute intentionnelle de l'employeur ou du préposé.

Commentaire

I. L'exclusion discutable des dispositions relatives aux victimes d'infraction en présence d'un accident du travail

  • Dispositions du Code de la Sécurité sociale

L'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4467ADS), lointain héritier de l'article 2 de la loi du 9 avril 1898, interdit, par principe, à la victime indemnisée par la Sécurité sociale, au titre de la législation spécifique aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, d'invoquer, contre son employeur et ses collègues de l'entreprise, les dispositions du droit commun.

Ce principe, destiné à protéger les termes de l'équilibre négocié à la fin du XIXème siècle (responsabilité de plein droit de l'employeur octroyée au prix d'un abandon du principe de la réparation intégrale), supporte certaines exceptions légales auxquelles renvoie, d'ailleurs, l'article L. 451-1 lui-même ; ces exceptions concernent la faute inexcusable ou intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses substitués, le recours contre un tiers à l'entreprise, l'hypothèse d'un accident de trajet ou d'un accident de la circulation, pourvu que ce dernier survienne sur une voie ouverte à la circulation publique et que l'employeur, ou l'un de ses préposés, ait conduit le véhicule.

  • Portée de l'exclusion du droit commun

Reste à déterminer la portée de l'exclusion du "droit commun" visée par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale. Si la mise à l'écart des dispositions du Code civil ne fait guère de doute, l'exclusion de mécanismes spéciaux d'indemnisation a fait, classiquement, difficulté, singulièrement lorsqu'il s'est agi d'envisager l'application complémentaire de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation (N° Lexbase : L7887AG9) (1). La Cour de cassation s'y ait, à l'époque, refusée, considérant que le "droit commun" devait se définir non pas en soi, mais par référence au livre IV du Code de la Sécurité sociale, l'article L. 451-1 ayant pour objet d'interdire l'application de toute autre disposition (2). Cette interprétation repose, d'ailleurs, sur les termes mêmes de l'article 2 de la loi du 9 avril 1898, qui excluait, non pas le droit commun, mais, de manière plus explicite, les dispositions "autres que celles de la présente loi ".

Il aura fallu attendre la modification du Code de la Sécurité sociale, en 1993, pour que la victime d'un accident de la circulation professionnelle puisse, enfin, être indemnisée par l'assureur-auto de son employeur, et encore, au prix d'un rétrécissement du champ d'application de la loi du 5 juillet 1985, puisque l'article L. 455-1-1 du Code de la Sécurité sociale exclut les accidents survenus sur une voie non ouverte à la circulation publique, alors que la loi du 5 juillet 1985 s'applique dans tous les lieux, même privés, dès lors qu'ils ne sont pas impropres à la circulation automobile (3), et uniquement si le véhicule était conduit, au moment de l'accident, par l'employeur ou l'un de ses salariés, excluant, ainsi, l'accident provoqué par le véhicule de l'entreprise conduit par un tiers, mais dont l'employeur était demeuré le gardien (4).

Si la solution a pu, à juste titre, être discutée au regard des intérêts de la victime, elle s'explique par le souci de sauvegarder l'immunité historique conférée à l'employeur. L'objet de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale est, ainsi, de ne pas permettre de rétablir l'obligation de répondre intégralement des conséquences dommageables d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle par le biais d'un recours complémentaire étranger aux prévisions du droit de la Sécurité sociale, en effet, c'est au législateur qu'appartient le rôle de déterminer si le "grand deal" (5), conclu en 1898, mérite, ou non, d'être remis en cause, et non aux juges.

  • Cas particulier des victimes d'infractions

La portée de la formule d'exclusion du "droit commun", dans l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, a, de nouveau, été mise sur la sellette, lorsque les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ont réclamé l'application des dispositions relatives à l'indemnisation des victimes d'infractions des articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI). Rappelons que ce dispositif vise les victimes de "faits volontaires, ou non, qui présentent le caractère matériel d'une infraction" et leur permet d'obtenir la "réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne dans des conditions fixées par la loi" (6).

Dans un premier temps, la Cour de cassation avait autorisé la victime d'un accident du travail, tombant, également, sous la qualification retenue par l'article 706-3 du Code de procédure pénale, à réclamer, devant les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi), la réparation des préjudices non pris en compte par la Sécurité sociale, et ce, après avoir constaté que "l'article 706-3 du Code de procédure pénale n'interdit pas aux victimes d'accidents du travail de présenter une demande d'indemnisation du préjudice résultant de faits présentant le caractère matériel d'une infraction" (7). Mais, en 2003, la deuxième chambre civile allait revirer sa jurisprudence et interdire ce recours, après avoir affirmé que "les dispositions légales d'ordre public sur la réparation des accidents du travail excluent les dispositions propres à l'indemnisation des victimes d'infractions" (8).

Comme cela a été justement souligné (9), il est pour le moins étonnant que la Cour de cassation ait pu, sur une période de temps aussi courte, changer aussi radicalement d'avis. La mise en perspective des deux décisions rendues en 1997 et 2003 montre, d'ailleurs, un changement complet de logique ; alors que, pour admettre l'action de la victime, les magistrats s'étaient fondés, en 1997, sur une analyse stricte des termes de l'article 706-3 du Code de procédure pénale qui, comment le contester, n'interdit pas aux victimes de dommages professionnels d'agir devant les Civi, ce sont les dispositions de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale qui justifient, désormais, la mise à l'écart des règles propres aux victimes d'infractions, sous prétexte que les dispositions du livre IV du Code de la Sécurité sociale présenteraient un caractère d'ordre public.

  • Une exclusion du régime d'indemnisation des victimes d'infraction contestable

Ce revirement intervenu en 2003 est des plus contestables.

En premier lieu, il repose sur une lecture discutable, tant des dispositions du Code de la Sécurité sociale que de celles du Code de procédure pénale. Non seulement, aucune disposition du régime d'indemnisation des victimes d'infractions n'écarte les victimes de dommages professionnels (10), mais, de surcroît, la référence au "droit commun" de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale ne saurait inclure le régime d'indemnisation des victimes d'infractions. La création de ce régime, par la loi du 3 janvier 1977 (loi n° 77-5, garantissant l'indemnisation de certaines victimes de dommages corporels résultant d'une infraction N° Lexbase : L8214HI3), est, en effet, postérieure à la rédaction de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, qui ne pouvait donc exclure un régime qui n'existait pas. De surcroît, l'action de la victime devant les Civi ne remet pas en cause le principe historique de l'immunité de l'employeur. Certes, le Fonds d'indemnisation dispose d'un recours contre l'auteur de l'infraction ou les personnes qui en répondent civilement, mais ce recours se fonde sur la subrogation dans les droits de la victime, comme le précise l'article 706-11 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4093AZM). L'employeur demeure donc protégé, au stade du recours, par les dispositions de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, qui demeurent opposables au Fonds d'indemnisation.

Dans ces conditions, ce n'est pas dans le désir de sauvegarder les grands équilibres du régime d'indemnisation des victimes de dommages professionnels qu'il faut rechercher le fondement de la solution, mais dans des raisons propres au régime d'indemnisation des victimes d'infractions. Or, dans la mesure où ce régime n'écarte pas les victimes de dommages professionnels, pourquoi empêcher ces victimes d'être indemnisées (11)? Certes, le Fonds ne disposera d'aucun recours contre l'employeur et devra donc supporter définitivement la charge des indemnités complémentaires versées aux victimes. Mais, non seulement, c'est le propre d'un régime de solidarité que d'assumer ce risque financier, mais, de surcroît, la situation n'est pas différente lorsque le dommage résulte de faits commis par une personne non identifiée ; rappelons, en effet, que l'article 706-3 du Code de procédure pénale n'exige pas que l'auteur de l'infraction ait été identifié et puni, mais, simplement, que le fait générateur présente les caractères "matériels" d'une infraction pénale, ce qui est très différent.

Pour ces raisons, la solution adoptée depuis 2003, et confirmée dans cet arrêt, est critiquable. Elle l'est d'autant plus lorsque l'accident du travail du travail résulte de la faute intentionnelle d'un autre salarié.

II. L'exclusion doublement contestable en présence d'une faute intentionnelle

  • Critique de l'exclusion

L'arrêt rendu le 7 février 2008 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation maintient donc l'exclusion décidée en 2003 lorsque l'accident du travail résulte de la faute intentionnelle d'un préposé, en l'occurrence des coups et blessures volontaires.

Or, cette exclusion rend encore plus incompréhensible la solution choisie.

L'article L. 452-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5304ADS) dispose que "si l'accident est dû à la faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés, la victime, ou ses ayants droit, conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre".

Certes, à s'en tenir à une lecture littérale de ces dispositions, le recours n'est ouvert formellement que contre "l'auteur" de la faute, et non contre la Civi ; mais, comment pourrait-il en être autrement lorsque l'on sait que ces dispositions ont été adoptées à une époque où le régime d'indemnisation des victimes d'infractions n'existait pas ?

Le "droit commun", auquel il est fait référence, doit donc s'entendre, ici, en des termes identiques à ceux de l'article L. 451-1, c'est-à-dire en des règles étrangères au Code de la Sécurité sociale. Or, le régime d'indemnisation des victimes d'infraction fait bien partie du droit commun, en principe, qui est interdit à la victime d'un accident du travail. C'est, d'ailleurs, pour cette raison, que la Cour de cassation interdit le cumul des actions depuis 2003. Dans ces conditions, l'exclusion des articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale doit, logiquement, céder, et la victime doit pouvoir, de nouveau, les invoquer, si l'accident du travail résulte des faits présentant le caractère matériel d'une infraction pénale, comme c'est incontestablement le cas en présence de coups et blessures volontaires.

Ce raisonnement pourrait être contesté si l'exclusion du régime d'indemnisation des victimes d'infractions résultait expressément des seules dispositions du Code de procédure pénale. Mais, nous avons vu que ces dispositions n'excluent pas les victimes d'accidents du travail. Par ailleurs, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans cet arrêt du 7 février 2008, vise conjointement les dispositions de l'article L. 706-3 du Code de procédure pénale et des articles L. 451-1 et L. 452-5 du Code de la Sécurité sociale pour justifier la solution.

La Cour se trouve, alors, devant une double contradiction, puisqu'elle ne peut fonder la solution, ni sur les règles propres aux victimes d'infraction, ni sur celles conjuguées des articles L. 451-1 et L. 452-5 du Code de la Sécurité sociale, puisque le rattachement du régime des victimes d'infractions au "droit commun", nécessaire pour empêcher la victime d'un accident du travail d'invoquer le régime d'indemnisation des victimes d'infraction, l'oblige précisément à admettre ce recours, au nom de l'application de ce même "droit commun", lorsque l'accident résulte bien d'une faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés.

  • Une exclusion inopportune

Juridiquement injustifiée, la solution est, enfin, et peut-être surtout, doublement inopportune.

En premier lieu, l'argument économique, tenant à l'absence de recours du Fonds, tombe lorsque l'accident du travail résulte d'une faute intentionnelle, puis le caractère subrogatoire du recours autorise le Fonds à revendiquer les dispositions de l'article L. 452-5 du Code de la Sécurité sociale contre le préposé, qui redevient personnellement responsable de ses propres fautes (12), ou de son commettant, dès lors que les conditions de l'abus de fonction ne sont pas établies, ce qui est le cas lorsque les coups portés à la victime l'ont été sur le lieu de travail et à l'occasion de l'exécution du contrat de travail (13).

En deuxième lieu, la solution crée une nouvelle discrimination entre les victimes, selon qu'elles ont été victimes d'une infraction pénale en dehors de l'entreprise, ou qu'elles sont, en même temps, victimes d'un accident du travail (14). Même si le revirement intervenu en 2003 a été présenté, dans le cadre du rapport annuel de la Cour de cassation, comme destiné à "rétablir l'égalité entre les victimes selon qu'une infraction était ou n'était pas à l'origine de leur préjudice" (15), il crée une autre forme de discrimination et "déshabille, ainsi, Pierre pour habiller Paul". Les victimes d'accidents du travail ne se trouvent, d'ailleurs, pas dans la même situation que les autres victimes car elles se trouvent exposées à deux risques sociaux majeurs : celui d'être victime d'infractions pénales, comme tout citoyen, mais, également, celui d'être victime de la réalisation d'un risque professionnel ; il est, dès lors, logique, que tous leurs préjudices soient indemnisés, sans exception. En interdisant totalement à la victime d'un accident du travail de bénéficier des dispositions relatives aux victimes d'infractions, la Cour de cassation traite en réalité la victime comme un sous-citoyen, ne pouvant même pas bénéficier des dispositions que le législateur a pourtant voulu d'application la plus large.

En troisième lieu, la solution adoptée dans l'arrêt du 7 février 2008 traduit une conception du régime d'indemnisation des victimes de dommages professionnels totalement anachronique, puisqu'elle considère les dispositions du livre IV du Code de la Sécurité sociale comme un vase clos, un régime hermétique à tout apport extérieur.

Cette conception autonomiste du régime d'indemnisation des victimes de dommages professionnels pouvait, sans doute, se concevoir, en 1898, à l'époque où il convenait de ne pas remettre en question les délicats équilibres âprement négociés par le législateur, après une bataille parlementaire de plusieurs années.

Mais, soutenir pareille conception n'a plus aucun sens en 2008, et la Cour de cassation s'inscrit à contre-courant de toutes les évolutions législatives et jurisprudentielles de ces dernières années, qu'il s'agisse de la possibilité reconnue aux victimes d'accidents de la circulation professionnels d'invoquer le bénéfice de la loi du 5 juillet 1985, de la possibilité reconnue aux victimes de maladies professionnelles, non prises en charge par la Sécurité sociale, d'obtenir réparation auprès de l'employeur, sur le fondement de son obligation de sécurité de résultat (16), ou de la redéfinition de la faute inexcusable destinée à favoriser la réparation intégrale des préjudices (17).

Comment, dans ces conditions, comprendre que la Cour s'arque boute sur une conception aussi vieillotte du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ? Comment accepter que la Cour mégote le bénéfice de la solidarité nationale pour les victimes d'infractions, au mépris des termes mêmes de la loi ?

Espérons que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui, en d'autres temps, avait su se montrer plus audacieuse, saura entendre raison et rendre justice aux victimes.


(1) Sur ces questions, notre ouvrage, Droit du travail et responsabilité civile, LGDJ Bibliothèque de droit privé, n° 282, 1997, Préface J. Hauser, 398 p., sp. n° 63 s..
(2) Ass. plén., 22 décembre 1988, n° 86-91.864, M. Delestre et autre (N° Lexbase : A4001AGB), JCP éd. G, 1989, II, 21236, concl. Monnet, note Saint Jours ; JCP éd. G, 1989, I, 3402, chron. N. Dejean de la Batie ; Resp. civ. et assur., 1989, Chron. 23, H. Groutel ; RTD civ., 1989, p. 333, note P. Jourdain.
(3) Cass. civ. 2, 26 juin 2003, n° 00-22.250, Société Assurances du Crédit mutuel (ACM) IARD c/ Mme Francine Lapray, épouse Limousin, FP-P+B (N° Lexbase : A9681C83), Resp. civ. et assur., 2003, chron. 24, H. Groutel, Le véhicule terrestre à moteur était en stationnement dans un lieu d'habitation impropre à cette destination ("cyclomoteur stationné dans l'entrée d'un immeuble collectif a pris feu pour une cause indéterminée").
(4) Accident provoqué par le garagiste, à l'occasion de l'essai du véhicule, notamment. Sur la loi du 27 janvier 1993 (loi n° 93-121 du 27 janvier 1993, portant diverses mesures d'ordre social N° Lexbase : L4101A9R), lire G. Vachet, L'accident de la circulation au regard de la législation sur les accidents du travail, RJS, 1993, pp. 339-345, H. Groutel, L'accident de travail aux deux visages, Resp. civ. et assur., 1993, chron. 10, J.-M. Bétemps, L'amélioration de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, Dr. soc., 1993, pp. 129-133.
(5) Selon l'expression empruntée à J.-J. Dupeyroux, Dr. soc., 1998, p. 631.
(6) G. Viney, Traité de droit civil. Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3ème éd., 2008, p. 354 s..
(7) Cass. civ. 2, 18 juin 1997, n° 95-11.223, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions c/ M. Sorribes et autres, publié (N° Lexbase : A0301AC7), Bull. civ., II, n° 191, p. 112, Resp. civ. et assur., 1997, chron. 21, H. Groutel.
(8) Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-00.815, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGVAT) c/ M. Nicolas Brevot, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8229BSL), Bull. civ. II, n° 138, Resp. civ. et assur., 2003, chron. 23, H. Groutel, Dr. soc., 2003, p. 788, note P. Chaumette ; Cass. civ. 2, 23 octobre 2003, n° 02-16.580, M. Saïd Fadili c/ Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, FS-P+B (N° Lexbase : A9452C9X), D., 2004, p. 834, note Y. Saint-Jours ; Cass. civ. 2, 16 décembre 2004, n° 03-17.701, Mme Claire Clément, épouse Gery c/ Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGVI), F-D (N° Lexbase : A4816DE4), RSC, 2005, p. 318, obs. Cerf-Hollander ; Cass. civ. 2, 3 février 2005, n° 04-10.629, M. Antonio Duarte c/ Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGVI), F-D (N° Lexbase : A6400DG7) ; Cass. civ. 2, 22 septembre 2005, n° 04-15.513, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions c/ M. Yannick Chotard, F-D (N° Lexbase : A5209DK7) ; Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 06-10.110, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, F-D (N° Lexbase : A6919DTG) ; Cass. civ. 2, 22 févr. 2007, n° 05-11.811, Mutuelle assurance des instituteurs de France (Maif), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2841DUR), voir les obs. de Ch. Willmann, Le régime des accidents du travail - maladies professionnelles exclut l'action en réparation de droit commun, Lexbase Hebdo n° 251 du 8 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2991BAZ) ; Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-19.860, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGVTI), F-D (N° Lexbase : A8539DYW).
(9) H. Groutel, chron. préc..
(10) L'article 706-3, 1°, du Code de procédure pénale contient, en effet, une liste d'exclusion, qui vise, notamment, les victimes de l'amiante, mais nullement les victimes relevant du livre IV du Code de la Sécurité sociale.
(11) En ce sens, voir les critiques de G. Viney, ouvrage préc., p. 359.
(12) Cass. civ. 2, 21 septembre 2004, n° 03-15.451, M. Denis Beaumelle c/ M. Jacques Torrente, FS-P+B (N° Lexbase : A4228DDX), Resp. civ. et assur., 2005, comm. 2, obs. H. Groutel. Lire V. Malabat, La responsabilité pénale du subordonné, Mélanges dédiés à B. Bouloc, Dalloz, 2006, p. 681.
(13) Sur l'abus de fonction, voir notre étude 45, Responsabilité des commettants (Droit à réparation. Responsabilité du fait d'autrui. Domaine : Responsabilité des commettants), J.-Cl. Resp. civ. et assur., 2007, comm. civ. et assur., fasc. 143, 18 p., sp. §. 40 s..
(14) Voir, déjà en 1990, la chron. de G. Lyon-Caen, Les victimes d'accidents du travail, victimes aussi d'une discrimination, Dr. soc., 1990, pp. 737-739.
(15) Rapport de la Cour de cassation pour 2003, La documentation française, Jurisprudence relative à la Sécurité sociale.
(16) Cass. soc., 11 octobre 1994, n° 91-40.025, M Aera c/ Régie nationale des usines Renault et autres (N° Lexbase : A0874ABY), D., 1995, p. 440 ; Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-40.272, Unedic et autre c/ M Poindron (N° Lexbase : A3113ABW), D., 1998, p. 219.
(17) Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ société Ascométal, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI), JCP éd. G, 2002, II, 10053, concl. Benmakhlouf, Dr. soc., 2002, p. 445, chron. A. Lyon-Caen.
Décision

Cass. civ. 2, 7 février 2008, n° 07-10.838, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, FS-P+B (N° Lexbase : A7323D4Y)

Cassation sans renvoi (CA Rouen, ch. 1, cabinet 1, 29 mars 2006 et 8 novembre 2006)

Textes visés : CSS, art. L. 451-1 (N° Lexbase : L4467ADS) et L. 452-5 (N° Lexbase : L5304ADS) ; C. pr. pén., art. 706-3 (N° Lexbase : L5612DYI)

Mots clef : victimes d'accident du travail ; faute intentionnelle ; régime d'indemnisation des victimes d'infraction ; exclusion.

Liens base :

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le remplacement définitif du salarié absent : nouvelles précisions de la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 6 févier 2008, n° 06-44.389, Mme Sylvie Perthuis et a. c/ M. Jean-Claude Domenech, FS-P+B (N° Lexbase : A7265D4T)

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N1875BE8

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Bien que l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) fasse interdiction de licencier un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap, la Cour de cassation admet, de longue date, que ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé par la situation objective de l'entreprise, dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Le contrat de travail ne peut, toutefois, être rompu par l'employeur que si ces perturbations entraînent la nécessité pour ce dernier de procéder au remplacement définitif du salarié. Cette dernière notion, délicate à cerner, fait l'objet d'une appréciation rigoureuse de la Chambre sociale, ainsi qu'en témoigne un arrêt rendu le 6 février dernier. Il résulte, en substance, de cette décision qu'il n'y a lieu de parler de remplacement définitif du salarié absent, que si son remplaçant a été engagé selon un horaire de travail identique au sien.
Résumé

Si l'article L. 122-45 du Code du travail fait interdiction de licencier un salarié, notamment, en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, dans le cadre du Titre IV du Livre II de ce même code, ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé, non pas par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Celui-ci ne peut, toutefois, être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif.

Après avoir constaté qu'une seule salariée avait été engagée selon un horaire de 61 heures par mois, soit la moitié du temps de travail de la salariée absente, de sorte qu'il n'avait pas été procédé à son remplacement définitif dans son emploi, une cour d'appel ne peut décider que son licenciement a une cause réelle et sérieuse.

Commentaire

I. La rupture du contrat en cas de maladie non professionnelle

  • L'interdiction de licencier un salarié en raison de son état de santé

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, l'article L. 122-45 du Code du travail fait interdiction de licencier un salarié, notamment, en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, dans le cadre du Titre IV du Livre II de ce même code.

Il résulte du texte précité que "toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit". Par suite, la rupture du contrat de travail qui trouve sa cause dans l'état de santé du salarié doit être annulée. Si cette sanction concerne, au premier chef, le licenciement (voir, par ex., Cass. soc., 13 mars 2001, n° 98-43.403, Mme Colette Cousin N° Lexbase : A0108AT8), elle vaut également pour la rupture du contrat de travail en période d'essai (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402, Société CS Systèmes d'information c/ M. Didier Raspaud, publié N° Lexbase : A7344DG4, lire nos obs., La rupture du contrat de travail pendant la période d'essai ne peut être fondée sur un motif discriminatoire !, Lexbase Hebdo n° 157 du 3 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : X9116ACM).

Il importe de souligner que sont seules prohibées les ruptures fondées sur l'état de santé du salarié. Par conséquent, dans la mesure où celui-ci est victime d'une maladie non-professionnelle, rien ne s'oppose à ce que l'employeur le licencie pour faute ou pour un motif économique (1). Faisant preuve d'une certaine souplesse, la Cour de cassation admet, en outre, que le licenciement puisse être motivé par la situation objective de l'entreprise.

  • La possibilité de licencier le salarié en raison de la situation objective de l'entreprise

Sans pour autant remettre en cause l'interdiction précitée, la Cour de cassation a précisé, dès 1998, que le licenciement peut être motivé "par la situation objective de l'entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement" (Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 97-43.484, Société La Parisienne assurances c/ M. Darcy, publié N° Lexbase : A3150ABB, Dr. soc., 1998, p. 950, obs. A. Mazeaud).

L'arrêt sous examen donne l'occasion à la Cour de cassation de réaffirmer cette solution, que l'on peut juger opportune. Tout au plus peut-on regretter, avec un auteur, le raisonnement retenu (2). En effet, il convient de reconnaître que la cause première et déterminante du licenciement réside dans l'état de santé du salarié et non dans la prétendue "situation objective de l'entreprise". Sans doute, s'agit-il de l'un des critères prohibés par l'article L. 122-45 du Code du travail. Mais, il apparaît que l'utilisation d'un tel critère est possible, lorsque peut être démontrée l'existence d'un trouble caractérisé au sein de l'entreprise. Il est vrai que le raisonnement adopté par la Cour de cassation apparaît plus facile à concilier avec les prescriptions de l'article L. 122-45.

II. Les conditions de validité du licenciement motivé par la situation objective de l'entreprise

  • Des absences prolongées ou répétées perturbant le fonctionnement de l'entreprise

Il ressort, tout d'abord, de la jurisprudence de la Cour de cassation que le licenciement n'est possible que si l'absence du salarié malade se prolonge ou se répète dans le temps. Cette condition doit, à l'évidence, être appréciée, par les juges, en fonction des circonstances propres à chaque espèce. Il y a simplement lieu de préciser que l'employeur ne doit pas agir avec une hâte excessive.

Il convient, ensuite, de démontrer que le nombre ou la durée des absences perturbe le fonctionnement de l'entreprise. Les juges tiennent, ici, compte, principalement, de la taille de l'entreprise et de la nature des fonctions du salarié. Cela étant, il va de soi que la désorganisation de l'entreprise n'est guère difficile à démontrer, dans la mesure où, sauf exception, l'absence d'un salarié, lorsqu'elle se prolonge ou se répète dans le temps, perturbe toujours, peu ou prou, le fonctionnement de l'entreprise. On l'aura donc compris, la condition la plus délicate à remplir réside dans la démonstration de la nécessité pour l'employeur de procéder au remplacement définitif du salarié.

  • La nécessité de procéder au remplacement définitif du salarié

Le licenciement d'un salarié dont l'absence perturbe le fonctionnement de l'entreprise n'est licite que s'il peut être démontré que son remplacement "définitif" s'avère nécessaire. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que ce remplacement "définitif" suppose l'embauche d'un nouveau salarié sous contrat à durée indéterminée (Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-40.110, Mme Herbaut c/ Société Adressonord N° Lexbase : A9275ASC, Bull. civ. V, n° 84). Il suffit donc que le remplacement du salarié soit possible par l'embauche d'un travailleur temporaire ou d'un salarié sous contrat à durée déterminée (3), pour que la rupture du contrat de travail soit jugée illicite au regard des dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail. Or, on le devine, une telle possibilité existe dans la plupart des cas, ce qui rend le recours au contrat à durée indéterminée, et donc la nécessité de remplacer définitivement le salarié absent, pour le moins exceptionnelle.

A première vue ces différentes conditions étaient respectées dans l'espèce rapportée. Pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, les juges du fond avaient retenu que les absences fréquentes étaient établies et non contestées pour une durée cumulée de quatre mois et qu'il est incontestable que des absences répétées sur plusieurs mois dans une toute petite entreprise familiale désorganisent le fonctionnement normal de celle-ci. En outre, l'employeur justifiait avoir procédé au remplacement de la salariée par l'embauche d'une nouvelle salariée, suivant contrat à durée indéterminée en date du 2 avril 2003, soit immédiatement à l'expiration du préavis, et pour occuper le même poste que cette dernière (4).

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l'article L. 122-45 du Code du travail et sur le fondement du, désormais classique, motif de principe évoqué précédemment. Il convient, surtout, de relever la précision apportée par la Chambre sociale, selon laquelle "en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'une seule salariée avait été engagée selon un horaire de 61 heures par mois, soit la moitié du temps de travail de (la salarié absente), de sorte qu'il n'avait pas été procédé à son remplacement définitif dans son emploi, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

La précision, ainsi, apportée par la Cour de cassation est importante. Il ne suffit pas que l'employeur démontre avoir embauché un salarié en contrat à durée indéterminée pour remplacer celui qui était absent et dont le contrat a été rompu. Il faut encore que la durée du travail du nouveau salarié soit identique à celle du salarié remplacé (5). Cette exigence est logique et, partant, parfaitement justifiée. En effet, il ne peut être question de remplacement "définitif" et, surtout, "nécessaire", du salarié malade, que si le ou les nouveaux salariés embauchés travaillent le même nombre d'heures que lui afin d'assumer sa charge de travail. On ne voit pas comment il pourrait être prétendu qu'un salarié engagé selon un horaire pour moitié inférieur à celui du salarié licencié remplace ce dernier à titre définitif ! Remarquons, enfin, que la Cour de cassation prend soin de se référer au remplacement définitif du salarié absent "dans son emploi". Cette précision est fondamentale car elle invite à une certaine objectivation dans l'appréciation de la condition en cause et coupe court à toute argumentation de l'employeur qui tendrait à comparer les qualités du salarié licencié et celle de son remplaçant.



(1) S'agissant de la maladie professionnelle et de l'accident du travail, on sait que l'article L. 122-32-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5519ACE) interdit à l'employeur de résilier le contrat à durée indéterminée, sauf, pour lui, à pouvoir justifier d'une faute grave de l'intéressé ou de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie, de maintenir le contrat.
(2) Cf. E. Dockès, Droit du travail, HyperCours, Dalloz, 2ème éd., 2007, § 378.
(3) A quoi il faut ajouter la possibilité de répartir la charge de travail qui était assumée par le salarié absent entre ses collègues.
(4) La Cour de cassation a déjà décidé, par le passé, que le remplacement peut intervenir après le licenciement du salarié malade, sous réserve du respect d'un délai raisonnable, apprécié en fonction des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue du recrutement (Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.156, Mme Christine Chapet, épouse Marcais c/ Société Express national services, publié N° Lexbase : A8471DD4).
(5) Relevons que la Cour de cassation laisse la possibilité à l'employeur d'embaucher plusieurs salariés à temps partiel.
Décision

Cass. soc., 6 févier 2008, n° 06-44.389, Mme Sylvie Perthuis et a. c/ M. Jean-Claude Domenech, FS-P+B (N° Lexbase : A7265D4T)

Cassation, CA Versailles, 5ème ch., sect. B, 8 juin 2006

Texte visé : C. trav., art. L. 122-45 (N° Lexbase : L3114HI8)

Mots clefs : maladie non-professionnelle ; licenciement du salarié absent ; conditions ; remplacement définitif.

Liens base :

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Avis du médecin du travail et reclassement : question de compatibilité

Réf. : Cass. soc., 6 février 2008, M. Bounouar c/ Société Feursmétal, n° 06-44.413, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7266D4U)

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N1937BEH

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



Un salarié déclaré inapte, que l'employeur tente de reclasser, peut-il contester la compatibilité des propositions de reclassement faites par l'employeur avec l'avis émis par le médecin du travail et, le cas échéant, à quelle condition, et devant quelle personne ? Dans un arrêt du 6 février dernier, la Cour de cassation vient donner une réponse à cette question et impose à l'employeur, en présence d'une contestation du salarié sur la compatibilité du poste auquel il est affecté avec les recommandations du médecin du travail, de solliciter à nouveau l'avis de ce dernier, venant, par là-même, renforcer les obligations de l'employeur en matière de reclassement. Cette obligation nouvelle, doit être approuvée.
Résumé

Dans l'hypothèse où le salarié conteste la compatibilité du poste auquel il est affecté avec les recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de solliciter à nouveau l'avis de ce dernier.

Commentaire

I. Teneur de l'obligation de reclassement du salarié déclaré inapte

  • Obligation de reclassement du salarié inapte à la suite d'une maladie ou d'un accident du travail

L'article L. 122-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1401G9R) dispose que, "à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses nouvelles capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise, et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagement du temps de travail".

Cette obligation s'impose dès lors que l'inaptitude a été constatée par deux visites médicales.

A défaut de reclassement du salarié à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise, ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de lui verser le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait précédemment (C. trav., art. L. 122-24-4, al. 3).

  • Généralité de l'obligation de reclassement à tout avis d'inaptitude quelle qu'en soit la cause

L'employeur est, ainsi, tenu d'une obligation générale de reclassement vis-à-vis des salariés déclarés inaptes, que l'inaptitude soit temporaire, partielle, définitive et/ou totale, qu'elle ait une origine professionnelle ou non professionnelle.

L'article L. 241-10-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6034ACH) rappelle cette obligation de reclassement et permet son extension en dehors des hypothèses d'inaptitudes consécutives à une maladie ou à un accident professionnel. Ce texte vient, en outre, imposer à l'employeur de prendre en considération les conclusions et propositions émises par le médecin du travail et de faire connaître les motifs qui justifient son refus de les prendre en compte (C. trav., art. L. 241-10-1). L'employeur d'un salarié déclaré inapte doit donc rechercher et proposer au salarié tout poste compatible avec ses nouvelles capacités dans l'entreprise mais, également, dans le groupe auquel elle appartient.

Le salarié peut parfaitement refuser le poste proposé par l'employeur, ce refus est légitime lorsqu'il entraîne une modification du contrat de travail (Cass. soc., 15 octobre 2002, n° 00-40.929, FS-D N° Lexbase : A2520A3Q) ou lorsque les postes proposés ne sont pas conformes aux prescriptions du médecin du travail (Cass. soc., 9 mai 1995, n° 91-45.017, Société anonyme Renosol c/ M. Jean-Paul Cornaire N° Lexbase : A9542AAN).

Quid du désaccord entre l'employeur et le salarié sur le poste proposé et, singulièrement, sur sa compatibilité avec les propositions du médecin du travail ? L'employeur est-il tenu de solliciter l'avis du médecin du travail ?

Telle était la question que devait trancher la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié avait été victime d'un accident du travail. Au cours de la visite médicale de reprise, le médecin du travail avait conclu à la reprise, à mi-temps thérapeutique, dans un poste limitant le port de charges lourdes et ne nécessitant pas l'utilisation d'outils vibrants. Face aux refus réitérés du salarié d'occuper les postes successivement proposés, l'employeur l'avait licencié pour insubordination.

La cour d'appel avait donné raison à l'employeur, considérant que, dans la mesure où il justifiait avoir prévu un aménagement des deux postes proposés afin de les rendre compatibles avec les restrictions émises par le médecin du travail, il n'avait pas à consulter à nouveau le médecin du travail sur la nouvelle affectation.

La Haute juridiction ne voit pas les choses de la même manière. Elle affirme, au visa de l'article L. 241-10-1 du Code du travail, que, dans l'hypothèse où le salarié conteste la compatibilité du poste auquel il est affecté avec les recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de solliciter à nouveau l'avis de ce dernier.

Cette solution, a priori logique, amène quelques réserves.

II. Nouvelle obligation de l'employeur du salarié devenu inapte à son emploi

La solution rendue par la Haute juridiction dans la décision commentée ne manque pas de logique. Toutefois, elle suscite la critique.

  • Un fondement introuvable ?

Le visa retenu par la Haute juridiction au soutien du principe n'est pas forcément adéquat. En premier lieu, en effet, l'article L. 241-10-1 du Code du travail, qui figure au visa de la décision commentée, ne vient à aucun moment imposer à l'employeur de solliciter l'avis du médecin du travail en cas de contestation par le salarié de la compatibilité du poste proposé avec les recommandations du médecin du travail.

Nous l'avons vu, ce texte vient, ainsi, dans un premier alinéa, permettre au médecin du travail de formuler des propositions de mesures individuelles pour les salariés dont le poste se révèlerait inadapté.

Il impose, dans un deuxième alinéa, au chef d'entreprise de prendre en considération ces propositions et de rechercher un poste compatible dans l'entreprise, et, le cas échéant, de justifier son refus de donner suite aux conclusions du médecin du travail.

Dans un troisième alinéa, cette disposition vient déférer, à l'inspecteur du travail, les difficultés ou désaccords entre l'employeur et le salarié sur l'avis émis par le médecin du travail.

A aucun moment donc, ce texte ne prévoit le règlement des contestations qui peuvent s'élever entre l'employeur et le salarié sur l'adéquation des postes proposés avec les recommandations du médecin du travail, et, notamment, n'impose à l'employeur de solliciter un nouvel avis dans ce cas.

Le recours à cette disposition donne, en second lieu, un champ particulièrement large à l'obligation de l'employeur de consulter le médecin du travail en cas de contestation du salarié de la compatibilité du poste proposé avec les recommandations du médecin.

Cette obligation s'impose donc pour tout avis d'inaptitude délivré par le médecin du travail, voire, plus largement, pour toute mesure individuelle proposée par ce dernier en application de l'article L. 241-10-1 du Code du travail. La contestation par le salarié de la conformité des propositions de l'employeur avec les recommandations du médecin du travail imposera à l'employeur une nouvelle contestation.

Quid du délai d'un mois imparti à l'employeur pour licencier ou reclasser un salarié inapte prévu à l'article L. 122-24-4 du Code du travail ? Cette étape supplémentaire ne risque-t-elle pas de conduire systématiquement l'employeur à reprendre le paiement des salaires ?

Si le fondement de cette obligation ne figure pas littéralement dans les textes, il résulte implicitement de l'article L. 241-10-1 du Code du travail.

  • Une obligation parfaitement logique

Cette disposition impose à l'employeur de prendre en compte les propositions du médecin du travail. Ceci signifie qu'en cas de doute sur la compatibilité des mesures prises par l'employeur avec l'avis du médecin, l'employeur est "tenu" de demander son avis au médecin du travail. Cette consultation, même si elle n'est pas expressément affirmée, est vivement conseillée.

La jurisprudence mettant à la charge de l'employeur la preuve de la satisfaction à son obligation de reclassement, c'est à lui qu'il appartient de démontrer qu'il se trouve dans l'impossibilité de reclasser le salarié dans l'entreprise, conformément aux prescriptions du médecin du travail (Cass. soc., 5 décembre 1995, n° 92-45.043, Société Périgord distribution, société à responsabilité limitée c/ M. Bernard Brunet N° Lexbase : A2468AGI, Dr. soc., 1996, n° 425, obs. A. Mazeaud). S'il sollicite l'avis du médecin et que ce dernier confirme que les postes ne sont pas compatibles avec l'état du salarié, il pourra légitimement le licencier.

La solution était, en outre, annoncée, les décisions antérieures faisant, en effet, du médecin du travail, le "juge" de la compatibilité des propositions avec l'avis émis. Les juges imposent à l'employeur, même en cas d'inaptitude avérée, préalablement au licenciement, de solliciter l'avis du médecin du travail sur l'inaptitude du salarié et ses propositions éventuelles de reclassement (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-45.449, M Zekraoui c/ Société des Usines et aciéries de Sambre et Meuse N° Lexbase : A3616ABK, Bull. civ. V, n° 560). L'obligation nouvelle mise à la charge de l'employeur n'est, ainsi, qu'une généralisation et une matérialisation de cette dernière solution.

Après tout, ce n'est pas totalement préjudiciable aux employeurs qui, au soutien de leur licenciement, pourront avancer la position du médecin du travail.

Décision

Cass. soc., 6 février 2008, M. Bounouar c/ Société Feursmétal, n° 06-44.413, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7266D4U)

Cassation de CA Lyon, 5ème ch., 18 novembre 2005, n° 05-01196, M. Aloua Bounouar c/ Feursmetal (N° Lexbase : A7866DMB)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R) et L. 241-10-1 (N° Lexbase : L6034ACH)

Mots clefs : accident du travail ; visite de reprise ; déclaration d'inaptitude ; obligation de reclassement ; reclassement par l'employeur ; proposition de poste ; contestation par le salarié de la compatibilité des postes proposés avec l'avis du médecin du travail ; obligation pour l'employeur de saisir à nouveau le médecin du travail pour avis.

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Sécurité sociale

[Textes] La gestion du chômage-placement par l'Etat sous le contrôle de la Cour des comptes (Rapport 2008)

Réf. : Rapport public annuel de la Cour des comptes (2008)

Lecture: 11 min

N2048BEL

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

La Cour des comptes vient de rendre accessible son rapport public annuel (année 2008). La Cour analyse un certain nombre d'aspects des politiques publiques (chapitre I) (1), parmi lesquels ne sera retenu que le seul point relevant du droit social-protection sociale, les structures et services aux demandeurs d'emploi. C'est la dixième fois en moins de dix ans que la Cour des comptes traite de la question de la prise en charge du risque chômage et de l'organisation du placement en France (le contrôle externe des organismes gestionnaires du régime d'assistance chômage, rapport 1999 ; le recouvrement des cotisations du régime d'assurance chômage : comparaison avec la Sécurité Sociale, rapport 1999 ; l'Agence nationale pour l'emploi, rapport 2000 ; les comptes consolidés du régime d'assurance chômage, rapport 2000 ; la mise en place d'un contrôle interne dans le régime d'assurance chômage, rapport 2001 ; les stages pour demandeurs d'emploi organisés par l'Etat, rapport 2002 ; la gestion du "régime des intermittents du spectacle", rapport 2002 ; le contrôle de la recherche d'emploi, rapport 2003 ; l'évolution de l'assurance chômage, rapport public thématique, mars 2006). La publication de ce rapport intervient dans un contexte particulier, car elle est concomitante (à quelques jours près) à la publication au Journal officiel de la loi n° 2008-126 du 13 février 2008, relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi (N° Lexbase : L8051H3L).

Le rapport porte sur l'amélioration du service rendu aux demandeurs d'emploi. La Cour des comptes a examiné les évolutions récentes intervenues dans le cadre d'une politique active de lutte contre le chômage, dans le souci d'aider davantage le demandeur d'emploi à retrouver un emploi ou de lui proposer une formation. D'une part, elle s'est intéressée à l'organisation institutionnelle mise en place depuis la loi de cohésion sociale, en 2005 (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49) : le rapprochement entre les Assedic et l'ANPE dans des domaines aussi structurant que l'implantation territoriale et les systèmes d'informations ; la sous-traitance à des opérateurs privés de placement. D'autre part, la Cour a examiné les dispositifs mis en place, aussi bien par l'Unedic que l'ANPE, portant sur le suivi des demandeurs d'emploi.

I. Optimiser l'organisation institutionnelle pour une meilleure prise en charge des demandeurs d'emploi

A - Le rapprochement largement inabouti des structures en charge des demandeurs d'emploi

Dans son rapport public thématique publié en mars 2006, la Cour des comptes (dans le prolongement d'autres études et travaux (2) recommandait un rapprochement des réseaux de l'Unedic et de l'ANPE (implantations immobilières et les systèmes d'information), en vue d'améliorer l'accueil et le suivi des demandeurs d'emploi. A côté de ces réseaux opérationnels ont été mis en place, depuis 2005, les maisons de l'emploi.

  • Le rapprochement physique des réseaux de l'ANPE et de l'assurance chômage

Les observations formulées par la Cour des comptes restent d'actualité, même si le législateur les a mises (en partie) en oeuvre, avec la loi n° 2008-126 du 13 février 2008. Rendre compte des analyses de la Cour doit assurer une meilleure compréhension des enjeux de la fusion ANPE-Unedic.

La définition du guichet unique a été précisée par l'ANPE et l'Unedic en février 2007 comme étant, soit un site commun, soit des sites mitoyens ou distants de moins de 200 mètres, soit des sites ANPE qui accueillent des agents Assedic ou des sites Assedic qui accueillent des agents ANPE. Ils permettent aux demandeurs d'emploi d'être reçus en une seule démarche par un agent de l'Assedic pour l'entretien d'inscription et par un conseiller de l'ANPE pour l'élaboration du projet personnalisé d'accès à l'emploi. Au 30 juin 2007, 254 sites, qu'il faut rapprocher des 531 antennes de l'Assedic et des 824 agences locales de l'ANPE, répondent à cette définition. La Cour relève la faible proportion des rapprochements "physiques" dans l'ensemble (17,3 %) et confirme la nécessité persistante de faire converger les politiques immobilières des deux institutions. L'ANPE prévoit d'installer 91 agences locales au sein des 227 maisons de l'emploi labellisées. L'Unedic prévoit la présence permanente d'agents dans 27 maisons (dont 25 doivent, aussi, accueillir une agence locale pour l'emploi).

  • Les maisons de l'emploi

La loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (3) assignait à la maison de l'emploi d'être, à la fois, une instance chargée de recenser les ressources humaines et de prévoir les besoins locaux en emplois, un lieu dédié au traitement particulier des chômeurs en difficulté, après orientation par les grands réseaux, notamment, celui de l'ANPE, un lieu regroupant tous les services susceptibles d'être offerts en matière d'aide à la création de leur propre emploi par les chômeurs, et l'association de tous les partenaires de l'emploi et de la formation, fédérés au sein d'une structure juridique (4). A la fin 2006, 82 maisons, seulement, étaient conventionnées. A la fin mai 2007, sur les 227 maisons labellisées, 128 étaient conventionnées, soit 56 %. Elles ne couvraient, en moyenne, selon la DARES, que 37 % des demandeurs d'emploi. Au 10 septembre 2007, 152 maisons étaient conventionnées, soit 67 % des maisons labellisées. Sur les 75 projets restants, certains ne verront, sans doute, jamais le jour ; pour d'autres, la convention est en discussion.

La Cour des comptes relève que la mise en place des maisons de l'emploi était une occasion (qui n'a pas été saisie) de mettre un peu de cohérence dans l'entrecroisement déjà existant des périmètres des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale avec ceux des plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE), des missions locales, des comités de bassins d'emploi, ainsi qu'avec le découpage territorial des différents partenaires (agences locales pour l'emploi, antennes Assedic en particulier). L'intervention de l'Etat a été essentielle mais empirique et, parfois, hésitante, selon la Cour des comptes. Elle s'est centrée sur l'élaboration de documents (textes réglementaires, documents types, offre de services du service public de l'emploi, charte des maisons de l'emploi, fiches de questions-réponses), l'appui aux collectivités et aux services pour l'élaboration des conventions pluriannuelles, la mise en place des subventions, la préparation de l'auto-évaluation (2007) et de l'évaluation nationale (2008).

B - Le recours à des opérateurs privés de placement

La Cour des comptes a examiné, de nouveau, le déroulement des expériences de recours à des opérateurs privés de placement depuis le début 2005 (5). Comme elle l'avait constaté pour l'une des opérations, lancée dès l'automne 2004, le choix des opérateurs privés de placement de la première phase n'a pas toujours donné lieu à une mise en concurrence formalisée. La rémunération des prestataires, assez élevée, comportait une partie fixe prépondérante et n'incitait guère à obtenir un retour durable à l'emploi.

En matière de retour à l'emploi, la valeur probante des statistiques d'accès à l'emploi qui ont été tirées du suivi mis en oeuvre par l'Unedic est faible. Ces données ne fournissent aucune information sur l'efficacité comparée des opérateurs privés de placement par rapport aux autres formes d'accompagnement. Elles ne permettent pas d'apprécier dans quelle mesure les demandeurs d'emploi pris en charge par ces opérateurs sont sortis durablement du chômage au cours, et à la suite, de l'accompagnement. Une étude de l'ANPE a tenté de comparer l'impact des opérateurs privés de placement et d'un accompagnement par l'ANPE. Elle ne montre aucune différence sensible entre les deux types d'accompagnement. Ses résultats n'emportent, cependant, pas, non plus, la conviction, car la comparaison peut être faussée par la dissemblance des populations étudiées.

Pour la Cour des comptes, l'incertitude demeure, à la fois, sur la rentabilité de l'investissement d'accompagnement très renforcé, qui consomme beaucoup de temps, pouvant être aussi consacré à d'autres actions, et sur l'efficacité comparée des prestations des opérateurs privés de placement et de l'ANPE. Pour lever ces incertitudes, il conviendrait de s'interroger sur la nécessité d'obtenir, ou non, l'adhésion des demandeurs d'emploi à une orientation vers des opérateurs privés ou "Cap vers l'entreprise" et de réduire l'écart de diagnostic entre l'outil de profilage qui semble encore perfectible et les prescriptions des agents de l'ANPE.

II. L'accueil et l'accompagnement des demandeurs d'emploi

L'accueil et l'accompagnement des demandeurs d'emploi ont été profondément modifiés par trois dispositions depuis le début 2006 : la mise en place, depuis le 1er janvier 2006, pour chaque demandeur, d'un entretien mensuel à compter du 4ème mois d'inscription, ces entretiens étant assurés par un même conseiller ; la mise en place, depuis le 1er janvier 2006 également, d'un "profilage statistique" de tous les demandeurs d'emploi, indemnisés, ou non ; enfin, la substitution, en juin 2006, au dispositif d'accompagnement précédent, le PARE-PAP, des parcours du PPAE.

A - Les étapes du processus d'accompagnement du demandeur d'emploi

- L'expérimentation des techniques de profilage par l'ANPE et l'Unedic, même si elle a été engagée tardivement, a débouché sur la mise en place progressive, à partir de la fin avril 2006, d'un outil statistique conçu conjointement par les deux organismes permettant de mesurer "la distance à l'emploi" de chaque demandeur d'emploi, indemnisable ou non, dès son premier entretien d'inscription à l'Assedic, en fonction de ses caractéristiques personnelles et de celles du bassin d'emploi local. Depuis le 1er janvier 2007, cette technique de profilage est appliquée à tous les demandeurs qui s'inscrivent. Trois catégories de demandeurs d'emploi sont identifiées en fonction de leur probabilité individuelle de chômage de longue durée dans leur bassin d'emploi : risque faible de chômage de longue durée (RS1), risque modéré (RS2) et risque élevé (RS3). Sur la période de calibrage de l'outil de classement, 15 % des demandeurs étaient classés dans la catégorie RS1, 67,2 % dans la catégorie RS2, 17,8 % dans la catégorie RS3.

La Cour des comptes déplore que le souci de préserver les domaines d'intervention des deux institutions ait conduit à limiter la portée de cet outil de profilage : ainsi, ne comporte-t-il aucun renseignement sur le niveau de formation des demandeurs d'emploi, ni sur le type d'emploi qu'ils recherchent, au motif que ces indications relèveraient de la seule compétence des conseillers de l'ANPE. D'ailleurs, le diagnostic du profilage et le parcours proposé au demandeur d'emploi ne coïncident que dans 20 à 30 % des cas. L'outil de profilage doit donc être remanié et ses résultats plus largement pris en compte par les conseillers de l'ANPE.

- Avec le passage, au 1er janvier 2007, du plan d'aide au retour à l'emploi (PARE-PAP) au Projet personnalisé d'accompagnement à l'emploi (PPAE) (en application de la convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006 (6), les modalités d'accompagnement vers l'emploi ont été profondément réformées. Comme l'avait recommandé la Cour des comptes, la sélectivité des dispositifs a été renforcée et une définition plus précise a été donnée aux objectifs des différents accompagnements.

Il existe trois parcours d'accompagnement du demandeur d'emploi vers l'emploi : le parcours de recherche accélérée (pour les demandeurs d'emploi les plus proches de l'emploi ou à la recherche d'un métier porteur ou en tension) ; le parcours de recherche active (pour les demandeurs d'emploi moyennement éloignés de l'emploi) ; le parcours de recherche accompagnée (permettant aux demandeurs d'emploi ayant une distance à l'emploi supérieure à douze mois avec un besoin d'accompagnement d'articuler les différents dispositifs existants) ; le parcours créateur/repreneur d'entreprise (entretiens de suivi de l'avancement du projet réalisé par l'ANPE aux 6ème et 9ème mois et par l'Assedic aux 3ème et 11ème mois). Deux parcours supplémentaires sont en cours de définition : le parcours spécifique aux allocataires en chômage saisonnier et le parcours spécifique aux allocataires en activité réduite.

La logique de parcours, qui repose principalement sur l'évaluation de la distance à l'emploi, vise à fournir à chaque demandeur, au-delà d'un appui, les prestations qui sont les plus propres à réduire la durée de son inactivité. Les parcours visent aussi à favoriser les incitations du demandeur à chercher un emploi. Toutes ces évolutions sont positives, selon la Cour des comptes, mais la définition des parcours devrait, cependant, être améliorée, car elle n'est pas encore assez sélective, le parcours de recherche active ayant un contenu trop large. Par ailleurs, la mise en oeuvre initiale de cette grille de parcours n'a pas été satisfaisante. En effet, depuis la mise en place du dispositif jusqu'à fin février 2007, 701 652 demandeurs d'emploi ont été orientés vers un parcours personnalisé, dès leur premier entretien professionnel à l'ANPE : 38 038 en parcours de recherche accélérée (5,4 %), 483 803 en parcours de recherche active (69,0 %), 159 830 (dont 7 600 en parcours de mobilisation vers l'emploi) en parcours de recherche accompagnée (22,8 %), 19 981 en parcours créateur repreneur d'entreprise (2,8 %). La part des parcours de recherche accélérée est trop faible (5,4 %) et très inférieure à ce qui était prévu (environ 15 % d'après les tests de l'outil de profilage).

- Depuis le 1er janvier 2006, avec la mise en place du suivi mensuel personnalisé, chaque demandeur d'emploi est reçu tous les mois, à partir du 4ème mois d'inscription, par un même conseiller, le conseiller référent, qui le suit, ainsi, de façon active en lui proposant continûment des services et en le relançant par téléphone s'il est absent à un entretien. L'entretien mensuel personnalisé a entraîné en 2006 un doublement des entretiens réalisés par l'ANPE. Appliquées à tous les demandeurs d'emploi depuis le printemps 2007, cette continuité et cette personnalisation du suivi modifient profondément la nature de l'accompagnement.

B - La gestion des aides financières versées par l'Unedic pour favoriser le retour à l'emploi

La Cour des comptes avait relevé, dans son rapport public thématique de mars 2006, que les volumes des aides financières versées par l'Unedic étaient relativement limités et que leur mode de répartition entre les différentes Assedic engendrait une trop grande rigidité dans l'affectation des crédits aux actions.

Les évolutions n'ont pas été corrigées, elles se sont même accentuées. L'enveloppe financière annuelle globale fixée à 472 M euros sur la période antérieure a été maintenue à ce niveau en 2005 et elle a été diminuée en 2006 (440 M euros). De ce fait, le nombre de bénéficiaires dont la Cour avait relevé qu'il était relativement limité au regard du nombre des demandeurs d'emplois a fortement diminué. Comme au cours de la période antérieure, la répartition de l'enveloppe globale entre les différentes aides s'est notablement écartée, des objectifs fixés par le Groupe paritaire national de suivi au profit de l'aide dégressive à l'employeur.

La fusion entre l'ANPE et l'Unedic en cours (loi 18 février 2008, préc.) doit, avant tout, entraîner un accroissement de l'efficience du service public de l'emploi, qui devrait se traduire à la fois par une amélioration du service et une réduction de son coût pour la collectivité. Dans cette perspective, la Cour des comptes a tiré les conclusions et recommandations suivantes :

- suivi des demandeurs d'emploi : la Cour prend acte de l'intensification et de la diversification des actions menées. Elle recommande que l'outil de profilage soit amélioré et complété, et que son utilisation par les conseillers de l'emploi soit systématique ; que la gamme des prestations proposées par l'ANPE soit mieux adaptée à chaque "parcours" ; que les conditions d'attribution des aides financières accordées par l'assurance chômage tiennent mieux compte des spécificités régionales ; dans la ligne des améliorations constatées, que l'effort en faveur de l'évaluation des incidences sur le retour à l'emploi soit poursuivi.

- recours à des opérateurs privés de placement : la Cour prend acte de ce qu'il a été remédié à certains dysfonctionnements de la période d'expérimentation. Elle note que l'ANPE a, pour sa part, mis en place le dispositif "Cap vers l'entreprise". Elle souligne l'intérêt du mode d'évaluation innovant mis en place. Le principe du volontariat étant à l'origine du faible effectif entrant dans ce dispositif, il devrait être repensé à l'issue des phases d'expérimentation et au vu des résultats des évaluations.

- maisons de l'emploi : il est impératif d'introduire des règles du jeu plus claires, et, notamment, de dessiner la carte des bassins ou regroupements de bassins au niveau desquels doit se positionner une maison de l'emploi. Le renouvellement de la participation de l'Etat pourrait être conditionné au respect de la carte cible.


(1) Le chapitre I du Rapport 2008 est consacré aux politiques publiques : l'Agence des participations de l'Etat ; le bilan de la gestion des défaisance ; le rôle et la stratégie du CNRS ; les universités des villes nouvelles franciliennes ; le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique ; structures et services aux demandeurs d'emploi ; les péages autoroutiers ; la dotation de continuité territoriale aérienne avec l'outre-mer ; les aides au développement agricole ; la participation de la France aux corps militaires européens permanents.
Le Chapitre II est consacré à la gestion des services de l'Etat et des organismes publics : la réforme de la gestion des pensions des fonctionnaires de l'Etat ; la redevance audiovisuelle ; l'Imprimerie nationale ; les conservations des hypothèques ; le service des droits des femmes et de l'égalité ; la gestion des ressources humaines de l'ANPE ; l'Institut national de l'audiovisuel ; l'établissement public de santé national de Fresnes ; les Thermes nationaux d'Aix-les-Bains ; les établissements publics locaux d'enseignement.
(2) V. aussi, dans le même sens, J. Marimbert, Rapport au ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité sur le rapprochement des services de l'emploi, 2004 ; IGAS, Le Rapprochement de l'ANPE et de l'Unedic, Rapport annuel 1994, Doc. fr. ; P. Lacarrière et M.-T. Join-Lambert, Rapport relatif à l'Agence nationale pour l'emploi et au service public de l'emploi, Inspection générale des finances/Inspection générale des affaires sociales, octobre 1989.
(3) Y. Rousseau, Du monopole public du placement à un nouveau service public de l'emploi, Dr. soc., 2005, p. 456 ; M. Véricel, La réorganisation du service public de l'emploi, JCP éd. G, 2005, I, 115 ; nos obs., La réforme du service public de l'emploi par la loi de cohésion sociale : une évolution prévisible, TPS 2005, chron. 6.
(4) J. Bastide, D. Bourdeaux, H. Brin et C. Larose, Avis Conseil économique et social, 2004 ; lire nos obs., Loi de cohésion sociale : Chômage, Placement, Lexbase Hebdo n° 152 du 27 janvier 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4390AB9).
(5) D. Balmary, Rapport de l'instance d'évaluation de la politique de l'emploi relatif au recours aux opérateurs externes, Commissariat général au Plan ; A.M. Dockery et T. Stromback, Externalisation des services publics de l'emploi : évaluation préliminaire de l'expérience australienne, Revue internationale du Travail, vol. 140, n° 4, 2001 ; D. Gelot et P. Nivolle, Les intermédiaires des politiques publiques d'emploi, Cahier Travail et Emploi, DARES, Doc. fr., 2000 ; OCDE, Les politiques du marché du travail et le service public de l'emploi : principales caractéristiques, nouveaux enjeux, OCDE, 2000.
(6) M. Véricel, Le nouvel accord sur l'assurance-chômage pour 2006-2008. De l'indemnisation des salariés au chômage à l'accompagnement de la démarche de recherche d'emploi, Dr. soc., 2006, p. 129 ; nos obs., Actualité de l'assurance chômage : Convention d'assurance chômage et règlement annexé du 18 janvier 2006, Rapport de la Cour des comptes, Lexbase Hebdo n° 208 du 30 mars 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N6354AKK).

newsid:312048

Droit financier

[Textes] Nouvelles modalités d'accès aux marchés réglementés : compartiment réservé pour investisseurs qualifiés

Réf. : Arrêté du 7 décembre 2007 portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, NOR : ECET0771416A (N° Lexbase : L5933H37)

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N1986BEB

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

"Divide ut regnes" (divise pour régner) : la maxime que Machiavel met dans la bouche du conseiller du Prince pourrait, sans doute, expliquer les raisons qui ont suscité l'édiction de l'arrêté du 7 décembre 2007 emportant homologation des modifications du Règlement général (RG) de l'Autorité des marchés financiers. Il ne s'agit pas, toutefois, à la différence du conseil donné dans Le Prince, évoqué plus avant, de diviser des hommes, mais de scinder les marchés afin de faciliter les admissions d'instruments financiers. La modification du RG, ainsi introduite, établit, en effet, la possibilité d'admettre des instruments financiers "sans émission ni cession dans le public" au sein d'un marché réglementé. En pratique, l'emploi du terme "compartiment" est plus explicite, il renvoie à la création d'un espace de transaction isolé et obéissant à des règles propres, au sein d'un marché plus vaste, régi par le droit commun. Quant à "régner", là encore, la formule n'est que métaphorique et renvoie essentiellement à la compétition à laquelle se livrent les marchés financiers. C'est en effet le constat -qui, semble-t-il, a essentiellement été, à l'origine de la modification du RG- que la complexité des mécanismes d'admissions sur la place de Paris dissuadait certaines sociétés de recourir au financement boursier, et incitait les émetteurs étrangers à éviter les marchés nationaux. Plus substantiellement, on relèvera que pour Euronext Paris, dont le sort est désormais lié à celui du New York Stock Exchange, depuis la fusion de ces deux entités, l'occasion est donnée, par cette réforme, de présenter Paris en concurrent continental de la place de Londres grâce à l'adoption de procédures d'admission aussi peu contraignantes que celles qui sont proposées outre-Manche.

La question se pose, toutefois, de l'opportunité technique d'une telle démarche, alors que la transposition de la Directive concernant les marchés d'instruments financiers (Directive "MIF" 2004/39 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 N° Lexbase : L2056DYS), qui est finalisée depuis quelques mois, vient de permettre d'aménager la structure des marchés de façon plus performante qu'auparavant. L'introduction de compartiments au sein des marchés réglementés ne risquerait-t-elle pas de faire perdre de sa cohérence à la nouvelle architecture boursière ou constitue-t-elle, au contraire, une évolution positive et naturelle dans le cadre de la Directive "MIF" ?

La réponse à cette question passe, d'abord, par l'analyse des dispositions de l'arrêté qui permet de compartimenter un marché réglementé (I), avant que ne puisse être imaginées, ensuite, les conséquences que lesdites dispositions pourront emporter sur la structure des marchés (II).

I - L'arrêté emportant compartimentation d'un marché réglementé

Le mécanisme de compartimentation des marchés est décrit de façon très succincte (A) dans les nouvelles dispositions du Règlement général de l'Autorité des marchés financiers, l'essentiel du texte visant à abaisser les exigences en matière d'information (B) lorsque l'instrument financier est admis sur le compartiment.

A - Un mécanisme simple de compartimentation des marchés

Le mécanisme de compartimentation des marchés a été introduit par l'adjonction, dans le RG de l'AMF, d'une nouvelle section, après l'article 516-17, intitulée : "Dispositions applicables à certains compartiments". Cette section ne comporte que deux articles qui donnent, pour le premier (nouvel article 516-18), la faculté aux entreprises de marché de créer des compartiments spécifiques au sein des marchés réglementés et fixent les conditions, pour le second (nouvel article 516-19), de l'accès à ces compartiments pour les investisseurs.

L'article 516-18, alinéa 1er, établit, de la sorte, que l'entreprise de marché peut mettre en place, sur tout marché réglementé, un compartiment ouvert à tout émetteur d'instruments financiers, mais que la cotation sur ce compartiment interdit toute émission et toute cession "dans le public". Ce même article prévoit ainsi, également -sous couvert, d'ailleurs d'une rédaction inutilement complexe (1)-, que l'émetteur n'a pas accès à ce compartiment lorsque "des titres de capital ou des titres donnant ou pouvant donner accès, directement ou indirectement à son capital ou à ses droits de vote ont déjà été admis aux négociations sur un marché réglementé français" (2).

Cet alinéa renvoie, ainsi, aux deux objectifs principaux assignés à l'introduction de la compartimentation en droit interne.

- D'une part, l'admission au compartiment n'est possible que pour les émetteurs qui souhaitent accéder aux marchés réglementés, et non pour les sociétés qui y sont déjà cotées ou qui y ont émis des titres susceptibles de donner accès à leur capital ou leur droit de vote (3). L'admission au compartiment doit, donc, s'analyser comme le franchissement, pour les émetteurs, d'une étape susceptible de leur permettre d'être ultérieurement admis sur les marchés réglementés stricto sensu. La rédaction du second alinéa du même article (4) en atteste, qui prévoit que le transfert hors du compartiment, vers le marché, contraint les émetteurs à respecter les règles d'information de droit commun qui imposent l'établissement d'un prospectus destiné au public, contraintes plus sévères que celles qui régissent le compartiment lui-même (5).

- D'autre part, cette restriction ne concerne, aux termes de la fin de l'alinéa 2, que les "marché(s) réglementé(s) français", ce qui ouvre la possibilité, aux émetteurs dont les instruments financiers sont admis à négociation sur des marchés étrangers, d'intégrer les structures réglementées nationales tout en bénéficiant de procédures allégées. Cette distinction entre les émetteurs nationaux et étrangers n'est pas neutre dans le combat auquel se livrent les places financières. Il s'agit, en effet, par cette disposition, de proposer une alternative aux cotations réalisées à Londres, en offrant aux sociétés la sécurité qu'offre un marché réglementé, tout en abaissant les contraintes en matière d'information et de procédure d'admission.

Il reste que si la réforme va permettre d'augmenter l'attractivité de la place de Paris, le potentiel de financement des sociétés risque d'être plus restreint sur les compartiments que sur les marchés proprement dits car ces derniers ne sont pas, en principe, destinés à être ouverts aux petits investisseurs. En effet, l'article 516-19 nouveau du RG de l'AMF dispose que les instruments financiers du compartiment ne peuvent être acquis que par un investisseur qualifié, selon la définition qu'en donne l'article L. 411-2 du Code monétaire et financier dans son II 4° b (6). En outre, la cession ne peut intervenir qu'à l'initiative de cet investisseur et que lorsqu'il a été dûment informé des caractéristiques de ce compartiment par le prestataire de services d'investissement. Il ressort, ainsi, de cette disposition, que le compartiment constitue un segment de marché réservé aux professionnels et aux sociétés émettrices qui n'ont pas pour ambition de collecter les capitaux dans le public.

B - Les dispositions essentielles : un allègement des contraintes en matière d'information

On comprend donc, à l'issue de ce bref exposé, que l'allégement des contraintes pesant sur les émetteurs va, également, se traduire par un allègement de l'information, les investisseurs avisés constituant des acteurs des marchés financiers particulièrement à même de mesurer le degré de risque encouru par catégorie d'opérations -ou de marchés-. Le texte prévoit, ainsi, une première série d'allègements qui visent, d'abord, directement les émetteurs étrangers, encouragés à utiliser leur langue d'origine à l'occasion de l'émission, la modification du RG de l'AMF portant, à ce titre, sur les articles 212-5, 212-12 et 221-2 (7).

L'article 212-5 disposait déjà, en premier lieu, que l'obligation de publier un prospectus ne s'appliquait pas à l'admission aux négociations sur un marché réglementé de certaines "catégories d'instruments financiers", l'article constituant, en fait, une liste d'exemptions de publication dudit prospectus. Etaient ainsi exemptées, à l'origine -entre autres (8)- : "les instruments financiers déjà admis aux négociations sur un autre marché réglementé", si un ensemble de conditions, qu'il n'y a pas lieu de détailler ici, étaient réunies. L'article ajoutait, dans sa rédaction originelle, que lorsque lesdites conditions étaient remplies (9), l'émetteur était dispensé de l'édition d'un prospectus mais qu'il devait publier un résumé en français. Or, maintenant, la réforme l'en dispense et autorise la publication en langue étrangère, si l'émission est limitée au compartiment.

Le même type de dispositions a été pris, par ailleurs, s'agissant de l'article 212-2 du RG qui prévoyait deux dérogations aux règles de publication en langue locale mais qui contraignait, initialement, lorsque ce prospectus était visé par l'AMF dans sa langue originelle, que son résumé soit quand même traduit en français. Désormais, la réforme des marchés réglementés fait disparaître cette contrainte lorsque l'émetteur n'introduit l'instrument financier que sur le compartiment. Enfin, cette sujétion particulière est également levée, pour ces mêmes instruments, en matière de communication de l'information financière prévue au titre II du livre II du RG. Ce dernier prévoyait, déjà, un certain nombre de dérogations et autorisait la transmission des informations dans toute "langue usuelle en matière financière". Il accordera, désormais, en outre, en vertu du troisième alinéa de l'article 221-2, une dérogation à la publication en français pour les émetteurs d'instruments financiers introduits sur le compartiment.

Indépendamment de ces dérogations à la publication en français, d'autres dispositions allègent, cette fois, la procédure d'admission, notamment par la modification des articles 212-14, 212-15 et 212-16 du RG. C'est, d'abord, l'article 212-14 qui prévoit, dans sa nouvelle version, la dispense de la production d'une attestation des contrôleurs légaux des comptes concernant la vérification du prospectus. C'est, ensuite, la reformulation de l'article 212-15, qui les exonère de la vérification complète, dite "lecture" du document, disposition complétée, enfin, par la nouvelle rédaction de l'article 212-16 qui dispense également les prestataires de services d'investissement de certifier le contenu du prospectus.

Reste que les objectifs assignés à la création des compartiments, vont au-delà de la recherche d'une attractivité juridique et technique pour les seules sociétés ayant leur siège statutaire en Europe. L'hypothèse de l'admission d'instruments financiers introduits par des émetteurs ayant leur siège statutaire hors du territoire de l'Espace économique européen est, en effet, envisagée par la nouvelle formulation des articles 212-36, 212-37 et 212-38 du RG. Globalement, l'émission se trouve facilitée par la possibilité, déjà envisagée par le RG, d'établir un prospectus conforme aux "standards internationaux" mais la nouveauté, en revanche, consiste à permettre que ce "prospectus" n'ait pas à subir les contraintes de traduction si les instruments financiers demeurent sur le compartiment.

C'est, enfin, au moyen de dispositions plus générales que le RG prend en considération la particularité de la compartimentation, prévoyant, en premier lieu, dans son article 221-4 nouveau, que la communication financière devra être adaptée aux "circonstances" propres à l'admission d'un instrument financier au compartiment, formule apparemment floue mais qui constitue, en réalité, une réserve d'appréciation discrétionnaire pour l'AMF. Cette particularité se traduit, en second lieu, par l'allégement des contraintes en matière d'information comptable, dans la nouvelle rédaction de l'article 222-2, et par l'exonération de l'émetteur de l'obligation de communiquer au marché des informations sur la rémunération des contrôleurs légaux des comptes, dans l'article 222-8 nouveau.

II - Les effets de la compartimentation sur la structure des marchés

Les effets de la compartimentation sur la structure des marchés se traduisent par une altération de la logique originelle qui a présidé à la création des marchés réglementés (A), mais cette altération peut également être analysée comme une évolution positive, susceptible d'être à l'origine de l'apparition d'un nouveau modèle de marché (B).

A - La compartimentation confrontée à la nature des marchés réglementés

Il est nécessaire, afin de mieux comprendre l'importance de l'introduction de la compartimentation au sein des marchés réglementés, de revenir à la genèse de leur apparition et des objectifs que leur ont assignés, successivement, les instances communautaires et le législateur de droit interne. La création des marchés réglementés est la résultante, en effet, de la réorganisation des marchés financiers en Europe et de la volonté communautaire de moderniser ces marchés, notamment en créant une structure modèle, suffisamment simple pour pouvoir être commune à tous les ordres juridiques des Etats membres.

La création des marchés réglementés résulte ainsi de l'édiction de la loi du 2 juillet 1996 (10) (dite de modernisation) qui transpose la Directive sectorielle du 10 mai 1993 sur les services d'investissement (11). Cette dernière, placée sous l'égide de l'article 52 du Traité de Rome (12), imposait aux Etats membres le respect des principes de libre prestation de service (13) et de liberté d'établissement (14) en organisant les marchés autour de deux pôles. Le premier pôle était composé des marchés de gré à gré, censés fonctionner exclusivement sur le fondement de règles contractuelles établies selon la volonté des parties. Le second était constitué autour des marchés réglementés, structures placées sous la tutelle de la puissance publique, dotées de règles strictes de fonctionnement. Cette dualité était, ainsi, destinée à créer des espaces de transaction dédiés à deux catégories de financeurs : les investisseurs, avec les marchés réglementés, et les professionnels dont l'activité devait se concentrer sur les marchés de gré à gré.

D'emblée, ainsi, la constitution des marchés réglementés s'est accompagnée, protection du consommateur de produits financiers oblige, de nombreuses mesures d'encadrement public aux fins de garantir un niveau de sécurité très important pour les petits porteurs. A ce titre, il convient de souligner la lourdeur du mécanisme de création d'un marché réglementé face à la souplesse de la mise en oeuvre d'un compartiment.

Le dispositif juridique originel consistait, en effet, à instituer le marché en trois étapes, correspondant à autant d'édiction de règles de fonctionnement, l'intervention du ministre dans cette procédure normative parachevant le processus. Désormais, c'est l'article L. 421-4 du Code monétaire et financier, tel que modifié par l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007, qui encadre le processus de reconnaissance d'un marché réglementé (15) mais par un ensemble de mécanismes presque aussi complexes qu'auparavant. Créer, ainsi, un marché réglementé n'apparaît être envisageable que pour des opérations de très grande envergure. En tout état de cause, le marché réglementé, dans le nouveau cadre légal de l'ordonnance du 12 avril 2007, est toujours contraint à un fonctionnement régulier, en vertu des dispositions de l'article L. 421-1 du Code monétaire et financier (16), alors que ce type de fonctionnement est peu compatible avec l'admission de valeurs que seuls les professionnels seraient appelés à financer.

La compartimentation permet, ainsi, d'obvier à la difficulté de création des marchés réglementés. L'entreprise de marché qui gère déjà un marché réglementé disposera de la faculté de proposer, pour l'émetteur, une cotation sur un marché de premier rang et très sécurisé, tout en garantissant une souplesse administrative et juridique lors de l'admission. Pourtant, en théorie, cette organisation en compartiment est paradoxale car la pesanteur du fonctionnement des marchés réglementés a toujours eu pour seule justification la protection des petits investisseurs, alors que ces derniers ne pourront financer les valeurs du compartiment. On pourrait s'étonner, au surplus, que les sociétés puissent être attirées par la cotation en compartiment, dès lors que cette dernière n'offre que des possibilités de financement limitée tout en étant caractérisée par un fonctionnement très encadré. D'autres remarques pourraient, d'ailleurs, être formulées à l'encontre de la création de compartiments.

L'une tient au mécanisme, déjà souligné, qui semble favoriser les émetteurs communautaires déjà admis à négociation sur un marché réglementé étranger, qui pourront accéder au compartiment selon une procédure simplifiée, alors qu'un émetteur national, placé dans la même situation ne peut, à l'heure actuelle, demander à se déplacer sur le compartiment. Ce traitement différencié entre émetteurs de l'Union se justifie, sans doute, par des considérations d'intérêt général fondées sur la protection du petit investisseur, mais paraît faire peser une sujétion singulièrement discriminatoire sur les émetteurs nationaux.

S'agissant, d'ailleurs, de ces derniers, l'autre remarque tient au fait que le compartiment demeure, pour les émetteurs locaux (et le point a également été souligné), un marché de transition vers les marchés réglementés stricto sensu. Il ne semble, toutefois, pas possible, à l'heure actuelle, pour ces mêmes émetteurs, de se retirer progressivement d'un marché réglementé en se plaçant sur le compartiment.

B - Un nouveau modèle de marché ?

Indépendamment de ces remarques pratiques, la Directive "MIF", en toute hypothèse, semble permettre de reconsidérer l'ensemble des bases posées par la Directive sur les services d'investissement. La distinction entre marché réglementé et marché libre, qui en constituait le substratum, est désormais résolument abandonnée, au point qu'on est en droit de s'interroger sur la possible émergence d'un nouveau modèle de marché. La compartimentation, en effet, semble devoir changer l'approche même de la notion de marché réglementé. A l'origine, ce dernier avait pu être présenté, par certains auteurs (17), comme une structure destinée à pérenniser l'ancienne organisation boursière, marquée par un encadrement fort par la puissance publique, voire par sa soumission au service public.

L'adoption d'un régime ressortissant du droit privé, à l'occasion de l'édiction de la loi sur la modernisation des activités financières du 2 juillet 1996, puis, la transposition de la Directive "MIF" par l'ordonnance du 12 avril 2007, sont venues perturber cet ordonnancement idéal qui voulait que les marchés publics s'opposent aux marchés privés. Nous ne reviendrons pas sur l'analyse de l'ordonnance précitée, amplement détaillée il y a peu de temps dans ces colonnes (18), mais nous nous attarderons sur les conséquences possibles de la compartimentation face à la nouvelle structure des marchés.

En premier lieu, on remarquera que cette faculté de compartimentation brise la logique d'un encadrement juridique unitaire pour chaque marché réglementé. En effet, même à supposer que les instruments financiers du compartiment soient soumis à des règles de cotation uniformes, les règles d'admission, elles, seront différentes, ce qui ouvrira, sans doute, la possibilité d'imaginer, hors des dispositions concernant la sécurité des marchés, d'adopter des règles dualistes, voire plurales, corrélées aux besoins et au nombre des compartiments.

On relèvera, en second lieu, que la compartimentation, si elle devait se généraliser, pourrait conduire à la conservation d'un seul marché réglementé par place, l'existence de ce marché garantissant la sécurité des petits investisseurs, la compartimentation n'ayant pour objectif que de cantonner le risque, lié à la faible information dans des divisions spécialisées du marché. A terme, donc, l'hypothèse de l'existence d'un seul marché sous tutelle de la puissance publique mais divisé en sous structures aux contraintes réglementaires plus souples, semble pouvoir être envisageable.

Enfin, mais cette troisième remarque ne concerne plus la sphère du droit, cette compartimentation ouvrira, sans doute, comme ses instigateurs l'espéraient, la voie à une augmentation de l'attractivité de la place de Paris qui présentera, paradoxalement, l'atout de proposer un fonctionnement très sécurisé des marchés réglementés avec la possibilité d'opter, au sein de ces marchés, pour un régime juridique allégé.


(1) J.-F. Biard, Nouveau compartiment sur les marchés réglementés, RDBF, novembre-décembre, 2007, n° 263, p. 62 s..
(2) RG AMF, art. 516-18, alinéa 1er, nouveau : "L'entreprise de marché peut mettre en place un compartiment ouvert aux personnes qui sollicitent l'admission de leurs instruments financiers aux négociations sur un marché réglementé, sans émission ni cession dans le public lorsque des titres de capital ou des titres donnant ou pouvant donner accès, directement ou indirectement, au capital ou aux droits de vote de ces émetteurs ne sont pas déjà admis aux négociations sur un marché réglementé français".
(3) En ce sens, voir J.-F. Biard, op.cit., n° 263, p. 63.
(4) RG AMF, art. 516-18, nouveau alinéa 2 : "Les émetteurs ne peuvent solliciter le transfert de leurs instruments financiers hors du compartiment mentionné au premier alinéa qu'à l'occasion d'une émission ou d'une cession d'instruments financiers dans le public donnant lieu à l'établissement d'un prospectus".
(5) RG AMF, art. 212-1 : "Les personnes ou entités mentionnées à l'article 211-1 établissent, préalablement à la réalisation de toute opération sur le territoire de l'Espace économique européen, un projet de prospectus et le soumettent au visa préalable de l'AMF ou de l'autorité de contrôle compétente d'un autre Etats".
(6) C. mon. fin., art. L. 411-2 II (N° Lexbase : L2634HWH) : "Ne constitue pas une opération par appel public à l'épargne l'émission ou la cession d'instruments financiers lorsque : [...]
4° Nonobstant le recours au démarchage, à la publicité ou à un prestataire de services d'investissement, l'offre s'adresse exclusivement :
a) Aux personnes fournissant le service d'investissement de gestion de portefeuille pour compte de tiers ;
b) A des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d'investisseurs, sous réserve que ces investisseurs agissent pour compte propre
.
Un investisseur qualifié est une personne ou une entité disposant des compétences et des moyens nécessaires pour appréhender les risques inhérents aux opérations sur instruments financiers. La liste des catégories d'investisseurs reconnus comme qualifiés est fixée par décret.
Un cercle restreint d'investisseurs est composé de personnes, autres que des investisseurs qualifiés, dont le nombre est inférieur à un seuil fixé par décret.
III. - Pour l'application des dispositions du code pénal et de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, les personnes morales ou les sociétés procédant à des opérations mentionnées aux 1° à 3° du II sont réputées faire appel public à l'épargne
".
(7) Annexe de l'arrêté du 7 décembre 2007 :
"I. -Le e du 8° de l'article 212-5 est rédigé comme suit :
'e) La personne qui sollicite l'admission établit un résumé en français publié et diffusé conformément à l'article 212-27.
La traduction du résumé en français n'est pas nécessaire lorsque l'admission est sollicitée sur le compartiment mentionné à l'article 516-18. Le résumé précise également à quel endroit le prospectus le plus récent peut être obtenu et à quel endroit les informations financières publiées par l'émetteur en application du d sont disponibles.'
II.  L'article 212-12 est modifié comme suit :
a) La deuxième phrase du premier alinéa du II est rédigée comme suit : 'Dans ce dernier cas, le résumé doit être traduit en français sauf lorsque l'admission aux négociations est sollicitée sur le compartiment mentionné à l'article 516-18.'
b) La dernière phrase du dernier alinéa est rédigée comme suit : 'Dans ce dernier cas, le résumé doit être traduit en français sauf lorsque l'admission aux négociations est sollicitée sur le compartiment mentionné à l'article 516-18.'
IX. Le troisième alinéa de l'article 221-2 est rédigé comme suit :
'Toutefois, dans les cas mentionnés au II de l'article 212-12, peuvent être rédigées dans une langue usuelle en matière financière autre que le français :
a) Les informations mentionnées aux a, b, c, f, i, et l, du 2° de l'article 221-1 ;
b) Les informations mentionnées aux d, g, h, k et j du 2° de l'article 221-1, lorsque l'émetteur a son siège statutaire hors de France et que les instruments financiers sont admis aux négociations sur le compartiment mentionné à l'article 516-18."
(8) RG AMF, art. 212-5 nouveau : "L'obligation de publier un prospectus ne s'applique pas à l'admission aux négociations sur un marché réglementé des catégories d'instruments financiers suivants :
1° Les actions représentant, sur une période de douze mois, moins de 10 % du nombre d'actions de même catégorie déjà admises aux négociations sur le même marché réglementé ;
2° Les actions émises en substitution d'actions de même catégorie déjà admises aux négociations sur le même marché réglementé, si l'émission de ces nouvelles actions n'entraîne pas d'augmentation du capital de l'émetteur ;
3° Les instruments financiers offerts à l'occasion d'une offre publique d'échange ou d'une procédure équivalente de droit étranger lorsque l'émetteur a rendu disponible un document, soumis au contrôle de l'AMF, comprenant des renseignements équivalant à ceux du prospectus ;

4° Les instruments financiers offerts, attribués ou appelés à être attribués, à l'occasion d'une opération de fusion, de scission ou d'apport d'actifs qui a fait l'objet de la procédure prévue à l'article 212-34 ;
5° Les actions offertes, attribuées ou devant être attribuées gratuitement aux actionnaires, et les dividendes payés sous forme d'actions de la même catégorie que celles donnant droit à ces dividendes, lorsque ces actions sont de la même catégorie que celles déjà admises aux négociations sur le même marché réglementé et que l'émetteur a rendu disponible un document comprenant des renseignements sur le nombre et la nature des instruments financiers ainsi que sur les motifs et les modalités de l'opération ;
6° Les instruments financiers offerts, attribués ou devant être attribués aux administrateurs, aux mandataires sociaux mentionnés au II de l'article L. 225-197-1 du Code de commerce ou aux salariés anciens ou existants par leur employeur ou par une société liée lorsque ces instruments financiers sont de la même catégorie que ceux déjà admis aux négociations sur le même marché réglementé et que l'émetteur a rendu disponible un document comprenant des renseignements sur le nombre et la nature des instruments financiers ainsi que sur les motifs et les modalités de l'opération ;
7° Les actions résultant de la conversion ou de l'échange d'autres instruments financiers, ou de l'exercice des droits conférés par d'autres instruments financiers, lorsque ces actions sont de la même catégorie que celles admises aux négociations sur un marché réglementé ;
8° Les instruments financiers déjà admis aux négociations sur un autre marché réglementé lorsqu'il est satisfait aux conditions suivantes :
a) Ces instruments financiers ou des instruments financiers de même catégorie ont été admis aux négociations sur cet autre marché réglementé depuis plus de dix-huit mois ;
b) Pour les instruments financiers admis pour la première fois aux négociations sur un marché réglementé après la date d'entrée en vigueur du présent chapitre, l'admission aux négociations sur cet autre marché réglementé s'est faite en liaison avec le visa d'un prospectus mis à la disposition du public conformément aux articles 212-26 et 212-27 ;

Pour les instruments financiers non mentionnés au b et admis pour la première fois aux négociations après le 30 juin 1983 et avant la date d'entrée en vigueur du présent chapitre, un prospectus a été approuvé conformément aux exigences du présent règlement dans sa rédaction en vigueur avant le 9 septembre 2005 ;
d) L'émetteur a satisfait, sur cet autre marché réglementé, à l'ensemble de ses obligations d'information périodique et permanente ;

e) La personne qui sollicite l'admission établit un résumé en français publié et diffusé conformément à l'article 212-27. La traduction du résumé en français n'est pas nécessaire lorsque l'admission est sollicitée sur le compartiment mentionné à l'article 516-18. Le résumé précise également à quel endroit le prospectus le plus récent peut être obtenu et à quel endroit les informations financières publiées par l'émetteur en application du d sont disponibles.
Une instruction
de l'AMF précise, le cas échéant, la nature des renseignements mentionnés au présent article".
(9) Cf. note précédente.
(10) Loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières (N° Lexbase : L5893A4Z), JO du 4 juillet 1996.
(11) H. Synvet, La directive "services d'investissement", première lecture, Bull. Joly bourse et produits financiers, 1993, p. 547 ; H. de Vauplane, J.-P. Bornet, Marchés financiers : le défi de la transposition de la DSI, Bull. Joly Bourse et produits financiers, mars-avril, 1996, p. 95.
(12) 28ème considérant de l'exposé des motifs de la Directive sur les services d'investissement (Directive (CE) 93/22 du Conseil du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP).
(13) 1er considérant de l'exposé des motifs de la Directive sur les services d'investissement.
(14) A. Winckler, Public et privé L'absence de préjugé in, Le privé et le public, Archives de philosophie du droit, Sirey, 1997, t. 41, p. 315 : "Le traité de Maastricht introduit dans le traité de Rome un article 3 A qui prévoit que 'l'action des Etats membres et de la communauté comporte [...] l'instauration d'une politique économique [....] conduite conformément au respect du principe de l'économie de marché".
(15) C. mon. fin., art. L. 421-4 (N° Lexbase : L2997HZZ), modifié par l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007 (ordonnance relative aux marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L9551HUB) : "La reconnaissance de la qualité de marché réglementé d'instruments financiers est décidée par arrêté du ministre chargé de l'économie sur proposition de l'Autorité des marchés financiers. L'Autorité des marchés financiers consulte la Commission bancaire sur les mesures prévues par l'entreprise de marché pour se conformer aux obligations mentionnées aux alinéas 2 et 4 du I et au II de l'article L. 421-11. Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers détermine les conditions dans lesquelles elle approuve le programme d'activité et propose la reconnaissance du marché réglementé. L'Autorité des marchés financiers propose, selon les mêmes modalités, la révision de la reconnaissance de la qualité de marché réglementé lorsqu'il lui apparaît que les conditions auxquelles a été subordonnée la proposition initiale ne sont plus remplies"
(16) C. mon. fin., art. L. 421-1 (N° Lexbase : L2994HZW), modifié par l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007 : "Un marché réglementé d'instruments financiers est un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre, en son sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers sur des instruments financiers, d'une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur les instruments financiers admis à la négociation dans le cadre des règles et systèmes de ce marché, et qui fonctionne régulièrement conformément aux dispositions qui lui sont applicables".
(17) Th. Bonneau, De l'inutilité du droit contractuel pour assurer le respect des règles de marché, Journées du centre de droit civil des affaires dédiée à Michel Jeantin, RTDcom., n° 2, 1999, p. 260 s.
(18) J.-B. Lenhof, L'ordonnance du 12 avril 2007 : nouvelle articulation des marchés financiers, Lexbase Hebdo n° 259 du 10 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0514BBN) et L'ordonnance du 12 avril 2007 : les acteurs des marchés, Lexbase Hebdo n° 264 du 14 juin 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N3878BBA).

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Fonction publique

[Jurisprudence] L'administration a l'obligation d'assurer la protection de son agent, même lorsqu'elle a eu connaissance de son comportement répréhensible et l'a poursuivi pénalement

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 14 décembre 2007, n° 307950, M. Michel Juhan (N° Lexbase : A0915D3B)

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

La protection fonctionnelle de l'agent public est un principe bien établi du droit public français dont le juge administratif s'attache à consacrer l'effectivité. Plus largement, il s'agit d'une garantie qui s'applique à tous les agents publics, qu'ils soient français ou européens (article 24 du statut des fonctionnaires européens : CJCE, 18 octobre 1976, aff. C-128/75, M.N. c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A7104AUN, au Recueil p. 1567), garantie qui est même admise par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), malgré les stipulations de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (CEDH 17 décembre 2004, Req. 49017/99, Pedersen c/ Danemark N° Lexbase : A4374DEQ : condamnation de deux journalistes qui avaient diffamé la police danoise). Le juge administratif français a, par ailleurs, adopté une conception extensive de la protection fonctionnelle, selon laquelle cette protection est un droit qui s'exerce indépendamment des qualifications qui peuvent être retenues par le juge pénal à l'encontre de l'agent et indépendamment de la manière de servir de ce dernier, sauf bien entendu si celui-ci a commis une faute personnelle. Ainsi, la décision du 14 décembre 2007, rendue en formation collégiale mais en qualité de juge du référé suspension, vient opportunément rappeler que la faute (non personnelle) commise par l'agent demandant la protection et l'engagement par son administration de poursuites pénales à son encontre, ne sauraient constituer un motif de refus de la protection. Elle définit également, et plus particulièrement, les conditions d'application de la protection prévue par l'article 11-3 de la loi du 13 juillet 1983 (N° Lexbase : L5204AH9), en retenant deux critères, l'un tiré de la nature des attaques visant l'agent, et l'autre tiré de l'attitude de l'administration dont relève ce dernier face à ces attaques. Il faut, à cet égard, souligner que ces conditions sont cumulatives et qu'elles doivent donc être toutes deux remplies.

Cependant, la décision du 14 décembre 2007 souligne également les pouvoirs limités qui sont ceux du juge des référés, lorsqu'il constate l'existence d'un doute sérieux en ce qui concerne la légalité de la décision de refus de protection. Pour l'agent, la voie de la réparation des préjudices subis à raison de ce refus de protection est donc longue : il lui faut en effet obtenir, devant le juge de l'excès de pouvoir et juge du fond, l'annulation de la décision en cause pour ensuite engager un recours de plein contentieux demandant l'indemnisation de ses différents préjudices. C'est seulement à ce dernier stade que l'agent sera rétabli dans ses droits, puisque la décision du juge de l'excès de pouvoir annulant la décision de refus de protection est toute symbolique.

I. Le refus par l'administration de faire droit à une demande de protection fonctionnelle ne crée pas en lui-même une situation d'urgence

A. Principe et étendue de la protection fonctionnelle

1) Principe

La protection fonctionnelle prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, s'exerce essentiellement dans trois domaines. En premier lieu, l'alinéa 2 de cet article prévoit que l'agent public dispose d'un droit à "couverture" (par l'administration) des condamnations civiles prononcées contre lui, à raison de la faute de service qu'il a commise : la garantie civile ne joue, cependant, que lorsque l'auteur des poursuites est un tiers (la garantie ne s'applique pas lorsque c'est l'administration qui engage elle-même des poursuites civiles contre son agent : CAA Paris, 24 octobre 1996, n° 94PA02173, Merlo N° Lexbase : A1689BIE), tiers qui peut être un usager du service public ou un autre agent public. En deuxième lieu, l'alinéa 3 de l'article 13, dont le Conseil d'Etat a fait application dans la décision du 14 décembre 2007, garantit un droit à protection de l'agent public victime de menaces, d'injures, de violences, de voies de fait, de diffamations ou d'outrages à l'occasion de ses fonctions, l'administration devant alors réparer l'éventuel préjudice subi par l'agent. Sont ainsi visés, d'une part, les propos injurieux diffamants ou menaçants (1), mais aussi les agissements matériels à l'encontre de l'agent (2). De plus, l'alinéa 4 de l'article 13 de la loi du 13 juillet 1983, issu de l'article 50 de la loi du 16 décembre 1996 (N° Lexbase : L1809ASS), garantit un droit à protection à l'agent public faisant l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle, et ce, c'est important et cela marque une différence avec la protection en cas de poursuites civiles, quel que soit l'auteur des poursuites (nous y reviendrons). Le point de départ des poursuites pénales correspond, alors, à la date de mise en mouvement de l'action publique par le parquet à l'encontre de l'agent, mise en mouvement qui peut résulter principalement soit d'une citation directe, soit d'un réquisitoire à fin d'informer ou du dépôt par la victime d'une plainte avec constitution de partie civile (cf., en ce sens, conclusions Le Chatelier sous CE, 19 novembre 1993, n° 74235, Vedrenne N° Lexbase : A1352ANE, JCP éd. G 1994, IV, n° 322 et CE, 3 mai 2002, n° 239436 La Poste c/ Mme Fabre N° Lexbase : A6442AYA). Les poursuites pénales s'étendent ainsi de la décision du Procureur à la date du prononcé du jugement ou de la décision de non-lieu rendue par le juge d'instruction, ce qui a pour conséquence qu'une personne mise en examen doit pouvoir bénéficier de la protection (CE, 28 juin 1999, n° 195348, Ménage N° Lexbase : A3954AXQ, aux Tables p. 851) de même qu'une personne gardée à vue (TA Orléans, 27 novembre 2001, Noddings, AJFP mars-avril 2002, p. 35).

Soulignons que la protection fonctionnelle est un droit pour l'agent public et donc une obligation (CE, 28 juin 1999, Ménage, précité : le ministre dont relève un fonctionnaire qui a fait l'objet de poursuites pénales, en l'absence de faute personnelle de ce dernier, "est tenu de lui accorder le bénéfice de la protection"), et non une faculté, pour l'administration : de manière remarquable, le juge administratif considère même que cette obligation de protection constitue un principe général du droit, que l'agent soit poursuivi par un tiers à raison de la faute de service qu'il a commise (CE Section, 26 avril 1963, CH de Besançon, au Recueil p. 243 conclusions Chardeau ; CE, 5 mai 1971, n° 79494, Gillet N° Lexbase : A3632B7N, au Recueil p. 323) ou qu'il soit pénalement mis en cause pour des faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle (CAA Bordeaux, 25 mai 1998, n° 96BX01847, Francis André N° Lexbase : A6316BEN). Le caractère impératif de la protection fonctionnelle s'explique par le fait qu'il s'agit d'une responsabilité sans faute, fondée sur le risque professionnel encouru par les agents à raison de leurs fonctions (CE, 26 mars 1965, n° 60630, Villeneuve N° Lexbase : A7742B8A, au Recueil p. 207).

La protection fonctionnelle s'applique à l'agent public, ce qui signifie que les agissements dont celui-ci est victime doit le viser "en raison de sa qualité, de ses activités ou de son comportement" (CE, 16 octobre 1970, n° 72409, Epoux Martin N° Lexbase : A1358B8S, JCP éd. G 1971 II, n° 16577, conclusions Braibant) : or, c'est à l'agent de prouver qu'il exerçait normalement sa mission, et/ou que c'est en raison de sa qualité même d'agent public ou de participation au service public (puisque la protection s'applique aussi aux collaborateurs occasionnels) qu'il a subi des attaques (TA Rennes, 18 février 1988, Guiziou N° Lexbase : A1685BTL, AJDA 1988, p. 416). Il en va ainsi d'un magistrat dont l'impartialité est mise en cause (CE Coudert précité), d'une institutrice dont le travail est remis en cause par ses collègues en présence de parents d'élèves (TA Marseille, 10 décembre 1991, Quilghini), ou encore d'un policier municipal menacé de mort alors qu'il faisait ses courses par un individu auquel il avait eu précédemment affaire dans l'exercice de ses fonctions (CAA Paris, 1er octobre 2004, n° 01PA00033, Eeckhoudt N° Lexbase : A2537DEP, AJDA 2005, p. 108). En revanche, l'agent public visé en sa qualité de représentant du personnel ou de représentant syndical ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle (cf. respectivement CE Bernadet précité et CAA Bordeaux, 28 juin 2005, n° 01BX02510, Christian Cursol N° Lexbase : A2035DKL), et il en est de même de l'agent attaqué comme quidam et non comme fonctionnaire (CAA Lyon, 6 mars 2001, n° 00LY02429, Barbisan N° Lexbase : A9302BEA, AJDA 2001, p. 31 : agression d'un policier qui s'est rendu en civil dans un magasin pour retirer une dotation en équipement).

Précisons, enfin, que la protection fonctionnelle incombe à l'administration qui emploie l'agent au moment de sa demande de protection, et non à celle dont il relevait au moment des attaques ou poursuites dont il a fait l'objet (CE, 5 décembre 2005, n° 261948, Commune du Cendre N° Lexbase : A9330DL7, DA 2006 n° 28, BJCL 2006, p. 109, conclusions Glaser). Ceci, comme le relève C. Vigouroux, n'est pas nécessairement bénéfique pour l'agent puisque l'autorité administrative dont relève ce dernier au moment de sa demande "n'est pas aussi concernée que celle dont l'agent relevait au moment du fait exigeait la protection" (Déontologie de la fonction publique, Dalloz, 2006, p. 591). En d'autres termes, l'administration de l'agent au moment des faits exigeant la protection sera probablement plus solidaire de l'agent que l'administration dont celui-ci relève au moment sa demande, puisque son service aura été indirectement (via ce dernier) visé.

2) Etendue

La protection fonctionnelle prévue par l'article 13 de la loi du 13 juillet 1983 consiste généralement en la prise en charge des frais d'avocats exposés par l'agent pour assurer sa défense, qu'il s'agisse des honoraires d'assistance et de représentation (CAA Paris, 10 novembre 1990, n° 89PA01548, Chavant N° Lexbase : A9099A8I, aux Tables p. 840), ou des honoraires de consultation (CE Ménage précité). Toutefois, l'administration n'est pas tenue, dans tous les cas, de prendre en charge l'intégralité de ces frais (CE, 2 avril 2003, n° 249805, Chantalou N° Lexbase : A7786C8U) : en effet, le remboursement des frais d'avocat n'est dû que lorsque la procédure est utile à la défense de l'agent (CAA Paris, 26 juin 2003, n° 02PA04278, Mme Jeannine Guigue et Fédération des syndicats généraux de l'Education nationale et de la Recherche publique SGEN N° Lexbase : A6110C98). Le motif invoqué par l'administration pour refuser cette prise en charge doit être tiré de l'utilité de la dépense en cause pour l'agent, ce qui ne lui permet donc pas de se prévaloir d'un seul motif financier tiré du caractère trop élevé des frais (CAA Paris, 13 mai 2003, n° 98PA01392, Assistance publique - Hôpitaux de Paris N° Lexbase : A0734C93). La protection de l'agent peut également prendre d'autres formes que le remboursement des frais d'avocat. L'administration peut, en effet, pour remplir son obligation de protection, rendre publique les décisions favorables à l'agent qui sont rendues par le juge pénal (TA Cergy-Pontoise, 6 novembre 2003, n° 9920384), informer toutes les personnes ayant côtoyé l'agent du caractère non fondé des accusations portées contre lui (TA Dijon, 11 avril 2000, n° 97968, Morel c/ Recteur de l'Académie de Lyon), ou encore condamner publiquement l'auteur d'attaques ou injures envers un agent (TA Dijon, 14 octobre 1997, Segaud c/ Recteur de l'Académie de Lyon, AJFP mai-juin 1998, p. 33). La protection peut même passer par le retrait, dans le dossier individuel de l'agent, de documents tels que des rapports d'inspection ou des témoignages revêtus d'un caractère injurieux ou diffamatoire (CAA Nancy, 10 novembre 2004, n° 99NC02449, M. Pierre Combey [LXB=], CTI 2005 n° 45, JCP éd. A, 2005 n° 1041).

L'étendue de la protection fonctionnelle est, cependant, limitée par deux éléments rappelés dans la décision du 14 décembre 2007 : les dispositions de l'article 11-3 "établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à l'occasion de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général" (nous soulignons). Le premier obstacle à l'exercice de la protection fonctionnelle est l'existence d'une faute personnelle de l'agent qui demande la protection. A cet égard, trois types de fautes personnelles ont été dégagés par la jurisprudence : il s'agit, d'abord, des fautes dépourvues de tout lien avec le service ; il s'agit, ensuite, de celles commises en dehors du service, mais non dépourvues de tout lien avec lui, en ce qu'elles ont été commises avec les moyens du service ou les compétences acquises grâce aux fonctions ; il s'agit, enfin, des fautes, qui sont les plus nombreuses, commises dans l'exercice même des fonctions mais qui en sont détachables, parce qu'elles sont d'une exceptionnelle gravité, qui révèlent un excès de comportement ou encore procèdent de préoccupations d'ordre strictement privé (ainsi, le fait, pour un professeur, de diffuser largement le courrier qu'il a adressé au proviseur, et dans lequel il critique en des termes injustifiés des pratiques administratives normales, et fait preuve d'animosité contre l'intéressé, est constitutif d'une faute personnelle : CE, 26 janvier 2007, n° 285156, Molinier N° Lexbase : A7088DTP, AJDA 2007, p. 1190, note Chanlair ; faute personnelle du praticien hospitalier qui a commis une faute dans l'administration du traitement et l'a dissimulée pendant plusieurs jours au péril du patient : CE, 28 décembre 2001, n° 213931, Valette N° Lexbase : A9751AXG, au Recueil p. 680, AJFP 2002, p. 24 et AJDA 2002, p. 359, conclusions Schwartz ; agent mis en examen pour abus de biens sociaux et corruption passive dans une affaire de marchés publics : CE, 12 février 2003, n° 238969, Chevalier N° Lexbase : A1702A78 ; militaire mis en examen pour infraction au Code des marchés publics, trafic d'influence et corruption : CE référé, 10 février 2004, n° 263664, M. Yves Villelegier N° Lexbase : A3528DBB).

Le second obstacle à l'exercice de la protection fonctionnelle se rencontre beaucoup moins souvent et reste donc assez théorique : il s'agit des motifs d'intérêt général que peut invoquer l'administration. Ce principe est constant en jurisprudence (CE Assemblée Teitgen précité ; CE, 18 mars 1994, n° 92410, Rimasson N° Lexbase : A2251B8U, au Recueil p. 147). Selon D. Kessler, intérêt général rime avec discrédit de l'administration, ce qui signifie que celle-ci peut refuser la protection, dès lors que sa crédibilité en souffrirait notablement (cf. conclusions sous CE Rimasson). Toutefois, comme le rappelait un autre commissaire, "seuls des motifs tout à fait impérieux et inspirés par la bonne marche des services publics peuvent légalement dispenser l'administration de son devoir de protection" (cf. conclusions Denoix de Saint-Marc sous CE, 16 décembre 1977, n° 04344, Vincent N° Lexbase : A1478B8A, AJDA 1978, p. 577).

Au total, c'est donc essentiellement l'existence d'une faute personnelle de l'agent qui demande la protection, existence qui doit être appréciée par l'administration et, le cas échéant, par le juge administratif (CE, 12 avril 2002, n° 238689, Papon N° Lexbase : A5763AY4, AJDA 2002, p. 423, chronique Guyomar et Collin, Petites Affiches du 28 mai 2002, p. 12, conclusions Boissard), qui peut permettre à l'administration de lui refuser légalement cette protection.

B. Une appréciation de l'urgence dans les circonstances de l'espèce

1) Une appréciation concrète de l'urgence...

Dans ses conclusions sous la décision du 14 décembre 2007, Claire Landais a indiqué que le seul refus de la protection par l'administration ne pouvait à lui seul caractériser une situation d'urgence justifiant l'intervention du juge des référés. Le Conseil d'Etat a suivi cette analyse en considérant dans cette décision "qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux [le refus de protection] sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue".

Il n'existe donc aucune présomption d'urgence en matière de protection fonctionnelle. En effet, si une telle présomption a été retenue par le Conseil d'Etat lorsque sont en cause des refus de renouvellement de titre de séjour (CE Section, 14 mars 2001, n° 229773, Ministre de l'intérieur c/ Mme Ameur N° Lexbase : A2494ATK, au Recueil p. 123), des décisions de délivrance d'un permis de construire (CE, 27 juillet 2001, n° 230231, Commune de Tulle c/ Consorts Dufour N° Lexbase : A5472AU9, aux Tables p. 1115) ou encore des décisions de préemption, du moins à l'égard de l'acquéreur évincé (CE, 13 novembre 2002, n° 248851, Hourdin N° Lexbase : A0784A4S, au Recueil p. 396), ces solutions, qui permettent au juge de ne pas apprécier en fonction des circonstances de l'espèce, se justifient par le caractère quasiment irréversible (et souvent grave) de ces décisions. Il est ainsi bien évident qu'une décision de refus de séjour peut avoir des conséquences graves et irréversibles pour l'étranger, puisqu'elle ouvre la porte à son éloignement du territoire français : l'urgence à suspendre une telle décision pour ce dernier est ici évidente. Rien de tel en ce qui concerne les décisions de refus de protection fonctionnelle, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le Conseil d'Etat récemment (CE, 12 janvier 2004, n° 256204, Devoge N° Lexbase : A7678DAM, aux Tables p. 817) : en effet, l'appréciation de l'urgence dépend alors du type de préjudice subi par l'agent, et surtout de la gravité de ce préjudice. Or, une telle gravité ne peut se présumer puisqu'elle nécessite un examen de la réalité et de l'ampleur du ou des préjudices invoqués par l'agent, qui demande la protection de son administration.

Au total, la décision du 14 décembre 2007 rappelle donc opportunément qu'il appartient à l'agent qui entend contester la légalité du refus de protection, de justifier du caractère grave, c'est-à-dire immédiat et difficilement réversible, du préjudice que lui occasionne ce refus.

2) ... qui se fonde essentiellement sur le préjudice financier et moral subi par l'agent

Le préjudice subi par l'agent qui fait l'objet d'attaques, et qui demande en conséquence que lui soit accordée la protection garantie par l'article 11-3 de la loi du 13 juillet 1983, peut être financier (et donc matériel), moral (TA Paris, 17 juin 1997, James, AJFP mars-avril 1998, p. 27 ; CAA Paris, 4 novembre 1999, n° 97PA02606, Ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie c/ James N° Lexbase : A6470BML, aux Tables p. 852) ou encore corporel (préjudice réparé lorsqu'il ne l'a pas été entièrement par le versement de la pension et de la rente viagère d'invalidité : CE Assemblée 4 juillet 2003, n° 211106, Moya-Caville N° Lexbase : A2633C9E, AJDA 2003, p. 1598). S'agissant, plus précisément, de la condition d'urgence présidant à l'intervention du juge des référés, la jurisprudence estime qu'un préjudice financier peut la caractériser, lorsque le coût de la procédure exposerait l'agent demandant la protection à des dépenses auxquelles il ne serait pas en mesure de faire face, et que la possibilité d'assurer sa défense dans des conditions satisfaisantes serait ainsi compromise (CE, 18 septembre 2003, n° 259772, Villelegier N° Lexbase : A6092C9I, aux Tables p. 924 : AJDA 2003, p. 2099 : note de Montecler ; CE Devoge précité). Le juge des référés se montre donc exigeant, puisqu'il faut non seulement que l'agent ne puisse faire face financièrement aux dépenses, mais, qu'en outre, ces dépenses soient, dans la ligne de la jurisprudence rappelée plus haut, utiles à sa défense : en bref, c'est donc à la fois le montant relatif (par rapport aux "moyens" de l'agent), et l'utilité des dépenses qui décident de l'existence d'une situation d'urgence.

Par ailleurs, l'un des principaux apports de la décision du 14 décembre 2007 est d'affirmer que l'existence d'un préjudice moral immédiat et important peut créer une situation d'urgence. A cet égard, si le Conseil d'Etat avait jugé précédemment que la seule existence d'une atteinte à la réputation n'était pas en elle-même, un motif d'urgence pour suspendre un refus de protection fonctionnelle (CE, 22 septembre 2003, n° 256206, Maurin N° Lexbase : A6088C9D,), il a considéré dans la décision du 14 décembre 2007 que le préjudice moral subi par le fonctionnaire caractérisait une telle situation. Il faut dire qu'en l'espèce, le fonctionnaire, maître de conférences à l'Université de Paris VIII, avait dû recourir aux services d'un avocat pour engager une procédure pénale à l'encontre des auteurs anonymes d'un tract diffamant, et surtout qu'il avait été publiquement attaqué sans que son employeur ne fût venu condamner ou démentir la véracité de ces attaques. Soulignons à ce sujet que le préjudice moral peut être établi, même si l'agent n'est pas nommément désigné : il suffit, en effet, qu'il soit clairement, c'est-à-dire sans équivoque, identifiable, ce qui est le cas lorsqu'il est visé précisément dans ses fonctions.

Au total, l'agent qui demande la suspension de la décision de refus de protection peut donc arguer du préjudice moral qu'il subit au moment et du fait de ce refus de protection, préjudice qui se caractérise par un discrédit de sa personne et une atteinte à sa réputation. La décision du 14 décembre 2007 marque ainsi, selon nous, une avancée dans la mesure où elle manifeste clairement que la situation d'urgence n'est pas seulement créée par l'existence d'un préjudice financier. Plus généralement, elle indique que préjudice financier et préjudice moral sont liés dans la mesure où, l'impossibilité pour l'agent d'engager lui-même des poursuites, du fait des moyens financiers limités dont il dispose, risque souvent de l'empêcher de mettre fin au discrédit qu'il subit du fait des attaques dont il est victime. C'est au fond ici le critère tiré de l'utilité des dépenses destinées à assurer la défense qui marque le lien entre ces deux types de préjudices, puisque cette utilité peut résider dans la condamnation d'une atteinte à la réputation et dans la réparation d'un préjudice moral.

II. Même lorsqu'il constate que les conditions d'application de la protection prévue par l'article 11-3 de la loi du 13 juillet 1983 sont remplies, le juge des référés dispose de pouvoirs limités

A. Les conditions d'engagement de la protection fonctionnelle prévue par l'article 11-3

1) La nature des attaques

Dans la décision du 14 décembre 2007, le Conseil d'Etat, pour caractériser le préjudice moral subi par l'agent, et donc l'existence d'une situation d'urgence, a d'abord souligné "la gravité de la mise en cause de l'enseignant" et "la large diffusion du document anonyme en cause". Ce sont, ainsi, le degré de gravité et le degré de publicité des attaques subies par l'agent qui sont d'abord déterminantes, pour justifier de la nécessité de mettre en oeuvre la protection prévue par l'article 11-3 de la loi du 13 juillet 1983. Ce faisant, le Conseil d'Etat a appliqué une jurisprudence bien établie.

S'agissant ainsi, en premier lieu, du degré de gravité de la mise en cause de l'agent, il résulte de la jurisprudence que l'engagement de la protection est conditionné par l'existence de véritables attaques, ce qui signifie a contrario qu'une simple critique n'ouvre pas droit à la protection (à propos d'un conflit entre une secrétaire d'intendance et les professeurs d'éducation physique et sportive d'un lycée au sujet des repas froids à préparer, à l'occasion d'une rencontre sportive qui a donné lieu à une affiche de revendications de la part de ces professeurs : CE, 23 novembre 1977, n° 02557, Delle Lecoq N° Lexbase : A6293B8L, au Recueil p. 457). Il en est de même pour une simple opinion défavorable émise par les collègues d'un agent (CE, 24 février 1995, n° 112538, Vasseur N° Lexbase : A2412ANN), et de la diffusion d'un tract, à l'occasion de l'élection des représentants du personnel à une commission d'avancement critiquant l'attitude des représentants sortants (CE Section Bernadet précité ; cf. aussi CAA Bordeaux Cursol précité : attaques n'excédant pas les limites de la polémique syndicale en période électorale). A l'inverse, dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 14 décembre 2007, l'agent en cause a été attaqué via un document anonyme distribué aux enseignants et étudiants de l'unité de formation et de recherche dirigée par cet agent, document qui indiquait, en le désignant non pas nommément, mais fonctionnellement, qu'il avait bénéficié d'une rémunération fictive en contrepartie de son avis favorable au recrutement du fils de l'ancien président de l'Université, en qualité de maître de conférences. L'attaque et l'accusation étaient donc particulièrement graves et circonstanciées, et il faut noter à cet égard que le fait que l'auteur, ou les auteurs, de ces attaques soit inconnu ne saurait constituer un obstacle à la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle (CAA Paris Tate précité : menaces anonymes ; CE, 3 mars 2003, n° 235052, Centre d'aide par le travail de Cheney N° Lexbase : A3937A7X).

Outre le degré de gravité des attaques, le juge administratif s'attache également à examiner le degré de publicité de ces mêmes attaques. Là encore, la jurisprudence est bien établie, le juge portant une attention toute particulière à la publicité donnée aux propos désobligeants tenus à l'égard de l'agent. A cet égard, il faut souligner que c'est à ce dernier qu'incombe la charge de prouver l'existence des attaques (CE Vasseur précité), et d'établir la publicité et la diffusion données aux propos tenus à son encontre (CAA Paris, 16 mai 1989, n° 89PA00078, Brochard N° Lexbase : A9427A8N). Ainsi, ne peuvent donner lieu à l'engagement de la protection fonctionnelle, une mise en garde contre des pratiques administratives irrégulières de diffusion restreinte et purement interne à l'établissement (CE, 9 novembre 1994, n° 72322, Mac Kenna N° Lexbase : A3366ASH), une opinion défavorable recueillie dans le cadre d'une enquête de gendarmerie (CE Vasseur précité), ou encore une pétition qui n'a pas reçu une large publicité et n'a pas été insérée dans le dossier de l'agent (CAA Paris, 12 décembre 1996, n° 94PA01938, Danjean N° Lexbase : A9642BHL). Pour revenir à l'affaire qui a donné lieu à la décision du 14 décembre 2007, force est de constater que le document anonyme mettant gravement en cause le requérant avait fait l'objet d'une large diffusion, puisqu'il avait été distribué aux enseignants et étudiants de l'UFR dont il assurait la direction : la diffusion était, donc, non seulement large, mais encore "ciblée" sur le "public" du requérant et, ce faisant, de nature à le discréditer aux yeux de ce dernier.

2) L'attitude de l'administration

Au premier critère d'engagement de la protection fonctionnelle en cas d'attaques contre un agent public, à savoir la nature de ces attaques, s'ajoute un autre critère (qui encore une fois doit être également rempli, puisque les conditions sont cumulatives) tenant à l'attitude de l'administration. Dans l'affaire qui a donné lieu à la décision du 14 décembre 2007, le Conseil d'Etat a relevé, pour caractériser l'existence d'une situation d'urgence justifiant la suspension du refus de protection, que l'autorité responsable de l'agent, à savoir le président de l'Université, était resté silencieux devant les attaques dont le premier avait fait l'objet, le président s'étant borné à "rappeler aux membres du corps professoral les règles de déontologie". Ce faisant, l'administration n'a pas véritablement condamné la diffusion d'un document anonyme visant le requérant. On peut, à cet égard, penser qu'il appartenait au président de l'Université d'informer toutes les personnes ayant côtoyé l'agent du caractère non fondé des accusations portées contre lui (TA Dijon, Morel c/ Recteur de l'Académie de Lyon précité), ou encore de condamner publiquement l'auteur d'attaques ou injures envers un agent (TA Dijon Segaud c / Recteur de l'Académie de Lyon précité).

Plus généralement, il résulte de la jurisprudence que la condamnation, par l'administration, des attaques dont est victime l'un de ses agents doit, lorsqu'aucune faute personnelle ne lui est reprochée, être explicite, et ne peut donc se borner à de vagues déclarations qui ne visent pas nommément ou du moins fonctionnellement l'agent (TA Orléans Noddings précité : caractère insuffisant pour assurer la protection de deux déclarations publiques se bornant à rappeler la présomption d'innocence et à recommander une discrétion ; CE Section Rimasson précité : à propos d'un professeur aux méthodes pédagogiques vivement contestées par les parents d'élèves, les réponses du ministre à des questions parlementaires et la lettre adressée par lui au maire de la ville, et publiée dans la presse locale, ne peuvent, en raison de la généralité des termes employés et de l'absence de référence précise au comportement de l'intéressé, être regardés comme répondant à l'exigence de protection). Bien que les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 n'obligent pas l'administration à "prendre l'initiative d'engager des poursuites à l'encontre des personnes ayant tenu des propos diffamatoires" contre l'agent qui sollicite la protection (CE 4° et 6° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 197739, M. Jean-François Treyssac N° Lexbase : A6433APX, au Recueil p. 651), elle doit adopter une attitude active et sans équivoque pour défendre son agent.

Par ailleurs, la décision du 14 décembre 2007 souligne que l'administration ne saurait arguer de l'existence d'un comportement fautif de la part de l'agent, à condition bien sûr qu'il ne s'agisse pas d'une faute personnelle, pour refuser de lui accorder sa protection. Dans ses conclusions sous cette décision, C. Landais relevait ainsi qu'il était compréhensible que l'Université ait été réticente à "défendre un fonctionnaire qui a profité d'une pratique de rémunération fictive [la réalité de cette pratique n'étant pas contestée par le requérant] qu'elle a entrepris de faire condamner par le juge pénal". Autrement dit, le comportement fautif de l'agent, et/ou l'engagement de poursuites pénales à son encontre, ne sauraient constituer une cause d'exonération de l'obligation de protection à la charge de l'administration : la décision du 14 décembre 2007 confirme, ainsi, une jurisprudence bien établie depuis plus de trente ans (CE Section, 24 juin 1977, n° 93480, Dame Deleuse N° Lexbase : A6733B8U, au Recueil p. 294 : la circonstance que la directrice de collège ayant fait l'objet d'attaques ne s'acquittait pas correctement de ses fonctions ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de la protection ; TA Besançon, 7 avril 1994, AJDA 1994, p. 482 : la mise en cause par la justice pénale n'exonère pas l'administration de son obligation de protection). Dans l'espèce jugée le 14 décembre 2007, le comportement répréhensible du requérant ne pouvait donc, non plus, constituer un obstacle à la mise en oeuvre de la protection.

Enfin, la décision du 14 décembre 2007 rappelle opportunément l'indépendance des procédures judiciaires et administratives dont fait l'objet ou qu'engage l'agent. C'est ainsi que l'administration doit elle-même, au vu des éléments dont elle dispose, apprécier l'existence d'une faute personnelle de l'agent, et ce, même si le juge pénal qui a été saisi n'a pas encore établi la réalité des faits (CE Chevalier précité ; CAA Nancy, 28 février 2005, n° 02NC00477, Danzon N° Lexbase : A6775DHE ; CAA Versailles, 18 mai 2006, n° 04VE01208, Ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche N° Lexbase : A0167DQA). De manière remarquable, la décision du 14 décembre 2007 confirme que l'administration doit accorder à son agent la protection fonctionnelle (si les critères d'engagement sont remplis, bien évidemment), même dans le cas où, elle est elle-même à l'origine des poursuites (CAA Lyon, 15 juillet 2003, D. [LXB=], AJDA 2003 p. 2098). Cette solution, qui peut paraître paradoxale, dans la mesure où l'agent peut avoir nui à son administration (ce qui était bien le cas du requérant dans la décision commentée, puisque l'agent avait bénéficié d'une rémunération indue), est toutefois pleinement respectueuse du principe de présomption d'innocence, dont doit bénéficier l'agent faisant l'objet de poursuites pénales, jusqu'au jour de la condamnation.

B. Les pouvoirs du juge des référés sont limités, mais l'agent dispose d'autres voies de recours

1) Des pouvoirs d'injonction limités

La décision du 14 décembre 2007 le rappelle : le juge des référés, saisi par un agent public d'une demande de suspension de la décision par laquelle l'administration a refusé de lui accorder sa protection, peut seulement enjoindre à celle-ci de procéder au réexamen de la demande de protection. Le Conseil d'Etat n'a donc pas fait droit aux conclusions du requérant, tendant à ce que l'Université prenne en charge les frais de justice qu'il avait exposés dans le cadre de la plainte pour diffamation, qu'il avait déposée devant le juge pénal. Cette solution s'explique par le fait que l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire, non pas pour accorder ou refuser la protection, mais pour déterminer les modalités de mise en oeuvre de cette protection : le juge des référés ne saurait donc se substituer à elle, et lui enjoindre de prendre une mesure déterminée (TA Grenoble, 18 avril 2003, n° 0002677, AJFP septembre-octobre 2003, p. 22 ; CE référé Villelegier précité).

En effet, la protection n'est pas automatique, puisqu'elle est d'abord conditionnée par la présentation d'une demande de protection par l'agent (CAA Paris, 21 novembre 2006, n° 03PA01009, Obriot N° Lexbase : A8560DST ; CAA Versailles, 6 juillet 2006, n° 04VE03517, Balenguer N° Lexbase : A2521DRS). Surtout, l'administration peut choisir le mode de protection le plus approprié (CE Rimasson précité) : elle peut donc préférer de ne pas engager elle-même une action en justice, mais il lui appartient, alors, d'assister l'agent dans les poursuites judiciaires qu'il a lui-même engagées. A cet égard, l'administration peut également estimer qu'elle n'a pas à prendre en charge les frais d'avocat, dans la mesure où la défense de l'agent a été suffisamment assurée par d'autres voies (CE, 21 février 1996, n° 155915, M. de Maillard N° Lexbase : A7786ANP, au Recueil p. 48 : il en est, ainsi, d'un magistrat gravement accusé par un avocat à raison d'actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, lorsque la plainte engagée par l'avocat contre la magistrat a été classée sans suite). Soulignons, enfin, que la jurisprudence communautaire reconnaît, également, à l'administration un pouvoir d'appréciation dans le choix des mesures nécessaires pour assurer la défense de l'agent (CJCE, 14 février 1990, aff. C-137/88, Marijke Schneemann e.a. c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A7856AUI).

2) L'existence d'autres voies de recours

Si le requérant ne saurait exiger du juge des référés qu'il enjoigne à son administration de prendre en charge les frais qu'il a exposés pour assurer sa défense, il n'en demeure pas moins qu'en cas d'illégalité de la décision de refus de protection, illégalité qui ne peut être constatée que par le juge du fond, l'agent dispose de la possibilité de saisir le juge du plein contentieux, pour lui demander la réparation des préjudices subis à raison de ce refus de protection. En effet, tout refus illégal d'accorder la protection à un agent qui était en droit d'en bénéficier, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique (CE Villeneuve précité ; CE, 17 mai 1995, n° 141635, Kalfon N° Lexbase : A4010ANT). L'agent peut donc, alors, saisir le juge du plein contentieux afin d'exiger la réparation des préjudices qu'il a subis, préjudice professionnel (CAA Nantes, 26 décembre 2002, n° 01NT00614, Coquereau N° Lexbase : A9952D4D), préjudice matériel (TA Montpellier, 12 juin 1996, n° 953307, Chéreul c/ Ministre de l'éducation nationale), ou encore préjudice moral (TA Dijon Segaud c/ Ministre de l'éducation nationale précité).

Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 14 décembre 2007, si le juge du fond devait estimer que le refus de protection était illégal, le requérant serait en droit de demander la réparation des divers préjudices qu'il a subis, notamment de son préjudice matériel (engagement de frais d'avocats dans le cadre d'une plainte déposée devant le juge pénal pour diffamation), et de son préjudice moral (atteinte à sa réputation, en particulier auprès de ses collègues et étudiants). C'est donc seulement dans le cadre d'un recours de plein contentieux, consécutif à un recours pour excès de pouvoir "victorieux", que l'agent public peut obtenir la réparation de ses divers préjudices.


(1) Qui peuvent être verbaux : CE Section, 28 mars 1969, n° 73250, Jannès (N° Lexbase : A8941B8N), au Recueil p. 190, à la tribune d'une assemblée ; CAA Paris, 25 avril 1996, n° 95PA00639, Tate (N° Lexbase : A1832BIP), au téléphone et de manière anonyme ; mais qui peuvent bien entendu être écrits : CE, 26 mars 1965, n° 60630, Villeneuve (N° Lexbase : A7742B8A), au Recueil p. 207, lettres ; CE, 7 janvier 1983, n° 35236, Coudert (N° Lexbase : A0881AML), au Recueil p. 178, télégrammes ; CE, 13 février 1959, Bernadet, au Recueil p. 111, tracts comme dans la décision du 14 décembre 2007 ; CE, 28 mai 2003, n° 245069, Lamande (N° Lexbase : A2335C9D), articles de presse ; CE Assemblée, 14 février 1975, n° 87730, Sieur Paul Teitgen (N° Lexbase : A9972B7H), au Recueil p. 111, ouvrages littéraires ; CAA Lyon, 3 décembre 1996, n° 95LY00624, Mme Hélène Maignant (N° Lexbase : A9953D4E), pétition de parents d'élèves.
(2) TA Rennes, 3 janvier 1985, Orhan, RFDA 1986, p. 93, et TA Nouméa, 31 décembre 1985, Janczak, au Recueil p. 670, séquestration ; CE, 21 novembre 1980, n° 21162, Paul Daoulas (N° Lexbase : A6609AIM) et CAA Nantes, 26 décembre 2002, n° 01NT00614, Coquereau (N° Lexbase : A9952D4D), AJFP septembre-octobre 2003 p. 24, coups et injures ; TA Pau, 18 décembre 2003, Maynadier, AJFP mai-juin 2004, p. 153, violences aggravées accompagnées d'outrages.

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Internet

[Evénement] Le commerce électronique : quatre ans après l'adoption de la LCEN

Lecture: 23 min

N1985BEA

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par Anne Lebescond - SGR droit des affaires

Le 07 Octobre 2010

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (ci-après la "LCEN") (N° Lexbase : L2600DZC) transpose la Directive 2000/31 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information (N° Lexbase : L8018AUI). Cette loi a, essentiellement, pour objectif de renforcer la confiance des consommateurs, afin d'intensifier les échanges commerciaux électroniques, qui ont vocation, à moyen terme, à remplacer tout autre procédé de vente à distance.
L'Association pour le développement de l'informatique juridique (Adij), en partenariat avec les éditions juridiques Lexbase, a organisé, le 12 février dernier, une conférence sur le thème "Commerce électronique : quatre ans après l'adoption de la LCEN", afin de faire un point et de partager un retour d'expériences sur les atouts et les risques liés au commerce en ligne, tant pour les commerçants, que pour les consommateurs. Le fil directeur de cet exposé était l'analyse de la responsabilité des différents intervenants du commerce électronique, au regard de la contrefaçon des marques et, plus généralement, de nombreux abus et arnaques favorisés par internet.

Lexbase Hebdo - édition privée générale a assisté à cette manifestation et vous propose de revenir, à travers les intervenions d'Isabelle Gavanon (Avocat - Directeur associé, propriété intellectuelle - Technologies de l'information, Cabinet Fidal), Camille Beurdeley (Chef de services, Affaires juridiques, FIEEC - Fédération des industries électriques électroniques et de communication) et Katrina Senez (Responsable propriété intellectuelle FIFAS - Fédération des industries du sport et des loisirs), sur l'état de la jurisprudence en cette matière et sur son interprétation des dispositions de la LCEN et des lois postérieures.

La responsabilité des différents intervenants du commerce électronique a été analysée par le biais de trois notions essentielles : la détermination des acteurs du commerce électronique (I), les modalités d'exécution du contrat en ligne (II) et la promotion en ligne (III).

I - Les acteurs du commerce électronique

Isabelle Gavanon identifie les trois acteurs du commerce électronique, qui sont :

  • les vendeurs (commerçants ou particuliers), qui proposent des produits ou des services aux consommateurs moyennant paiement du prix ;
  • les prestataires techniques, qui proposent à ces commerçants et particuliers d'héberger, transporter, stocker, référencer leurs contenus ; et
  • les consommateurs, destinataires de ces contenus.

A - Les vendeurs

Deux catégories de vendeurs sont susceptibles de proposer leurs produits à la vente sur internet : les vendeurs professionnels, immatriculés au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, et les particuliers, qui utilisent ponctuellement des sites internet comme Ebay, en vue de vendre certains objets dont ils souhaitent se départir.

Si les abus commis par certains de ces vendeurs sont divers, la jurisprudence doit, très souvent, se prononcer sur deux d'entre eux : l'existence d'une réelle activité commerciale pour des particuliers supposés vendre sur internet à titre exceptionnel, et la vente de produits contrefaits, que ce soit par des particuliers ou des commerçants.

  • Existence d'une activité commerciale pour des particuliers supposés vendre sur internet à titre exceptionnel

Isabelle Gavanon souligne que les tribunaux caractérisent l'existence d'une réelle activité commerciale, quand un particulier propose et vend une telle quantité de produits, qu'il exerce en réalité l'activité de vendeur, alors même qu'il n'est pas inscrit au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. Un exemple nous est donné par un arrêt rendu par le tribunal de grande instance de Mulhouse (1). Dans l'espèce rapportée, le tribunal a prononcé des sanctions pénales à l'encontre d'un vendeur de biens mobiliers, non immatriculé, pour exécution d'un travail dissimulé et non tenue du registre. Ce vendeur avait écoulé plus de 470 objets en deux ans, l'historique des trois derniers mois de vente indiquant un montant avoisinant 7 000 euros. Le tribunal a caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction, à savoir, la conscience par le défendeur de se soustraire aux limites de vente imposées à un non professionnel.

  • La vente de produits contrefaisants favorisée par le commerce électronique

Que cette infraction soit commise par un vendeur professionnel, en apparence en règle avec la législation et la réglementation applicable, car immatriculé, ou qu'il s'agisse d'un particulier, les tribunaux ont, à maintes reprises, à se prononcer sur la vente en ligne par ceux-ci de produits contrefaisants.

Les victimes de ces ventes, à savoir, principalement, les titulaires des marques objets de contrefaçon, ont tout intérêt à agir directement contre les vendeurs, plutôt que contre les sociétés qui les hébergent. En effet, l'article 6 de la LCEN pose un principe d'exonération de responsabilité des personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne (cf. II. B. ci-dessous).

Katrina Senez attire l'attention des participants sur les difficultés que rencontrent les grandes marques de sport pour domestiquer le commerce électronique et lutter contre la contrefaçon. A titre d'exemple, pour l'année 2006, plus d'un million de paires de chaussures de sport contrefaites ont été commercialisées. Elle souligne l'organisation aboutie des réseaux des contrefacteurs, qui fonctionnent de la même façon que des entreprises de grande taille opérant au niveau international, en terme de logistique, contacts, réseaux de distribution... En vue de lutter contre ces puissances, les marques de sport renforcent leur coopération, en adhérant, par exemple, à différents réseaux, leur permettant, notamment, un échange d'informations sur les contrefacteurs.

Elle dresse, alors, le "portrait type" du contrefacteur présent sur internet : il s'agit, la plupart du temps, d'une société basée en Chine ou dans des paradis fiscaux, qui, soit exploite directement 5 ou 6 sites différents sur internet ou ouvre une boutique directement sur des sites tels qu'Ebay, soit fait appel à des particuliers qu'elle fournit en produits contrefaits, ceux-ci se chargeant de les écouler sur internet, en prenant soin de changer régulièrement de pseudonymes. De faux motifs sont utilisés pour expliquer le faible prix proposé (fin de séries, souplesse de la législation chinoise...). Elle cite l'exemple d'une société, dont l'un des dirigeants a été arrêté par la gendarmerie de Louvier. Cette société, qui exploitait trois sites différents, réalisait un chiffre d'affaires de 5 000 euros par jour et par site, les fonds étant transférés sur des comptes bancaires domiciliés dans des paradis fiscaux. Dès la fermeture des sites internet, les autres dirigeants de cette même société ont ouvert un nouveau site internet pour commercialiser les mêmes produits.

Elle indique que les sites d'hébergement sont au courant, la plupart du temps, de l'existence de ces boutiques de contrefaçon et, qu'il arrive, parfois, grâce à diverses méthodes ou techniques, telle la gradation des notations des vendeurs en fonction des volumes vendus et la technique "Adwords" développée par Google et reprise depuis (cf. III. B. ci-dessous), qu'elles en assurent même la promotion.

Isabelle Gavanon rappelle, alors, que, si au niveau interne, la lutte contre la contrefaçon est efficace, c'est la dimension internationale qui freine considérablement ce combat. La lutte contre la "cyber-contrefaçon" est d'autant plus difficile, compte tenu de la rapidité des échanges commerciaux, permettant une commercialisation des volumes de produits contrefaits beaucoup plus importante.

B - Les prestataires techniques

Les prestataires techniques offrent leur infrastructure technique à une clientèle, lui permettant de véhiculer, à destination du public, un contenu. Isabelle Gavanon indique qu'afin de leur permettre de fonctionner correctement, il est apparu indispensable de leur assurer une certaine tranquillité dans l'exercice de leur activité, se traduisant par l'absence d'un contrôle a priori du contenu véhiculé via leurs infrastructures et une exonération de leur responsabilité civile et pénale quant aux contenus véhiculés.

  • Absence d'un contrôle a priori des contenus véhiculés via les infrastructures des prestataires techniques

Les prestataires techniques sont exonérés de toute obligation générale de surveillance et de recherche d'activités illicites, notamment en ce qui concerne les contenus qu'ils hébergent, transportent ou stockent, ainsi que le prévoit le paragraphe 7 de l'article 6 de la LCEN. En revanche, en application de l'article 6-1 7°, ils ont une obligation spéciale de concourir à la lutte contre la diffusion d'images pornographiques mettant en scène des mineurs, l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité et l'incitation à la haine raciale.

En outre, dès que les prestataires techniques ont connaissance d'un contenu illicite sur leur site, l'article 6 de la LCEN leur impose de le supprimer ou d'en rendre l'accès impossible.

  • Atténuation du principe d'absence de contrôle a priori quant aux contenus véhiculés par les prestataires techniques

Des décisions telles, que celles rendues dans les affaires "Vivastreet" (2) et "Dailymotion" (3), témoignent de la distance prise par les juges français par rapport à l'équilibre imaginé par le législateur communautaire, quant au principe d'absence de contrôle a priori, ainsi que le souligne Isabelle Gavanon. Pour la première, les juges imposent un contrôle a priori de 6 mois quant aux contenus stockés sur le site d'hébergement vivastreet.fr, pour la deuxième, ils posent purement et simplement une présomption de connaissance de l'existence de contenus illicites, compte tenu de la notoriété de l'hébergeur Dailymotion.

Affaire "Vivastreet"

Des produits LVMH étaient commercialisés hors des réseaux de distribution de ses marques, par le biais du site internet vivastreet.fr. Le groupe LVMH a assigné, en référé, la société exploitant ce site, non pas aux fins de voir sa responsabilité engagée, compte tenu des dispositions de l'article 6 de la LCEN (cf. ci-dessous), mais afin d'obtenir du juge que la société supprime les annonces litigieuses de son site, sur le fondement des dispositions de l'article 6.1.8 de la LCEN, permettant aux autorités judiciaires de "prescrire en référé ou sur requête [...] toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne", et sur celles des articles 872 (N° Lexbase : L3176ADY) et 873 (N° Lexbase : L3177ADZ) du Nouveau Code de procédure civile, relatifs, respectivement, aux mesures d'urgence et aux mesures conservatoires ou de remise en état. Le groupe LVMH sollicitait du juge que soit mis en place un système de filtrage des annonces publiées sur le site, afin d'empêcher que la situation se répète. Il a obtenu gain de cause quant à la suppression des annonces litigieuses, cette injonction étant doublée d'une autre injonction, beaucoup plus large, contraignant la société à mettre en place sur son site un "système de surveillance ciblé et temporaire pour une durée de 6 mois des annonces afin de prévenir l'hébergement de toute annonce proposant la vente, hors du réseau de distribution sélective des demanderesses de parfums et des produits cosmétiques dont le texte utilise les dénominations des demanderesses et/ou comportent un tableau de concordance ou d'équivalence avec ces dénominations et/ou offrent à la vente des parfums ou cosmétiques de grandes marques présentés comme génériques". Il a, également, été fait injonction à la société de mettre en place "un système de contrôle ciblé et temporaire pour une durée de 6 mois permettant de retirer toute annonce proposant la vente, hors du réseau de distribution sélective des demanderesses" des produits semblables à ceux susvisés. Il est à noter que le groupe LVMH a obtenu gain de cause, non pas sur le fondement de l'article 6 de la LCEN, mais sur le terrain du droit commun des référés.

Affaire "Dailymotion"

Dans ce jugement, le juge, rejetant la qualification d'éditeur et, par là même, l'inapplicabilité des dispositions de l'article 6 de la LCEN, a retenu la responsabilité de l'hébergeur Dailymotion, coupable de contrefaçon. Il considère, en effet, que, compte tenu de son succès et de sa notoriété, la société ne pouvait ignorer l'existence de contrefaçons sur son site. Il s'agissait, dans cette espèce, de la diffusion sur le site Dailymotion du film "Joyeux Noël" produit par la société Nord Ouest Production, sans autorisation de cette dernière. Enonçant une présomption de connaissance du caractère illicite de certains contenus du seul fait du succès de l'hébergeur, le juge a estimé que la société aurait dû mettre en place des mesures, en amont, lui permettant de contrer ces actes répréhensibles.

  • Principe d'exonération de responsabilité quant aux contenus véhiculés par les prestataires techniques - article 6 de la LCEN

Les deuxième et troisième paragraphes de l'article 6 de la LCEN posent le principe de l'exonération de responsabilité civile et pénale des prestataires techniques quant aux contenus qu'ils hébergent, transportent ou stockent. Ainsi, "les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile [et pénale] engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas eu effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits ou circonstances faisant apparaître ce caractère, ou si, dès le moment où elles en eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible".

Sur ce fondement, beaucoup de juges exonèrent des sociétés ayant une activité d'hébergement de contenus sur internet de toute responsabilité du fait des actes de vente intervenus sur leur site (4). Ainsi, dès lors que les hébergeurs et fournisseurs d'accès se cantonnent aux activités mentionnées à l'article 6 de la LCEN, les juges refusent de retenir les qualifications d'éditeur ou de prestataire publicitaire, soulevées par les victimes des contrefaçons ou des publicités trompeuses, qui auraient pour effet d'écarter l'exonération de responsabilité civile et pénale.

II - Le contrat en ligne

Le contrat en ligne passé entre un consommateur et un vendeur et portant sur la vente d'un produit via internet nécessite que soient étudiées successivement les obligations d'information à la charge des commerçants et des leurs hébergeurs, la modification du contrat en ligne et ses modalités d'exécution.

A - Les obligations d'information à la charge des commerçants et de leurs hébergeurs

L'obligation d'information, applicable aux contrats en ligne, trouve ses fondements dans la LCEN et dans la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs (N° Lexbase : L7006H3U).

Cette information porte, concernant les vendeurs, sur les caractéristiques essentielles du produit proposé à la vente. Seront également traitées dans cette partie les obligations d'information à la charge des prestataires techniques, dans la mesure où elles permettent aux consommateurs d'identifier les vendeurs, en cas de manquement de leur part.

  • Sur les obligations d'information à la charge des vendeurs

Les obligations d'information à la charge du vendeur portent, conformément au droit commun de la vente, sur les caractéristiques essentielles du produit vendu, telles que le prix, le droit de rétractation, les délais de livraison...

Sur ce dernier point, Isabelle Gavanon et Camille Beurdeley rappellent qu'antérieurement à la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, la réglementation prévoyait, qu'en l'absence de dispositions contraires, la livraison devait être effectuée dans les 30 jours de la commande. L'article 28 de la loi précitée impose, désormais, que "le fournisseur indique, avant la conclusion du contrat, la date limite à laquelle il s'engage à livrer le bien ou à exécuter la prestation de services ; à défaut, le fournisseur est réputé devoir délivrer le bien ou exécuter la prestation de service dès la conclusion du contrat ; en cas de non respect de la date limite, le consommateur peut obtenir la résolution de la vente".

Camille Beurdeley expose, alors, le point de vue des fabricants, qui, conscients des atouts du commerce électronique, souhaitent, néanmoins, voir les commerçants du net se conformer aux mêmes règles, notamment en terme d'information, que les commerçants ayant "pignon sur rue".

Elle note, qu'à côté des infractions spécifiques à la vente sur internet, la plupart des infractions sanctionnées par les tribunaux restent des infractions de droit commun et cite, concernant les obligations d'information à la charge du vendeur :

- le défaut d'affichage du prix de vente ou l'annonce d'un prix très attractif, majoré, au fil des "clics", de divers taxes et frais augmentant considérablement les prix initialement indiqués ;

- le défaut d'information ou des informations trop succinctes concernant les caractéristiques essentielles du produit ;

- l'indisponibilité de biens indiqués comme étant en stock sur les sites, cette pratique créant un réel déséquilibre entre les "cyber-vendeurs " et les vendeurs ayant "pignon sur rue" (ces derniers devant avancer les frais d'achat des produits proposés avant de les commercialiser dans leur boutique).

Camille Beurdeley en profite pour mentionner d'autres manquements que ceux relatifs à l'information, tels l'absence de garanties constructeur et des services de livraison sommaires, contribuant à ternir l'image de marque des fabricants des produits livrés dans le cadre des "livraisons immeubles" (livraison d'un frigidaire au pied de l'immeuble, à charge pour l'acheteur de s'organiser pour le transporter jusqu'au dixième étage !)...

Elle précise, enfin, concernant les produits électroménagers, que les fabricants ont désormais l'obligation d'afficher une "éco-participation" et de reprendre les déchets historiques, en vue de les stocker dans des points de décharge particuliers, obligations non respectées par les "cyber-vendeurs" de ce type de produits.

Afin de pallier ces inconvénients et trouver un juste équilibre entre les "cyber-vendeurs" et les vendeurs ayant "pignon sur rue", Camille Beurdeley reprend les 5 propositions formulées par la FIEEC, visant à renforcer et améliorer la législation :

- interdire de proposer des produits à la vente qui ne sont pas en stock ;

- afficher toutes les modalités de livraison et, d'entrée de jeu, la réalité du prix proposé ;

- prévoir qu'en cas de dépassement des délais de livraison fixés, les acomptes deviennent des arrhes,

- n'imposer le paiement du prix qu'au moment de la livraison du produit ;

- obliger le "cyber-vendeur" à disposer de points de collecte pour les vieux produits électroménagers, à l'image de l'obligation pesant sur les fabricants.

  • Contrôles de la DGCCRF quant au respect des obligations d'information à la charge des vendeurs

Isabelle Gavanon attire l'attention des participants sur l'importance du rôle de la DGCCRF dans la lutte contre la "cyber-contrefaçon". Celle-ci a réalisé, en partenariat avec la Commission européenne, une étude sur les sites proposant la vente de billets d'avion en ligne. Cette étude a révélé que, sur 447 sites proposant ce type de produits en Europe, 226 contrevenaient aux législations communautaires et nationales sur les obligations d'information quant aux prix de vente. En France, sur 21 sites contrôlés, 10 se livrent à des pratiques de concurrence déloyale. L'étude montre que les manquements les plus fréquents sont relatifs à l'affichage des prix de vente, aux ventes liées concernant des assurances soi-disant obligatoires, aux atteintes aux principes de loyauté, d'information et de consentement, au manque de clarté des conditions générales de vente... La DGCCRF cherche, dans un premier temps, à amorcer une démarche de conciliation, en indiquant les manquements auxquels il convient de remédier. Passé un délai convenable, et en cas d'inaction de la part des contrevenants, la DGCCRF agit en justice.

  • Sur les obligations d'information à la charge des prestataires techniques

L'information, dans le cadre du commerce électronique, poursuit deux objectifs principaux : gagner la confiance du consommateur et lutter contre les "cyber-contrefacteurs". La LCEN, dans son article 6. II., dispose que les prestataires techniques "détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires ; elles fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d'identification" requises. Le paragraphe III de l'article 6 donne une liste des informations devant être recueillies par les prestataires techniques. Pour les personnes physiques, il convient de recueillir et conserver leur nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone, et le cas échéant, leur numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. Pour les personnes morales, l'information porte sur leur dénomination ou leur raison sociale et leur siège social, leur numéro de téléphone, et le cas échéant, également, leur numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers.

En pratique, il arrive que les utilisateurs des hébergeurs et fournisseur d'accès véhiculant des contenus laissent des coordonnées téléphoniques inopérantes. Par conséquent, la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs a, dans un souci d'efficacité, modifié les mots "numéro de téléphone" par "des coordonnées téléphoniques permettant d'entrer effectivement en contact avec lui".

Il arrive, également, qu'aucune information laissée par le véhiculeur de contenu ne soit exacte (ce qui est le cas, la plupart du temps, lorsque le contenu véhiculé est illicite). Ainsi, la jurisprudence sanctionne les prestataires techniques qui ne sont pas suffisamment vigilants quant aux informations recueillies. Dans un arrêt "Tiscali" (5), la cour d'appel de Paris a retenu la responsabilité de la société exploitant le site d'hébergement, quant à la contrefaçon de bandes dessinées disponibles sur l'un des contenus hébergés. Dans cette espèce, le contrefaisant avait indiqué comme nom : Bande, prénom : Dessinée, adresse : rue de la BD à Bruxelles. Cette personne n'ayant pu être identifiée, les titulaires des droits sur les bandes dessinées contrefaites ont agi en justice contre l'hébergeur, qui a été condamné pour n'avoir pas correctement identifié l'identité du vendeur de bandes dessinées contrefaites. La condamnation pour contrefaçon a été permise car la cour a retenu, en plus de la qualification d'intermédiaire technique mettant à disposition son infrastructure, celle d'éditeur.

Les juges retiennent parfois, cependant, la responsabilité du consommateur pour atténuer ou exonérer le prestataire technique de sa responsabilité quant à cette obligation d'information. Isabelle Gavanon cite, à ce sujet, un jugement rendu par le tribunal d'instance de Rennes le 26 mars 2007 (6). Les juges ont mis, dans cette espèce, un consommateur ayant manqué totalement de vigilance lors d'un achat en ligne face à ses responsabilités. Monsieur L. a remporté une enchère sur le site internet ebay.fr, portant sur la vente d'un jet-ski. Il a adressé au vendeur, résidant en Grèce, par mandat Western Union, la somme de 4 600 euros, après avoir reçu un message électronique portant le logo e-Bay et signé "Ebay Safety Département Customer Support", l'invitant à procéder de la sorte. Le jet-ski n'a jamais été livré. Se fondant sur la théorie du mandat apparent et sur la violation par Ebay de son obligation d'informer les utilisateurs sur les risques de fraude et la sécurité des transactions, il a agi en justice, afin d'obtenir réparation de son préjudice. Concernant la théorie du mandat apparent, le tribunal décide qu'en usurpant l'identité d'Ebay, le vendeur cherchait à se faire passer pour Ebay et non pour un de ses représentants, dès lors le moyen était inopérant. S'agissant de l'obligation d'information à la charge d'Ebay, le tribunal retient un manquement de celui-ci, mais constate, toutefois, que Monsieur L. "a agi avec une précipitation fautive, laquelle a largement concouru à la réalisation de la perte qu'il a subie, dans la mesure où il a réglé le prix au moyen d'un mode de paiement reconnu comme n'étant pas sécurisé, sans attendre la fin de l'enchère, alors que des anomalies et des incohérences imposaient qu'il agisse avec plus de vigilance".

Un jugement rendu le 1er février 2007 par le tribunal d'instance de Grenoble (7) a retenu la même solution. M. C. a acquis sur le site de la société e-Bay International, une montre de marque d'une valeur estimée à 75 000 euros, pour un montant de 4 127,23 euros. Malgré le virement bancaire effectué au profit du vendeur, M. C. n'a jamais reçu la montre. Le demandeur reprochait à la société de ne pas avoir respecté ses obligations de sécurité des transactions et de fiabilité des informations fournies, et notamment de ne pas avoir vérifié l'identité du vendeur. Le tribunal a débouté M. C. de sa demande, jugeant qu'il avait fait preuve d'une particulière imprudence en n'utilisant pas les moyens de paiement sécurisé mis à sa disposition par la société Ebay et en ne respectant pas les règles élémentaires de sécurité (règlement du prix à une autre personne que le vendeur). Le tribunal n'a, donc, retenu aucune faute de la part de la société Ebay, qui ne pouvait voir sa responsabilité engagée par le comportement fautif du vendeur, l'article 6 de la LCEN imposant bien à la société Ebay de conserver les données d'identification des vendeurs, mais non de les vérifier.

B - Les modifications du contrat en ligne

La question s'est posée de savoir si un acteur du commerce électronique pouvait modifier unilatéralement, en cours de contrat, les obligations à la charge des parties, en notifiant ces modifications par le biais d'un texto ou d'un message électronique.

Isabelle Gavanon rappelle qu'il existe un dispositif législatif régissant la question. En effet, l'article L. 121-84 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8523GQQ) dispose, notamment, que "tout projet de modification des conditions contractuelles de fourniture d'un service de communications électroniques est communiqué par le prestataire au consommateur au moins un mois avant son entrée en vigueur, assorti de l'information selon laquelle ce dernier peut, tant qu'il n'a pas expressément accepté les nouvelles conditions, résilier le contrat sans pénalité de résiliation et sans droit à dédommagement, jusque dans un délai de quatre mois après l'entrée en vigueur de la modification" et l'article 1369-2 du Code civil (N° Lexbase : L6353G98) prévoit, quant à lui, que "les informations qui sont demandées en vue de la conclusion d'un contrat ou celles qui sont adressées au cours de son exécution peuvent être transmises par courrier électronique si leur destinataire a accepté l'usage de ce moyen".

Ainsi, l'acteur du commerce électronique ne peut modifier unilatéralement les conditions du contrat, puisque le cocontractant dispose d'une faculté de résiliation. L'acteur du commerce électronique peut, toutefois, informer son cocontractant des modifications contractuelles qu'il envisage par le biais d'un texto ou d'un message électronique, en cas d'acceptation par le destinataire de cette information.

C - L'exécution du contrat en ligne

Isabelle Gavanon indique que l'article 15 de la LCEN pose le principe d'une responsabilité de plein droit des personnes qui fournissent des biens et des services via internet, afin d'éviter que celles-ci se réfugient derrière la responsabilité des sous-traitants auxquels elles font appel.

Le premier paragraphe de cet article dispose que ces personnes "sont responsables de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient exécutées par elles-mêmes ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de leur droit de recours contre celui-ci".

Cet article retient, également, des exonérations quant à cette responsabilité de plein droit, lorsque le prestataire rapporte la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution est imputable, soit à l'acheteur, soit au fait imprévisible et insurmontable d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit, enfin, à un cas de force majeure. Il s'agit là d'une spécificité française, cette disposition n'étant pas prévue par la Directive 2000/31.

Le jugement précité, rendu le 1er février 2007 par le tribunal d'instance de Grenoble (7), apporte des précisions sur ces dispositions. M. C., qui avait acquis sur le site e-Bay International une montre de marque, jamais livrée, se prévalait des dispositions de l'article 15 de la LCEN, posant le principe de la responsabilité de plein droit susvisé. Il considérait, en effet, que la société n'était pas un simple hébergeur et ne pouvait, par conséquent, se prévaloir du principe de responsabilité limitée prévue à l'article 6 de cette même loi. Le tribunal a débouté M. C., retenant que l'article 15 de la LCEN ne s'appliquait pas à la société Ebay, car les vendeurs ne peuvent être assimilés à des prestataires de la société. Ainsi, seuls ses vendeurs sont responsables de la bonne exécution des contrats de vente conclus sur le site de la société.

Isabelle Gavanon indique que d'autres décisions, retenant la même solution, ont été rendues par les juges, notamment, concernant les prestations offertes par l'opérateur de fourniture d'accès internet Free, qui invoquait, pour se dégager de sa responsabilité envers certains de ses clients mécontents, des difficultés rencontrées avec l'opérateur France Telecom. Les juges ont retenu dans ces espèces, que les défauts de France Telecom ne peuvent être considérés comme des éléments de force majeure permettant à Free, sur le fondement de l'article 15 précité, de s'exonérer de sa responsabilité de plein droit vis-à-vis de ses cocontractants.

III - La promotion en ligne

A - La technique du référencement payant proposé par les sites exploitant des moteurs de recherche

Google propose aux annonceurs, parallèlement à l'activité de référencement gratuit, un référencement payant "Adwords", leur permettant de faire afficher sur les pages de résultats du moteur de recherche Google, des liens hypertextes que Google dénomme "liens commerciaux" et destinés à promouvoir les sites qu'ils exploitent. L'affichage intervient lorsque le ou les mots clefs que l'annonceur a préalablement sélectionnés, en utilisant notamment le "générateur de mots clefs" que Google lui propose, est saisi par l'utilisateur du moteur de recherche et que cet utilisateur décide de cliquer sur le lien commercial. Le contenu des annonces apparaissant sur l'écran de l'utilisateur, lorsque celui-ci a cliqué sur ces liens, est laissé à la discrétion des annonceurs. En contrepartie, Google facture une somme à l'annonceur, à chaque visite du site référencé, de sorte que la rémunération qu'elle perçoit est directement associée à la fréquence avec laquelle les internautes vont cliquer sur le lien commercial considéré, le coût par clic étant choisi par l'annonceur et déterminant la position de son annonce.

Une abondante jurisprudence a été rendue concernant ce système, les actions ayant été engagées par les titulaires des marques concernées sur les fondements de contrefaçon, concurrence déloyale, parasitisme...

B - La reconnaissance progressive par la jurisprudence du délit de contrefaçon retenu à l'encontre des hébergeurs et des sites exploitant des moteurs de recherche proposant des référencements payants

Isabelle Gavanon explique que la contrefaçon n'est, en principe, pas caractérisée par les juges à l'encontre des prestataires techniques, puisqu'elle implique que la personne mise en cause sur ce fondement ait une activité concurrente du titulaire de la marque détournée, ce qui n'est pas le cas, en général, de ces derniers.

Pour cette raison, la jurisprudence, lorsqu'elle retenait une faute de la part des prestataires techniques ayant entraîné un préjudice pour des marques victimes de contrefaçon, les sanctionnait sur différents fondements, tels que le manquement à leur obligation d'information ou, encore, leur manque de vigilance.

Toutefois, ceci n'est vrai que si le prestataire technique se borne à stocker ou véhiculer des contenus, "en toute passivité". Dès lors que ces prestataires techniques démontrent une démarche, une action, notamment, par le biais de la technique "Adwords", ils outrepassent le simple stockage de l'information et peuvent, alors, être sanctionnés. La jurisprudence a, ainsi, déjà retenu la responsabilité de certains prestataires techniques, pour, par exemple, atteinte à la renommée d'une marque, détournement de dénomination sociale, concurrence parasitaire, publicité trompeuse...

La jurisprudence restait, toutefois, timide quant à la reconnaissance du délit de contrefaçon. Cependant, la tendance pourrait, aujourd'hui, être inversée, certains arrêts ayant retenu cette infraction à l'encontre des hébergeurs ou fournisseurs d'accès.

Concernant la technique "Adwords" susvisée, proposée par Google, un arrêt a été rendu en février 2008 (8). Dans l'espèce rapportée, la cour d'appel de Paris a retenu le délit de contrefaçon. Les juges relèvent, en effet, que le service publicitaire proposé par Google implique qu'elle joue un rôle actif, excluant de ce fait la qualification pour Google de prestataire de stockage au sens de l'article 6 de la LCEN. Sa responsabilité est, d'ailleurs, recherchée en tant que prestataire publicitaire et non prestataire technique. Le tribunal retient, par conséquent, que l'usage des marques en cause constitue la contrefaçon de ces dernières, au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3729ADH), Google ne contestant pas que les signes déposés à titre de marques apparaissent tels quels dans les listes fournies par le générateur de mots clefs qu'il propose. La cour retient également que la présentation des annonces publicitaires, regroupées sous l'intitulé "liens commerciaux", qui nonobstant sa généralité, peut laisser supposer aux internautes que les sites internet affichés entretiennent des rapports commerciaux avec la ou les sociétés mises en regard desdits liens. Cet intitulé pouvant, par lui-même, créer une confusion dans l'esprit du public, la responsabilité de Google est, en conséquence, engagée sur le fondement des articles L. 115-3-3 (N° Lexbase : L6531ABI) et L. 121-1 (N° Lexbase : L6565ABR) du Code de la consommation.

L'arrêt "Tiscali" (9), précité, nous donne un autre exemple dans lequel le délit de contrefaçon a été retenu à l'encontre de l'hébergeur. Ceci a été possible grâce à la reconnaissance par la cour d'appel de Paris, pour la société Tiscali (dont l'activité principale est l'hébergement de contenus sur Internet), de la qualité d'éditeur, "dès lors qu'il est établi qu'elle exploite commercialement le site tiscali.fr puisqu'elle propose de mettre en place des espaces publicitaires payants directement sur les pages personnelles, telle que la page chez.com/bdz, sur laquelle apparaissent, ainsi que Me A. a pu le constater, différentes manchettes publicitaires". L'espèce rapportée avait trait à la mise en ligne payante, par un véhiculeur de contenu, de deux bandes dessinées, alors même que celui-ci n'était pas titulaire des droits. La société Tiscali ayant une activité accessoire identique à celle des titulaires des droits de propriété intellectuelle, à savoir l'édition, le délit de contrefaçon a pu être retenu à son encontre.

De la même façon, dans le jugement "Dailymotion" (10), précité, les juges ont retenu la qualité d'éditeur de l'hébergeur, du fait de récents accords passés entre la société Dailymotion et les société Universal et Warner, par lesquelles ces dernières autorisent la diffusion des films de leur catalogue sur le site. Ces accords aboutissent à un changement de nature d'activité, ce qui permet aux juges de retenir le délit de contrefaçon à l'encontre de la société Dailymotion.


(1) TGI Mulhouse, 12 janvier 2006, n° 122/2006.
(2) TC Paris, 26 juillet 2007.
(3) TGI Paris, 13 juillet 2007, n° RG 07/05198, Monsieur Christian Carion c/ SA Dailymotion (N° Lexbase : A5139DXM).
(4) Voir, pour un exemple, TI Grenoble, 1er février 2007, M. C. c/ Société e-Bay International.
(5) CA Paris, 4ème ch., sect. A, 7 juin 2006, n° 05/07835, SA Tiscali Média c/ SA Dargaud Lombard (N° Lexbase : A6632DR3).
(6) TI Rennes, 26 mars 2007, n° RG 11-05-001696, Monsieur L. c/ Société Ebay et Société Ebay AG (N° Lexbase : A9282DWP).
(7) TI Grenoble, 1er février 2007, M. C. c/ Société e-Bay International.
(8) CA Paris, 4ème ch., sect. B, 1er févier 2008, n° 06/13884, Gifam Groupement Interprofessionnel des Fabricants d'Appareils d'Equipement Ménager et autres c/ SARL Google France (N° Lexbase : A6850D4H).
(9) CA Paris, 4ème ch., sect. A, 7 juin 2006, n° 05/07835, SA Tiscali Média c/ SA Dargaud Lombard, précité.
(10) TGI Paris, 13 juillet 2007, n° RG 07/05198, Monsieur Christian Carion c/ SA Dailymotion, précité.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] L'exclusion de l'indemnisation des victimes d'infraction pour les atteintes donnant lieu à l'application de la loi du 5 juillet 1985 en matière d'accidents de la circulation

Réf. : Cass. civ. 2, 7 février 2008, n° 07-13.397, Fonds de garantie des actes de terrorisme et d'autres infractions, FS-P+B (N° Lexbase : A7348D4W)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

A d'assez nombreuses reprises déjà, l'occasion a été donnée de signaler l'importance du contentieux en matière d'accidents de la circulation et les difficultés suscitées par la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9), applicable, aux termes de son article 1er, "même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 7 février dernier, à paraître au Bulletin, en constitue un exemple supplémentaire. S'agissant du régime d'indemnisation prévu par la loi, la jurisprudence récente a montré à quel point l'incidence de la faute du conducteur sur la réparation de son dommage (art. 4) était une question sensible. On n'ignore pas, en effet, sur ce terrain que, par deux importants arrêts du 6 avril 2007, rendus contrairement à l'avis de l'avocat général Charpenel, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, répondant à la question de savoir si peut être opposée au conducteur victime d'un accident de la circulation sa faute constituée par le fait d'avoir un taux d'alcoolémie supérieur au taux légalement admis, a écarté toute présomption de causalité, et refusé de considérer que la faute, en tant que telle indiscutable, soit nécessairement une faute causale (Ass. Plén., 6 avril 2007, 2 arrêts, n° 05-81.350, M. Daniel Duboust c/ Mme Patricia Pipon, P+B+R+I N° Lexbase : A9501DUG et n° 05-15.950, MACIF Provence-Méditerranée c/ M. Stéphane Devos, P+B+R+I N° Lexbase : A9499DUD, BICC 15 juin 2007, rapp. Gallet, avis Charpenel, JCP éd. G, 2007, II, 10078, note P. Jourdain, D., 2007, p. 1839, note H. Groutel, et p. 2906, obs. Ph. Brun). Et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, c'est sans réelle surprise que la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de refuser de considérer que la faute consistant dans le fait de conduire sans permis puisse entraîner ipso facto une limitation ou une exclusion de l'indemnisation des dommages de la victime, le raisonnement appliqué à la conduite en état d'ébriété ou sous l'emprise de stupéfiants pouvant être transposé au cas du défaut de permis de conduire (Cass. crim., 27 novembre 2007, n° 07-81.585, F-P+F N° Lexbase : A0861D3B et nos obs., Accidents de la circulation : le défaut de permis de conduire imputable au conducteur victime n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale du dommage, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N5925BDS, JCP éd. G, 2008, 10022, note D. Bakouche). Quant à l'appréciation de la faute inexcusable, seule faute susceptible d'être opposée à la victime qui cette fois n'a pas la qualité de conducteur et qui demande la réparation des dommages causés à sa personne (art. 3), elle donne lieu, là encore, à de nombreuses interventions de la Cour de cassation qui n'admet que très restrictivement sa caractérisation, suivant en cela l'objectif poursuivi par le législateur. Mais encore, faut-il, pour que ces questions se posent, que la loi soit applicable, autrement dit que, en amont, les conditions de mise en oeuvre du dispositif d'indemnisation soient remplies. Ainsi se demande-t-on, le plus souvent, si le véhicule terrestre à moteur est bien "impliqué" dans l'accident au sens de l'article 1er de la loi, interrogations que la Cour de cassation cherche à tarir en faisant une appréciation très large de la notion d'implication en décidant qu'un véhicule peut être impliqué dans un accident même en l'absence de contact, dès lors qu'il est intervenu d'une manière ou d'une autre dans cet accident (Cass. civ. 2, 18 mars 1998, n° 96-13.726, Fonds de garantie automobile (FGA) c/ Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF) et autres N° Lexbase : A2686ACH, Bull. civ. II, n° 88).

L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 7 février dernier avait, lui, à se prononcer sur le point de savoir si un "accident de la circulation" pouvait, en l'espèce, être retenu. L'enjeu était important dans la mesure où, si tel était bien le cas, alors la loi du 5 juillet 1985 était applicable et excluait, par suite, le principe posé par l'article 706-3, 1°, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI) de l'indemnisation de toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits présentant le caractère matériel d'une infraction. La jurisprudence est fixée en ce sens : le 1° de l'article 706-3 du Code de procédure pénale excluant l'indemnisation des atteintes à la personne entrant dans le champ d'application de la loi du 5 juillet 1985 constitue une exception au principe sus évoqué (Cass. civ. 2, 11 juin 1998, n° 96-13.945, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions c/ Mlle Courbin N° Lexbase : A5110ACA, Bull. civ. II, n° 185 ; Cass. civ. 2, 8 décembre 1999, n° 97-20.120, Mme Lepoivre c/ Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres N° Lexbase : A5291AWU, Bull. civ. II, n° 182 ; Cass. civ. 2, 7 mai 2002, n° 00-20.442, FS-P+B N° Lexbase : A6064AYA, Bull. civ. II, n° 89 ; Cass. civ. 2, 17 mars 2005, n° 03-19.597, F-P+B N° Lexbase : A4174DH3, Bull. civ. II, n° 71). Tout cela est parfaitement entendu. Mais pouvait-on, en l'espèce, parler d'un "accident de la circulation" au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ? La victime avait été blessée au cours d'une opération de déchargement de plaques de béton sur un chantier, les plaques de béton étant arrimées sur la benne de son camion. Il avait saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions et la cour d'appel de Limoges, statuant sur renvoi après cassation (Cass. civ. 2, 22 septembre 2005, n° 04-15.513, F-D N° Lexbase : A5209DK7), avait estimé que son droit à indemnisation était établi. Mais cette décision est cassée par la Haute juridiction, aux motifs "qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces constatations que l'accident survenu au moment du déchargement du camion sans instrument de levage, constituait un accident de la circulation, la cour d'appel a violé [l'article 706-3, 1°, du Code de procédure pénale]". La solution ne doit pas surprendre, tant la jurisprudence entend largement la notion d'accident de la circulation (voir not., à propos d'un accident causé par un girobroyeur : Cass. civ. 2, 5 janvier 1994, n° 92-13.245, Caisse mutuelle d'assurance et de prévoyance c/ M. Caneiro et autres N° Lexbase : A6879ABE, Bull. civ. II, n° 1 ; causé par un tracteur : Cass. civ. 2, 6 juin 2002, n° 00-10.187, FS-P+B N° Lexbase : A8490AY4, Bull. civ. II, n° 114 ; causé sur un chantier par une pelleteuse : Cass. civ. 2, 30 juin 2004, n° 02-15.488, FS-P+B N° Lexbase : A8916DC9, Bull. civ. II, n° 334 ; causé par un engin agricole de chargement d'une remorque de maïs : Cass. civ. 2, 19 février 1997, n° 95-14.279, Compagnie La Union et Le Phénix espagnol et autres c/ Union départementale des associations familiales des Landes et autres N° Lexbase : A0461AC3, Bull. civ. II, n° 42).

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