La lettre juridique n°304 du 15 mai 2008

La lettre juridique - Édition n°304

Éditorial

Sur la question de la représentativité des syndicats : ne pas aller plus vite que la musique... syndicale

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N9009BEE

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


L'actualité sociale aura pu nous montrer, une nouvelle fois, qu'il est des domaines sensibles qu'il convient de manier avec prudence : celui de la représentativité des syndicats en France en fait indiscutablement partie. Arlésienne de chaque Gouvernement, depuis des décennies, en ce qu'on l'accuse d'être l'un des principaux facteurs de la désaffection française pour le syndicalisme (8 % de syndiqués), la représentativité des syndicats appelait, sans cesse, une réforme qui semble sur le point de se concrétiser enfin, à la lecture de la "position commune" établie le 9 avril dernier.

En aparté, il est intéressant, à plus d'un titre, de constater que le problème de la représentativité des syndicats est un problème tout ce qu'il y a de plus national ; nos partenaires européens ne connaissant pas les mêmes difficultés, n'ayant pas accordé de prédominance excessive au bénéfice de quelques syndicats, au détriment, de facto, de syndicats émergents et tout aussi représentatifs. En effet, la notion de représentativité syndicale, si elle existe aux Pays-Bas, n'a qu'un sens assez limité. La "pleine capacité juridique" suffit aux syndicats pour conclure des accords collectifs, proposer des listes de candidats pour les élections professionnelles et siéger dans certains organismes de concertation, parmi lesquels le Conseil économique et social. Par ailleurs, la reconnaissance mutuelle des partenaires sociaux prévaut en Allemagne, au Danemark et en Grande-Bretagne ; ainsi, la capacité à négocier est réservée aux organisations qui satisfont à plusieurs critères établis progressivement par la jurisprudence et la doctrine (indépendance, ancienneté, respect des principes démocratiques, capacité à exercer une influence sur les partenaires...). Dans l'entreprise, principal lieu de la négociation collective, l'employeur peut, de manière volontaire, reconnaître un syndicat, qui acquiert ainsi la capacité à négocier. Et, dans les entreprises de plus de vingt salariés, les syndicats qui n'ont pas été reconnus par l'employeur peuvent s'adresser à un organisme public indépendant, le Comité central d'arbitrage, pour se faire reconnaître, notamment, en Grande-Bretagne.

En France, l'accélérateur de la réforme fut, bien entendu, le rapport "Hadas-Lebel" présenté en mai 2006, suivi de l'avis favorable du Conseil économique et social émis en novembre de la même année. La course présidentielle aura ralenti cette velléité de réforme, mais, juin 2007 aura bien fait de commander aux partenaires sociaux de s'asseoir à la table des négociations pour, entre autres, débattre et trouver de nouveaux critères de représentativité des syndicats, aux fins exclusives de renforcer le syndicalisme, et donc la légitimité et la force exécutoire des accords signés à l'issue de toute négociation sociale. La date buttoir du 31 mars 2008 ayant été dépassée, on aurait eu beau jeu de penser que celle de la mi-avril ne serait pas plus respectée, tant les contrariétés entres les différentes positions syndicales étaient tenaces. Mais, désormais, "position commune" il y a.

Cette "position commune" propose que la reconnaissance de la représentativité syndicale soit évaluée en fonction de sept critères : les effectifs d'adhérents et les cotisations, la transparence financière (certification des comptes), l'indépendance, le respect des valeurs républicaines, l'influence (activité, implantation, etc.), une ancienneté de deux ans minimum, ainsi que l'audience établie à partir des élections professionnelles (élections aux comités d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel). Pour ce dernier critère, un seuil de 10 % des "suffrages valables exprimés" est fixé. Un syndicat pourrait négocier uniquement au niveau auquel il a été reconnu représentatif (entreprise, branche, national). Pour être valide, un accord devrait avoir reçu la signature d'un ou de plusieurs syndicats ayant recueilli seul ou ensemble au moins 30 % des suffrages exprimés et ne pas rencontrer l'opposition des syndicats ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés. Cette disposition s'appliquerait dès le 1er janvier 2009 au niveau de l'entreprise et d'ici cinq ans dans les autres cas. Il reste aux cinq syndicats actuellement représentatifs des salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO) et des organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA) qui ont mené les négociations, à signer cette position, afin de pouvoir, ensuite, servir de base à l'élaboration d'un projet de loi.

"Ceux qui s'avancent trop précipitamment reculeront encore plus vite" nous enseigne la sagesse chinoise. Alors, pour bien marquer que l'affaire n'est toutefois pas "dans le sac", la Cour de cassation, le 16 avril 2008, a confirmé l'annulation, sur le fondement de la discrimination (d'un nouveau genre, puisqu'en l'espèce, elle était en défaveur des plus forts, c'est-à-dire des syndicats irréfragablement représentatifs) de la délibération du comité interentreprises du groupe d'une banque qui avait modifié les conditions de prise en charge, au titre des activités sociales et culturelles, des frais exposés par les salariés partant en congé de formation économique, sociale et syndicale, en répartissant la dotation globale affectée à cette prise en charge entre les organisations syndicales en fonction de leur représentativité au sein du groupe, les salariés bénéficiant, alors, du remboursement de leurs frais par le comité d'entreprise dont ils dépendent dans la limite de la dotation attribuée au syndicat organisateur du stage choisi par eux. Afin de permettre la prise en charge des frais exposés par les salariés suivant une formation dispensée par un organisme agréé n'appartenant pas aux cinq confédérations syndicales représentatives, le comité interentreprises avait, en outre, par une seconde délibération, affecté une somme à ces autres formations.

Deux solutions s'offraient, donc, au comité interentreprises du groupe : doter inéquitablement, selon le critère de la représentation de chaque syndicat au sein du groupe, ou élever le montant de la dotation globale, de manière à ce que tous les représentants de tous les syndicats du groupe puissent partir en congé de formation. Dans les deux cas, il était vivement critiqué que le comité interentreprises du groupe rende justice sous son chêne, même aux fins louables d'une répartition légitime des fonds de subvention, avant que les partenaires sociaux n'aient décidé d'accepter l'idée même d'une réforme de la représentativité et que le Parlement n'ait entériné cette réforme.

Mais, au-delà de la polémique, convenons avec Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, que la décision retenue mérite de retenir l'attention en ce qu'elle démontre qu'une discrimination, pour ne pas être directe, n'en reste pas moins réelle et condamnable, spécialement lorsqu'elle revient à prendre en compte l'appartenance ou les choix syndicaux des salariés.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Consécration de l'efficacité de la clause d'exécution forcée en nature dans les avant-contrats

Réf. : Cass. civ. 3, 27 mars 2008, n° 07-11.721, Société Ogic, FS-D (N° Lexbase : A6102D77)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'occasion a déjà été donnée de relever, dans le cadre de cette chronique, l'existence d'incertitudes et, par suite, d'une certaine insécurité, entachant le régime des avants contrats (1), les interrogations portant, notamment, sur la possibilité d'une exécution forcée en nature. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 mars 2008, inédit, mérite, à cet égard, d'être signalé en ce qu'il consacre l'efficacité de la clause d'exécution forcée en nature qui pourrait bien permettre aux parties de remédier à certaines solutions discutables en la matière (2). Il n'est pas inutile, pour bien le comprendre, de procéder à un bref rappel. On s'est, en effet, longtemps demandé si le bénéficiaire d'un pacte de préférence pouvait, dans l'hypothèse dans laquelle le promettant aurait finalement conclu le contrat sans avoir respecté son droit de priorité, demander l'exécution forcée du pacte et donc obtenir non seulement l'annulation de l'opération conclue avec le tiers acquéreur, mais encore la possibilité d'être substitué dans les droits de celui-ci. Un temps hostile à cette solution, la Cour de cassation a, assez récemment, opéré un spectaculaire revirement de jurisprudence, par un important arrêt rendu en Chambre mixte, admettant ainsi la possibilité pour le bénéficiaire d'un pacte de préférence d'en demander l'exécution forcée dans le cas dans lequel le promettant aurait conclu l'opération avec un tiers en violation du pacte (3). La Haute juridiction avait, en effet, manifestement abandonné la position qui avait longtemps été celle de la Cour de cassation qui faisait application de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM) -aux termes duquel les obligations de faire se résolvent en dommages et intérêts- pour refuser tout substitution du bénéficiaire dans les droits de l'acquéreur (4). Il faut dire que cette solution était critiquée par la majorité de la doctrine qui faisait valoir, d'une part, que, historiquement, la formule de l'article 1142 signifiait simplement, dans l'esprit de ses rédacteurs, qu'il n'est pas possible de contraindre le débiteur à s'exécuter en nature quand sa liberté personnelle est en jeu et, d'autre part, que le principe de la force obligatoire des conventions et du respect de la parole donnée justifiait que le débiteur s'exécute dans les termes convenus plutôt que de n'avoir à payer que des dommages et intérêts. Il reste que les conditions de mise en oeuvre de la solution consacrée en chambre mixte paraissent excessivement rigoureuses (que soit démontrée la connaissance par le tiers acquéreur, non seulement de l'existence du pacte de préférence, mais encore de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir) et, à ce titre, font douter, en dehors d'hypothèses très particulières (5), de l'effectivité du principe de l'exécution forcée en nature (6). Du côté des promesses unilatérales de vente, la position de la Cour de cassation demeure, nul ne l'ignore, encore plus radicale puisque, cette fois, elle refuse le principe de l'exécution forcée en cas de rétractation du promettant avant la levée de l'option par le bénéficiaire. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 décembre 1993 a, en effet, jugé que, dans une promesse unilatérale de vente, tant que le bénéficiaire n'a pas levé l'option, l'obligation du promettant ne constitue qu'une obligation de faire (7), dont la violation ne peut se résoudre qu'en dommages et intérêts (8).

L'arrêt de la troisième chambre civile du 27 mars dernier, en consacrant la possibilité pour les parties d'insérer dans leurs contrats, et en l'occurrence dans leurs avant-contrats, une clause d'exécution forcée en nature, confère toute sa vigueur à la liberté contractuelle et devrait permettre d'atténuer la rigueur de ces solutions. La Cour énonce, en effet, que "les parties à une promesse unilatérale de vente étaient libres de convenir que le défaut d'exécution par le promettant de son engagement de vendre pouvait se résoudre en nature par la constatation judiciaire de la vente". La solution appelle plusieurs séries d'observations. On relèvera, d'abord, que, contrairement à certaines clauses qui, à examiner le droit positif, semble voir leur efficacité largement contrariée -on pense, naturellement, aux clauses limitatives ou exclusives de responsabilité, neutralisées soit par l'application du droit de la consommation, soit, en droit commun, par l'appel aux notions de dol, de faute lourde, d'obligation essentielle et de cause (9)-, d'autres se voient ainsi conférer par la Cour de cassation une vitalité certaine (10). Ensuite, l'encouragement ainsi donné aux parties de prévoir conventionnellement l'exécution forcée en nature en cas de défaillance du débiteur devrait faire encore un peu plus reculer le principe de l'impossibilité de l'exécution forcée directe lorsque l'obligation inexécutée est une obligation de faire ou de ne pas faire (11). On pourrait, par suite, et plus généralement, s'interroger sur le bien fondé d'une règle supplétive que les parties sont manifestement encouragées à écarter (12). Enfin, en matière d'avant-contrats, on peut assez facilement imaginer que cette clause sera opportunément stipulée dans les promesses unilatérales de vente, à propos desquelles, on l'a rappelé, la Cour de cassation continue de s'en tenir à une interprétation surannée de l'article 1142 du Code civil.


(1)Voir not. D. Mazeaud, Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, Mél. Ghestin.
(2) W. Jeandidier, L'exécution forcée des obligations contractuelles de faire, RTDCiv., 1976, p. 700.
(3) Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, Daurice Pater, épouse Pere c/ M. Jean Solari, P+B+R+I ([LXB=A7227DPD)], D., 2006, p. 1861, note P.-Y. Gautier et p. 1864, note D. Mainguy. Pour une confirmation, au plan des principes : Cass. civ. 3, 31 janvier 2007, n° 05-21.071, Société Aux Jardins de France, FS-P+B (N° Lexbase : A7853DTZ), Bull. civ. III, n° 16 et nos obs., Exécution forcée du pacte de préférence (à propos de la substitution au tiers acquéreur du bénéficiaire du pacte), Lexbase Hebdo n° 248 du 15 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0412BAI).
(4) Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 95-17.598, Office européen d'investissement et autres c/ Association Médecins du Monde et autre (N° Lexbase : A0614ACQ), D., 1997, p. 475, note D. Mazeaud, RTDCiv., 1997, p. 685, obs. P.-Y. Gautier.
(5) Pour une illustration : Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-21.814, Société civile immobilière (SCI) Serp, FS-P+B (N° Lexbase : A2160DUK), D., 2007, AJ, p. 657 ; JCP éd. E, 2007, p. 1615, note H. Lécuyer.
(6) En ce sens, P.-Y. Gautier, note sous Cass. mixte, 26 mai 2006, préc..
(7) Cass. civ. 3, 15 décembre 1993, n° 91-10.199, Consorts Cruz c/ Mme Godard (N° Lexbase : A4251AGK), Bull. civ. III, n°174 ; D., 1994, p. 507, note L. Aynès ; JCP éd. G, 1995, II, 22366, note D. Mazeaud.
(8) Cass. civ. 3, 28 octobre 2003, n° 02-14.459, Société Sogefi Méditerranée c/ M. Sarwat Ghobrial, F-D (N° Lexbase : A0064DAM), RDC, 2004, p. 270, obs. D. Mazeaud.
(9) Pour une illustration récente de cette tendance, voir not. Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-11.790 (N° Lexbase : A3326D7C), et nos observations, L'efficacité des clauses limitatives de responsabilité à l'épreuve de la faute dolosive et de la faute lourde (N° Lexbase : N7482BET).
(10) Sur l'obligation essentielle et la cause, voir not. Cass. com., 13 février 2007, préc., JCP éd. G, 2007, II, 10063, note Y.-M. Serinet.
(11) Comp., au sujet de la clause résolutoire expresse, Cass. civ. 3, 19 mars 2008, n° 07-11.194, M. André Rousseau, FS-P+B (N° Lexbase : A4890D7A), D., 2008, AJ, 1056, obs. Rouquet, décidant que le seul écoulement du temps ne peut caractériser un acte manifestant sans équivoque la volonté de renoncer à se prévaloir de ses effets.
(12) Voir not., sur la question, Le juge et l'exécution du contrat, PUAM, 1993, Avant-propos de J. Mestre.
(13) Comp., dans le même ordre d'idée, à propos du refus de principe de la révision pour imprévision, R. David, L'imprévision dans les droits européens, Mélanges Jauffret, 1974, p. 211 et s., spéc. p. 229.

newsid:318981

Bancaire

[Jurisprudence] Retour sur l'affectation spéciale d'un compte bancaire

Réf. : Cass. civ. 3, 9 avril 2008, n° 07-12.268, M. Jean-Yves Leroux, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8857D78)

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N9006BEB

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par Alexandre Bordenave, Juriste, Chargé d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan

Le 07 Octobre 2010

Quoique le terme soit polysémique (1), la confusion n'inspire généralement rien de positif aux juristes : en droit des obligations, elle a un effet extinctif ; en droit constitutionnel, elle s'oppose à la séparation des pouvoirs ; en droit de la famille, elle crée une incertitude sur la paternité...
La confusion se matérialise le plus concrètement en droit des biens. Dans ce cas, elle constitue "le mélange de biens d'origine différente dans une masse unique au sein de laquelle il devient plus difficile de les identifier" (2). C'est la raison pour laquelle il a été nécessaire d'imaginer des techniques d'identification ou d'individualisation. C'est chose plus ou moins aisée, en fonction des biens considérés. Le pinacle de la difficulté est, sans doute, atteint en matière de monnaie (surtout lorsqu'elle est inscrite en compte) (3), en raison du fort caractère fongible de ce bien particulier (4). Au secours du juriste en quête d'une arche perdue de différenciation sous laquelle il pourrait s'abriter, l'affectation spéciale doit permettre l'individualisation des sommes créditées sur un compte en banque. Le compte à affectation spéciale est un compte bancaire dont l'objet est de permettre à son titulaire facial d'individualiser des sommes perçues au profit d'un tiers bénéficiaire mentionné dans l'intitulé du compte. Il devrait en résulter une partition entre le titulaire facial du compte, détenteur apparent de la monnaie scripturale qui y figure, et le titulaire réel de cette monnaie (5).

Sans que cela apparaisse évident de prime abord, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 9 avril 2008 un arrêt qui intéresse la question des comptes à affectation spéciale (6). En l'espèce, plutôt que d'ouvrir un compte bancaire ou postal séparé au nom du syndicat des copropriétaires (7), un syndic de copropriété avait choisi d'ouvrir à son nom un compte fonctionnant comme un compte séparé au bénéfice du syndicat des copropriétaires. Ce compte semblait correspondre en tous points à la définition que nous venons de proposer pour le compte à affectation spéciale. Considérant que cela ne respectait pas les prescriptions légales, l'un des copropriétaires choisit d'assigner le syndic en nullité de son mandat de copropriété. Débouté en appel, le membre du syndicat se pourvut en cassation et obtint gain de cause : la décision des juges du fond fut cassée par la Haute cour, au motif "qu'en statuant ainsi, alors que le syndicat des copropriétaires doit être titulaire d'un compte bancaire ou postal séparé ouvert à son nom", la cour d'appel a violé les dispositions de la loi du 10 juillet 1965.

Par le passé, et à plusieurs reprises, la Cour régulatrice s'est montrée accueillante vis-à-vis des comptes à affectation spéciale (8) ; rien n'indique que cet arrêt soit le signe d'une nouvelle posture plus sévère.

Tout en faisant l'analyse de la décision rendue par la Cour de cassation le 9 avril dernier, nous nous intéresserons successivement à la pratique de l'affectation spéciale d'un compte (I), puis à son régime (II).

I - La pratique de l'affectation spéciale d'un compte bancaire

Convenir de l'affection spéciale d'un compte bancaire présente un certain nombre d'intérêts (A), qu'il est possible d'atteindre de diverses manières (B).

A- L'intérêt de l'affectation spéciale

L'affectation spéciale d'un compte bancaire permet une gestion simplifiée de sommes collectées pour le compte d'autrui (1), tout en se prémunissant contre les éventuelles difficultés économiques de la personne en charge de la collecte des fonds (2).

1 - La réception de fonds pour le compte d'autrui

Les hypothèses dans lesquelles une personne est chargée de collecter des sommes d'argent pour le compte d'autrui sont multiples. Parfois, elles trouvent leur fondement dans un texte de loi. D'abord, et de manière générale, tout mandataire peut être amené à devoir collecter des sommes pour le compte de son mandant. Le cas échéant, si la prestation fournie consiste en tout ou partie à fournir un service de recouvrement de créances, ledit mandataire devra respecter les dispositions du décret du 18 décembre 1996 (décret n° 96-1112, portant réglementation de l'activité des personnes procédant au recouvrement amiable des créances pour le compte d'autrui N° Lexbase : L5127ARC). Ensuite, et plus spécifiquement, certaines professions collectent des fonds au bénéficie de leurs clients : c'est par exemple le cas des avocats (9). Lorsque ces derniers reçoivent des fonds pour le compte de leur client, ils doivent faire inscrire les sommes correspondantes sur le compte prévu à l'article 240 du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L8168AID), ouvert au nom de la caisse des règlements pécuniaires des avocats et qui comprend autant de comptes individuels que d'avocats.

Précisément, on trouve trace d'une réception de fonds pour le compte d'autrui dans les faits qui ont donné lieu à l'arrêt du 9 avril 2008 : le syndic de copropriété est chargé de recevoir des sommes au nom ou pour le compte du syndicat de copropriétaires qu'il représente.

En termes pratiques, il est aisé de comprendre en quoi organiser cette collecte sur un compte à affectation spéciale se justifie. En premier lieu, il est souvent plus pratique que les sommes recouvrées soient inscrites sur un compte dont le titulaire est la personne en charge de la collecte de fonds ; c'est, notamment, vrai lorsque les bénéficiaires de la collecte sont nombreux. En second lieu, la méthode est discrète, ce qui se révèle souvent utile. C'est ainsi le cas chaque fois que s'interpose un prête-nom. Egalement, en matière de titrisation de créances commerciales, le cédant a souvent intérêt à dissimuler l'opération de refinancement à ses débiteurs en demeurant recouvreur des sommes dues (10).

2 - La sécurisation des flux

Ces avantages d'ordre pratique seraient purement et simplement annihilés si les sommes collectées étaient susceptibles d'être confondues avec celles revenant au collecteur (11). Les difficultés apparaissent, également, lorsque sur un même compte à vue ont été inscrites des sommes appartenant au titulaire du compte et d'autres perçues par celui-ci au bénéfice d'un tiers : dans une telle situation, le risque est que ces sommes soient confondues avec les autres articles du compte. L'objet du compte à affectation spéciale est d'éviter cette confusion.

D'ailleurs, c'est le principal intérêt du compte à affectation spéciale, qui est étroitement associé à ceux évoqués précédemment. L'affectation spéciale est réputée emporter deux conséquences (13) :
- les sommes inscrites sur le compte concerné doivent exclusivement revenir au bénéficiaire désigné ;
- l'établissement de crédit teneur de compte engage sa responsabilité en violant l'affectation spéciale décidée par son client. C'est, notamment, le cas lorsqu'il défère à un avis à tiers détenteur émis pour saisir des sommes inscrites sur le compte (14), ou s'il compensait le solde du compte spécialement affecté avec celui d'un autre compte bancaire appartenant à son client.

B - Les techniques d'affectation spéciale

L'affectation spéciale procède d'une convention dont l'objet est l'individualisation de sommes d'argent. Cette convention doit au moins lier le titulaire facial du compte et l'établissement teneur de compte ; dans l'idéal, elle leur associe le bénéficiaire. En général, cette convention organise soit la création de rubriques dans un compte bancaire (1), soit l'ouverture d'un compte bancaire dédié (2).

1 - La création de rubriques

La création de rubriques est la technique la plus élémentaire d'affectation spéciale. Elle consiste simplement à créer, dans un des comptes bancaires de la personne chargée de recevoir des sommes pour autrui, une rubrique sous laquelle seront inscrites exclusivement les sommes destinées à ce tiers. Comme l'a fait remarquer le Professeur Martin, il importe peu de savoir ce qu'est précisément une "rubrique" : seul compte le fait que les fonds reçus pour un bénéficiaire tiers aient été séparés en comptabilité (15).

Cette méthode d'affectation spéciale est souvent utilisée lorsqu'un seul et unique compte bancaire est ouvert par une personne pour collecter des sommes dues à une pluralité de bénéficiaires : ce peut, notamment, être le cas d'une société chargée de représenter fiscalement des sociétés étrangères (où peut, par exemple, être ouvert un seul compte bancaire, avec en rubrique chaque société représentée (16)) ou celui du recouvreur dans une titrisation multi-cédants.

Raisonnablement, on peut penser que les rubriques ne sont pas dotées d'un effet de règlement : les sommes qui y sont inscrites ne se fondent pas avec les autres articles du compte (17) (ce qui est le but recherché). Pour que ce résultat puisse être atteint, il est généralement admis que la rubrique doit être individualisée de manière apparente, par exemple en recevant pour intitulé le nom de son bénéficiaire (18). Cela implique de prévoir dans la convention de compte avec l'établissement de crédit la mention d'un intitulé spécial pour la rubrique. De facto, ledit compte fonctionnait bien comme un compte séparé ouvert au bénéfice du syndicat de copropriétaires.

2 - L'ouverture d'un compte dédié

Dans l'idéal, le compte à affectation spéciale prend la forme d'un compte dédié ouvert pour les besoins d'une opération en particulier (19). Cette technique est donc plus lourde à mettre en place que la précédente mais tout laisse à penser que, in fine, elle se révèle plus simple en termes de gestion quotidienne.

Comme la création de rubriques, l'ouverture d'un compte dédié à une affectation spéciale semble imposer que l'intitulé du compte reflète, même discrètement, le nom du bénéficiaire ou sa simple existence.

Nous comprenons des faits de l'arrêt du 9 avril 2008 qu'un tel compte avait été ouvert par le syndic de copropriété. Le titulaire facial du compte était le syndic (ainsi, l'ensemble des relevés de compte et des RIB étaient libellés à son nom), mais l'intitulé du compte mentionnait en rubrique le nom du syndicat. Par ailleurs, n'étaient passées sur le compte que des écritures concernant le syndicat au bénéfice duquel le compte était tenu.

Comme nous l'avons évoqué en filigrane, la validité du compte à affectation spéciale a été admise. L'arrêt commenté ne devrait pas enfermer cette technique dans un temple maudit.

II - Le régime de l'affectation spéciale d'un compte bancaire

L'arrêt du 9 avril 2008 est une décision mesurée, sans doute innervée par l'esprit des positions retenues par loi et la jurisprudence en matière de compte à affectation spéciale (A), qui laisse supposer la confirmation d'un régime connu (B).

A - L'efficacité du compte à affectation spéciale

S'inspirant d'une jurisprudence bidécennale, la loi a consacré la technique du compte à affectation spéciale dans les opérations de titrisation (1) ; on peut en déduire une analyse commune quant à l'action ouverte au bénéficiaire (2).

1 - La consécration du compte à affectation spéciale

La consécration du compte à affectation spéciale a une origine prétorienne. En effet, c'est la Cour de cassation qui, la première, a analysé certains des comptes "réglementés", dont la loi impose la tenue à quelques professions, comme des "comptes à affectation spéciale", tel le compte de l'article 55 du décret du 20 juillet 1972 (décret n° 72-678, art. 5 N° Lexbase : L1021ATY) qui concerne les agents immobiliers (20) ou le compte dit "CARPA" (21). Par la suite, elle a admis qu'un compte à affectation spéciale pouvait être créé contractuellement sans fondement légal (22). Ce faisant, elle a validé tant la création de rubriques que de comptes dédiés à affection spéciale.

C'est à partir de ces jurisprudences que la loi de sécurité financière (loi n° 2003-706 du 1er août 2003 N° Lexbase : L3556BLB) a consacré le compte à affectation spéciale pour les besoins des opérations de titrisation. Ainsi, est désormais prévu au troisième alinéa de l'article L. 214-46 du Code monétaire et financier que les sommes colletées par le recouvreur d'un fonds commun de créances peuvent être inscrites sur un compte spécialement affecté au bénéfice du fonds.

Le compte d'affectation spéciale en matière de titrisation et celui consacré par la jurisprudence étant très proches, il est possible de les analyser conjointement.

2 - L'action en restitution du bénéficiaire

Après une période d'ouverture, la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de comptes à affectation spéciale s'est, semble-t-il, faite plus sévère. C'est tout particulièrement vrai à la lecture d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 4 février 2003 (23). Il est exact que cet arrêt ne portait pas, à proprement parler, sur les comptes à affectation spéciale. Toutefois, en décidant qu'"une demande en restitution de fonds ne peut être formée par voie de revendication, la seule voie ouverte au créancier de somme d'argent étant de déclarer sa créance à la procédure collective de son débiteur", a été écarté l'argumentation (pourtant convaincante) de certains auteurs (24) qui avaient avancé que la monnaie scripturale est la propriété du client de la banque (25). Les comptes à affectation spéciale sont apparus affaiblis par cette jurisprudence qui a semblé, par effet mécanique, les sortir du cercle restreint de la propriété-sûreté.

Dans le même ordre d'idées, une lecture attentive des dispositions du Code monétaire et financier ne manque pas d'attirer l'attention sur le fait que la loi n'affirme aucunement que le fonds commun de créances est le propriétaire des sommes inscrites sur le compte à affectation spéciale dont il bénéficie. La loi se contente de désigner le fonds commun de créances comme étant le "bénéficiaire" de l'affectation spéciale. Et il ne semble pas que la réforme imminente du droit de la titrisation (26) changera quoi que ce soit en la matière.

Ainsi, parce qu'il apparaît privé d'action en revendication s'agissant de sommes d'argent, il ne reste au bénéficiaire que la possibilité d'agir en restitution pour récupérer les fonds qui lui reviennent. Cette analyse du compte à affectation spéciale a, sans doute, inspiré la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans l'élaboration de la décision commentée.

B - La confirmation d'un régime connu

En rendant l'arrêt du 9 avril 2008, comme son visa sobre le souligne, la Cour de cassation se contente de faire une application stricte des dispositions de la loi du 10 juillet 1965 (1), ce qui ne condamne pas les comptes à affectation spéciale reconnus par la jurisprudence (2).

1 - Une application stricte de la loi

Dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965 disposait que le syndic devait "soumettre au vote de l'assemblée générale, lors de sa première désignation et au moins tous les trois ans, la décision d'ouvrir ou non un compte bancaire ou postal séparé au nom du syndicat sur lequel seront versées toutes les sommes ou valeurs reçues par ce dernier". En l'espèce, cette décision avait été approuvée par les copropriétaires.

En cassant l'arrêt d'appel, la Cour de cassation fait une application pure et simple de ce texte. Elle estime qu'il revenait donc au syndic d'ouvrir un compte bancaire au nom et pour le compte du syndicat, et non un compte réputé à affectation spéciale bénéficiant à celui-ci. En ce sens, elle est conforme à sa jurisprudence constante (27).

Outre ce souci de faire produire tous ses effets à la loi, la Cour de cassation a, peut-être, considéré dans son raisonnement le risque potentiel de confusion entre les sommes dues au syndicat et d'autres, que le syndic en tant que titulaire facial du compte aurait pu créditer sur ce dernier. Enfin, une hypothétique conception affaiblie du compte à affectation spéciale, qui ne serait pas un pur mécanisme fiduciaire, pourrait expliquer la décision de la Haute cour.

2 - Le statu quo

Malgré tout, l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation ne bouleverse pas la pratique des comptes à affectation spéciale.

D'abord, les juges de cassation ne se sont pas prononcés sur la validité ou même l'efficacité du compte à affectation spéciale. Simplement, ce que l'on comprend de leur décision, c'est qu'étant jugée moins favorable que la titularité directe d'un compte bancaire, l'affectation spéciale ne peut s'y substituer. Ce serait d'autant plus le cas lorsque, comme en l'espèce, sont en jeu des questions d'ordre public de protection. Gageons aussi que l'enjeu, pour la Cour de cassation, était de refléter l'instauration de règles comptables spécifiques à la copropriété dont la loi dite "SRU" (28) a tiré les conséquences (29). Mais, il demeure possible, à titre général et en suivant les modalités évoquées plus avant, de mettre en place des comptes à affectation spéciale hors cadre légal.

Enfin, on peut toujours arguer du fait que l'efficacité du compte à affectation spéciale ne repose pas toute entière sur la possibilité pour le bénéficiaire de revendiquer les sommes figurant sur le compte. En effet, l'action en restitution dont dispose le bénéficiaire devrait être dirigée, non pas contre le titulaire facial du compte, mais contre l'établissement teneur de compte. Cela devrait signifier que, dans l'hypothèse de l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du titulaire facial du compte, le bénéficiaire n'a pas à participer aux opérations de déclarations de créances. Par une sorte de fiction juridique, le compte à affectation spéciale aboutirait, ainsi, à ce que les sommes portées à son crédit soient immédiatement perçues par le bénéficiaire : quelle différence pratique avec la titularité directe d'un compte ? La circonspection est de mise. De ce point de vue, on peut se permettre d'affirmer que l'arrêt du 9 avril 2008 est quelque peu sévère lorsque l'on garde à l'esprit que sa conséquence est la nullité du mandat du syndic.

L'interprétation d'une décision de la Cour de cassation est chose délicate (30), et on ne saurait vouloir trop en faire dire aux juges suprêmes. On ne se trompera pas en affirmant que l'arrêt du 9 avril 2008 n'est pas le témoin d'une dernière croisade de la Cour de cassation contre les comptes à affectation spéciale. La technique est connue et assimilée en droit français comme en droit comparé. Comme souvent, l'approche comparativiste est riche d'enseignement : ainsi, en droit allemand, le Treudhandkonten permet d'aboutir à un résultat proche de celui offert par le compte à affectation spéciale. Comme son nom l'indique, ce compte recourt au Treuhand, l'équivalent de la fiducie. D'où, une idée sous forme de défi : réfléchir à utiliser, dans la limite de ce que permet la loi et l'économie générale de l'opération pour laquelle cela est nécessaire, les articles 2011 (N° Lexbase : L6507HWW) et suivants du Code civil pour affecter spécialement un compte bancaire dédié. La perspective d'une réforme prochaine de notre jeune fiducie devrait le faciliter.


(1) Cf. Association H. Capitant, Vocabulaire juridique, sous la direction de G. Cornu, PUF, 8ème éd. revue et augmentée, 2007.
(2) Association H. Capitant, op. cit.. En droit des sociétés, lorsque la confusion réunit les patrimoines de deux personnes morales, elle est susceptible de générer une extension de la procédure collective de l'une à l'autre.
(3) On parle alors de monnaie scripturale, qui est un ensemble de "moyens de paiement qui consistent en des jeux d'écritures (d'où le nom) sans déplacement d'instruments monétaires matériels". C'est la composante la plus importante en volume de la masse monétaire, qui est la quantité de monnaie en circulation à un instant "T" dans une économie donnée.
(4) R. Libchaber, Recherches sur la monnaie en droit privé, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, T. 225, 1992, n° 134 et s., p. 107.
(5) X. de Kergommeaux et C. Van Gallebaert, Du compte à affectation spéciale, RTDFin., 2006, n° 3, p. 134.
(6) V., également, Bulletin d'actualités en droit immobilier : actualités jurisprudentielles - Cabinet Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés - Avril 2008, Lexbase Hebdo n° 302 du 14 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N7907BEL).
(7) Comme lui en fait l'obligation de l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965 (loi n° 65-557, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis N° Lexbase : L5536AG7), si le syndicat des copropriétaires le lui commande. En l'espèce, c'est l'ancienne rédaction du texte qui s'appliquait : cela ne change rien à l'affaire.
(8) Notamment, Cass. com., 14 mai 1991, n° 89-14.287, Société générale c/ Société Hydromation Belgium et autres (N° Lexbase : A2654ABW), D., 1992, JP, p. 13, note D. R. Martin. Il faut d'ailleurs observer que les décisions rendues concernaient souvent les syndics de copropriété.
(9) décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, art. 240-1, al.1er. De plus, chaque compte individuel est divisé en autant de sous-comptes que d'affaires traitées par l'avocat (al. 2).
(10) Ce qui, d'ailleurs, est le principe prévu par l'article L. 214-46 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6423DIQ).
(11) En langage financier, ce risque est souvent appelé "commingling risk" (littéralement : risque de confusion).
(12) P.-G. Marly, Fongibilité et volonté individuelle - Etude sur la qualification juridique des biens, LGDJ, 2004, n° 273, p. 224.
(13) X. de Kergommeaux et C. Van Gallabaert, op. cit..
(14) Cass. com., 25 février 1992, n° 90-16.881, Banque la Henin c/ Société SOCAF et autre (N° Lexbase : A4714AB9), RJF, 1992, août-septembre.
(15) Ce peut, par exemple, être un "sous-compte".
(16) Ce sont les faits ayant donné lieu à l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 14 mai 1991 (cf .supra).
(17) Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 6ème éd., 2005, n° 354, p. 241.
(18) Cf. La loi de sécurité financière : un an après, Rapport d'information du Sénat, n° 341.
(19) Comme cela a déjà été évoqué ce compte peut lui-même comporter des rubriques, afin d'être spécialement affecté à plusieurs bénéficiaires.
(20) Cass. com., 25 février 1992, id..
(21) Cass. civ. 1, 19 février 1985, n° 83-15.536, Le trésorier principal du 16ème arrondissement de Paris c/ Barthomeuf, Banque La Hénin (N° Lexbase : A0495AHS), Bull. civ. I, n° 68.
(22) Cass. com., 14 mai 1991, id..
(23) Cass. com., 4 février 2003, n° 00-13.356, M. Gabriel Baudier c/ M. Gilles Pellegrini, F-D (N° Lexbase : A9194A4B), D., 2003, JP, p. 1230, obs. A. Lienhard.
(24) Notamment, P.-G. Marly, op. cit., n° 274, p. 224.
(25) Qu'il soit déposant ou emprunteur.
(26) L'article 3 de la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier (N° Lexbase : L5471H3Z) a donné au Gouvernement jusqu'au 16 juin 2008 pour "moderniser le cadre juridique applicable aux fonds communs de créances et notamment élargir leur objet à la titrisation des risques d'assurance, en veillant à une information transparente et sincère des investisseurs".
(27) Cass. civ. 3, 3 mai 2001, n° 99-19.592, Syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Palais de La Mer (N° Lexbase : A3553ATR), D., 2002, Somm., 1524, obs. P. Capoulade.
(28) Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbain (N° Lexbase : L9087ARY).
(29) Cf. D., 2008, p. 1209, obs. Y. Rouquet.
(30) J. Ghestin, L'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation, D., 2004, p. 2239.

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Conflit collectif

[Jurisprudence] Le droit de grève n'est pas à vendre !

Réf. : TGI Dax, 15 avril 2008, n° 08/00064, Syndicat CFDT multidépartemental des transports routiers Aquitaine Atlantique c/ SAS GT Logistics.01 (N° Lexbase : A9410D7N)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010



L'affaire avait défrayé la chronique, lorsqu'un employeur avait très cyniquement proposé à ses salariés de ne plus faire grève moyennant le paiement d'une somme annuelle de 1 000 euros (I). L'ordonnance rendue par le Président du tribunal de grande instance de Dax le 15 avril 2008 devrait rassurer tous ceux qui s'inquiétaient que l'on puisse ainsi brader l'exercice d'un droit constitutionnel aussi fondamental que le droit de grève (II), même si, par certains aspects, elle n'échappe pas à la critique (III).
Résumé


Le fait de créer et de remettre une avance permanente, et de poser comme condition à son maintien le renoncement à toute absence et, notamment, toute action de grève ou débrayage futurs, sans aucune limitation dans le temps autre que celle de la durée du contrat de travail du salarié dans l'entreprise, constitue une atteinte manifeste au droit de grève des personnels ayant signé le document et perçu, dès le 12 février 2008, la somme de 1 000 euros.

I - La prime de la discorde


  • L'affaire


Désireuse de sortir d'un conflit qui paralysait l'entreprise, la direction de l'entreprise GT Logistic, sous-traitant de la société Turboméca, pour le compte de laquelle elle assure la logistique, avait proposé aux salariés de l'entreprise le paiement d'une somme de 1 000 euros, qualifiée d'"avance permanente", dans le cadre d'un accord individuel aux termes duquel chaque salarié s'engageait à garantir la "permanence" de ses prestations. Devant le tollé provoqué par la publicité faite à cette mesure, la direction de l'entreprise devait, quelques jours plus tard, préciser qu'il ne s'agissait que de verser aux salariés une avance sur prime d'assiduité, ouverte à tous les salarié et soumise à une simple condition résolutoire.

Considérant que cette initiative constituait une violation manifeste du droit de grève, le syndicat multidépartemental des transports routiers Aquitaine Atlantique avait assigné en référé l'entreprise afin que soit annulée la mesure.


  • La solution adoptée


Faisant droit au syndicat demandeur, le Président du tribunal de grande instance de Dax, dans une ordonnance rendue le 15 avril 2008, a considéré que l'avance litigieuse constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire immédiatement cesser en ordonnant son annulation. En outre, il énonce qu'il convenait de renvoyer les salariés et l'employeur à négocier "les conditions dans lesquelles cette avance pourra se conjuguer avec les mesures prises au titre de la prime d'assiduité créée par la note du 10 mars 2008", et le condamnant à verser à la CFDT la somme de 4 000 euros, sans préjudice de  1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL).

Cette solution doit être pleinement approuvée, même si, sur certains aspects, elle mérite quelques explications complémentaires, voire quelques critiques.


II - Une solution justifiée


  • Le régime légal du droit de grève


L'article L. 521-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5336ACM, art. L. 2511-1, recod. N° Lexbase : L1078HX9), qui dispose que "l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié", précise que "son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l'article L. 122-45, alinéa 2 (N° Lexbase : L3114HI8, art. L. 1132-2, recod. N° Lexbase : L9687HWP), notamment, en matière de rémunérations et d'avantages sociaux" et que "tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit".


  • Grève et rémunération


L'exercice régulier du droit de grève entraîne normalement la suspension du droit à rémunération. Pour que la privation du droit à rémunération n'apparaisse pas comme discriminatoire, et pour s'en tenir aux règles applicables dans le secteur privé (1), les retenues doivent être proportionnelles à la durée de l'arrêt de travail (2) ; à défaut, ces retenues heurteraient, non seulement, les dispositions de l'article L. 2511-1 du Code du travail, mais également celles de l'article L. 1331-2 qui interdit les sanctions pécuniaires.

Cette exigence, qui vaut pour le salaire, s'applique, également, aux différentes primes mises en place dans l'entreprise (3). L'employeur peut donc valablement considérer l'absence du salarié gréviste comme justifiant le non-versement de la prime, mais à la condition d'appliquer la même mesure à tous les salariés absents, sans opérer des distinctions selon la cause de cette absence (4).

Les primes versées à l'occasion du conflit sont généralement éminemment suspectes car elles visent à récompenser les non-grévistes ; elles seront donc annulées si elles leur sont réservées, ou si les non-grévistes bénéficient de montants majorés (5).


  • Qualification de la somme litigieuse


Dans sa version initiale, c'est-à-dire telle que proposée aux salariés en cours de conflit, la somme de 1 000 euros était présentée comme une "avance permanente" remboursable intégralement en cas de manquement à l'engagement de "permanence de sa prestation".

La qualification adoptée par la direction de l'entreprise était astucieuse. Il s'agissait, en effet, de prévoir une avance sur prime d'assiduité, assortie d'une condition résolutoire en cas de non-respect de l'engagement de permanence.

En apparence, cette "avance" pouvait sembler licite. Il n'est, en effet, pas interdit à l'employeur de traiter les absences des salariés pour fait de grève comme des absences ordinaires, pour en tirer les conséquences financières qui s'imposent, dès lors qu'il ne réserve pas aux absences pour exercice du droit de grève un traitement particulier. Il n'est pas, non plus, interdit de subordonner le bénéfice d'une prime à une condition de présence dans l'entreprise, à une date donnée, ou même au respect d'une obligation d'assiduité, dès lors que la privation de cette prime n'abaisse pas le salaire en deçà des minima légaux ou conventionnels ; on sait, d'ailleurs, que le droit au paiement prorata temporis du temps de présence dans l'entreprise, en cas de non-réalisation de la condition de présence, n'est pas de droit, à défaut d'avoir été stipulé dans l'accord ayant mis en place la prime (6). Dans ces conditions, l'opération mise en place pouvait sembler licite, sous ces réserves.

L'examen des circonstances de fait montrait, toutefois, que la véritable cause du versement de cette avance résidait dans la volonté d'inciter les salariés à cesser la grève et, pour l'avenir, à y renoncer. Or, on sait, notamment, grâce à l'article 1132 du Code civil (N° Lexbase : L1232ABA), qu'il convient de rechercher la cause d'une obligation, non pas uniquement dans la lettre de celle-ci, mais, au-delà, dans l'intention des parties.

C'est pour cette raison que le juge des référés pouvait, compte tenu des circonstances et du caractère machiavélique du régime mis en place, ordonner que cessent les effets de la mesure.


  • L'interdiction de renoncer par avance au droit de grève


La grève constitue un droit constitutionnel et, à ce titre, nécessairement d'ordre public absolu. Le salarié ne peut donc pas y renoncer et les atteintes qui pourraient y être portées ne sont jamais susceptibles de confirmation ultérieure (7). C'est aussi pour cette raison que la mesure litigieuse apparaissait comme manifestement illicite dans la mesure où, en contrepartie du versement de la somme de 1 000 euros, les salariés s'engageaient, en réalité, à renoncer à l'exercice du droit de grève. Certes, telle qu'elle semblait formulée, l'avance semblait neutre, puisque l'engagement de permanence de la prestation ne visait pas expressément l'exercice du droit de grève. Mais, c'est précisément parce que cette hypothèse n'était pas exclue que cette avance présentait un caractère illicite, puisqu'elle englobait, également, l'exercice du droit de grève. L'avance méritait, d'ailleurs, certainement d'être, aussi, déclarée illicite en ce qu'elle incitait les salariés à ne pas prendre de congé maladie, contrariant, ici, un autre droit fondamental, celui à la santé.


III - Quelques éléments discutables


  • La qualification douteuse de l'obligation de remboursement, sanction pécuniaire prohibée


Le Président du tribunal de grande instance de Dax a, également, considéré que l'obligation de remboursement de l'intégralité de l'avance de 1 000 euros constituait une sanction pécuniaire prohibée, caractérisant, ainsi, également, le caractère manifestement illicite de la mesure.

Pareille qualification n'est pas évidente. Dans la mesure où l'assiduité du salarié constitue la condition du bénéfice de la prime (8), que les sommes à restituer n'excèdent pas le montant de ce qui a été versé et que la Cour de cassation valide le système du tout ou rien, s'agissant des primes versées au salarié présent dans l'effectif au moment où la prime vient à échéance, il ne semblait s'agir ni d'une clause pénale, au sens civil du terme, ni d'une sanction pécuniaire au sens du droit du travail, dans la mesure où le remboursement était proportionné au versement.


  • Le choix inadéquat de la nullité


Même si, comme le relève justement l'ordonnance, le juge des référés est en droit de prendre toutes les mesures de nature à faire cesser le trouble manifestement illicite qu'il constate, ses pouvoirs ne vont pas jusqu'à lui permettre de se mêler du fond du droit et d'annuler un acte juridique (9). La seule mesure qu'il puisse prendre est donc de suspendre la mesure, dans l'attente de la décision au fond. En toute hypothèse, et dans la mesure où l'ordonnance de référé n'est pas revêtue, au principal, de l'autorité de la chose jugée (10), le juge conservera au fond toute sa liberté, même si l'on peut gager qu'il annulera, cette fois-ci définitivement, la prime litigieuse.



(1) Pour les règles applicables dans les services publics, lire nos obs. La grève et ses conséquences financières dans la fonction publique, Lexbase Hebdo n° 85 du 11 septembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8683AAT).
(2) Cass. soc., 4 février 1988, n° 84-45.303, SA Sotra Causse Walon et compagnie c/ Simon (N° Lexbase : A1517ABS) : "la retenue sur salaire par heure de grève d'un salarié mensualisé doit être égale au quotient du salaire par le nombre d'heures de travail dans l'entreprise pour le mois considéré".
(3) Ainsi, pour une prime d'ancienneté : Cass. soc., 12 mai 1980, n° 79-40.306, Kocurek c/ Ets Decaux (N° Lexbase : A1625ABS) : "les juges du fond, après avoir relevé qu'aucun salaire n'est dû pendant la suspension de l'exécution du contrat du fait de la grève, et que les retenues sur le salaire doivent être proportionnelles a la durée de la grève, ont a bon droit reconnu la légitimité de la réduction de la prime opérée par l'employeur, qui ne pouvait donc constituer une atteinte au droit de grève". Pour une prime d'assiduité : Cass. soc., 8 janvier 1987, n° 84-40.537, Société anonyme Dickson Constant c/ M. Ajdi et autres (N° Lexbase : A6209AA9) ; Cass. soc., 15 février 2006, n° 04-45.738, Société Lamy Lutti c/ Mme Yamina Achi, FS-P+B (N° Lexbase : A9875DMP), v. nos obs., La grève pour les retraites est licite et ne peut donner lieu à aucune sanction déguisée, Lexbase Hebdo n° 203 du 23 février 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4878AKU). Pour une prime de fin d'année : Cass. soc., 26 février 1981, n° 79-14.450, publié. Pour une prime de travail posté : Cass. soc., 7 décembre 1995, n° 92-41.495, M. Bernard Jacqueson, M. René Montagner, M. Bernard Claus, M. Jean-Louis Chaumeil c/ Société Manufacture française des pneumatiques Michelin, inédit (N° Lexbase : A4501CPE).
(4) Cass. soc., 2 octobre 1982, n° 80-41.211, Société Gérard Fortier c/ Dame Salvaux, dame Deneuville, dame Demangeaux (N° Lexbase : A7487AGE) ; Cass. soc., 10 décembre 2002, n° 00-44.733, Caisse régionale crédit agricole mutuel Anjou Mayenne c/ M. Marcel Guignard, FS-P+B (N° Lexbase : A4135A4W), v. nos obs., Grève et non-paiement de la rémunération du gréviste la délicate frontière entre exception d'inexécution et discrimination prohibée, Lexbase Hebdo n° 53 du 9 janvier 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5343AA7).
(5) Cass. soc., 2 mars 1994, n° 92-41.134, Société Nozal c/ M. Bazier et autres, publié (N° Lexbase : A1961AAU).
(6) Ass. plén., 5 mars 1993, n° 89-43.464, Société Constructions mécaniques Louis Martin et autre c/ ASSEDIC de la Région lyonnaise et autres (N° Lexbase : A5405AYT), D., 1993, p. 245, concl. M. Jéol ; JCP éd. E, 1994, II, 531, note G. Pignarre ; Dr. ouvrier, 1993, p. 195, note Rochois.
(7) C'est ce constate le jugement lorsqu'il précise que la note de service du 10 mars 2008 "ne saurait être suffisante pour régulariser" le document signé le 12 février 2008.
(8) Pareille condition est habituellement suspensive, lorsque la prime est versée en fin d'année au vu de l'assiduité passée du salarié, mais elle était ici résolutoire compte tenu du caractère anticipé de son versement.
(9) En ce sens J. Héron, Droit judiciaire privé, Domat droit privé, 3ème éd., 2006, par Th. Le Bars, n° 386.
(10) C. proc. civ., art. 488 (N° Lexbase : L2728ADE).


Décision

TGI Dax, 15 avril 2008, n° 08/00064, Syndicat CFDT multidépartemental des transports routiers Aquitaine Atlantique c/ SAS GT Logistics.01 (N° Lexbase : A9410D7N)

Textes visés : C. trav., art. L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM, art. L. 2511-1, recod. N° Lexbase : L1078HX9) ; et art. L. 122-45, al. 2 (N° Lexbase : L3114HI8, art. L. 1132-2, recod. N° Lexbase : L9687HWP)

Mots-clefs : droit de grève ; violation manifeste ; paiement d'une avance de 1 000 euros aux salariés pour garantir la "permanence" de leurs prestations ; trouble manifestement illicite

Liens base :

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Statut des mesures comprises dans un plan de sauvegarde de l'emploi

Réf. : Cass. soc., 15 avril 2008, n° 07-40.908, Société Tektronic, F-D (N° Lexbase : A9769D7X)

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N9169BEC

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Le contentieux des mesures figurant dans un plan de sauvegarde de l'emploi et, plus précisément, sur leur nature juridique exacte, reste finalement assez rare. En effet, les décisions rendues par la Cour de cassation portent, le plus souvent, sur la mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi, sa mise en oeuvre, son contenu (1), le respect par l'employeur de ses obligations de reclassement, la consultation des institutions représentatives du personnel (2), la nature des sanctions encourues (3), l'appréciation judiciaire (4) (...), mais, rarement, sur la nature des mesures de reclassement contenues dans un plan de sauvegarde de l'emploi. La doctrine ne s'est pas, non plus, beaucoup investie sur ce terrain (5). L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 avril dernier donne opportunément l'occasion de faire le point sur un thème précis, mais d'une grande portée, aussi bien pour les employeurs et les salariés, que leurs conseils.
Résumé

Lorsqu'une indemnité complémentaire prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi est destinée à tous les salariés licenciables, l'adhésion à un dispositif de préretraite n'emporte pas privation de cet avantage.

En l'espèce, M. S. a été licencié le 24 novembre 2003 et a bénéficié d'un dispositif de cessation anticipée d'activité financé par le Fonds national pour l'emploi au moyen d'une allocation de préretraite (convention ASFNE). Il a saisi le juge prud'homal d'une demande relative à une "indemnité complémentaire" de licenciement prévue au plan de sauvegarde de l'emploi. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 21 décembre 2006, lui avait bien alloué cette indemnité prévue dans le plan de sauvegarde de l'emploi. Le pourvoi formé par l'employeur est rejeté par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.

La mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi fait naître, au profit du salarié, un certain nombre de droits en application des engagements de reclassement pris par l'employeur (I). Il existe, aussi, des droits auxquels n'ont pas accès les salariés compris dans un plan de sauvegarde de l'emploi (II).

I - Droits reconnus aux salariés visés par un plan de sauvegarde de l'emploi

En application de ses engagements de reclassement, l'employeur est tenu à une série importante d'obligations à l'égard des salariés compris dans le plan de sauvegarde de l'emploi : les informer de leur statut social et fiscal (A) ; faire bénéficier aux salariés, qui en remplissent les conditions, des mesures comprises dans le plan de sauvegarde de l'emploi (B) et, enfin, assurer une égalité de traitement entre salariés (C).

A - Droit à être informé

Le salarié ayant adhéré à une mesure contenue dans le plan de sauvegarde de l'emploi peut légitimement attendre de l'employeur qu'il lui donne toutes les informations nécessaires, y compris de nature fiscale, sur les mesures comprises dans un plan de sauvegarde de l'emploi. A défaut, l'employeur, qui viole une telle obligation d'information et de renseignement, engage sa responsabilité civile (6). Mais, le partage de responsabilité sera retenu si les salariés refusent d'entreprendre une action en annulation de l'imposition devant le juge administratif, contribuant, ainsi, à la réalisation de leur propre préjudice (7).

Enfin, la Cour de cassation a admis le principe selon lequel les conditions d'octroi d'un avantage résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi doivent être objectivement définies. Ne répond pas à cette condition la disposition subordonnant le versement d'une indemnité majorée à la conclusion d'une transaction individuelle (8).

B - Droit à bénéficier d'une mesure comprise dans un plan de sauvegarde de l'emploi

Le salarié remplissant les conditions fixées par le plan de sauvegarde de l'emploi doit normalement bénéficier des mesures comprises dans celui-ci (9). Rien ne peut, alors, justifier que l'employeur refuse au salarié le bénéfice d'une des mesures inscrites : il engagera, ainsi, sa responsabilité, car il aura commis une faute, ouvrant droit à réparation du préjudice subi par le salarié (10).

Dès lors que le salarié remplit les conditions pour bénéficier d'une mesure comprise dans le plan de sauvegarde de l'emploi (en l'espèce, préretraite progressive), l'employeur commet une légèreté blâmable à ne pas proposer cette mesure au salarié (11). Le salarié, remplissant les conditions prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi pour prétendre à l'ASFNE, peut invoquer la responsabilité de l'employeur qui a commis une faute, et bénéficier de dommages et intérêts (12). Le juge contrôle le refus opposé par l'employeur et apprécie sa justification (13). En outre, le salarié bénéficiaire du plan de sauvegarde de l'emploi pourra prétendre à d'autres droits et avantages : une priorité de réembauchage (C. trav., art. L. 321-14 N° Lexbase : L9592GQC, art. L. 1233-45, recod. N° Lexbase : L9930HWP).

Mais, a contrario, si le salarié ne remplit pas les conditions propres au plan de sauvegarde de l'emploi, l'employeur ne commet aucune faute en refusant la candidature d'un salarié (pas de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du refus de l'employeur de faire droit à sa demande de départ volontaire, alors qu'il n'est pas licenciable. L'opposition de l'employeur n'est pas abusive - CA Paris, 23ème ch., sect. A, 26 juin 2002, n° 2000/06026, Société Terroir Tradition - SARL c/ Madame Fanny Scherb veuve De Gail (N° Lexbase : A0235A34 : RJS, 10/02, n° 1103).

En l'espèce, l'employeur faisait grief à l'arrêt d'avoir alloué l'indemnité prévue dans le plan de sauvegarde de l'emploi, alors que celui-ci prévoit deux catégories de mesures, la première relative aux "mesures destinées à éviter les licenciements", parmi lesquelles un dispositif de cessation anticipée d'activité des salariés en préretraite ASFNE (ouvrant droit, pour les salariés concernés, à l'indemnité de licenciement, conventionnelle ou légale, si elle est plus favorable), la seconde afférente aux mesures relatives aux départs, ouvrant droit, pour les salariés figurant sur la liste des "licenciables", au versement d'une indemnité complémentaire de licenciement. En décidant que le salarié, en préretraite, en adhérant à la convention ASFNE, avait droit, non seulement, à l'indemnité de licenciement conventionnelle ou légale, mais, encore, à l'indemnité "complémentaire" de licenciement, réservée aux seuls salariés concernés par les mesures relatives aux départs, parmi lesquels ne figuraient pas les salariés concernés par les départs en préretraite ASFNE, la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. Très justement, la Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, rejette le pourvoi, en relevant que l'"indemnité complémentaire" prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi était destinée à tous les salariés licenciables, sans que l'adhésion à un dispositif de préretraite emporte privation de cet avantage.

Enfin, la jurisprudence a admis que l'employeur, qui ne permet pas aux salariés de bénéficier des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi, commet une faute et fait perdre aux salariés une chance de conserver leur emploi (l'employeur n'avait pas sérieusement donné suite à la proposition de salariés volontaires pour travailler à temps partiel qui aurait permis l'application de l'une des mesures prévus dans le plan social afin de limiter les licenciements (14)).

C - Egalité de traitement

Un salarié ayant travaillé à temps complet, puis à temps partiel, ne peut voir le montant de l'indemnité de licenciement réduit à la moitié de la somme prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi, dès lors que celui-ci prévoyait que le montant de cette indemnité est fonction de la durée de service des salariés, tant à temps complet qu'à temps partiel (15).

Plus généralement, le principe d'un traitement égal entre les salariés bénéficiaires d'un plan de sauvegarde de l'emploi et les autres salariés exclus, a été rappelé par la Cour de cassation dans un attendu de principe, selon lequel, si un plan de sauvegarde de l'emploi peut contenir des mesures réservées à certains salariés, c'est à la condition que tous les salariés de l'entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l'avantage, ainsi, accordé et que les règles déterminant les conditions d'attribution de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables (16). L'affirmation d'un tel principe d'égalité de traitement s'étend à un principe voisin, l'interdiction de discrimination (17).

Enfin, il faut mentionner la question du droit de contester le motif économique du licenciement en cas d'adhésion à une convention de reclassement personnalisé, même si elle est annexe au domaine du plan de sauvegarde de l'emploi stricto sensu.

II - Droits exclus

A - Exclusion de certains droits pour les salariés visés par un plan de sauvegarde de l'emploi

L'adhésion d'un salarié au plan de sauvegarde de l'emploi proposé par l'employeur n'implique pas que l'exercice de certaines prérogatives. Selon la Cour de cassation, le droit du reclassement collectif emporte incompatibilité avec le bénéfice de certains droits. Il en va, ainsi, des textes relatifs à l'ordre du licenciement, exclus dans le domaine du licenciement économique collectif. En l'absence de dispositifs contenus dans les textes, la jurisprudence décide que l'ordre du reclassement est fixé librement par l'employeur dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

B - Exclusion de certains droits pour les salariés visés par un plan de sauvegarde de l'emploi et adhérents à une convention ASFNE

Contrairement à l'adhérent d'une convention de reclassement personnalisé (supra), l'adhérent d'une convention de préretraite totale est privé du droit de contester le motif économique de la rupture du contrat. A moins d'établir une fraude de leur employeur ou l'existence d'un vice du consentement, les salariés licenciés pour motif économique, qui ont personnellement adhéré à la convention passée entre leur employeur et l'Etat, laquelle, compte tenu de leur classement dans la catégorie des salariés non susceptibles d'un reclassement, leur assure le versement d'une allocation spéciale jusqu'au jour de leur retraite, ne peuvent remettre en discussion la régularité et la légitimité de la rupture de leur contrat de travail (19).

L'adhésion à la convention postérieurement à la saisine par le salarié du conseil de prud'hommes en vue de contester le bien-fondé de son licenciement caractérise la volonté non équivoque du salarié de renoncer à cette contestation (20).


(1) Voir, notamment, parmi les arrêts récents : Cass. soc., 15 avril 2008, n° 06-46.129, F-D (N° Lexbase : A9626D7N) et Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.477, Société TDA armements, F-D (N° Lexbase : A3291D7Z).
(2) Cass. soc., 12 septembre 2007, n° 06-13.667, M. Gilles Baronnie, FS-P+B (N° Lexbase : A2156DYI) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Plan de sauvegarde de l'entreprise en difficulté et consultation des délégués du personnel : double consultation, Lexbase Hebdo n° 274 du 27 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N5055BC9).
(3) Voir, notamment, Cass. soc., 27 novembre 2007, 2 arrêts, n° 06-42.745 (N° Lexbase : A9489DZH) et n° 06-42.746 (N° Lexbase : A9490DZI), Société American Airlines, F-D et nos obs., Réparation du non respect par l'employeur d'un engagement de reclassement, Lexbase Hebdo n° 285 du 13 décembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3983BDU) ; Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-45.603, M. Gérard Philippot, FS-P+B (N° Lexbase : A0606DWD) et nos obs., Sanctions de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi affectant des salariés protégés, Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1486BBN) ; Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-10.350, Comité d'établissement de la société St Microélectronics de Rennes, FS-P+B (N° Lexbase : A4802DTZ) et nos obs., Licenciement économique collectif : régime des sanctions pour irrégularité de procédure consultative, Lexbase Hebdo n° 245 du 25 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N8135A98) ; Cass. soc., 28 novembre 2006, n° 04-48.798, M. Christian Rieffel, F-P (N° Lexbase : A7752DSW) et nos obs., Conséquences pour le salarié de la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi, Lexbase Hebdo n° 241 du 21 décembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5374A9W).
(4) Cass. soc., 13 février 2008, n° 06-45.377, Comité d'entreprise de la société anonyme Breilly, F-D (N° Lexbase : A9276D4C).
(5) C. David, Régime fiscal et régime de Sécurité sociale applicable aux indemnités perçues par un salarié lors de la rupture, Dr. soc., 1981, p. 284 ; D. Chelle et X. Pretot, Indemnités de rupture des salariés : prélèvements sociaux et fiscaux (étude comparée), RJS, 7/90, p. 1 ; P. Coursier, Régime social des sommes liées à la rupture du contrat de travail, TPS, mai 1998 ; D. Jonin et F. Kessler, Le traitement social des indemnités versées lors des restructurations, SSL, 5 mai 2003, n° 1121, p. 4 ; J. Savatier, Réflexions sur les indemnités de licenciement, Dr. soc., 1989, p. 127.
(6) Cass. soc., 2 avril 1996, n° 93-42.082, Société CIT Alcatel c/ Mme Maryvonne Rousvoal, Mme Nicole Baudet et autres, inédit (N° Lexbase : A2472CL7), D., 1998, somm. 250, obs. V. Michelet, RJS, 5/1996, n° 513 ; Cass. soc., 19 décembre 1990, n° 88-41.363, Société Seipel c/ Mme Laurendeau et autres (N° Lexbase : A2126ABD), Bull. civ. V, n° 681 et JCP éd. E, 1991, I, 53, n° 8, p. 235-236, obs. A. Chevillard ; Cass. soc., 7 juin 1995, n° 91-44.294, Société Paulstra Hutchinson c/ M. Guilleux et autres (N° Lexbase : A0913ABG), Bull. civ. V, n° 183.
(7) Cass. soc., 15 décembre 1999, n° 98-41.549, Société anonyme Alcatel Cit c/ Mme Céline Auffret, née Boete et autres (N° Lexbase : A3153AGU), D., 2001, 507, note Ch. Willmann, TPS, mars 2000, p. 13, obs. P.-Y. Verkindt, RJS, 2/2000, n° 146 ; Cass. soc., 27 février 2001, n° 98-44.761, Mme Annie Guegan c/ Société Cit Alcatel (N° Lexbase : A0494ATH), Jurispr. soc. Lamy n° 79, 10 mai 2001, n° 79-11, p. 21, obs. S. G..
(8) Cass. soc., 11 avril 2008, n° 06-46.375, Société Sélection du Reader's Digest, F-D (N° Lexbase : A8804D79).
(9) Cass. soc., 23 février 1994, n° 92-42.896, Société Rhône Poulenc Rorer c/ M. Péguy (N° Lexbase : A1079ABL).
(10) Cass. soc., 29 mai 2002, n° 00-41.862, Société Mondia Kirwan c/ M. Roland Stoll, F-D (N° Lexbase : A7905AYG), SSL, 10 juin 2002, n° 1079, p. 15.
(11) Cass. soc., 10 juillet 2001, n° 99-43.024, Société Setec bâtiment c/ M. Gérard Vanneuville (N° Lexbase : A1743AU4), RJS 10/01, n° 1127.
(12) Cass. soc., 29 mai 2002, n° 00-41.862, préc., RJS, 8-9/02, n° 962.
(13) Cass. soc., 10-07-2001, n° 99-43.330, Société Usiplast c/ Mme Florence Sebah-Canat (N° Lexbase : A1744AU7), RJS, 10/01, n° 1126.
(14) Cass. soc., 6 mai 1998, n° 95-45.464, Société Eternit industrie c/ M. Cabieces et autres (N° Lexbase : A2587ACS).
(15) Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 97-44.923, Mme Chappe c/ Société Ducros (N° Lexbase : A4890AG9), TPS, mars 2000, n° 87.
(16) Cass. soc., 10 juillet 2001, n° 99-40.987, Mme Vieillard c/ Association Irmep l'Essor et autre (N° Lexbase : A1731AUN), D., 2001, IR, 2458.
(17) Cass. soc., 12 juin 2001, n° 99-41.936, M. Villy Robert c/ Société SCOA (N° Lexbase : A5458AGA), D., 2001, IR 2177, TPS, 2001, comm. n° 327, obs. P.-Y. Verkindt ; Cass. soc., 12 février 2003, n° 00-19.341, M. Didier Rocheron c/ Comité d'etablissement de Paris de la banque Scalbert Dupont, FS-P+B (N° Lexbase : A0173A7K), TPS, mai 2003, comm. n° 179, obs. P.Y. Verkindt.
(18) Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-41.964, M. Dominique Benard, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3379D7B) et nos obs., Convention de reclassement personnalisé et contestation du motif économique de la rupture du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4460BEW).
(19) Cass. soc., 27 janvier 1994, n° 90-46.034, Société Pomona c/ M. Leclerc et autres (N° Lexbase : A0469ABY), Bull. civ. V, n° 33, p. 22.
(20) Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-44.116, M. Jean Finet c/ Société anonyme Etablissements Jules Caille, inédit (N° Lexbase : A5522C4B), SSL, n° 977, 17 avril 2000.

Décision

Cass. soc., 15 avril 2008, n° 07-40.908, Société Tektronic, F-D (N° Lexbase : A9769D7X)

CA Paris, 21 décembre 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 321-1 et s. (N° Lexbase : L8921G7K, art. L. 1233-10 N° Lexbase : L9895HWE, L. 1233-31 N° Lexbase : L9916HW8, L. 1233-32 N° Lexbase : L9917HW9 et L. 1233-48 N° Lexbase : L9933HWS, recod.)

Mots-clefs : plan de sauvegarde de l'emploi ; indemnité complémentaire versée par l'employeur ; bénéficiaires ; conditions.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Incompatibilité entre mandat de délégué syndical dans l'UES et délégation de pouvoir

Réf. : Cass. soc., 16 avril 2008, n° 07-60.382, M. Christophe Lo Monaco, ayant élu domicile à la société Sodaixsud, Mac Donald, FS-P+B (N° Lexbase : A9790D7Q)

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N9005BEA

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La position de certains salariés est parfois trop ambiguë pour leur permettre d'assumer des fonctions de représentation du personnel ou de représentation syndicale dans l'entreprise. Tel est, traditionnellement, le cas des salariés disposant d'une délégation particulière d'autorité impliquant une trop grande proximité des instances dirigeantes, qui les prive de l'indépendance indispensable à l'exercice de telles missions. Si cette règle est relativement bien établie dans les entreprises à structure simple ou composées d'établissements distincts, c'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation se prononce sur la compatibilité entre mandat syndical dans l'unité économique et sociale et délégation d'autorité dans l'une des entreprises la constituant. Par un arrêt rendu le 16 avril 2008, la Chambre sociale étend l'incompatibilité traditionnelle à cette hypothèse (I), l'analyse permettant de considérer que cette solution s'inscrit de manière cohérente dans l'ensemble du régime de la désignation du délégué syndical dans l'UES (II).
Résumé

Ne peut exercer un mandat de représentation du personnel ou syndical au sein d'une unité économique et sociale, dont fait partie l'entreprise qui l'emploie, le salarié qui ne remplit pas les conditions pour exercer un tel mandat au sein de cette entreprise en raison de son assimilation au chef d'entreprise.

Commentaire

I - L'existence d'une incompatibilité entre mandat de délégué syndical d'une UES et délégation de pouvoir

  • Les conditions générales tenant à la désignation d'un délégué syndical

La désignation d'un délégué syndical répond à un certain nombre de conditions relatives tant à l'entreprise, au syndicat, qu'au salarié désigné.

S'agissant du cadre de représentation, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide depuis longtemps, malgré le silence du législateur, qu'un délégué syndical peut-être désigné dans le cadre d'une unité économique et sociale (1). La division de l'unité économique et sociale en établissements distincts ne faisant pas difficulté, il est, d'ailleurs, envisageable que l'ensemble comporte des délégués syndicaux d'établissement et des délégués syndicaux centraux (2).

Le Code du travail est plus prolixe s'agissant des qualités que doit revêtir le salarié pour pouvoir être désigné délégué syndical, l'article L. 412-14 (N° Lexbase : L6334ACL, art. L. 2143-1, recod. N° Lexbase : L0431HXA) imposant trois conditions personnelles : le salarié doit être âgé de 18 ans, avoir un an d'ancienneté et être titulaire de ses droits civiques. A côté de ces règles légales, la jurisprudence a imposé certaines règles relatives à l'indépendance du salarié vis-à-vis de l'employeur (3).

  • L'indépendance du délégué syndical vis-à-vis de l'employeur

Ainsi, si le salarié désigné délégué syndical peut cumuler ce mandat avec d'autres représentations, par exemple la délégation du personnel (4), d'autres mandats de représentation de l'employeur excluent la possibilité de revêtir les fonctions de délégué syndical. C'est, en particulier, le cas des salariés qui, ayant reçu une délégation d'autorité, sont, en réalité, des mandataires de l'entreprise de laquelle ils sont employés.

La Cour de cassation décide que la désignation d'un délégué syndical ne peut porter sur un salarié titulaire des prérogatives de l'employeur (5). Elle fait, en général, une appréciation restrictive de cette délégation de pouvoir et exige que le salarié détienne une délégation particulière d'autorité lui permettant de l'assimiler au chef d'entreprise (6). Elle ne s'était, en revanche, jamais prononcée sur la compatibilité entre le mandat de délégué syndical central d'une unité économique et sociale et celle de dirigeant de l'une des sociétés la constituant.

  • En l'espèce

Un salarié, directeur d'un restaurant Mac Donald, a été désigné délégué syndical CGC de l'unité économique et sociale à laquelle appartient la société qui l'emploie. Estimant que la délégation de pouvoir exercée par le salarié n'était pas compatible avec l'exercice d'un mandat syndical, l'union départementale CGT saisit le tribunal d'instance d'une requête en annulation de la désignation. Le tribunal d'instance fit droit à cette demande, si bien que le salarié et la CGC formèrent un pourvoi en cassation, invoquant l'absence de "délégation de pouvoir, d'autorité ni d'aucune fonction transversale au sein de l'unité économique et sociale ni au sein d'autres restaurants" du salarié.

La Cour de cassation ne l'entend, pourtant, pas de cette oreille et rejette le pourvoi, confirmant, ainsi, l'argumentation des juges d'instance. Selon la Chambre sociale, "ne peut exercer un mandat de représentation du personnel ou syndical au sein d'une unité économique et sociale dont fait partie l'entreprise qui l'emploie, le salarié qui ne remplit pas les conditions pour exercer un tel mandat au sein de cette entreprise en raison de son assimilation au chef d'entreprise ; que le tribunal d'instance, qui a constaté que [le salarié] disposait d'une délégation particulière d'autorité établie par écrit pour l'établissement qu'il dirigeait, a par ce seul motif légalement justifié sa décision".

Peu importe donc que le salarié n'ait pas de délégation d'autorité sur les autres sociétés constitutives de l'unité économique et sociale. Il y a une sorte d'incompatibilité par ricochet, l'impossibilité d'exercer des fonctions syndicales au niveau de l'entreprise se répercutant au niveau de l'unité économique et sociale. Cette solution nous semble devoir être approuvée.

II - La cohérence de l'incompatibilité entre mandat de délégué syndical d'une UES et délégation de pouvoir

  • Une incompatibilité étendue à tous les mandats de représentation du personnel

Remarquons, à titre préliminaire, que la solution rendue au sujet d'un mandat de délégué syndical aurait été la même pour tout autre mandat de représentation du personnel puisque la Cour de cassation, par une incidente proche de l'obiter dictum, étend cette solution à tout "mandat de représentation du personnel ou syndical". Il n'y a là rien d'étonnant puisqu'il existait déjà une incompatibilité entre délégation d'autorité et mandat électif de représentation du personnel au sein de l'entreprise.

La Cour de cassation établit l'existence de la délégation d'autorité par l'existence d'un écrit, ce qui confirme la simplification que constitue un tel document, quoique la délégation n'a pas nécessairement à être établie selon de telles formes (7). Pour le reste, c'est l'identité qui est de mise, seul le salarié pouvant être désigné ou élu représentant au niveau de la société peut briguer un mandat au niveau de l'unité économique et sociale.

  • Une solution en harmonie avec les règles relatives à la notification de la désignation

Outre les questions évidentes d'indépendance de la représentation syndicale à l'égard de l'employeur, cette solution est particulièrement cohérente avec le régime imposé aux organisations syndicales quant à la signification de la désignation d'un délégué syndical. En effet, pendant longtemps, la Cour de cassation a considéré que la désignation d'un délégué syndical notifiée au chef d'établissement ne prenait effet qu'à compter de la date à laquelle elle avait été portée à la connaissance du chef d'entreprise (8). Or, depuis 1999, la Chambre sociale accepte, dans les entreprises à établissements distincts, que la désignation d'un délégué syndical d'établissement soit valablement notifiée au chef d'établissement si la délégation de pouvoir qu'il détient permet de l'assimiler au chef d'entreprise (9).

De manière encore plus spécifique, c'est une règle similaire qui est appliquée en matière d'unité économique et sociale. Ainsi, depuis 2001, la désignation d'un délégué syndical au niveau de l'unité économique et sociale ne doit plus être signifiée à l'ensemble des dirigeants de sociétés constituant l'ensemble, dès lors que l'UES préexistait à la désignation (10). Dans cette hypothèse, la notification peut être opérée auprès du chef de l'entreprise employant la société, y compris si celui-ci est un salarié disposant d'une simple délégation d'autorité.

Autrement dit, si la Chambre sociale n'avait pas restreint la possibilité qu'un délégataire d'autorité d'une entreprise soit désigné délégué syndical de l'unité économique et sociale à laquelle elle appartient, cela aurait mené au résultat surprenant que la désignation du délégué syndical aurait été notifiée... au délégué syndical ! On voit bien toute la cohérence des règles posées par la Cour de cassation en la matière.


(1) Cass. soc., 30 mars 1978, n° 78-60.060, SA Lancôme, SA SICOS et Cie Parfums et Beautés Internationales PBI, SA Parfums Guy Laroche c/ Syndicat des Travailleurs des Industries Chimiques de la Région Parisienne STIC-CFDT SYND, publié (N° Lexbase : A5329CKL), Bull. civ. V, n° 247, p. 185 ; Cass. soc., 21 mars 1978, n° 77-60.617-60.618, Société Korsia-Revel, SARL France-Afrique c/ Syndicat Général des Travailleurs des Transports et Activités Auxiliaires des Transports de Marseille, Canu, publié (N° Lexbase : A6854C8D), Bull. civ. V, n° 223, p. 167 ; JCP, 1978, I, 7287, p. 259, n° 17, obs. B. Teyssié et R. Descotte ; Cass. soc., 3 juillet 1985, n° 85-60.060, Groupement d'Intérêt Économique Ducros Frères et autres c/ Mme Chappe et autre (N° Lexbase : A5104AAB), Bull. civ. V, n° 401, p. 289, Dr. soc., 1986, p. 18.
(2) Cass. soc., 20 juin 2007, n° 06-60.279, Syndicat SFPS CFDT, F-D (N° Lexbase : A9541DWB).
(3) Cette indépendance n'est, certes, dictée par aucun texte. Il faut, néanmoins, souligner qu'elle est, malgré tout, conforme à l'exigence d'indépendance du syndicat exigée afin de lui accorder la représentativité (v. C. trav., art. L. 133-2 N° Lexbase : L5695ACW, art. L. 2121-1, recod. N° Lexbase : L0386HXL).
(4) V. C. trav., art. L. 412-14 al. 3 . V., cependant, l'incompatibilité avec certains autres mandats de représentation des salariés, par exemple, avec le mandat d'administrateur élu des salariés, en application de l'article L. 225-30 du Code de commerce (N° Lexbase : L5901AIE).
(5) Cass. soc., 25 juillet 1979, n° 79-60.228, Dlle Fabry, Syndicat CGT des Personnels et Cadres des Ets et c/ Assoc Le Relèvement par le Travail (N° Lexbase : A3579AGN), JCP, 1980, IV, 385 ; Cass. soc., 21 mai 2003, n° 01-60.882, SNC c/ Fédération nationale agroalimentaire CFE-CGC, FS-P+B (N° Lexbase : A1541B9X) ; Cass. soc., 21 mai 2003, n° 02-60.100, Fédération de la métallurgie CFE CGC c/ Société Cete Apave Nord Ouest, FS-P+B (N° Lexbase : A1583B9I) et les obs. de G. Auzero, Les qualités requises pour devenir représentant du personnel, Lexbase Hebdo n° 74 du 5 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7654AAQ). V., également, Cass. soc., 4 avril 2007, n° 06-60.124, M. Vincent Bouaziz, F-P+B (N° Lexbase : A9186DUR) et nos obs., Le caractère exclusif de la délégation d'autorité et des fonctions syndicales, Lexbase Hebdo n° 256 du 19 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6760BAM).
(6) Le juge s'inspire, en général, des dispositions relatives aux conseillers prud'hommes prévues par l'article L. 513-1, alinéa 6, du Code du travail (N° Lexbase : L9618GQB, art. L. 1441-4, recod. N° Lexbase : L0294HX8).
(7) Sur cet argument de simplicité, v. G. Auzero, Les qualités requises pour devenir représentant du personnel, préc..
(8) Cass. soc., 9 juillet 1996, n° 95-60.777, Association éducation populaire de Saint-Raphaël c/ Mme Grosse et autres (N° Lexbase : A2223AAL), Bull. civ. V, n° 274, p. 196, RJS, 1996, n° 1060 ; Cass. soc., 12 mars 1991, n° 89-61.554, Société Pizza France opérations c/ M Kessouh et autre (N° Lexbase : A3689AAU).
(9) Cass. soc., 9 juin 1999, n° 98-60.365, Société Sommer revêtements France c/ Syndicat CFDT Hacuitexe l'Ile-de-France et autre (N° Lexbase : A3076AUH), Bull. civ. V, n° 274, p. 197, RJS, 1999, n° 941.
(10) V. Cass. soc., 30 mai 2001, n° 99-60.535, M. Patrick Meyer c/ Société Total raffinage distribution (TRD) (N° Lexbase : A5630ATP), Bull. civ. V, n° 196, p. 153, RJS, 2001, n° 1036, D., 2001, IR, p. 2243.

Décision

Cass. soc., 16 avril 2008, n° 07-60.382, M. Christophe Lo Monaco, ayant élu domicile à la société Sodaixsud, Mac Donald, FS-P+B (N° Lexbase : A9790D7Q)

Rejet, TI Marseille, contentieux des élections professionnelles, 3 juillet 2007

Textes visés : néant

Mots-clés : unité économique et sociale ; dirigeant d'un établissement ; délégation de pouvoir ; possibilité d'assurer un mandat syndical (non).

Liens base :

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Les activités sociales et culturelles du comité d'entreprise doivent bénéficier à tous les salariés sans discrimination

Réf. : Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.839, Comité interentreprises du groupe Banques populaires c/ Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers (FNSF-CGT) et a., FS-P+B (N° Lexbase : A9612D77)

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N8978BEA

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Destinées prioritairement aux salariés et à leur famille, les activités sociales et culturelles du comité d'entreprise doivent, surtout, profiter à l'ensemble du personnel sans discrimination. La Cour de cassation veille, de longue date, au respect de cette exigence fondamentale et l'arrêt rendu le 16 avril 2008 ne constitue donc qu'une illustration de cette jurisprudence et du principe précité. Cette décision n'en conserve pas moins un intérêt certain, ne serait-ce que parce qu'il est rare que la Cour de cassation vienne approuver l'annulation d'une décision d'un comité d'entreprise pour violation de l'interdiction de toute discrimination dans l'exercice des ses prérogatives en matière sociale. Au-delà, la décision commentée mérite de retenir l'attention en ce qu'elle démontre qu'une discrimination, pour ne pas être directe, n'en reste pas moins réelle et condamnable, spécialement lorsqu'elle revient à prendre en compte l'appartenance ou les choix syndicaux des salariés.
Résumé

Dès lors que le bénéfice des prestations servies aux salariés au titre des activités sociales et culturelles pour compenser les frais exposés par eux dans l'exercice d'un droit individuel à congé qu'ils tiennent du Code du travail dépend de leur appartenance ou de leurs choix de nature syndicale, certains étant privés du remboursement de leurs frais lorsque le plafond de remboursement prévu pour le syndicat dont ils ont suivi les formations est atteint, alors qu'il ne l'était pas pour les autres organisations, la délibération du comité interentreprises et les décisions subséquentes s'y rattachant doivent être annulées.

Commentaire

I L'interdiction de toute discrimination

  • Le principe

En application de l'article L. 432-8 du Code du travail (N° Lexbase : L6415ACL, art. L. 2323-83, recod. N° Lexbase : L0786HXE), les activités sociales et culturelles dont le comité d'entreprise assure le contrôle ou la gestion bénéficient "prioritairement" au personnel de l'entreprise ou à leur famille. Bien que le Code du travail ne l'affirme pas de manière expresse, il n'a jamais été contesté que ces activités sociales et culturelles doivent profiter à l'ensemble du personnel sans discrimination aucune. Au demeurant, l'interdiction de toute discrimination en la matière peut être tirée de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8, art. L. 1132-1, recod. N° Lexbase : L9686HWN), dont on ne saurait oublier qu'il ne concerne pas que le seul employeur.

La Cour de cassation fait application de l'interdiction précitée de longue date. Ainsi, a-t-il été jugé qu'un comité d'entreprise a la possibilité d'octroyer des bourses de congé-éducation ouvrières si elles sont offertes à tous les salariés sans discrimination (Chbres réunies, 20 mai 1965, n° 63-13.144, Syndicat de la métallurgie CTFC de Nantes c/ SA JJ Carnaud et Forges de Basse-Indre N° Lexbase : A1783ABN, Dr. soc., 1965, p. 558, note J. Savatier). De même, n'est pas discriminatoire le versement d'une allocation de secours opéré sans interdiction de favoriser les grévistes et destinée à aider les seules familles dans le besoin (Cass. soc., 8 juin 1977, n° 75-13.681, Lesclous c/ Comité d'Etablissement de l'Usine Pechiney à Saint-Jean-de-Maurienne N° Lexbase : A1636AB9, Bull. civ. V, n° 380) (1).

Ce dernier exemple démontre qu'il peut être tenu compte des besoins et des ressources de chacun. Par suite, une prime de vacances peut être modulée selon les ressources et une bourse d'étude peut être attribuée en fonction des besoins (2).

  • L'espèce

En l'espèce, par délibération du 14 avril 1989, le comité interentreprises du groupe Banques populaires avait décidé de modifier les conditions de prise en charge, au titre des activités sociales et culturelles, des frais exposés par les salariés partant en congé de formation économique, sociale et syndicale. Pour ce faire, la dotation globale affectée à cette prise en charge avait été répartie entre les organisations syndicales en fonction de leur représentativité au sein du groupe, les salariés bénéficiant, alors, du remboursement de leurs frais par le comité d'entreprise dont ils dépendent dans la limite de la dotation attribuée au syndicat organisateur du stage choisi par eux. Afin de permettre la prise en charge des frais exposés par les salariés suivant une formation dispensée par un organisme agréé n'appartenant pas aux cinq confédérations syndicales représentatives au plan national interprofessionnel, le comité interentreprises avait, par une seconde délibération du 16 mars 2004, décidé d'affecter une somme à ces autres formations.

Il était reproché à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la décision prise par le comité interentreprises du groupe Banques populaires le 14 avril 1989 et les décisions subséquentes s'y rattachant en ce qu'elles instituaient un dispositif d'indemnisation des congés de formation syndicale en attribuant à chaque organisation syndicale une ligne budgétaire calculée au prorata de sa représentativité dans le groupe.

La décision des juges du fond est approuvée par la Cour de cassation qui considère "que la cour d'appel ayant relevé que le bénéfice des prestations servies aux salariés au titre des activités sociales et culturelles pour compenser les frais exposés par eux dans l'exercice d'un droit individuel à congé qu'ils tiennent du Code du travail dépendait de leur appartenance ou de leurs choix de nature syndicale, certains étant privés du remboursement de leurs frais lorsque le plafond de remboursement prévu pour le syndicat dont ils avaient suivi les formations était atteint, alors qu'il ne l'était pas pour les autres organisations, elle en a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux dernières branches du moyen, que la délibération du comité interentreprises et les décisions subséquentes s'y rattachant devaient être annulées".

Cette solution doit être entièrement approuvée. Bien que la Cour de cassation ne l'affirme pas de manière expresse, sa décision se justifie au regard de la discrimination à laquelle conduisait la décision du comité interentreprises.

II La discrimination prohibée

  • L'activité sociale concernée

En vertu de l'article L. 451-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6527ACQ, art. L. 3142-7, recod. N° Lexbase : L1367HXW), les salariés bénéficient, à leur demande, d'un droit individuel à congé pour participer à des stages ou sessions de formation économique et sociale ou de formation syndicale organisés soit par des centres rattachés à des organisations syndicales de salariés reconnues représentatives sur le niveau national, soit par des instituts spécialisés (3).

Dans les entreprises occupant au moins dix salariés, l'employeur est tenu de rémunérer ce congé à la hauteur de 0,08 pour mille du montant de l'ensemble des salaires payés pendant l'année en cours (C. trav., art. L. 451-1, al. 2 et D. 3142-1, recod.). Il faut donc comprendre que les salariés ne peuvent prétendre au maintien de leur salaire intégral si le budget de 0,08 pour mille est dépassé (Cass. soc., 4 décembre 1991, n° 88-44.889, Société Manufacture vosgienne de meubles c/ Mme Khelil et autre N° Lexbase : A4860ABM). Mais, le comité d'entreprise est en mesure, au titre de ses activités sociales et culturelles, d'instituer une indemnité au profit des bénéficiaires du congé (4). A plus forte raison lui est-il loisible, comme en l'espèce, de prendre en charge les frais exposés par les salariés partant en congé de formation économique, sociale et syndicale.

  • La discrimination en cause

A première vue, la décision du comité interentreprises n'était pas discriminatoire, puisque la prise en charge des frais occasionnés par le départ en congé de formation économique, sociale et syndicale avait vocation à bénéficier à l'ensemble du personnel. Toutefois, et ainsi que le relève la Cour de cassation, la décision litigieuse revenait à faire dépendre le bénéfice des prestations servies aux salariés de leur appartenance ou de leurs choix de nature syndicale, certains étant privés du remboursement de leurs frais lorsque le plafond de remboursement prévu pour le syndicat dont ils avaient suivi les formations était atteint, alors qu'il ne l'était pas pour les autres organisations.

Or, on ne saurait tolérer que le bénéfice d'une prestation, quelle qu'elle soit, dépende, de manière directe ou indirecte (5), de l'appartenance ou d'un choix de nature syndicale. Il y a là, à n'en point douter, une cause de discrimination exclue tant par l'article L. 122-45 du Code du travail, que par l'article L. 412-2 du même code (N° Lexbase : L6327ACC, art. L. 2141-5, recod. N° Lexbase : L0412HXK) (6). En outre, et il convient de le rappeler, la liberté syndicale s'entend de la faculté, pour toute personne, d'adhérer à un syndicat et, pour ce qui nous intéresse ici, au syndicat de son choix s'il en existe plusieurs.

On remarquera que, dans son motif de principe, la Cour de cassation prend soin de viser le droit individuel à congé que les salariés "tiennent du Code du travail". Est-ce à dire que la solution aurait pu être différente si les salariés avaient bénéficié d'un droit à congé en vertu d'une autre source que la loi. A notre sens, la réponse doit être négative. Peu importe la source de l'avantage. Dès lors que l'on est en présence d'un droit individuel (7) pour l'exercice duquel est mise en place une prestation au titre des activités sociales et culturelles, il ne saurait y avoir de distinction en fonction d'un critère d'appartenance ou de choix syndical.

Cela étant, ce qui vaut pour le comité d'entreprise, ne saurait être appliqué au législateur. A ce titre, il nous semble que ce dernier pourrait, sans craindre la censure du Conseil constitutionnel, réserver les dispositions conventionnelles aux salariés membres du groupement signataire. Mais ceci est une autre histoire...


(1) Pour une illustration d'une mesure discriminatoire, v. Cass. soc., 21 novembre 1990, n° 89-13.056, Comité d'entreprise de la société EFS c/ Société Europe Falcon Service (N° Lexbase : A1611AAW), Bull. civ., V, n° 580.
(2) V. en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 704.
(3) Le congé de formation économique et sociale et de formation syndicale est de droit, sauf dans les cas où l'employeur estime, après avis conforme du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, que cette absence pourrait avoir des conséquences préjudiciables à la production et à la bonne marche de l'entreprise (C. trav., art. L. 451-3 N° Lexbase : L9631GQR, art. L. 3142-13, recod. N° Lexbase : L1373HX7).
(4) C'est ce qu'a admis, certes de manière indirecte, la Cour de cassation en décidant que la part de ces indemnités destinée à compenser la perte de salaire subie par les intéressés est soumise à cotisations sociales (Cass. soc., 5 mai 1995, n° 92-19.024, Urssaf de Lille c/ Société Automobiles Peugeot N° Lexbase : A1930AAQ).
(5) La discrimination est, ici, indirecte puisqu'elle découle du fait que la prise en charge des frais inhérents au congé de formation économique, sociale et syndicale dépend de la représentativité du syndicat dans le groupe.
(6) Article qui, il est vrai, ne vise que l'employeur.
(7) La notion d'avantage individuel est importante. En effet, il nous semble qu'une convention collective est en droit de moduler les avantages qu'elle réserve à un syndicat en fonction de sa représentativité (v. sur la question, notre thèse, Les accords d'entreprise relatifs au droit syndical et à la représentation du personnel, Bordeaux IV, 1997).

Décision

Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.839, Comité interentreprises du groupe Banques populaires c/ Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers (FNSF-CGT) et a., FS-P+B (N° Lexbase : A9612D77)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 15 juin 2006, n° 05/08109, Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers c/ Banque fédérale des banques populaires (N° Lexbase : A6223DRW)

Textes concernés : C. trav., art. L. 432-8 (N° Lexbase : L6415ACL, art. L. 2323-83, recod. N° Lexbase : L0786HXE) et L. 451-1 (N° Lexbase : L6527ACQ, art. L. 3142-7, recod. N° Lexbase : L1367HXW)

Mots-clefs : comité d'entreprise ; activités sociales et culturelles ; bénéficiaires, non-discrimination ; congé de formation économique ; sociale et syndicale.

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Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] La valeur patrimoniale d'une licence de taxi fait partie de l'actif de la communauté (à propos de la distinction du titre et de la finance)

Réf. : Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-16.105, M. Moussa Nait Bachir, F-P+B (N° Lexbase : A9741D7W)

Lecture: 2 min

N9004BE9

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'article 1404 du Code civil (N° Lexbase : L1535ABH) déclare comme propres "tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne". La mise en oeuvre de ce texte du régime de communauté légale n'est pas sans soulever un certain nombre d'interrogations et d'hésitations à propos des droits de propriétés incorporelles qui se caractérisent par le fait qu'ils exigent de leurs titulaires, pour être acquis et/ou exercés, des qualités personnelles particulières ou qu'ils sont l'émanation de la personnalité de celui-ci. On n'ignore pas, en effet, que, pour une catégorie de biens, la jurisprudence, procédant à une analyse "mixte", fait, parfois, application de la distinction du titre et de la finance : le titre est propre, mais la finance, autrement dit la valeur patrimoniale, est, elle, comprise dans la masse commune. Ainsi par exemple, s'agissant des offices ministériels, a-t-on décidé que le titre était propre en ce qu'il tient à une investiture de l'autorité publique, tandis que la finance, donc la valeur patrimoniale de l'office, est commune, à condition, bien sûr, que l'office ait été acquis pendant le mariage (1). Et la distinction a, ensuite, été reprise à propos des clientèles des professions libérales, du moins pour celles pour lesquelles un droit de présentation d'un successeur était admis (2), la reconnaissance tardive pure et simple de la patrimonialité des clientèles civiles ne devant pas modifier, fondamentalement, la solution (3). En outre, la Cour de cassation a fait application de la distinction du titre et de la finance à des concessions de parcs à huitres accordées par l'Administration (4), à des parts sociales non négociables (5) ou encore, récemment, à une officine de pharmacie, décidant que si, aux termes des dispositions du Code de la santé publique, la propriété des officines de pharmacie est réservée aux personnes titulaires du diplôme de pharmacien, la valeur du fonds de commerce acquis par des époux communs en biens tombe en communauté (6). C'est dans ce courant que s'inscrit un arrêt qu'il nous semblait utile, ne serait-ce que rapidement, de signaler, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 avril dernier et à paraître au Bulletin.

En l'espèce, à la suite du divorce des époux, la liquidation de leur régime matrimonial avait fait l'objet d'un procès verbal de difficulté, notamment quant à la nature de la licence de taxi du mari. Celui-ci reprochait, en effet, aux juges du fond d'avoir dit que l'actif de la communauté comprenait essentiellement la valeur de ladite licence, et faisait valoir, dans son pourvoi, que cette licence, qui n'est pas un contrat d'exploitation, ni un instrument de travail nécessaire à la profession, et qui se distingue de l'exploitation effective proprement dite, est délivrée à titre personnel. Autrement dit, le mari soutenait qu'il s'agissait d'un bien propre par nature, ne pouvant au besoin que faire l'objet d'une reprise à la dissolution de la communauté, contre récompense s'il y a lieu. Mais l'argumentation n'a pas convaincu la Haute juridiction : la Cour de cassation rejette le pourvoi, énonçant que "le caractère personnel de 'l'autorisation de stationnement' délivrée par l'administration pour l'exercice de la profession d'exploitant de taxi, n'a pas pour effet d'exclure de la communauté la valeur patrimoniale de la faculté de présenter un successeur qui y est attachée", pour finalement approuver les premiers juges d'avoir décidé que "la valeur patrimoniale de la licence de taxi [du mari] faisait partie de l'actif de la communauté". Comme l'ont justement fait remarquer plusieurs auteurs, la distinction permet en réalité essentiellement de concilier les intérêts légitimes de la communauté avec la nécessaire maîtrise exclusive de l'administration des biens attachés au titre, de telle sorte qu'elle règle davantage une question de pouvoirs qu'une question de qualification proprement dite : "le titre prétendument propre", a-t-on écrit, "peut en effet difficilement être considéré comme un bien et n'apparaît, en définitive, que comme un moyen détourné d'assurer à l'époux titulaire la gestion exclusive des biens communs en question" (7).


(1) Cass. civ., 4 janvier 1853, S., 1853, 1, p. 568 ; Cass. req., 6 janvier 1880, S., 1881, 1, p. 49, note Labbé ; Cass. civ. 1, 21 octobre 1959, JCP, 1959, II, 11353, note Becqué.
(2) Cass. civ. 1, 29 avril 1954, JCP, 1954, II, 8249, note Bellet ; Cass. civ. 1, 27 avril 1982, n° 81-11258, L. c/ Dame L. (N° Lexbase : A1922CKE), Bull. civ. I, n° 145 ; Cass. civ. 1, 10 mai 1984, n° 83-10.849, Mme G. c/ K. (N° Lexbase : A0222AHP), Bull. civ. I, n° 152.
(3) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 98-17.731, M. Woessner c/ M. Sigrand (N° Lexbase : A7780AHM), Bull. civ. I, n° 283.
(4) Cass. civ. 1, 8 décembre 1987, n° 86-12426, Mme Aigouy c/ M. Canales (N° Lexbase : A6987CGU), Bull. civ. I, n° 333, D., 1989, p. 61, note Malaurie.
(5) Cass. civ. 1, 9 juillet 1991, n° 90-12.503, M. Louis Gelada et autre c/ Consorts Gelada (N° Lexbase : A5108AHN), Bull. civ. I, n° 232, Defrénois, 1991, p. 1333, obs. Le Cannu.
(6) Cass. civ. 1, 18 octobre 2005, n° 02-20.329, Mme Jacqueline Yvon, épouse Briquet c/ Société Société générale, FS-P+B (N° Lexbase : A0184DLE), Bull. civ. I, n° 373, JCP éd. G, 2006, I, 141, n°17, obs. Simler.
(7) F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, Précis Dalloz, 3ème éd., n° 329, spéc. p. 261.

newsid:319004

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Pour ne pas perdre l'exonération de TVA d'une livraison intracommunautaire, n'oubliez pas que le bien doit effectivement franchir la frontière !

Réf. : CAA Nancy, 3ème ch., 24 janvier 2008, n° 05NC00885, Société Marc Léon International services (N° Lexbase : A7386D4C)

Lecture: 13 min

N8985BEI

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

La cour administrative d'appel de Nancy, dans une espèce "SA Marc Léon International services (MLIS)" en date du 24 janvier 2008, où elle remet en cause l'exonération de TVA prévue par les dispositions de l'article 262 ter-I 1° (N° Lexbase : L4702HW3), rappelle l'économie générale du dispositif d'exonération des livraisons intracommunautaires et précise la pertinence des justificatifs de nature à établir la réalité d'une livraison. La cour ne retient ni la certification d'un contrôle technique, ni l'attestation établissant que les véhicules ont reçu une immatriculation et des cartes grises en Allemagne. Elle écarte ces éléments dès lors qu'ils ne requièrent pas, pour être établis, la présence des véhicules sur le territoire de l'Etat de livraison. Les faits dans cette affaire sommairement résumés sont les suivants : aux termes des dispositions de l'article 262 ter-I-1° du CGI : "sont exonérés de la TVA les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie". C'est sur ce fondement que la société SA "Marc Léon International Services (MLIS)" a facturé un certain nombre de vente de véhicules à une société allemande. Au titre de la période allant du 1er juillet 1992 au 31 décembre 1994, l'administration fiscale a refusé à la SA MLIS, le bénéfice de l'exonération de TVA prévue par les dispositions de l'article 262 ter I-1° du CGI au motif que, pour certains véhicules, la réalité des livraisons intracommunautaires n'était pas établie. La société requérante reconnaît que 127 des véhicules en litige ont été livrés en France et ne relevaient pas des dispositions de l'article 262 ter, mais elle demande le bénéfice de l'exonération pour 803 véhicules et produit différents justificatifs de sociétés allemandes que la cour de Nancy écarte.

La décision de cour administrative d'appel de Nancy, en date du 24 janvier 2008, précise les exigences de preuve en présence d'éléments produits pour établir la réalité d'une livraison ; notamment ceux de nature à établir la réalité d'un contrôle technique des véhicules sur le territoire de livraison et ceux prouvant l'immatriculation et la présence des véhicules en Allemagne. La décision de la cour administrative d'appel de Nancy semble s'éloigner de la position adoptée par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 22 janvier 2004 (CAA Bordeaux, 4ème ch., 22 janvier 2004, n° 01BX00634, Société Garage Etoile 86 N° Lexbase : A2486DBP) qui avait regardé un extrait du fichier des véhicules ou la copie de la carte grise comme des justificatifs suffisants de la présence des véhicules sur le territoire de l'Etat de livraison.

1. Le régime d'exonération de l'article 262 ter du CGI repose sur la satisfaction de quatre conditions dont le vendeur est amené de manière croissante à s'assurer qu'elles sont remplies

La décision de la cour de Nancy du 24 janvier 2008 "SA Marc Léon International Services (MLIS)" fait une application des dispositions de l'article 262 ter-I qui prévoient les conditions dans lesquelles une livraison intracommunautaire est exonérée de TVA.

1.1. L'article 262 ter-I prévoit quatre conditions qui doivent être satisfaites pour que la livraison soit exonérée

Aux termes de l'article 262 ter du CGI : "I- Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie". Cette exonération ne remet pas en cause le droit à déduction du vendeur de la taxe payée sur l'acquisition du bien ou sur les fournitures servant à sa fabrication. Sur le fondement de ces dispositions, la société MLIS a facturé un nombre important de vente de véhicules à des sociétés établies en Allemagne. Les livraisons intracommunautaires sont exonérées si certaines conditions sont remplies. Trois des quatre conditions permettant de bénéficier de l'exonération de TVA sont des conditions classiques dont la vérification ne pose pas de difficultés particulières.

La livraison doit, tout d'abord, être effectuée à titre onéreux. La doctrine administrative est venue préciser ce point (DB 3A 3211-3). Il s'agit des livraisons proprement dites répondant aux critères généraux d'assujettissement à la TVA. La livraison doit comporter une contrepartie quelles que soient sa forme et sa qualification. Le vendeur doit, ensuite, avoir la qualité d'assujetti agissant en tant que tel. Le vendeur est considéré comme un assujetti agissant en tant que tel lorsqu'il exerce d'une manière indépendante une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de service quels que soient son statut juridique, sa situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de son intervention. L'acquéreur de son côté doit, lui aussi, avoir la qualité d'assujetti.

Pour que la livraison intracommunautaire puisse être exonérée, il faut que l'acquéreur soit un assujetti ou une personne morale non assujettie qui ne bénéficie pas, dans son Etat membre, du régime dérogatoire l'autorisant à ne pas soumettre à la TVA ses acquisitions intracommunautaires. Cette condition est mise en oeuvre de manière simple. Elle est satisfaite dès lors que l'acquéreur fournit son numéro d'identification à la TVA dans un autre Etat membre La doctrine administrative prévoit que l'assujettissement de l'acquéreur sera prouvé par la seule production de son numéro d'identification à la TVA dans un autre Etat membre (instruction du 28 mars 1997, BOI 3 A-3-97 N° Lexbase : X7145ABA). La cour administrative d'appel de Paris, par un arrêt en date du 28 novembre 2007 (CAA Paris, 2ème ch., 28 novembre 2007, n° 05PA03246, Minefi c/ Société Abacus Equipement Electronique N° Lexbase : A9162D3Q), a jugé, pour l'application de cette condition, que le fournisseur qui n'a pas vérifié la validité du numéro d'identification à la TVA de son client, alors qu'il pouvait facilement procéder à cette vérification, n'a pas pris toute mesure pouvant raisonnablement être exigée de lui pour s'assurer que ses livraisons n'étaient pas impliquées dans une fraude, alors même qu'au moment des livraisons en cause il ne disposait, comme le relève elle-même la cour, d'aucun élément de présomption de fraude à l'encontre de ce client. La cour de Paris subordonne l'exonération à une condition non expressément prévue par l'article 138 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (N° Lexbase : L7664HTZ) que transpose l'article 262 ter du CGI.

La quatrième condition qui doit être satisfaite pour que le régime de l'exonération trouve à s'appliquer est celle qui suscite, à titre principal, les contentieux et, notamment, celui de la cour administrative d'appel de Nancy du 24 janvier 2008 "SA MLIS". Le bien expédié ou transporté hors de France doit l'être vers un autre Etat membre. Le bien étant expédié ou transporté hors de France par le vendeur, par l'acquéreur ou pour leur compte à destination d'un autre Etat membre de l'UE. La difficulté est de s'assurer de la livraison effective des véhicules dans le pays de destination et, notamment, lorsque le transport est effectué par l'acquéreur ou par un intermédiaire. C'est l'ensemble des mentions portées sur les documents commerciaux usuels qui doivent alors permettre en principe au vendeur d'apporter la preuve pour chaque livraison, de l'existence de l'expédition ou du transport (CAA Paris, 2ème ch., 28 novembre 2007, n° 05PA03246, précité).

C'est essentiellement sur le terrain de la quatrième condition que l'exception d'exonération est mise en oeuvre lorsqu'il est démontré, notamment, que le fournisseur savait ou ne pouvait ignorer que le destinataire présumé de l'expédition ou du transport n'avait pas d'activité réelle. Les dispositions de l'article 262 ter ne s'appliquent donc pas lorsqu'il est démontré que le fournisseur savait ou ne pouvait ignorer que le destinataire présumé de l'expédition ou du transport n'avait pas d'activité réelle.

1.2. Certaines obligations pèsent plus particulièrement sur le vendeur

En matière de preuve de l'effectivité de l'expédition ou du transport de biens dans un autre Etat membre, le régime de la preuve est celui de la preuve objective. Il appartient, donc, au redevable d'apporter tous les éléments que lui seul est en mesure de fournir selon une logique civiliste qui avait été retenue un temps en matière de déductibilité de charges par l'arrêt du Conseil d'Etat (CE 8° s-s, 20 juin 2003, n° 232832, Société établissements Lebreton-Comptoir général de peintures et annexes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0626C93). Toutefois, et c'est le cas dans l'affaire "SA Marc Léon International Services (MILS)", l'administration peut remettre en cause les éléments fournis ; il appartient alors au service d'apporter des indices sérieux de leur caractère fictif.

Les obligations du vendeur diffèrent selon que l'acquéreur a effectué l'expédition ou le transport par ses propres moyens. En effet, si l'expédition est effectué par l'acquéreur, il est difficile pour le vendeur de disposer des éléments à l'origine lui permettant d'établir la réalité de la livraison dans le pays de destination. La doctrine administrative précise, cependant, que, si l'expédition se place dans le cadre de relations commerciales régulières avec l'acquéreur, le vendeur doit recueillir, pour chaque livraison, les pièces justificatives lui permettant d'établir a posteriori la réalité du transport des marchandises hors du territoire français (DB 3A 3211-8 et 9). Si l'opération est conclue avec un client occasionnel, le vendeur doit prendre a priori auprès de l'acquéreur toutes précautions qui lui semblent nécessaires pour prouver la réalité de l'opération. La doctrine administrative est donc souple : le vendeur peut justifier par tous moyens de la réalité de l'expédition ou du transport des biens hors de France. Les moyens de preuve peuvent, en outre, être directs ou indirects.

La jurisprudence récente de la Cour de justice des Communautés européennes est, toutefois, venue préciser qu'en matière de livraisons intracommunautaires, l'exonération d'une livraison impliquée dans un circuit de fraude ne peut être maintenue qu'à une triple condition : le fournisseur doit être de bonne foi ; il doit avoir présenté des preuves justifiant, à première vue, son droit à l'exonération ; il doit avoir pris toute mesure raisonnable en son pouvoir pour s'assurer que sa livraison intracommunautaire ne le conduit pas à participer à la fraude (CJCE 27 septembre 2007, aff. C-409/04, Teleos plc c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A5702DYT : RJF, 12/07, n° 1511). Ce faisant, la CJCE semble alourdir les sujétions imposées au vendeur et retenues à ce jour par le juge national. Sans doute faut-il patienter pour comprendre ce qu'il faut exactement entendre par mesures raisonnables. En effet, postérieurement à la décision de la cour administrative d'appel de Paris du 28 novembre 2007, qui s'est placée dans le prolongement de la position de la CJCE du 27 septembre 2007, et en décalage avec la position du juge national précisée dans un arrêt du 27 juillet 2005 (CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 273619 et n° 276620, Société Fauba France N° Lexbase : A1510DK7), l'administration, dans ses commentaires sur les nouvelles dispositions destinées à lutter contre la fraude à la TVA, n'a pas cité l'absence de vérification de la validité du numéro de TVA du client au nombre des critères ou des indices lui permettant de remettre en cause l'exonération (instruction du 30 novembre 2007, BOI 3 A-7-07 N° Lexbase : X9964ADE).

Reste que cette notion de "mesures raisonnables" n'est pas nouvelle et a été précisée en ce qui concerne le droit à déduction dans deux arrêts de 2006 (CJCE, 12 janvier 2006, aff. C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Optigen Ltd, Fulcrum Electronics Ltd, Bond House Systems Ltd N° Lexbase : A3277DMC et CJCE, 6 juillet 2006, aff. C-439/04 et 440/04, Axel Kittel et Recolta Recycling Sprl N° Lexbase : A2718DQQ). Il est vrai que l'enjeu en matière de TVA n'est pas mince et que les livraisons intracommunautaires sont un lieu de fraude de grande ampleur. C'est sans doute pourquoi la présomption de livraison peut être remise en cause et les justificatifs produits écartés (CAA Bordeaux, 5ème ch., 4 décembre 2006, n° 03BX01261, SA Chantiers Amel N° Lexbase : A9839DS9).

2. La fraude, exception à l'exonération des livraisons intracommunautaires

L'exonération des livraisons intracommunautaires ne s'applique pas lorsque l'administration peut démontrer que le fournisseur savait ou ne pouvait ignorer que le destinataire présumé de l'expédition ou du transport n'avait pas d'activité réelle (CGI, art. 262 ter-I-1°, al. 2).

2.1. L'exception d'exonération née de la fraude

Les conditions de cette remise en cause ont été précisées par le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 27 juillet 2005 (CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 273619 et 273620, Société Fauba France, précité) qui admet la remise en cause de l'exonération d'une livraison intracommunautaire dès lors que l'administration est en mesure de démontrer que le fournisseur a sciemment participé à un mécanisme de fraude à la TVA.

Le redevable ne bénéficie que d'une présomption pouvant être combattue par l'administration qui a toute latitude pour démontrer que le redevable a participé à un mécanisme frauduleux. Cette démonstration est effectuée au cas par cas et s'appuie sur un faisceau d'indices. Elle peut relever, comme dans la décision de la cour administrative d'appel de Nancy, d'une remise en cause des justifications apportées qui sont regardées comme insuffisantes pour établir la présence des véhicules dans le pays de destination. Tout comme pour les trois premières conditions de l'article 262 ter du CGI, les modes de preuve sont divers et doivent être appréciés par l'administration au cas par cas pour apprécier la réalité d'une livraison (TA Versailles, 24 avril 2003, n° 98-4609 et 99-2157, Société Fauba France).

II appartient au redevable de la TVA d'apporter la preuve, par tous moyens, que les biens ont été effectivement expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne. Cette preuve est appréciée au cas par cas et peut résulter de différents documents constituant un faisceau d'indices de la réalité de la livraison. En revanche, les mentions à porter sur les factures de vente ne sauraient à elles seules constituer les justifications exigées. La décision de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 24 janvier 2008 écarte les factures, dès lors qu'elles n'établissent pas que le transfert des véhicules ait été effectif.

Doivent alors être regardées comme un faisceau d'indices apportant la preuve de l'expédition ou du transport d'un véhicule dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, la copie du chèque remis en paiement et tiré sur une banque dudit Etat membre, la copie de la carte d'identité de l'acquéreur délivrée par cet Etat membre et l'attestation d'inscription de l'acquéreur au registre des contributions de cet Etat (CAA Bordeaux, 4ème ch., 22 janvier 2004, n° 01BX00634, précité : RJF, 5/04, n° 467)

La production d'attestations rédigées par les clients eux-mêmes plusieurs années après la dates de l'opération alléguée de la réalisation de l'opération n'est pas de nature à établir la réalité de l'expédition (CAA Douai, 2ème ch., 27 juin 2006, n° 05DA00311, Société Métro cash et Carry France N° Lexbase : A7559DQZ). De même, la production de certificats d'immatriculation de bateaux n'apporte pas la preuve de leur expédition dans un autre Etat membre, dès lors que la délivrance de ce certificat n'est pas conditionné au stationnement du bateau dans l'Etat de délivrance du certificat d'immatriculation (CAA Bordeaux, 5ème ch., 4 décembre 2006, n° 03BX01261, précité, et CAA Versailles, 3ème ch., 11 juillet 2006, n° 04VE03355, Société Magma France N° Lexbase : A2822DRX).

2.2. La décision de la cour administrative d'appel de Nancy écarte deux justifications de la réalité de la livraison ordinairement retenues

La preuve de l'expédition ou du transport d'un véhicule dans un autre Etat membre de la Communauté européenne est établie par l'immatriculation du véhicule dans cet autre Etat membre, postérieurement à sa vente, à condition que cette immatriculation, qui peut être justifiée par un extrait du fichier des véhicules ou par la copie de la carte grise, soit intervenue dans un délai rapproché de la date de facturation (CAA Bordeaux, 4ème ch., 22 janvier 2004, n° 01BX00634, précité). De même, l'immatriculation d'un véhicule dans un autre Etat membre fait partie des exemples de justificatifs cités par la doctrine administrative (instruction du 31 juillet 1992, BOI 3 CA-92 N° Lexbase : X0530AAU et instruction du 28 mars 1997, BOI 3 A-3-97 N° Lexbase : X7145ABA), permettant d'apporter la preuve de l'expédition ou du transport du véhicule dans cet autre Etat membre. La liste établie par la doctrine n'a d'ailleurs qu'une valeur indicative et n'est pas limitative (TA Versailles, 24 avril 2003, n° 98-4609 et 99-2157 précités).

Sur ce point, et s'agissant des justificatifs pertinents établissant la réalité de la livraison, la cour administrative d'appel de Nancy se montre particulièrement exigeante. La cour écarte la certification établie par les services de la préfecture de l'Etat de Rhein-Neckar-Kreis, attestant que les 837 véhicules avaient reçu une carte grise et une immatriculation allemande. La cour juge que ces formalités pouvaient être effectuées sans que les véhicules soient présents sur le territoire allemand. De même, la cour écarte l'attestation produite par la SA Marc Leon International Services par laquelle la société allemande chargée du contrôle technique certifie que ses employés auraient contrôlé les véhicules en cause en 1993 et 1994 dans les locaux de l'intermédiaire allemand avec lequel la SA Marc Leon était en relation. Il est vrai que le document fourni ne porte pas mention du détail des contrôles, des lieux et dates où ils ont été effectués et cela alors même que les pièces jointes faisaient état de la possibilité pour le dirigeant de faire procéder aux contrôles des véhicules sur le territoire français. C'est là, sans doute, un exemple des exigences croissantes qui semblent devoir peser sur le fournisseur dans le cadre de la lutte contre la fraude à la TVA.

Notons, enfin, que la décision de la cour administrative d'appel de Nancy, si elle précise les éléments qui permettent à l'administration de remettre en cause une livraison, ne nous permet pas, cependant, de savoir si le service a tiré toutes les conséquences de l'absence de livraison des véhicules en Allemagne et a regardé l'intermédiaire avec lequel traitait la SA Marc Léon International Service comme un intermédiaire opaque disposant éventuellement d'un établissement stable sur le sol français. La disposition de l'article 262 ter amenant à s'interroger sur les exigences qui pèsent sur le vendeur au moment de la vente, doit-il s'en tenir aux apparences de la livraison pour se placer sous le régime de l'article 262 ter I-1°) du CGI ou doit-il exiger de l'acquéreur des éléments qui indubitablement lui permettent de s'assurer de la réalité de la livraison dans le pays de destination ? C'est un débat ouvert entre le juge national et le juge communautaire. La loi de finances pour 2007 a tranché pour partie le débat en codifiant l'alinéa suivant, sous l'article 262 ter du CGI : "l'exonération ne s'applique pas lorsqu'il est démontré que le fournisseur savait ou ne pouvait ignorer que le destinataire présumé de l'expédition ou du transport n'avait pas d'activité réelle".

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Baux commerciaux

[Chronique] Chronique de l'actualité des baux commerciaux

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N9061BEC

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par Julien Prigent - Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de baux commerciaux. Se trouve, au premier plan de cette actualité, une décision rendue par le Conseil d'Etat, portant sur l'illégalité de préemption d'un fonds de commerce prise antérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007. Sont, également, commentés un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation relatif au rejet de l'"éradication" des clauses contraires aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux et un arrêt rendu par cette même chambre afférent à la prise en compte des aménagements du preneur ayant fait accession dans la fixation de la valeur locative.
  • L'illégalité de la décision de préemption d'un fonds de commerce prise antérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007 (CE, 1° et 6° s-s-r., 21 mars 2008, n° 310173, Société Megaron N° Lexbase : A5983D7Q)

L'exercice du droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux, ainsi que celui du droit de rétrocession qui en est inséparable, ne peuvent être mis en oeuvre sans qu'aient été apportées, par voie réglementaire, les précisions nécessaires à leur application. Tel est l'enseignement d'un arrêt du Conseil d'Etat du 21 mars 2008.

Le droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux a été créé par l'article 58 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK). Le décret en Conseil d'Etat, qui devait en préciser les conditions d'application (C. urb., art. L. 214-3 N° Lexbase : L5589HBM), n'a été édicté que le 26 décembre 2007 (1), ce décret n'ayant été lui-même complété que par l'arrêté du 29 février 2008 (2). La question s'est donc posée de la possibilité pour une commune d'exercer, entre la publication de la loi et celle du décret, voire de l'arrêté, ce nouveau droit de préemption.

En l'espèce, la commune de Valbonne avait, par décision du 26 juillet 2007, exercé un droit de préemption sur une cession de droit au bail. Le cessionnaire évincé avait, alors, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice pour voir ordonner la suspension de cette décision.

Sa demande est accueillie en première instance et l'ordonnance a été approuvée par le Conseil d'Etat. Ce dernier a, en effet, considéré qu'en l'absence du décret prévu à l'article L. 214-3 du Code de l'urbanisme, les dispositions des articles L. 214-1 et L. 214-2 (N° Lexbase : L5588HBL) de ce code, relatives à l'exercice du droit de préemption et au droit de rétrocession qui en est inséparable, ne pouvaient s'appliquer sans qu'aient été apportées, par voie réglementaire, les précisions nécessaires à l'application de ce dispositif totalement nouveau, notamment sur les modalités de la rétrocession du bien préempté. En conséquence, l'absence, à la date de la décision de préemption, de dispositions réglementaires d'application des articles L. 214-1 et L. 214-2 du Code de l'urbanisme créait un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption litigieuse.

En revanche, le Conseil d'Etat, dans cette même décision, a considéré que la délimitation par les communes d'un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité n'était pas impossible en l'absence des dispositions réglementaires.

  • Le rejet de l'"éradication" des clauses contraires aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux (Cass. civ. 3, 23 janvier 2008, n° 06-19.129, FS-P+B+I N° Lexbase : A0926D43)

Seule la nullité sanctionne une clause contraire au droit au renouvellement et une telle clause ne saurait être réputée non écrite en y substituant les dispositions légales applicables. Tel est l'enseignement, important, d'un arrêt de la Cour de cassation du 23 janvier 2008.

En l'espèce, par acte du 1er mars 1991, La Poste s'est vue consentir un bail sur divers locaux, dont l'un pour une durée de douze années à compter du 1er janvier 1991. Le terme contractuel était, donc, fixé au 31 décembre 2002. Le bailleur s'était engagé à renouveler ce bail à son terme pour la même période de douze ans, si La Poste en faisait la demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au moins six mois avant l'échéance. Le 12 juillet 2002, La Poste, devenue un établissement public industriel et commercial (EPIC), avait formé une demande de renouvellement du bail auprès du bailleur sur le fondement de l'article L. 145-10 du Code du commerce (N° Lexbase : L5738AID). En réponse à cette demande, le bailleur lui avait fait notifier, le 24 septembre 2002, un refus de renouvellement du bail en lui déniant tout droit à indemnité d'éviction, aux motifs que le bail était un bail de droit commun soumis aux dispositions du Code civil et que la demande de renouvellement lui avait été adressée hors délai, le 12 juillet 2002, alors qu'en application du bail, elle aurait dû lui être notifiée au plus tard le 30 juin 2002. La Poste avait, alors, assigné le bailleur pour faire constater que le bail relevait du statut des baux commerciaux, par application de l'article L. 145-2, I, 3°, du Code de commerce (N° Lexbase : L3989HBD), et obtenir une indemnité d'éviction. Les juges du fond ayant accueilli cette demande, le bailleur s'est pourvu en cassation.

Aux termes de l'article L. 145-2, I, 3° du Code de commerce, le statut des baux commerciaux est applicable aux baux portant sur les locaux "nécessaires à la poursuite de l'activité des entreprises publiques et établissements publics à caractère industriel ou commercial, dans les limites définies par les lois et règlements qui les régissent et à condition que ces baux ne comportent aucune emprise sur le domaine public". Depuis la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom (N° Lexbase : L9430AXK), qui a pris effet le 1er janvier 1991, "La Poste est un exploitant public qui a toutes les caractéristiques d'un EPIC" (3), ce qui a été confirmé par le Tribunal des conflits (4). Il avait été affirmé que "La Poste peut juridiquement conclure, en qualité de locataire, des baux commerciaux à compter du 1er janvier 1991 pour les nouveaux contrats et les renouvellements des baux civils" qu'elle avait pu contracter antérieurement et qui, avant qu'elle ne devienne un EPIC, n'étaient pas soumis au statut des baux commerciaux (5). Il ne faisait guère de doute, en conséquence, en l'espèce, et contrairement à l'argumentation du bailleur, que le bail consenti à La Poste le 1er mars 1991 et à effet au 1er janvier de cette même année était soumis au statut des baux commerciaux.

Conformément à ce dernier, et, plus précisément, à l'article L. 145-10 du Code de commerce qui permet au preneur de solliciter le renouvellement de son bail, par acte extrajudiciaire, dans les six mois précédent sa date d'expiration, La Poste avait, en l'espèce, formé une telle demande le 12 juillet 2002. Toutefois, les parties étaient convenues d'un processus de terminaison du bail différent de celui prévu au statut des baux commerciaux. Le bailleur s'était, en effet, engagé à renouveler le bail à son expiration, à la condition que le preneur le demande par lettre recommandée, au moins six mois avant l'échéance. S'il est possible pour les parties à un bail commercial de prévoir dès l'origine son renouvellement à l'arrivée du terme contractuel (6), la clause subordonnant ce renouvellement à la notification d'une lettre recommandée, au moins six mois avant le terme contractuel, heurtait manifestement les dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce. Cependant, ces dernières ne sont pas visées par les articles L. 145-15 (N° Lexbase : L5743AIK) et L. 145-16 (N° Lexbase : L5744AIL) du Code de commerce au titre des dispositions d'ordre public, encore que cet argument ne soit pas décisif, certaines dispositions du statut des baux commerciaux revêtant ce caractère même dans cette hypothèse. Il a, ainsi, été jugé que les dispositions de l'article L. 145-9, dernier alinéa, du Code de commerce (N° Lexbase : L5737AIC), qui imposent au bailleur, ainsi qu'au preneur, dans le cadre de la résiliation triennale (C. com., art. L. 145-4 N° Lexbase : L0803HPG), de notifier le congé par acte extrajudiciaire, étaient impératives et qu'il ne peut y être dérogé, même en cas d'adoption conventionnelle du statut des baux commerciaux (7). Par parallélisme, il pourrait être soutenu que les dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce sont, également, d'ordre public, en ce qu'elles concernent la forme de la demande de renouvellement (8). Dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation, de manière indirecte, semble bien approuver la position des juges du fond qui avaient jugé que les dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce sont d'ordre public. La Haute cour le fait, toutefois, au visa de l'article L. 145-15 du Code de commerce et sur le terrain de la sanction de la nullité de la clause contraire à ces dispositions. L'article L. 145-15 de ce code dispose, en outre, de manière générale, que toutes stipulations qui font échec au droit au renouvellement sont nulles. Il pourrait, également, être soutenu que la clause incriminée porte atteinte au droit au renouvellement, en excluant ce dernier à défaut de notification au moins six mois avant le terme contractuel, alors que l'article L. 145-10 du Code de commerce autorise le preneur à former cette demande à tout moment dans les six mois précédent l'expiration du bail.

Un autre apport, essentiel, de la décision, et sur lequel la Cour de cassation se prononce directement, est relatif à la sanction encourue en présence d'une clause contraire à l'article L. 145-15 du Code de commerce. Ce texte dispose, précisément, que "sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4 (N° Lexbase : L0803HPG), L. 145-37 (N° Lexbase : L5765AID) à L. 145-41, du premier alinéa de l'article L. 145-42 (N° Lexbase : L5770AIK) et des articles L. 145-47 (N° Lexbase : L5775AIQ) à L. 145-54" du Code de commerce. Les juges du fond avaient, en l'espèce, jugé qu'en raison de la nullité de la clause relative aux modalités du renouvellement, les dispositions légales de l'article L. 145-10 du Code de commerce devaient s'y substituer. Le preneur ayant respecté ces dernières, il ne pouvait plus être exclu, selon les juges du fond, qu'il puisse invoquer le bénéfice du droit au renouvellement. L'argument du bailleur, selon lequel même si la clause litigieuse était nulle, le preneur ne pouvait plus s'en prévaloir, en raison de la prescription de l'action en nullité, devait, donc, être écarté. Les actions exercées en vertu des dispositions du statut des baux commerciaux se prescrivent, en effet, en deux années (C. com., art. L. 145-60 N° Lexbase : L8519AID), la Cour de cassation ayant, déjà, eu l'occasion de préciser que l'action en nullité d'une clause contraire à ce dernier devait être exercée dans ce délai (9). Celle-ci censure, cependant, la position des juges du fond, en affirmant que l'article L. 145-15 du Code de commerce ne prévoit pas d'autres sanctions que la nullité. La contrariété d'une clause à une norme d'ordre public peut être sanctionnée de deux manières : soit elle est réputée non écrite (éradication), soit elle est nulle. Cette distinction est nécessaire en raison des différences du régime auquel est soumise chacune de ces sanctions. Ainsi, l'action en nullité est-elle soumise à une prescription à laquelle, en revanche, échapperait l'action tendant à faire déclarer une clause non écrite (10). La Cour de cassation fait prévaloir, dans l'arrêt rapporté, la nullité de la clause sur le fondement de la lettre de l'article L. 145-15 du Code de commerce. La solution peut paraître sévère pour le preneur. Elle doit être relativisée, dans la mesure où il pourra toujours opposer la nullité par voie d'exception (11). L'éradication ne devrait, en outre, pas être totalement exclue en matière de bail commercial, puisque rien ne permet a priori d'affirmer que devrait être, désormais, écartée la solution jurisprudentielle selon laquelle l'annulation d'une clause illicite d'un bail commercial n'a pas pour effet d'entraîner la nullité du bail en entier, quand bien même les parties ont convenu que cette clause est essentielle, sous peine de porter atteinte au droit au renouvellement (12). Il appartiendra, en l'espèce, à la cour de renvoi, le cas échéant, de se prononcer sur la prescription de l'action du preneur..., à moins que le litige ne trouve, en réalité, sa résolution dans un autre débat (13)...

  • La prise en compte des aménagements du preneur ayant fait accession dans la fixation de la valeur locative (Cass. civ. 3, 19 mars 2008, n° 07-10.679, FS-P+B N° Lexbase : A4821D7P)

Le cessionnaire d'un bail ayant accepté, par l'effet de la cession, les clauses et conditions du bail cédé aux termes duquel il était stipulé que le preneur devait "laisser en fin de bail sans indemnité tous changements ou améliorations apportés aux lieux loués", la résiliation amiable de ce bail, signée avant la conclusion d'un nouveau bail entre le cessionnaire et le bailleur, a entraîné l'accession au bailleur des aménagements réalisés par les preneurs successifs dans les lieux loués et la valeur locative des locaux doit, en conséquence, être appréciée en fonction de l'état des locaux à la date du nouveau bail. Tel est l'enseignement d'un arrêt du 19 mars 2008, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, par acte du 4 novembre 1988, un bail commercial, consenti pour une durée de neuf ans à compter du 1er décembre 1988, avait été cédé, par acte du 14 décembre 1990, avec l'accord du bailleur intervenu à l'acte de cession, au prix d'un franc, le cessionnaire ayant parallèlement racheté pour une certaine somme au cédant les travaux qu'il avait réalisés dans les lieux loués. Par acte du 15 décembre 1990, un nouveau bail d'une durée de douze ans a été conclu entre le bailleur et le cessionnaire, les parties ayant décidé de résilier à l'amiable le bail en cours. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 28 octobre 1997, le nouveau preneur avait sollicité du bailleur la révision du loyer à la baisse, sans indiquer le prix souhaité qui avait été précisé dans un courrier ultérieur du 19 janvier 1998, puis l'avait assigné en fixation du prix du loyer révisé. Un premier jugement déclarant régulière la demande en révision et ordonnant une mesure d'instruction était intervenu le 29 juin 1998. Le bailleur avait, ensuite, interjeté appel de ce premier jugement le 14 avril 2005, afin de le voir réformer en ce qu'il avait jugé régulière la demande de révision. Les juges du fond ont, toutefois, considéré que l'appel était irrecevable comme tardif et ont, alors, procédé à la fixation du loyer du bail révisé, en jugeant que les aménagements réalisés par les preneurs successifs devaient être pris en compte dans la détermination de la valeur locative, augmentant, ainsi, cette dernière. Le bailleur et le preneur se sont, alors, respectivement pourvus en cassation sur chacun de ces deux points.

1 - Sur le point de départ du délai pour interjeter appel d'un jugement mixte

Chacune des parties à un bail commercial peut, à certaines conditions (C. com., art. L. 145-38 N° Lexbase : L5766AIE et L. 145-39 N° Lexbase : L5767AIG), demander la révision du loyer en cours pour le voir fixer à la valeur locative (C. com., art. L. 145-37 [LXB=L5765AID ] et L. 145-33 N° Lexbase : L5761AI9), dans la limite de la variation de l'indice du coût de la construction, sauf déplafonnement, dans le cadre de la révision triennale (C. com., art. L. 145-38).

La demande de révision des loyers doit être formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et préciser, à peine de nullité, le montant du loyer demandé ou offert (C. com., art. R. 145-20 N° Lexbase : L0050HZU). La Cour de cassation a, déjà, eu l'occasion de préciser que l'absence d'indication dans la demande de révision du montant du loyer sollicité entache la demande de révision de nullité, sans qu'il puisse être ultérieurement suppléé à cette irrégularité (14).

En l'espèce, le preneur n'avait pas indiqué le prix souhaité et sa demande de révision était, selon toute vraisemblance, nulle. Toutefois, il avait, ultérieurement à cette demande, précisé ce prix dans une lettre adressée quelques mois plus tard. Compte tenu de la jurisprudence précitée, cette lettre n'a pu rendre régulière la demande de révision initiale. Elle a pu, toutefois, constituer elle-même une nouvelle demande de révision, cette fois non entachée de nullité, au moins en ce qu'elle portait la mention du prix proposé.

La décision rapportée ne s'est pas prononcée sur ce point, puisque le bailleur a vu son recours contre le premier jugement qui a considéré la demande de révision régulière irrecevable en raison de sa tardiveté.

En effet, ce jugement lui avait été signifié le 9 septembre 1998 et l'appel interjeté seulement le 14 avril 2005. S'il ordonnait une expertise, ce jugement s'était, également, prononcé, dans son dispositif, sur la validité de la demande de révision. Il s'agissait, donc, d'un jugement mixte qui tranchait, dans son dispositif, une partie du principal et qui ordonnait une mesure d'instruction. Or, les jugements mixtes peuvent être, aux termes de l'article 544 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2794ADT), immédiatement frappés d'appel. L'emploi du verbe "pouvoir" est, en partie, ambigu et semble, en réalité, se référer à la faculté offerte à l'une des parties d'interjeter ou non appel. Si elle souhaite former ce recours, elle "devra" l'exercer dans le délai de droit commun, soit, le plus souvent, un mois à compter de la signification du jugement (C. proc. civ., art. 538 N° Lexbase : L2789ADN). L'appel formé au-delà de ce délai, par exemple dans le délai d'un mois à compter du jugement définitif, est irrecevable. L'arrêt rapporté confirme cette solution (15).

2 - Sur la prise en compte des aménagements du preneur dans la fixation du montant du loyer révisé

Le preneur qui avait sollicité la révision à la baisse de son loyer critiquait la décision des juges du fond qui avaient jugé que les aménagements effectués par les précédents preneurs avaient fait accession au bailleur et, en conséquence, qu'ils devaient participer de l'évaluation du montant de la valeur locative. Pourtant, dans le cadre de la révision triennale, les investissements du preneur ne doivent pas, en principe, être pris en compte dans l'évaluation de la valeur locative (C. com., art. L. 145-38), cette interdiction étant, a priori, applicable, également, en présence d'une révision légale fondée sur la variation de plus de 25 % du montant du loyer par l'effet d'une clause d'indexation (C. com., art. L. 145-39) (16). Toutefois, cette interdiction semble limitée aux investissements du preneur "pendant le bail en cours" (C. com., art. L. 145-38, dernier al.). Or, en l'espèce, les aménagements avaient été effectués antérieurement au bail au cours duquel la révision du loyer était sollicitée. Ce point n'a, toutefois, pas été abordé par l'arrêt commenté. Une fois le principe de la possibilité de leur prise en compte acquis, il était nécessaire de déterminer si les aménagements avaient ou non fait accession au bailleur.

L'article 546 du Code civil (N° Lexbase : L3120AB8) énonce le principe général selon lequel "la propriété d'une chose [...] immobilière [...] donne droit sur [...] ce qui s'y unit accessoirement [...]. Ce droit s'appelle droit d'accession", l'article 551 du même code (N° Lexbase : L1057ABR) précisant que "ce qui s'unit et s'incorpore à la chose appartient au propriétaire, suivant les règles qui seront ci-après établies", soit les articles 552 (N° Lexbase : L3131ABL) à 564 de ce code, s'agissant de l'accession en matière immobilière. Il est admis qu'en droit commun, l'accession est immédiate et qu'elle se produit au fur et à mesure de l'union ou de l'incorporation (17), mais la solution est différente lorsque l'accession se produit au cours d'un bail, puisque, dans ce cas, elle est différée à la fin de la location (18). Le locataire devient et reste, en conséquence, propriétaire des constructions qu'il édifie pendant la durée de la location (19), jusqu'à l'expiration du bail, date à laquelle le bailleur en devient propriétaire, même si le bail est renouvelé (20). Ces règles sont supplétives de volonté et les parties peuvent stipuler une accession "à l'expiration du présent bail" ou que "le preneur reste propriétaire des constructions édifiées sur le terrain du bailleur pour toute la durée de la location dont il jouit" (21), auxquels cas, l'accession se produira à l'expiration du bail, même en cas de renouvellement, "le bail renouvelé étant un nouveau bail" (22). La solution est identique dans ce cas à celle qui s'appliquerait à défaut de clause d'accession. Les parties peuvent, également, valablement écarter l'accession pendant la durée de leurs rapports contractuels en stipulant une accession "à la sortie du locataire" (23), "à la fin de la jouissance du locataire" (24) ou à la fin du bail et à défaut de renouvellement (25).

Dans l'espèce rapportée, le bail comportait une clause d'accession qui stipulait que le preneur devait "laisser en fin de bail sans indemnité tous changements ou améliorations apportés aux lieux loués". Les parties ayant procédé à la résiliation amiable du bail, la question se posait de savoir si cette résiliation avait provoqué l'accession, autrement dit, si la résiliation devait être qualifiée de "fin de bail". La réponse ne suscite a priori guère de difficulté : la résiliation amiable a bien pour effet de mettre un terme au bail en cours qui prend en conséquence "fin". La solution aurait pu être différente, si le bail avait stipulé une clause d'accession à "l'expiration du bail". Il a, ainsi, été jugé (26) que cette mention devait s'entendre du terme conventionnel et non de la résiliation du bail, en l'espèce, en raison de la destruction de la chose louée (C. civ., art. 1722 N° Lexbase : L1844ABW). Il a pu, par ailleurs, être jugé que, même en présence d'une clause stipulant une accession en fin de bail, cette dernière n'a pu jouer lorsque le bail s'est trouvé résilié par la destruction de la chose louée, dans la mesure où les aménagements ou améliorations avaient été détruits avant que l'accession ne se produise (27). L'arrêt rapporté ne remet pas en cause cette solution, puisque dans l'hypothèse d'une résiliation par destruction de la chose louée, l'accession ne peut avoir lieu, non pas parce que la résiliation n'est pas assimilée à la "fin du bail", mais en raison de la destruction de l'objet de l'accession.

Ayant fait accession au bailleur, ce dernier pouvait a priori se prévaloir des aménagements effectués par les preneurs successifs pour voir augmenter la valeur locative. La solution est sévère pour le preneur qui avait réglé au précédent locataire, le cédant, le coût des aménagements... encore qu'en l'espèce, les aménagements avaient été partiellement amortis, puisque le preneur était dans les lieux depuis environ huit années.


(1) Cf. décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007, relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (N° Lexbase : L6840H3Q), et lire nos obs., Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (première partie), Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N8659BD3) et Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 291 du 7 février 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N0345BEI).
(2) Cf. arrêté du 29 février 2008, relatif à la déclaration préalable à la cession de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux (N° Lexbase : L8563H3K), lire nos obs., La déclaration de cession d'un fonds de commerce, fonds artisanal ou bail commercial soumise au droit de préemption, Lexbase Hebdo n° 301 du 17 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N7619BEW) et lire Bulletin d'actualités en droit immobilier : actualités législatives - Cabinet Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés - Avril 2008, Lexbase Hebdo - édition privée générale n° 299 du 3 avril 2008 (N° Lexbase : N6293BES).
(3) Lire F. Debord, La Poste est un établissement public à caractère public industriel et commercial, D., 2002, p. 2090.
(4) Cf. TC, 4 mars 2002, n° 3293, Boloix c/ La Poste, D., 2002, p. 2090.
(5) Cf. QE n° 5702 de M. Bourg-Broc Bruno, JOANQ 13 septembre 1993 p. 2882, min. ind., postes et télécommunications et min. comm. ext., réponse publ. 29 novembre 1993 p. 4272, 10ème législature (N° Lexbase : L8897H3W).
(6) Cf. Cass. civ. 3, 27 octobre 2004, n° 03-15.769, Société Thalacap c/ SCI Thalamed, FS-P+B (N° Lexbase : A7412DDU), nos obs., Rev. Loyers, 2004/252, n° 20, p. 682.
(7) Cf. Ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, M. Hervé Caporal c/ Société Groupe Ribourel (N° Lexbase : A6534AYN).
(8) Voir en ce sens, Cass. civ. 3, 10 juillet 1996, n° 94-18.249, Consorts Bourse c/ Société Caprigem (N° Lexbase : A9989ABL).
(9) Cf. Cass. civ. 3, 24 novembre 1999, n° 98-12.694, Epoux Simon c/ Epoux Deiber (N° Lexbase : A8710AH3).
(10) Lire J. Kullmann, Remarques sur les clauses réputées non écrites, D., 1993, p. 59.
(11) Cf. Cass. civ. 3, 18 juin 2002, n° 01-03.209, Mme Marie-Claude Michel, divorcée Lacote c/ M. Michel Boitel, F-D (N° Lexbase : A9429AYU).
(12) Cf. Cass. civ. 3, 31 janvier 2001, n° 98-12.895, Société Brasserie et Développement c/ Société Vieren (N° Lexbase : A9525ASL).
(13) Lire Ph.-H. Brault, JCP éd. E, 2008, n° 1195.
(14) Cf. Cass. civ. 3, 12 octobre 1976, n° 74-13.864, Dame Vedrenne c/ Dame Ranoux, Consorts Lassaigne (N° Lexbase : A7045AGZ).
(15) Voir en ce sens, Cass. soc., 14 mai 1987, n° 83-46.073, M. Schenkel c/ Société des automobiles Peugeot et autre (N° Lexbase : A8023AAE).
(16) Voir en ce sens, J.-P. Blatter, Droit des baux commerciaux, 4ème éd., n° 550.
(17) Lire A. Lepage, J.-Cl. Civil, art. 551 à 552, Fasc. 90, n° 14.
(18) Cf. Cass. civ. 1, 23 octobre 1990, n° 88-20.296, Consorts Labeau et autres c/ M. Anglio (N° Lexbase : A4088AHU).
(19) Cf. Cass. civ. 3, 4 avril 2002, n° 01-70.061, Commune de Laval c/ Société Etablissements Hardy, FS-P+B (N° Lexbase : A4417AYA).
(20) Cf. Cass. civ. 3, 27 septembre 2006, n° 05-13.981, M. Jean-Louis Negret, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3478DRA), nos obs., Rev. Loyers, 2007/875, n° 499, p. 128.
(21) Cf. Cass. civ. 3, 27 janvier 1999, n° 97-11.797, Société Berton Demangeau c/ Société civile immobilière Danno frères et autres (N° Lexbase : A8195AHY).
(22) Cf. Cass. civ. 3, 27 janvier 1999, n° 97-11.797, Société Berton Demangeau c/ Société civile immobilière Danno frères et autres, précité.
(23) Cf. Cass. civ. 3, 22 juin 1988, n° 87-13.532, Consorts Reboul c/ SARL Girel et Delmais (N° Lexbase : A9521ATS).
(24) Cf. Cass. civ. 3, 21 mars 2001, n° 99-16.640, Société immobilière Lamenais transactions (Silt) c/ Société Darty Provence-Méditerranée, FS-P+B (N° Lexbase : A9901ASI).
(25) Cf. Cass. civ. 3, 4 avril 2002, n° 01-70.061, Commune de Laval c/ Société Etablissements Hardy, précité.
(26) Cf. Cass. civ. 3, 8 octobre 1997, n° 96-12.609, Société civile immobilière (SCI) Les Sept Laux c/ M. Christophe Roumezi, pris ès qualités de liquidateur de la Société Ameublement européen (N° Lexbase : A8956CPE).
(27) Cf. Cass. civ. 3, 5 juillet 1995, n° 93-18.021, Société à responsabilité limitée Savoy Hôtel c/ M. Jean-Pierre, Georges Leclerc et autre (N° Lexbase : A0699CN9) et Cass. civ. 3, 20 avril 2005, n° 03-20.927, SCI De Gestion Saussaie République c/ Société Axa France Iard, FS-D (N° Lexbase : A9635DHC).

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Marchés publics

[Jurisprudence] Les conséquences indemnitaires de l'annulation ou de la déclaration de nullité d'un contrat administratif

Réf. : CE Contentieux, 10 avril 2008, n° 244950, n° 284439, n° 284607, Société Decaux N° Lexbase : A8665D73

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par François Brenet, Maître de Conférences en droit public à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers

Le 07 Octobre 2010

C'est, sans nul doute, un arrêt d'une grande importance pratique que vient de rendre le Conseil d'Etat dans l'affaire opposant la société Decaux au département des Alpes-Maritimes. Dans sa décision lue le 10 avril 2008 et rendue conformément aux conclusions du commissaire du Gouvernement Bertrand Dacosta (que nous remercions de nous les avoir communiquées), le juge administratif a utilement précisé les conséquences indemnitaires résultant de l'annulation ou de la déclaration de nullité d'un contrat administratif. Il a clairement indiqué que la faute commise par la société titulaire d'un marché public, faute consistant dans la conclusion d'un contrat qu'elle savait nul, ne pouvait pas faire obstacle à l'indemnisation des dépenses utiles à la collectivité publique sur le terrain quasi-contractuel, mais s'opposait à ce qu'elle puisse réclamer l'indemnisation de son manque à gagner sur le terrain quasi-délictuel. En l'espèce, le département des Alpes-Maritimes et la société Jean-Claude Decaux avaient conclu, en octobre 1989, un marché d'une durée de 15 ans, ayant pour objet la location, la maintenance et la mise à disposition de mobilier urbain. Ce marché avait été passé selon la procédure applicable aux marchés négociés sans mise en concurrence préalable (procédure alors prévue par l'article 312 bis du Code des marchés publics N° Lexbase : L3896DAK) (1). Sur déféré préfectoral, le tribunal administratif de Nice a annulé le marché dans un jugement du 2 juin 1992, au motif évident que ledit contrat n'entrait pas dans le champ d'application de cet article. Malgré cette annulation, les parties ont poursuivi leurs relations comme si de rien n'était, jusqu'à la fin de l'année 1994. La société Jean-Claude Decaux a alors réagi en demandant au département de l'indemniser de son préjudice, qu'elle estimait à plus de 90 millions de francs (13,7 millions d'euros). Pour faire face à la décision implicite de rejet de la collectivité, la société a alors saisi le tribunal administratif, qui a fait droit partiellement à sa demande, en condamnant le département à lui verser une indemnité de 7,729 millions de francs (1,17 million d'euros) répartis comme suit : 7,232 millions de francs (1,1 million d'euros) au titre des dépenses utiles (ce qui correspondait à l'intégralité des dépenses utiles) et 497 000 francs (75 700 euros) au titre du manque à gagner (soit la moitié seulement du manque à gagner). A la suite de l'appel formé par la personne publique, la société Jean-Claude Decaux a présenté un appel incident. La cour administrative d'appel de Marseille est alors intervenue en deux étapes. Dans un premier arrêt du 22 janvier 2002, elle a statué sur le principe de la responsabilité et confirmé le jugement du tribunal administratif, qui avait estimé que la société avait commis une faute de nature à atténuer la responsabilité du département à hauteur de 50 %. Elle s'en est écartée, toutefois, en appliquant ce partage de responsabilité tant à la réparation du dommage imputable à la faute du département (le manque à gagner), qu'au remboursement des dépenses utiles. Par un second arrêt du 21 juin 2005 (CAA Marseille, 2ème ch., 21 juin 2005, n° 98MA00414, Département des Alpes-Maritimes N° Lexbase : A0883DLB), et à la suite de l'expertise ordonnée avant dire droit sur demande de la société Jean-Claude Decaux, la cour administrative d'appel de Marseille a évalué les dépenses utiles à 1,732 million de francs (260 000 euros), et a attribué 50 % de cette somme à la société au titre des dépenses utiles. En revanche, elle a considéré qu'il n'y avait pas lieu d'indemniser le manque à gagner, au motif que le montant de 1,732 million de francs assurait à la société une rémunération supérieure à celle à laquelle elle aurait eu droit en application du contrat. La société Jean-Claude Decaux s'est pourvue en cassation contre les deux arrêts de la cour administrative d'appel de Marseille, alors que le département des Alpes-Maritimes a seulement formé un pourvoi contre l'arrêt du 21 juin 2005.

Saisi de ces pourvois, le Conseil d'Etat devait répondre à la question suivante : dans quelle mesure la faute de l'appauvri (la société Decaux) peut-elle impacter son indemnisation au titre de la responsabilité quasi-contractuelle (indemnisation des dépenses utiles à la collectivité) et de la responsabilité quasi-délictuelle (indemnisation du manque à gagner) ? Le juge administratif a apporté à cette question une réponse parfaitement claire, dont les deux branches sont indissociables. Il a respecté les deux logiques sur lesquelles reposent les actions en responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle. Il a considéré que l'objet de l'action de in rem verso était de permettre le remboursement des dépenses engagées par le cocontractant et utiles à la collectivité, et qu'il n'était donc pas possible d'appliquer un partage de responsabilité, même dans l'hypothèse où il aurait commis une faute. En revanche, il a considéré que la faute commise par le cocontractant (conclusion et exécution d'un contrat qu'il savait nul) était plus grave que celle commise par la collectivité (conclusion d'un contrat de mobilier urbain dans des conditions irrégulières), et que celle-ci faisait donc obstacle à l'indemnisation de son manque à gagner sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle.

I - La faute de l'appauvri et la responsabilité quasi-contractuelle

L'annulation ou la déclaration de nullité du contrat a pour effet immédiat de faire disparaître le contrat, et fait donc obstacle à l'exercice de toute action en responsabilité contractuelle. Il reste que le contrat, ainsi remis en cause, a produit des effets de droit, et a servi de support aux prestations exécutées par le cocontractant. L'action en responsabilité quasi-contractuelle lui permet d'obtenir le remboursement par la personne publique des dépenses utiles qu'il a engagées (A), selon des modalités précisées par le Conseil d'Etat dans l'espèce commentée (B).

A - L'obligation d'indemnisation des dépenses utiles à la personne publique

Le Conseil d'Etat pose en principe, dans l'arrêt du 10 avril 2008, que "l'entrepreneur dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celle de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'est engagé" et que "les fautes éventuellement commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité" (1°). En revanche, il considère que l'action de in rem verso est inutilisable si la faute de l'appauvri consiste en un vice du consentement de l'administration (2°).

1 - Le principe : une faute ne justifiant pas un partage de responsabilités

La solution retenue par le Conseil d'Etat n'allait pas de soi, car la jurisprudence administrative était partagée en deux courants. Une première série d'arrêts considérait que la faute de l'appauvri ne devait pas impacter son droit à indemnisation des dépenses engagées, à condition, bien évidemment, qu'elles aient été utiles à la collectivité (2). A l'inverse, d'autres arrêts, moins nombreux, n'hésitaient pas à exonérer totalement ou partiellement la collectivité publique sur le terrain de l'enrichissement sans cause en cas de faute de l'appauvri (3).

Plusieurs arguments avancés par Bertrand Dacosta plaidaient en faveur de la première solution, finalement retenue par le Conseil d'Etat. Même si la faute commise par l'entrepreneur est avérée, ce qui était le cas en l'espèce, puisque la société Decaux avait conclu un contrat dont elle ne pouvait pas ne pas savoir qu'il était nul, il serait sans doute excessif de faire peser sur lui seul les conséquences liées à la déclaration de nullité du contrat ou à son annulation. En effet, la collectivité publique a bénéficié des prestations offertes par son ex-cocontractant, et il serait sans doute déraisonnable de ne pas l'obliger à en payer le prix, surtout lorsqu'elle avait, elle aussi, connaissance de l'illégalité à l'origine de la remise en cause du contrat. Cette solution n'est, à vrai dire, admissible que si elle est strictement encadrée. Le risque est, en effet, que l'appauvri poursuive l'exécution d'un contrat nul en toute connaissance de cause, en se disant qu'il lui sera toujours possible de se retourner vers la collectivité publique pour obtenir le remboursement des dépenses engagées. Heureusement, les conditions de mise en oeuvre de l'action de in rem verso sont strictes, et permettent d'éviter ce genre de pratiques. On sait, en effet, que seules les dépenses utiles à la collectivité peuvent être indemnisées au titre de l'enrichissement sans cause. En pratique, l'entrepreneur n'aura guère intérêt à poursuivre l'exécution d'un contrat nul puisqu'il ne pourra, au final, récupérer qu'une partie de la mise engagée (celle correspondant aux dépenses utiles), et certainement pas le manque à gagner. C'est donc parce que les possibilités d'indemnisation de l'ex-cocontractant sont très encadrées que la solution posée par le Conseil d'Etat est acceptable. Cependant, il ne faut pas en déduire que la faute de l'entrepreneur est toujours neutralisée.

2 - L'exception : une faute faisant obstacle à l'exercice de l'action de in rem verso en cas de vice du consentement

Il est une hypothèse, parfaitement rappelée par le Conseil d'Etat, dans laquelle la faute de l'appauvri fait obstacle à l'activation de la théorie de l'enrichissement sans cause. Tel est le cas lorsque le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration. La logique sur laquelle repose cette solution est la suivante : l'existence d'un vice du consentement (erreur, dol ou violence) s'oppose à la mise en oeuvre d'une action en responsabilité quasi-contractuelle, car en ce cas il n'y a jamais eu accord de volonté entre les parties, et il est exclu que l'on puisse imposer à la collectivité de rembourser les dépenses qui lui ont certes été utiles, mais auxquelles elle n'a jamais véritablement consenti.

La différence avec l'hypothèse précédente n'est guère discutable, et qu'elle fasse l'objet d'un traitement distinct nous semble tout à fait légitime. Lorsque le contrat est déclaré nul ou annulé par le juge administratif parce que les parties n'ont pas respecté les procédures de publicité et de mise en concurrence idoines comme c'était le cas en l'espèce, la faute de l'ex-cocontractant, consistant en la poursuite de l'exécution d'un contrat nul, rejoint celle de l'administration qui a laissé son cocontractant poursuivre l'exécution de ce contrat. Les deux fautes sont indissociables (4), et pour éviter que l'un ne s'enrichisse au profit de l'autre, il est indispensable de neutraliser les deux fautes pour obliger l'enrichi (la collectivité publique) à rembourser l'appauvri (l'entrepreneur). Toute différente est l'hypothèse de la nullité du contrat provenant des conditions dans lesquelles l'administration a donné son consentement. Si le cocontractant a vicié le consentement de la personne publique, il est le seul fautif, et il semble assez logique de lui opposer l'impossibilité de faire valoir l'enrichissement sans cause de la collectivité.

Puisque le consentement du département des Alpes-Maritimes n'avait pas été vicié, le Conseil d'Etat a considéré qu'il appartenait à la collectivité d'indemniser la société Decaux à la hauteur des dépenses qui lui ont été utiles.

B - Les modalités d'indemnisation des dépenses utiles à la personne publique

Plusieurs précisions ont été apportées par le Conseil d'Etat concernant les modalités d'indemnisation des dépenses engagées par la société Decaux et utiles au département des Alpes-Maritimes entre le 1er janvier 1990, date de commencement d'exécution du marché annulé, et le 31 décembre 1994.

Se posait, notamment, la question de savoir si les frais financiers, autrement dit les frais exposés par l'entrepreneur pour financer les travaux, entraient dans la catégorie des dépenses utiles (frais que l'expert avait évalué à 610 522,90 euros en l'espèce). Le juge administratif avait déjà répondu positivement à cette interrogation dans l'arrêt "Société Entreprise Louis Segrette" du 19 avril 1974 (5). Bertand Dacosta doutait du bien-fondé de cette solution, au motif qu'elle revenait à faire fluctuer la notion de dépense utile en fonction des choix de financement effectués par l'entrepreneur, et le Conseil d'Etat a été sensible à cette argumentation puisqu'il s'est refusé, en l'espèce, mais la solution a sans aucun doute une portée générale, à indemniser la société Decaux. On peut, sans doute, être critique à l'égard de ce refus. Certes, il est indéniable que le coût pour l'entrepreneur et pour la collectivité (si l'on considère qu'il s'agit d'une dépense utile indemnisable au titre de l'enrichissement sans cause) est appelé à varier, selon que les travaux seront financés par recours à l'emprunt ou sur fonds propres. Mais cela ne doit pas dissimuler l'essentiel : les frais financiers sont difficilement dissociables des travaux sur lesquels il porte, et il y a sans doute une part d'hypocrisie à les exclure des dépenses utiles indemnisables. N'est-il pas possible de soutenir, au surplus, que ces frais financiers s'incorporent, comme les frais généraux, aux travaux ou prestations effectués?

Se posait, également, la question de savoir si la société Decaux pouvait ranger les frais de dépose du mobilier urbain dans la catégorie des dépenses utiles pour la collectivité publique (frais dont le montant s'élevait à 39 482 euros). Le critère utilisé par le Conseil d'Etat est celui de l'initiative de la demande de dépose. Parce que le département n'avait pas demandé à la société de déposer le mobilier urbain en cours d'exécution du marché, le juge administratif considère qu'il ne peut s'agir d'une dépense utile. Et s'agissant des mobiliers déposés en 1995, soit après l'annulation du contrat par le tribunal administratif, le Conseil d'Etat a logiquement considéré qu'il s'agissait d'une obligation légale pour la société, qui se trouvait alors occupant sans titre du domaine public. Le juge administratif a, également, pris en compte la circonstance que le mobilier urbain ainsi déposé avait pu être réutilisé par la société. Au total, le département des Alpes-Maritimes est condamné à verser à la société Decaux une somme globale de 1,121 672 million d'euros, majorée du montant de la TVA au taux en vigueur au jour du règlement, comme l'impose la jurisprudence depuis l'arrêt "Commune de Boulogne-Billancourt" du 21 mars 2007 (6).

II - La faute de l'appauvri et la responsabilité quasi-délictuelle

La question essentielle posée par l'affaire commentée était celle de savoir si la faute de la société, consistant en l'exécution d'un contrat qu'elle savait nul, pouvait exonérer le département de toute responsabilité. C'est cette question qui a d'ailleurs justifié le renvoi de l'affaire devant la section du contentieux, après un premier examen en décembre 2007 par les 7ème et 2ème sous-sections réunies. Plusieurs possibilités s'offraient au Conseil d'Etat (A), qui a finalement retenu, non sans raison, celle qui est la plus sévère pour le cocontractant de la collectivité publique (B).

A - Les thèses en présence

Une première solution à laquelle on pense naturellement est celle du partage de responsabilité, et c'est d'ailleurs celle qui avait été retenue par le tribunal administratif et la cour administrative d'appel. On sait, en effet, que toute illégalité commise par l'administration est en principe constitutive d'une faute. Dans ces conditions, il était tout à fait possible d'admettre que le département des Alpes-Maritimes avait commis une telle faute en concluant un marché public de mobilier urbain dans des conditions irrégulières. De même, il était tout aussi concevable d'atténuer la responsabilité du département en se fondant sur la faute commise par la société Decaux, faute consistant en la conclusion et l'exécution d'un contrat qu'elle savait nul dès son origine. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs fait application de cette solution dans l'arrêt "Société Spie Batignolles" du 26 mars 2008 (7). En l'espèce, un marché attribué au terme d'une procédure de concours avait été déclaré nul, au motif que le conseil général n'avait pas pris de délibération préalable justifiant qu'il y soit recouru. Le juge administratif a, alors, considéré que la société requérante ne pouvait ignorer l'irrégularité ainsi commise, et a donc laissé à sa charge 50 % des conséquences dommageables de la nullité du contrat.

Une deuxième solution était également envisageable, et était d'ailleurs défendue par la société Decaux. Celle-ci soutenait, en effet, qu'elle n'avait commis aucune faute et que le département était le seul responsable de la nullité du contrat. Sans doute y-avait-il une part d'audace (pour ne pas dire d'hypocrisie) à soutenir une telle argumentation. Comme l'a relevé Bertrand Dacosta dans ses conclusions, l'expérience de la société Decaux dans le secteur du mobilier urbain n'est plus à démontrer, et elle ne pouvait pas ignorer que la procédure du marché négocié n'était pas utilisable en l'espèce. En laissant le département des Alpes-Maritimes utiliser cette procédure, elle a nécessairement commis une faute.

Une troisième solution, défendue par le département, consistait à avancer l'idée que, si la collectivité publique avait bien commis une faute en concluant un contrat nul, celle-ci était, en quelque sorte, absorbée par celle commise par la société Decaux. Cette solution avait pour elle plusieurs mérites. Elle permettait, tout d'abord, de ne pas passer sous silence la faute commise par le département : celui-ci a bien commis une faute en concluant un contrat dans des conditions irrégulières, mais cette faute ne suffit pas à engager sa responsabilité, dès lors qu'elle est moins grave que celle commise par son cocontractant. Précisément, et c'est le deuxième avantage de cette solution, il aurait sans doute été excessif de faire peser sur la seule collectivité les conséquences d'une illégalité commise à deux mais ne profitant finalement qu'à la société Decaux (8).

B - La solution retenue : le refus d'indemniser le manque à gagner

Le Conseil d'Etat a finalement opté pour cette dernière solution, qui était aussi celle proposée par Bertrand Dacosta, en considérant que "si le département a eu irrégulièrement recours à une procédure de marché négocié, ce qui a entraîné l'annulation du contrat, la société Decaux a elle-même commis une faute grave en se prêtant à la conclusion d'un marché dont, compte tenu de son expérience, elle ne pouvait ignorer l'illégalité ; que cette faute constitue la seule cause directe du préjudice subi par la société Decaux à raison de la perte du bénéfice attendu du contrat ; que cette société n'est ainsi pas fondée à demander l'indemnisation d'un tel préjudice, nonobstant la faute de la collectivité".

L'idée sur laquelle elle repose est aisément perceptible. Alors que le département des Alpes-Maritimes n'avait absolument rien à gagner à conclure un marché négocié (tout au plus pouvait-il espérer faire l'économie des dépenses administratives liées à l'absence de mise en concurrence inhérente à ce type de contrat), la société Decaux avait au contraire tout intérêt à conclure ce contrat illégal. Elle pouvait espérer emporter un contrat rémunérateur sans se voir opposer une offre concurrente. Et on comprend mieux, dans ces conditions, que le Conseil d'Etat ait voulu sanctionner l'entreprise et dédouaner la collectivité.

De cela, il ne faut pas conclure que le juge administratif a délivré une sorte d'assurance tout risque aux collectivités publiques. Il a, en effet, fixé un certain nombre de conditions qui viennent utilement encadrer la solution retenue. Il faut, tout d'abord, que la société contractante ait effectivement commis une faute. Dans l'hypothèse qui est la nôtre, celle de la conclusion d'un contrat nul, cela suppose que le cocontractant de l'administration ait eu connaissance de l'illégalité commise. Tel ne sera pas le cas, par exemple, lorsque la nullité du contrat résultera d'une illégalité affectant un acte administratif détachable (délibération locale autorisant la conclusion du contrat, par exemple). Par ailleurs, on imagine bien que les exigences du juge administratif varieront en fonction de l'expérience du cocontractant. Comme dans l'arrêt "Société Spie Batignolles" précité, le Conseil d'Etat prend soin d'indiquer dans l'espèce commentée que la "société Decaux a elle-même commis une grave faute en se prêtant à la conclusion d'un marché dont, compte tenu de son expérience, elle ne pouvait ignorer l'illégalité" (souligné par nos soins). Il y a donc tout lieu de croire que les exigences du juge administratif seront variables selon les entreprises concernées, et que la solution ne sera sans doute pas la même pour une entreprise inexpérimentée (à l'égard de laquelle on pourra faire preuve d'indulgence), et pour un cocontractant concluant fréquemment des marchés publics (à l'égard duquel on sera plus intransigeant).

Si l'on adhère à l'esprit de la jurisprudence du Conseil d'Etat (sanctionner les entreprises qui concluent en toute connaissance de cause des contrats nuls en espérant que la nullité ne sera pas décelée), on peut se demander si la solution retenue n'est pas trop sévère à l'égard du cocontractant de l'administration. En vérité, la solution nous semble équilibrée car le juge administratif lui refuse l'indemnisation du seul manque à gagner, c'est-à-dire la perte du bénéfice escompté. Les dépenses qu'il aura engagées et qui auront été profitables à la collectivité seront indemnisées au titre de l'enrichissement sans cause.


(1) Il n'est sans doute pas utile de rappeler ici que les contrats de mobilier urbain sont des marchés publics, alors même que certains d'entre eux ne donnent pas lieu au paiement d'un prix par l'administration, mais se traduisent par un abandon de recettes publicitaires et/ou de redevances domaniales au profit du cocontractant. Cette solution est acquise depuis 2005 (CE Contentieux, 4 novembre 2005, n° 247298, Société Jean-Claude Decaux N° Lexbase : A2732DLR, AJDA, 2006, p. 120, note A. Ménéménis, BJCP, 2006, n°44, p. 27, concl. D. Casas, Contrats Marchés publics, 2005, comm. 297, note J.-P. Pietri, Dr. adm., 2006, chron. n° 3, art. F. Brenet, JCP éd. A, 2005, n° 50, 1381, note F. Linditch, Les petites affiches, 18 juillet 2006, p. 20, note C.-A. Dubreuil, RFDA, 2006, p. 1083, concl. D. Casas), mais elle était connue depuis longtemps par les spécialistes, puisque la section de l'Intérieur s'était prononcé le 14 octobre 1980 dans le sens de la qualification de marché public dans un avis rendu public.
(2) CE, 14 octobre 1966, n° 64076, Ministre de la Reconstruction c/ Ville de Bordeaux (N° Lexbase : A0264B8B), Rec. CE, p. 537 ; CE, 19 mars 1982, n° 18632, M. Cojonde (N° Lexbase : A8850AKY), Rec. CE, p. 671 ; CE, 24 juin 1987, n° 74118, Bureau d'aide sociale de la ville de Briançon c/ Société Briançon-Bus (N° Lexbase : A5350APT).
(3) CE, 10 mars 1965, Marande et Dame Defrère, Rec. CE, p. 1048 ; CE, 6 octobre 1965, Consorts Bigot-Goldstein, Rec. CE, p. 1048 ; CE 1° et 4° s-s-r., 30 janvier 1974, n° 85072, Commune de Houilles (N° Lexbase : A0592B9S), Rec. CE, p. 75.
(4) Bertrand Dacosta évoque une "faute commune".
(5) CE 2° et 6° s-s-r., 19 avril 1974, n° 82518, Société "Entreprise Louis Segrette" (N° Lexbase : A3000B8M), Rec. CE, p. 1052. Pour un arrêt plus récent : CE, 16 novembre 2005, n° 262360, MM. Auguste (N° Lexbase : A6287DLG), Rec. CE, p. 507.
(6) CE 2° et 7° s-s-r., 21 mars 2007, n° 281796, Commune de Boulogne Billancourt (N° Lexbase : A7298DUT), AJDA, 2007, p. 915, note J.-D. Dreyfus, Contrats Marchés publics, 2007, comm. 137, note G. Eckert.
(7) CE 2° et 7° s-s-r., n° 270772, 26 mars 2008, Société Spie Batignolles (N° Lexbase : A5912D74).
(8) Bertrand Dacosta relevait dans ses conclusions : "Certes, il n'est pas contestable que le département des Alpes-Maritimes, en s'exonérant du respect du Code des marchés publics, a commis une faute. Encore convient-il d'observer que lorsqu'une collectivité commet ce type de fautes, elle n'en tire elle-même aucun bénéfice, si ce n'est l'économie de dépenses administratives liées à l'absence de mise en concurrence ; elle en est, en revanche, la première victime, dès lors qu'elle se prive de la possibilité de voir un autre soumissionnaire présenter une offre de meilleure qualité et/ou d'un coût moindre".

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Procédure disciplinaire, application plénière

Réf. : Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-41.999, Société Azur Net Poitou c/ Mme Mansouri, FS-P+B (N° Lexbase : A9602D7R)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



Le fait, pour l'employeur, de ne pas être légalement tenu de respecter la procédure disciplinaire, pour appliquer une sanction au salarié, le dispense-t-il du respect d'une partie de la procédure ? Non, répond la Haute juridiction dans un arrêt rendu le 16 avril 2008. Elle affirme, en effet, que lorsque l'employeur a choisi de convoquer le salarié selon les modalités de l'article L. 122-41 du Code du travail (N° Lexbase : L5579ACM, art. L. 1332-1 et s., recod. N° Lexbase : L0254HXP), il est tenu d'en respecter tous les termes et ce, quelle que soit la sanction finalement infligée.
Cette décision, qui précise le régime de la procédure disciplinaire, doit être approuvée.
Résumé


Lorsque l'employeur souhaite mettre un avertissement au salarié, il n'est pas tenu de respecter la procédure disciplinaire. L'employeur qui choisit de convoquer le salarié selon les modalités de l'article L. 122-41 du Code du travail (art. L. 1332-1 et s., recod.) est tenu d'en respecter tous les termes et ce, quelle que soit la sanction finalement infligée.


I - Champ d'application de la procédure disciplinaire


  • Champ d'application


L'article L. 122-40 du Code du travail (N° Lexbase : L5578ACL, art. L. 1331-1, recod. N° Lexbase : L0252HXM) dispose que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement, ou non, la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Dans la mesure où l'employeur entend infliger une sanction susceptible d'avoir une incidence sur la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction ou sa rémunération, il doit engager la procédure disciplinaire normale ou celle prévue par la convention collective.

L'article L. 122-41 du Code du travail (art. L. 1332-1 et s., recod.) précise, en effet, que "aucune sanction ne peut être infligée au salarié sans que celui-ci soit informé dans le même temps et par écrit des griefs retenus contre lui".

L'employeur doit, ainsi, convoquer le salarié par lettre recommandée ou lettre remise en main propre contre décharge à un entretien préalable. Cette lettre doit contenir l'objet de la convocation et la faculté, pour le salarié, de se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise (C. trav., art. L. 122-41, al. 2, art. L. 1332-2, recod.).


  • Procédure disciplinaire


Au cours de l'entretien, l'employeur doit indiquer au salarié les motifs de la sanction envisagée et recueillir des explications (C. trav., art. L. 122-41, al. 2, art. L. 1332-2, al. 3, recod.).

Si l'employeur maintient sa sanction ou envisage de sanctionner le salarié de quelque manière que ce soit, il lui appartient de lui notifier la sanction. Cette notification prend la forme d'une lettre recommandée ou d'une lettre remise en main propre contre décharge contenant les motifs de la sanction prise.

Attention, la notification de la sanction est enfermée dans certains délais. Ainsi, elle ne peut intervenir moins d'un jour franc, ni plus d'un mois, après le jour fixé pour l'entretien (C. trav., art. L. 1332, al. 4, recod.). Le cas échéant, la sanction serait nulle ou le licenciement requalifié en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 15 octobre 1997, n° 95-43.389, Mme Gefflot c/ Agence France presse N° Lexbase : A9648AAL, Bull. civ. V, n° 319).


Cette procédure s'applique à toute sanction disciplinaire, à l'exception des sanctions mineures. L'article L. 122-41 du Code du travail (art. L. 1332-2, al. 1er, recod.) précise, en effet, que la convocation du salarié à un entretien préalable et, partant, le respect de la procédure disciplinaire, s'imposent, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature qui a une incidence immédiate, ou non, sur la présence du salarié dans l'entreprise.


Si l'employeur n'est pas légalement tenu de respecter la procédure disciplinaire lorsqu'il prononce une sanction mineure, il reste, néanmoins, libre d'en faire application à toute sanction, qu'elle soit, ou  non, de nature à affecter la présence du salarié dans l'entreprise, donc à un avertissement. Dans ce cas, il est tenu d'en faire une application complète, comme le précise la Haute juridiction dans la décision commentée.


  • Espèce


Dans cette espèce, une salariée avait été licenciée pour inaptitude physique après avoir fait l'objet de trois avertissements et d'une mise à pied. Contestant cette rupture, la salariée avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, dont une tendant à l'annulation des avertissements prononcés par l'employeur.

La cour d'appel avait annulé les avertissements. Cette décision est confirmée par la Haute juridiction. Cette dernière affirme, en effet, que, lorsqu'il a choisi de convoquer le salarié selon les modalités de l'article L. 122-41 du Code du travail (art. L. 1332-2, recod.), l'employeur est tenu d'en respecter tous les termes et ce, quelle que soit la sanction finalement infligée.

Relevant que la cour d'appel avait annulé ces avertissements au motif que leur notification était intervenue plus d'un mois après l'entretien, elle confirme la solution des juges du second degré.

Le principe retenu au soutien de cette solution, que la Haute juridiction affirme, à notre connaissance, pour la première fois, dans cette décision, doit être approuvé.


II - Plénitude de la procédure disciplinaire


  • Une solution normale


Si l'employeur n'est pas tenu par la loi de respecter la procédure disciplinaire lorsque la sanction qu'il envisage de prendre contre son salarié est une sanction mineure, il lui appartient, s'il le fait, de suivre la procédure dans son intégralité. L'élément déclencheur est la convocation du salarié à un entretien préalable (élément permettant de distinguer la procédure disciplinaire normale de la procédure disciplinaire simplifiée). Le fait, pour l'employeur, de suivre cette première étape l'entraîne dans le dédale de la procédure disciplinaire normale et des règles qu'elle comporte (C. trav., art. L. 122-41, art. L. 1332-1 et s., recod.).


Cette solution se comprend aisément, d'une part, eu égard à la rédaction de l'article L. 122-41 (C. trav., L. 1332-2, recod.) du Code du travail. Cette disposition unique contient l'ensemble des règles applicables à la procédure disciplinaire. Les étapes sont, en outre, liées, puisque l'employeur convoque à l'entretien et ne peut notifier la sanction qu'une fois que cet entretien s'est déroulé et avant qu'un mois se soit écoulé.


Cette solution se comprend, également, eu égard à l'objet de ce texte. Cet article a vocation à protéger le salarié, en lui permettant, notamment, d'être informé et de faire valoir ses explications. L'existence d'un délai maximum pour sanctionner évite, en outre, que la sanction intervienne trop tardivement.


Le salarié informé de l'enclenchement d'une procédure disciplinaire à son encontre doit, enfin, pouvoir connaître les différentes étapes suivies par l'employeur. Le fait pour l'employeur de se soumettre à la procédure disciplinaire légale ouvre au profit du salarié le droit de se prévaloir du principe général du droit du travail contenu par l'article L. 122-41 du Code du travail (art. L. 1332-2, recod.), lequel contient la convocation, l'entretien, et le respect des délais.


Ce droit peut-il être invoqué dans tous les cas ?


  • Portée de la décision


Que veut dire "selon les modalités de l'article L. 122-41 du Code du travail" ? Ceci signifie-t-il que, pour que la procédure disciplinaire s'impose dans son intégralité, l'employeur doit avoir visé l'article L. 122-41 du Code du travail dans la lettre de convocation à l'entretien préalable ? Ceci signifie-t-il, au contraire, que le seul fait pour l'employeur de convoquer le salarié à un entretien suffit à lui imposer le respect de la procédure ?


La décision n'est pas particulièrement précise sur la question. La Haute juridiction se contente, en effet, d'affirmer que le fait pour l'employeur de convoquer le salarié selon les modalités de l'article L. 122-41 du Code du travail (art. L. 1332-1 et s., recod.), semble indiquer qu'il convient de pencher pour la seconde hypothèse.


Il semble, ainsi, que dans la mesure où l'employeur ne se contente pas de notifier au salarié la sanction mineure qu'il a pris à son encontre mais le convoque à un entretien, ceci lui impose de respecter la procédure dans son intégralité.


Si la Cour avait souhaité limiter la portée du principe qu'elle énonce, elle aurait certainement préféré à l'expression "selon les modalités de l'article L. 122-41 du Code du travail" les termes "en application de l'article L. 122-41 du Code du travail" ou "sur le fondement de l'article L. 122-41 du Code du travail".

Cette décision ne va pas, toutefois, inciter les employeurs à faire du zèle et, notamment, à entendre leur salarié préalablement à toute prise de décision. Les conséquences sont importantes puisque le défaut de respect de l'intégralité de la procédure entraîne la nullité de la sanction...

Décision

Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-41.999, Société Azur Net Poitou c/ Mme Mansouri, FS-P+B (N° Lexbase : A9602D7R)


Rejet de CA Poitiers, 14 février 2006


Mots clefs : procédure disciplinaire ; avertissement ; respect de la procédure ; obligation pour l'employeur de respecter l'intégralité de la procédure ; nullité des sanctions notifiées plus d'un mois après l'entretien préalable

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