La lettre juridique n°925 du 24 novembre 2022

La lettre juridique - Édition n°925

Actes administratifs

[Brèves] Délégation de plein droit aux chefs de service pour signer au nom et sous l'autorité du Premier ministre lorsqu'il exerce les attributions d'un ministre empêché par un conflit d'intérêts

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 9 novembre 2022, n° 465784, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A28838SL

Lecture: 2 min

N3310BZM

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par Yann Le Foll

Le 24 Novembre 2022

► Lorsque le Premier ministre exerce les attributions d'un ministre empêché par une situation de conflit d'intérêts, les agents mentionnés à l'article 1er du décret n° 2005-850, du 27 juillet 2005 N° Lexbase : L0585HBB peuvent signer en son nom et sous son autorité, dans le cadre de la délégation de plein droit prévue par cet article, les actes relatifs aux affaires des services dont ils ont la charge.

Faits. Par une décision du 31 mai 2022, le garde des Sceaux a prolongé le maintien à l'isolement d’un détenu au centre pénitentiaire Sud Francilien, jusqu'au 27 août 2022.

Par une décision du 16 juin 2022, la Première ministre a pris une décision se substituant à la décision initiale du garde des Sceaux, signée, par délégation, par la cheffe du service des métiers de la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice.

La Première ministre se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 28 juin 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a prononcé la suspension de cette décision au motif qu'en l'absence de délégation de signature de la Première ministre à la cheffe du service des métiers de la direction de l'administration pénitentiaire, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision du 16 juin 2022 était propre, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité .

Décision. Appliquant le principe précité, la Haute juridiction énonce que l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle a estimé qu'était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de cette décision en l'absence d'une délégation de signature expressément consentie par la Première ministre.

 

newsid:483310

Contrat de travail

[Pratique professionnelle] La fiche de poste : un document nécessaire, voire indispensable !

Lecture: 8 min

N3342BZS

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par Anne Leleu-Eté, Avocate associée, fondatrice du cabinet Axel Avocats

Le 23 Novembre 2022

Mots-clés : outil de gestion • utilité • contentieux • rédaction • contenu • mise à jour

La fiche de poste est un outil non obligatoire, mais indispensable à l’entreprise, du recrutement du salarié jusqu’à la rupture du contrat de travail. Elle peut être un élément stratégique de la relation de travail, à condition d’être bien rédigée au préalable.


Il n’existe aucune définition légale de la fiche de poste.

Si Pôle Emploi la définit comme une « description factuelle et réelle d’un poste à un instant T, […] (qui) assoit les missions et activités de son titulaire au sein de l’entreprise », certains parlent de photographie, ou de carte d’identité d’un poste.

Il s’agit effectivement d’un document qui récapitule les missions et responsabilités confiées au salarié qui occupera tel poste dans l’entreprise.

Non obligatoire, ce document peut toutefois révéler tout son intérêt à certains moments de la vie du contrat de travail : du recrutement à la rupture du contrat, les étapes au cours desquelles la fiche de poste devient un document de référence sont en effet multiples, et sa rédaction doit être anticipée pour qu’elle devienne un document utile au dossier.

Comment un document non obligatoire peut-il s’avérer être un élément stratégique de la relation de travail ? Quelles doivent être les bonnes pratiques en matière de contenu de la fiche de poste ?

Nous décryptons ces différents points.

I. La fiche de poste, un document certes non obligatoire, mais qui prend son intérêt au cours de la relation de travail

A. La fiche de poste, socle de l’analyse par le juge de multiples dossiers

Il n’est pas rare de constater, dans nombre d’entreprises, que les fiches de poste n’existent pas du tout, ou pas pour tous les postes. Parfois, seuls les nouveaux embauchés bénéficient d’une fiche de poste tandis que leurs collègues d’une plus grande ancienneté ne l’ont pas en leur possession.

Est-ce synonyme de difficulté ? A priori non car, nous l’avons indiqué en introduction, la fiche de poste n’est pas un document obligatoire. Son existence ne fait en effet l’objet d’aucune obligation légale ni jurisprudentielle.

En ce sens, l’employeur ne prend pas de risque juridique à proprement parler en ne mettant pas en place de fiche de poste.

La fiche de poste est-elle inutile pour autant ? Non, la fiche de poste est loin d’être superflue.

En analysant la jurisprudence et par expérience, la situation est même plutôt inverse : la fiche de poste sert de document de référence au juge dans un certain nombre de contentieux.

Pour déterminer la classification d’un salarié, par exemple, le juge peut se référer à sa fiche de poste afin d’apprécier la teneur et la nature des missions [1].

Le juge se reporte également à la fiche de poste d’un salarié afin de déterminer s’il a la compétence et le pouvoir de prononcer un licenciement [2], ou pour déterminer si le poste d’un salarié a été vidé de sa substance dans le cadre d’une réorganisation interne, justifiant une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur [3].

Face à des demandes de requalifications de CDD en CDI, la fiche de poste peut servir de fondement au juge pour vérifier si les fonctions confiées au salarié relèvent de l’activité normale et permanente de l’entreprise [4].

En matière d’inaptitude encore, le juge va se fonder sur la fiche de poste du salarié pour vérifier l’adéquation du poste de reclassement avec les aptitudes du salarié [5] ou avec les préconisations du médecin du travail et les obligations de l’employeur [6].

Le juge peut également être amené à analyser la fiche de poste d’un salarié qui se prévaut de missions qu’il estime subalternes et vexatoires pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur [7]

La fiche de poste enfin peut avoir un intérêt y compris dans des dossiers hors du champ strictement individuel. L’on citera notamment le cas de la fiche de poste d’un chef d’établissement qui est analysée afin de déterminer si l’établissement en question peut réunir les critères nécessaires (et notamment celui de l’autonomie de gestion) permettant de caractériser l’existence d’un établissement distinct [8].

B. La fiche de poste, utile aux deux parties dans la relation de travail

Au-delà de ces sujets contentieux, la fiche de poste est éminemment utile dans la relation de travail, et ce, pour les deux parties.

Le salarié, tout d’abord, doit savoir ce qui est attendu de lui, ses missions et ses responsabilités.

La fiche de poste communiquée lors du recrutement, puis jointe au contrat de travail, permet donc au candidat/collaborateur, de savoir à quoi s’attendre et à quoi il s’engage.

Le salarié devra bien comprendre le rôle de la fiche de poste : la fiche de poste ne prescrit pas le travail. Au contraire du contrat de travail, elle ne sert pas à dire au salarié ce qu’il doit ou ne doit pas faire, mais expose « uniquement » les missions dédiées au poste occupé. La fiche de poste ne sert pas non plus de « guide de bonnes pratiques » qui aiderait le salarié dans le bon accomplissement de son travail. Le salarié ne pourra justifier une erreur du fait d’une imprécision de la fiche de poste dans un process par exemple.

Concernant l’employeur, comme nous l’avons vu, les enjeux de la fiche de poste sont nombreux et se révèlent à toutes les étapes de la relation de travail.

Lors du recrutement, la fiche de poste aidera l’employeur à publier une offre d’emploi précise et adaptée à la réalité du poste à pourvoir pour bien cibler le type de profil recherché.

La fiche de poste va également permettre de situer le collaborateur dans la grille de classification et ainsi déterminer son niveau de salaire, voire arbitrer des points tels que le droit au télétravail ou encore l’aménagement du temps de travail qui sera imposé au salarié, selon le niveau d’autonomie attendu sur son poste.

Au cours de la vie du contrat, la fiche de poste servira de support aux managers et aux équipes RH pour évaluer le collaborateur dans la réalisation de ses missions, dans l’évolution de ses compétences et pour lui fixer de nouveaux objectifs à l’occasion des entretiens annuels d’évaluation. Le fait de s’appuyer sur la fiche de poste permet d’assurer l’objectivité de cette évaluation, fondée sur des attentes connues du collaborateur.

Le « plus » : la fiche de poste peut être utilisée comme outil pour construire des campagnes de communication externe à l’entreprise dans le cadre de présentation des métiers par exemple, pour donner de la visibilité aux besoins de recrutement ou pour attirer des talents. Elle peut se révéler être un outil facilitant dans la construction d’une politique de GEPP.

En fin de contrat, la fiche de poste peut permettre de sécuriser un licenciement : elle peut en effet servir de base à des motifs tels que l’insuffisance professionnelle ou la faute fondée sur un refus d’exécuter certaines fonctions. Il a été reconnu que l’employeur peut en effet licencier pour faute un salarié qui refuse de réaliser les missions inscrites sur sa fiche de poste [9]. La fiche de poste sera également utilisée, en cas d’inaptitude du salarié ou bien en cas de licenciement pour motif économique, pour les recherches de reclassement.

II. La nécessité d’une rédaction adaptée

A. Comment bien construire la fiche de poste ?

La fiche de poste ne peut pas être rédigée uniquement par le service RH.

Les managers, opérationnels, doivent concourir à sa construction afin d’apporter au service RH un appui sur l’aspect technique des missions et pour représenter au mieux la réalité du terrain.

L’objectif étant d’en faire un véritable outil de gestion, la fiche de poste doit, par ailleurs, être rédigée selon une méthode identique à toutes les fiches de poste. Cela en facilite la comparaison et permet aux différents acteurs de s’y retrouver plus facilement.

La fiche de poste ne comporte aucune obligation quant à son contenu.

En pratique, il est commun d’y faire figurer les éléments suivants :

  • l’intitulé du poste ;
  • la position dans l’organigramme et les relations avec les autres postes ;
  • le type de contrat ;
  • l’environnement et les conditions de travail (ex. : lieu de travail, rythme de travail, organisation) ;
  • la description des missions, activités et tâches (fréquence et importance) ;
  • les objectifs et résultats attendus selon la nature des fonctions ;
  • les difficultés du poste ;
  • le niveau de formation ou de diplôme requis ;
  • les savoir-être et savoir-faire à mobiliser sur le poste pour l’approche compétence (recrutement et évaluation).

Cette liste est bien entendu non limitative et dépend le plus souvent de choix pris en interne.

B. Précision et actualisation de la fiche de poste

En pratique, l’intérêt d’une fiche de poste et l’utilité qu’elle pourra avoir pour le salarié et l’employeur dépendront, en majorité, de son contenu.

En effet, une fiche de poste mal rédigée, imprécise voire erronée sur certains points sera non seulement inutile mais, surtout, pourrait avoir un effet désastreux dans le cadre d’un contentieux.

Outil rapidement obsolète, il est aussi très important que la fiche de poste soit actualisée, afin qu’elle évolue en même temps que le poste lui-même : nouvelles missions, introduction de nouvelles technologies, changement de rattachement hiérarchique … Il n’est en effet pas rare de constater, dans le cadre de certains dossiers, que la fiche de poste n’a pas changé alors même que les missions ont évolué au fil des années.

Or, lorsque des difficultés apparaissent relativement aux missions à exécuter, l’employeur doit pouvoir se fonder sur une fiche de poste actualisée.

À défaut, il prend le risque de ne pas pouvoir faire les constats souhaités ou pire, de permettre au salarié d’alimenter un argumentaire visant à faire constater une modification du contrat de travail.

C. Les enjeux de la mise à jour de la fiche de poste

Même si elle est jointe au contrat de travail, la fiche de poste n’a pas nécessairement de valeur contractuelle.

En effet, le contenu de cette fiche de poste ne fait pas l’objet, en principe, d’une validation de la part du collaborateur.

La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé qu’il n’y avait pas de modification du contrat de travail, dès lors que les nouvelles tâches confiées au salarié correspondaient à sa qualification et n’avaient aucune incidence sur sa rémunération [10]. L’employeur peut même affecter temporairement un salarié à des travaux différents mais correspondant à sa qualification sans qu'il en résulte une modification du contrat ou des conditions de travail [11].

Le conseil pratique : attention toutefois à la rédaction du contrat, dans lequel il conviendra de bien rappeler que :

  • la fiche de poste a une valeur informative ;
  • les missions et responsabilités définies dans ce cadre peuvent être modifiées par l’employeur en fonction de l’évolution du poste et des besoins de l’activité de l’entreprise, afin de limiter les risques à cet égard.

    [1] Cass. soc., 6 mars 2019, n° 17-27.896, F-D N° Lexbase : A0018Y33.

    [2] Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-42.296, FS-P+B N° Lexbase : A7658GAU.

    [3] CA Versailles, 10 novembre 2016, n° 16/00269 N° Lexbase : A42618TY.

    [4] Cass. soc., 15 septembre 2021, n° 19-23.909, F-D N° Lexbase : A9192449.

    [5] Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 19-21.881, F-D N° Lexbase : A171438Y.

    [6] Cass. soc., 23 novembre 2016, n° 15-21.470, F-D N° Lexbase : A3610SLB.

    [7] Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-30.224, F-D N° Lexbase : A5028HTE.

    [8] Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-12.011, FS-P+B N° Lexbase : A58943CB.

    [9] Cass. soc., 2 décembre 2014, n° 13-28.505, FS-P+B N° Lexbase : A0689M7N.

    [10] Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 09-40.087, F-D N° Lexbase : A3730GBR.

    [11] Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 17-17.676, F-D N° Lexbase : A7895X48.

    newsid:483342

    Discrimination

    [Brèves] Les exigences liées à l’exercice de la profession de steward ne justifient pas d’interdire aux hommes une coiffure autorisée aux femmes

    Réf. : Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 21-14.060, FP-B+R N° Lexbase : A97068TN

    Lecture: 4 min

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    par Lisa Poinsot

    Le 23 Novembre 2022

    ► La perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin et l'image de marque de la compagnie aérienne ne peuvent pas constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes.

    Faits et procédure. Un salarié, engagé en qualité de steward, s’est présenté coiffé de tresses africaines nouées en chignon lors d’un embarquement, lequel lui a été refusé par son employeur. Selon ce dernier, une telle coiffure n’est pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme par le personnel navigant commercial masculin.

    Ce manuel donne, en effet, certaines consignes relatives à la coiffure :

    • pour les hommes : « les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise. »
    • pour les femmes : « les tresses africaines sont autorisées à condition d’être retenues en chignon. »

    Le salarié est, par la suite, sanctionné puis licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement au sein de l’entreprise.

    Avant d’être sanctionné et licencié, le salarié saisit la juridiction prud’homale, de demande de paiement de dommages et intérêts pour discrimination.

    La cour d’appel (CA Paris, 6 novembre 2019 , n° 14/08200 N° Lexbase : A9846ZTT) se fonde sur une perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin. Elle constate, en premier lieu, que le manuel de port de l’uniforme des personnels naviguant commerciaux masculins n’instaure aucune différence entre les cheveux lisses, bouclés ou crépus et donc aucune différence de traitement entre l’origine des salariés. Le reproche fait au salarié concernant sa coiffure est considéré sans rapport avec la nature de ses cheveux.  

    En second lieu, les juges du fond affirment que si le port de tresses africaines nouées en chignon est autorisé pour le personnel naviguant féminin, l’existence de cette différence d’apparence, admise à une période donnée entre hommes et femmes en termes d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut être qualifiée de discrimination.

    Enfin, les juges du fond utilisent l’argumentation de l’image de marque de la compagnie aérienne et l’obligation de porter un uniforme pour justifier que les restrictions imposées au personnel masculin relatives à la coiffure étaient nécessaires pour permettre l’identification du personnel.

    Par conséquent, les agissements de l’employeur sont considérés comme non motivés par une discrimination directe ou indirecte. La cour d’appel en déduit que ces agissements sont justifiés par des raisons totalement étrangères à tout harcèlement.

    Le salarié forme alors un pourvoi en cassation.

    La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel sur le fondement des articles L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P, L. 1132-1 N° Lexbase : L0918MCY, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954, du 6 août 2012 N° Lexbase : L8784ITI, et L. 1133-1 N° Lexbase : L8177LQW du Code du travail, mettant en œuvre en droit interne les articles 2, § 1, et 14, § 2, de la Directive n° 2006/54/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L4210HK7.

    La Haute juridiction rappelle que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché, c’est-à-dire une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15 N° Lexbase : A4830T3B).

    En l’espèce, la compagnie aérienne a interdit au salarié de se présenter à l'embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon. Pour pouvoir exercer ses fonctions, le salarié a dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n'est pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin. Il en résulte que l'interdiction faite au salarié de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l'apparence physique en lien avec le sexe.

    Pour aller plus loin :

     

    newsid:483399

    Distribution

    [Brèves] Revirement : la faute grave de l’agent commercial découverte postérieurement à la résiliation du contrat ne le prive pas de son droit à indemnité

    Réf. : Cass. com., 16 novembre 2022, n° 21-17.423, FS-B N° Lexbase : A28488TN

    Lecture: 5 min

    N3379BZ8

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    par Vincent Téchené

    Le 23 Novembre 2022

    ► L'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

    Faits et procédure. Un agent commercial, ayant résilié le contrat le liant à sa mandante, a assigné cette dernière en paiement des indemnités de rupture et de préavis et en communication de pièces.

    La cour d’appel (CA Versailles, 6 mai 2021, n° 19/08531 N° Lexbase : A00484R9) ayant rejeté l’ensemble des demandes de l’agent commercial, il a formé un pourvoi en cassation.  

    Décision. La Cour de cassation apporte ici deux précisions, dont l’une (la première), de première importance, constitue un revirement de jurisprudence. 

    • Sur l’indemnité due à l’agent commercial en présence d’une faute grave de ce dernier découverte postérieurement à la rupture

    Concernant l’indemnité de rupture, la Cour de cassation censure d’abord l’arrêt d’appel au visa des articles L. 134-12, alinéa 1er N° Lexbase : L5660AIH, et L. 134-13 N° Lexbase : L5661AII du Code de commerce, transposant les articles 17 § 3 et 18 de la Directive n° 86/653/CEE, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants N° Lexbase : L9726AUR.

    Pour rappel, si en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, cette indemnité n'est pas due notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

    Or, la Chambre commerciale juge régulièrement que les manquements graves commis par l'agent commercial pendant l'exécution du contrat, y compris ceux découverts par son mandant postérieurement à la rupture des relations contractuelles, sont de nature à priver l'agent commercial de son droit à indemnité (Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-14.115, F-D N° Lexbase : A2173EY7 ; Cass. com., 24 novembre 2015, n° 14-17.747, F-D N° Lexbase : A0802NYD  ; Cass. com., 19 juin 2019, n° 18-11.727, F-D N° Lexbase : A3002ZGB).

    Toutefois, comme le relève la Cour de cassation, la CJUE, par un arrêt du 28 octobre 2010 (CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-203/09, points 38, 42 et 43 N° Lexbase : A7809GC9), a rappelé, que, « aux termes de l'article 18, sous a), de la Directive, l'indemnité qui y est visée n'est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat » pour « un manquement imputable à l'agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai ». En outre, la CJUE a ajouté qu’« en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l'article 18, sous a), de la Directive est d'interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité non expressément prévue par cette disposition » et considéré que « lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, sous a), de la Directive. Par conséquent, l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat ».

    Par ailleurs, la CJUE a aussi énoncé, dans un arrêt du 19 avril 2018 (CJUE, 19 avril 2018, aff. C-645/16, paragraphe 35 N° Lexbase : A3324XLP), que « toute interprétation de l'article 17 de cette Directive qui pourrait s'avérer être au détriment de l'agent commercial était exclue ».

    En conséquence, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence : elle retient ainsi qu’en considération de l'interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

    Elle censure donc l’arrêt d’appel qui, pour rejeter la demande d'indemnité, a retenu qu'il importe peu que, découvert postérieurement à la rupture, un manquement à l'obligation de loyauté ne soit pas mentionné dans la lettre de résiliation si ce manquement, susceptible de constituer une faute grave, a été commis antérieurement à cette rupture.

    • Sur le droit de communication de l’agent commercial  

    Pour rappel, l’article R. 134-3 du Code de commerce N° Lexbase : L9998HYX prévoit que l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier, un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.

    Or, en l’espèce, pour rejeter la demande de communication de documents comptables, l'arrêt d’appel a retenu que l’agent commercial n'apporte aucun élément de nature à justifier une activité particulière de sa part dans les départements visés et auprès des clients concernés avant la date de cessation du contrat ayant généré des opérations conclues principalement grâce à son activité, dans un délai raisonnable après cette date.

    La Haute juridiction en conclut fort logiquement qu’en statuant ainsi, alors que l’agent commercial était en droit d'exiger de son mandant la communication de tous les documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions susceptibles de lui être dues, la cour d'appel a violé les articles L. 134-6 N° Lexbase : L5654AIA, L. 134-7 N° Lexbase : L5655AIB et R. 134-3 du Code de commerce.

    Sur ce second point, la Cour de cassation opère un simple rappel.

    newsid:483379

    Droit des étrangers

    [Questions à...] La problématique du contentieux de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière - Questions à Cédric Meurant, Maître de conférences en droit public, Université Jean Moulin Lyon 3

    Lecture: 22 min

    N3356BZC

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    Le 24 Novembre 2022

    Mots clés : oqtf • étrangers • situation irrégulière • éloignement • laisser-passer consulaires

    Comme le démontrent encore la récente affaire de l’Océan Viking, qui a donné lieu à une passe d’armes entre les dirigeants français et italiens, ou du meurtre de la petite Lola qui a enflammé le monde politique, l’éloignement des étrangers en situation irrégulière fait l’objet d’une mise en lumière quasi-permanente dans le débat hexagonal, au gré des faits divers ou de l’approche d’échéances électorales. Sujet délicat, qui mêle juridisme foisonnant, limites matérielles de l’intervention étatique et tensions diplomatiques, il symbolise une forme d’impuissance publique à faire respecter sa législation, puisque seulement environ 10 % des obligations de quitter le territoire français sont réellement exécutées, passant même à 5,6 % pour le premier semestre 2021. Pour faire le point sur cette thématique d’une actualité brûlante, Lexbase Public a interrogé Cédric Meurant, Maître de conférences en droit public, Université Jean Moulin Lyon 3*.


     

    Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler le fonctionnement du mécanisme de l'OQTF ?

    Cédric Meurant : L’obligation de quitter le territoire français (OQTF) est une décision administrative adoptée par le préfet compétent [1] qui prescrit au ressortissant étranger en situation irrégulière de sortir du territoire français. Elle appartient à la famille des décisions administratives qui organise l’éloignement forcé, contraint, des ressortissants étrangers. Cette catégorie de décisions administratives est ancienne [2]mais elle a eu tendance à se perfectionner et à se complexifier dans les années quatre-vingt, au point que leur nature juridique – et le régime juridique qui leur est applicable – a pu poser question : ces décisions étaient-elles des mesures de police administrative ou des sanctions ? Dans une fameuse décision clôturant ce débat [3], le Conseil constitutionnel a opté pour la première branche de l’alternative en jugeant en outre que seul le juge administratif pouvait connaître de ces mesures d’éloignement adoptées dans le cadre de prérogatives de puissance publique [4]. La législation relative aux mesures d’éloignement s’est ensuite étoffée à plusieurs reprises dans les années 1990 et 2000.

    Ce n’est formellement qu’avec la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative à l'immigration et à l'intégration N° Lexbase : L3439HKL, que le législateur a créé la catégorie des « obligations de quitter le territoire français » pour mettre fin à la pratique contestable des « invitations à quitter le territoire français » qui accompagnaient les décisions préfectorales refusant les titres de séjour [5]. Cette première OQTF était prise en conséquence du refus de titre de séjour décidé par le préfet. Elle fixait également le pays de destination du ressortissant étranger – bien souvent son pays d’origine – et devait être exécutée dans un délai d’un mois. La loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité N° Lexbase : L4969IQ4,  perfectionna ensuite les OQTF en transposant la Directive « retour » (Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 N° Lexbase : L3289ICS). Ainsi, la loi distingua d’une part, les OQTF « 48h » qui devaient être spontanément exécutées par les ressortissants étrangers dans un délai de… deux jours (ces OQTF sont les héritières des anciens arrêtés de reconduite à la frontière) ; d’autre part, les OQTF « 30 jours » qui devaient être exécutées dans un délai de… trente jours. Les réformes législatives du 7 mars 2016 (loi n° 2016-274, relative au droit des étrangers en France N° Lexbase : L9035K4E) et du 10 septembre 2018 (loi n° 2018-778, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie N° Lexbase : L9696LLP) – la dernière en date –, confortèrent cet édifice en le raffinant néanmoins encore davantage.

    L’OQTF n’est pas la seule décision administrative à avoir pour finalité l’éloignement forcé d’un ressortissant étranger : d’autres existent mais se différencient de l’OQTF par leur régime juridique. Ainsi, la mesure d’expulsion (CESEDA, art. L. 630-1 N° Lexbase : L3675LZ7) a la particularité de produire des effets juridiques après son exécution – c’est-à-dire l’expulsion. En effet, la mesure d’expulsion interdit alors en outre au ressortissant étranger de revenir sur le territoire français. Cette rigueur explique que cette mesure soit édictée par le ministre de l’Intérieur après une procédure particulière et ne puisse être exercée que dans des cas limités : elle n’a effectivement pas pour objet de tirer les conséquences d'une violation des règles relatives au séjour, mais de sauvegarder l’ordre public en éloignant une personne de nationalité étrangère qui, pour s’en tenir à l’essentiel, constituerait à ce titre une menace grave. Par exemple, l’imam Iquioussen a récemment fait l’objet d’une mesure d’expulsion [6]. En second lieu, l’OQTF ne doit pas être confondue avec les mesures de réadmission qui permettent par exemple (CESEDA, art. L. 621-2 N° Lexbase : L3666LZS) à l’administration d’éloigner le ressortissant étranger qui séjourne en France en violation de la Convention Schengen vers un État signataire de ce traité. La procédure est proche de celle qui existe pour l’OQTF, même si des subtilités demeurent.

    Aujourd’hui, et depuis l’entrée en vigueur le 1er mai 2021 du nouveau Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le préfet qui souhaite édicter une OQTF doit se fonder sur différents motifs (CESEDA, art. L. 611-1 N° Lexbase : L3601LZE) comme par exemple : l’entrée puis le séjour irréguliers sur le territoire français (1°), le maintien irrégulier en France après l’expiration du visa ou du titre de séjour (2°), le séjour irrégulier (3°), le refus définitif de reconnaître la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire (4°), etc. Par ailleurs, la procédure d’édiction d’une OQTF est dérogatoire de la procédure de « droit commun » prévue par le Code des relations entre le public et l’administration. En effet, et suivant une jurisprudence constante, le législateur a « entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger » l’OQTF [7]. Autrement dit, la loi spéciale – le CESEDA – déroge à la lex generalis des relations entre le public et l’administration – le Code des relations entre le public et l’administrtion. Par exemple, si l’autorité préfectorale doit évidemment examiner particulièrement et personnellement la situation du ressortissant étranger [8], la motivation de l’OQTF peut se confondre avec celle du refus de titre de séjour lorsque la première est adoptée en conséquence du second [9], tandis que, dans cette même hypothèse, les droits de la défense sont regardés comme respectés lorsque le ressortissant étranger a été entendu avant l’édiction du refus de titre de séjour [10].

    Comme toutes les décisions administratives, les OQTF sont exécutoires de plein droit. Ainsi, le ressortissant étranger doit exécuter spontanément cette mesure d’éloignement (CESEDA, art. L. 711-1 N° Lexbase : L3717LZP, l’étranger peut alors bénéficier d’une aide au retour) en rejoignant l’État dont il a la nationalité ou un État dans lequel il est légalement admissible (CESEDA, art. L. 711-2 N° Lexbase : L3718LZQ, ces dispositions précisant sur ce dernier point qu’il ne peut s’agir d’un État-membre de l'Union européenne, la République d'Islande, la Principauté du Liechtenstein, le Royaume de Norvège ou la Confédération suisse). Pourtant, parmi les 143 226 mesures d’éloignement adoptées en 2021, seulement 10 091 ont été exécutées [11].

    Cette situation, qui interroge tant les agents de État que les juges sur le sens de leur mission [12] peut s’expliquer pour différentes raisons.

    Lexbase : Quels sont les principaux obstacles à sa mise en œuvre ?

    Cédric Meurant : En principe, aucun obstacle ne devrait entraver l’exécution des OQTF. Bien au contraire : le législateur a prévu un régime dérogatoire qui doit faciliter la bonne application de ces OQTF. Ainsi, les OQTF sont en règle générale assorties d’une série de décisions administratives connexes comme, par exemple, la décision fixant le pays de destination (CESEDA, art. L. 612-2 N° Lexbase : L3617LZY). Il s’agit bien souvent, mais pas seulement, de l’État dont le ressortissant étranger a la nationalité (CESEDA, art. L. 721-4 N° Lexbase : L3723LZW), l’octroi au ressortissant étranger d’un délai de départ volontaire en principe de trente jours (CESEDA, art. L. 612-1 N° Lexbase : L3616LZX), l’interdiction administrative de rester sur le territoire français (CESEDA, art. L. 612-6 N° Lexbase : L3632LZK et s.).

    De plus, la loi a autorisé les services compétents – la police aux frontières – à exécuter d’office les OQTF après l’expiration du délai de départ volontaire (CESEDA, art. L. 722-3 N° Lexbase : L3738LZH). En outre, le législateur a étoffé les pouvoirs préfectoraux en créant deux dispositifs portant atteinte à la liberté individuelle des ressortissants étrangers pour assurer l’exécution des OQTF (sous réserve de la réunion de certaines conditions) : d’une part, et en principe (en vertu de l’article 15 de la Directive « retour »), l’assignation administrative à résidence (CESEDA, art. L. 730-1 et s. N° Lexbase : L3744LZP ; d’autre part, le placement en rétention administrative (CESEDA, art. L. 740-1 N° Lexbase : L3229LZM et s.). Enfin, nouvelle manifestation de la pénalisation du droit des étrangers, la loi prévoit paradoxalement à présent qu’un ressortissant étranger qui ne s’acquitterait pas spontanément de son obligation de quitter le territoire français s’exposerait à une peine de trois ans de prison (CESEDA, art. L 824-9 N° Lexbase : L4921L7E). Cette peine est également applicable si la personne étrangère se soustrait aux modalités de transport qui lui sont désignées ou aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office de la mesure dont il fait l'objet. En effet, avec la pandémie de Covid-19, de nombreux États étrangers ont conditionné l’accès à leur territoire à la présentation d’un test PCR négatif. Or, 82 % des personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement refusaient ce test [13].

    Pourtant, le taux d’exécution des OQTF demeure particulièrement faible – c’est un euphémisme. Cette défaillance peut s’expliquer pour de nombreuses raisons qui peuvent notamment (outre la soustraction du ressortissant étranger à la mesure d’éloignement ou la difficulté d’identifier une personne en situation irrégulière qui ne dispose naturellement pas toujours de documents d’identité) être d’ordre juridique ou matériel et diplomatique. En premier lieu, l’exécution des OQTF peut être entravée pour des motifs juridiques. Tout d’abord, certaines catégories de ressortissants étrangers ne peuvent purement et simplement pas faire l’objet d’une OQTF. C’est par exemple le cas des étrangers mineurs ; des étrangers qui justifient résider habituellement en France depuis l’âge de leurs 13 ans ; du ressortissant étranger marié depuis trois ans au moins avec une personne de nationalité française ; du ressortissant étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, etc. (CESEDA, art. L. 611-3 N° Lexbase : L7589L79).

    Ensuite, dans l’hypothèse dans laquelle l’OQTF a été édictée, elle ne pourra pas être exécutée d’office avant l’expiration du délai de départ volontaire (en principe, trente jours) laissé au ressortissant étranger pour quitter spontanément la France.

    Elle ne pourra pas non plus être exécutée d’office avant l’expiration du délai de recours pour contester l’OQTF devant les juridictions administratives. Ce délai de recours peut coïncider avec le délai de départ volontaire lorsque ce dernier est de trente jours (V. infra). De plus, lorsque le juge administratif a été saisi d’un recours juridictionnel dirigé contre l’OQTF (et les actes connexes), celle-ci ne pourra pas être exécutée avant que le juge n’ait statué sur le recours. En effet, et par dérogation à la « règle fondamentale du droit public » d’absence de caractère suspensif des recours juridictionnels en contentieux administratif [14], la loi a conféré une telle caractéristique au recours pour excès de pouvoir exercé contre l’OQTF (CESEDA, art. L. 722-7 N° Lexbase : L3779LZY). C’est une exigence de la Directive « retour ». Enfin, ces mêmes dispositions précisent que l’éloignement effectif du ressortissant étranger ne peut pas non plus intervenir avant l’expiration du délai ouvert pour contester la décision fixant le pays de renvoi si celle-ci a été notifiée après l’OQTF (ce qui demeure rare). L’OQTF ne pourra évidemment a fortiori pas être exécutée lorsqu’elle aura été annulée par le juge administratif. De même, l’annulation de la seule décision fixant le pays de destination du ressortissant étranger – par exemple s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESEDA, art. L. 721-4) – pourra entraver l’exécution de l’OQTF.

    En second lieu, le défaut d’exécution des OQTF peut résulter de motifs matériel et diplomatique. En effet, l’éloignement d’un ressortissant étranger présente en filigrane un arrière-plan diplomatique. Si l’édiction d’une OQTF par les autorités étatiques françaises est effectivement une manifestation de la souveraineté dont l’État est titulaire – tant pour maintenir l’ordre public que pour contrôler les frontières –, il n’en demeure pas moins que l’exécution de cette décision ne peut s’opérer qu’avec l’accord de l’État de retour du ressortissant étranger (désigné dans la décision fixant le pays de renvoi) ; lui-même étant également souverain et ayant la maîtrise de ses propres frontières. Certes, le ressortissant d’un État peut en règle générale librement accéder à l’État dont il a la nationalité [15]. Or, dans l’écrasante majorité des cas, les ressortissants étrangers sont éloignés à destination de l’État dont ils ont la nationalité. Par conséquent, le franchissement de la frontière par le ressortissant étranger éloigné ne devrait poser aucun problème. Mais encore faut-il que ce dernier puisse justifier de sa nationalité en produisant des documents d’identité. Or, c’est ici que le bât blesse : compte tenu de la précarité de sa situation ainsi que des conditions entourant son départ de son pays d’origine, il peut arriver qu’un ressortissant étranger soit dans l’incapacité de présenter ces documents. Certes, il existe des sanctions pénales pour les ressortissants étrangers récalcitrants qui ne présenteraient volontairement pas les documents de voyage permettant l’exécution de l’OQTF ou, en leur absence, qui refuseraient de communiquer les renseignements permettant cette exécution (CESEDA, art. L. 824-1 N° Lexbase : L4272LZA). Mais en l’absence de ces documents, l’État (supposé) d’origine des ressortissants étrangers éloignés n’est pas tenu de les accueillir. Pour surmonter cet obstacle, le préfet qui a édicté l’OQTF doit alors solliciter un laissez-passer auprès du chef de poste consulaire de l’État dont l’étranger éloigné est réputé être le ressortissant. Ce « laissez-passer consulaire » est (la définition peut varier en fonction des États…) un « document officiel délivré par les autorités consulaires » de l’État de destination et « se substituant à un document officiel pour établir la nationalité de la personne concernée » (aux termes de la définition donnée par l’art. 1er §. 5. de l’accord franco-autrichien du 20 avril 2007, relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière). Ce document est usuellement établi pour un seul voyage et une durée maximale (trente jours dans la réglementation française, selon l’article 5 du décret n° 2004-1543 du 30 décembre 2004, relatif aux attributions des chefs de poste consulaire en matière de titres de voyage N° Lexbase : L5265GUK). Mais, s’agissant d’un problème tel que le contrôle souverain des frontières, la délivrance de ces autorisations administratives ne peut qu’être discrétionnaire, et même gracieuse. Autrement dit, pour que l’OQTF soit exécutée, encore faut-il que l’État à destination duquel le ressortissant étranger est éloigné soit coopératif. C’est bien souvent faute de ce laissez-passer que l’éloignement ne peut avoir lieu. En effet, on évalue à 53,7 % les laissez-passer consulaires délivrés en temps utile [16].

    Lexbase : Comment remédier à la problématique de l'absence des laisser-passer consulaires ?

    Cédric Meurant : Il n’y a par définition pas de réponse univoque à cette question relative à une problématique fondamentalement souveraine – l’admission par un État d’un ressortissant qui ne justifie pas de sa nationalité – qui n’appelle qu’une réponse diplomatique. Deux hypothèses coexistent. Dans la première, la France et l’État de retour réputé être celui dont le ressortissant étranger a la nationalité n’ont pas réglé par un traité international bilatéral le cas dans lequel la nationalité ne pourrait pas être à coup sûre établie, soit parce qu’aucune convention internationale en matière d’immigration n’est intervenue entre eux, soit parce que la convention bilatérale qui organise leurs relations n’envisage pas cette situation. À titre d’illustration – et pour prendre des exemples tirés de la récente « crise des laissez-passer consulaires » (ou crise des visas) avec les États algérien, marocain et tunisien –, ni l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ni l’accord franco-marocain du 9 octobre 1987, ni l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988 n’envisagent ce problème. Dans ce cas, l’État requis par la mesure d’éloignement est, dans les limites de sa législation nationale, libre de délivrer le laissez-passer consulaire à la personne éloignée par la France.

    Dans la seconde hypothèse, l’État français et l’État de retour qui doit accueillir le ressortissant étranger ont envisagé dans une convention bilatérale comment résoudre le cas de l’admission du ressortissant étranger dont la nationalité serait incertaine. Par exemple, l’accord du 2 avril 2007 entre la France et le Gouvernement de la République de Maurice relatif à la réadmission et au transit des personnes en situation irrégulière (décret n° 2008-16 du 3 janvier 2008, portant publication de l'accord N° Lexbase : L7181H3D) envisage différentes voies pour surmonter cette situation. Ainsi, ce traité distingue l’hypothèse dans laquelle la nationalité d’un ressortissant de l’un de ces deux États est établie (art. 2.1 : grâce à la production de documents d’identité, d’un passeport, d’un document de voyage, etc.) de celle dans laquelle elle est seulement présumée (art. 2.2. : un document d’identité ou de voyage périmés ; un document de la Partie requise établissant l’identité de l’intéressé comme un acte de naissance, un livret de famille ; des titres de séjour périmés). Dans ce dernier cas, un laissez-passer consulaire doit être délivré par la Partie requise (art. 3.2). En cas de doute sur la présomption de nationalité, la convention prévoit une procédure permettant de lever les incertitudes (art. 3.4 : audition du ressortissant étranger par la Partie requise). Autre exemple, l’accord franco-autrichien du 20 avril 2007 relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (loi n° 2018-692 du 3 août 2018, autorisant son approbation N° Lexbase : L6078LLP) prévoit des procédures similaires. Cette hypothèse dans laquelle les conventions bilatérales comportent des clauses de délivrance des laissez-passer consulaires demeure très rare.

    La diplomatie française gagnerait peut-être à renégocier sur le modèle de ces deux exemples les conventions conclues avec les États avec lesquels la France a organisé ses rapports en matière d’immigration. Mais ce n’est évidemment pas chose aisée : une telle négociation internationale ne constitue alors qu’un pion parmi d’autres sur l’échiquier des relations diplomatiques entretenues par la France et l’autre État qui peuvent être éminemment complexes… Néanmoins, une telle problématique a au moins le mérite de rappeler que l’éloignement des ressortissants étrangers – et plus largement, le droit des étrangers – présente fondamentalement un ressort diplomatique qui est souvent perdu de vue dans nos débats publics sur ce sujet.

    Lexbase : Comment le juge administratif se positionne-t-il dans cette procédure de l'OQTF ?

    Cédric Meurant : Le juge administratif est compétent pour connaître de la légalité des OQTF en vertu de la décision susmentionnée de 1989 [17]. Le contentieux des OQTF relève en l’état de l’excès de pouvoir. Néanmoins, les règles de son intervention sont infiniment complexes, ainsi que l’a souligné récemment le rapport préparé sous la direction du Président adjoint de la Section du contentieux du Conseil d’État, Jacques-Henri Stahl, à propos de l’ensemble du contentieux des étrangers [18]. Cela pose un problème évident pour des justiciables étrangers qui ne maîtrisent la plupart du temps pas la langue française ou les méandres procéduraux de la réglementation française, a fortiori lorsqu’ils sont donc une situation précaire. D’autant plus que ce trait de caractère du contentieux des étrangers est également dénoncé par des experts comme les juges et les avocats. D’où les propositions actuelles de réformer le contentieux des étrangers – y compris celui des mesures d’éloignement [19] – qui devraient au moins partiellement être reprises dans le projet de loi « immigration » qui devrait être discuté au Parlement en début d’année prochaine. 

    Ainsi, les modalités de jugement d’une OQTF – la formation de jugement ; le délai de recours contentieux pour contester l’OQTF ; le délai de jugement – varient en fonction d’une série de paramètres qui tiennent tant aux motifs justifiant l’OQTF que de la présence d’éventuelles décisions administratives connexes. Tout d’abord – et cela concerne de nombreux contentieux –, les OQTF assorties d’un délai de départ volontaire et motivées par le refus de délivrer au ressortissant étranger un titre de séjour, de le renouveler, voire de le retirer, par le comportement menaçant du ressortissant étranger pour l’ordre public, ou encore par la violation du Code du travail par le ressortissant étranger qui a exercé une activité professionnelle, ne peuvent être contestées que dans un délai de recours contentieux de trente jours et sont jugées, après les conclusions du rapporteur public (qui peut néanmoins s’en dispenser : CJA, R. 732-1-1 N° Lexbase : L0864IYN), par une formation collégiale dans un délai de trois mois.

    Ensuite, les OQTF assorties d’un délai de départ volontaire et fondées sur l’entrée et le maintien irréguliers du ressortissant étranger sur le territoire français, le séjour irrégulier du ressortissant étranger après une entrée régulière, ou le refus définitif de reconnaître la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire sont, compte tenu de ces motifs, jugées plus rapidement que les précédentes et suivant des modalités procédurales allégées. Ainsi, ces OQTF sont examinées sans conclusions d’un rapporteur public, par un juge unique (le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin) qui doit être saisi dans un délai de quinze jours après la notification de la décision et qui doit statuer dans un délai de six semaines à compter de sa saisine (CESEDA, art. L. 614-5 N° Lexbase : L3645LZZ).

    Enfin, les OQTF qui ne sont pas assorties d’un délai de départ volontaire doivent être jugées encore plus rapidement et suivant des formes encore plus allégées. Ainsi, un juge unique (le président du tribunal) peut être saisi dans un délai de quarante-huit heures après la notification de cette mesure (CESEDA, art. L. 614-6 N° Lexbase : L3646LZ3).

    Les choses se compliquent encore davantage lorsque le ressortissant étranger fait, outre l’OQTF, l’objet d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention administrative. Dans cette hypothèse, et compte tenu de l’atteinte à la liberté individuelle du ressortissant étranger, le président du tribunal doit en tout état de cause être saisi dans un délai de quarante-huit heures et il doit ensuite statuer dans un délai de quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours (CESEDA, art. L. 614-7 N° Lexbase : L3647LZ4 et s.). Par ailleurs, le contentieux de la décision de placement en rétention relève, compte tenu de l’atteinte à la liberté individuelle du ressortissant étranger, de la compétence du juge judiciaire (article 66 de la Constitution N° Lexbase : L0895AHM), et plus précisément du juge des libertés et de la détention (CESEDA, art. L. 741-10 N° Lexbase : L3356LZC). Cela contribue naturellement à complexifier davantage le contentieux de l’éloignement.

    * Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


    [1] C’est-à-dire le préfet du département dans lequel le séjour irrégulier a été constaté : CAA Douai, 16 juin 2016, n° 16DA00635 N° Lexbase : A495173R.

    [2] Par ex., à propos de l’expulsion d’un prétendant au trône royal français : CE, 2 août 1836, Naundorff, Lebon, p. 393.

    [3] Cons. const., décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, N° Lexbase : A8203ACS, §. 17-31.

    [4] C’est la première application de la célèbre décision « Conseil de la concurrence » : Cons. const., décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 N° Lexbase : A8153ACX, §. 15-23, GAJA n° 80.

    [5] Pratique qui, d’ailleurs, a resurgi ces derniers mois. Sur la nature juridique de ces « invitations » : CE, Avis, 27 octobre 2022, n° 462766 N° Lexbase : A22168RI.

    [6] CE, référé, 30 août 2022, n° 466554 N° Lexbase : A52988GC).

    [7] CE, Sect., 19 avril 1991, n° 120435 N° Lexbase : A9896AQL, Lebon p. 148.

    [8] CE, Avis, 4 juin 2012, n° 356505 N° Lexbase : A4065INU, Lebon T. p. 630.

    [9] CE, Avis, 19 octobre 2007, n° 306821 N° Lexbase : A8000DYX, Lebon p. 426.

    [10] A propos du débat relatif à l’application de l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne N° Lexbase : L8117ANX, comp. : CAA Lyon, 14 mars 2013, n° 12LY02704 N° Lexbase : A9253KAX, GAJAL, n° 3 ; CE, 4 juin 2014, n° 370515 N° Lexbase : A0202MQK, Lebon p. 152).

    [11] Ce qui équivaut à un taux d’exécution de 9,3 % selon le rapport sénatorial de F.-N. Buffet, Services de l'Etat et immigration : retrouver sens et efficacité (n° 626), 10 mai 2022, p. 15.

    [12] V. en dernier lieu s’agissant de ces derniers : H. Bronnenkant, Pour redonner du sens au contentieux des étrangers, AJDA, 2022 p. 454.

    [13] J.-N. Buffet, Rapport préc., p. 16.

    [14] CE, Ass., 2 juill. 1982, n° 25288 N° Lexbase : A1806ALH, Lebon, p. 257 ; CJA, art. L. 4 N° Lexbase : L2611ALB.

    [15] C’est un principe général bien établi du droit international ; par ex. : art. 13, §. 2 DUDH ; art. 12 §. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; art. 3 du Protocole n° 4 CEDH.

    [16] F.-N. Buffet, Rapport préc., p. 15.

    [17] Cons. const., décision n° 89-261 DC du 22 juillet 1989, §. 17-31, préc.

    [19] J.-H. Stahl, Rapport préc. ; F.-N. Buffet, Rapport préc.

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    Droit pénal de l'environnement

    [Jurisprudence] Délit de pollution des eaux : qui peut et n’empêche, ne pèche pas toujours !

    Réf. : Cass. crim., 6 septembre 2022, n° 21-81.708, F-D N° Lexbase : A61798HC

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    par Adeline Costes, Doctorante à l’Université de Bordeaux

    Le 25 Novembre 2022

    Mots-clés : pollution • déchets • omission • responsabilité du fait personnel • interprétation stricte de la loi pénale

    Le fait pour le propriétaire de ne pas prendre les mesures permettant de prévenir le dépôt de déchets sur son terrain ne constitue pas le délit de pollution prévu par l’article L. 216-6 alinéa 3 du Code de l’environnement qui exige un fait personnel d’abandon ou de jet de déchets.


     

    Le propriétaire d’un terrain est poursuivi pour avoir jeté ou abandonné des déchets dans les eaux superficielles ou souterraines se trouvant sur ses parcelles, faits incriminés par l’article L. 216-6, alinéa 3 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7875K9K. Pour l’en déclarer coupable, la cour d’appel, après avoir relevé la présence des déchets sur le terrain du prévenu, énonce que le propriétaire ne peut s’exonérer de sa responsabilité en arguant qu’il s’agit de dépôts sauvages sur lesquels il n’a aucune maitrise dès lors qu’il lui appartenait de prendre des dispositions afin de prévenir pareils dépôts.

    Le prévenu forme alors un pourvoi en cassation au moyen tiré de la violation des articles 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) N° Lexbase : L4797AQQ, 111-4 du Code pénal N° Lexbase : L2255AMH et L. 216-6 du Code de l’environnement, la cour d’appel étant entrée en voie de condamnation à son encontre pour ne pas avoir pris des dispositions pour prévenir le dépôt de déchets sur ses terrains alors que l’incrimination fondant la condamnation réprime des actes positifs.

    La Cour de cassation devait dès lors se prononcer sur l’application de l’article L. 216-6, alinéa 3 du Code de l’environnement à l’inaction du propriétaire sur le terrain duquel des déchets ont été déposés.

    Elle juge, dans cet arrêt du 6 septembre 2022, au visa des articles 593 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3977AZC et L. 216-6 du Code de l’environnement, que la cour d’appel s’est déterminée « par des motifs ne caractéris[ant] pas à la charge du prévenu un fait personnel entrant dans les prévisions de la loi » de sorte que la cassation est encourue. La solution de la Cour rappelle une règle classique du droit pénal général : celui désigné auteur de l’infraction doit avoir commis personnellement (II.) le fait incriminé (I.).

    I. Nécessité d’un fait incriminé

    En énonçant que la cour d’appel n’avait pas caractérisé un fait « entrant dans les prévisions de la loi », la Cour de cassation indique que l’infraction de jet ou d’abandon de déchets ne peut consister dans le fait, pour le propriétaire d’un terrain, de ne pas prendre les mesures nécessaires pour éviter les dépôts de déchets sur son terrain. Pareille affirmation ne saurait être contestée. L’article L. 216-6, alinéa 3 du Code de l’environnement réprime en effet uniquement le jet ou l’abandon de déchets. Si de tels actes n’ont pas été définis par la jurisprudence et qu’il est difficile d’en dégager les traits au regard de la rareté des décisions rendues sur ce fondement, ils évoquent un acte positif : celui d’ « envoyer à quelque distance » [1], pour ce qui est du jet, ou de « renoncer à un pouvoir, à des droits, à la possession d'un bien ou à l'utilisation d'une chose » [2], s’agissant de l’abandon, ce qui évoque la définition retenue par le Code de l’environnement en matière de gestion des déchets [3]. Certes, la Chambre criminelle a jugé, pour ne pas transmettre une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 216-6 du Code de l’environnement, que ces dispositions étaient « suffisamment claires et précises pour permettre leur interprétation et leur sanction, qui relèvent de l'office du juge, sans que quiconque puisse être condamné pour une action ou une omission qui ne constituerait pas une infraction » [4] ; la discussion était cependant seulement relative à l’alinéa 1er de l’article L. 216-6. Or, contrairement à l’alinéa 1er qui réprime le fait de laisser s’écouler des substances nuisibles dans certaines eaux, l’alinéa 3 du même article n’incrimine pas le fait de laisser-faire [5]. Si l’alinéa 1er laisse envisager une omission punissable, ce n’est pas le cas de l’alinéa 3. L’inaction, le fait de ne pas empêcher le jet ou l’abandon de déchets, n’est donc pas répréhensible. N’est pas davantage réprimé tout fait en lien avec la situation illicite [6] que constitue la présence irrégulière de déchets : si tel avait été le cas, les éléments retenus par la cour d’appel, cette seule présence combinée à l’inaction du propriétaire, auraient été suffisants.

    II. Nécessité d’un fait personnellement commis

    Tout fait personnel en lien avec la présence illicite de déchets n’est donc pas incriminé par l’article L. 216-6 alinéa 3 du Code de l’environnement. Seuls le jet et l’abandon le sont, et ne peuvent être caractérisés par la seule inaction du propriétaire. La présence de déchets sur le terrain du propriétaire, constatée par la cour d’appel, a pu établir une partie de l’infraction : des déchets ont nécessairement été abandonnés ou jetés. Elle ne permet cependant pas d’établir que le propriétaire a commis le fait personnel spécifiquement incriminé, le jet ou l’abandon. Les éléments sur lesquels la cour d’appel s’est fondée sont donc insuffisants et ne permettent pas de retenir la constitution de l’infraction à l’encontre du propriétaire.

    Jugeant de cette manière, la Chambre criminelle parait écarter, de manière fort classique, une forme de commission par omission : l’inaction du propriétaire ne saurait suppléer l’acte positif incriminé lorsque la loi ne le prévoit pas. La Cour de cassation n’a pas toujours été si rigoureuse en la matière [7]. Pourtant, la Chambre criminelle, alors que le pourvoi l’y invitait, ne rend pas sa décision au visa de l’article 111-4 du Code pénal relatif au principe d’interprétation stricte de la loi pénale, qui supposait de reconnaître une violation de la loi, mais au regard de l’article 593 du Code de procédure pénale, traduisant le défaut de base légale. C’est que l’insuffisance des motifs ne permet pas à la Cour de cassation d’opérer son contrôle sur la qualification juridique des faits [8]. Reste à la cour d’appel de renvoi de trouver dans les faits les éléments suffisants permettant de caractériser le jet ou l’abandon des déchets par le propriétaire.

     

    [1] TLFi, Vo Jeter, I. A [en ligne].

    [2] TLFi, Vo abandonner, I. A. 1. a) [en ligne].

    [3] C. env., art. L. 541-3, III N° Lexbase : L1473LWH : « tout acte tendant, sous le couvert d'une cession à titre gratuit ou onéreux, à soustraire son auteur aux prescriptions du chapitre I, du titre IV, du livre cinquième du code de l'environnement et des règlements pris pour son application. ».

    [4] Cass. crim., 24 mars 2015, 14-81.897, F-D N° Lexbase : A6719NEL : J.-H.Robert, obs., RSC, 2015 p. 337.

    [5] B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, coll. Précis, 27è éd., 2021, p. 234, note 3.

    [6] J.-H. Robert, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 207.

    [7] V. not. Cass. crim., 3 juin 2015, n° 13-87.405, F-D N° Lexbase : A2221NKH : O. Decima, RPDP, 2015, p. 903 ; S. Detraz, note, Gaz. Pal., 2015, n° 223 p. 20 ; J.-H. Robert, obs. Dr. Pén., 2015, comm. 114.

    [8] J. et L. Boré, La cassation en matière pénale, Dalloz, coll. Dalloz Action, 4è éd., 2017, p. 317.

    newsid:483324

    Entreprises en difficulté

    [Jurisprudence] La créance née après l’adoption d’un plan, une créance « ni ni »

    Réf. : Cass. com., 26 octobre 2022, n° 21-13.474, F-B N° Lexbase : A00928RT

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    N3350BZ4

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    par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

    Le 28 Novembre 2022

    Mots-clés : créance de restitution née de l’anéantissement d’une décision de condamnation du débiteur • fait générateur • arrêt de cassation infirmant la décision de condamnation • créance de droit commun • arrêt des mesures d’exécution frappant le créancier (non)

    La créance de restitution résultant de l’anéantissement d’une décision de justice condamnant le débiteur au paiement naît de cet anéantissement. Si ce dernier intervient après l’adoption d’un plan, la créance qui en résulte est une créance de droit commun non soumise à la discipline collective. Le créancier peut en obtenir l’exécution.


     

    En droit des entreprises en difficulté, il existait traditionnellement une summa divisio entre les créances. Les créances antérieures étaient soumises à la discipline collective : pour l’essentiel, arrêt des poursuites individuelles et des mesures d’exécution, interdiction des paiements et obligation de déclaration au passif. Les créances postérieures, quant à elles, devaient être payées à l’échéance et n’étaient donc pas soumises à la discipline collective.

    Cette distinction existe toujours. Cependant, en 2005, le législateur (loi n° 2005-845, du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT) a introduit un distinguo entre les créances postérieures : seules celles qui correspondent à une certaine finalité sont émancipées de la discipline collective, les autres, les créances postérieures non méritantes, sont soumises à la discipline collective. La summa divisio est donc aujourd’hui celles des créances postérieures méritantes et celles des autres créances.

    Mais, pour être une créance postérieure au jugement d’ouverture, encore faut-il que la créance naisse à un moment précis. C’est ce que nous permet de comprendre l’arrêt commenté.

    En l’espèce, un jugement du 9 septembre 2014 a condamné la société Delta security solutions (la société Delta) à payer à la société Avenir telecom la somme de 53 679,33 euros à titre de dommages et intérêts. Le 4 janvier 2016, la société Avenir telecom a été mise en redressement judiciaire.

    Un arrêt d'appel du 25 octobre 2016 [1] a confirmé le jugement du 9 septembre 2014, sauf sur le montant de la condamnation, et condamné la société Delta à payer à la société Avenir telecom la somme principale de 434 412,22 euros. La société Delta, qui a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, a payé la somme de 389 927 euros entre les mains du mandataire judiciaire de la société Avenir telecom, le 15 décembre 2016. Le 10 juillet 2017, a été arrêté le plan de redressement de la société Avenir telecom sur dix ans.

    Par un arrêt du 14 février 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt précité du 25 octobre 2016 du chef de la condamnation de la société Delta. Sur le fondement de cet arrêt de cassation, la société Delta a délivré à la société Avenir telecom un commandement aux fins de saisie-vente, afin d'obtenir le paiement de la somme de 389 927 euros versée en exécution de l'arrêt cassé du 25 octobre 2016. La société Avenir telecom et son mandataire judiciaire ont assigné la société Delta en annulation de ce commandement, devant le juge de l'exécution.

    La question posée à la Cour de cassation était de savoir si la créance de restitution résultant de la cassation de la décision de condamnation pouvait, après l’adoption du plan, faire l’objet d’une exécution.

    La Cour de cassation, rejetant le pourvoi du débiteur et de son mandataire judiciaire, va répondre à la question par l’affirmative : « l'arrêt de cassation constitue une décision de justice faisant naître un droit à restitution de la somme versée en exécution de la décision cassée. Les créances nouvelles, nées après l'arrêté d'un plan de redressement du débiteur remis à la tête de ses biens, sont soumises au droit commun. Lorsqu'est soumis à une procédure collective le débiteur d'une créance de restitution née d'un arrêt de cassation, la détermination de la date de naissance de cette créance dépend de la date de l'arrêt de cassation ». Par conséquent, juge la Cour de cassation, « la créance de restitution de la société Delta, née de l'arrêt de cassation du 14 février 2018, pouvait donner lieu à la délivrance du commandement aux fins de saisie-vente ».

    Pour comprendre la solution, il convient de raisonner en trois temps.

    Tout d’abord, il convient de déterminer le fait générateur de la créance de restitution née de la cassation d’une décision ayant condamné le débiteur au paiement. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que les créances de restitution résultant de la réformation d’une décision de justice sur le fondement de l’exécution provisoire de laquelle le paiement est intervenu ont pour fait générateur la décision de réformation [2]. À  titre d’exemple, il a été jugé que la créance de remboursement appartenant à un administrateur judiciaire condamné à titre personnel en responsabilité, si la décision de condamnation est réformée, prend naissance lors de la décision de réformation [3].

    C’est cette solution que reproduit ici la Cour de cassation pour la créance de restitution naissant de la cassation de la décision de condamnation [4]. Par conséquent, la créance de restitution née de la cassation, postérieurement à l’adoption d’un plan de redressement, d’une décision ayant confirmé un jugement de condamnation, est une créance qui ne peut être qualifiée de créance antérieure.

    Mais cette créance est-elle une créance postérieure au sens de l’article L. 622-17 du Code de commerce N° Lexbase : L9123L7Z ? Là se situe le deuxième temps du raisonnement. Certes, cette créance est née après le jugement d’ouverture. Mais, parce qu’elle est née après l’adoption du plan, sa date de naissance se situe après la fin de la procédure collective. Après adoption du plan de sauvegarde ou de redressement, le débiteur redevient maître de ses droits et biens : il est in bonis. Une fois le plan de sauvegarde ou de redressement adopté, le débiteur ne connaît plus les contraintes inhérentes à la procédure collective, sous la seule réserve de l’exécution du plan. Il s’ensuit que, par principe, les créances naissant après le plan n’ont plus la qualité de créances postérieures. La solution posée pour le plan de continuation de la loi du 25 janvier 1985 [5] est transposable aux plans de sauvegarde et de redressement de la loi de sauvegarde. Par conséquent, sa créance n’est pas née pendant la procédure collective et ne peut bénéficier de la qualification de créance postérieure. Il s’agit donc d’une créance de droit commun, une  créance « ni-ni », ni antérieure ni postérieure.

    C’est alors le troisième temps du raisonnement. Puisque cette créance est une créance de droit commun, elle peut être recouvrée selon les voies du droit commun. Les règles de la discipline collective ne peuvent concerner des créances nées en dehors de toute procédure collective. Il en résulte que le créancier peut obtenir l’exécution du titre, à savoir la décision ayant cassé l’arrêt d’appel qui avait confirmé le jugement de condamnation. L’arrêt de cassation constitue donc le titre fondant la créance de restitution, titre qui peut être librement porté à exécution.

    La solution est heureuse pour le créancier. Car, s’il avait eu la malchance d’obtenir la cassation de l’arrêt d’appel avant l’adoption du plan, en période d’observation, il aurait été titulaire d’une créance postérieure. Mais, faute pour celle-ci de remplir les conditions d’éligibilité au traitement préférentiel posées à l’article L. 622-17, cette créance aurait été soumise à la discipline collective. C’est en effet le triste sort réservé aux créances postérieures de restitution.

    Terminons en faisant toutefois une dernière observation. Il existe une catégorie de créance qui a la qualité de créance postérieure au sens de l’article L. 622-17 du Code de commerce, alors que cette créance est née après l’adoption du plan. Il s’agit de la créance née pour les « besoins du déroulement de la procédure ». La naissance de cette créance peut dépasser le cadre strict de la période d’observation. Il en est ainsi, par exemple, des créances d’honoraires des mandataires de justice qui passent les actes nécessaires à l’exécution du plan, qui terminent la vérification du passif ou qui assurent la surveillance de l’exécution du plan. L’article L. 622-17 du Code de commerce vise d’ailleurs spécialement ces « créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure », sans les enfermer dans la limite de la période d’observation [6].

    Sous cette réserve, bien heureux les titulaires de créances « ni-ni ». Le royaume de l’exécution est à eux !


    [1]  CA Aix-en-Provence, 21 janvier 2021, n° 19/01604 N° Lexbase : A25354DA.

    [2] Cass. com., 8 décembre 1998, n° 96-21.540, publié N° Lexbase : A2223A44, RJDA, 1999/2, p. 153, n° 193 – Cass. com., 21 janvier 2003, n° 00-12.372, F-D N° Lexbase : A7390A4H, Act. proc. coll., 2003/5, n° 54 ; Rev. proc. coll., 2003, p. 148, n° 9, obs. C. Saint-Alary-Houin ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, mais 2003, n° 61 N° Lexbase : N6213AAD.

    [3] CA Paris, 5-8, 22 septembre 2009, n° 08/16042 N° Lexbase : A7019ELK.

    [4] CA Paris, 16-A, 4 juin 2008, n° 07/07581 N° Lexbase : A2609D9I, Act. proc. coll., 2008/17, n° 264, Rev. proc. coll., 2009/5, p. 48, § 115, note C. Saint-Alary-Houin.

    [5] Cass. com., 3 avril 1990, n° 88-19.807, publié N° Lexbase : A4156AGZ, D., 1990. 385, note M. Jeantin ; RTD com., 1990, 497, n° 3, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 1990, 232, n° 3, obs. C. Saint-Alary-Houin ; JCP E, 1990, II, 15829, note M. Cabrillac – TI Niort, 12 septembre 1994, Rev. proc. coll., 1995, 299, n° 2, obs. C. Saint-Alary-Houin.

    [6] Partageant l’analyse, F. Macorig-Venier, in Traité des procédures collectives, sous la dir. de B. Soinne, M. Menjucq et B. Saintourens, LexisNexis, 3ème éd., 2021, n° 1615.

    newsid:483350

    Fiscalité des particuliers

    [Jurisprudence] Plus-value de cession à titre onéreux de biens immobiliers et travaux de construction

    Réf. : CAA Nancy, 22 septembre 2022, n° 21NC00319 N° Lexbase : A46188KA

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    N3339BZP

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    par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII

    Le 22 Novembre 2022

    Mots-clés : travaux de construction • impôt sur le revenu • plus-value de cession • administration fiscale • immeuble

    Majoration du prix de revient du coût de travaux de construction : la réalité des travaux doit être prouvée par le contribuable. Telle est la solution dégagées par la CAA de Nancy dans un arrêt du 22 septembre 2022.


     

    Dans cette espèce, un contribuable cède en 2016 un appartement et une place de parking pour le prix de 120 200 euros. Une plus-value brute de 23 149 euros est réalisée. L’administration lui fait savoir qu’elle entend rectifier le montant de la plus-value imposable, sur le fondement de l’article L. 55 du LPF N° Lexbase : L5685IEB. À défaut de réponse, sont mis en recouvrement les suppléments d’IR et de contributions sociales.

    Contentieux. Saisi, le TA de Strasbourg rejette la demande du requérant (TA Strasbourg, 12 janvier 2021, n° 1908213). Devant la CAA de Nancy, le requérant avance plusieurs griefs au soutien de ses prétentions.

    ► Premier grief : selon lui, c’est à mauvais droit que l’administration considère que le coût des travaux sur les parties communes représente 148/1000ème ; il estime que sa quote-part des travaux sur les parties communes - à inclure dans le prix de revient - est de 148/500ème. Pour justifier sa position, il avance qu’il a acquis – à la suite du partage de l’indivision – 500/1000ème de la copropriété.

    ► Second grief : c’est à mauvais droit que l’administration refuse de prendre en compte les travaux réalisés par une entreprise individuelle « K Construction rénovation ». Il regarde les travaux justifiés, les factures régulières (cf. notamment le logo de l’entreprise et le numéro de Siren) ; certes, ces factures ne mentionnent pas le lieu du chantier mais il n’y a pas d’obligation en la matière selon le requérant. Que ces factures n’aient pas été comptabilisées par l’entreprise n’emporte pas exclusion du coût des travaux du prix de revient. Sur ces fondements, il demande à ce que la plus-value objet du litige soit fixée à 23 230,08 euros.

    La CAA de Nancy ne fait pas droit à ses demandes.

    Cette dernière fait lecture de l’article 150 U du CGI N° Lexbase : L4526MBA : les plus-values réalisées par les personnes lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis sont passibles de l’IR (cf. CGI, arts. 150 V N° Lexbase : L1883HN3 à 150 VH N° Lexbase : L0458IHG[1]. Quant à l’article 150 V du CGI, il dispose que la plus-value ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits (cf. les articles 150 U à 150 UC N° Lexbase : L3832KWT) est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition par le cédant. Le prix d’acquisition se trouve majoré (cf. CGI, art. 150 VB N° Lexbase : L3213LCY) – sur justification – des dépenses de construction, de reconstruction, d’agrandissement ou d’amélioration qui sont supportées par le vendeur et réalisées par une entreprise depuis l’achèvement de l’immeuble (ou son acquisition si elle est postérieure). Encore faut-il que ces dépenses n’aient pas déjà été prises en compte pour la détermination de l’IR et qu’elles ne relèvent pas de la catégorie des dépenses locatives.

    Ici, le requérant a construit – avec un co-indivisaire – l’immeuble en question ; il s’agit d’un bien à usage d’habitation avec six appartements et huit parkings formant quatorze lots. L’ensemble immobilier est partagé – cf. l’acte authentique signé en 2015 – entre les deux constructeurs ; au requérant revient la moitié des lots de la copropriété.

    Ceci posé, il convient de cogiter sur les deux catégories de travaux effectués : les travaux de construction propres aux lots vendus, les travaux de construction des parties communes. Quant aux travaux de construction propres aux lots vendus, il appert que l’administration a écarté les dépenses de construction/reconstruction/d’agrandissement/d’amélioration déclarées par le requérant dans deux factures (46 560 et 2700 euros). Il s’agit de travaux réalisés par l’entreprise individuelle « K Construction rénovation » mentionnée en amont. Aux dires de l’administration, la réalité des travaux n’est pas justifiée : factures produites dépourvues de numéro, factures adressées à une adresse différente de celle de l’immeuble litigieux, factures ne figurant pas en comptabilité. De surcroît, le numéro de Siren indiqué sur les factures est celui de l’entreprise personnelle du requérant (ayant par ailleurs cessé son activité). Enfin, le juge regarde les montants de ces factures « incompatibles avec le chiffre d’affaires déclaré au titre de l’année 2015 ». Il s’ensuit que la réalité des travaux de construction n’est pas établie par les factures présentées. L’administration pouvait à bon droit refuser de les prendre en compte pour l’appréciation de la valeur d’acquisition du bien ayant fait l’objet de la vente.

    Passons maintenant aux travaux de construction des parties communes. La quote-part des parties communes des lots vendus par le requérant est de 148/1000ème (cf. le règlement de copropriété). De ce simple constat, il est logique – selon la CAA de Nancy - que l’administration retienne une part de 148/1000ème du coût des travaux des parties communes de l’immeuble quand vient le temps de calculer le coût d’acquisition des lots vendus ; est retenu alors le montant de 4 403 euros. Quid de la pertinence de l’assertion du requérant quand il soutient qu’il ne détenait plus – consécutivement à l’acte de partage – que 500/1000ème de la copropriété ? L’acte de partage en question n’emporte pas modification de la consistance des lots et du calcul des tantièmes au sein de la copropriété. Le requérant ne saurait donc soutenir que la quote-part des travaux des parties communes – susceptibles d’être rattachée aux lots ayant fait l’objet de la vente – est égale à 148/500ème. Le juge ajoute même – avec presque une forme d’ironie - que la méthode retenue ne modifierait en rien la donne et ne conduirait pas à faire droit à ses prétentions ; en effet, le raisonnement du requérant aboutit in fine à déterminer une quote-part de 74/500ème, « ce qui ne changerait rien au montant de 6571 euros admis par le service dans le coût d’acquisition au titre des parties communes en application du coefficient de 148/1000ème ».  

    Sur le fondement de l’ensemble des éléments retenus, la CAA de Nancy estime que le TA de Nancy a, à bon droit, rejeté la demande du requérant.

    Cet arrêt de la CAA de Nancy peut servir de prétexte pour revenir sur la controverse qui est survenue pendant plusieurs années à propos de l’article 150 VB-II-4° du CGI. Ce dernier dispose : « Le prix d'acquisition est, sur justificatifs, majoré : […] 4° Des dépenses de construction, de reconstruction, d'agrandissement ou d'amélioration, supportées par le vendeur et réalisées par une entreprise (…) ». En d’autres termes, et par la négative, les travaux ne peuvent être pris en compte, selon l’administration, pour majorer le prix d’acquisition s’ils sont réalisés par le contribuable ou si les matériaux sont achetés par lui (si installation par une entreprise il y a, sont prises en compte les seules dépenses d’installation des matériaux).

    Or, des juges du fond se sont opposés pendant plusieurs années à cette lecture – développée par l’administration - de l’article 150 VP.

    Ainsi, selon la CAA de Nantes (CAA Nantes, 17 février 2011, n° 10NT00373 N° Lexbase : A1770HL7), « les dispositions précitées de l'article 150 VB du code général des impôts ne font pas obstacle à ce que le prix d'acquisition de matériaux et celui de leur pose soient pris en compte lorsque les matériaux ont été achetés par le contribuable à une entreprise et installés par une autre entreprise ».

    Le juge nantais récidive le 22 janvier 1015 (CAA Nantes, 22 janvier 2015, n° 13NT02327 N° Lexbase : A4956NDW) ; il est suivi par la CAA de Bordeaux (CAA Bordeaux, 8 février 2018, n° 15BX03667 N° Lexbase : A3157XHE) et la CAA de Lyon (CAA Lyon, 3 mai 2018, n° 16LY03935 N° Lexbase : A6860XMZ).

    La même année, le Conseil d’État tranche le débat herméneutique et désavoue les juges du fond ayant développé une jurisprudence libérale favorable aux intérêts des contribuables (CE 3° et 8° ch.-r.,, 12 octobre 2018, n° 419294, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3456YG4). Le ministre de l'Action et des Comptes publics s’était pourvu en cassation dans la mesure où la CAA de Bordeaux avait fait droit – partiellement – aux prétentions de la requérante, la déchargeant des cotisations supplémentaires d'IR et de contributions sociales à concurrence de la réduction des plus-values brutes réalisées (ainsi que de la majoration appliquée en vertu du a de l'article 1729 du CGI N° Lexbase : L4733ICB). Le Conseil d’État constate que les dépenses en question avaient été prises en compte dans le prix d'acquisition des biens alors même qu'elles correspondaient à des matériaux directement achetés par l'intéressée (pour une somme de 59 681,84 euros).

    En jugeant que l'administration avait à tort refusé, au titre des dépenses venant majorer le coût d'acquisition de l'immeuble, de tenir compte de cette somme, la CAA a entaché son arrêt d'une erreur de droit. Cette interprétation de l’article 150 VB-II-4° du CGI – point de majoration du prix d’acquisition en retenant les matériaux acquis par le cédant - n’est pas seulement littérale et restrictive ; elle est ridicule.

     

    [1] Sous réserve des dispositions propres aux BIC, aux BA et aux BNC.

    newsid:483339

    Fiscalité internationale

    [Brèves] Nouvelles données de l’OCDE mettant en lumière les risques d’évasion fiscale de la part des entreprises multinationales et la nécessité de mettre rapidement en œuvre la réforme fiscale internationale

    Réf. : OCDE, actualités, 16 novembre 2022

    Lecture: 3 min

    N3336BZL

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    par Marie-Claire Sgarra

    Le 25 Novembre 2022

    De nouvelles données publiées par l’OCDE révèlent la persistance des risques d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices (BEPS) et la nécessité de mettre en œuvre la solution reposant sur deux piliers pour faire en sorte que les grandes entreprises multinationales paient leur juste part d’impôt là où elles exercent leurs activités et génèrent des bénéfices [en ligne].

    La dernière édition annuelle des Statistiques de l'impôt sur les sociétés [en ligne], qui analyse plus de cent soixante pays et juridictions, comprend de nouvelles données agrégées issues des déclarations pays par pays sur les activités de près de 7 000 entreprises multinationales, ce qui représente un progrès considérable dans les efforts de transparence fiscale.

    Les nouvelles données des déclarations pays par pays montrent que la valeur médiane du chiffre d'affaires par salarié dans les juridictions qui appliquent un taux nul au titre de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IS) est de 2 millions USD, contre à peine 300 000 USD dans les juridictions où le taux de l’IS est supérieur à zéro.

    En outre, dans les centres d’investissement, le chiffre d’affaires avec des parties liées représente 35 % du chiffre d’affaires total, tandis que ce pourcentage s’établit aux alentours de 15 % en moyenne dans les pays à revenu élevé, intermédiaire et faible. Bien que ces effets puissent s’expliquer par des considérations commerciales, ils révèlent probablement aussi l’existence de pratiques de BEPS.

    Les données publiées montrent en outre que l’impôt sur les bénéfices des sociétés demeure une source importante de recettes fiscales pour la plupart des pays, en particulier dans les économies de marché en développement et émergentes. En moyenne, l’impôt sur les sociétés représente une part plus importante du total des recettes fiscales en Afrique (18,8 %), dans la région Asie-Pacifique (18,2 %) et en Amérique latine et dans les Caraïbes (15,8 %) que dans les pays de l’OCDE (9,6 %).

    Après des années de réductions des taux légaux de l’impôt sur les sociétés, les nouvelles données font état d’une stabilisation de ces taux en 2022, doublée d’un certain rétrécissement des bases d’imposition en 2021. En moyenne, le taux légal combiné de l’impôt sur les sociétés (administration centrale et administrations infranationales) appliqué dans l’ensemble des juridictions étudiées s’établissait à 20 % en 2022, contre 20 % en 2021 et 28 % en 2000.

    L’édition de l'année prochaine des Statistiques de l’impôt sur les sociétés analysera de nouvelles données issues des déclarations pays par pays couvrant deux années.

    newsid:483336

    Santé et sécurité au travail

    [Brèves] Inaptitude non professionnelle : pas de consultation du CSE si le médecin du travail précise que le reclassement du salarié est impossible

    Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2022, n° 21-17.255, F-B N° Lexbase : A29178T9

    Lecture: 4 min

    N3344BZU

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    Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/89947815-edition-n-925-du-24112022#article-483344
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    par Lisa Poinsot

    Le 23 Novembre 2022

    ► En cas d’inaptitude d’origine non professionnelle, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les représentants du personnel.

    Faits et procédure. Un salarié est placé en arrêt de travail pour maladie pendant plusieurs mois et à deux reprises durant l’année 2017.

    Le médecin émet l’avis suivant : « inapte – étude de poste et étude des conditions de travail réalisées le 15 novembre 2017. Échange avec l’employeur – l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

    Suivant cet avis, l’employeur licencie le salarié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

    Jugeant son licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié saisit la juridiction prud’homale.

    La cour d’appel (CA Amiens 14 avril 2021 n° 19/07875 N° Lexbase : A73514PX) retient qu’il résulte de la combinaison des articles L 1226-2 N° Lexbase : L8714LGT et L. 1226-2-1 N° Lexbase : L6778K9W du Code du travail que la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l’employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, peu important que le médecin du travail ait dispensé l’employeur de toute recherche de reclassement.

    En conséquence, le licenciement est considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. La cour d’appel condamne l’employeur à payer au salarié une somme à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois.

    L’employeur forme alors un pourvoi en cassation en soutenant qu’il n’est pas tenu de consulter les représentants du personnel lorsque le médecin du travail l’a dispensé de toute recherche de reclassement en mentionnant expressément, dans l’avis d’inaptitude que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé », ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

    Rappel. Lorsqu’un salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie non professionnelle et qu’il est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur :

    • doit proposer au salarié un autre emploi approprié à ses capacités en prenant en compte les préconisations du médecin du travail et après avis du CSE sur les postes de reclassement envisagés ;
    • peut rompre le contrat de travail d’un salarié déclaré inapte s’il justifie de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi (C. trav., art. L. 1226-10 N° Lexbase : L8707LGL et L. 1226-12 N° Lexbase : L7392K9N).

    La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel en application des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du Code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088, du 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C. Elle relève que l’avis du médecin du travail mentionnait que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. La mention doit être expresse pour que l’employeur soit dispensé de son obligation de reclassement et de son obligation de consultation du CSE.

    Pour aller plus loin :

    • même solution en cas d’inaptitude professionnelle : v. Cass. soc., 8 juin 2022, n° 20-22.500, FS-B N° Lexbase : A791674X ;
    • v. également : ÉTUDE : L’inaptitude médicale au poste de travail du salarié à la suite d’une maladie non professionnelle, La consultation du CSE, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2700XYN ;
    • v. aussi : INFO320, Le suivi médical du salarié, Droit social N° Lexbase : X4288CHB.

     

    newsid:483344

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