La lettre juridique n°523 du 11 avril 2013

La lettre juridique - Édition n°523

Éditorial

Sauvons le Pacs !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Le "mariage pour tous" adopté par l'Assemblée nationale, en débat devant le Sénat et suscitant, toujours, des remous sociaux particulièrement virulents, il en est un qui pourrait passer pour laissé-pour-compte : le pacte civil de solidarité (Pacs). En effet, l'extension du mariage aux couples homosexuels pourrait amputer le Pacs de sa téléologie première, l'union de tous les couples et, sans se payer de mots, plus particulièrement des couples homosexuels. Pourtant, loin de signer la mort du pacte civil, le "mariage pour tous" pourrait, bien au contraire, par une sorte de transsubstantiation, lui permettre de trouver une nouvelle jeunesse, réaffirmant son principe premier : la liberté.

D'abord, il est peut-être utile de rappeler que le Pacs est un véhicule d'union civile majoritairement emprunté par les couples... hétérosexuels. Aussi, la stigmatisation du pacte civil à une orientation sexuelle est des plus inopportunes ; ainsi, le "mariage pour tous" ne devrait pas piller le contingent des possibles partenaires. Et, si le nombre de Pacs enregistrés est en baisse constante depuis quelques années, l'adoption du "mariage pour tous" pourrait même, en brisant les derniers tabous psycho-sociaux collant au Pacs, conférer à ce dernier un regain d'intérêt. En perdant son oripeau sexuel improprement affidé, d'aucuns pourraient trouver dans le Pacs toute la liberté avec laquelle ils souhaitent composer la partition de leur union civile, alors que le mariage impose un carcan juridique protecteur, mais non nécessairement opportun.

En effet, la loi du 28 mars 2011, en permettant aux partenaires de contracter devant notaire, offre une latitude conventionnelle intéressante : d'abord, parce qu'en extradant le Pacs du tribunal de grande instance, plutôt enclin aux séparations, et en permettant au notaire de rédiger, enregistrer et transcrire le pacte auprès de l'état civil, la loi nouvelle le reconfigure et réaffirme sa contractualisation. Ensuite, si depuis le 1er janvier 2007, c'est le régime de la séparation de biens qui s'applique par défaut aux partenaires, ces derniers restant propriétaires des biens qu'ils détenaient avant de se pacser, ou qu'ils reçoivent par donation ou succession durant l'union, il est possible d'y déroger conventionnellement. Normalement, les biens achetés durant le Pacs appartiennent en propre aux partenaires s'ils les financent avec leurs revenus et ceux achetés en commun tombent en indivision, mais les pacsés peuvent opter pour le régime de l'indivision spécifique. Ainsi, tous les biens achetés durant le Pacs sont présumés appartenir à parts égales, même si un seul partenaire contribue au financement. Dans le même sens, les partenaires peuvent aussi établir une "convention de Pacs" dressée sous seing privé par un notaire qui se chargera de son enregistrement et de son dépôt au greffe du tribunal d'instance. Cette convention peut prévoir que certains des biens acquis individuellement par l'un des partenaires durant le Pacs (à l'exclusion des droits d'auteur, de la clientèle, du fonds de commerce ou des bijoux de famille) deviennent automatiquement des biens indivis et appartiennent pour moitié à chacun des deux partenaires. En clair, le régime conventionnel du Pacs emporte peu ou prou les droits traditionnellement attachés au régime de la communauté réduite aux acquêts, sans ses inconvénients ! Alors que le régime par défaut du pacte est la séparation de biens si prisée dans les contrats de mariage par devant notaire !

Au final, l'extension du "mariage à tous" permettra aux couples d'adopter le régime matrimonial de leur choix avec tous les aménagements souhaités, quelle que soit leur orientation sexuelle ; mais à dire vrai, le Pacs ne l'interdisait pas vraiment. Les règles successorales sont clarifiées, l'époux homosexuel devient héritier de plein droit et ses droits sont accrus, encore que des dispositions testamentaires peuvent déjà protéger le partenaire endeuillé. Quant à la séparation du couple, intéressant une union matrimoniale sur deux en Ile-de-France, les nouveaux mariés, comme les anciens, connaîtront la dramatisation du divorce, quand la rupture du Pacs sera toujours raillée pour la désinvolture qu'elle peut laisser transparaître. Bien évidemment, et à ne pas s'y tromper, c'est en matière parentale que tout se joue. Désormais, l'époux pourra adopter l'enfant du conjoint lorsque ce dernier aura déjà procédé à une adoption simple ou plénière. Et, en cas d'adoption simple de l'enfant du conjoint, l'autorité parentale sera exercée en commun de plein droit...

L'adoption du "mariage pour tous" n'emporte donc guère d'avantages intrinsèques supérieurs à ceux du Pacs ; il s'assimile plus volontiers à un "Pacs pour tête en l'air", c'est-à-dire une union à l'arsenal juridique protecteur par essence, quand le Pacs s'articule autour de la liberté pleine et entière de protéger de manière opportune son partenaire. L'enjeu du mariage pour tous est bien l'accès à la famille et à ses composantes (civiles et sociales).

Deux questions restent alors en suspens : l'extension de la procréation médicalement assistée à tous les couples mariés, son refus constituant clairement une discrimination directement fondée sur l'orientation sexuelle, alors que le mariage faisait précédemment "écran". Et, l'attitude de l'Eglise sera également intéressante : les pacsés, voire les personnes dont une union civile ne serait pas actée, pourront-ils s'unir religieusement, puisque le "mariage pour tous" entre directement en conflit avec le concordat régissant les rapports entre l'Eglise et la République ?

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Avocats

[Le point sur...] Pour une définition juridique du lobbying

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par Assane Boye, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Paris II - Assas, Diplômé de sciences politiques

Le 11 Avril 2013

Déclinée sous le vocable anglo-saxon de lobbying, l'activité de représentation et de défense des intérêts catégoriels a, de tout temps, été consubstantielle à toute organisation sociale dotée d'un pouvoir politique institué, nonobstant la forme et le degré d'évolution dudit pouvoir. Le périmètre imprécis de l'activité de lobbying, tout comme ses modalités d'exercice, ont donné lieu à des dérives ou des scandales à forte résonance médiatique. C'est ainsi que les autorités politiques nationales et communautaires ont été amenées à se pencher sur cette activité afin d'en circonscrire le cadre et de réguler le comportement de ses acteurs. L'évolution imparfaite du cadre règlementaire de l'activité des groupes d'intérêt (I) conduit aujourd'hui à envisager de façon plus rigoureuse une définition juridique du lobbying (II). I - Evolution du cadre règlementaire de l'activité de lobbying en France

A - Les éléments contextuels et impulsifs

Dans l'histoire politique et institutionnelle française, les groupes d'intérêt ou de pression ont longtemps eu des rapports conflictuels avec les pouvoirs publics qui les ont souvent considérés comme des factions potentiellement dangereuses pour les intérêts de la Nation ou pour l'unité et la stabilité de l'Etat.

Aussi, le législateur a toujours agi avec méfiance à leur égard, en surveillant assez strictement leurs libertés d'action (1).

La volonté du législateur français d'encadrer l'activité des groupes d'intérêt a coïncidé avec un contexte assez favorable. En effet, depuis quelques années, c'est au nom de la transparence que plusieurs organisations de représentants de groupes d'intérêt, parmi lesquels l'AFCL, l'AFCAP, PUB AFFAIRS PARIS ou le réseau BASE (2), sollicitent du législateur la reconnaissance, voire l'encadrement de leur activité.

Il en est de même pour quelques organisations de la société civile, notamment ETAL ou ANTICORPS (3) pour ne citer que celles-ci.

Entraînés dans la mouvance communautaire qui vise à règlementer les activités des groupes d'intérêt (4), l'Assemblée nationale puis le Sénat ont fini par encadrer les activités de ces groupes au sein des deux hémicycles.

L'initiative parlementaire française a aussi vraisemblablement été précipitée par la diffusion d'un documentaire précédé par la parution, entre autres, de trois ouvrages (5) qui ont suscité à des degrés divers, un certain malaise dans la classe politique.

Consécutivement à ces évènements, sur l'initiative des députés Arlette Grosskost et Patrick Baudoin (6), une proposition de résolution a finalement été déposée au bureau de l'Assemblée nationale.

B - L'introduction d'un cadre du lobbying en droit positif français

Aux fins d'encadrer l'activité de lobbying, le législateur français a été amené à initier plusieurs mesures.

Le 16 janvier 2008, le député Jean-Paul Charié a présenté à la Commission des Affaires économiques, un livre bleu, favorable à la reconnaissance et à l'encadrement de l'activité de lobbying.

Le député Marc Le Fur a conduit les travaux de la délégation parlementaire spéciale consacrée à l'activité de lobbying.

En avril 2009, un groupe de travail sur le lobbying a été créé au Sénat. Il est présidé par le sénateur Jean-Léonce Dupont.

Le 2 juillet 2009, l'Assemblée nationale a adopté des mesures règlementaires tendant à garantir davantage de transparence et d'éthique dans les relations entre députés et représentants de groupes d'intérêt.

Ces mesures sont applicables depuis le 1er octobre 2009. Elles portent plus précisément sur l'article 26 § III-B de l'Instruction générale du bureau de l'Assemblée nationale, article qui a été réécrit puis complété.

Le 7 octobre 2009, le Sénat a modifié l'Instruction générale de son bureau (Chapitre XXII bis). Il a également adopté un Code de conduite applicable aux activités de représentation d'intérêts.

Le Sénat a également publié un arrêté de Questure (7) définissant les droits et modalités d'accès des groupes d'intérêt dans l'enceinte du Palais du Luxembourg.

Pour le législateur français, il a davantage été question d'encadrer (8) l'exercice de la profession de lobbying, en règlementant les agissements des lobbyistes au sein du Parlement.

Les dix articles du Code de conduite du Bureau de l'Instruction du Sénat s'adressent explicitement aux représentants des groupes d'intérêt (les lobbyistes).

Par ailleurs, l'exposé des motifs de la proposition de Résolution adoptée par l'Assemblée nationale est sans ambiguïté sur les préoccupations du législateur.

Cet exposé des motifs de la résolution commence par la remarque introductive suivante :

"La situation du lobbying en France est aujourd'hui paradoxale. Parfois assimilé à du trafic d'influence, voire de la corruption, sa pratique n'est que difficilement admise. N'étant pas reconnu, il ne peut donc être encadré, ce qui alimente les soupçons [...]".

Si la notion de lobbying ne souffre d'aucun problème de compréhension pour les professionnels qui s'y adonnent, il demeure, dans le droit positif français, un objet juridique non identifié, alors qu'il vient d'être intégré dans le champ de compétence des activités de l'avocat (9).

En effet, la Commission des règles et usages du Conseil national des barreaux a adopté à l'Assemblée générale des 12 et 13 septembre 2008 le rapport de nos confrères Benoît Van de Moortel et Dominique Vailly. Ce rapport intitulé "L'avocat et le lobbyiste", entérine l'exercice de l'activité de conseil en lobbying ou de représentant d'intérêts par l'avocat (10).

C'est ainsi que le lobbying figure aujourd'hui parmi les métiers de l'avocat, au même titre que ses activités traditionnelles que sont par exemple le droit des sociétés, le droit social ou le droit pénal. C'est aussi le cas pour d'autres activités novatrices comme celles d'agent sportif, de mandataire d'auteurs et d'artistes ou de mandataire en transactions immobilières.

Le spectre des compétences de l'avocat s'est considérablement élargi ces dernières années, au bénéfice de ses clients, en l'occurrence consommateurs de prestations de conseils ou d'actions de lobbying, lesquels peuvent désormais s'adresser aux avocats spécialistes de ce domaine, au même titre que les acteurs traditionnels de ce métier, avec cette différence près que l'avocat demeure fondamentalement et de plein droit, dans le cadre de l'activité de lobbying, strictement soumis aux règles déontologiques attachées à sa profession, notamment la prohibition du conflit d'intérêts, le devoir de confidentialité, le devoir de compétence, le devoir de probité etc., ce qui est un gage non négligeable pour le client en pareille matière encore insuffisamment circonscrite.

II - Essai pour une définition juridique du lobbying

A - Le lobbying, un objet juridique non identifié

Etranger à la tradition latine, anglicisme de surcroît, le terme lobbying n'a pas d'équivalent en français.

Le lobbying est communément entendu comme l'activité professionnelle consistant à représenter et à défendre auprès des pouvoirs publics, des intérêts particuliers ou catégoriels.

Le lobbying peut également être conçu comme une forme d'influence politique des groupes socio-économiques organisés (11).

En pratique, le lobbying demeure le fait quasi exclusif de "groupes d'intérêt" ou "groupes de pression". Ces expressions sont des notions plus clairement définies dans les disciplines comme la sociologie, l'économie, l'histoire et les sciences politiques qui leur ont consacré une abondante littérature.

Tantôt assimilé à une méthode ou à un savoir-faire, le lobbying peut sommairement être conçu comme l'art de peser sur la décision publique ou sur ses processus d'élaboration.

Ces définitions gagneraient à être juridiquement plus précises, d'autant plus que l'activité de lobbying vient d'entrer dans une nouvelle phase institutionnelle, avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et ses lois organiques qui semblent désormais lui conférer un rôle majeur dans le processus décisionnel (12).

B - Essai d'une définition juridique du lobbying

Le lobbying s'entend de toutes actions ou communications, individuelles ou collectives, exercées par des groupes socioéconomiques organisés ou leurs mandataires, en direction des pouvoirs publics décisionnels, réglementaires, législatifs ou administratifs. Il consiste en toutes actions ou communications dont l'objet est d'influencer directement ou indirectement la norme publique ou ses processus d'élaboration.

La norme publique en question, assimilable à la règle de droit, peut concerner les actes de droit interne, communautaire ou international, classés de façon hiérarchique selon leurs auteurs, c'est-à-dire suivant la qualité de l'organe qui les émet.

Cette norme publique peut consister en Traités, en Directives, Règlements ou Décisions communautaires, en lois ou actes réglementaires pris sous forme d'ordonnances, de décrets ou d'arrêtés.

Cette définition juridique du lobbying s'articule autour des termes clefs que sont les actions et communications (1), lesquelles sont le fait de groupes socioéconomiques (2) qui s'adressent aux pouvoirs publics décisionnels (3).

1 - Le lobbying : un mode d'"action(s)" ou de "communication(s)"

Le lobbying est un mode d'actions ou de communications individuelles ou collectives. Le terme action est, dans le langage courant, pratiquement synonyme "d'acte", avec cette nuance près qu'il implique dans certains de ses usages lexicaux, une plus grande simplicité. L'acte désigne un ensemble de mouvements de l'être humain, adaptés à une fin ou coordonnés en vue d'atteindre un résultat. L'acte s'entend, en droit, de tout fait de l'Homme, par opposition à l'événement.

Par le terme "actions", synonyme "d'actes", il n'est donc pas spécifiquement fait allusion à l'écrit au sens d'"instrumentum" (13). L'acte est spécifiquement qualifié de juridique s'il désigne une opération volontaire dont le but et le résultat sont de produire des effets de droit.

Cette opération volontaire est spécifiquement considérée dans sa substance (le negotium) (14). Employé seul, le terme d'acte a un sens que lui confère plus précisément le contexte dans lequel il est utilisé, même si, de manière globale, l'acte désigne l'opération juridique et sa constatation matérielle (15).

Quant à la communication, elle peut être considérée comme le fait "d'être en relation avec", notamment par la transmission, l'émission ou la réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images ou de sons, quels qu'en soient le canal et le support. Le terme de communication, pris isolément, n'a encore fait l'objet d'aucune définition préalable du législateur qui, pourtant, y fait souvent référence dans plusieurs textes de loi, notamment dans les lois de 2004, lesquelles n'ont pas défini de façon autonome, le terme de communication (16).

Les termes d'actes et de communications structurent principalement cette définition juridique du lobbying.

Les approches, méthodologies, moyens, outils ou techniques employés pour mettre en oeuvre ces communications ou actions qualifiables de lobbying, relèvent plus de l'accessoire au sens civiliste du terme, comparé au principal (la commission par action des communications ou actions caractéristiques du lobbying).

Ces différentes manières qui consistent à faire du lobbying par l'adoption de méthodologies, de stratégies de communication et de techniques d'influence (17) sont considérées comme accessoires du fait de leur caractère à la fois dynamique et évolutif. Par conséquent, serait vaine et inefficace, toute tentative qui consisterait, par énumération, à vouloir les enfermer dans des définitions juridiques.

Si le lobbying consiste en des actes de communications ou d'actions proprement dites, la question subséquente à l'intelligibilité d'une telle définition impose de circonscrire les acteurs de ces communications ou actions.

2 - Les acteurs des communications ou actions de lobbying

Les actions ou communications entrant dans le cadre du lobbying sont exercées collectivement ou individuellement par des groupes socioéconomiques plus ou moins organisés, le cas échéant, par leurs mandataires ou intermédiaires.

L'une des particularités de ces groupes tient ipso facto à leur dimension organisationnelle ; les actions ou communications relevant du lobbying sont presque toujours le fait de groupements organisés.

Très rarement idéologiques ou philosophiques, ces groupements organisés sont souvent à caractère social ou économique.

Le lobbying peut être exercé par un membre du groupe, c'est-à-dire par une personne qui appartient au groupe, qui en partage les intérêts objectifs ou subjectifs, matériels, moraux ou idéologiques. Peu importe son mode d'appartenance au groupe ; peu importe également la nature des liens qui la lient à ce groupe, tels les relations contractuelles de travail, le salariat, le bénévolat, le militantisme...

Le lobbying est aussi régulièrement le fait d'actes et de volontés de personnes physiques expressément mandatées à cet effet, sans à proprement parler appartenir au groupe d'intérêt (le mandant).

A travers les "mandataires", sont plus généralement visés les professionnels de l'influence qui exercent souvent leur activité dans des cabinets privés (les consultants en lobbying), les personnes déléguées par des fédérations, confédérations professionnelles, associations ou organisations non gouvernementales, les salariés de sociétés ou d'entreprises (lobbyistes en interne).

En France, on peut dorénavant ajouter à cette liste, quelques professionnels du droit, entre autres, certains avocats d'affaires.

L'activité de tous ces acteurs du lobbying reste peu ou prou la même : faire office d'interface et servir d'intermédiaire entre le monde des intérêts socio-économiques et celui du pouvoir réglementaire, législatif ou administratif.

Il convient également de souligner que la dénomination qu'adoptent ces mandataires ou la qualité qu'ils se donnent présente peu d'importance (lobbyistes, Public Affairs, consultants, chargés des relations avec le Parlement, les institutions...).

En fait, ils sont directement ou indirectement rémunérés par un tiers au bénéfice de qui ils exercent des activités de lobbying.

Membres de groupes socio-économiques et mandataires couvrent donc un champ assez vaste qui englobe les entreprises, les cabinets privés de lobbying, de conseils, les agences de relations publiques ou tout autre groupement ou entité qui se livre à cette activité, quelle que soit par ailleurs son régime juridique (entreprise, organisation non gouvernementale, association, fondation, fédération, confédération professionnelle ou autre).

C'est à dessein que nous avons élargi le champ des acteurs du lobbying, car, dans la réalité des pratiques de ce métier, on trouve -comme nous l'avons déjà évoqué dans un article (18)- beaucoup de lobbyistes qui ne déclinent pas leur nom et qualité ou qui se cachent derrière des appellations peu claires, parfois trompeuses.

Le constat est qu'ils exercent véritablement des actions de lobbying dans la mesure où ils cherchent à influencer les normes juridiques ou leur processus d'élaboration.

A contrario, sont exclus du domaine des acteurs du lobbying, les groupements et partis politiques dont la vocation est d'exercer le pouvoir politique, même s'il arrive qu'ils sollicitent ponctuellement des services de lobbying ou qu'ils adoptent des méthodes et outils de lobbying pour parvenir à leurs fins (19).

3 - Les destinataires des communications ou actions de lobbying

Au plan national, les destinataires des communications ou actions de lobbying sont les institutions ou les pouvoirs décisionnels, législatifs, réglementaires et/ou administratifs. Il peut arriver que certaines autorités administratives indépendantes (ART, CSA, AMF...) (20) ou certaines organisations décentralisées soient destinataires ou cibles de communications ou actions relevant du lobbying.

En d'autres termes, sont destinataires de ces communications ou actions relevant du lobbying toutes les personnalités disposant d'un pouvoir public de décision à portée générale et impersonnelle, que leurs décisions soient prises individuellement, de façon collégiale ou délibérative.

Au plan communautaire, sont concernées comme destinataires des actions et communications afférentes au lobbying, les institutions règlementaires et législatives de l'Union européenne (la Commission, le Parlement, le Conseil des ministres).

Toutefois, d'autres instances européennes, sans faire partie des institutions communautaires, peuvent être des cibles ou destinataires de communications ou d'actions entrant dans le cadre de la définition du lobbying. C'est le cas du Conseil européen qui n'est pas directement auteur d'actes législatifs ou réglementaires, mais qui donne à ces actes, une impulsion ou une orientation (21). La remarque est aussi valable pour certains organismes consultatifs dont les avis ne lient pas les autorités décisionnelles tels que les services techniques ou les comités d'experts, certaines agences ou autorités administratives, le comité économique et social européen, le comité des régions...

Notre propos n'est pas de minimiser le rôle de ces institutions ou organisations qui, du point de vue de beaucoup de lobbyistes professionnels, ont une importance capitale dans l'orientation finale des décisions futures et constituent des relais essentiels.

Pour rendre une notion conceptuellement indisponible, il est d'usage courant d'en faire un mot "valise", un terme "fourre tout" ; ce qui, appliqué au lobbying, ne donne guère satisfaction quant aux exigences nécessaires pour une parfaite lecture aussi bien du concept que de ses modes d'action, afin d'en prévenir précisément les dérives.

Conclusion

En synthèse, les essais de définition du lobbying, tant chez les professionnels du métier que chez les rares auteurs qui écrivent sur le sujet, donnent souvent à cette activité un contenu d'une élasticité telle qu'elle échappe à toute rigueur conceptuelle.

Or, le lobbying se présente comme un mode d'influence (22) majeur, qui se traduit par toutes formes d'actions ou de communications individuelles ou collectives, principalement orientées vers les pouvoirs publics décisionnels et visant à faire naître une situation juridique, à favoriser son maintien ou sa modification. Les actions et communications relevant du lobbying constituent aussi des actes diligentés aux fins de susciter chez leurs destinataires, des abstentions ou omissions, relativement à la norme publique ou à la règle de droit, objet d'influence.

Le sens de la notion d'"influence" précitée est assez proche de celui du concept de "pouvoir" théorisé par Michel Foucault dans ses deux Essais sur le sujet et le pouvoir (23), lequel concept renvoie à la notion de "gouvernement" dans son acception du XVIème siècle (24) dont le législateur pourrait, quatre siècles plus tard, trouver de larges sources d'inspiration pour mieux cerner et encadrer l'activité de lobbying.


(1) Pour s'en convaincre le lecteur est invité à passer en revue l'édit de Turgot enregistré en lit de justice le 12 mars 1776, le décret d'Allard (2-17 mars 1791), les lois Le Chapelier du 14 et 17 juin 1791, notamment en ses articles 1 à 3.
(2) AFCL : Association française des conseils en lobbying ; AFCAP : Association française des consultants en affaires publiques ; PUB AFFAIRS PARIS : réseau pour les professionnels travaillant dans le milieu des affaires publiques ; BASE : réseau associatif de consultants en lobbying.
(3) ETAL : (réseau) Encadrement et transparence des activités de lobbying ; ANTICORPS : Association anticorruption.
(4) Le Parlement européen a été la première institution communautaire à mettre en place un système d'accréditation des groupes d'intérêt. Le 27 mai 2008, la Commission européenne lui a emboîté le pas en établissant un registre facultatif des représentants d'intérêts.
(5) Eric Eugène, Le lobbying : une imposture ?, Paris, Le Cherche midi, 2002 ; Florence Autret, Les manipulateurs, le pouvoir des lobbies, Denoël Impacts, 2003 ; mais aussi et surtout, le livre de Vincent Nouzille et Hélène Constantin, Députés sous influence : Le vrai pouvoir des lobbies à l'Assemblée nationale, Paris, Fayard, 2006. A la fin de cette même année 2006, la télévision privée Canal+ avait diffusé dans le cadre de ses émissions intitulés Lundi Investigation, un documentaire du journaliste Nicolas Bourgouin qui avait pour thème : "Les lobbies au coeur de la République". Ce documentaire n'était guère à l'avantage des parlementaires, dans leurs rapports avec les groupes d'intérêt.
(6) Proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l'Assemblée nationale, en vue d'établir des règles de transparence concernant les groupes d'intérêt. Cette Proposition de résolution porte le n° 156 et a été enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 11 septembre 2007.
(7) Arrêté de Questure n° 2009-1221 du 7 octobre 2009.
(8) Relativement à ce sujet, Voir M. Mekki, L'influence normative des groupes d'intérêt : force vive ou force subversive ? Encadrement (2ème partie), JCP éd. G, n° 44, 26 octobre 2009.
(9) Voir, Bulletin du Barreau de Paris, n° 9, 2009, p. 104 ; mais aussi, l'article de J.-A. Robert Les nouvelles activités de l'avocat, pp. 26-28, dans Avocat Paris, Le Magazine de l'Ordre des Avocats de Paris, n° 7, 4ème trimestre 2009.
(10) Benoît Van de Moortel et Dominique Vailly ont rigoureusement confronté les règles régissant le Code de déontologie de l'avocat à celles qui définissent le cadre régissant les relations entre les représentants d'intérêts et la Commission européenne qui, à cet effet, a institué un Code de conduite le 27 mai 2008, puis, un registre des représentants d'intérêts le 23 juin 2008. Il est à noter que ce registre comporte une rubrique intitulée "Lobbyistes professionnels et avocats".
(11) Pour de plus amples développements sur une telle conception du lobbying, nous invitons le lecteur à consulter l'article de Franck Lorho intitulé Lobbying et démocratie, Le Banquet n° 4, 1994/1.
(12) Voir Fabrice Fages et Frédéric Rouvillois, Lobbying : la nouvelle donne constitutionnelle, Recueil Dalloz n° 5/7410, du 4 février 2010.
(13) Instrumentum au sens d'acte instrumentaire, solennel ou probatoire, dressé pour constater, matérialiser une opération ou un fait juridique.
(14) Cf. Claude Brenner, Répertoire de droit civil, Dalloz, octobre 1999. Voir aussi, pour ce qui concerne les premiers efforts de conceptualisation doctrinale de l'acte juridique, H. Capitant., Introduction à l'étude du droit civil, 3ème éd., 1912, Pédone, n° 228 et s. ; Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 1, n° 264 et s. ; Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, t. 1, n° 115 et s.. En droit public, nous devons l'impulsion décisive du terme acte au Pr. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 1, § 30 et s. ; mais aussi, à Jeze, Cours de droit public, 1922, p. 25. Pour ce qui est de l'étude du droit comparé, en particulier du droit allemand, cf. Saleilles, De la déclaration de volonté. Contribution à l'étude de l'acte juridique dans le code civil allemand, 1901.
(15) C. civ., art. 1339 (N° Lexbase : L1449ABB).
(16) L'emploi en droit du terme communication est presque systématiquement suivi d'une épithète (communication électronique, communication audiovisuelle...). Ex. : loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC), loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, relative aux communications électriques et aux services de communications audiovisuelles (N° Lexbase : L9189D7H).
(17) Ex. : rencontres formelles ou informelles, mise à contribution de think tanks, organisation de débats, conférences, relations publiques, animations de forums, transmissions de courriers, émissions de télécopies, rédactions d'amendements, campagnes de mailing, mobilisations de l'opinion publique, rédactions de rapports ou de livres blancs, choix argumentaires et rhétoriques, organisation de coalitions...
(18) Voir notre article, Du trafic d'influence à l'influence par la communication : le second âge du lobbying, Cahiers du Centre d'études et de recherches, Humanisme et Entreprise, n° 241, juin 2000. Voir également La tardive apparition des cabinets de lobbying en France : une donnée historique et institutionnelle, Cahiers du Centre d'études et de recherches, Humanisme et Entreprise, n° 264, juillet 2004.
(19) Entre autres exemples illustratifs de groupements politiques qui ont ponctuellement sollicité des actions et communications assimilables à du lobbying, mentionnons le collectif des députés "jamais sans mon département" -collectif qui s'était positionné contre la suppression du numéro de département sur les plaques minéralogiques des automobiles-. Une mesure dont l'entrée en vigueur avait été prévue par le ministère de l'Intérieur, au plus tard à la fin de l'année 2009. La création de ce collectif a été à l'initiative de Richard Mallié, député UMP des Bouches-du-Rhône. Ce collectif avait fédéré près de deux cents députés qui avaient déjà manifesté devant leur propre hémicycle. Ces députés avaient confié la défense de leurs intérêts au lobbyiste Marc Teyssier d'Orfeuil, directeur général de Com'Publics, une société spécialisée dans les Relations publiques et le lobbying auprès des pouvoirs publics. Elle avait conçu et réalisé leur site internet (jamaissansmondepartement.fr) après avoir édité leurs brochures de présentation (voir aussi, Le Monde du 1er août 2008). Dans cet exemple d'actions et de communications relevant du lobbying, s'est posée de façon pertinente la question de la rémunération éventuelle, directe ou indirecte des acteurs du lobbying. Com'Publics, affirmait n'avoir tiré aucun profit financier direct de son opération de lobbying en faveur des élus. Elle avançait que les 200 000 euros dépensés pour cette campagne de lobbying avaient été remboursés par l'adhésion à l'opération, de la dizaine de conseils régionaux qui a cotisé entre 1 500 et 3 000 euros, en fonction de la taille de leur population. Le lobbyiste dit justifier ses actions de lobbying par une volonté d'"accompagner" les députés dans ce qu'il appelle un "vrai combat" au nom de "l'intérêt général". En réalité, ces actions et ces communications de lobbying ne relèvent d'aucune philanthropie. Les opérations de relation publique qui ont accompagné ces actions de lobbying (le nom de la société Com'Publics sur les brochures, les cartes de visite des dirigeants adressées aux élus, les liens internet vers les services de la société Com'Publics, les articles de presse qui ont relayé l'information...) concourent à accréditer l'idée d'une stratégie de retour sur investissement rondement mis en place par la société Com'Publics qui caresse aussi l'espoir d'une bienveillance des parlementaires à l'égard d'autres dossiers qui seraient défendus auprès d'eux par l'agence de lobbying dont on peut ouvertement lire sur les brochures publicitaires, le slogan suivant : "Vous avez besoin de modifier la législation, Com'Publics vous accompagne pour obtenir des normes qui vous protègent".
(20) ART : Autorité de régulation des télécommunications ; AMF : Autorité des marchés financiers ; CSA : Conseil supérieur de l'audiovisuel.
(21) Voir article 4 et 13 du Traité sur l'Union européenne.
(22) Notre ouvrage, Traité de lobbying, Les métamorphoses d'une profession controversée, à paraître aux éditions du Palio.
(23) Michel Foucault., Le sujet et le pouvoir, in Dits et Ecrits, I, Paris, Gallimard, 1994.
(24) L'influence, synonyme de pouvoir au sens foucaldien du terme, renvoie à la notion de "gouvernement" pris dans le sens qui lui a été assigné au XVIème siècle, à savoir : "conduire des conduites", "aménager la probabilité", "agir sur les possibilités d'action d'autres individus", "structurer le champ d'actions éventuelles des autres" ; ce qui peut être considéré comme une approche globalisante de l'activité de lobbying.

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Les durées maximales d'essai, normes impératives de droit international privé

Réf. : Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-25.580, FS-P+B (N° Lexbase : A2812KBR)

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N6585BT3

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 11 Avril 2013

Les conflits de lois nés d'une relation de travail comportant un élément d'extranéité sont réglés, dans le cadre de l'Union européenne, par la Convention de Rome (N° Lexbase : L6798BHA) adoptée le 19 juin 1980 et remplacée depuis le 17 juin 2008 par le Règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit "Rome I" (N° Lexbase : L7493IAR). Schématiquement, ces textes donnent la priorité à la loi choisie par les parties sachant que cette loi d'autonomie peut être écartée lorsque la loi qui aurait été appliquée faute de choix des parties comporte des dispositions impératives ou des dispositions plus protectrices du salarié. Si l'identification de ces dispositions impératives est parfois délicate, la difficulté s'accroît lorsque le texte impératif invoqué est une convention internationale telle que la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail. C'est à cette problématique qu'était confrontée la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 mars 2013. La Haute juridiction articule les dispositions de la Convention de Rome et de la Convention n° 158 de l'OIT pour appliquer les règles relatives à la durée maximale de l'essai aux relations de travail comportant un élément d'extranéité et soumises à une loi étrangère (I) ce qui, de différents points de vue, constitue une interprétation audacieuse (II).
Résumé

Les dispositions de l'article 2 de la Convention n° 158 de l'OIT constituent des dispositions impératives au sens des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980.

Est déraisonnable, au regard des exigences de la Convention n° 158 de l'OIT, une période d'essai dont la durée, renouvellement inclus, atteint un an.


I - La durée de la période d'essai des contrats de travail internationaux

  • Durée maximale de la période d'essai en droit français

La durée de la période d'essai est encadrée en droit français par plusieurs types de normes dont la prépondérance a varié avec le temps.

Longtemps, les conventions collectives de travail et la jurisprudence ont seules limité la durée des périodes d'essai (1). Les premières fixaient des durées maximales (2) auxquelles les contrats de travail ne pouvaient déroger qu'à la condition de prévoir des durées plus favorables au salarié donc plus courtes (3). La seconde invoquait parfois le concept de durée raisonnable d'essai, sans véritable soutien textuel, afin de limiter des périodes d'essai trop longues et dont on pouvait penser qu'elles constituaient un évincement frauduleux du droit du licenciement (4).

A la suite de l'adoption de l'ANI du 11 janvier 2008 et de la loi de modernisation du marché du travail qui l'a suivi (5), des durées maximales d'essai applicables de manière générale ont été introduites dans le Code du travail. Renouvellement compris, la durée de la période d'essai ne peut plus dépasser quatre mois pour un ouvrier ou un employé, six mois pour un technicien ou un agent de maîtrise, huit mois pour un cadre (6). Très clairement, l'article L. 1221-22 du Code du travail (N° Lexbase : L9030IAP) dispose que ces durées d'essai ont un caractère impératif : l'essai peut toujours comporter une durée plus courte mais ne peut excéder ces durées impératives (7).

Dernière étape de l'évolution, la Chambre sociale de la Cour de cassation a introduit, dans des affaires portant sur des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 2008 ou relevant de l'exception prévue à l'article L. 1221-22, 1° du Code du travail, une limitation supplémentaire tirée, comme autrefois, du caractère déraisonnable de certaines durées d'essai. La Chambre sociale s'appuie désormais sur un fondement textuel puisqu'elle a donné plein effet à la Convention n° 158 de l'OIT qui impose que la période d'essai, dérogeant au droit du licenciement, soit enserrée dans un délai raisonnable (8). Ainsi a-t-il été jugé à plusieurs reprises qu'un délai d'un an était déraisonnable (9) et même que, dans certains cas, une durée de six mois pouvait également ne pas respecter les prescriptions de la convention internationale (10).

Ces dispositions internationales spécifiques à la durée d'essai imposées par le juge français doivent-elles s'appliquer à une relation de travail comportant un élément d'extranéité et soumis à une loi étrangère ?

  • Contrat de travail international : conflit de lois

Lorsqu'une relation de travail comporte un élément d'extranéité, le juge prud'homal peut être amené à se demander quelle loi sera applicable à la relation. Dans le cadre de l'Union européenne, cette question est réglée depuis le 19 juin 1980 par la Convention de Rome aujourd'hui intégrée au droit dérivé par le Règlement communautaire de substitution n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit Règlement "Rome I" (11).

En principe, c'est la loi d'autonomie qui doit être appliquée, c'est-à-dire la loi choisie expressément ou tacitement par les parties (Convention de Rome, art. 3 § 1 ; Règlement "Rome I", art. 3 § 1). A défaut de choix exprès ou tacite, le juge détermine la loi applicable en recherchant la législation avec laquelle le contrat présente les liens les plus étroits sachant que, pour la relation de travail, l'article 6 de la Convention de Rome précise qu'il s'agit alors de "la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays" (12).

D'apparence simple, cette règle de conflit est cependant obscurcie par l'exigence de protection des salariés et de préservation des lois impératives qui seraient applicables si aucun choix n'avait été effectué par les parties (13). Ces lois impératives peuvent toujours être invoquées devant la juridiction saisie puisque l'article 6 § 1 de la Convention de Rome, repris presque à l'identique par l'article 8 § 1 du Règlement "Rome I", dispose que "dans le contrat de travail, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du présent article".

Si la détermination de la loi applicable faute de choix ne paraît pas présenter de trop grandes difficultés, il en va probablement autrement de l'identification des lois impératives visées par les textes internationaux. La Convention et le Règlement disposent l'un comme l'autre qu'il s'agit des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord ou par contrat, ce qui semble recouvrir l'ensemble des règles d'ordre public de la législation en cause (14).

Il s'agira, bien évidemment, de l'ensemble des règles d'ordre public absolu pour lesquelles aucune dérogation n'est envisageable (15). A cela s'ajoute les dispositions dont l'objet est d'assurer une protection minimale des salariés comme, par exemple, la réglementation des congés payés (16) ou des heures supplémentaires (17).

Quant aux sources de ces lois impératives, il convient ici de ne pas retenir une conception formelle mais matérielle de la loi. Peuvent être considérées comme des "lois" impératives les textes législatifs mais aussi les règlements et des conventions collectives de travail (18) au contraire des usages qui semblent exclus de cette qualification (19). Peut-on considérer que les dispositions issues de textes internationaux ou européens constituent, dans les Etats membres, des lois impératives qui doivent donc primer la loi d'autonomie ? Si la question est très discutée s'agissant des règles issues du droit de l'Union, qu'il s'agisse des traités ou du droit dérivé directement applicable (20), elle semble inédite s'agissant des conventions internationales et, spécialement, des conventions de l'Organisation internationale du travail.

  • L'espèce

Un salarié avait été engagé par une société irlandaise par contrat à durée déterminée d'une durée de trois ans comportant une période d'essai de six mois renouvelable une fois dans la limite de douze mois. Alors que l'intégralité de la relation devait être exécutée en France, le contrat de travail, rédigé en langue anglaise, était soumis à la législation irlandaise. Près de neuf mois après le début de la relation contractuelle, l'employeur rompait la période d'essai.

Le salarié saisit les juridictions françaises de diverses demandes parmi lesquelles il réclamait la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée et contestait la rupture du contrat de travail. La cour d'appel fit droit à sa demande de requalification mais rejeta l'ensemble des autres demandes (21).

Le salarié forma un pourvoi en cassation, un seul de ses moyens étant retenu par la Chambre sociale qui casse l'arrêt d'appel au visa des articles 3 et 6 de la Convention de Rome, applicables aux faits de l'espèce, des "principes posés par la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail" et de la dérogation prévue par l'article 2 § 2b qui permet d'exclure le droit du licenciement dans les Etats membres durant une période d'essai à condition que celle-ci comporte une durée raisonnable. La Chambre sociale juge que "pendant l'intégralité de la durée de la relation contractuelle, le contrat de travail avait été exécuté en France" et "que les dispositions de l'article 2 de la Convention n° 158 de l'OIT constituent des dispositions impératives et qu'est déraisonnable, au regard des exigences de ce texte, une période d'essai dont la durée, renouvellement inclus, atteint un an" si bien que la cour d'appel avait violé les textes visés.

II - L'application audacieuse des dispositions de la Convention n° 158 de l'OIT aux contrats de travail internationaux

  • Intégration de la Convention n° 158 de l'OIT dans le champ des lois impératives

La solution apportée par la Chambre sociale est relativement innovante même si elle n'est pas tout à fait surprenante.

Innovante car c'est à notre connaissance la première fois qu'une convention internationale est qualifiée de loi impérative au sens de la Convention de Rome. Cette prise de position peut aisément être justifiée.

D'abord parce les conventions internationales s'intègrent, par l'effet de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9Q), à l'ordre interne français si bien que la Convention n° 158 de l'OIT peut être pleinement considérée comme un texte applicable en France. A cela s'ajoute, d'ailleurs, que la Chambre sociale de la Cour de cassation semble accepter, depuis 2006, l'entière applicabilité directe de cette convention en droit interne (22).

Ensuite parce que les "principes" de la Convention n° 158 de l'OIT répondent aux caractéristiques des lois impératives. Leur caractère d'ordre public ne fait aucun doute puisqu'il a déjà été jugé que les contrats -des accords collectifs plus précisément- ne pouvaient déroger au caractère raisonnable imposé à la durée de la période d'essai. Mieux, on peut penser que le législateur est lui-même tenu de ces dispositions auxquelles il ne saurait plus aujourd'hui déroger (23).

  • Les effets internationaux de la rétroactivité de la jurisprudence française

Logique donc, cette qualification pose cependant un problème d'un point de vue chronologique.

En effet, jusqu'à présent, la Convention n° 158 de l'OIT n'était pas explicitement considérée comme relevant des lois impératives applicables en France au-delà de la loi d'autonomie choisie par les parties. Au moment des faits, l'employeur irlandais ne pouvait donc suspecter son application (24).

Le problème posé par la rétroactivité des revirements de jurisprudence et, plus globalement, des règles prétoriennes elles-mêmes, peut donc désormais, par l'effet de la Convention de Rome, déborder nos frontières. La remarque est d'autant plus significative que l'Irlande n'a pas ratifié la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail. En combinant la Convention de Rome et la Convention n° 158 de l'OIT, la Chambre sociale de la Cour de cassation réussit le tour de force d'imposer à une entreprise irlandaise d'appliquer un engagement international auquel son Etat n'est pas partie !


(1) Deux sources subsidiaires intervenaient parfois : des lois spéciales pour certaines professions (VRP, C. trav., art. L. 7313-5 N° Lexbase : L3436H97) ou pour certains contrats de travail (contrats à durée déterminée, C. trav. art. L. 1242-10, N° Lexbase : L1442H9B) ; contrats de mission (C. trav., art. L. 1251-14 N° Lexbase : L1544H93) ; des usages professionnels aujourd'hui en voie de désuétude (Cass. soc., 21 décembre 1977, n° 76-40.685, publié N° Lexbase : A3285AGR ; Cass. soc., 30 avril 1987, n° 83-45.336, publié N° Lexbase : A7342AA8).
(2) P. Pochet, Période d'essai, convention collective et contrat de travail à durée indéterminée, D., 1994, p. 77.
(3) La règle de conflit est toujours présente dans le Code du travail, v. C. trav., art. L. 2254-1 (N° Lexbase : L2417H9E).
(4) Etait déraisonnable une période d'essai de trois mois imposée à un livreur (Cass. soc., 9 juin 1988, n° 85-43.146, publié N° Lexbase : A3892AGA). Au contraire, la durée de deux mois d'essai imposée à un directeur a pu être jugée comme étant raisonnable (Cass. soc., 31 mai 2000, n° 98-42.939, inédit N° Lexbase : A8759C7K).
(5) Accord sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008, v. nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8239BDI) et loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) et v. les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL).
(6) C. trav., art. L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3).
(7) L'article L. 1221-22, 1° du Code du travail maintient tout de même la possibilité de durées maximales plus longues si celles-ci ont été établies par un accord collectif de branche conclu antérieurement à l'adoption de la loi du 25 juin 2008.
(8) Selon toute vraisemblance, l'utilisation de cette convention internationale pour limiter les durées d'essai devrait se faire de plus en plus rare, v. notre étude, Le déclin de la finalité de la période d'essai, Dr. soc., 2012, p. 788.
(9) Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41.359, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6421EHB) ; v. nos obs., Un an d'essai, une durée déraisonnable, Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6555BKY) ; JCP éd. S, 2009, p. 1335, note J. Mouly ; Dr. ouvr., 2009, p. 607, obs. N. Bizot. Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-17.945, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5267IAC), Dr. soc., 2012, p. 321, obs. J. Mouly ; RDT, 2012, p. 150 et nos obs..
(10) Cass. soc., 10 mai 2012, n° 10-28.512, FS-P+B (N° Lexbase : A1206ILA), v. nos obs., Durée de l'essai : une règle générale, des applications particulières, Lexbase Hebdo n° 486 du 24 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2067BTQ).
(11) Ce règlement n'est applicable qu'aux contrats conclus après le 17 décembre 2009.
(12) Cass. soc., 18 mai 1999, n° 97-40.531, publié (N° Lexbase : A3171AUY) ; Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 00-41.452, FS-P (N° Lexbase : A2057AW4).
(13) Pour une illustration, v. Cass. soc., 19 juin 2002, n° 00-45.471, inédit (N° Lexbase : A0455CX7).
(14) Convention de Rome, art. 3 § 3 ; Règlement "Rome I", art. 3 § 3.
(15) Par ex., les règles relatives aux accidents du travail (Cass. ch. réun., 26 mai 1921 ; S., 1923, p. 33, note Sachet) ou aux institutions représentatives du personnel (Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 02-60.119, publié, N° Lexbase : A7903DAX).
(16) CA Paris, 8 décembre 1989, RJS, 1990, n° 7.
(17) Cass. soc., 14 avril 1988, n° 85-45.574, publié (N° Lexbase : A7633AAX).
(18) CA Paris, 22ème ch., 5 janvier 1989 ; v. P. Rodière, Loi applicable à un contrat de travail conclu entre un employeur américain et un cadre embauché aux Etats-Unis puis détaché en France, Rev. crit. DIP, 1990, p. 701.
(19) Cass. soc., 12 novembre 2002, n° 99-45.821, inédit (N° Lexbase : A7088A3W).
(20) V. M. Wilderspin, X. Lewis, Les relations entre le droit communautaire et les règles de conflits de lois des Etats membres, Rev. crit. DIP, 2002, p. 1.
(21) On remarquera, au passage, que les durées maximales des contrats à durée déterminée du droit français relèvent donc, pour les juges d'appel, des dispositions impératives au sens de la Convention de Rome.
(22) P. Lokiec, L'applicabilité directe de la Convention OIT n° 158, RDT, 2006, p. 273.
(23) Le déclin des finalités de la période d'essai, préc..
(24) La rupture étant intervenue en 2006, seules les limitations conventionnelles des durées d'essai auraient éventuellement pu être anticipées.
Décision

Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-25.580, FS-P+B, sur le premier moyen (N° Lexbase : A2812KBR)

Cassation partielle, CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 18 novembre 2010, n° 09/03843 (N° Lexbase : A7726GKD)

Textes visés : Convention de Rome, art. 3 et art. 6 (N° Lexbase : L6798BHA) ; Convention n° 158 de l'OIT sur le licenciement, art. 2 § 2 b (N° Lexbase : L0963AII)

Mots-clés : contrat de travail international, période d'essai, durée raisonnable, Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail

Liens base : (N° Lexbase : E5177EXZ) ; (N° Lexbase : E8899ESE)

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Droit des étrangers

[Jurisprudence] Chronique de droit des étrangers - Avril 2013

Lecture: 19 min

N6554BTW

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 13 Avril 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de droit des étrangers de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, une décision rendue par le Conseil d'Etat le 13 février 2013 dans le contentieux des étrangers malades. La Haute juridiction apportant toujours plus de protection en exigeant la présence, dans l'avis médical établi en vue de la délivrance d'un titre de séjour, de l'indication de la capacité pour l'étranger de voyager sans risque vers son pays d'origine (CE 1° et 6° s-s-r., 13 février 2013, n° 349738, mentionné aux tables du recueil Lebon). La deuxième décision est un avis rendu par le Conseil d'Etat, toujours en date du 13 février 2013, qui affirme que, désormais, le refus implicite d'un titre de séjour peut servir de base légale à une décision portant obligation de quitter le territoire. Cette dernière décision devant, en conséquence, être motivée distinctement du refus de séjour contrairement à la règle de principe (CE 2° et 7° s-s-r., 13 février 2013, n° 363533, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, la dernière décision choisie par l'auteur concerne les recours contre les placements en rétention administrative, le Conseil d'Etat affirmant que les stipulations de l'article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4786AQC) n'impliquent pas que ces recours aient un effet suspensif sur les mesures d'éloignement (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mars 2013, n° 359428, publié au recueil Lebon).
  • L'absence, dans l'avis médical établi en vue de la délivrance d'un titre de séjour, de l'indication de la capacité pour l'étranger de voyager sans risque vers son pays d'origine peut être utilement invoquée pour contester la légalité du refus de titre de séjour (CE 1° et 6° s-s-r., 13 février 2013, n° 349738, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB= A1760I8P])

Il ressort des faits de l'espèce qu'une ressortissante marocaine a obtenu la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" pour raison de santé sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5042IQS) afin de faire soigner son oeil droit après la perte de son oeil gauche. Le préfet de l'Hérault a ensuite renouvelé, par trois fois, la délivrance de ce titre de séjour, jusqu'en septembre 2005, avant de refuser un quatrième renouvellement par un arrêté en date du 19 janvier 2006. Selon la disposition législative précitée, la carte est délivrée de plein droit à l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin inspecteur de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l'intéressé ou, à Paris, du médecin chef du service médical de la préfecture de police.

L'article L. 313-11 énumère onze catégories de personnes qui bénéficient de la délivrance "de plein droit" de ce titre de séjour, sous la seule réserve générale de la menace à l'ordre public. Si, dans la plupart des cas, il appartient au demandeur d'apporter la preuve qu'il entre objectivement dans telle ou telle catégorie, toute marge d'appréciation au profit de l'administration n'a pas disparu. Les catégories sont définies de manière tellement vague que l'administration se trouve bénéficier à nouveau d'une assez grande marge de manoeuvre. Si l'étranger appartient à une catégorie purement objective, la délivrance de plein droit du titre ne sera subordonnée qu'à la preuve de cette appartenance, mais si l'intéressé soutient appartenir à telle ou telle catégorie dont la définition laisse place à une appréciation plus subjective, comme c'est le cas en matière d'état de santé, le pouvoir discrétionnaire de l'administration retrouve toute sa place (1).

Le médecin inspecteur de santé publique a estimé, en l'espèce, que, si l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge, ce défaut de prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que l'intéressée pouvait, en tout état de cause, bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Le tribunal administratif de Marseille a, en ce sens, confirmé le refus du préfet, mais la cour administrative d'appel de Marseille (2) est revenue sur ce premier jugement en se fondant sur le fait que l'avis rendu par le médecin ne comportait pas d'indication sur la possibilité pour l'intéressée de voyager sans risque vers son pays d'origine, alors qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que son état de santé lui permettait de supporter un tel voyage (3). Pour la cour, l'absence de l'indication ne met pas l'autorité préfectorale à même de se prononcer de manière éclairée sur la situation de cet étranger. En conséquence, l'omission de l'indication en cause entache d'irrégularité la procédure suivie et, partant, affecte la légalité de l'arrêté pris à sa suite. C'est en ce sens que juge également le Conseil d'Etat en rejetant le pourvoi du ministre de l'Intérieur contre la décision de la cour administrative d'appel.

La décision ainsi rendue par le Conseil d'Etat peut apparaître, par certains égards, opportune dans un contentieux, celui des étrangers malades, où le juge administratif témoigne d'une volonté réitérée de protéger l'étranger gravement malade d'une façon efficace et, où le législateur se veut, par principe, plus sévère. La loi du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (4) a, notamment, tendu à encadrer les conditions de délivrance du titre de séjour accordé à un étranger malade afin de faire obstacle à une jurisprudence du juge administratif tendant à prendre en compte, enfin, la notion d'accès effectif aux soins dans le droit au séjour et l'éloignement des étrangers malades. Le juge administratif considérant qu'il appartenait à l'autorité administrative de vérifier que si un traitement existe, il soit accessible à la généralité de la population, eu égard, notamment, aux coûts du traitement ou à l'existence d'une prise en charge adaptée, soit parce qu'en dépit de l'accessibilité du traitement, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de la situation personnelle de l'étranger l'empêchent d'y accéder effectivement (5).

Visant à restreindre cette jurisprudence, considérée comme particulièrement favorable aux candidats à l'immigration, le législateur, via l'article L. 313-11 précité, a prévu qu'une carte de séjour est délivrée de plein droit à l'étranger malade résidant habituellement en France, "sous réserve de l'absence d'un traitement approprié" dans son pays, et non plus "sous réserve qu'il ne puisse effectivement y bénéficier d'un traitement approprié" (6). La disposition est d'autant plus sévère qu'elle peut amener à une interprétation qui l'est encore plus. Il a pu être jugé que les conséquences d'une exceptionnelle gravité d'un défaut de prise en charge médicale justifiant la délivrance d'un titre de séjour se limitaient au risque vital ou de handicap. Ainsi, un ressortissant turc, victime d'un accident de travail, est resté en France sous couvert d'autorisations provisoires délivrées pour raison de santé. Le préfet lui refuse un titre de séjour en raison de la possibilité de suivre un traitement approprié en Turquie. Ni le tribunal administratif, ni la cour d'appel ne trouvent à y redire : "le risque d'amputation d'une jambe, ne peut être juridiquement regardé comme un risque d'une exceptionnelle gravité" (7).

La modification législative a, au final, clairement pour conséquence de permettre à l'autorité administrative d'éloigner un étranger malade vers un pays dans lequel il ne pourra bénéficier d'un accès effectif au traitement, pourtant éventuellement nécessaire à sa survie. Il est, ainsi, louable que le Conseil d'Etat soit, comme en l'espèce, davantage vigilant en la matière. D'autant plus qu'il aurait pu, sur un plan strictement procédural, faire preuve de souplesse. L'existence d'un vice de procédure ne rend pas nécessairement la décision préfectorale irrégulière. Il en a justement été jugé ainsi à propos de l'avis médical donné par les médecins inspecteurs de santé publique alors qu'il aurait dû émaner de l'agence régionale de santé (8). Il est ainsi fait application de la jurisprudence "Danthony" qui permet de ne pas tenir compte du vice de procédure s'il est resté sans conséquence sur la décision (9). La décision du Conseil d'Etat est donc à saluer en ce sens sachant que, dans une telle hypothèse d'éloignement de l'étranger malade, seule l'invocation d'une violation de l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI) concernant les traitements inhumains et dégradants pourra faire échec à la mise en oeuvre de la mesure d'éloignement.

  • Le refus implicite d'un titre de séjour peut désormais servir de base légale à une décision portant obligation de quitter le territoire qui doit, en conséquence, faire l'objet d'une obligation de motivation distincte (CE 2° et 7° s-s-r., 13 février 2013, n° 363533, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1775I8A)

Tout étranger majeur qui souhaite séjourner en France doit, à l'expiration d'un délai de trois mois suivant son entrée, être muni d'un titre de séjour (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 311-1 N° Lexbase : L1242HPP). Ce principe s'impose à tous les étrangers, fussent-ils soumis à un accord international. La réponse de l'administration n'est pas toujours explicite et si elle ne statue pas sur la demande dans le délai de quatre mois fixé par l'article R. 311-12 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1585HWM), elle est réputée avoir refusé implicitement le titre de séjour demandé, mais sans que ce refus soit assorti d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) (10). Par définition, une décision explicite de refus de séjour est accompagnée presque systématiquement d'une OQTF dans la mesure où le simple refus de séjour ne constitue pas, à lui seul, une mesure d'éloignement. En même temps, le préfet peut tout à fait refuser un titre de séjour, sans pour autant l'assortir d'une OQTF. L'hypothèse peut se rencontrer lorsque les personnes concernées ne peuvent être expulsées ou éloignées du territoire et que, par conséquent, l'OQTF ne pourra jamais être exécutée de force à l'encontre de l'étranger (11).

Dans le cas d'une décision implicite de refus, l'arrêté du préfet peut, ainsi, ne mentionner que l'OQTF, c'est le cas en l'espèce où le préfet des Côtes-d'Armor a pris un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et interdiction de retour dans un délai de deux ans à l'encontre d'un ressortissant étranger en situation irrégulière. L'arrêté ne fait, cependant, aucune référence à une décision refusant ou retirant à un étranger le droit de demeurer sur le territoire national. Dans la rédaction issue de l'article 52 de la loi du 24 juillet 2006, relative à l'intégration et à l'immigration (N° Lexbase : L3439HKL) (12), l'article L. 511-1-I du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7189IQC) prévoyait que le préfet ne pouvait prendre une décision obligeant un étranger à quitter le territoire français sans lui avoir dans la même décision refusé, de manière explicite, un titre de séjour. Dans un avis contentieux du 28 mars 2008 (13), le Conseil d'Etat en avait déduit qu'il résultait de ces dispositions que le préfet ne pouvait prendre une mesure d'OQTF à l'encontre d'un étranger sans lui avoir dans la même décision, opposé, à nouveau et de manière explicite, un refus à la demande de titre de séjour. En ce sens, un refus implicite de séjour dans un délai de quatre mois ne pouvait servir de base à une OQTF.

Le Conseil d'Etat reste fidèle à la lettre du texte, ou juge, comme il le précise lui-même, "en droit" mais en agissant de la sorte, il poursuit, néanmoins, une stratégie destinée à minimiser les méfaits du dispositif lié à l'OQTF en permettant qu'il soit supplanté par celui de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (14). La Haute assemblée redonne, ainsi, à ce dernier toute sa place, la faisant redevenir la seule mesure phare dans le contentieux d'éloignement des étrangers au détriment de l'OQTF. Le dispositif ayant jusque là donné des résultats assez éloignés des objectifs poursuivis, notamment en raison de son inefficacité patente, de l'explosion du contentieux qu'on entendait juguler, ou encore de la complexité encore accrue du régime de l'éloignement.

La loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4), est venue modifier l'écriture de l'article L. 511-1. Son objectif est de rationaliser le droit de l'éloignement en transposant la Directive "retour", visant à harmoniser les règles juridiques des conditions d'éloignement des étrangers en situation irrégulière dans l'Union européenne (15). Adoptée après de longues négociations le 16 décembre 2008 par le Conseil, elle est la première Directive prise en matière d'immigration par la procédure de codécision . Son principe est de favoriser le départ volontaire pendant une période de sept à trente jours, ce délai pouvant être raccourci s'il existe un risque de fuite ou si la personne représente une menace pour l'ordre public. La loi étend, ainsi, le champ d'application de l'OQTF, qui devient la mesure d'éloignement de droit commun dans toutes les situations. En effet, le Code des étrangers prévoit qu'un étranger peut faire l'objet d'une OQTF dès lors qu'il a fait également l'objet d'une décision relative au séjour. En revanche, lorsqu'un éloignement est prononcé à l'encontre d'un étranger en situation irrégulière de façon autonome, c'est-à-dire sans lien avec une décision relative au séjour, celui-ci se voit notifier un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) immédiatement exécutoire sans délai de départ volontaire. Cette distinction entre OQTF et APRF est supprimée dans le cadre de la transposition de la Directive. Ainsi, dans tous les cas de séjour irrégulier, l'étranger qui doit être éloigné relèvera de la procédure de l'OQTF et pourra donc bénéficier d'un délai de départ volontaire (titre Ier du livre V du Code des étrangers).

Tirant les conséquences de ces modifications, le Conseil d'Etat revient, en l'espèce, sur son avis du 28 mars 2008 précité, en affirmant que le refus implicite d'un titre de séjour peut désormais servir de base légale à une décision portant OQTF. Il résulte, en effet, des nouvelles dispositions que l'administration est désormais susceptible de prononcer une OQTF, sans que cette mesure d'éloignement se fonde sur un refus de séjour.

Toutefois, le Conseil d'Etat précise, qu'en vertu de l'article L. 511-1 (septième alinéa du I), la décision énonçant l'OQTF doit être motivée. Dans la pratique, lorsqu'une administration est saisie d'une demande de titre de séjour, elle statue le plus souvent de manière explicite et la motivation du refus de séjour sert alors, également, de motivation à l'OQTF subséquente. La question que l'on était en droit de se poser est de savoir quel est le régime de la motivation d'une OQTF reposant sur un refus de titre de séjour implicite qui, par définition, n'est pas motivé. Pour le Conseil d'Etat, dans le cadre d'une décision implicite de refus de séjour, l'exception à l'obligation de motivation ne peut trouver à s'appliquer. L'autorité administrative doit, en conséquence, dans ce cas et, comme le précise le Conseil d'Etat en l'espèce, "motiver sa décision en indiquant les circonstances de fait et les considérations de droit qui la justifient".

La décision du Conseil d'Etat est, en ce sens, intéressante dans la mesure où, s'il est constant que l'arrêté peut regrouper trois décisions (celle du refus de délivrance du titre de séjour, celle faisant obligation de quitter le territoire français, celle proposant une reconduite vers un pays soit de la nationalité de l'étranger, soit dans lequel il est légalement admissible), la question demeurait, toutefois, de savoir si elles devaient être motivées individuellement. La loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007, relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (N° Lexbase : L2986H3Y) (16) y répondait par la négative. Son article 41 dispense tout simplement l'administration de motiver l'OQTF. Celle-ci n'est donc pas tenue de viser dans cette mesure la ou les disposition(s) législative(s) qui s'applique(nt) (17). Le Conseil d'Etat, dans la décision d'espèce, vient quelque peu clarifier les choses en rappelant l'obligation de motivation de l'OQTF, le refus de délivrance du titre et l'OQTF ne constituant pas les mêmes mesures, malgré l'approche adoptée par le législateur. Si la différence est mince, elle existe.

La cour administrative d'appel de Douai (18) a, notamment, mis en exergue une différence certaine entre le droit européen et le droit français sur la motivation de telles décisions, l'OQTF devant être motivée par simple application du droit européen (19), ce qui a donc pour effet d'écarter les dispositions du CESEDA sur ce point. A terme, il faudra forcément mettre fin à cette discordance entre le droit interne et le droit européen, sous peine d'éviter des sanctions répétées des décisions des juridictions administratives.

  • Les stipulations de l'article 5 § 4 de la CESDH n'impliquent pas que le recours contre un placement en rétention ait un effet suspensif sur une mesure d'éloignement (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mars 2013, n° 359428, publié au recueil Lebon)

La Cour européenne des droits de l'Homme semble aujourd'hui être le véritable gardien des lieux d'enfermement des étrangers en quête d'admission sur le territoire d'un Etat européen et le Conseil d'Etat s'incline souvent devant sa jurisprudence plus protectrice. Tel n'est pas, cependant, toujours le cas.

Il ressort des faits de l'espèce qu'un ressortissant de nationalité tunisienne est entré irrégulièrement en France au début de l'année 2011. Le préfet de la Gironde a décidé sa reconduite à la frontière par un arrêté du 5 mars 2011, le recours ayant été formé contre cet arrêté ayant été rejeté le 9 mars 2011 par une décision devenue définitive du tribunal administratif de Pau. Le requérant a été interpellé, à nouveau, le 7 octobre 2011 faisant ainsi l'objet, le même jour, d'un arrêté préfectoral décidant son placement en rétention administrative. Un nouveau recours est effectué contre cet arrêté de placement en rétention, rejeté encore une fois, cette fois par le tribunal administratif de Bordeaux le 11 octobre 2011.

La cour administrative d'appel de Bordeaux annule, néanmoins, cet arrêté par un arrêt rendu le 20 mars 2012 (20) en tant seulement qu'il indique que "le recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne suspend pas l'exécution de la mesure d'éloignement". L'absence de recours suspensif contre le placement en rétention étant, selon la Cour, incompatible avec les exigences de l'article 5 § 4 de la CESDH, selon lequel "toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale". Ces stipulations impliquant qu'un étranger faisant l'objet d'un placement en rétention ne puisse, effectivement, être éloigné avant que le juge ait statué sur le recours qu'il a, le cas échéant, introduit contre le placement en rétention. Le ministre de l'Intérieur se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a partiellement annulé l'arrêté de placement en rétention.

Le Conseil d'Etat casse l'arrêt de la cour administrative d'appel en rappelant que législateur a organisé une procédure spéciale pour que le juge statue rapidement sur les mesures d'éloignement lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence, ainsi que sur ces mesures privatives de liberté elles-mêmes (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 512-1 § 3 N° Lexbase : L7203IQT). Il insiste, notamment, sur le caractère distinct des procédures, la célérité du jugement du président du tribunal administratif ou du magistrat désigné à cet effet qui statue au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine, ou encore sur le fait que l'OQTF ne peut être exécutée d'office avant que le tribunal n'ait statué sur la demande d'annulation s'il est saisi (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 512-3 N° Lexbase : L7201IQR). Il en conclut "que les stipulations de l'article 5, paragraphe 4 [de la CESDH], qui garantissent le droit d'une personne privée de liberté de former un recours devant un tribunal qui statue rapidement sur la légalité de la détention, n'ont ni pour objet, ni pour effet, de conduire à reconnaître un caractère suspensif aux recours susceptibles d'être exercés contre les mesures de placement en rétention administrative prises pour assurer l'exécution des décisions, distinctes, qui ont ordonné l'éloignement des étrangers placés en rétention". L'arrêt de la cour cassé, le Conseil d'Etat règle l'affaire au fond et rejette le recours de l'intéressé qui portait sur la seule mesure de placement en rétention, jugeant implicitement que la fin de la rétention ne prive pas d'objet le recours.

Lorsqu'on évoque l'article 5 § 4 de la CESDH, on parle d'habeas corpus de la Convention (21). L'article donne à tout détenu le droit de faire promptement contrôler sa détention par le juge. Le droit à la liberté et à la sûreté qui y sont garantis sont des éléments essentiels du dispositif de la Convention, l'article en constituant un des piliers (22). Il instaure au profit de toute personne privée de sa liberté un droit de nature procédurale qui a une existence indépendante du premier paragraphe de l'article, lequel a trait au bien-fondé de la décision. Il faut, précise la Cour, "assurer aux individus arrêtés ou détenus le droit à une vérification juridictionnelle de la légalité de la mesure ainsi prise à leur égard" (23). Il doit s'agir de voies de recours existant "avec un degré suffisant de certitude, sans quoi lui manquent l'accessibilité et l'effectivité requises" (24).

Par exemple, l'atténuation du discernement d'une personne détenue dans un hôpital psychiatrique impose qu'elle puisse bénéficier du concours effectif d'un avocat pour l'assister dans les procédures prescrites par l'article 5 § 4 (25). En revanche, un strict parallélisme avec les garanties de l'article 6 n'a pas lieu d'être. L'exigence d'équité procédurale découlant de l'article 5 § 4 n'impose pas l'application de critères uniformes et immuables indépendants du contexte, des faits et des circonstances de la cause. Si une procédure relevant de l'article 5 § 4 ne doit pas toujours s'accompagner de garanties identiques à celles que l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) prescrit pour les litiges civils ou pénaux, elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l'individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint.

En revanche, rien n'impose, dans la jurisprudence de la Cour, que les stipulations de l'article 5 § 4 impliquent qu'un étranger faisant l'objet d'un placement en rétention ne puisse être effectivement éloigné avant que le juge n'ait statué sur le recours. Comme peut le relever le Conseil d'Etat, "les stipulations de l'article 5, paragraphe 4 [de la CESDH] [...], n'ont ni pour objet, ni pour effet de conduire à reconnaître un caractère suspensif aux recours susceptibles d'être exercés contre les mesures de placement en rétention administrative prises pour assurer l'exécution des décisions, distinctes, qui ont ordonné l'éloignement des étrangers placés en rétention". Il y a là une prise de position néanmoins assez risquée de la part de la Haute juridiction française dans la mesure où la Cour européenne a plusieurs fois sanctionné la France dans l'ensemble des procédures touchant au contentieux des étrangers justement pour absence de recours suspensif.

Dans un arrêt "Gebremehdin" (26), la Cour européenne des droits de l'Homme a, par exemple, estimé que l'absence de recours suspensif en cas de refus de demande d'asile à la frontière est constitutive d'une violation des articles 13 (droit au recours) (N° Lexbase : L4746AQT) et 3 (prohibition des traitements inhumains et dégradants) (N° Lexbase : L4746AQI) de cette Convention : l'étranger risquant d'être soumis dans son pays d'origine à des traitements inhumains ou dégradants doit pouvoir déposer un recours contre la décision administrative lui refusant l'entrée au titre de l'asile, et pour que ce recours soit effectif, il doit non seulement faire l'objet d'un examen indépendant et rigoureux, mais aussi être de plein droit suspensif. Or, le droit français ne prévoyait pas de recours particulier, c'était la voie du référé-liberté ou du référé-suspension qui était empruntée, et ces procédures n'avaient pas de plein droit un caractère suspensif. Le Gouvernement, tirant les conséquences de cette décision de la Cour européenne des droits de l'Homme, avait introduit dans la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 un nouvel article L. 213-9 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5103IPP) conférant un caractère suspensif au recours en annulation introduit par l'étranger non autorisé à entrer sur le territoire au titre de l'asile dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision de refus d'entrée.

La Cour européenne a également sanctionné récemment l'absence de recours suspensif dans la procédure "prioritaire" qui autorise le renvoi de demandeurs d'asile dans leurs pays avant l'examen de leurs griefs par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et l'a jugé incompatible avec les obligations issues de la Convention européenne des droits de l'homme. En 2011, un quart des demandes d'asile en France a été examiné selon cette procédure accélérée. Dans une décision du 2 février 2012 (27), la Cour de Strasbourg souligne que l'effectivité d'un recours "implique des exigences de qualité, de rapidité et de suspensivité, compte tenu en particulier de l'importance que la Cour attache à l'article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d'être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements". Cette absence de recours suspensif devant la CNDA pour les demandes d'asile en procédure prioritaire a placé des milliers de personnes en danger. Depuis plusieurs années, les instances de surveillance du respect des textes internationaux au sein des Nations unies et du Conseil de l'Europe et les organisations non gouvernementales n'ont cessé de recommander à la France de remédier à cette situation.

Enfin, pour finir, il faut aussi évoquer la récente condamnation de la France par la Grande chambre de la CEDH pour violation du droit à un recours effectif combiné au droit à une vie privée et familiale normale à l'endroit d'un ressortissant brésilien éloigné de Guyane. Ce ressortissant avait fait l'objet d'un ARPF et avait été reconduit au Brésil dès le lendemain, malgré son recours devant le tribunal administratif de Cayenne. Un tel recours n'est, en effet, pas suspensif en Guyane (28). Le ressortissant brésilien a, par la suite, saisi la CEDH en se plaignant, notamment, de l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé de contester la mesure de reconduite à la frontière. L'affaire a été renvoyée devant la Grande chambre après que la Cour ait conclu à l'absence de violation de l'article 13 garantissant le droit à un recours effectif (29). La Grande chambre a estimé que l'éloignement s'est déroulé suivant une procédure extrêmement rapide, "voire expéditive", n'ayant pas permis à l'intéressé d'obtenir, avant son éloignement, un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates de la légalité de la mesure (30).

Espérons, au final, que la procédure d'espèce du recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne subisse à la longue le même sort.


(1) La réserve d'ordre public restant justifiée par le fait que les étrangers ne disposent d'aucun droit de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national.
(2) CAA Marseille, 2ème ch., 22 mars 2011, n° 09MA02258, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8458HQC).
(3) Il ressort, notamment, des pièces du dossier que l'intéressée, qui a déjà perdu la vision par son oeil gauche, souffre à son oeil droit d'une vision très limitée en raison d'une pathologie dégénérative grave susceptible de conduire à terme à une totale cécité en l'absence de soins réguliers et de surveillance adéquate.
(4) Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (JO, 17 juin 2011, p. 10290).
(5) Cf. CE, S., 7 avril 2010, deux arrêts, publié au recueil Lebon n° 301640, (N° Lexbase : A5643EUK), JCP éd. A, 2010, n° 2238, comm. B. Demagny et S. Slama et n° 316625 (N° Lexbase : A5665EUD), JCP éd. A, 2010, act. 315.
(6) Cette disposition réservant, toutefois, le cas d'une "circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé", afin de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.
(7) CAA Marseille, 8ème ch., 17 juillet 2012, n° 10MA04395, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1384IS3), AJDA, 2012, p. 2200.
(8) CAA Lyon, 5ème ch., 12 avril 2012, n° 11LY02230 (N° Lexbase : A8065IPE), AJDA, 2012, p. 1423 ; CAA Nantes, 4ème ch., 20 juillet 2012, n° 11NT01538, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6763ISB), AJDA, 2012, p. 2036.
(9) CE, S., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6763ISB), AJDA, 2012, p. 195, chron. X. Domino et A. Bretonneau, RFDA, 2012, p. 284, concl. G. Dumortier.
(10) Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE), un silence de deux mois de l'administration à la suite d'une demande équivaut à une "décision implicite de rejet" ou à un refus dit "implicite". En ce qui concerne les titres de séjour, en revanche, le décret n° 2002-814 du 3 mai 2002, pris pour l'application de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif aux délais faisant naître une décision implicite de rejet (N° Lexbase : L5987IWN), prévoit une dérogation à cette règle : "le silence gardé pendant plus de quatre mois sur les demandes de titre de séjour présentées en application du [...] décret [du 30 juin 1946, lequel réglemente la délivrance des cartes de séjour] vaut décision de rejet".
(11) Ces personnes protégées sont mentionnées sous l'article L. 511-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7191IQE). Ce sont, par exemple, l'étranger mineur de dix-huit ans, l'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ou encore l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans...
(12) Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative à l'immigration et à l'intégration (JO, 25 juillet 2006, p. 11047).
(13) CE 2° et 7° s-s-r., 28 mars 2008, n° 311893, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5986D7T).
(14) Voir, en ce sens, O. Lecucq, Obligation de quitter le territoire français : suite... et fin ?, AJDA, 2008, p. 2175.
(15) Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière (N° Lexbase : L3289ICS) (JOUE n° L 348, 24 décembre 2008, p. 98).
(16) JO, 21 novembre 2007, p. 18993.
(17) Voir, en en ce sens, CAA Douai, Plén., 30 octobre 2008, n° 08DA00863, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5083EBU), AJDA, 2009, p. 32, obs. Lepers.
(18) CAA Douai, 1ère ch., 16 mai 2012, n°11DA01670, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6248IQH), JCP 2013 éd. A, n° 2027, comm. J.-B. Vila.
(19) En vertu de la Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, préc..
(20) CAA Bordeaux, 5ème ch., 20 mars 2012, n° 11BX02932, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7692IGY), AJDA, 2012, p. 1023.
(21) La cour affirmant qu'il consacre des "habeas corpus guarantees". C'est par la procédure de l'Habeas corpus que la liberté individuelle a été introduite en Angleterre en 1679, ce qui met en lumière le fait que la garantie procédurale est essentielle à cette liberté.
(22) Cf., notamment, CEDH, 18 juin 1971, Req. 2832/66 (N° Lexbase : A1789ERP), § 65.
(23) CEDH, 18 juin 1971, Req. 2832/66, préc., § 76.
(24) Par exemple, CEDH, 24 juin 2004, Req. 49158/99, § 31 à 37.
(25) CEDH, 12 mai 1992, Req. 13770/88 (N° Lexbase : A9966KBQ), § 23-27.
(26) CEDH, 26 avril 2007, Req. 25389/05 (N° Lexbase : A9539DUT).
(27) CEDH, 2 février 2012, Req. 9152/09 (N° Lexbase : A9424IBN), DA, avril 2012, comm. n° 37, V. Tchen, JCP éd. A, 2012, n° 2212, comm. G. Marti.
(28) CE 2° et 7° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 346700, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9082HZE), AJDA, 2011, p. 2208.
(29) CEDH, 30 juin 2011, Req. 22689/07 (N° Lexbase : A5582HUB), AJDA, 2011, p. 1348.
(30) CEDH, 13 décembre 2012, Req. 22689/07 (N° Lexbase : A8274IY4), D. 2013, p. 91, AJDA, 2012, p. 2408.

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Fiscalité internationale

[Textes] La réforme des "Controlled Foreign Companies" au Royaume-Uni

Réf. : Schedule 20 of Finance Bill 2012

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par Simon Ginesty, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine

Le 11 Avril 2013

Si la politique fiscale constitue l'un des principaux attributs d'un Etat souverain, il apparaît néanmoins que les pays développés disposent en la matière d'une marge de manoeuvre réduite :
- augmenter les prélèvements ? C'est courir le risque de diminuer l'attractivité générale d'un pays, avec, en point de mire, le report, voire l'annulation, de nouveaux investissements créateurs de richesse ;
- baisser la pression fiscale ? Ce sont alors les mêmes marchés financiers qui, soucieux de voir les déficits sans cesse augmenter, risquent de faire payer -au sens premier du terme- les Gouvernements incapables de redresser leurs finances publiques.
Pour régler cette épineuse question, l'un des moyens les plus efficaces est de s'attaquer à la fraude fiscale (1), puisqu'il s'agit là d'une ressource supplémentaire pour les Etats sans la contrainte, économique et politique, d'augmenter les prélèvements obligatoires. Cette lutte est donc devenue une préoccupation majeure de tous les Gouvernements. Elle vise les particuliers bien sûr, mais également les entreprises dont le taux d'imposition des plus grandes d'entre elles est régulièrement dénoncé, aussi bien dans la presse que par le législateur (2).

Et pourtant, à bien y regarder, est-ce vraiment surprenant ? Il faut ainsi rappeler qu'à l'heure de la globalisation, une grande majorité des profits est réalisée, non pas dans l'Etat où le siège de l'entreprise est situé, mais plus régulièrement à l'étranger (et notamment dans les pays émergents). Toutefois, grande est la tentation, pour certaines entreprises, de "forcer" le schéma naturel de localisation du profit, en établissant dans des territoires accueillants des centres de profits ne correspondant à aucune réalité économique.

Dès lors, les autorités fiscales ont mis en place un système général de lutte contre ce type d'optimisation fiscale, en introduisant dans leur arsenal législatif des dispositifs de "localisation du profit". L'idée sous-jacente est ainsi la suivante : réintégrer dans les bénéfices imposables d'une entreprise les revenus ou bénéfices correspondant à ceux réalisés par leurs filiales et établissements stables qui auraient été "indûment" soumis à un faible niveau d'imposition dans leur territoire de résidence.

En France, c'est l'article 209 B du CGI (N° Lexbase : L9422IT7) qui joue ce rôle de garde-fou (3). Ainsi, et par dérogation au principe général de territorialité de l'impôt sur les sociétés, défini par l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L0159IWS), le B de cet article dispose que les personnes morales établies en France seront également imposées sur leurs résultats bénéficiaires correspondant aux bénéfices réalisés par leurs filiales et établissements stables soumis à l'étranger à un régime fiscal privilégié.

Au Royaume-Uni, le système est un peu différent, dans la mesure où les revenus réalisés à l'étranger par une entreprise résidente du Royaume-Uni sont, par principe, assujettis à l'impôt dans ce pays (principe de l'impôt sur une base mondiale). Toutefois, l'immense majorité de ces profits est en réalité exonérée d'impôt britannique par le jeu des conventions internationales de lutte contre les doubles impositions. C'est pourquoi le législateur a introduit un système équivalent à l'article 209 B du CGI voici plusieurs années, connu sous le terme de "Controlled Foreign Companies" (ci-après, CFC). Toutefois, les nombreuses critiques de ce régime, quant à sa complexité, d'une part, mais aussi -et peut être surtout- à son incompatibilité avec les règles européennes, d'autre part, ont conduit le Gouvernement britannique à entreprendre une ambitieuse réforme de ce régime, applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2013, avec l'objectif affiché de faire du Royaume-Uni un territoire fiscalement accueillant.

Bien qu'intéressant, en premier lieu, les entreprises dont le siège se situe au Royaume-Uni, cette réforme concernera également toutes les filiales françaises de groupes anglais, ou même encore les filiales anglaises de groupes français, elles-mêmes détentrices de filiales. L'occasion nous est donc offerte de présenter un rapide aperçu de ce nouveau régime.

I - Controlled Foreign Companies : qu'es aquò ?

Comme son nom le laisse en partie supposer, un CFC est une entité qui :

  • n'est pas résidente du Royaume-Uni, et
  • qui est contrôlée par des personnes résidentes du Royaume-Uni.

Toutefois, l'un des points majeurs de la nouvelle législation sur les CFC a trait à l'inversion de la législation : en effet, et contrairement à la législation précédente, une entreprise étrangère n'est pas, par principe, considérée comme un CFC.

A - Une entité qui n'est pas résidente du Royaume-Uni

S'agissant de la résidence d'une entreprise, la réglementation relative aux CFC s'applique aux entités qui sont considérées, pour chaque exercice comptable, comme non-résidentes du Royaume-Uni, c'est-à-dire comme résidentes d'un autre territoire dans lequel elles sont redevables de l'impôt en raison de leur domicile, de leur résidence ou du lieu de leur direction effective.

On remarquera à cet égard que le terme de "territoire" inclut les juridictions qui ne disposent pas d'une entière souveraineté, telles que les Iles Anglo-Normandes (Jersey, Guernesey,...), mais non les Etats fédérés membre d'une Fédération (Etats-Unis, Allemagne,...) et que le terme "impôt" désigne une contribution dont la nature est similaire à l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés britannique (4).

Dans l'hypothèse où une entreprise doit être regardée comme résidente de deux ou plusieurs territoires selon ces critères, alors elle doit être considérée comme résidente du territoire :
- du lieu où sa direction effective est installée, ou bien si celui-ci ne peut être déterminé, du lieu où ses actifs sont les plus importants à la fin de la période concernée (évalués à la valeur de marché) ;
- si le premier point ne s'applique pas, du lieu expressément indiqué par ladite entreprise, ou à défaut d'une telle élection, du lieu déterminé par les autorités britanniques elles-mêmes (HMRC).

B - Une entité "contrôlée"

La notion de contrôle telle que définie par la législation anglaise regroupe les hypothèses suivantes (5) :

  • lorsqu'une entité peut s'assurer que la conduite des affaires d'une entreprise correspond à ses souhaits par (i) la détention de son capital/droit de vote ou (ii) tous pouvoirs conférés par les statuts ou autres documents relatifs à la direction de l'entreprise ;
  • lorsqu'une entité possède les droits économiques qui donnent droit à (i) plus de 50 % des produits de la vente en cas de cession d'actions, ou (ii) plus de 50 % du revenu en cas de distribution de revenus, ou (iii) plus de 50 % des actifs en cas de cessation d'activité ;
  • lorsque deux personnes contrôlent une entreprise, l'une étant résidente britannique avec au moins 40 % des droits de vote/financiers et l'autre non-résidente britannique avec 55 % ou moins des droits, cette entreprise peut toujours être considérée comme un CFC ;
  • enfin, les autorités britanniques peuvent toujours démontrer qu'une entreprise qui ne remplirait pas les conditions ci-dessus énoncées n'a agi ainsi que dans l'objectif d'échapper à l'impôt au Royaume-Uni.

II - La détermination du profit réalisé par le CFC

A - Description générale (6)

Ce n'est que dans l'hypothèse où les profits (ou seulement une partie de ces profits, le cas échéant) réalisés par un CFC tombent dans l'une des cinq catégories de revenus établies par la nouvelle législation (7), sans en être exonérés, qu'ils seront alors réintégrés dans le revenu imposable de l'entreprise qui détient le CFC et soumis à une charge fiscale supplémentaire au Royaume-Uni. Ces catégories successives établissent donc un "tunnel" par lequel les profits réalisés par les filiales étrangères doivent circuler.

La détermination du profit imposable s'opère donc selon ce tableau.

B - Profits opérationnels (règle générale) (8)

Les profits d'exploitation réalisés par les CFC sont, par principe, exclus de la nouvelle législation.

Il n'en va différemment que dans l'hypothèse où l'une des trois conditions suivantes s'avérerait remplie :

  • la création du CFC relève d'un objectif fiscal (c'est-à-dire que l'objectif de la mise en place du schéma d'acquisition ou de création du CFC a eu pour objectif principal de diminuer la charge fiscale au Royaume-Uni) ;
  • le contrôle et le management des biens et/ou des risques du CFC est réalisé depuis le Royaume-Uni (9) ; ou
  • le CFC n'a pas la possibilité de gérer les biens/risques détenus au Royaume-Uni par elle-même ou de les déléguer à une entreprise tierce.

Dans ces trois hypothèses, le profit afférent aux "fonctions humaines importantes pertinentes" exercées au Royaume-Uni et qui a été "artificiellement écarté" de l'impôt au Royaume-Uni, devra alors être réintégré (10).

Toutefois, et quand bien même l'une de ces trois conditions serait satisfaite, une entreprise ne serait pas soumise à la charge d'impôt correspondante au Royaume-Uni si elle est en mesure de démontrer que :

  • les activités déployées au Royaume-Uni ne sont pas significatives ;
  • la séparation des biens ou risques ne générerait pas d'impact fiscal significatif ; ou que
  • le schéma mis en place serait identique dans l'hypothèse où des personnes indépendantes remplaceraient les personnes occupant des postes clés de l'entreprise.

Enfin, et de manière similaire, les profits réalisés par un CFC ne seront pas réintégrés au Royaume-Uni si l'entreprise peut justifier cumulativement que :

  • le CFC dispose des locaux nécessaires à l'exploitation de son activité ;
  • les revenus provenant du Royaume-Uni n'excèdent pas 20 % ;
  • les charges de personnel afférentes au personnel localisé au Royaume-Uni n'excèdent pas 20 % des charges totales de personnel ;
  • les profits générés par le CFC ne résultent pas d'un transfert des droits immatériels au CFC par une entreprise du Royaume-Uni au cours des six dernières années ;
  • moins de 20 % des biens et services produits par le CFC ont été exportés à destination du Royaume-Uni.

C - Produits opérationnels (financiers) (11)

Dans l'hypothèse où une entité étrangère génèrerait des produits opérationnels de nature financière (c'est-à-dire essentiellement les établissements financiers et entités assimilées), seuls les produits financiers afférents aux apports réalisés par des entreprises du Royaume-Uni doivent être réintégrés dans les profits imposables de l'entreprise qui détient le CFC pour y être soumis à l'impôt sur les sociétés britannique.

En pratique, cette hypothèse vise donc les entités qui seraient créées par une entreprise du Royaume-Uni, avec des capitaux en provenance de ce pays, et qui exercerait une activité financière.

Toutefois, le texte réserve le cas où les apports peuvent être considérés comme "normaux", c'est-à-dire correspondant à des apports qui auraient été réalisés par des tiers dans des circonstances comparables. Dans ce cas, les profits correspondants sont exclus de toute réintégration au Royaume-Uni.

Par ailleurs, les entreprises qui exercent une activité de trésorerie (i.e. centre de trésorerie ou "cash-pool") ont la possibilité d'opter pour que leurs profits opérationnels financiers soient considérés comme des profits exceptionnels et donc de bénéficier d'une exonération à hauteur de 75 % des profits réalisés par le CFC (voir ci-dessous).

D - Profits exceptionnels (financiers)

Les produits exceptionnels (financiers) d'une entreprise sont, a priori, exclus de la réintégration d'impôt applicable aux CFC, du moins lorsque les produits afférents n'excèdent pas 5 % de leurs résultats opérationnels (12).

En outre, la nouvelle législation a introduit deux exonérations relatives aux prêts intra-groupes (13) :

  • exonération totale. Cette exonération est possible lorsque les prêts sont réalisés avec les propres biens du CFC dans le territoire duquel le prêt est réalisé,
  • exonération partielle (à hauteur de 75 %). Dans cette hypothèse, peu importe l'origine du prêt, dès lors que les profits résultent de prêts intra-groupes.

Toutefois, ces exonérations sont exclues, dès lors que le prêt est effectué :

  • au profit d'une entité située au Royaume-Uni (ou d'un établissement stable d'une entreprise du Royaume-Uni, mais seulement dans la mesure où celle-ci n'a pas opté pour que cet établissement stable soit considéré sur un plan fiscal comme une entreprise autonome) ;
  • au profit d'un autre CFC ;
  • au profit d'une entité qui elle-même prête à son tour l'argent à une entité tierce au groupe ;
  • au profit d'une banque ou un établissement de crédit (exception faite des prêts habituels) ;
  • par l'intermédiaire d'un établissement de crédit qui est lié au CFC ;
  • par l'intermédiaire d'une entité non-résidente ou non liée et que le prêt a pour objectif de rembourser un prêt antérieur auprès d'une tierce personne et que l'objectif principal du montage est d'obtenir un avantage fiscal pour l'une des quelconques entités. Cette dernière exception vise ainsi à éviter le cas du refinancement d'un prêt existant par la conclusion d'un prêt intra-groupe.

Enfin, ces exonérations ne sont possibles que si le CFC dispose de bureaux sur le territoire duquel il est installé.

E - La conséquence : une charge fiscale supplémentaire

Lorsque les conditions énoncées ci-dessus sont remplies, et sous réserve qu'aucune des nombreuses exonérations ne soient applicables (soit propres à chaque catégorie de revenus, soit de portée générale -voir infra-), l'entreprise devra alors s'acquitter d'une charge fiscale équivalente au montant de l'impôt sur les sociétés britannique normalement dû sur les profits réalisés par le CFC, à proportion de ses droits dans cette entreprise.

III - Exonérations

La nouvelle règlementation prévoit cinq types d'exonération ayant une portée générale : ainsi, dans ces cinq hypothèses, les profits générés par le CFC seront automatiquement -et définitivement- exonérés d'impôt au Royaume-Uni.

A - Taux d'imposition (14)

La première exonération de portée générale, et qui était auparavant l'une des conditions relative à la qualification même de CFC, a trait à son niveau d'imposition dans le territoire duquel il est situé.

Ainsi, dans l'hypothèse où, sur la période comptable concernée, le montant de l'impôt acquitté dans le territoire dont le CFC est résident à raison des profits réalisés (autres que les gains en capital) pour cette période est supérieure aux trois quarts de l'impôt anglais correspondant (c'est-à-dire l'impôt qu'aurait acquitté cette entreprise au Royaume-Uni sur de tels profits si elle était résidente de ce pays), alors l'exonération est acquise à l'entreprise.

Compte tenu du taux de l'impôt sur les sociétés au Royaume-Uni (soit 23 % actuellement, taux qui diminuera à 21 % à compter du 1er avril 2014 puis à 20 % à compter du 1er avril 2015), cela signifie que le CFC doit être soumis à un taux d'imposition au moins égal à 18 % pour que l'entreprise qui détient le CFC soit exonérée d'impôt au Royaume-Uni.

B - Montant du profit (15)

La deuxième exonération est relative au montant du profit généré par le CFC.

Ainsi, lorsque le bénéfice imposable du CFC est inférieur à 500 000 livres (pour les produits opérationnels), et 50 000 livres (pour les produits exceptionnels), aucune charge supplémentaire d'impôt n'est due par l'entreprise qui détient le CFC.

Il est à noter que, contrairement à la législation précédente, la nouvelle réglementation permet de déterminer le montant de ces profits par référence aux normes comptables locales et non plus uniquement par référence aux normes UK GAAP ou IFRS.

Par ailleurs, un dispositif particulier a été introduit pour circonscrire l'application de cette exonération en cas d'abus (notamment dans l'hypothèse où une entreprise créerait plusieurs CFC afin que chacun ne dispose pas d'un profit supérieur à ces seuils d'exonération).

C - Faible marge (16)

La nouvelle règlementation relative aux CFC a intégré une nouvelle exonération relative au taux de la marge générée par le CFC.

C'est ainsi que les profits générés par un CFC dont la marge n'excède pas 10 % de ses coûts opérationnels sont exclus du régime, et donc ne sont pas soumis à réintégration dans les bases de l'entreprise qui contrôle le CFC au Royaume-Uni.

Le taux de 10 % correspond ainsi au profit réalisé par le CFC par rapport à ses coûts opérationnels, à l'exception :

  • des coûts afférents aux achats pour revente ; ces frais sont exclus du calcul pour la détermination du taux de 10 % (sauf dans l'hypothèse où les biens sont physiquement importés au sein du territoire duquel le CFC est le résident),
  • des frais afférents aux transactions réalisées avec des entités liées au CFC,
  • des dividendes qui auraient été exonérés d'impôts au Royaume-Uni (lesquels ne doivent pas être pris en compte pour la détermination du profit).

D - Territoire exclus (17)

Compte tenu des contraintes liées à la détention d'un CFC (contraintes fiscales, administratives,...), le législateur britannique a, depuis quelques années, indiqué que certains territoires devaient être écartés de la règlementation sur les CFC. Les autorités fiscales britanniques ont ainsi établi une liste de 94 pays pour lesquels une exonération générale de la règlementation sur les CFC s'applique.

Toutefois, et à l'inverse de la réglementation précédente, cette exonération est soumise à trois conditions :

  • le montant des profits du CFC qui ont bénéficié d'une exonération ou réduction d'impôt dans le territoire duquel il est situé doit être inférieur à 50 000 livres (ou 10 % de son profit total si ce montant est supérieur) ;
  • les profits générés par le CFC ne doivent pas résulter d'un transfert des droits immatériels au CFC par une entreprise du Royaume-Uni au cours des six dernières années (condition identique à celle pour l'exonération particulière des profits opérationnels);
  • la mise en place du schéma d'acquisition ou de création du CFC ne doit pas avoir pour objectif principal de diminuer la charge fiscale au Royaume-Uni (mesure générale de lutte contre l'évasion fiscale).

E - Période d'exonération (18)

Enfin, la nouvelle règlementation prévoit que les règles relatives aux CFC ne sont pas applicables aux entreprises étrangères qui sont qualifiées de CFC pour la première fois au cours d'un exercice. En conséquence, aucune réintégration n'est à opérer au titre de ce premier exercice.


(1) Sur la définition de fraude fiscale, en comparaison au terme d'évasion fiscale ou d'optimisation fiscale, V. notamment, le Rapport établi par M. Eric Bocquet au nom de la Commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales du Sénat.
(2) V. Rapport de M. Bocquet précité. V. également Rapport OCDE (2013), Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, Editions OCDE.
(3) En complément du principe général de l'abus de droit (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU) et de l'article 57 du CGI (N° Lexbase : L3365IGQ), relatif aux transferts indirects de bénéfices. Cet article a fait l'objet de changements significatifs par la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L9357ITQ), portant tant sur son champ d'application que sur la charge de la preuve que doit rapporter la société française pour bénéficier d'une exonération.
(4) HMRC International Manual, INTM202050.
(5) Income and Corporation Taxes Act 1988, s 747(1) (2).
(6) Chapter 3 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(7) Pour des raisons de simplification, nous ne détaillerons pas les règles relatives aux entreprises d'assurance, ni aux produits financiers spécifiques (ces derniers concernent les établissements financiers qui ont choisi d'inclure les capitaux propres de leurs filiales pour les besoins du calcul de leur propre ratio en fonds propres -"solo consolidation waiver"-).
(8) Chapter 4 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(9) Cette terminologie fait expressément référence à celle utilisée pour la détermination des profits attribuables aux établissements stables dans les commentaires OCDE relatifs aux conventions fiscales (C(7)-6, n° 15 et suivants : "compte tenu des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés").
(10) Même commentaire que note précédente (terminologie relative à l'identification des établissements stables).
(11) Chapter 6 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(12) Chapter 5 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(13) Chapter 9 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(14) Chapter 14 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(15) Chapter 12 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(16) Chapter 13 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(17) Chapter 11 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(18) Chapter 10 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2012 à mars 2013)

Lecture: 21 min

N6596BTH

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"

Le 25 Mars 2014

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacré à l'actualité d'octobre 2012 à mars 2013. L'actualité est particulièrement marquée en matière de faute médicale, qu'il s'agisse de faute technique (faute du chirurgien esthétique, Cass. civ. 1, 6 février 2013, n° 12-17.423, F-P+B ; ou faute du chirurgien dentiste, Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-12.300, FS-P+B+I), de faute de surveillance (faute d'enregistrement du rythme foetal pendant plusieurs minutes, Cass. civ. 1, 13 décembre 2012, n° 11-27.347, FS-P+B+I), de faute conduisant à la naissance d'enfant handicapé (Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.020, FS-P+B+I), de faute liée à l'établissement de certificats médicaux (Cass. civ. 1, 5 décembre 2012, n° 11-24.527, F-D), ou encore de faute liée à un défaut d'information (cf. Cass. civ. 1, 6 février 2013, n° 12-17.423, F-P+B et Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n° 11-26.516, FS-D). En matière de produits de santé, l'auteur a relevé un arrêt inédit du 13 décembre 2012, dont il ressort que la prescription décennale de l'article L. 110-4 du Code de commerce s'applique à l'action fondée par le patient contre le fabricant d'un vaccin et fondée sur le défaut de celui-ci (Cass. civ. 1, 13 décembre 2012, n° 11-24.496, F-D). A noter, enfin, l'arrêt de la deuxième chambre civile du 22 novembre 2012 qui vient préciser la notion de préjudice spécifique de contamination (Cass. civ. 2, 22 novembre 2012, n° 11-21.031, FS-P+B). 1. Responsabilité médicale

1.1. Faute médicale

1.1.1. Fautes techniques

1.1.1.1.Geste chirurgical

  • Caractère fautif du geste médical inadapté révélé par la réalisation d'un dommage prévisible (Cass. civ. 1, 6 février 2013, n° 12-17.423, F-P+B N° Lexbase : A6259I7X)

Intérêt de la décision. Cet arrêt fournit une illustration de la sévérité de la jurisprudence à l'égard du chirurgien esthétique (1).

L'affaire. Un patient se plaignait des séquelles d'une chirurgie esthétique du ventre, singulièrement du caractère disgracieux des cicatrices.

Pour rejeter les demandes indemnitaires du patient, la cour d'appel avait, au vu du rapport d'expertise, considéré qu'il n'existait pas de geste médical ou chirurgical pour éviter la survenance d'un épanchement considéré comme une simple complication et non comme le résultat d'une faute commise par le chirurgien (CA Reims, 17 janvier 2012, n° 10/02282 N° Lexbase : A3425IBH).

La cassation. L'arrêt est cassé pour manque de base égale, au visa de l'article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), la Haute juridiction reprochant aux juges d'appel d'avoir ainsi statué sans rechercher, comme il leur était demandé, "si la nécrose cutanée à la jonction des cicatrices verticale et horizontale, complication connue pour les plasties abdominales dont elle avait constaté la survenance, n'aurait pas pu être évitée par un geste médical adapté".

Une faute révélée par le dommage. La sévérité de la Cour de cassation est ici extrême, ce qui ne surprendra pas lorsque l'on connaît son intransigeance avec les chirurgiens esthétiques. Elle considère en effet que la survenance de la nécrose dénoncée, qui constitue une complication connue, est susceptible d'être évitée par un geste chirurgical adapté, et qu'à défaut d'avoir établi que ce geste avait été envisagé, puis écarté par le praticien pour des raisons légitimes, la mise hors de cause de celui-ci ne peut valablement être prononcée.

En d'autres termes, la survenance d'un risque de complication connu laisse supposer qu'une faute a pu être causée par le choix d'une technique inadaptée, à charge pour le chirurgien, et les juges du fond, d'établir en quoi une autre technique à même d'éviter le dommage ne pouvait pas être envisagée dans l'espèce.

On le comprend aussitôt, l'application d'un régime de responsabilité médicale pour faute n'interdit pas au juge de recourir à la technique des présomptions pour renforcer la protection des patients, et la sévérité à l'égard de certains praticiens, comme on pouvait d'ailleurs s'y attendre (2).

1.1.1.2. Responsabilité des dentistes et appareillages

  • Ne commet pas de faute le chirurgien dentiste dans l'exécution de prestations comprenant la conception et la délivrance d'un appareillage, dès lors que celles-ci étaient opportunes, adaptées et nécessaires eu égard à la pathologie de la patiente, que les soins avaient été dispensés dans les règles de l'art en fonction de la difficulté particulière du cas de la patiente et que les résultats obtenus correspondaient au pronostic qu'il était raisonnable d'envisager (Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-12.300, FS-P+B+I N° Lexbase : N4400BPN)

Intérêt. Cet arrêt, très largement publié (FS-P+B+R+I), marque la fin d'une jurisprudence très favorable aux victimes qui consacrait l'existence d'une obligation de sécurité de résultat des dentistes lorsqu'était en cause la conception et la fourniture d'un appareillage dentaire.

L'affaire. La patiente, qui souffrait d'un déchaussement parodontal, avait été soignée à partir de 1998 par un chirurgien dentiste qui lui avait, le 27 décembre 2002, soumis un devis pour deux inlays et quatre couronnes inlays-core qu'il a mis en place entre mai et juillet 2003. Se plaignant de douleurs persistantes, la patiente a recherché sa responsabilité civile, mais a été déboutée par la cour d'appel de Paris qui a écarté toute faute du praticien (3).

Dans son pourvoi, le patient invoquait le bénéfice d'une obligation de sécurité de résultat, fondée sur le contrat de soins, en vertu de laquelle le médecin est tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu'il peut légitimement en attendre, une telle obligation, incluant la conception et la confection de cet appareillage.

Tel n'est pas l'avis de la première chambre civile de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et confirme l'absence de faute, la cour d'appel de Paris "ayant constaté que les prestations [...], qui comprenaient la conception et la délivrance d'un appareillage, étaient opportunes, adaptées et nécessaires eu égard à la pathologie [...], que les soins avaient été dispensés dans les règles de l'art en fonction de la difficulté particulière du cas de la patiente et que les résultats obtenus correspondaient au pronostic qu'il était raisonnable d'envisager".

L'abandon de la jurisprudence relative à l'obligation de sécurité de résultat du dentiste concernant la conception des prothèses. Indiscutablement l'objet de la décision, et la large publicité qui l'accompagne (FS-P+B+R+I) démontrent la portée que la Haute juridiction entend conférer à la décision qui abandonne une jurisprudence classique.

On se rappellera, en effet, que la Cour de cassation avait eu antérieurement l'occasion d'affirmer que "le chirurgien-dentiste est, en vertu du contrat le liant à son patient, tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu'il peut légitimement en attendre, une telle obligation, incluant la conception et la confection de cet appareillage, étant de résultat" (4).

Portée de la solution. Dans cette affaire, la patiente était soignée pour une pathologie ancienne et invalidante. L'intervention du dentiste était indiscutablement de nature médicale et l'application du régime de la responsabilité pour faute de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique logique. Le reste était ici question d'appréciation des circonstances de l'espèce, et d'expertise médicale qui avait écarté toute faute du praticien.

Reste à déterminer la portée exacte de cette solution, notamment lorsque la mise en place de la prothèse ne répond pas à une véritable nécessité médicale mais aux souhaits esthétiques du patient, car, dans cette hypothèse, on pourrait considérer que le dentiste, fournisseur de la prothèse, s'oblige à délivrer une prestation conforme à ce à quoi il s'est engagé, et que s'il garantit un certain résultat il doit être responsable par le seul fait que ce résultat n'a pas été atteint.

Compte tenu de la publicité accordée à cette décision, il semble bien que l'application du régime de la responsabilité pour faute sera générale, sans que des distinctions selon les cas de figure ne soient envisagées. En l'absence de faute, la victime pourra bien tenter sa chance auprès de la solidarité nationale, mais l'on sait que les obstacles y sont nombreux, à commencer par le seuil de gravité qui, dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, n'était certainement pas atteint.

1.1.1.3. Surveillance

  • Faute d'enregistrement du rythme foetal pendant plusieurs minutes, il incombait à la clinique d'apporter la preuve qu'au cours de cette période, n'était survenu aucun événement nécessitant l'intervention du médecin obstétricien (Cass. civ. 1, 13 décembre 2012, n° 11-27.347, publié N° Lexbase : A8295IYU (5))

Intérêt. Cet arrêt est d'une importance capitale pour les victimes en ce qu'il consacre la notion de risque de la preuve lorsque celui qui détient un élément de preuve n'est pas en mesure de le fournir.

Les faits. Un enfant avait subi de graves lésions cérébrales lors de l'accouchement par césarienne. Le dossier médical révélait qu'aucun tracé retraçant le rythme cardiaque de l'enfant n'était disponible pendant six minutes avant l'accouchement, que le tracé des dix minutes suivantes révélait une arythmie certaine, puis était devenu pathologique, ce qui avait conduit la sage-femme à appeler immédiatement le gynécologue. L'ensemble de ces circonstances avait conduit la cour d'appel à écarter la faute médicale.

Cet arrêt est cassé, la Haute juridiction considérant "que, faute d'enregistrement du rythme foetal pendant plusieurs minutes, il incombait à la clinique d'apporter la preuve qu'au cours de cette période, n'était survenu aucun événement nécessitant l'intervention du médecin obstétricien".

Une solution pleinement justifiée. On sait que l'état des données acquises de la science impose une surveillance du rythme cardiaque du foetus afin de s'assurer que celui-ci n'est victime d'aucune souffrance pendant l'accouchement (6). En d'autres termes, l'utilisation du monitoring est une obligation professionnelle qui pèse sur le praticien, et il lui appartient, conformément aux dispositions de l'article 1315, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), de démontrer qu'il s'est acquitté de cette obligation.

A partir du moment où certains tracés font défaut, le praticien est donc en faute.

Cette faute n'est pas nécessairement en relation avec le dommage ; mais pour s'en assurer, il est nécessaire d'établir que les autres éléments de surveillance mis en oeuvre étaient normaux, ce qui semble d'autant plus nécessaire dans cette affaire que les tracés concernant les minutes suivantes montraient que le foetus était en situation de souffrance, ce qui permettait logiquement de présumer que cette souffrance avait commencé avant ce tracé. La Cour de cassation avait, d'ailleurs, déjà eu recours à l'analyse de ces éléments complémentaires, en l'absence de tracés concernant une période litigieuse, pour condamner une clinique et censurer une cour d'appel qui s'était contentée de constater l'absence du tracé pour mettre hors de cause la clinique (7).

Un contexte probatoire favorable aux victimes. Cette décision s'inscrit ainsi dans le contexte plus large d'une utilisation des règles de preuve pour améliorer le sort réservé des victimes, qu'il s'agisse d'inverser purement et simplement la charge de la preuve, comme ce fut le cas en 1997 en matière d'obligation d'information (8), ou de favoriser les victimes de poussées de scléroses en plaques post vaccination anti-hépatite B (9). Dès lors qu'une technique médicale est nécessaire, alors le médecin doit établir qu'il l'a mise en oeuvre ; s'il n'y parvient pas, alors la faute sera présumée et il sera condamné s'il ne parvient pas à établir que le dommage ne peut être imputé à ce manquement, directement (pour les interventions) ou indirectement (pour les actes de surveillance).

1.1.1.4. Naissance d'enfant handicapé

  • La faute caractérisée de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L) est établie par son intensité et son évidence (Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.020, FS-P+B+I N° Lexbase : A4082I3L)

Contexte. Le législateur de 2002, soucieux de mettre un terme à la divergence de jurisprudence entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation dans le contexte des arrêts "Quarez" (CE, sect., 14 février 1997, n° 133238 N° Lexbase : A8308AD3, Rec. p. 44) et "Perruche" (Ass. plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701, N° Lexbase : A1704ATB, Bull. ass. plén., n° 9), et de rassurer les praticiens et leurs assureurs, a souhaité transférer à la solidarité nationale la prise en charge des enfants nés handicapés dans l'hypothèse où ce handicap n'est pas imputable à une faute médicale l'ayant directement provoqué. S'agissant précisément du dommage causé aux parents des enfants nés avec un handicap non décelé pendant la grossesse, seul un préjudice moral pourra être réparé et à condition que soit rapportée la preuve d'une "faute caractérisée".

Cette notion, pourtant présente notamment à l'article 121-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY) depuis la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 (N° Lexbase : L0901AI9), a suscité de nombreuses interrogations, et on attendait que la Cour de cassation soit saisie pour déterminer si elle entendrait contrôler cette qualification, ce qui était vraisemblable compte tenu du contrôle exercé sur les autres fautes qualifiées, et quels critères seraient retenus pour encadrer le travail de qualification des juges du fond. C'est désormais chose faite avec cet arrêt.

Les faits. Une mère reprochait à deux médecins échographistes de n'avoir pas décelé, lors de trois examens, la malformation de l'avant-bras droit du foetus. La cour d'appel avait retenu l'existence d'une faute caractérisée et considéré que "les médecins s'étaient montrés négligents et trop hâtifs" (10).

Le demandeur tentait d'obtenir la cassation de cette décision en reprochant à la juridiction d'appel de n'avoir pas précisé "en quoi la mention dans le compte-rendu de l'échographie de l'existence de membres supérieurs du foetus dépassait la marge d'erreur habituelle d'appréciation pour un examen qui comporte une irréductible part d'aléa".

Le pourvoi est rejeté, et l'arrêt confirmé, la Cour de cassation considérant que la faute est caractérisée "par son intensité et son évidence".

Un obscur éclaircissement. Le moins que l'on puisse dire est que cette précision n'est guère éclairante, car rien n'est moins évident que... l'évidence ! Quant à la référence à l'intensité, elle n'indique pas, précisément, où doit se placer le curseur.

L'examen des arrêts d'appel rendus ces dernières années montre que les juges du fond n'ont pas cherché à placer le standard trop haut, de manière à ne pas pénaliser les victimes. Ont ainsi été retenues comme fautes caractérisées : le caractère catégorique des informations communiquées par le service spécialisé de l'hôpital et concluant à l'absence de tout risque de naissance anormale d'un nouvel enfant alors que l'étiologie du syndrome dont souffrait l'enfant précédent était demeurée inconnue (11) ; le fait pour un "médecin spécialisé dans la réalisation d'échographies obstétricales qui, lors d'un bilan morphologique de la 22ème semaine d'aménorrhée, a indiqué dans son rapport avoir vu une main ouverte, dénombré cinq doigts et constaté que le foetus était sans anomalie morphologique visible, alors que l'enfant est né avec un doigt à une main et trois à l'autre" (12) ; ou encore le fait pour un gynécologue de fournir à des parents dans le compte-rendu de l'échographie des déductions hâtives contraires à la réalité de la visualisation par le médecin (13). Les juges du fond ont pu justifier le recours à ce standard de la faute caractérisé par "la particulière difficulté de l'activité de diagnostic anténatal" (14), ce qui s'est traduit par la mise hors de cause de praticiens en présence d'erreurs excusables.

Dans de nombreuses hypothèses d'ailleurs, le rejet des demandes présentées par les victimes est justifié non pas par le caractère non caractérisé de la faute, mais plus radicalement par l'absence pure et simple de toute faute au regard des conclusions du rapport d'expertise (15) ; il a ainsi été jugé que le gynécologue qui a eu un comportement négligent lors de l'examen échographique de la 32ème semaine d'aménorrhée ne commet pas cette faute dès lors que les membres du foetus étaient moins visibles à cette période, qu'il avait pris connaissance du rapport du précédent praticien et demandé, conscient de l'insuffisance des premiers examens, la réalisation d'un bilan morphologique plus complet (16) ; le médecin qui suit une grossesse avec attention et n'estime pas nécessaire de ne pas prescrire de sérologie de la rubéole (17) ; du fait de n'avoir pas prescrit d'amniocentèse à une mère en "l'absence de tout risque connu pour elle de donner naissance à un enfant atteint de trisomie 21, autre que celui lié à l'âge, ou de tout signe obstétrical" (18) ; "d'une agénésie de l'avant-bras droit et de la main droite non décelée par un radiologue et considéré par le juge comme constituant un aléa diagnostique lié à la faiblesse de l'examen échographique dans le dépistage des anomalies des membres inhérent à la technique utilisée et non à la compétence ou la négligence du médecin" (19). Dans des circonstances comparables, d'autres juridictions ont toutefois retenu la faute caractérisée (20). Il a également été jugé que "la circonstance [que la mère] n'a pas été informée du fait que cette amniocentèse pouvait également être réalisée en cas de risques faibles ne peut être regardée comme une faute caractérisée" (21).

Ces solutions ne devraient pas être remises en cause par la présente décision qui laisse aux juges du fond une marge de qualification importante.

1.1.1.5. Certificats médicaux

  • Commet une faute le médecin psychiatre qui établit des certificats destinés à justifier une mesure d'hospitalisation sous la contrainte, non circonstanciés, ne démontrant pas la réalité de l'affection mentale ni les troubles en découlant qui auraient pu compromettre la sûreté des personnes (Cass. civ. 1, 5 décembre 2012, n° 11-24.527, F-D N° Lexbase : A5535IYN)

Contexte. Le médecin qui délivre un certificat médical doit, comme pour tous les actes professionnels qu'il exécute, se montrer extrêmement vigilent car s'il ne respecte pas les règles de l'art, il pourra voir sa responsabilité engagée s'il a ainsi causé un préjudice aux personnes dont il atteste l'état de santé. C'est ainsi qu'un médecin a été condamné pour avoir attesté (sans examen clinique) qu'une jeune fille, handicapée mentale, n'était plus vierge après une agression, entraînant la transformation d'une accusation d'attentat à la pudeur en viol (22), ou qu'un psychiatre a été condamné pour avoir signé un certificat d'internement sans avoir procédé à un examen de la personne (23). Les juges tiendront compte des exigences légales et réglementaires pour apprécier la validité des certificats délivrés (24).

L'affaire. Un couple avait été hospitalisé d'office en 1997 sur la foi de deux certificats médicaux litigieux qui avaient d'ailleurs conduit le juge administratif à annuler les deux arrêtés de placement. Ce couple avait par la suite poursuivi en responsabilité civile les établissements au sein desquels le praticien avait délivré les deux certificats médicaux, et avait obtenu gain de cause.

La solution. La condamnation prononcée en appel est confirmée par le rejet du pourvoi, la Haute juridiction ayant ici relevé que ces certificats étaient "non circonstanciés, ne démontrant pas la réalité de l'affection mentale qu'il citait ni les troubles en découlant qui auraient pu compromettre la sûreté des personnes".

1.1.2. Information

  • Peut constituer une faute une information incomplète délivrée par le chirurgien esthétique (Cass. civ. 1, 6 février 2013, n° 12-17.423, F-P+B N° Lexbase : A6259I7X)

Intérêt de la décision. Cet arrêt fournit une illustration de la sévérité de la jurisprudence à l'égard du chirurgien esthétique, dans une affaire où était également discuté le choix de la technique opératoire (cf. supra).

L'affaire. Un patient se plaignait des séquelles esthétiques d'une chirurgie esthétique du ventre, singulièrement du caractère disgracieux des cicatrices, et reprochait au praticien de l'avoir mal informé sur ce risque.

Pour rejeter les demandes, la cour d'appel avait considéré, au vu des termes de la fiche d'acceptation des risques signée avant l'opération par le patient, que ce dernier avait reçu toute l'information nécessaire.

La cassation. Tel n'est pas le sentiment de la Cour de cassation qui reproche aux juges d'appel de n'avoir pas recherché si le praticien n'aurait pas pu "expliciter les risques précis de l'abdominoplastie, notamment par la remise d'une brochure exhaustive, telle que celle qui avait été remise [...] lors de la seconde intervention".

L'intérêt de la décision. Cette décision est particulièrement intéressante, à maints égards.

En premier lieu, elle rappelle que le chirurgien esthétique supporte une responsabilité plus étendue encore que les autres praticiens compte tenu de la finalité purement esthétique de l'acte envisagé. Si, en effet, l'obligation due par tout médecin doit porter sur "les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus" (C. santé publ., art. L. 1111-2, al. 1er N° Lexbase : L5232IEI), elle est, en matière esthétique, "totale" (25) et les condamnations sur ce fondement assez fréquentes (26). Voilà pourquoi il est possible de reprocher au médecin le défaut de remise d'une brochure "exhaustive", selon les propres termes de la Haute juridiction.

En deuxième lieu, le caractère suffisant de l'information en matière médicale ne s'apprécie pas uniquement sur un plan quantitatif (communiquer au patient l'ensemble éléments concernant les risques auxquels il est exposé), mais aussi sur un plan qualitatif, ce qui est logique puisque l'information doit lui permettre de se décider en pleine connaissance de cause (27).

Enfin, la solution montre que le mieux est parfois l'ennemi du bien, la Cour de cassation relève que le médecin avait fourni, lors de la seconde opération, une information plus complète au patient sur les risques esthétiques, établissant ainsi, à son corps défendant, que la première information était insuffisante !

  • Le non-respect du devoir d'information cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, que le juge ne peut laisser sans réparation (Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n° 11-26.516, FS-D N° Lexbase : A8667IXB)

Intérêt. Cette affaire présente un intérêt moins parce qu'elle confirme les termes de l'arrêt "Seurt" (28) qu'en raison des faits de dopage au centre du litige.

L'affaire. Un coureur cycliste avait été convaincu de dopage pendant le Tour de France et licencié par son employeur. Il s'en était alors pris à son médecin qu'il accusait de lui avoir prescrit des médicaments anti hémorroïdaires sans s'assurer que ces derniers n'étaient pas inscrits sur la liste des produits dopants interdits.

La décision. L'argument est tout d'abord écarté car, selon la Cour de cassation, le licenciement avait été justifié par son comportement général dans cette affaire, et notamment par le fait qu'il n'avait pas informé le médecin de l'équipe qu'il s'était fait prescrire par son médecin personnel les produits litigieux. Le coureur ne pouvait donc s'en prendre qu'à lui-même s'agissant des dommages professionnels consécutifs à son licenciement.

Mais s'agissant de la violation de l'obligation d'information de son médecin personnel, la Cour de cassation rappelle les termes de sa jurisprudence dégagée en 2010 dans l'arrêt "Seurt" (préc.) aux termes de laquelle "le non-respect du devoir d'information [...] cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, que le juge ne peut laisser sans réparation".

1.2. Produits de santé

  • La prescription décennale de l'article L. 110-4 du Code de commerce s'applique à l'action fondée par le patient contre le fabricant d'un vaccin et fondée sur le défaut de celui-ci (Cass. civ. 1, 13 décembre 2012, n° 11-24.496, F-D N° Lexbase : A1153IZQ)

Intérêt. Cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle une règle qu'on aurait trop facilement tendance à méconnaître, celle de la prescription des actions en responsabilité à l'égard d'un commerçant régie par l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L7242IAH) qui s'applique largement, y compris lorsque l'acte de commerce est la vente d'un médicament et que l'acheteur est également une victime d'un produit de santé.

L'affaire. Une jeune femme, atteinte de poliomyélite après avoir absorbé trois doses de vaccin fabriqué par la société Pasteur Mérieux en 1974, avait assigné en responsabilité civile la société Sanofi Pasteur, venant au droit de la société Pasteur Mérieux, en mars 2004. La cour d'appel avait refusé de faire application de la prescription décennale de l'article L. 110-4 du Code de commerce, dont se prévalait le laboratoire pour obtenir la fin de non-recevoir tiré de la prescription de l'action, "en l'absence de contrat de vente entre les parties".

Ce seul motif exposait la décision à la cassation car il est de jurisprudence constante que l'article L. 110-4 du Code de commerce s'applique indifféremment à toutes les actions en responsabilité engagées contre un commerçant, peu important le fondement de l'action (29).

Une solution justifiée. La solution est donc juridiquement parfaitement justifiée. Reste à préciser que celle-ci ne préjuge pas de l'application de délais de prescriptions plus courts, comme celui issu de la Directive du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT), transposée par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (N° Lexbase : L2448AXX), qui a ramené à 3 ans la prescription des actions engagées contre le producteur (C. civ., art. 1386-17 N° Lexbase : L1510ABK) et à 10 ans la période de garantie, à compter de la mise en circulation du produit intervenue postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi (C. civ., art. 1386-16 N° Lexbase : L1509ABI).

2. Dommage

  • La personne tenue dans l'ignorance de sa contamination par le VIH et par le virus de l'hépatite C ne peut subir de préjudice spécifique de contamination (Cass. civ. 2, 22 novembre 2012, n° 11-21.031, FS-P+B N° Lexbase : A4948IXK)

Contexte. La Cour de cassation a inventé le "préjudice spécifique de contamination" pour décrire, et indemniser, les souffrances éprouvées par les victimes contaminées par le virus du sida et contraintes de vivre avec la crainte permanente de développer la maladie proprement dite (31), puis l'a également reconnu pour les victimes par le virus de l'hépatite C en réparation des "souffrances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires et [...] les perturbations et craintes endurées toujours latentes" (32). Il s'agit ici de la souffrance psychologique des victimes qui craignent légitimement pour leur "espérance de vie", les "souffrances à venir", "le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle, et les dommages esthétiques et d'agrément générés par les traitements et soins subis" (33). En revanche, ce préjudice n'inclut pas le "préjudice à caractère personnel du déficit fonctionnel, lorsqu'il existe" (34), ni "le préjudice indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire, s'agissant des troubles éprouvés avant la déclaration de la maladie" (35).

Préjudice et ressenti. Reste à déterminer dans quelle mesure le juge doit rechercher si la victime a réellement souffert, et dans quelle mesure.

Dans un arrêt non publié rendu en 2008, la première chambre civile de la Cour de cassation avait censuré une cour d'appel qui avait refusé d'indemniser une victime contaminée de ce chef de préjudice, sous prétexte que son "état de santé [...] n'a pas justifié, à ce jour, de traitement spécifique, lourd et invalidant [...] qu'il ne s'est pas aggravé, et est au contraire stationnaire [et] que s'il est avéré que sur le plan médical, il existe de multiples évolutions possibles de la maladie, le risque d'aggravation et d'évolution défavorable est incertain, les progrès constants de la recherche permettant d'augurer de la découverte de traitements adaptés et efficaces". L'arrêt d'appel avait été cassé, pour manque de base légale, les juges d'appel se voyant reprocher de n'avoir pas recherché si la victime "n'éprouvait pas des craintes et des perturbations liées à cette contamination, de nature à caractériser un préjudice spécifique de contamination, et alors que ce préjudice peut être justifié par les souffrances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires et par les perturbations et craintes éprouvées toujours latentes".

Cet arrêt était intéressant car il démontrait que la Haute juridiction n'écartait pas par principe la possibilité qu'une personne contaminée puisse ne pas éprouver de souffrances, mais imposait aux juges du fond d'observer les données concrètes de l'affaire pour parvenir à pareille conclusion (36).

Intérêt de la décision. C'est ce qui ressort cette fois-ci très nettement de l'arrêt rendu le 22 novembre 2012 dans une affaire où la personne contaminée avait été volontairement tenue pendant 25 ans dans l'ignorance de sa contamination par le VIH et le VHC. L'ONIAM avait considéré, dans ces conditions, qu'il n'y avait aucun préjudice spécifique de contamination, tout comme la cour d'appel de Paris d'ailleurs, et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation leur donne ici raison, après avoir affirmé "que le caractère exceptionnel de ce préjudice est intrinsèquement associé à la prise de conscience des effets spécifiques de la contamination". En d'autres termes, il ne saurait y avoir de souffrance morale à indemniser s'il n'y a pas de conscience de la situation dans laquelle la contamination place la personne contaminée.

Une solution sensée. L'argumentation semble imparable car la souffrance psychologique suppose nécessairement la conscience de son état, et ne se rattache pas à la catégorie des lésions objectives, telles les lésions corporelles.

Elle détonne pourtant avec ce qui avait été jugé jadis s'agissant des préjudices des victimes dites en état végétatif pour qui la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait refusé de limiter la liste des préjudices réparables sous prétexte qu'elles n'étaient pas conscientes de leur état et qu'elles ne pouvaient donc souffrir : "l'état végétatif d'une personne humaine n'excluant aucun chef d'indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments", y compris le préjudice esthétique et d'agrément (37).

La Chambre criminelle avait elle aussi, à la même période, considéré que "l'indemnisation d'un dommage n'est pas fonction de la représentation que s'en fait la victime mais de sa constatation par le juge et de son évaluation objective", et indemnisé un adolescent plongé dans un coma végétatif de préjudices de souffrances, d'agrément et esthétique (38).

En 2010, toutefois, la Chambre criminelle avait refusé de considérer qu'une victime dans le coma puisse réclamer le droit d'être indemnisée d'une quelconque "douleur éprouvée en raison de la perte de son espérance de vie", les juges du fond pouvant parfaitement écarter cette indemnisation, à défaut de conscience avérée (39).

Il semble bien que le temps où la Cour de cassation se fondait implicitement sur le principe d'égalité de traitement soit révolu, ce qui est logique car, au regard de la nature des préjudices réparant des souffrances, qu'elles soient d'ailleurs physiques ou psychiques, elles ne se trouvent pas placées dans la même situation selon qu'elles ont conscience ou non de leur état.

Cette décision pourrait bien entraîner dans son sillage d'autres préjudices parfois qualifiés d'existentiels (40) et concernant le préjudice d'anxiété des victimes notamment de l'amiante (41), ou d'impréparation pour les victimes confrontées à la réalisation d'un événement normalement imprévisible alors qu'elle aurait dû être informé qu'il pouvait se produire (42).


(1) Dernièrement Cass. civ. 1, 3 juin 2010, n° 09-66.752, F-D (N° Lexbase : A2258EYB) et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale - Avril à Juin 2010, Lexbase Hebdo - édition privée n° 401 du 1er juillet 2010 (N° Lexbase : N4400BPN).
(2) Cf. notre commentaire de la loi du 4 mars 2002 in Resp. civ. et assur., 2002, chron. 7.
(3) CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 5 novembre 2010, n° 08/22329 (N° Lexbase : A1849GE9).
(4) Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 03-12.146, FS-P+B (N° Lexbase : A0333DE3) : Resp. civ. et assur., 2005, comm. 25. ; Cass. civ. 1, 9 décembre 2010, n° 09-70.407, F-D N° Lexbase : A9162GMB, cassation partielle (juridiction de proximité de Fort-de-France, 16 juin 2008), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - seconde partie, Lexbase Hebdo n° 433 du 24 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7562BRI). Déjà Cass. civ., 17 décembre 1954, JCP, 1954, II, 8490, note R. Savatier ; Cass. civ., 15 novembre 1972, n° 71-10.367 (N° Lexbase : A7523AH4), RTDCiv., 1972, p. 160, obs. G. Durry.
(5) Responsabilité civile et assurance, n° 2, Février 2013, comm. 68, obs. L. Bloch.
(6) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 97-10.869 (N° Lexbase : A8060AGM), Bull. civ. I, n° 239 ; Cass. civ. 1, 9 décembre 2010, n° 09-70.356, F-D ([LXB=A9161GM]), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, Lexbase Hebdo n° 432 du 17 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7435BRS) ; Cass. civ. 1, 17 février 2011, n° 10-10.449, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1446GXT), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (15 janvier au 15 juin 2011), Lexbase Hebdo n° 445 du 23 juin 2011 - édition privée (N° Lexbase : N5760BS7). Les établissements doivent par ailleurs former leur personnel à l'utilisation des matériels : Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 97-10.869 (N° Lexbase : A8060AGM), Bull. civ. I, n° 239. Egalement CE, 6 février 2013, n° 344188, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6633I7S).
(7) Cass. civ. 1, 30 octobre 1995, n° 93-16.907, inédit (N° Lexbase : A5883C7Z).
(8) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685 (N° Lexbase : A0061ACA), JCP éd. G, 1997, I, 4016, chron. G. Viney et P. Jourdain.
(9) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S), n° 06-14.952 (N° Lexbase : A7009D84), n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X), n° 05-10.593 (N° Lexbase : A6996D8M), n° 06-18.848 (N° Lexbase : A7014D8B) et n° 07-17.200, F-D (N° Lexbase : A7136D8S), nos obs. Produits de santé : imputabilité de poussées de scléroses en plaques à des vaccins anti hépatite B et absence de preuve du caractère défectueux d'un médicament anti goutte, Lexbase Hebdo - édition privée n° 311 du 3 juillet 2008 (N° Lexbase : N4910BGX) ; RTDCiv., 2008, p. 492, note P. Jourdain ; Gaz. Pal., 9 octobre 2008, n° 283, p. 49, note S. Hocquet-Berg.
(10) CA Versailles, 15 décembre 2011, n° 10/04538 (N° Lexbase : A3551H8Z).
(11) CAA Paris, 24 juin 2003, n° 98PA03275 (N° Lexbase : A6269DBS).
(12) TGI Laon, 1ère ch., 24 mai 2005, n° 03/01274, BICC, 626 du 1er octobre 2005, n° 1893.
(13) CA Nîmes, 1ère ch., sect. A, 10 janvier 2006, n° 03/03770.
(14) CA Bourges, 22 mai 2009, n° 07/00196 (N° Lexbase : A0815GZ9).
(15) CAA Bordeaux, 29 octobre 2009, n° 08BX01876 (N° Lexbase : A8740E4H) : "le défaut de diagnostic anténatal de l'exstrophie vésicale de la jeune Eva ne révèle pas une faute caractérisée de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier envers les parents de l'enfant".
(16) TGI Laon (1ère ch.), 24 mai 2005, n° 03/01274, BICC 626 du 1er oct. 2005, n° 1893.
(17) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 3 juillet 2003, n° 2000/02272 (N° Lexbase : A5675DHN).
(18) CAA Bordeaux, 8 février 2005, n° 01BX00914 (N° Lexbase : A0031DHM). Dans le même sens, CAA Nancy, 13 novembre 2003, n° 02NC01192 (N° Lexbase : A3471DAS).
(19) CA Lyon, 6 avril 2006, n° 05/01160 (N° Lexbase : A8637DQX).
(20) CAA Bordeaux, 2 novembre 2010, n° 09BX02151 ; CAA Marseille, 2ème ch., 18 janvier 2011, n° 08MA01704 (N° Lexbase : A0927GTI), "le manquement du médecin à son devoir d'information quant à la possibilité d'effectuer le test prénatal sus évoqué doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme une faute caractérisée".
(21) CAA Nancy, 1er décembre 2011, n° 11NC00131 (N° Lexbase : A5541IAH).
(22) CA Caen, 19 octobre 1989.
(23) Cass. civ. 1, 19 février 1991, n° 89-12.150 (N° Lexbase : A8346AG9).
(24) Cass. civ. 2, 10 novembre 2005, n° 04-18.512, F-D (N° Lexbase : A5194DLX).
(25) Cass. civ. 1, 14 janvier 1992, n° 90-10.870 (N° Lexbase : A7892AGE), Bull. civ. II, n° 16.
(26) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 1er février 2008, n° 06/15680 (N° Lexbase : A6793D4D), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008), Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition privée (N° Lexbase : N6278BEA).
(27) Ainsi CA Douai, 3ème ch., 7 septembre 2006, n° 05/04131 (N° Lexbase : A2278DWB), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (septembre 2006 - avril 2007), Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition privée (N° Lexbase : N0717BB8).
(28) Cass. civ. 1, 3 juin 2010, n° 09-13.591, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1522EYZ) et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juin 2010), Lexbase Hebdo n° 401 du 30 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4400BPN) ; Resp. civ. et assur., 2010, comm. 222, note S. Hocquet-Berg ; D., 2010, 1484, obs. I. Gallmeister, 1522, note P. Sargos, 1801, point de vue D. Bert, et 2092, chron. N. Auroy et C. Creton ; RDSS, 2010, 898, note F. Arhab-Girardin ; RTDCiv., 2010, 571, obs. P. Jourdain ; JCP éd. G, 201, 788, note S. Porchy-Simon, et Chron. resp. civ., 1015, spéc. n° 3 et 6 ; C. Corgas-Bernard, RLDC, oct. 2010, 21 ; LPA 17-18 août 2010, note R. Milawski ; RGDM, 2010, 195 s., note L. Bloch, 233 s..
(29) Cass. com., 7 avril 1967, D., 1967, p. 511.
(30) Resp. civ. et assur., 2013, étude 1, par S. Hocquet-Berg.
(31) CA Paris, 1ère sect. B, 16 avril 1999, n° 1997/16598 (N° Lexbase : A9417A7W).
(32) Cass. civ. 1, 3 mai 2006, 2 arrêts, n° 05-11.139 (N° Lexbase : A2557DPE) et n° 05-10.411 (N° Lexbase : A2549DP4), FS-P+B, Resp. civ. et assur., 2006, comm. 243 ; Cass. civ. 2, 12 juillet 2007, n° 06-14.606, F-P+B+I N° Lexbase : A2775DX3, Resp. civ. et assur., 2007, comm. 317 ; Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 07 11.760, F D (N° Lexbase : A7789D3U), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008), Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition privée (N° Lexbase : N6278BEA).
(33) Cass. civ. 2, 24 septembre 2009, n° 08 17.241, FS P+B (N° Lexbase : A5857ELI), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (septembre à décembre 2009) (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 382 du 11 février 2010 - édition privée (N° Lexbase : N1649BNE) ; Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, 4 arrêts, n° 08-15.853, FS-P+B (N° Lexbase : A1531EPE), n° 08-16.172, F-P+B (N° Lexbase : A1535EPK), n° 08-14.085, F-D (N° Lexbase : A1515EPS) et n° 08-11.188, F-D (N° Lexbase : A1502EPC).
(34) Cass. civ. 2, 10 décembre 2009, n° 08-17.756, F-D (N° Lexbase : A4402EPQ).
(35) Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08 16.172, F P+B (N° Lexbase : A1535EPK).
(36) En ce sens nos obs. préc. au Panorama.
(37) Cass. civ. 2, 22 février 1995, n° 93-12.644, (N° Lexbase : A5203CIK) et n° 92-18.731, (N° Lexbase : A7248AB3), Bull. civ. II, n° 61, D., 1995, somm., p. 233, obs. D. Mazeaud, D., 1996, p. 69, obs. Y. Chartier, Resp. civ. et assur., 1995, chron., p., par M.-A. Péano ; Cass. civ. 2, 28 juin 1995, n° 93-18.465 (N° Lexbase : A7967ABP), Bull. civ. II, n° 224.
(38) Cass. crim., 5 janvier 1994, n° 93-83.050 (N° Lexbase : A1349CG3), Bull. crim., n° 5.
(39) Cass. crim., 5 octobre 2010, n° 10-81.743, F-D (N° Lexbase : A5714GDY), RTDCiv., n° 2, 15 juillet 2011, p. 353, obs. P. Jourdain.
(40) M. Fabre-Magnan, Le dommage existentiel, D., 2010, p. 2376.
(41) Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1745EXW), D., 2010, 2048, note C. Bernard, 2011, 37, obs. O. Gout, et 2012, 910, obs. P. Lokiec ; RTDCiv., 2010, 564, obs. P. Jourdain : les salariés souffrent "d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse". Cass. soc., 4 décembre 2012, n° 11-26.294, FS-P (N° Lexbase : A5687IYB), et ce "qu'elle se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers". Voir également CA Versailles, 3ème ch., 10 avril 2008, n° 07/02477 (N° Lexbase : A1645D9S), nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 - édition privée (N° Lexbase : N3835BHI). Voir également, par une juridiction administrative consécutivement à l'exercice du droit de retrait d'enseignants, TA Melun, du 13 juillet 2012, n° 1004142 (N° Lexbase : A4054ISX), AJDA, 2012, p. 1479. Il semble que la paternité de la dénomination en revienne à Jean Penneau : note ss. Angers, 11 septembre 1998, D., 1999, Jur. 46.
(42) CE, 5° et 4° s-s-r., 10 octobre 2012, n° 350426 (N° Lexbase : A2702IUM), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale : la faute médicale (juin à septembre 2012), Lexbase Hebdo n° 503 du 25 octobre 2012 - édition privée, et (N° Lexbase : N4127BTZ) ; S. Hocquet-Berg, RGD, 2012, n° 1 du 18 octobre 2012 ; X. Barella, Le droit à l'information médicale - Vers la reconnaissance d'un droit subjectif du patient, AJDA, 2012, p. 1991 ; JCP Administrations et collectivités territoriales, n° 46, novembre 2012, p. 2369, ote V. Vioujas ; JCP éd. G., n° 47, 19 novembre 2012, 1252, note F. Viala ; RCA, 2012, comm. 351, obs. L. Bloch. Lire également P. Jourdain, RTDCiv., 2010, p. 271 ; C. Zacharie, L'évolution raisonnée de la position du Conseil d'Etat sur l'indemnisation du défaut d'information, LPA, n° 44 du 1er mars 2013, p. 13. Certaines juridictions avaient également retenu cette solution pour sanctionner distinctement le manquement au devoir d'information : CA Paris, 9 février 1984, D., 1984, IR, 459, obs. J. Penneau ; CA Bordeaux, 28 novembre 2002, RCA, 2003, Chron. n° 7, obs. Ch. Radé. Pour une indemnisation à hauteur de 5 000 euros : CA Rennes, 16 mars 2011, n° 09/00278 (N° Lexbase : A8839HCD), CA Aix-en-Provence 14 mai 2008, n° 07/03014 (N° Lexbase : A8731HI9). Pour l'octroi de 10 000 euros : CA Rennes, 4 juillet 2012, n° 11/04265 (N° Lexbase : A3023IQZ).

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Sociétés

[Jurisprudence] Société civile : nullité des délibérations des associés et dissolution pour mésentente entre eux

Réf. : Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-15.283, F-P+B (N° Lexbase : A5907KAZ)

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse I Capitole)

Le 11 Avril 2013

La constitution, le fonctionnement et la survie d'une société peuvent être exposés à des événements susceptibles de les compromettre, parfois indépendamment de la volonté des associés. L'une de ces causes est la nullité qui constitue la sanction naturelle et logique d'un acte juridique mal formé, en ce sens que ce qui a été mal accompli doit disparaître rétroactivement. Cette sanction extrême n'est cependant pas sans inconvénient. Ainsi, les formalités relatives à la constitution des sociétés risquent d'être souvent remises en cause. La disparition rétroactive du contrat de société aurait des conséquences d'autant plus graves que la société personne morale aurait commencé à fonctionner et contracté avec des personnes de bonne foi (1). Il en va pareillement des actes modifiant les statuts d'une société, notamment des décisions prises en assemblées (2) ; ils peuvent être frappés de nullité. Bien que ces deux catégories de nullités puissent être rapprochées, elles obéissent à des particularités.
A côté de cela, le maintien en vie d'une société peut se trouver menacé par une dissolution dont les causes peuvent être communes à toutes les sociétés, ou spécifiques à certaines catégories d'entre elles. A la différence de l'annulation qui est l'anéantissement, mais sans rétroactivité, à l'inverse du droit commun des contrats, d'une société initialement mal constituée, la dissolution est l'arrêt pour l'avenir de l'exécution d'un contrat de société bien formé à l'origine.
A l'instar des autres questions relevant du droit des sociétés, les nullités et dissolutions constituent une source de contentieux. Il est toutefois assez exceptionnel qu'elles surviennent dans une même affaire. A cet égard, l'arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2013 ne saurait échapper à l'attention des juristes, d'autant plus qu'il révèle une position antagonique entre la juridiction du droit et la juridiction des faits. Les protagonistes du litige sont trois associés d'une société civile immobilière, un couple marié et un autre, parent semble-t-il de l'époux dans la mesure où tous deux portent le même nom de famille. Ce dernier a fait assigner la société et ses deux co-associés afin que soient prononcées l'annulation de certaines décisions collectives (I) et la dissolution anticipée de la société (II). Si la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 29 novembre 2011, n° 11/04279 N° Lexbase : A8720IEP) a accueilli ses demandes dans sa décision du 29 novembre 2011, en revanche, celle-ci est censurée en l'espèce par la Chambre commerciale.

I - La nullité des délibérations de l'assemblée des associés

Sur cette question, l'arrêt d'appel est cassé au double visa des articles 1844-10 (N° Lexbase : L2030ABS) et 1853 (N° Lexbase : L2050ABK) du Code civil. Conformément au premier texte, la nullité des actes et délibérations ne peut émaner que de la violation impérative du titre neuvième du livre troisième du Code civil ou de l'une des causes de nullité des contrats en général. En outre, exception faite des hypothèses dans lesquelles il a été fait usage de la faculté ouverte par une disposition impérative d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité. Tel est le motif énoncé par la Cour de cassation à l'appui de son dispositif.

Hormis, la résolution soumise à la consultation écrite du 11 janvier 2006 relative à l'approbation de la modification des statuts, la juridiction d'appel avait annulé les consultations des 23 septembre 2004, 11 janvier 2006 et 30 juillet 2007. Celle-ci s'était appuyée sur les articles 20 et 21 des statuts selon lesquels en dehors de la possibilité offerte à la gérance de consulter les associés par correspondance, l'assemblée est réunie au moins une fois par an afin de prendre connaissance du compte rendu de gestion de la gérance et du rapport écrit sur l'activité de la société et pour statuer sur la reddition des comptes ainsi que sur l'affectation et la distribution des bénéfices. Elle en avait déduit qu'étaient nulles les trois consultations écrites précitées, en ce qu'elles comportaient des délibérations sur la reddition des comptes et sur l'affectation et la répartition des bénéfices.

En définitive, la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a porté atteinte aux articles précités, 1844-10 et 1853 du Code civil. Par ailleurs, en prévoyant que certaines décisions seraient prises par les associés réunis en assemblée, les statuts n'ont fait qu'user de la liberté qui leur est offerte de déterminer le domaine d'application des modalités d'adoption des décisions collectives des associés admises par la loi.

Ainsi, la Chambre commerciale applique aux sociétés civiles, en l'occurrence une société civile immobilière, le principe auparavant posé pour les sociétés commerciales, sur le fondement de l'article L. 235-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL) (3). C'est logique, compte tenu de la teneur quasi identique des textes qui conduit à l'adoption de la même solution pour les sociétés civiles et les sociétés commerciales. On peut s'étonner que ce ne soit pas la troisième chambre civile de la Cour de cassation traditionnellement compétente pour les contentieux se rapportant aux sociétés civiles immobilières, qui a été saisi en l'espèce. Il n'en demeure pas moins qu'à l'occasion cette chambre statuera dans le même sens.

La mise en oeuvre de la solution dans l'affaire rapportée s'avère d'autant plus normale et évidente que le contexte s'y prête tout à fait. En effet, l'autre texte du visa, l'article 1853 du Code civil, prévoit que les associés réunis en assemblée prennent les décisions, tout en donnant la possibilité aux statuts de consulter ces derniers par écrit. Telle est bien la situation de l'espèce puisque les articles 20 et 21 de la SCI, cadre du litige, d'une part, confèrent au gérant le pouvoir de consulter les associés par correspondance, d'autre part, obligent l'assemblée ordinaire à se réunir au moins une fois par an, non seulement pour prendre connaissance du compte rendu de gestion de la gérance et du rapport écrit sur l'activité de la société, mais encore pour statuer sur la reddition des comptes ainsi que sur l'affectation et la distribution des bénéfices.

Or, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a malencontreusement déduit de la stipulation statutaire la nullité de plusieurs consultations écrites en 2004, 2006 et 2007, pour avoir comporter des délibérations sur la reddition des comptes ainsi que sur l'affectation et la répartition des bénéfices. On peut s'étonner de la teneur de sa décision, tant la solution paraît s'imposer d'elle-même. La Cour de cassation ne manque pas de fustiger cette interprétation des faits de l'espèce, accueillant ainsi le moyen du pourvoi selon lequel pareille violation d'une clause statutaire qui aménage conventionnellement une règle non impérative n'est pas propre à entraîner la nullité des consultations critiquées.

II - La dissolution de la société pour mésentente entre associés

La Cour de cassation censure également la décision d'appel au visa de l'article 1844-7, 5° du Code civil (N° Lexbase : L3736HBY) relatif à la dissolution judiciaire anticipée prononcée pour justes motifs à l'initiative d'un associé, en cas soit d'inexécution de ses obligations d'un associé, soit de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

En l'espèce, la juridiction aixoise de seconde instance s'était fondée sur la deuxième circonstance, plus précisément sur l'existence d'une très grave mésintelligence entre deux des trois associés. Elle avait estimé que le comportement fautif de la gérante qui avait agi dans son intérêt personnel et dans celui de son époux, en profitant de la majorité des voix que représentaient leurs parts respectives, ne permettait pas de poursuivre l'exploitation sociale.

Là encore, la Cour de cassation rejette ses motifs qui, selon elle, sont impropres à caractériser la paralysie du fonctionnement de la société qu'impose l'article 1844-7, 5° pour rendre effective la dissolution de celle-ci, comme l'exige généralement la jurisprudence. Certes, ce texte hérité de l'ancien article 1871 du Code civil ne mentionne plus comme cause de dissolution "l'infirmité habituelle" rendant un associé "inhabile aux affaires sociales". Néanmoins, elle n'a pas vraiment disparu (4), mais ne mérite plus d'être indiquée tant cette hypothèse est fort rare en pratique ; elle ne saurait donc être placée au même niveau que la mésentente entre associés (5). Il convient simplement de la considérer comme un motif possible de dissolution de la société abandonné à la libre et souveraine appréciation des juges du fond.

Par ailleurs, l'adverbe "notamment" utilisé par l'article 1844-7, 5° précité, dans l'énonciation des causes de la dissolution prononcée par le tribunal révèle expressément qu'en dehors de l'inexécution de ses obligations par un associé et de la mésentente entre associés, l'associé plaignant peut invoquer tout motif de dissolution susceptible d'être retenu par le juge, pourvu qu'il soit juste. Il convient donc de ne pas concevoir trop strictement la notion de "justes motifs", mais au contraire, de lui attribuer une signification plus large, l'essentiel étant qu'il en résulte une paralysie du fonctionnement de la société.

C'est précisément cette absence de paralysie du fonctionnement social que la Cour de cassation reproche à la cour d'appel de n'avoir pas relevé, faute pour l'associé demandeur d'en avoir démontré l'effectivité. En effet, si un conflit entre associés n'illustre pas nécessairement une situation de mésentente, en revanche, celle-ci traduit une situation qui se prolonge dans le temps et se caractérise par une altération des relations entre les intéressés paralysant le fonctionnement de la société au point de compromettre sa survie .

Afin de remédier à cette situation, deux solutions relevant de conceptions divergentes se dégagent : l'une accorde la prééminence à l'intérêt personnel, car elle conçoit la société comme un instrument au service de l'associé ; l'autre donne la préférence à l'intérêt social auquel les intérêts individuels doivent se soumettre et ne peuvent donc porter préjudice.

La dissolution judiciaire commune à toutes les sociétés civiles et commerciales, énoncée par l'article 1844-7, 5° du Code civil, que revendique en l'espèce un des associés de la SCI rentre dans la première catégorie de solution. La dissolution en tant que solution radicale à la mésentente ne saurait toutefois être prononcée que si le juge saisi du litige constate une paralysie du fonctionnement de la société (7), l'origine de la mésentente (8) n'ayant aucune incidence sur la décision prise par celui-ci, le tout est que les dissentiments allégués ne soient pas imputables à l'associé demandeur (9). Cette solution relève du simple bon sens. A quoi bon dissoudre une société qui continue à fonctionner, dans la mesure où les associés parviennent à prendre les décisions nécessaires, d'autant plus que sa situation financière est satisfaisante (10) ou, si elle est obérée, elle n'est pas désespérée, la difficulté rencontrée étant simplement passagère.

Il est bien évident qu'une paralysie de la marche de la société doit être prouvée, quand bien même les associés seraient à parts égales ; à défaut, la dissolution de la société ne saurait être prononcée par le tribunal (11). Il en a été ainsi à la suite d'une mésentente entre associés d'une société familiale exclusivement due au licenciement économique de l'un d'eux, même si celui-ci a permis de comprendre la dégradation des relations entre eux (12), ou si la situation a pu caractériser une paralysie à venir mais demeurée hypothétique (13).

Au regard des faits de l'espèce actuelle, la juridiction d'appel n'avait relevé aucune paralysie dans la marche de la société. Il ne paraissait d'ailleurs guère possible qu'il en fût autrement dans la mesure où, sauf stipulation statutaire contraire prévoyant une majorité qualifiée ou l'unanimité, les décisions devaient être adoptées à la majorité simple, ce qui semblait le cas. Les décisions requises pouvaient être prises, puisqu'une majorité simple dans tout vote pouvait aisément être dégagée, eu égard au rapport d'opposition de deux associés (les deux époux) contre un seul (l'associé récalcitrant).

Ainsi a-t-il été jugé que les conditions d'une dissolution n'ont pas été réunies en dépit d'une mésentente incontestable, du fait que les organes sociaux n'ont pas été empêchés de prendre une décision relevant de leur fonctionnement ou de leur compétence, et que l'activité économique ne s'en est pas trouvée entravée ou paralysée (14).

Pourtant, à l'opposé de ce courant jurisprudentiel, la Cour de cassation a considéré que malgré l'absence de paralysie du fonctionnement, la dissolution d'une société est justifiée par un abus de majorité qui a entraîné la réduction de l'activité sociale (15). Dans une autre affaire, elle a reconnu comme juste motif de dissolution la disparition de l'affectio societatis déduite des volontés successives de retrait manifestées par l'un et l'autre des associés de la société civile professionnelle, sans qu'une paralysie du fonctionnement social ait été constatée (16). Une cour d'appel a retenu comme juste motif de dissolution, la mésentente grave et permanente rendant impossible la moindre prise de décision portant sur le moyen et le long terme, bien que la gestion au jour le jour n'ait pas été complètement paralysée (17).

Au-delà de ces "écarts" jurisprudentiels, il est évident que l'altération ou la disparition de l'affectio societatis ne se conçoit comme cause de dissolution que si le blocage des mécanismes sociétaires fait obstacle à poursuite de l'activité économique dont elle constitue le support (18).

En l'espèce, la dissolution ne pouvait absolument pas constituer une réponse adaptée à la mésentente entre les associés époux et leur co-associé, puisque la société continuait à fonctionner, semble-t-il normalement. Etant membre d'une société civile, ce dernier pouvait simplement solliciter son retrait qu'il aurait très probablement obtenu, soit aux conditions prévues dans les statuts ou, à défaut, avec l'accord des deux autres associés, soit pour justes motifs par décision de justice (19).

A ce propos, il convient de relever qu'une paralysie sociale pour mésentente entre associés se révèle beaucoup moins probable dans les sociétés de capitaux, de surcroît dans les sociétés cotées, en raison de leur faible affectio societatis. L'effet perturbateur qui participe à la dissolution se produit plus fréquemment dans les sociétés de personnes, compte tenu du rôle prépondérant de l'intuitu personae. Il est particulièrement sensible dans les sociétés civiles professionnelles, étant donné l'importance des apports en industrie, et dans les sociétés de famille.
Cela n'a cependant pas été le cas dans la présente espèce, bien qu'elle ait eu pour cadre une société civile immobilière.


(1) J. Honorat, Les nullités des constitutions de sociétés, Defrénois, 1998, p. 3.
(2) J.-P. Legros, La nullité des décisions de sociétés, Rev. sociétés, 1991, p. 275.
(3) Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3869EXL), Bull. civ. IV, n° 93 ; BRDA, 10/2010, n° 1 ; RJDA, 8-9/2010, n° 850 ; JCP éd. E, 2010, n° 23, 1562, note A. Couret et B. Dondero ; Rev. sociétés, 2010, p. 374, note P. Le Cannu ; Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 651, note H. Le Nabasque ; RTDCiv., 2010, p. 553, obs. B. Fages ; Dr. sociétés, août 2010, n° 156, obs. M.-L. Coquelet ; J.-B. Lenhof , Lexbase Hebdo n° 398 du 10 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N3079BPQ) ; sur cet arrêt, Ch. Lebel, Précisions jurisprudentielles à propos de la sanction de la violation des statuts et du règlement intérieur d'une SAS : la nullité n'est pas toujours de mise, RLDA, septembre 2010, n° 2988 ; D. Gibirila, La nullité des délibérations du conseil d'administration d'une société par actions simplifiée, Journ. Sociétés, juin 2010, p. 70.
(4) CA Montpellier, 1er avril 2003, Dr. sociétés, décembre 2003, n° 209, obs. F.-X. Lucas, selon lequel la maladie d'un associé d'une société civile de moyens et l'expression exacerbée de la mésentente qui en est résultée, a désorganisé l'activité commune, ce qui a provoqué l'impossibilité de poursuivre l'objet social.
(5) A. Charvériat, A. Couret et B. Zabala, Sociétés commerciales, n° 7890, Mémento pratique F. Lefebvre 2013.
(6) P. Canin, La mésentente entre associés, cause de dissolution judiciaire anticipée des sociétés, Dr. sociétés, janvier 1998, p. 4 ; H. Matsopoulou, La dissolution pour mésentente entre associés, Rev. sociétés, 1998, p. 21.
(7) Cass. mixte, 16 décembre 2005, n° 04-10.986, FS-P (N° Lexbase : A0530DML), D., 2006, p. 146, note A. Lienhard, Dr. sociétés, mars 2006, n° 36, obs. F.-X. Lucas, Rev. sociétés, 2006, p. 327, note B. Saintourens ; Cass. civ. 3, 16 mars 2011, Bull. civ. III, n° 42, RJDA 6/2011, n° 541 ; nos obs. La dissolution d'une SCI pour mésentente entre ses associés, Lexbase Hebdo n° 247 du 14 avril 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N9640BRH), selon lequel la disparition de l'affectio societatis consécutive à la mésentente des associés, constitue un juste motif de dissolution, à condition de se traduire par une paralysie du fonctionnement de la société, ce qui n'était pas le cas dans cette affaire ; Cass. com., 9 octobre 2012, n° 11-21.761, Mme Claire Meyzin, F-D (N° Lexbase : A3521IUX), mésentente persistante entre les deux blocs d'associés égalitaires d'une holding et de sa filiale mettant en péril la pérennité du groupe caractérisée par l'échec d'une procédure de médiation judiciaire, la persistance de débataffects plus d'un an et demi après l'accord conclu entre les groupes d'associés, pour régler la question de la gouvernance et par le blocage structurel.
(8) L'origine de la mésentente peut provenir de la vie sociale ou d'un conflit extérieur ayant une incidence sur celle-ci., l'article 1844-7, 5° du Code civil ne faisant aucunement référence à cette origine ; CA Pau, 2ème ch., 1ère sect., 23 janvier 2006, n° 03/03450 (N° Lexbase : A5362ECL), Dr. sociétés, mai 2006, n° 71, obs. H. Lécuyer ; Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 647, note A. Lecourt, crise conjugale ayant entraîné le divorce des époux associés égalitaires d'une SCI dont l'objet est la gestion du patrimoine du couple acquis en cours de mariage.
(9) Cass. civ. 1, 25 avril 1990, n° 87-18.675 (N° Lexbase : A4055AGB), Bull. civ. I, n° 87 ; Bull. Joly Sociétés, 1990, p. 798, note PLC, à propos d'une SCP.
(10) Jugeant que la prospérité de la société empêche d'en prononcer la dissolution, Cass. com., 30 mai 1961, n° 60-10.270 (N° Lexbase : A0721ATU), Bull. civ. IV, n° 251.
(11) Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-21.156 (N° Lexbase : A2037ACG) RJDA 1/1998, n° 60 ; Bull. Joly Sociétés 1998, p. 119, 2éme esp., note B. Petit ; Dr. sociétés janvier 1998, n° 3, obs. Th. Bonneau ; Rev. sociétés 1998, p. 310, note H. Matsopoulou.
(12) CA Paris, 14ème ch., sect. B, 2 juillet 2004, n° 04/02449 (N° Lexbase : A0889DDB), RJDA 1/2005, n° 37, 2ème espèce.
(13) Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-16.103, F-D (N° Lexbase : A6799E4L), RJDA 11/2010, n° 1080 ; Dr. sociétés, 2010, n° 198, obs. H. Hovasse.
(14) CA Paris, 25 octobre 2011, Pôle 5, 8ème ch., n° 10/16175 (N° Lexbase : A3942HZZ).
(15) Cass. com., 18 mai 1982, n° 80-12.209 (N° Lexbase : A1634AGM), Rev. sociétés, 1982, p. 804, note P. Le Cannu.
(16) Cass. civ. 1, 14 décembre 2004, n° 02-13.582, F-D (N° Lexbase : A4631DEA), Bull. Joly Sociétés, 2005, p. 525, note J.-J. Daigre ; v. aussi, CA Paris, 3ème ch., sect. B, 12 septembre 2003, n° 2002/13335 (N° Lexbase : A6805C9W), Dr. sociétés, 2004, n° 45, obs. J. Monnet, Rev. sociétés, 2004, p. 170, obs. I. Urbain-Parleani, à propos d'une SAS.
(17) CA Paris, 5 mars 2002, n° 2001/12641 (N° Lexbase : A1598DBS), RJDA 7/2002, n° 770 ; Rev. sociétés, 2002, p. 368, obs. Y. Guyon ; Dr. sociétés, mars 2003, n° 42, 1re esp., obs. F.-G. Trébulle.
(18) CA Paris, 23ème ch., sect. A, 10 mai 1995, n° 93-10447 (N° Lexbase : A4386DE8), RJDA 8-9/1995, n° 998 ; Defrénois, 1995, p. 954, note P. Le Cannu, RTDCom., 1996, p. 291, obs. C. Champaud et D. Danet ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 7 juillet 1995, n° 11332/95 (N° Lexbase : A1262DBD), JCP éd. E, 1996, I, n° 541, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 5 juillet 2007, n° 05/23460 (N° Lexbase : A2233DYD), RJDA, 8-9/2008, n° 919, jugeant que la disparition de l'affectio societatis ne suffit pas à justifier la dissolution d'une société qui ne peut être prononcée que si la mésentente entre les associés entraîne une paralysie de son fonctionnement ; Cass. civ. 3, 16 mars 2011, préc., note 7 ; Cass. civ. 3, 6 septembre 2011, n° 10-23.511, F-D (N° Lexbase : A5382HXM), Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 221, note J.-P. Garçon.
(19) C. civ., art. 1869 (N° Lexbase : L2066AB7) ; Ch. Lapoyade Deschamps, La liberté de se retirer d'une société, D., 1978, chron. p. 123 ; I. Sauget, Le droit de retrait de l'associé, thèse Paris X, 1991.

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