La lettre juridique n°524 du 18 avril 2013

La lettre juridique - Édition n°524

Éditorial

La censure du bonus-malus sur les tarifs de l'énergie ou la "journée de la marmotte"

Lecture: 4 min

N6662BTW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/8063325-edition-n-524-du-18042013#article-436662
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"On dit aux gouvernants, aux hommes d'Etat, aux peuples de s'instruire principalement par l'expérience de l'histoire. Mais ce qu'enseignent l'expérience et l'histoire, c'est que peuples et gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire et n'ont jamais agi suivant des maximes qu'on en aurait pu retirer"... Malheureusement -c'est selon-, la sentence d'Hegel ( in Leçons sur la philosophie de l'histoire) s'applique une nouvelle fois à nos gouvernants amnésiques, persuadés qu'il suffit de vouloir pour pouvoir...

La censure constitutionnelle du bonus-malus sur les tarifs de l'énergie, le 11 avril 2013, n'est une surprise ni pour les fiscalistes avertis, ni pour l'opposition parlementaire ayant déjà essuyé pareille déconvenue avec la "taxe carbone", ni même pour le présent Gouvernement habitué à la censure de ses dispositifs les plus emblématiques (la taxe à 75 %, la loi sur le logement social, la taxe sur les boissons énergisantes...).

Bref, entre "les affaires", les mauvais sondages, la récession et le "bashing", c'est un peu la "journée de la marmotte" pour le Président ! Comme dans ce film des années 90' d'Harold Ramis, avec Bill Murray et Andie MacDowell (pour les connaisseurs du genre), où le héros se lève et revit la même journée avec la somme de ses déboires, le Gouvernement reçoit son lot quotidien de déconvenues politiques, économiques et juridiques, sans pouvoir interférer sur le cours de l'histoire de ce "jour sans fin".

Pourtant, lorsque, par une décision du 29 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a retoqué la contribution carbone sur les produits énergétiques (dite "taxe carbone"), dont le régime était présenté à l'article 7 de la petite loi de finances pour 2010, les Sages avaient clairement donné leurs instructions, pour ne pas dire "fait la leçon". Dans un "considérant" des plus cinglants, ils retenaient alors que "par leur importance, les régimes d'exemption totale institués par l'article 7 de la loi déférée [étaient] contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et [créaient] une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques".

Que disent les Sages, renouvelés depuis lors, dans leur décision du 11 avril 2013 ? "Considérant, en premier lieu, que le dispositif de bonus-malus prévu par les dispositions de l'article 2 est réservé aux seules consommations domestiques ; que, d'une part, l'exclusion de toutes les consommations professionnelles est sans rapport avec l'objectif de maîtrise des coûts de production et de distribution des énergies de réseau ; que, d'autre part, l'exclusion du secteur tertiaire est de nature à conduire à ce que, en particulier dans les immeubles à usage collectif, des locaux dotés de dispositifs de chauffage et d'isolation identiques, soumis aux mêmes règles tarifaires au regard de la consommation d'électricité et de gaz et, pour certains, utilisant un dispositif collectif de chauffage commun, soient exclus ou non du régime de bonus-malus du seul fait qu'ils ne sont pas utilisés à des fins domestiques ; que ni les dispositions de l'article 2 ni aucune autre disposition ne prévoient, à l'égard des professionnels, un régime produisant des effets équivalents à un dispositif de tarification progressive ou de bonus-malus qui poursuive l'objectif que s'est assigné le législateur d'inciter chaque consommateur à réduire sa consommation d'énergies de réseau [...] ; qu'au regard de l'objectif poursuivi, les différences de traitement qui résultent du choix de réserver le dispositif prévu par l'article 2 aux seules consommations domestiques méconnaissent l'égalité devant les charges publiques". Enfin, "dans des immeubles collectifs d'habitation pourvus d'installations communes de chauffage, les dispositions de l'article 2 de la loi ne fixent pas des conditions de répartition du bonus-malus en rapport avec l'objectif de responsabiliser chaque consommateur domestique au regard de sa consommation d'énergie de réseau ; [...] ces dispositions n'assurent pas le respect de l'égalité devant les charges publiques, d'une part, entre les consommateurs qui résident dans ces immeubles collectifs et, d'autre part, avec les consommateurs domestiques demeurant dans un site de consommation résidentiel individuel". Fermez le ban, la messe est dite ! Et, c'est toute la substance de la loi "Brottes" qui s'envole.

En 2010 nous dénoncions déjà la "dentelle du bourreau de Béthune", la condamnation du 11 avril 2013 confirme la censure de ces dispositifs si alambiqués et emprunts d'exceptions qu'ils conduisent, au mieux, à leur inefficacité, au pire, à l'injustice sociale. "Le mieux est l'ennemi du bien", enseigne la vulgate...

Un brin bravache, le ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie note que "le Conseil constitutionnel n'a pas censuré le bonus-malus dans son principe mais dans son périmètre d'application" : la connaissance de nos Institutions enseignerait qu'il n'appartient pas aux Sages d'édicter la politique économique, sociale et fiscale de la Nation, mais de s'assurer de sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution. La rue de Montpensier ne condamnera jamais un dispositif fiscal en tant que tel, mais son régime ou ses modalités d'application, souvent pour rupture d'égalité justement, imprécision encore, ou obscurité de la loi. "Y a qu'à" élargir le dispositif à la consommation professionnelle et aller plus loin dans le décompte des consommations individuelles dans les immeubles équipés de chauffages collectifs, nous rassure-t-on ! Pour mémoire, c'est au forceps que le Gouvernement a arraché le vote de ce bonus-malus contesté dans les propres rangs de la majorité parlementaire... Aussi, il n'est pas certain que l'agenda des Assemblées permette un nouveau "tour de manège législatif" pour ce dispositif décrié ; ou alors, juste le temps qu'une éventuelle alternance parlementaire ne démantèle cette "usine à gaz"... Instabilité fiscale oblige.

newsid:436662

Avocats/Champ de compétence

[Pratique professionnelle] La médiation et le droit collaboratif ensemble : les nouveaux outils de l'avocat - Compte-rendu de la Commission ouverte mixte Droit collaboratif, procédure participative et Médiation du barreau de Paris

Lecture: 8 min

N6592BTC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/8063325-edition-n-524-du-18042013#article-436592
Copier

par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 27 Mars 2014

Le 19 mars 2013 se tenait à la maison du barreau la réunion de la Commission ouverte mixte Droit collaboratif, procédure participative et Médiation de l'Ordre des avocats au barreau de Paris. Animée par Maître Virginie Martins de Nobrega, avocat au barreau de Paris formée au droit collaboratif et médiatrice, cette réunion portait sur le thème : "Médiation et Droit collaboratif ensemble : les nouveaux outils de l'avocat". Cette réunion, conçue sur la forme d'un débat articulé autour de questions pensées par Maître Virginie Martins de Nobrega, avait pour objectif de questionner les avocats sur la problématique suivante : pour l'avocat d'aujourd'hui, procédure participative/droit collaboratif ET médiation ? Ou plutôt, procédure participative/droit collaboratif OU médiation ?

Durant deux heures, les responsables des deux commissions ouvertes, Maître Michèle Jaudel, pour la médiation, et Maître Nathalie Tisseyre-Boinet, pour le droit collaboratif et la procédure participative, ont présenté ces deux processus, et ont répondu au travers de leurs interventions à la question de savoir si ces deux modes alternatifs de résolution des conflits (MARC) étaient convergents ou antagonistes.

Les intervenantes ont d'abord présenté brièvement ces deux modes alternatifs de résolution des conflits et ont mis en avant leurs spécificités.

Descriptif de la médiation, du droit collaboratif et de la procédure participative.

La médiation est un processus structuré dans lequel deux parties au moins avec l'aide d'un tiers neutre, impartial, indépendant, diligent et compétent, se réapproprient leur litige en vue de trouver ensemble une solution à leur conflit ; et ce en dehors d'une décision judiciaire qui trancherait le litige soumis à la juridiction.

Le droit collaboratif, quant à lui, est une pratique plus récente que la médiation. Ce processus a été créé par un avocat américain. Dans le cadre d'une convention préalable, les avocats travaillent ensemble avec toutes les parties afin de les réunir pour trouver, comme en médiation, la meilleure solution pour résoudre leur litige. Il est important de préciser que les avocats qui pratiquent ce processus doivent y être spécifiquement formés puisque des techniques particulières sont utilisées, notamment la technique de la négociation raisonnée. De plus, et c'est là pour Nathalie Tisseyre-Boinet le paradoxe de l'avocat collaboratif, si le processus n'aboutit pas à un accord et que les parties décident d'aller au contentieux, les avocats doivent se retirer du dossier.

En France, le principe du droit collaboratif a été traduit par la procédure participative, qui a été insérée dans le Code civil par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (N° Lexbase : L9762INU) et par le décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 (N° Lexbase : L8264IRI). Si elle a pour origine le droit collaboratif, elle s'en distingue. En effet, les avocats n'ont pas à être spécifiquement formés et n'ont pas l'obligation de se retirer à la fin du processus si les parties décidaient de saisir le juge. En procédure participative, la loi prévoit deux temps : une étape conventionnelle pour trouver un accord amiable et une étape contentieuse si la première n'aboutissait pas.

Michèle Jaudel a tenu également à préciser que dans la médiation, seul le tiers, le médiateur, est obligatoirement formé. Le tiers est formé pour encadrer le processus, à la différence du droit collaboratif et de la procédure participative. N'y a-t-il pas une formidable opportunité pour le barreau de Paris de former aussi ses avocats à devenir des praticiens de la médiation à côté de leurs clients, s'interroge Maître Jaudel ?

Virginie Martins de Nobrega a ensuite invité ses consoeurs à mettre en avant, ce qui pour elles, sont les convergences de ces deux processus.

Convergences et ressemblances. Pour Nathalie Tisseyre-Boinet, dans les deux cas, sont utilisés les mêmes outils, notamment la négociation raisonnée. C'est une technique extrêmement performante pour amener les parties vers un accord. De même, les techniques de communication sont identiques. Dans les deux cas, insiste-t-elle, il s'agit de modes alternatifs de règlement des conflits. Les ressemblances sont donc manifestes. Michèle Jaudel souscrit parfaitement à ces énonciations. La modernité de cet outil permet d'avancer dans des délais très serrés. Et également, et parce qu'il s'agit d'un MARC, la possibilité est ouverte de chercher une solution adaptée à la question posée, contrairement au contentieux dont le règlement est enfermé, limité par le cadre de la demande formulée par le demandeur. En médiation tout comme en droit collaboratif, il est possible de sortir des points de droit du litige pour trouver une solution originale adaptée aux réels besoins des parties.

Incompatibilités ? Virginie Martins de Nobrega se demande tout de même s'il n'y a pas d'incompatibilités puisque en médiation, il y a un tiers au service des deux parties tandis qu'en droit collaboratif, il y a un avocat au service de son client. Pour Nathalie Tisseyre-Boinet c'est en effet un exercice délicat. En droit collaboratif, l'avocat doit rester au service de son client tout en travaillant avec l'autre partie, ce qui nécessite impérativement une formation spécifique permettant ce "grand écart". L'avocat reste le conseil de son client mais travaille en équipe : il défend les intérêts de son client, mais dans l'intérêt de tous. Michèle Jaudel souligne que, dans le processus de médiation, partie et avocat sont également à l'écoute des besoins de l'autre partie et que le moment de basculement du processus de médiation est un moment fort en direction de la solution lorsque les parties constatent qu'elles sont d'accord sur leur désaccord.

La forme de débat adoptée pour cette réunion a permis une grande interaction avec la salle, qui fut très vite intéressée par la question cruciale pour un avocat de la confidentialité des échanges dans ces deux MARC. Les intervenantes ont été invitées à s'exprimer sur ce point important.

Confidentialité. En droit collaboratif, la confidentialité est préservée grâce à la convention établie entre les parties dès le début du processus. C'est aussi pour préserver cette confidentialité que les avocats participant à un processus collaboratif doivent se retirer du dossier si l'affaire passe en contentieux. De plus, Nathalie Tisseyre-Boinet précise bien que la communication des pièces ne se fait pas au sens où on l'entend habituellement : les pièces sont posées sur la table et non photocopiées et remises à l'autre partie. Enfin, le cas échéant, certaines pièces "communiquées" peuvent être estampillées "Confidentiel - droit collaboratif". Ainsi, le juge n'est pas censé les recevoir. Michèle Jaudel apporte une information importante en précisant que tant dans le contrat collaboratif que dans le contrat de médiation, des clauses pénales peuvent être prévues afin de garantir le respect de la clause de confidentialité. Le rôle de l'avocat est ici très important, car il décidera des pièces à apporter au débat en fonction de leur impact sur la tournure de la résolution du litige (cf. techniques de négociation : préparation de la Meilleure solution de rechange (Mesore) ou de la Best alternative to a negociated agreement (Batna)). Il appartient aux avocats de jongler entre leur position et les conséquences juridiques et financières en cas de contentieux, et la recherche de justice négociée et apaisée favorisant la poursuite de la relation, éventuellement dans d'autres conditions, ou à tout le moins le "démêlement du noeud".

La lettre d'usage. La question se pose de modifier les lettres d'usage pour inviter les clients à recourir à un processus participatif ou collaboratif. Et Michèle Jaudel rappelle qu'il entre dans la déontologie de l'avocat d'informer le client de toutes les possibilités qui s'offrent à lui pour résoudre un conflit.

La liste des avocats. Il devrait y avoir, selon les participants à cette réunion, une liste des avocats pratiquant la médiation, le droit collaboratif et la procédure participative : cette liste pourrait être élaborée sous certaines conditions et selon certains critères. Nathalie Tisseyre-Boinet a d'ailleurs précisé que Madame Le Bâtonnier a chargé la Commission ouverte Droit collaboratif et procédure participative de centraliser cette liste pour le barreau de Paris.

Partant de ce rôle important de l'avocat dans la gestion de la confidentialité, Virginie Martins de Nobrega a invité ses consoeurs à exposer ce qui, selon elles, permettait de savoir si lorsque le client expose son cas, les MARC étaient une vraie alternative. Elle leur a également demandé de préciser, selon elles, quels étaient les critères pour choisir entre les différents modes alternatifs de règlement des conflits.

Comment savoir quel processus choisir ? Selon Nathalie Tisseyre-Boinet, il faut parler de "Justice participative". Les clients viennent voir les avocats car ils ont un problème, et pas nécessairement parce qu'ils veulent aller au contentieux. Pour aider un client, il convient de lui présenter toutes les façons de travailler sur un dossier : la médiation, la conciliation, le droit collaboratif, la procédure participative et le contentieux. Pour Michèle Jaudel également, il y a toute la partie du litige exprimée par le client, mais il peut y avoir d'autres raisons cachées liées à ce litige. Toutes ces raisons cachées influencent nécessairement les données juridiques le jour où le client expose son affaire à l'avocat. Dans le cadre d'une médiation ou d'un autre MARC, ces éléments cachés peuvent être mis à jour et permettre ainsi de traiter tout le conflit, et trouver une solution mieux adaptée.

Enfin, les deux intervenantes soulignent le fait que, dans le cadre de son devoir de conseil, l'avocat doit informer son client de toute la palette d'outils qui s'offre à lui pour régler un litige ou un conflit.

Il faut aussi prendre en compte tous les aspects du litige et les conséquences qu'il peut avoir quant au lien social qui peut se trouver rompu. L'avocat se doit de tout prendre en compte et de tout présenter à son client, lequel choisira le mode de règlement du litige en toute connaissance de cause.

Après avoir abordé les aspects théoriques de ces deux MARC, Virginie Martins de Nobrega a invité Nathalie Tisseyre-Boinet et Michèle Jaudel à parler des honoraires et de la pratique de facturation.

Les honoraires. En médiation, il y a le coût de l'avocat et celui du médiateur. Les honoraires du médiateur sont pris en charge, en général, par moitié par les deux parties. Il peut tout à fait être convenu entre les parties, dès le début de la médiation ou à l'occasion de l'élaboration de l'accord de médiation, que la charge des honoraires du médiateur sera répartie différemment entre elles et pouvant aller jusqu'à la prise en charge de la totalité par une seule. Selon Michèle Jaudel, en général, les honoraires ne sont pas très importants. En moyenne, une médiation conventionnelle coûte entre 3 000 et 5 000 euros, soit entre 1 500 et 2 500 euros par partie. Pour la médiation judiciaire, les tarifs sont fixés par chaque juridiction. Au niveau des honoraires, la pratique possible, tout comme dans un contentieux, est d'établir une convention d'honoraires avec son client en amont avec négociation d'un honoraire de résultat.

En droit collaboratif, les choses diffèrent un peu. L'avocat accompagne son client tout au long d'un protocole qui est réellement "ficelé". Il y a des réunions préalables, des entretiens avec l'avocat de l'autre partie, des réunions à quatre. En fait, les honoraires dans le cadre d'un processus collaboratif se règlent à l'heure. Et le nombre d'heures est assez important. Mais chaque heure est passée main dans la main avec le client. Le client ne cesse de voir la progression de son dossier et il ne peut pas y avoir de contestation d'honoraires. L'avocat percevra 100 % du travail qu'il aura effectivement fait dans le dossier. Pour ce qui est de la facturation, l'avocat en droit collaboratif peut faire une facturation mensuelle ou une facturation dès lors qu'un certain quota d'heures a été dépassé.

En guise de clôture de la séance, Virginie Martins de Nobrega avait demandé à ses consoeurs quels sont les trois mots qui caractérisent le plus ces deux processus de résolution des conflits. Performance, appropriation, pragmatisme, fut leur réponse commune.

newsid:436592

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Avril 2013

Lecture: 14 min

N6669BT8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/8063325-edition-n-524-du-18042013#article-436669
Copier

par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, membre du CERDP

Le 18 Avril 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, membre du CERDP, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts publiés au Bulletin rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 mars 2013. Dans le premier commenté par Emmanuelle Le Corre-Broly, la Haute juridiction consacre le caractère obligatoire de la demande en revendication nonobstant la poursuite du contrat (Cass. com., 12 mars 2013, n° 11-24.729, FS-P+B). Dans le second commentaire de cette chronique, le Professeur La Corre revient sur un arrêt dans lequel la Cour répond à la question de savoir si une dette de loyers d'un bail à usage d'habitation constitue ou non une créance postérieure méritante (Cass. com., 12 mars 2013, n° 11-24.365, FS-P+B+I).
  • Caractère obligatoire de la demande en revendication nonobstant la poursuite du contrat (Cass. com., 12 mars 2013, n° 11-24.729, FS-P+B N° Lexbase : A9689I9Q)

En application des dispositions de l'article L. 624-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3492ICC), le propriétaire d'un bien meuble qui n'est pas titulaire d'un contrat publié est tenu de revendiquer son bien dans un délai de trois mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc. Quel contenu formel doit revêtir cette demande ? Cette démarche demeure-t-elle impérative lorsque, dans ce même délai, une option pour la continuation du contrat en cours aura été formulée à la suite d'une mise en demeure adressée par le cocontractant d'avoir à opter sur la poursuite du contrat ?

Telles sont les questions au coeur d'un arrêt, rendu le 12 mars 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, appelé à la publication au Bulletin.

Au regard des faits de l'espèce, sur mise en demeure d'avoir à opter sur le sort du contrat adressée par le propriétaire, le locataire d'un bien meuble avait régulièrement poursuivi le contrat, avec l'avis conforme du mandataire judiciaire. Quelques mois après l'ouverture du redressement, la procédure fut convertie en liquidation judiciaire et le mandataire judiciaire désigné en qualité de liquidateur. Le propriétaire avait alors présenté une revendication, dont le bien-fondé fut diversement apprécié par les juges du fond, certains (le juge-commissaire et la cour d'appel) ayant accueilli celle-ci, d'autres (le tribunal) n'y ayant pas fait droit. Pour sa part, la Chambre commerciale casse l'arrêt d'appel (CA Besançon, 27 juillet 2011, n° 10/03007 N° Lexbase : A1176HXT) qui avait considéré que le courrier de demande de prise de position sur la poursuite du contrat, qui avait été transmis au mandataire judiciaire, devait s'analyser en une demande de revendication susceptible d'acquiescement. Sa position est motivée ainsi : "en statuant ainsi, alors que la lettre précitée [la mise en demeure d'avoir à opter sur le sort du contrat], qui n'invitait pas son destinataire à se prononcer sur le droit de propriété de la bailleresse sur le bien, ne valait pas demande en revendication, la cour d'appel a violé les textes susvisés [articles L. 624-9 et R. 624-13 N° Lexbase : L0913HZT du Code de commerce dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008 N° Lexbase : L2777ICT et du décret du 12 février 2009 N° Lexbase : L9187ICA]".

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt.

Le premier -le plus évident- tient à ce que la demande en revendication doit impérativement inviter son destinataire à se prononcer sur le droit de propriété. La solution apparaît parfaitement logique dans la mesure où la revendication a pour objet de rendre opposable à la procédure collective le droit de propriété. Or, aucune invitation en ce sens n'est contenue dans une mise en demeure d'avoir à opter sur la poursuite d'un contrat en cours. Comme l'a remarqué un auteur, il faut en outre constater "que la continuation du contrat en cours et l'action en revendication ne mettent pas en jeu les mêmes rapports juridiques. La continuation du contrat n'intéresse que les rapports entre les parties au contrat, à savoir le cocontractant et le débiteur. Au contraire, l'action en revendication n'a pas d'effet immédiat entre les parties au contrat. Elle intéresse les rapports entre le propriétaire du bien et la procédure collective. Il s'agit, pour le premier, d'opposer son droit de propriété à la procédure collective" (1).

Il n'en demeure pas moins que, ainsi que le souligne l'arrêt rapporté, dans l'hypothèse où le destinataire de la demande en revendication est également celui de la mise en demeure d'avoir à opter, rien n'interdit à celui qui revendique d'interroger le destinataire, en même temps et donc dans le même courrier, sur la poursuite du contrat portant sur le bien revendiqué.

Un second enseignement semble devoir être tiré de cet arrêt. On peut, en effet, en déduire que l'option en faveur de la poursuite du contrat (qui avait été exercée en l'espèce, ainsi que le mentionne le moyen annexé au pourvoi) ne dispense pas le propriétaire d'avoir à revendiquer. Cette question divisait jusqu'alors la doctrine, un auteur considérant que la continuation du contrat ne dispensait pas le propriétaire d'avoir à revendiquer (2), cependant qu'un autre, focalisé sur une jurisprudence ancienne rendue sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction initiale, était d'un avis contraire (3). Cette question est en effet loin d'être nouvelle et sa réponse a connu une évolution induite par les législations successives.

Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction initiale (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), aucune coordination n'avait été opérée par le législateur entre les règles de la continuation des contrats et celles des revendications. Devant le silence du texte sur la question, la Cour de cassation (4) avait tranché en faveur de l'absence de nécessité de revendiquer lorsque le contrat avait été régulièrement continué à l'intérieur du délai de revendication (à l'époque, trois mois à compter du jugement d'ouverture).

Sous l'empire de la loi de 1985 modifiée par la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7), puis sous l'empire de la loi de sauvegarde dans sa rédaction initiale (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), la question de savoir si le propriétaire était contraint de revendiquer alors que le contrat était poursuivi ne se posait plus car le législateur avait pris le soin de coordonner les règles de la continuation des contrats et des revendications. En effet, si le bien faisait l'objet d'un contrat en cours, le délai de revendication ne commençait à courir qu'à compter de la résiliation ou du terme du contrat (C. com., art. L. 624-9, al. 2, ancien N° Lexbase : L3777HBI). En conséquence, il n'était pas question de revendiquer tant que le contrat était continué puisque le contrat demeurait alors en cours.

Puis l'ordonnance du 18 décembre 2008 a abrogé l'alinéa 2 de l'article L. 624-9, de sorte que le délai de revendication court désormais systématiquement de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc. La question se posait alors de savoir si cela devait redonner de l'intérêt à la jurisprudence rendue sous l'empire de la 1985 et un éminent auteur (5) avait suggéré de reconduire, sous l'empire de l'ordonnance du 18 décembre 2008, la solution selon laquelle la revendication deviendrait inutile lorsqu'une option en faveur de la continuation aurait été formulée sur la continuation du contrat avant l'expiration du délai de revendication.

Une position contraire, vers laquelle semble pencher l'arrêt rapporté, était soutenue par le Professeur Le Corre (6), en raison d'un tout autre contexte législatif. En effet, contrairement à la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction initiale, l'ordonnance du 18 décembre 2008 prévoit une coordination entre les règles de la continuation des contrats en cours et celles de l'action en revendication car l'ordonnance a inséré dans le Code de commerce un article L. 624-10-1 (N° Lexbase : L3522ICG) prévoyant que lorsque le bien fait l'objet d'un contrat en cours, la restitution effective intervient au jour de la résiliation ou du terme du contrat. Il n'y a donc plus place, comme sous l'empire de la loi de 1985 initiale, à faire "parler le mutisme législatif" (7) qui posait problème car le texte ne prévoyait pas à l'époque que la restitution effective du bien (découlant du succès de l'action en revendication) était différée jusqu'au terme du contrat.

La solution qui se dégage de l'arrêt rapporté doit donc être approuvée sans réserve. Elle doit conduire le propriétaire à présenter systématiquement une demande en acquiescement de revendication, cela que le contrat ait ou non été poursuivi. Il veillera, en outre, à ce que son courrier invite effectivement le destinataire à se prononcer sur son droit de propriété.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia Antipolis, membre du CERDP

  • La dette de loyers d'un bail à usage d'habitation, une créance postérieure méritante ? (Cass. com., 12 mars 2013, n° 11-24.365, FS-P+B+I N° Lexbase : A6604I9H)

Depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le législateur exige du créancier qu'il remplisse trois conditions cumulatives pour prétendre être traité comme un créancier postérieur élu, la où, sous l'empire de la législation antérieure, deux conditions suffisaient. Comme par le passé, la créance doit être née après le jugement d'ouverture et être née régulièrement, c'est-à-dire dans le respect des règles de répartition de pouvoirs entre le débiteur et les organes de la procédure collective, règles dites de l'administration contrôlée en période d'observation, règles du dessaisissement en liquidation judiciaire. A ces deux premiers critères traditionnels qualifiés pour le premier de critère chronologique et pour le second de critère organique, s'ajoute, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, un troisième critère : celui de finalité. On évoque ainsi le critère téléologique.

Ce dernier critère a partiellement évolué, depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008. Il se décompose en réalité en trois sous-critères alternatifs.

Le premier de ces critères est celui des besoins du déroulement de la procédure. Ce critère se distingue des deux autres sur un point important : il ne connaît pas de limite temporelle autres que celle de la procédure collective elle-même. Tout spécialement, et la remarque est importante, toutes créances nées pendant la liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de la procédure collective sera éligible au traitement préférentiel, alors que, pour les deux autres critères, le législateur va exiger, si la créance apparaît en liquidation judiciaire, qu'elle soit née pendant la seule poursuite provisoire d'activité.

Le deuxième est le critère des besoins de la poursuite de la période d'observation et ceux de la poursuite provisoire d'activité autorisée en liquidation judiciaire. On peut considérer, puisque la période d'observation et celle de poursuite d'activité en liquidation judiciaire sont toutes deux des périodes de poursuite d'activité, qu'il s'agit plus largement du critère des besoins de la poursuite d'activité.

Le troisième critère a évolué. Dans la version d'origine de la loi de sauvegarde des entreprises, le législateur rendait exigible au traitement préférentiel les créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour les besoins de son activité professionnelle. Ces créances devaient en outre être nées soit pendant la période d'observation, soit pendant la poursuite provisoire d'activité autorisée en liquidation judiciaire. Comme les créances nées pour les besoins de la poursuite d'activité, ce type de créances est donc enfermé dans des limites temporelles de naissance, en liquidation judiciaire. L'ordonnance du 18 décembre 2008 a modifié ce critère en supprimant la restriction qui concernait le lien entre la créance et les besoins de l'activité professionnelle du débiteur. Ainsi, désormais, toute créance née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, qu'elle soit ou non en rapport avec son activité professionnelle, est éligible au traitement préférentiel. Mais encore faut-il qu'elle soit née en période d'observation, ou, comme l'exige l'article L. 641-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L3405IC4), pendant la poursuite d'activité en liquidation judiciaire.

Précisons immédiatement que, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine, les créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour des besoins extra-professionnels pouvait avoir un régime particulier si elles étaient considérées comme des créances nées pour les besoins de la vie courante. Ces créances postérieures, non éligibles au traitement préférentiel, échappaient à la discipline collective applicable par principe aux créances postérieures non méritantes, globalement traitées comme des créances antérieures. En effet, ces créances postérieures nées pour les besoins de la vie courante pouvaient être payées par le débiteur et échappaient à l'obligation de déclaration au passif.

Le régime qui vient d'être décrit aurait pu être appliqué aux fais de l'espèce si la procédure collective avait été ouverte entre le 1er janvier 2006 et le 14 février 2009. Mais, ouverte à compter du 15 février 2009 -en l'espèce le 25 juin 2009-, s'applique le régime issu de l'ordonnance du 18 décembre 2008.

Le problème qui se posait en l'espèce était de déterminer les règles applicables à une créance de loyers d'un bail à usage d'habitation, contrat qui avait été poursuivi en liquidation judiciaire et même après la poursuite provisoire d'activité. Si, pour la phase de poursuite provisoire d'activité, il n'y avait pas de difficulté à considérer que les loyers étaient couverts par le régime préférentiel applicable aux créances postérieures, le problème surgissait pour les loyers du bail d'habitation nées au-delà de la poursuite provisoire d'activité.

Le bailleur entendait en obtenir le paiement de la part du liquidateur. Il avait bien compris que s'il appliquait à la lettre les dispositions de l'article L. 641-13 du Code de commerce, il aurait quelques difficultés à faire considérer comme couvert par le traitement préférentiel sa créance de loyers usage d'habitation. Aussi, ingénieusement avait-il essayé de déplacer le débat sur le terrain des dettes nées pour les besoins du déroulement de la procédure. C'était bien vu.

En effet, si le critère de rattachement au traitement préférentiel de la créance de loyers à usage d'habitation est celui de la contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, la créance est éligible au traitement préférentiel pendant toute la période d'observation, ainsi que pendant la poursuite provisoire d'activité autorisée en liquidation judiciaire. Peu importe, s'agissant d'une procédure collective ouverte à compter du 15 février 2009, que la créance soit en relation avec l'activité professionnelle du débiteur. En revanche, il apparaît qu'elle ne peut être éligible au traitement préférentiel pour la période suivant l'expiration de la poursuite provisoire de l'activité autorisée en liquidation judiciaire.

Alors, pouvait-il s'agir d'une créance née pour les besoins du déroulement de la procédure collective ? Non répond, fermement la Cour de cassation, en censurant le jugement du tribunal d'instance : "La créance de loyer d'habitation du débiteur, échue postérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de ce dernier, n'est pas une créance née pour les besoins du déroulement de la procédure".

La solution doit être totalement approuvée. Le législateur a posé trois critères téléologiques distincts d'attribution du traitement préférentiel. Ces critères, par principe, ne sont pas interchangeables. A quoi servirait de poser des critères distincts s'il ne fallait pas leur reconnaître un contenu, et par voie de conséquence, un domaine distinct ? En outre, il n'échappera à personne que le traitement préférentiel accordé à certains créanciers postérieurs est composé, d'une part, de la règle du paiement à l'échéance, et, d'autre part, d'un privilège. N'enseigne-t-on pas que, en droit français, les privilèges sont de droit strict ? Or, cela signifie deux choses : d'une part, ils ne peuvent exister sans texte ; d'autre part, ils ne peuvent être interprétés largement, c'est-à-dire au-delà de ce que prévoient les textes.

A cet égard, on ne peut que dénoncer la tentation de considérer que le traitement préférentiel devrait être accordé sur le seul constat que la créance est utile. Tel n'est pas le problème. Ce concept, qui ajoute à la loi, introduit, dans le domaine de l'interprétation nécessairement strict des privilèges, une dose de subjectivité, indiscutablement source d'insécurité. Il faut, mais il suffit de se demander si la créance répond biens aux prescriptions du législateur.

Schématiquement, on énoncera que la créance est née pour les besoins de la poursuite d'activité si elle peut être rattachée à cette poursuite. Il en sera ainsi spécialement de toutes les obligations légales, fiscales et sociales. La créance en question doit se rattacher à l'activité professionnelle du débiteur.

La créance est la contrepartie d'une prestation lorsque le créancier a fourni une prestation au débiteur, ce qui se rattache schématiquement à la poursuite des contrats en cours et à la conclusion des contrats nouveaux. Peu importe que la créance se rattache à l'activité professionnelle du débiteur.

Ces deux premiers types de créances peuvent être considérés comme contingents par rapport à la procédure collective, ce qui signifie que la créance est née pendant la procédure collective, mais qu'elle aurait parfaitement pu naître en dehors de la poursuite d'activité. Ces créances doivent être nées soit en période d'observation, soit pendant la poursuite d'activité en liquidation judiciaire. Ces créances ne sont plus couvertes par le traitement préférentiel si elles sont nées en liquidation judiciaire en dehors de la poursuite provisoire d'activité.

La créance est née pour les besoins du déroulement de la procédure lorsque la procédure collective est le cadre obligé à la naissance de la créance. Ce type de créance est inhérent à la procédure collective, en ce sens que, par principe, la créance n'aurait pu naître sans l'ouverture de la procédure collective.

Il faut toutefois considérer que certaines créances contingentes seront nées pour les besoins du déroulement de la procédure. Il en ira ainsi pour des créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant la liquidation judiciaire, en dehors de la poursuite d'activité, et qui vont permettre de respecter les finalités de la liquidation judiciaire. Ainsi, la poursuite du bail commercial, qui va rendre possible la cession du fonds de commerce en ce compris le droit au bail, rentre dans cette catégorie. En réalité, on peut remarquer que les créances ont continué à naître au-delà des besoins de l'activité. S'il n'avait pas été question de réaliser au mieux les actifs du débiteur -objectif de la liquidation judiciaire-, le bail aurait du être résilié et les locaux restitués au bailleur. Finalement, on s'aperçoit que les loyers supplémentaires qui sont nés, au-delà des stricts besoins de la poursuite d'activité, s'inscrivent dans les besoins du déroulement de la liquidation judiciaire. En ce sens, on peut considérer que ces loyers supplémentaires ne sont pas simplement contingents par rapport à la liquidation judiciaire. S'ils n'avaient pas été question de réaliser le fonds de commerce avec le droit au bail, ces loyers supplémentaires ne seraient pas nés. Ainsi, il apparaît que les loyers supplémentaires nés pour permettre la cession du fonds de commerce sont bien inhérents à la liquidation judiciaire. Ils ne seraient pas nés en nombre aussi importants s'il n'avait été question des exigences du déroulement de la liquidation judiciaire et des opérations de réalisations d'actifs qu'elle comporte.

On le voit, la notion de créance inhérente à la procédure collective peut donc permettre de rendre compte de toutes les créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure.

Terminons en indiquant la curieuse situation dans laquelle se trouve en l'espèce le bailleur à usage d'habitation. Il ne peut être payé au titre des loyers du bail nés après expiration de la poursuite d'activité autorisée en liquidation judiciaire -et non simplement échus comme l'énonce la Cour de cassation, l'exigibilité ne permettant pas de répondre du fait générateur d'une créance- puisque sa créance n'est pas éligible au traitement préférentiel. La règle de l'interdiction des paiements de l'article L. 622-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L3389ICI) s'applique à lui. Pas davantage, il ne peut agir en résiliation de son contrat, faute de pouvoir fonder son action sur une créance postérieure méritante (C. com., art. L. 622-21, I, 2° N° Lexbase : L3452ICT). Ainsi, il apparaît prisonnier d'un contrat, dont il ne pourra obtenir paiement.

N'est-ce pas beau, ça ? Cela porte un nom : c'est une malfaçon législative, qui ne nous semble guère constitutionnelle en ce qu'elle méconnaît totalement le droit de créance, qui peut être appréhendé comme un droit de propriété, et que le législateur pourrait penser à corriger s'il lui advenait de revoir prochainement sa copie, comme on l'annonce.

Pour cela, le législateur pourra penser à modifier l'article L. 641-13, I du Code de commerce en supprimant à la fin de cette disposition l'expression "pendant ce maintien d'activité" et la remplaçant par l'expression "pendant la liquidation judiciaire". Il n'est en effet pas judicieux d'avoir déconnecté les règles de la continuation des contrats en cours, qui continuent à s'appliquer en dehors de toute poursuite provisoire d'activité en liquidation judiciaire, de celles qui attribuent aux créanciers postérieurs un traitement préférentiel : si le contrat se poursuit pendant la liquidation judiciaire, indépendamment de toute poursuite d'activité, le cocontractant doit pouvoir recevoir son paiement.

Simple et logique, non ?

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise


(1) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 6ème éd., 2012/2013, n° 813.54.
(2) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 813.54.
(3) En ce sens Ph. Pétel, Le nouveau droit des entreprises en difficulté : acte II - commentaire de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, JCP éd. E, 2009, 1049, n° 37.
(4) Cass. com., 20 octobre 1992, n° 90-19.100, publié (N° Lexbase : A4739AB7), Bull. civ. IV, n° 316, Dr. sociétés, 1994, n° 93, obs. Y. Chaput ; Cass. com., 6 décembre 1994, deux arrêts, n° 92-18.722, publié (N° Lexbase : A3941ACX) et n° 92-16.931, publié (N° Lexbase : A7137ABX), Bull. civ. IV, n° 365 et n° 367, LPA, 23 janvier 1995, p. 10, note B. Soinne, Rev. huissiers, 1995, 449, note Courtier, JCP éd. E, 1995, I, 457, n° 14, obs. Ph. Pétel, JCP éd. E, 1995, II, 698, note L. Leveneur ; Cass. com., 9 janvier 1996, n° 93-16.113, publié (N° Lexbase : A1207ABC), Bull. civ. IV, n° 11, D., 1996, somm. 213, obs. F. Pérochon.
(5) En ce sens Ph. Pétel, Le nouveau droit des entreprises en difficulté : acte II - commentaire de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008", préc..
(6) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 813.54.
(7) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 813.54.

newsid:436669

Expropriation

[Jurisprudence] Chronique de droit de l'expropriation - Avril 2013

Lecture: 12 min

N6663BTX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/8063325-edition-n-524-du-18042013#article-436663
Copier

par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE)

Le 23 Octobre 2014

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit de l'expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE). Elle traitera, tout d'abord, d'un arrêt rendu le 16 janvier 2013 par lequel la Cour de cassation retient que l'appréciation de la conformité des réalisations effectuées avec les objectifs poursuivis par la déclaration d'utilité publique dans le cadre d'une action en rétrocession doit également prendre en compte les parcelles acquises par voie amiable (Cass. civ. 3, 16 janvier 2013, n° 11-24.213, FS-P+B). Dans la deuxième décision commentée, la Cour suprême précise que le pourvoi contre l'ordonnance d'expropriation est sans effet sur le délai dont dispose l'exproprié pour saisir le juge de l'expropriation d'une demande en restitution et en indemnisation (Cass. civ. 3, 16 janvier 2013, n° 12-10.107, FS-P+B). Enfin, dans le troisième arrêt étudié, les juges du Quai de l'Horloge rappellent que l'inaction pendant de longues années des propriétaires successifs de parcelles, en pleine connaissance de l'ouvrage réalisé, s'oppose à la reconnaissance d'une voie de fait (Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-21.616, FP-P+B).
  • L'appréciation de la conformité des réalisations effectuées avec les objectifs poursuivis par la déclaration d'utilité publique dans le cadre d'une action en rétrocession doit également prendre en compte les parcelles acquises par voie amiable (Cass. civ. 3, 16 janvier 2013, n° 11-24.213, FS-P+B N° Lexbase : A4911I3B)

Dans le cadre d'une action en rétrocession, régie par les articles L. 12-6 (N° Lexbase : L2915HLK) et R. 12-6 (N° Lexbase : L3096HLA) du Code de l'expropriation, la conformité des réalisations effectuées avec les objectifs poursuivis par la déclaration d'utilité publique doit s'apprécier au regard de l'ensemble des parcelles acquises pour la réalisation de l'opération. On rappellera que, selon l'article L. 12-6 du Code de l'expropriation, dont les dispositions viennent d'être jugées conformes à la Constitution (1), "si les immeubles expropriés en application du présent code n'ont pas reçu dans le délai de cinq ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique". L'arrêt du 16 janvier 2013 confirme la jurisprudence antérieure relative à l'interprétation de ces dispositions, tout en lui apportant une précision utile.

Une difficulté récurrente consiste à apprécier si la demande de rétrocession peut être accueillie dans les cas où les travaux prévus par la déclaration d'utilité publique n'ont pas été entièrement réalisés. A l'occasion d'un arrêt rendu le 8 mai 1995, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que "la conformité des réalisations effectuées avec les objectifs poursuivis par la déclaration d'utilité publique doit s'apprécier au regard de l'ensemble des parcelles expropriées pour la réalisation de l'opération" (2), et non pas seulement pour les parcelles appartenant au demandeur de la rétrocession. Ainsi, il a, notamment, été jugé que "l'affectation partielle du bien à sa destination suffit à faire échec au droit de rétrocession et au droit de priorité" (3). Une difficulté peut, également, se présenter dans l'hypothèse où la déclaration d'utilité publique fixe à l'immeuble plusieurs destinations et qu'il n'a fait l'objet que d'une affectation partielle. Le juge considère, dans ce cas, qu'une demande de rétrocession n'est pas recevable (4). Il a, ainsi, été jugé que la réalisation d'un parc de stationnement sur une partie d'un terrain exproprié en vue de la réalisation d'un groupe scolaire fait obstacle à une demande de rétrocession, dès lors que ce parking est nécessaire au bon fonctionnement de l'école (5).

En l'espèce, les consorts X avaient assigné une commune dans le but d'obtenir la rétrocession de leur parcelle expropriée dans le cadre d'un projet de création d'une zone d'aménagement concerté. La cour d'appel de Caen avait fait droit à leur demande, après avoir apprécié la conformité des objectifs mentionnés dans la déclaration d'utilité publique des travaux réalisés au regard de l'ensemble des seules parcelles expropriées. Or, toutes les parcelles acquises pour la réalisation de l'opération projetée, à l'exception de celle dont les consorts X étaient propriétaires, l'avaient été par cession amiable. Ainsi, la cour d'appel n'avait pris en considération, pour apprécier la réalisation des objectifs définis par la déclaration d'utilité publique, que la situation de la seule parcelle propriété des intéressés. Cette parcelle n'ayant fait l'objet d'aucun travaux, la demande de rétrocession avait été accueillie par la cour d'appel. Celle-ci avait donc appliqué au pied de la lettre la jurisprudence de la Cour de cassation qui fait bien référence, à la prise en compte de "l'ensemble des parcelles expropriées pour la réalisation de l'opération". Manifestement, cependant, ce raisonnement ne respectait pas l'esprit de cette jurisprudence. En effet, l'examen d'une demande de rétrocession nécessite que soient confrontés l'objet de la déclaration d'utilité publique et la situation, au moment de la demande, des parcelles acquises pour ce projet. Opérer une distinction entre les parcelles acquises par voie d'expropriation et celles acquises par voie amiable ne permet pas de procéder à cette confrontation, et cela d'autant plus, qu'en l'espèce, à l'exception de la parcelle dont les consorts X sont les propriétaires, toutes les autres parcelles avaient été acquises dans le cadre de cessions amiables. Le raisonnement de la cour d'appel est donc logiquement censuré par la Cour de cassation, qui considère que "la conformité des réalisations effectuées avec les objectifs poursuivis par la déclaration d'utilité publique, doit s'apprécier au regard de l'ensemble des parcelles acquises pour la réalisation de l'opération déclarée d'utilité publique", et non pas des seules parcelles acquises par voie d'expropriation.

  • Le pourvoi contre l'ordonnance d'expropriation est sans effet sur le délai dont dispose l'exproprié pour saisir le juge de l'expropriation d'une demande en restitution et en indemnisation (Cass. civ. 3, 16 janvier 2013, n° 12-10.107, FS-P+B N° Lexbase : A4790I3S)

Compte tenu du caractère non suspensif des voies de recours devant les juridictions administratives, il n'est pas rare que l'annulation d'une déclaration d'utilité publique ou d'un arrêté de cessibilité intervienne après que soit intervenue l'ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété des biens. Jusqu'à l'intervention de la loi n° 95-101 du 2 février 1995, relative au renforcement de la protection de l'environnement (N° Lexbase : L8686AGS), cette situation aboutissait, lorsque l'ordonnance avait un caractère définitif, à ne pas sanctionner l'illégalité de la phase administrative et à ne pas restituer à l'exproprié son bien. Cette situation était d'autant plus dommageable que l'ordonnance d'expropriation ne peut faire l'objet que d'un recours en cassation, dans un délai qui était à l'origine fixé à quinze jours, avant d'être porté au délai de droit commun de deux mois par le décret n° 2004-1420 du 23 décembre 2004, modifiant certaines règles de procédure civile relatives à l'appel et au pourvoi en cassation (N° Lexbase : L5101GUH) (6).

Dans l'hypothèse, toutefois, où la Cour de cassation a été régulièrement saisie d'un pourvoi en cassation dans ce délai, aucune difficulté particulière ne s'est jamais posée. L'ordonnance d'expropriation n'étant pas devenue définitive, la décision irrévocable d'une juridiction administrative annulant la déclaration d'utilité publique ou l'arrêté de cessibilité entraîne "par voie de conséquence" l'annulation de l'ordonnance par la Cour de cassation (7). Les difficultés concernent l'hypothèse où l'ordonnance d'expropriation n'a pas été contestée dans les délais et celle où, un pourvoi en cassation ayant été formé, il a été rejeté par une décision de la Cour de cassation devenue irrévocable. Dans ce cas, "l'ordonnance [...] devenue irrévocable, continue à produire ses effets en dépit de l'annulation ultérieure de l'arrêté de déclaration d'utilité publique" (8). L'impossibilité pour l'exproprié de se voir restituer son bien, suite à une procédure irrégulière, a pu être assimilé par certains auteurs à un "déni de justice" (9). En tout cas, elle constituait, sans nul doute, le principal inconvénient lié à la distinction des phases administrative et judiciaire de la procédure d'expropriation.

Ainsi que l'avait suggéré la Cour de cassation dans son rapport annuel de 2001 (10), l'article L. 12-5 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2914HLI) a été complété par la loi du 2 février 1995 en vue de résoudre cette difficulté. Désormais, "en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l'expropriation que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale".

Il faut noter, toutefois, que cette possibilité nouvelle offerte à l'exproprié ne lui interdit pas de former par anticipation un pourvoi contre l'ordonnance pour en demander l'annulation "par voie de conséquence" de l'annulation à intervenir de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité (11). Dans cette hypothèse, l'issue du recours contentieux formé devant le juge administratif conditionnant l'examen du pourvoi, il y a donc lieu de radier l'affaire, le pourvoi devant être ultérieurement rétabli au rang des affaires à juger à la demande de la personne la plus diligente au vu de la décision irrévocable intervenue sur le recours formé devant la juridiction administrative.

Si la loi du 2 février 1995 constitue manifestement un progrès, il a fallu attendre plus de dix ans pour qu'intervienne le décret n° 2005-467 du 13 mai 2005, portant modification du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L4622G8P) (12), codifié aux articles R. 12-5-1 à R. 12-5-9 du Code de l'expropriation, créant une nouvelle sous-section intitulée "Perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation". L'article R. 12-5-1 précise, désormais, que, "dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 12-5, l'exproprié qui entend faire constater par le juge le manque de base légale de l'ordonnance portant transfert de sa propriété transmet au greffe de la juridiction qui a prononcé l'expropriation, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du juge administratif annulant la déclaration d'utilité publique ou l'arrêté de cessibilité, un dossier qui comprend les copies [...] de la décision d'annulation de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité [...] de l'ordonnance d'expropriation [...] le cas échéant, de la convention ou de la décision fixant les indemnités d'expropriation [...] d'un certificat de non-recours contre la décision fixant les indemnités d'expropriation".

La question s'est rapidement posée de déterminer si le délai de deux mois visé par cet article était un délai impératif ou seulement indicatif. A cette question, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a répondu, dans un arrêt rendu le 17 mars 2010 (13), que "le délai de deux mois du dépôt de dossier prévu par l'article R. 12-5-1 du Code de l'expropriation, pour la saisine du juge de l'expropriation en vue de faire constater la perte de fondement légal de l'ordonnance portant transfert de propriété, est un délai pour agir dont le non-respect est sanctionné par la forclusion de l'action qu'il concerne". Manifestement, cette solution est dictée par des considérations de sécurité juridique, mais elle peut être de nature à léser la personne expropriée, qui n'obtiendra pas la restitution de son bien, étant observé qu'elle dispose d'un délai somme toute assez bref pour saisir le juge de l'expropriation après avoir obtenu gain de cause devant la juridiction administrative.

C'est cette solution rigoureuse qui est confirmée en l'espèce. Etaient ici en cause un arrêté du préfet de la Loire déclarant d'utilité publique un projet d'assainissement et l'arrêté de cessibilité pris sur son fondement. Par une ordonnance du 1er juin 2007, le juge de l'expropriation avait prononcé l'expropriation des parcelles des requérants, mais par la suite, une décision du tribunal administratif de Lyon du 14 juin 2009 avait annulé les arrêtés de déclaration d'utilité publique et de cessibilité. En conséquence, par un arrêt du 8 juin 2010 (14), la Cour de cassation a annulé l'ordonnance d'expropriation pour défaut de base légale consécutivement au jugement du tribunal administratif. A la suite de cette ordonnance, les propriétaires évincés ont saisi le 2 août 2010 le juge de l'expropriation de demandes en restitution et indemnisation, sur le fondement de l'article R. 12-5-1 du Code de l'expropriation. C'est ce recours que juge irrecevable la Cour de cassation, le délai prévu par cet article, dont le caractère impératif est rappelé, courant à partir de la décision définitive du juge administratif annulant la déclaration d'utilité publique ou l'arrêté de cessibilité. L'exercice d'un pourvoi en cassation contre l'ordonnance d'expropriation est donc sans effet sur le délai dont dispose l'exproprié pour saisir le juge de l'expropriation d'une demande en restitution et en indemnisation.

A la lecture du texte, la solution est cohérente, puisque l'article R. 12-5-1 ne distingue pas selon que l'ordonnance d'expropriation a fait, ou non, l'objet d'une annulation préalable par la Cour de cassation. Cependant, la solution peut paraître sévère et peu lisible pour les expropriés qui sont déjà engagés dans une action visant à contester le bien-fondé de l'ordonnance d'expropriation au moment où survient la décision du juge annulant la déclaration d'utilité publique ou l'arrêté de cessibilité. Plus généralement, elle semble faire peu de cas de l'objectif qui inspirait la loi n° 95-101 du 2 février 1995 qui était de corriger les effets négatifs du dualisme juridictionnel en améliorant l'articulation entre les phases administrative et judiciaire de la procédure. Plus loin, il n'est pas certain que la solution retenue soit conforme aux stipulations de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9). Il serait, en conséquence, souhaitable que l'article R. 12-5-1 fasse l'objet d'une modification et que soit clairement distinguées deux hypothèses : celle où l'exproprié, au moment de la survenance de la décision, n'a pas engagé de recours en cassation contre l'ordonnance d'expropriation ; celle où il a exercé un recours en cassation et où il peut donc légitimement espérer autre chose qu'une invalidation platonique de l'ordonnance d'expropriation.

  • L'inaction pendant de longues années des propriétaires successifs de parcelles, en pleine connaissance de l'ouvrage réalisé, s'oppose à la reconnaissance d'une voie de fait (Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-21.616, FP-P+B N° Lexbase : A1799IZN)

Dans la présente affaire, le propriétaire de parcelles sur lesquelles avait été implantée sans titre une ligne électrique aérienne en demande le déplacement à ERDF pour pouvoir procéder à des plantations d'arbres à proximité. La question essentielle posée par cet arrêt concerne la qualification de voie de fait et donc la compétence du juge judiciaire pour connaître de cette demande.

Il ressort clairement de la jurisprudence que la prise de possession d'une propriété privée par l'administration sans justifier d'un titre et sans utiliser les voies légales de l'expropriation est normalement constitutive d'une voie de fait (15). De même, il a été jugé que la prise de possession d'une partie d'un terrain qui n'a fait l'objet ni d'un arrêté de cessibilité, ni d'une cession amiable, mais seulement d'une déclaration d'utilité publique, est manifestement insusceptible de se rattacher à l'exercice d'un pouvoir appartenant à l'administration et est donc constitutif d'une voie de fait (16).

C'est cette solution qui paraît a priori devoir prévaloir, les juges relevant que "ERDF ne justifie pas avoir respecté la réglementation en vigueur lors de l'implantation de la ligne électrique litigieuse". Cependant, cet élément ne permet pas, à lui seul, de retenir la qualification de voie de fait.

Il faut ici rappeler que l'existence d'une atteinte irrégulière portée à la propriété privée par l'administration ne suffit pas à caractériser une voie de fait. Il est nécessaire, tout d'abord, que la l'opération en cause soit réalisée dans des conditions manifestement non susceptibles de se rattacher à l'exercice des pouvoirs de l'administration. Or, en l'espèce, si ERDF n'a pas pu démontrer avoir respecté la réglementation en vigueur, il ne saurait être considéré que l'implantation de la ligne en cause était non susceptible de se rattacher à l'exercice de ses pouvoirs, puisque les articles 12 et 12 bis de la loi du 15 juin 1906, sur les distributions d'énergie, permettent de recourir à la procédure d'expropriation -ainsi qu'aux servitudes- pour l'installation de lignes de transport électrique. Cette solution doit être rapprochée de celle retenue par la troisième chambre civile dans un arrêt du 5 mai 2010 (17), qui dénote, également, d'une approche restrictive de la voie de fait. Dans cet arrêt la Cour de cassation rejette la qualification de voie de fait dans une hypothèse où les travaux d'édification d'un canal avaient été réalisés sans titre, mais en complément du bassin de retenue auquel il était relié et pour la réalisation duquel le bénéficiaire de l'expropriation bénéficiait d'un titre résultant d'une procédure de déclaration d'utilité publique et d'expropriation régulièrement diligentées.

Les conditions de la reconnaissance d'une voie de fait étant cumulatives, le fait que l'opération en cause se rattache bien à un pouvoir de l'administration aurait suffit à écarter cette qualification en l'espèce. Les juges vont, toutefois, rappeler que pour que la voie de fait soit retenue, il est, également, nécessaire que l'atteinte portée à la propriété privée soit suffisamment grave. Généralement, cette condition est comprise dans un sens matériel, la notion de gravité se rapportant à l'importance de l'empiètement réalisé par l'administration sur une parcelle privée. C'est bien, d'ailleurs, cette approche que l'on retrouve dans l'un des moyens soulevés par le requérant, qui invoque "l'impossibilité de planter des arbres 10 mètres sous la ligne électrique, stérilisant 14 % de la surface et entraînant une perte de production à hauteur de 4.322 euros". Cet élément n'est pas discuté par la Cour de cassation, l'intérêt de la décision commentée consistant à conférer une dimension temporelle à la notion d'atteinte à la propriété privée. En effet, si l'atteinte portée à la propriété privée n'est pas jugée suffisamment grave, c'est seulement parce que "la ligne électrique aérienne était ancienne et [...] que l'inaction pendant de longues années des propriétaires successifs des parcelles, en pleine connaissance de l'ouvrage réalisé, caractérisait une acceptation tacite de cet ouvrage". La qualification de voie de fait est donc écartée et il ne reste qu'aux parties à ce pourvoir devant la juridiction administrative pour obtenir réparation.


(1) Cons. const., décision n° 2012-292 QPC, du 15 février 2013 (N° Lexbase : A9638I74), Constr.-urb., comm. 35, note Santoni.
(2) Cass. civ. 3, 8 mars 1995, n° 92-18.791, FS-P+B (N° Lexbase : A7251AB8), Bull. civ. III, 1995, n° 76, AJPI, 1995, p. 800, obs. C. Morel, D., 1996, somm. p. 299, obs. Carrias, JCP éd. G 1995, IV, comm.. 1111, AJPI, 1995, p. 800, obs. C. Morel ; Cass. civ. 3, 26 juin 1996, n° 94-70.300, FS-P+B (N° Lexbase : A6529AHB), Bull. civ. III, 1996, n° 162, RD imm., 1996, p. 552, chron. Morel et Denis-Linton, Gaz. Pal. 28-29 mai 1997, p. 19 ; Cass. civ. 3, 11 mai 2005, n° 03-20.818, FS-P+B (N° Lexbase : A5123DIL), Bull. civ. III, 2005, n° 105, Dr. adm., 2005, comm. 103, AJDI, 2005, p. 669, RD imm., 2005, p. 271, chron. C. Morel.
(3) Cass. civ. 3, 25 avril 2007, 05-22.017, FS-D (N° Lexbase : A0209DWN), AJDI, 2008, p. 226, note A. Lévy, D. adm., 2008, comm. 1, note Junillon.
(4) CE, 7 novembre 1969, Commune de Thoard, AJDA, 1970, p. 167, note Homont.
(5) Cass. civ. 3, 11 mars 1992, n° 90-17.442 (N° Lexbase : A3158CRE), Ann. Loyers, 1993, p. 44.
(6) JO, 29 décembre 2004.
(7) Cass. civ. 3, 12 décembre 1972, n° 72-70.074 (N° Lexbase : A2308CHX), Bull. civ. III, 1972, n° 675 ; Cass. civ. 3, 15 février 2005, n° 01-70.211, F-D (N° Lexbase : A7324DGD), Cass. civ. 3, 26 février 2013, n° 09-17.181, F-D (N° Lexbase : A8821I89).
(8) Cass. civ. 3, 14 décembre 1982, n° 81-70.449 (N° Lexbase : A4937CHC), Bull. civ. III, n° 250.
(9) Sur cette question, voir, notamment, A. Homont, L'illégalité des déclarations d'utilité publique et les garanties du droit de propriété, JCP 1971, I, comm. 2393, D. Maillot, Sur un imbroglio juridique : le problème de l'efficacité de l'annulation des actes administratifs dans le contentieux de l'expropriation, D., 1971. Chron., p. 103, J. Lemasurier, La sanction des expropriations illégales, RDP, 1971, p. 793.
(10) La Documentation française, 1992, V., p. 30.
(11) Cass. civ. 3, 31 mars 1999, n° 97-70.185 (N° Lexbase : A6398CK8), Bull. civ. III, n° 84, D., 1999, inf. rap. p. 116, AJDI, 1999, p. 916, obs. C. Morel, Rev. gén. proc., 1999, p. 400, chron. Hostiou. ; Cass. civ. 3, 12 janvier 2010, n° 08-20.823, F-D (N° Lexbase : A2996EQZ).
(12) JO, 15 mai 2005.
(13) Cass. civ. 3, 17 mars 2010, n° 09-13.241, FS-P+B (N° Lexbase : A8229ETX).
(14) Cass. civ. 3, 8 juin 2010, n° 07-18.046, F-D (N° Lexbase : A0007EZB).
(15) Cass. civ. 3, 30 novembre 1994, n° 92-19.192 (N° Lexbase : A6523C7Q), D., 1996, somm. p. 297, obs. Carrias.
(16) Cass. civ. 3, 24 novembre 1993, n° 91-18.184 (N° Lexbase : A5924AHU), Bull. civ. III, 1993, n° 154, RD imm., 1994, p. 30, note C. Morel.
(17) Cass. civ. 3, 5 mai 2010, n° 09-66.131, FS-P+B (N° Lexbase : A0833EX7).

newsid:436663

Fiscalité financière

[Evénement] La déductibilité des charges financières : comment digérer un millefeuille indigeste ? - Compte-rendu de la conférence de Fidal du 9 avril 2013

Lecture: 10 min

N6666BT3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/8063325-edition-n-524-du-18042013#article-436666
Copier

par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 18 Avril 2013

Le 9 avril 2013, le cabinet Fidal a invité les professionnels du droit à la Maison des Arts & Métiers, autour du thème de la déductibilité des charges financières. Patrice Graillat, Arnaud Jamin et Mikaël Maheust, avocats associés, Fidal, sont revenus sur les raisons de l'édification de ce millefeuille. La crise qui dure depuis 2008 est, en premier lieu, une crise de recette d'Etat. Les Etats ne peuvent plus supporter aussi facilement qu'auparavant les diminutions artificielles d'assiette de l'IS. Les entreprises subissent donc un accroissement des contrôles de l'administration fiscale. Avant, elles pilotaient facilement les dettes et les déficits, afin de diminuer, artificiellement (mais légalement) le résultat imposable.

De plus, la révélation de la différence de taux effectif d'imposition entre les grandes entreprises et les PME a poussé à la lutte contre ces méthodes de pilotage, afin de ménager la justice fiscale. Ces différences sont dues à l'utilisation de l'endettement par les grandes entreprises, qui y ont recours beaucoup plus facilement que les PME, notamment au sein de groupes fiscalement intégrés.

Enfin, un troisième facteur a joué dans la volonté politique de diminuer les dispositifs de déduction des intérêts, et des charges financières, plus largement : le rapprochement franco-allemand. En effet, dans le cadre du projet "ACCIS" (lire Proposition de Directive relative à l'ACCIS : la consolidation des résultats fiscaux au niveau communautaire est-elle réalisable ? - Questions à Delphine de Drouâs, regional tax operations Manager au sein de la société IBM, Lexbase Hebdo n° 438 du 4 mai 2011 - édition fiscale N° Lexbase : N1363BSB), la France et l'Allemagne ont souhaité opérer quelques rapprochements législatifs en matière fiscale. Le 16 août 2011, l'Etat français signe un accord politique en ce sens avec l'Etat allemand (lire Convergence fiscale France/Allemagne - quelles opportunités pour les entreprises ?, Lexbase Hebdo n° 478 du 21 mars 2012 - édition fiscale N° Lexbase : N0728BT7). L'alignement commence à être effectif, mais de manière très imparfaite. La loi de finances pour 2013 (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7971IUR) a adopté un dispositif de plafonnement général des intérêts. Cette mesure vient d'Allemagne. Toutefois, elle n'est pas complètement identique au régime allemand. En effet, en Allemagne, la déductibilité des intérêts est limitée au taux pratiqué par le marché. De plus, un plafond de déduction s'applique ; il est égal au montant des intérêts reçus, auxquels l'entreprise ajoute 30 % de son résultat imposable. L'excédent est reportable sur les cinq années suivantes. Enfin, la loi allemande prévoit une clause de sauvegarde, selon laquelle aucun intérêt n'est réintégré si le montant total des intérêts est inférieur à trois millions d'euros. En outre, ces règles ne s'appliquent pas aux sociétés qui ne font pas partie d'un groupe fiscalement intégré. Enfin, il n'y a pas réintégration partielle des intérêts si, dans un groupe, la société a un ratio capital/total bilan inférieur au ratio du groupe.

Outre ces raisons conjoncturelles motivant le nouveau traitement des intérêts, il existe des raisons structurelles. Il s'agit de la différence de traitement des dividendes par rapport aux intérêts. En effet, il existe une asymétrie au niveau de l'entreprise et des investisseurs. Ainsi, alors que la déduction des intérêts est (était) totale, les dividendes ne constituent pas des charges pour l'entreprise. D'un autre côté, les intérêts reçus sont totalement imposables, alors qu'ils ne le sont qu'en partie dans le sein des associés. Ces deux règles expliquent pourquoi les entreprises ont eu beaucoup plus facilement recours au financement externe. Pourtant, cette dichotomie ne correspond plus au monde des affaires, qui a recours à une analyse de plus en plus fonctionnelle. Les créanciers et les associés supportent tous deux le risque de l'entreprise. Cela explique, notamment, la création d'instruments financiers hybrides.

La règle fiscale devrait être neutre et ne pas appliquer un traitement fiscal différent selon que le capital est apporté, mis en réserve ou prêté. Aujourd'hui, la fiscalité influence le système de financement des entreprises. Aucun pays n'a encore traité ce problème à la source. Or, ce système ne favorise pas la sécurité juridique, puisque la France a mis en place son huitième dispositif de limitation de la déduction des intérêts cette année.

Quelles sont les solutions globales qui pourraient s'appliquer ? En Allemagne, dont le système a été repris par la France, le régime de non-déductibilité des dividendes a été partiellement étendu aux intérêts. Cette solution est imparfaite. De plus, elle devait s'accompagner d'une diminution de l'assiette de l'IS, en contrepartie, mais cette dernière ne semble pas à l'ordre du jour. En Belgique, en Italie et au Brésil, il est fait appel à une fiction fiscale, l'"intérêt notionnel". Il s'agit d'un intérêt fiscalement déductible, qui correspond aux capitaux propres de l'entreprise. Il n'est pas possible de déduire plus que son montant. Mais cela revient à imposer des profits théoriques. Or, l'expérience montre que ces profits théoriques (les intérêts non déductibles) proviennent d'opérations sur les actifs incorporels. Ainsi, ces dernières sont découragées. D'autres idées ont été mises en avant, par exemple, la limitation de la déductibilité au prorata de la part des titres dont les revenus sont exonérés en application du régime mère/fille. Ce système propose de créer un lien entre un produit exonéré et une non-déductibilité. Ou encore, le système prévu par le projet "ACCIS" n'applique pas de mécanisme anti-sous-capitalisation, et permet une déduction totale à partir du moment où les intérêts versés sont reçus par une entreprise située dans un Etat dont le taux d'imposition n'est pas inférieur à 40 % de la moyenne des taux d'IS en Union européenne. Enfin, la dernière idée émergée vise à combiner la non-déductibilité partielle des intérêts et une approche fondée sur le taux d'intérêt notionnel.

Malgré ces propositions, la plupart des Etats n'a pas réglé le fond du problème avec une vue d'ensemble suffisante.

  • Le nouveau régime français de déductibilité des charges financières

D'après les observateurs, le régime français de déductibilité des intérêts serait l'un des plus favorables de l'Union européenne. La France a réagi, en instituant, par le biais de la loi de finances initiale pour 2013, deux nouveaux textes.

Les textes applicables en la matière sont les suivants :
- CGI, art. 39, I, 3° (N° Lexbase : L3894IAH). Ce dispositif, le plus ancien créé dans le CGI, prévoit que les intérêts stipulés ne doivent pas excéder un taux limite, dont le taux était, fin 2012, de 3,39 % ;
- CGI, art. 209, IX (N° Lexbase : L0159IWS). Le dispositif "Carrez" prévoit une réintégration d'une quote-part des intérêts en cas d'acquisition de titres d'une société étrangère par une société française, sur ordre d'une autre société étrangère. Cette règle tente de mettre fin à l'utilisation des sociétés françaises comme véhicule d'investissement ;
- CGI, art. 212, I (N° Lexbase : L5196IRU). Cette disposition institue un taux limite des intérêts versés entre sociétés liées ;
- CGI, art. 212, II. Le dispositif de sous-capitalisation, avec ses trois ratios, s'applique depuis le 31 décembre 2010 aux intérêts rémunérant des prêts effectués ou garantis par des entreprises liées ;
- CGI, art. 212 bis (nouveau) (N° Lexbase : L0040IWE). Cet article crée une limitation globale des intérêts dans les sociétés qui ne font pas partie d'une intégration fiscale. Ainsi, si la somme des intérêts à déduire dépasse trois millions d'euros, 15 % de leur montant est réintégré au résultat imposable de la société débitrice. A partir de 2014, ce pourcentage est augmenté à 25 % ;
- CGI, art. 223 B bis (nouveau) (N° Lexbase : L0041IWG). La limitation globale des intérêts s'applique aussi aux sociétés faisant partie d'une intégration fiscale. Le seuil des trois millions d'euros s'apprécie au niveau du groupe.
- CGI, art. 223 B, alinéa 7 (N° Lexbase : L9519ITQ). L'amendement "Charasse" s'applique en cas de rachat par soi-même de titres, permettant à une société cible d'intégrer un groupe fiscalement intégré ;
- CGI, art. 223 B, alinéas 14 à 19. Le dispositif de sous-capitalisation est applicable dans les groupes soumis à intégration fiscale.

Le terme de "charges financières" est plus large que les seuls "intérêts", puisqu'il englobe les pertes de change, certains loyers, etc.. Une référence est faite aux comptes 66 du PCG.

Focus sur l'amendement "Carrez"

Une instruction fiscale du 30 novembre 2012 précise le nouveau dispositif "Carrez" (CGI, art. 209, IX ; lire N° Lexbase : N4778BT7 ; voir le BoFip - Impôts N° Lexbase : X0061AM9). Une société française soumise à l'IS, ou tout établissement stable d'une société étrangère, précise l'administration, doit dorénavant prouver qu'il est le centre de décision autonome à l'origine duquel l'acquisition des titres d'une société étrangère a été actée. La preuve se fait par tout moyen. La société doit donc prouver que la décision vient bien d'elle-même, et aussi qu'elle a tout pouvoir sur les titres. Concernant cette dernière preuve, l'instruction précise que les conventions d'inaliénabilité conclues avec les banques ne prouvent pas le contraire. Quid des pactes d'actionnaires ?

Lorsque le niveau de participation acquis permet le contrôle de la société étrangère, il est nécessaire de démontrer que la société française détentrice des titres est bien celle qui contrôle la filiale. Attention, cette notion de contrôle est indépendante de celle donnée par l'article L. 223-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L3174DY9), lequel prévoit que le contrôle est acquis lorsqu'une entité détient 40 % des titres d'une autre.

Les sociétés françaises doivent donc établir une véritable documentation visant à démontrer qu'elles sont le centre de décision autonome.

Trois exceptions sont prévues. Ainsi, il n'est pas nécessaire d'apporter ces preuves lorsque :
- le montant total de la participation n'excède pas un million d'euros ;
- le financement ne s'est pas opéré via un emprunt souscrit par la société ou une autre société du groupe (il est cependant très difficile de démontrer que, sur la totalité des emprunts souscrits par une société, aucun des montants prêtés n'a été affecté à l'acquisition des titres) ;
- le ratio d'endettement consolidé est supérieur au ratio individuel.

Si la société française ne parvient pas à démontrer qu'elle est le centre de décision autonome, un dispositif proche de celui de l'amendement "Charasse" s'applique : une quote-part de la dette financière est non-déductible sur neuf ans, ou plutôt sur l'exercice N et les huit exercices suivants. Cela signifie que, pour les titres acquis entre le 1er janvier 2005 et le 1er janvier 2012, et alors même que le dispositif n'avait pas été adopté, les sociétés françaises doivent apporter la démonstration qu'elles constituent un centre de décision autonome, sur les acquisitions opérées les huit années précédentes, dans la limite des deux dates susmentionnées.

Focus sur la limitation générale de déductibilité des charges financières

Les deux nouveaux articles intégrés par la loi de finances pour 2013, c'est-à-dire les articles 212 bis et 223 B bis du CGI s'appliquent à toute société soumise à l'IS et à toute société de personne pour la quote-part des revenus distribués à des associés soumis à l'IS. L'article 212 bis du CGI concerne les sociétés hors intégration fiscale, l'article 223 B bis du CGI les sociétés fiscalement intégrées.

Les charges financières dont la déductibilité est globalement limitée sont les charges nettes, c'est-à-dire les charges brutes auxquelles sont ajoutés les produits bruts. La définition de ces notions s'effectue par renvoi au PCG (comptes 66 pour les charges, comptes 76 pour les produits).

Le projet d'instruction (voir N° Lexbase : N6469BTR), aujourd'hui soumis à consultation publique, précise les charges et les produits pris en compte. Les charges concernées ne sont pas limitées aux seuls apports de fonds consentis à l'entreprise, mais correspondent à toute créance rémunérée par des intérêts ou assimilés. Sont toutefois exclues, les prestations annexes à la mise à disposition des sommes. Les charges nettes sur cession de valeurs mobilières, les escomptes commerciaux, les pertes de change sur créance liées à des participations et les pertes de change déliées des participations n'entrent pas dans le champ des charges concernées par le dispositif. Les charges auxquelles le dispositif est applicable sont celles comprises dans les sous-comptes 661 à 668, à l'exclusion des sous-comptes 664 à 667. Pour les produits, il s'agit de l'ensemble des intérêts ou assimilés rémunérant des sommes laissées à la disposition de l'entreprise. Les dividendes, quel que soit leur traitement comptable, les escomptes commerciaux et les pertes de change sont exclus. Au niveau comptable, les produits à prendre en compte sont ceux des sous-comptes 761 à 768, à l'exclusion des sous-comptes 764 à 767, ainsi que le sous-compte 7621.

Trois cas particuliers doivent être soulignés : le crédit-bail, la location avec option d'achat et la location de biens mobiliers entre entreprises liées. La charge financière se calcule ainsi : loyer - amortissement linéaire (ou financier dans certains cas) - frais et prestations accessoires. Cette formule de calcul s'applique chez le locataire (pour la charge) et chez le bailleur (pour le produit).

Le dispositif de limitation générale de la déductibilité des intérêts prévoit que 15 % des intérêts doivent être réintégrés au résultat imposable de l'entreprise, si leur montant total dépasse trois millions d'euros. A partir du 1er janvier 2014, ce pourcentage passe à 25 %. L'administration précise qu'il n'est pas tenu compte des régimes de limitation des articles 212 et 209, IX du CGI pour le calcul de ce montant.

Concernant l'ordre d'application des régimes, l'intention du législateur est d'appliquer, en premier lieu, les dispositifs les plus spécifiques. Dans le projet d'instruction de l'administration, l'ordre d'application est le suivant :

  • CGI, art. 39, 1, 3° et 212, I (taux limite des intérêts) ;
  • CGI, art. 212, II (sous-capitalisation) ;
  • CGI, art. 209, IX (amendement "Carrez") ;
  • CGI, art. 212 bis (limitation générale).

L'article 223 B bis du CGI prévoit l'application du régime de limitation générale de la déductibilité des intérêts au sein des groupes de sociétés. Lors de la détermination du résultat individuel, il est fait application de l'article 212 bis. Ensuite, il est fait masse des charges financières nettes ainsi calculées, afin de déterminer l'assiette de réintégration forfaitaire. Il est à noter que le calcul de la participation des salariés s'effectue sur le résultat individuel, il est donc indispensable d'appliquer l'article 212 bis du CGI dans un premier temps.

L'ordre d'application des régimes est, selon le projet d'instruction de l'administration fiscale, le suivant :

  • CGI, art. 223 B, alinéas 14 à 19 (sous-capitalisation) ;
  • CGI, art. 223 B, alinéa 7 (amendement "Charasse") ;
  • CGI, art. 223 B bis (limitation générale).
  • De l'opportunité de constituer une intégration fiscale

Au fil des textes, et de plus en plus, l'opportunité de constituer une intégration fiscale est remise en cause, et le périmètre d'intégration doit faire l'objet d'un pilotage toujours plus serré.

Lorsque la question de la constitution d'un groupe fiscalement intégré se pose, il faut d'abord regarder les résultats des entités pouvant le constituer, afin de calculer l'économie fiscale qui pourrait naître de la compensation des résultats positifs et négatifs des éventuelles filiales.

L'avantage de l'intégration fiscale est qu'elle évite les frottements fiscaux, en cas de cession d'immobilisation, de distribution de dividendes, de transactions courantes, d'aides intragroupe, etc..

L'intégration fiscale est favorable en matière de contribution additionnelle à l'IS de 3 %, car elle ne concerne pas les PME et les groupes intégrés.

Toutefois, l'intégration fiscale est aussi défavorable, notamment parce que les seuils, qui sont les mêmes que pour une société isolée, sont évalués au niveau du groupe.
Ainsi, en matière de CVAE, le taux de 1,5 % s'applique si le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions d'euros. En-dessous de ce montant, un dispositif de dégrèvement est prévu. Ce seuil s'apprécie au niveau de la société en dehors de l'intégration fiscale, mais aussi au groupe intégré.
En matière de contribution exceptionnelle de 5 % sur l'IS, le dispositif est réservé aux entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 250 millions d'euros, ce montant étant apprécié au niveau du groupe, le cas échéant.
Dans le cadre de l'article 223 B bis du CGI, la limite de trois millions d'euros, qui permet de déterminer si les intérêts seront totalement ou partiellement déductibles, s'apprécie encore au niveau du groupe.
Enfin, la contribution sociale sur les bénéfices s'applique au taux de 3,3 %, avec un abattement de 763 000 euros applicable à chaque société hors intégration fiscale, mais à tout le groupe si une intégration fiscale est constituée.

La constitution d'un groupe fiscalement intégré est donc de moins en moins favorable.

newsid:436666

Responsabilité

[Jurisprudence] La consécration prétorienne d'un cas d'exclusion de la CIVI : l'OPEX !

Réf. : Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 11-18.025, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2643KBI)

Lecture: 15 min

N6712BTR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/8063325-edition-n-524-du-18042013#article-436712
Copier

par Séverin Jean, docteur en droit privé, Université Toulouse I Capitole (IEJUC)

Le 18 Avril 2013

Si le recours à la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) permet aux victimes de certaines infractions dommageables d'obtenir la réparation intégrale des préjudices consécutifs à un dommage corporel, c'est à la condition que le fait dommageable, d'une part, présente le caractère matériel d'une infraction et, d'autre part, qu'il ne relève pas d'un régime spécifique. Or, la Cour de cassation, par un arrêt du 28 mars 2013, se propose d'illustrer ces conditions en refusant à un militaire blessé, à l'occasion d'une opération extérieure (OPEX), le bénéfice de la CIVI. En effet, dans le cadre de l'opération "Licorne" en Côte d'Ivoire, le bombardement, par l'armée régulière ivoirienne, de la base de l'armée française provoqua des morts et des blessés. L'un des militaires blessés, alors qu'il était en service, reçut une pension au titre du régime d'indemnisation des victimes de guerre. Toutefois, il décida de saisir la CIVI d'une demande d'indemnisation.

La cour d'appel de Bordeaux, par un arrêt du 2 février 2011 (1), déclara sa demande irrecevable au motif notamment que le bombardement entrait dans un contexte politique ne permettant pas de considérer le fait dommageable -le bombardement- comme une simple infraction de droit commun dont pourrait se prévaloir le militaire pour demander la réparation des préjudices devant la CIVI. Le militaire forma alors un pourvoi en cassation. Au soutien de son pourvoi, il argua d'une part, que l'existence d'un contexte politique n'enlève pas le caractère délictueux du fait dommageable, de sorte qu'il ne pouvait être privé de son droit à réparation et d'autre part, que le bombardement devait s'analyser comme une infraction de droit commun, dans la mesure où il n'était pas engagé dans une guerre contre le pays hôte, mais dans une mission de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU. Dès lors, la Cour de cassation devait se demander si un militaire en service, blessé dans le cadre d'une mission de maintien de la paix, pouvait bénéficier de la CIVI ?

La Cour de cassation rejeta le pourvoi au visa de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI) et des articles L. 4111-1 (N° Lexbase : L2541HZ7), D. 4122-7 (N° Lexbase : L5008IAQ) et L. 4123-4 (N° Lexbase : L6136IAI) du Code de la défense. Elle estima d'une part, que le militaire blessé en service qui participe à une OPEX n'est éligible qu'aux dispositions du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et qu'aux modalités d'indemnisation complémentaires fondées sur la responsabilité de l'Etat. D'autre part, elle reprend à son compte la motivation de la cour d'appel, en ce qu'elle considère que le bombardement s'inscrivait dans un contexte politique, de sorte que le fait dommageable ne peut s'analyser comme une infraction de droit commun.

La solution de la Cour de cassation est assurément très importante dans la mesure où elle vient préciser le recours à la CIVI. Ainsi, les magistrats du quai de l'Horloge entendent délimiter le droit à indemnisation eu égard à la notion d'OPEX (I), et mieux encore, ils consacrent le rejet du droit à réparation devant la CIVI, lorsque le fait dommageable intervient dans le cadre d'une OPEX (II).

I - La notion d'"OPEX" délimitant le droit à indemnisation

OPEX, pension et réparation. La Cour de cassation s'appuie très clairement sur la notion d'"opération extérieure" pour déterminer le droit à indemnisation du militaire français blessé dans le cadre de l'opération "Licorne". Dans cette situation, si le droit à pension est acquis sans aucune difficulté (A), les magistrats du quai de l'Horloge, en revanche, circonscrivent le droit à réparation eu égard à la notion même d'"opération extérieure" (B).

A - Le droit à pension acquis en matière d'OPEX

L'article L. 4123-4 du Code de la défense. L'article L. 4123-4 du Code de la défense dispose que "les militaires participant à des opérations extérieures ainsi que leurs ayants cause bénéficient : 1° Des dispositions des articles [...] du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre [...]". Il ressort de cette disposition que les militaires, intervenant dans le cadre d'une opération extérieure, ont un droit à pension dont les conditions sont fixées par le Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. En effet, l'article L. 2 (N° Lexbase : L1050G9R) de ce dernier dispose qu'"ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service [...]". Dès lors, il n'est guère étonnant que le demandeur -le militaire français- ait bénéficié du droit à pension dans la mesure où il a été blessé, pendant son service, à la suite d'un bombardement de sa base par l'armée régulière ivoirienne. Si son droit à pension n'est pas en cause, il n'en demeure pas moins important de déterminer ce que recouvre ce droit à pension, puisque l'on pourrait penser que l'irrecevabilité de sa demande d'indemnisation devant la CIVI tient au fait qu'il a déjà été indemnisé au titre de la pension d'invalidité militaire.

Contenu du droit à pension. Lorsque les conditions du droit à pension sont réunies, il convient de procéder à l'évaluation de son quantum. Pour ce faire, le Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre procède par la détermination préalable du taux d'invalidité auquel correspond un indice de pension qui tient compte du grade du militaire (2). Une fois l'indice de pension déterminé, il suffit de le multiplier par la valeur du point de pension, lequel est fixé par décret, pour connaître le montant annuel de la pension (3). Celle-ci peut être définitive si la blessure est incurable (4). Lorsque tel n'est pas le cas, la pension sera temporaire puisqu'elle est concédée pour trois ans, mais pourra être renouvelée "par périodes triennales après examens médicaux [...]" (5). Le contenu du droit à pension démontre qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une réparation intégrale, puisque la pension ne vise pas à réparer l'entier préjudice, un taux minimum de 10 % d'invalidité étant requis (6), mais constitue en quelque sorte une compensation à "l'état militaire [...] [exigeant] en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême [...]" (7).

Pension n'est pas réparation. Si le droit à pension ne saurait se confondre avec le droit à réparation intégrale, on comprend aisément que le demandeur -le militaire français- ait saisi la CIVI afin précisément d'obtenir "la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à [...] [sa] personne [...]" (8). En effet, si le droit à pension ne vise pas à réparer intégralement les préjudices consécutifs à un dommage corporel, rien n'interdit alors de saisir la CIVI, le principe de la réparation intégrale n'étant pas entamé pour solliciter le complément d'indemnisation nécessaire à la compensation de l'entier préjudice. Ce recours était, selon lui, d'autant plus envisageable, qu'il est ouvert à "toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction [...]" (9). Considérant, d'une part, que le bombardement opéré par l'armée régulière ivoirienne était à l'origine du dommage corporel, et, d'autre part, que ce fait dommageable devait s'analyser comme une infraction, le demandeur -le militaire français- pensait qu'il était parfaitement fondé à obtenir réparation auprès de la CIVI. Pourtant, la Cour de cassation juge la demande irrecevable en raison du fait que le préjudice a été subi à l'occasion d'une "opération extérieure au cours de laquelle ce militaire était en service".

B - Le droit à réparation circonscrit en matière d'OPEX

Notion d'"OPEX". Il n'existe pas de définition légale de l'opération extérieure. Selon le rapport d'information n° 2237 sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures, "les opérations extérieures s'apparentent à des engagements qui nécessitent la projection d'hommes en dehors du territoire national, sur un théâtre de crises, et qui ont pour objectif de contribuer à sa gestion" (10). Dans notre affaire, la qualification d'opération extérieure ne fait guère de doute dans la mesure où, sous l'égide de la résolution de l'ONU n° 1528 du 27 février 2004 (11), l'armée française s'est engagée dans une mission de maintien de la paix en Côte d'Ivoire où une guerre civile opposait l'armée régulière ivoirienne et des citoyens ivoiriens. Recourant à la notion d'"opération extérieure", la Cour de cassation affirme que les militaires français blessés en service à l'occasion d'une opération extérieure ne sont éligibles d'une part, qu'"aux dispositions du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre [...] [et d'autre part], qu'aux modalités d'indemnisation complémentaires fondées sur la responsabilité de l'Etat [...]". La solution des magistrats du quai de l'Horloge apporte deux informations fondamentales.

De la réparation intégrale. En premier lieu, il ne faudrait pas croire que la Cour de cassation n'entend pas réparer intégralement les préjudices subis par les militaires français blessés en service à l'occasion d'opérations extérieures. Au contraire, le principe de la réparation intégrale est observé, mais peut supposer la mise en oeuvre d'un double mécanisme : droit à pension et responsabilité de l'Etat. En effet, si la pension ne couvre pas l'entier préjudice, le militaire pensionné est en droit de saisir la juridiction administrative pour demander le complément d'indemnisation fondé sur la responsabilité de l'Etat.

De la réparation intégrale oui, mais pas par la CIVI. En second lieu, si un complément d'indemnisation peut être obtenu, lorsque la pension ne couvre pas l'intégralité du préjudice subi, il ne peut être recherché que devant une juridiction administrative, et non devant une commission d'indemnisation des victimes d'infractions. La raison ? Parce que le dommage corporel a été subi par un militaire français, en service, à l'occasion d'une opération extérieure. En d'autres termes, lorsqu'un militaire français, en service, subit un dommage corporel dans le cadre d'une opération extérieure, il ne peut pas en demander réparation devant une commission d'indemnisation des victimes d'infractions. La notion d'"opération extérieure" exclut le recours à la CIVI parce que, précisément, les militaires concernés disposent de régimes spéciaux, tels que le droit à pension et l'action en responsabilité contre l'Etat. Pour tout dire, il semble au commentateur que cet argument était largement suffisant pour déclarer irrecevable la demande d'indemnisation formulée devant la CIVI. Pourtant, la Cour cassation s'oblige à justifier sa solution en recourant à une notion teintée de complexité et d'inutilité -l'"infraction de droit commun"-, alors même qu'il suffisait de considérer que le recours à la CIVI est exclu en présence d'une OPEX, laquelle offre aux militaires français des régimes spéciaux d'indemnisation.

II - La notion d'"OPEX" excluant le droit à réparation

En matière de CIVI. Indiquons-le sans perdre de temps, la notion d'"OPEX" exclut le droit à réparation seulement devant la CIVI, puisque celui-ci peut être exercé, par exemple, au titre de régimes spéciaux. Cela étant dit, la Cour de cassation, dans cet arrêt, vient préciser que le recours à la CIVI exige de rapporter la preuve d'un fait présentant le caractère matériel d'une infraction et, chose nouvelle, celle-ci doit être de droit commun (A), ce qui est impossible lorsque le fait dommageable survient dans le cadre d'une OPEX (B).

A - L'exigence d'une infraction de droit commun en matière de CIVI

L'article 706-3 du Code de procédure pénale. Les conditions du recours à la CIVI sont prévues par l'article 706-3 du Code de procédure pénale qui dispose que "toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne[...]". La Cour de cassation, pour déclarer la demande en indemnisation devant la CIVI irrecevable au regard du texte susvisé, objecte deux arguments principaux. D'une part, l'ouverture d'une information pénale, encore en cours, dont a été saisie un juge d'instruction des armées ne peut être prise en considération pour caractériser l'apparence d'infraction dans la mesure où l'on n'en connaît pas l'issue. D'autre part, le bombardement par l'armée régulière ivoirienne, intervenant dans un contexte politique, ne permet pas de le considérer comme une infraction de droit commun.

L'ouverture d'une information pénale. Il convient au préalable d'indiquer que le recours à la CIVI peut être exercé avant même que des poursuites pénales soient engagées (12), voire après, si la réparation obtenue est jugée insuffisante. Cela étant, le fait que l'ouverture d'une information pénale n'établisse pas l'apparence d'une infraction n'est pas nouveau, puisque la Cour de cassation a déjà considéré, qu'une information ouverte du chef d'assassinat n'était pas suffisante pour établir le caractère matériel d'une infraction (13). Cette solution se comprend aisément, car il appartient à la CIVI de rechercher si les faits litigieux présentent ou non le caractère matériel d'une infraction. Dès lors, les magistrats du quai de l'Horloge, en prenant soin d'indiquer que l'issue de l'information n'est pas connue, s'inscrivent dans la continuité de cette jurisprudence. En revanche, la caractérisation de l'infraction aurait bien sûr été acquise si, à l'issue de l'information pénale, l'auteur de l'infraction avait été condamné. Nonobstant cette précision, c'est sans aucun doute le second argument développé par la Cour de cassation qui est bien plus difficile à analyser.

L'infraction de droit commun. La formulation étonne, surprend. En effet, l'arrêt commenté semble requérir l'existence non pas seulement d'un fait présentant le caractère matériel d'une infraction, comme le prévoit l'article 706-3, alinéa 1er du Code de procédure pénale, mais le caractère matériel d'une infraction de droit commun. L'utilisation de la notion "infraction de droit commun" est délicate à cerner, tant elle fait l'objet de débats doctrinaux. Il semblerait qu'il faudrait entendre par infraction de droit commun, "celle qui est soumise aux règles de fond, de compétence judiciaire ou de procédure généralement applicables aux crimes, aux délits ou aux contraventions" (14). A contrario, toutes les infractions qui obéiraient à un régime spécial devraient être considérées comme des infractions spéciales, hors du droit commun. La doctrine retient généralement (15) trois catégories d'infractions qui n'entrent pas dans la catégorie des infractions de droit commun : les infractions politiques, les infractions militaires et les infractions de presse. Si les dernières ne doivent pas retenir notre attention, il en va autrement des deux premières dans la mesure où le fait dommageable -le bombardement- est intervenu dans un contexte militaire et politique. Toutefois, il ne faut pas se méprendre, le bombardement du militaire en service dans le cadre de l'opération "Licorne" ne constitue ni une infraction politique, ni une infraction militaire.

Les infractions militaires. Celles-ci sont prévues au Titre II du Livre III de la partie législative du Code de justice militaire et se décomposent en quatre catégories : les infractions tendant à soustraire leur auteur à ses obligations militaires, comme par exemple, la désertion ; les infractions contre l'honneur et le devoir, comme par exemple, le complot militaire ; les infractions contre la discipline, comme par exemple, la rébellion ; et les infractions aux consignes, comme par exemple, le fait d'abandonner son poste en temps de paix. Toutes ces infractions montrent qu'il s'agit de sanctionner le comportement d'un militaire français et non, comme dans notre espèce, de sanctionner le comportement d'un tiers -l'armée régulière ivoirienne- à l'égard d'un militaire français.

Les infractions politiques. Celles-ci sont difficiles à identifier dans la mesure où elles ne sont pas définies par le Code pénal. En outre, même la doctrine pénaliste n'arrive pas à un consensus sur cette question. Aussi, c'est avec une extrême prudence que nous envisageons cette catégorie d'infractions. On admet généralement que constituent notamment des infractions politiques, celles visées au Titre I du Livre IV du Code pénal. Son Chapitre III, section 1 est relatif "aux atteintes à la sécurité des forces armées [...]". Or, les différentes infractions prévues dans cette section ne correspondent aucunement à notre espèce, puisqu'il est par exemple question de "provoquer à la désobéissance [...] des militaires [...]" (16). En outre, la doctrine pénaliste est généralement d'accord sur un point : le mobile de l'auteur ne saurait être suffisant pour conférer un caractère politique à une infraction (17). Par conséquent, le bombardement de l'armée française par l'armée régulière ivoirienne ne constitue pas une infraction politique faute d'une part, d'être prévue au Titre I du Livre IV du Code pénal et d'autre part, parce que le mobile est indifférent. Il n'en demeure pas moins que la Cour de cassation, en l'espèce, ne voit pas dans le bombardement une infraction de droit commun en raison du "contexte politique" dans lequel il est intervenu. Dès lors, il convient de s'efforcer de déterminer ce qu'il faut entendre par "contexte politique" du moment que celui-ci ne permet pas de qualifier l'infraction d'"infraction politique".

B - L'absence d'infraction de droit commun en matière d'OPEX

Contexte politique ? Selon les magistrats du quai de l'Horloge, "les événements [...] entrent [...] dans un contexte politique qui ne permet pas de les considérer comme une simple infraction de droit commun, ce qui rend l'article 706-3 du Code de procédure pénale inapplicable [...]". C'est donc le fait que le bombardement soit intervenu dans un contexte politique qui a pour conséquence de ne pas retenir la qualification d'"infraction de droit commun". Que faut-il entendre par "contexte politique" ? De quel contexte politique s'agit-il dans cet arrêt ?

Notion de "contexte politique". Le "contexte" désigne "l'ensemble des circonstances dans lesquelles s'insèrent un fait" (18). Si l'on y adjoint l'adjectif "politique", il s'agit alors de l'ensemble des circonstances politiques dans lesquelles s'insèrent un fait. Le fait de l'espèce est constitué par le bombardement de l'armée française, tandis que les circonstances politiques dans lesquelles s'insèrent le bombardement correspondent à la présence de l'armée française en Côte d'Ivoire en vertu d'une mission de maintien de la paix placée sous l'égide de l'ONU. C'est visiblement le sens à donner à "contexte politique" puisque la Cour de cassation conclut "que les faits à l'origine des blessures [...] relevaient d'une opération extérieure au cours de laquelle [...] [le militaire blessé était en service], [...] [de sorte] que la demande en indemnisation formée devant la CIVI était irrecevable [...]". En réalité, ce n'est pas tout à fait exact, car il semblerait qu'une fusion soit opérée entre les notions de "maintien de la paix" et d'"opération extérieure".

Maintien de la paix et opération extérieure. La rigueur commande à intégrer la notion de "maintien dans la paix" dans la catégorie plus large d'"opération extérieure". En effet, selon le rapport d'information n° 2237 sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures peuvent être classées "en trois catégories : les opérations découlant des engagements bilatéraux de défense ; les opérations de maintien de la paix directement mises en oeuvre par les Nations Unies ; les opérations, généralement de coercition, qui peuvent être exécutées par l'OTAN mais aussi par des coalitions ad hoc sur mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies" (19). Par conséquent, une opération de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU constitue, sans nul doute, une opération extérieure.

En outre, une opération extérieure menée par la France est nécessairement d'ordre politique puisque "le critère de la qualification d'"opération extérieure" retenu par le ministère de la Défense est la décision prise par le pouvoir politique d'envoyer les troupes hors de la métropole [...]" (20).

En définitive, la notion de "contexte politique" correspond dans notre arrêt à la notion "d'opération extérieure". En d'autres termes, c'est parce que le bombardement a eu lieu à l'occasion d'une opération extérieure que ce bombardement ne peut être qualifié d'"infraction de droit commun". Dès lors, on comprend pourquoi l'argument développé par le demandeur au pourvoi n'a pas convaincu. Le militaire blessé prétendait que le fait dommageable était intervenu alors qu'il remplissait une mission de maintien de la paix et non une opération de guerre contre l'hôte, de telle façon que le bombardement devait s'analyser comme une infraction de droit commun. Mais du moment que l'on regroupe sous l'appellation "opérations extérieures" tant les opérations de coercition que de maintien de la paix, il est alors inéluctable de considérer que le bombardement -fait de guerre- s'inscrit dans le cadre d'une opération extérieure et partant, ne peut être qualifié d'infraction de droit commun.

Incidence de l'OPEX. La solution de la Cour de cassation est dès lors très claire : lorsqu'un militaire engagé dans une opération extérieure subit un dommage corporel à l'occasion d'un fait de guerre -le bombardement- ce dernier échappe à la qualification d'"infraction droit commun". Toutefois, il ne faut pas oublier de préciser, comme le font les magistrats du quai de l'Horloge, qu'encore faut-il que le militaire soit en service lorsqu'il subit le dommage. En effet, imaginons un militaire en opération extérieure qui, lors d'une permission, subit une agression. Dans cette hypothèse, l'agression pourrait être qualifiée d'"infraction de droit commun" de sorte qu'il serait en mesure de prétendre à la CIVI.

Cela étant précisé, la solution de la Cour de cassation a trois conséquences majeures. En premier lieu, la logique conduit à exclure de la CIVI les faits dommageables, lorsqu'ils se produisent à l'occasion d'une opération extérieure et qu'ils visent des militaires en service. Cette position s'explique aisément, puisqu'en pareille situation, il convient de se tourner vers les régimes spéciaux d'indemnisation -pensions militaires- et la responsabilité de l'Etat. En deuxième lieu, et bien que cet argument soit inutile en raison du fait que le spécial déroge au général, cet arrêt vient préciser les conditions du recours à la CIVI en indiquant, qu'un fait doit, non seulement présenter le caractère matériel d'une infraction, mais que celle-ci doit être qualifiée d'"infraction de droit commun". En dernier lieu, il y a lieu de penser que la jurisprudence, par cette décision, vient de consacrer une nouvelle exclusion à l'article 706-3 du Code de procédure pénale, là où ce dernier n'avait prévu que des exclusions légales...


(1) CA Bordeaux, 5ème ch., 2 février 2011, n° 09/3638 (N° Lexbase : A3625HS3).
(2) V. C. pens. mil., art. L. 8 bis et s.. (N° Lexbase : L8489G7K).
(3) C. pens. mil., art. L. 8 bis, A.
(4) C. pens. mil., art. L. 7, al. 1er (N° Lexbase : L0909AGR).
(5) C. pens. mil., art. L. 8, al. 1er (N° Lexbase : L0910AGS).
(6) C. pens. mil., art. L. 4, al. 2 (N° Lexbase : L0511AGZ).
(7) C. déf., art. L. 4111-1, al. 2 (N° Lexbase : L2541HZ7).
(8) C. pr. pén., art. 706-3, al. 1er.
(9) C. pr. pén., art. 706-3, al. 1er.
(10) F. Lamy (rapporteur), Rapport d'information n° 2237 sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures, p. 12.
(11) L'article 16 de la résolution n° 1528 de l'ONU du 24 février 2004 "autorise les forces françaises [...] à user de tous les moyens nécessaires pour soutenir l'ONUCI [...]".
(12) Cass. civ. 2, 13 décembre 2001, n° 00-12.105, FS-P+B (N° Lexbase : A6256AXY), Bull. civ. II, n° 191, p. 134.
(13) Cass. civ. 2, 7 octobre 1992, n° 91-20.881 (N° Lexbase : A6036AHZ), Bull. civ. II, n° 229, p. 114.
(14) F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, 16ème éd. Economica, 2009, n° 146.
(15) Seulement généralement car, par exemple, le professeur Emmanuel Dreyer écrit qu'"à côté de ces catégories classiques, et en crise, il faut noter l'émergence de nouvelles catégories d'infractions" (E. Dreyer, Droit pénal général, éd. Litec, 2010, n° 220 et s..).
(16) C. pén., art. 413-3, alinéa 1er (N° Lexbase : L1786AM4).
(17) F. Desportes et F. Le Gunehec, op. cit., n° 158 et E. Dreyer, op. cit., n° 210.
(18) Dictionnaire, éd. Le Petit Robert, 1984, v° contexte (sens 2).
(19) F. Lamy (rapporteur), op. cit., p. 6.
(20) F. Lamy (rapporteur), ibid., p. 12.

newsid:436712

Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] De quelques précisions sur la procédure et les conséquences du licenciement d'un salarié protégé

Réf. : Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-27.964, FS-P+B, sur 1er moyen, 1ère branche et 2ème moyen pourvoi employeur, et sur 3ème moyen pourvoi salarié (N° Lexbase : A2624KBS)

Lecture: 11 min

N6696BT8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/8063325-edition-n-524-du-18042013#article-436696
Copier

par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 18 Avril 2013

Les salariés titulaires d'un mandat de représentation du personnel disposent d'un statut protecteur au sein duquel figurent des dispositions destinées à encadrer leur licenciement par une procédure spéciale. Quoique cette procédure soit ancienne et désormais bien connue, il subsiste toujours, à la marge, quelques questions qui peuvent être éclairées par la Chambre sociale de la Cour de cassation. C'est tout l'intérêt de l'arrêt rendu le 26 mars 2013 (I) qui apporte quelques précisions sur la date exacte à laquelle la procédure spéciale doit être engagée (II) mais, surtout, apporte des précisions sur les conséquences de la nullité du licenciement prononcée par le juge judiciaire (III).
Résumé

L'employeur est tenu de demander l'autorisation administrative de licencier un salarié lorsque ce dernier bénéficie du statut protecteur à la date de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement, peu important que le courrier prononçant le licenciement soit envoyé postérieurement à l'expiration de la période de protection.

Le salarié ayant attendu plus de quatre années après l'expiration de la période de protection pour demander sa réintégration ainsi qu'une indemnisation courant à compter de la date de son éviction de l'entreprise, sans pouvoir justifier de ce délai, la cour d'appel a ainsi caractérisé un abus dans l'exercice de ce droit à indemnisation.

Le salarié, dont le licenciement a été annulé, et qui demande sa réintégration, ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice lié au respect, après la rupture de son contrat de travail, d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière.

Si le licenciement d'un salarié prononcé en violation du statut protecteur est atteint de nullité et ouvre droit pour ce salarié à sa réintégration s'il l'a demandée et, dans ce cas, au versement d'une indemnité compensatrice de ses salaires jusqu'à sa réintégration qui constitue la sanction de la méconnaissance de son statut protecteur, le salarié ne peut prétendre au paiement d'une autre indemnité à ce titre.

Commentaire

I - L'affaire

  • Faits et procédure

Une fois n'est pas coutume, la complexité de l'affaire soumise à la Chambre sociale de la Cour de cassation justifie de commencer par la présenter avant de l'analyser.

Un salarié, expert-comptable, avait été élu délégué du personnel suppléant dans le cabinet au sein duquel il était employé. Son mandat prenait fin le 24 juin 2006, la protection perdurant donc jusqu'au 24 décembre de la même année. Le 18 décembre 2006, il était convoqué à un entretien préalable de licenciement pour être finalement licencié au début de l'année 2007 sans qu'une demande d'autorisation de licenciement ait été présentée à l'inspecteur du travail. Le salarié saisit le juge prud'homal pour obtenir la nullité de son licenciement, demander sa réintégration et obtenir des dommages et intérêts pour harcèlement (1).

La cour d'appel de Paris, saisie de l'affaire, répondait à de nombreux moyens essentiellement relatifs à la procédure de licenciement et aux conséquences du licenciement qu'elle jugeait illicite. Ainsi, selon les juges d'appel, le licenciement aurait dû faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès de l'inspection du travail si bien qu'il encourrait la nullité. La cour prononça la réintégration du salarié, condamna l'employeur au paiement d'une indemnité réparant le caractère illicite de la rupture et ordonna le paiement des salaires que le salarié aurait dû percevoir entre le jour de sa demande de réintégration et le jour effectif de celle-ci. Elle débouta, en revanche, le salarié de sa demande de dommages et intérêts destinés à compenser le respect d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie pécuniaire.

Ni l'employeur, ni le salarié ne semblent avoir été satisfaits de cette décision puisque chacun d'eux présenta plusieurs moyens de cassation à la Chambre sociale de la Cour de cassation.

  • Motivation de la décision

L'employeur, d'abord, contestait l'exigence d'une autorisation administrative de licenciement alors que la décision de licenciement était clairement postérieure à la fin de la période de protection, quand bien même les faits sanctionnés étaient eux antérieurs à cette date butoir. La Chambre sociale rejette le pourvoi sur ce moyen en jugeant "que l'employeur est tenu de demander l'autorisation administrative de licencier un salarié lorsque ce dernier bénéficie du statut protecteur à la date de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement, peu important que le courrier prononçant le licenciement soit envoyé postérieurement à l'expiration de la période de protection".

La seconde branche de ce premier moyen invoqué par l'employeur critiquait la condamnation à verser au salarié une indemnité compensant le caractère illicite du licenciement. Cet argument trouve grâce aux yeux de la Chambre sociale qui prononce la cassation au visa de l'article L. 2411-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0150H9G) et juge que si le salarié a demandé sa réintégration, il a droit "au versement d'une indemnité compensatrice de ses salaires jusqu'à sa réintégration qui constitue la sanction de la méconnaissance de son statut protecteur" mais "ne peut prétendre au paiement d'une autre indemnité à ce titre".

Le salarié, ensuite, invoquait d'abord par un premier moyen un manquement de la cour d'appel aux règles de calcul des indemnités allouées au titre de la violation du statut protecteur des délégués du personnel. Le salarié soutenait qu'il avait droit au paiement des salaires dus entre le moment de son éviction de l'entreprise et le moment de sa réintégration, quand bien même il avait introduit sa demande de réintégration après l'expiration de la période de protection car la tardiveté de sa demande reposait sur des raisons qui ne lui étaient pas imputables. La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé sur ce moyen. Elle conforte la cour d'appel qui avait constaté que "le salarié avait attendu plus de quatre années après l'expiration de la période de protection pour demander sa réintégration ainsi qu'une indemnisation courant à compter de la date de son éviction de l'entreprise, sans pouvoir justifier de ce délai", comportement qui caractérisait "un abus dans l'exercice de ce droit à indemnisation".

Le troisième moyen soulevé par le salarié contestait le refus d'indemnisation du respect d'une clause de non-concurrence illicite. Le salarié soutenait, en effet, que, nonobstant la nullité du licenciement et le prononcé de la réintégration, la rupture du contrat de travail avait été effective et qu'il avait par conséquent pas été tenu par une clause de non-concurrence illicite. Ce raisonnement n'est pas, lui non plus, accueilli par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui dispose que "le salarié dont le licenciement a été annulé et qui demande sa réintégration, ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice lié au respect, après la rupture de son contrat de travail, d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière".

II - Sur la procédure de licenciement d'un délégué du personnel

  • Fin de la protection du délégué du personnel

Aux termes de l'article L. 2411-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3619IPQ), le salarié investi d'un mandat de délégué du personnel bénéficie d'une protection contre le licenciement. L'article L. 2411-5 précise que le licenciement d'un délégué du personnel, qu'il soit titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail et étend cette protection "aux six premiers mois suivant l'expiration" de son mandat. Pris au pied de la lettre, ces textes semblent donc indiquer que c'est contre la décision de licenciement que le délégué du personnel est protégé puisque, par une jurisprudence constante, la Chambre sociale juge que la date du licenciement est fixée au jour de l'envoi de la lettre de notification du licenciement par l'employeur (2).

Le Code ne donne cependant pas davantage de précision. Ainsi, si l'on sait que l'entretien préalable de licenciement doit avoir lieu préalablement à la consultation du comité d'entreprise ou, à défaut de comité, préalablement à la présentation de la demande d'autorisation à l'inspecteur du travail (3), cela ne permet pas de savoir si la procédure de licenciement de droit commun, sans demande d'autorisation, peut-être engagée avant la fin de la période de protection pour que le licenciement soit lui-même prononcé après celle-ci.

En revanche, quelques décisions prennent parti sur l'hypothèse dans laquelle les faits justifiant le licenciement se sont produits pendant la période de protection alors que le licenciement est prononcé après son échéance. Dans ce cas de figure, la Chambre sociale juge que la procédure spéciale doit être respectée (4), plus encore d'ailleurs s'il est démontré que l'employeur avait déjà pris sa décision de licencier au cours de la période de protection (5). Il est cependant fait exception à cette règle lorsqu'il est démontré que l'employeur n'a eu connaissance du comportement fautif antérieur du salarié qu'après l'expiration de la période de protection (6) et, probablement, lorsque le comportement fautif a perduré après l'échéance de la période de protection.

  • L'engagement de la procédure durant la période de protection

On peut tout d'abord relever, dans cette affaire, que l'employeur reconnaissait avoir engagé une procédure de licenciement de droit commun en raison de faits s'étant déroulés durant la période de protection sans justifier avoir découvert ces faits après l'expiration de celle-ci. Cet argument, non soulevé par le salarié, aurait certainement suffit à remettre en cause le licenciement pour lequel aucune demande d'autorisation n'avait été présentée à l'inspecteur du travail.

La décision n'en est que plus intéressante puisqu'elle permet de déterminer avec davantage de précision quels éléments de la procédure doivent se dérouler durant la période de protection. Ainsi, lorsqu'un employeur envisage de licencier un salarié protégé et qu'il le convoque à un entretien préalable durant la période de protection, la procédure spéciale doit être mise en oeuvre quand bien même la notification du licenciement interviendrait après l'échéance de la période de protection.

Cette solution, très protectrice du salarié représentant du personnel, semble à première vue s'accorder difficilement avec l'idée selon laquelle, lors de l'entretien préalable de licenciement et, a fortiori, au moment de la convocation du salarié à cet entretien, l'employeur ne doit pas avoir définitivement pris la décision de le licencier. En effet, l'article L. 1232-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1075H9P) dispose, sans aucune ambiguïté, que l'employeur doit convoquer le salarié à l'entretien préalable "avant toute décision". Par sa décision, la Chambre sociale impose le respect de la procédure spéciale de licenciement alors que, théoriquement, la décision de licencier n'est pas encore prise.

La décision est cependant parfaitement logique puisque, si l'employeur convoque le salarié à un entretien préalable de licenciement durant la période de protection, cela signifie nécessairement que les faits justifiant l'éventuel licenciement se sont eux aussi produits durant la période de protection ce qui, nous l'avons vu, justifie que la procédure spéciale soit mise en oeuvre. Elle est, en outre, respectueuse de l'article L. 2421-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0209H9M) qui prévoit que "le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel [...] est soumis au comité d'entreprise [...]. Lorsqu'il n'existe pas de comité d'entreprise dans l'établissement, l'inspecteur du travail est directement saisi". Il suffit donc que le licenciement soit envisagé et non déjà décidé pour que la procédure spéciale soit mise en oeuvre.

Il faudra donc retenir désormais que la procédure de licenciement engagée durant la période de protection doit respecter les dispositions spéciales, qu'une demande d'autorisation doit être présentée à l'inspecteur du travail quand bien même la décision de licencier est reportée après la fin de la période de protection.

III - Sur les conséquences du licenciement illicite

  • Les différentes sanctions

Lorsqu'un salarié est licencié sans que l'employeur n'ait demandé d'autorisation à l'inspecteur du travail, le licenciement est de plein droit frappé de nullité (7). Cette nullité produit tous ses effets si bien que le salarié est en droit d'exiger sa réintégration dans son emploi (8) que l'employeur ne peut naturellement pas refuser (9).

Selon que le salarié accepte ou refuse la réintégration dans son emploi, les conséquences indemnitaires vont être différentes.

S'il n'est pas réintégré, le salarié peut demander des indemnités de rupture du contrat de travail, une indemnité réparant le caractère illicite du licenciement (10) ainsi qu'une indemnité "égale à la rémunération qu'il aurait perçue jusqu'à la fin de la période de protection en cours, peu important qu'il ne soit pas resté à la disposition de l'employeur" (11), c'est-à-dire entre le jour de son licenciement et la date à laquelle la protection prenait fin.

Si, en revanche, le salarié est réintégré dans son emploi, les conséquences indemnitaires vont être différentes. La réintégration étant de droit, le salarié ne peut prétendre à des indemnités de rupture, ce que confirme d'ailleurs la Chambre sociale dans l'arrêt exposé (12). Le salarié peut, nonobstant la réintégration, bénéficier d'une indemnité compensant la perte de salaire subie entre le licenciement et la réintégration (13). Dans ce cas, l'évaluation des salaires perdus est donc indépendante de la durée effective de la protection mais relève, en revanche, de la date à laquelle le salarié sera effectivement réintégré.

Or, le délai de prescription pour contester un licenciement est aujourd'hui d'une durée de cinq ans (14), ce qui implique que la décision de réintégration peut être prononcée très longtemps après le licenciement. Afin de limiter les conséquences indemnitaires extrêmes qui pourraient en découler, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet une telle indemnisation tardive à la condition que la tardiveté de la demande, survenue après la fin de la période de protection, ne soit pas imputable au salarié (15).

  • L'abus du salarié de son droit à indemnité

C'est, à notre connaissance, la première fois que la Chambre sociale de la Cour de cassation statue sur le cas inverse, celui dans lequel elle juge que la tardiveté de la demande est imputable au salarié. La Chambre sociale va plus loin en estimant qu'il s'agit en réalité d'"un abus dans l'exercice de ce droit à indemnisation" imputable au salarié, celui-ci ne justifiant pas du délai excessif de sa demande.

La qualification d'abus de droit, quoiqu'un peu imprécise, peut être acceptée. En effet, s'il est peu probable qu'une intention de nuire puisse être mise à la charge du salarié, il est plus vraisemblable que l'on puisse lui reprocher une légèreté blâmable qui, on le sait, peut permettre de caractériser l'abus de droit (16).

L'administration de la preuve est cependant plus contestable. En effet, la Chambre sociale retient que le salarié n'apportait aucune justification à la tardiveté de sa demande. C'est donc l'auteur présumé de l'abus de droit qui devait démontrer l'absence d'abus alors qu'en principe, c'est à la prétendue victime de l'abus de droit de démontrer l'existence de l'intention de nuire ou de la légèreté blâmable (17).

Cette entorse aux règles de droit commun est d'autant plus regrettable qu'elle aurait pu être évitée par la Chambre sociale si celle-ci était demeurée sur le terrain, plus neutre et malléable, de l'imputabilité au salarié de la tardiveté du recours.

  • Nullité, réintégration et clause de non-concurrence illicite

Dernier apport de la décision sous examen, la Chambre sociale juge que "le salarié, dont le licenciement a été annulé, et qui demande sa réintégration, ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice lié au respect, après la rupture de son contrat de travail, d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière".

Il est jugé par la Chambre sociale, de manière constante, que le respect par le salarié d'une clause de non-concurrence dont l'une des conditions de validité faisait défaut ouvre droit à compensation du préjudice que celui-ci a subi (18). L'employeur ne peut être dispensé de cette indemnité qu'à la condition de prouver que le salarié n'a pas respecté la clause nulle (19).

Lorsqu'un salarié est réintégré à la suite de l'annulation de son licenciement et que, dans le même temps, la clause de non-concurrence stipulée par son contrat de travail est également annulée faute de contrepartie financière, les deux nullités doivent être articulées.

Le licenciement étant annulé, le contrat de travail est réputé n'avoir jamais été rompu si bien que le salarié est considéré comme n'ayant jamais été placé dans la situation de respecter la clause de non-concurrence nulle. Ce raisonnement est d'ailleurs corroboré par le versement par le juge des salaires que le salarié aurait dû percevoir entre le licenciement et la réintégration même si, en l'espèce nous l'avons vu, cette indemnisation a été minorée en raison d'un abus de droit du salarié.


(1) Nous ne reviendrons pas sur cette question subsidiaire du harcèlement, la nullité du licenciement ne reposant pas sur ce fondement. Il faut simplement ici relever que la Chambre sociale fait dans cette affaire preuve d'une grande casuistique puisqu'elle contrôle la qualification opérée par les juges du fond de la cause objective permettant à l'employeur de renverser la présomption de faits de harcèlement. Ainsi, la Chambre sociale juge que l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur ne peut justifier que le salarié fasse "l'objet de multiples mesures vexatoires, telles que l'envoi de notes contenant des remarques péjoratives assénées sur un ton péremptoire propre à le discréditer, les reproches sur son incapacité professionnelle et psychologique et sa présence nuisible et inutile, le retrait des clés de son bureau, sa mise à l'écart du comité directeur, la diminution du taux horaire de sa rémunération".
(2) Cass. soc., 11 mai 2005 n° 03-40.650, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A2303DI7) et les obs. de G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4538AIW) ; Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-44.670, F-P (N° Lexbase : A3623DRM).
(3) C. trav., art. R. 2421-8 (N° Lexbase : L0048IAZ).
(4) Cass. soc., 23 novembre 2004, n° 01-46.234, publié (N° Lexbase : A0228DE8) ; Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-11.933 à n° 10-13.663, P+B+R+I (N° Lexbase : A3806HT7), commenté pour l'autre importante question que l'arrêt sous-tendait, v. les obs. de Ch. Radé, La Cour de cassation et les avantages catégoriels : la montagne accouche d'une souris, Lexbase Hebdo n° 444 du 16 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N4332BSA).
(5) Cass. soc., 10 octobre 2012, n° 11-20.550, F-D (N° Lexbase : A3321IUK).
(6) Cass. soc., 9 février 2012, n° 10-19.686, F-D (N° Lexbase : A3546ICC).
(7) Cass. soc., 18 décembre 2000, n° 98-42.320, publié (N° Lexbase : A2077AIR).
(8) Cass. soc., 20 mai 1992, n° 90-44.725, publié (N° Lexbase : A5214ABQ).
(9) Un refus de réintégration constitue un trouble manifestement illicite justifiant la saisie du juge des référés, v. Cass. soc., 26 novembre 1997, n° 95-44.578, publié (N° Lexbase : A9382AXR).
(10) Cass. soc., 12 juin 2001, n° 99-41.695, publié (N° Lexbase : A5217AGC).
(11) Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.769, F-D (N° Lexbase : A9713DR8).
(12) Cass. soc., 28 avril 2006, n° 03-45.912, F-D (N° Lexbase : A2046DPH).
(13) Cass. soc., 11 décembre 2001, n° 99-42.476, publié (N° Lexbase : A6551AXW) ; Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-47.623, FS-P+B (N° Lexbase : A7719DRC).
(14) Ce délai pourrait prochainement être ramené à deux ans en application de la future loi de sécurisation de l'emploi, v. le projet de loi, art. 16.
(15) Cass. soc., 11 décembre 2001, n° 99-42.476, publié (N° Lexbase : A6551AXW).
(16) Par ex., en matière d'abus du droit de rompre la période d'essai, v. Cass. soc., 6 janvier 2010, n° 08-42.826, F-D (N° Lexbase : A2151EQQ) et nos obs., Le retour de la légèreté blâmable dans la rupture d'essai, Lexbase Hebdo n° 379 du 21 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9649BMC).
(17) V. par ex. Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-19.736, F-D (N° Lexbase : A0661EB4).
(18) V. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E5208EX8) et les réf. citées.
(19) Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 03-46.933, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3385DMC) et les obs. de G. Auzero, Les clauses de non-concurrence sont d'interprétation stricte !, Lexbase Hebdo n° 200 du 2 février 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3793AKP).

Décision

Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-27.964, FS-P+B, sur 1er moyen, 1ère branche et 2ème moyen pourvoi employeur, et sur 3ème moyen pourvoi salarié (N° Lexbase : A2624KBS)

Cassation partielle, CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 13 octobre 2011, n° 08/07917 (N° Lexbase : A6122H7U)

Textes visés : C. trav., art. L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G)

Mots-clés : salarié protégé, licenciement, procédure, entretien préalable, conséquences, réintégration, clause de non-concurrence

Liens base : (N° Lexbase : E9559EST) ; ; (N° Lexbase : E9602ESG)

newsid:436696

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.