La lettre juridique n°269 du 19 juillet 2007

La lettre juridique - Édition n°269

Procédures fiscales

[Jurisprudence] Les charges justifiées par des factures sont présumées déductibles : retour sur la charge de la preuve en matière fiscale

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 21 mai 2007, n° 284719, Ministre de l'Economie, des Finance et de l'Industrie (N° Lexbase : A4759DW8)

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 21 mai 2007, le Conseil d'Etat a précisé les obligations qui pèsent sur les entreprises en ce qui concerne la justification de l'exactitude de leurs écritures de charges. Selon le Conseil, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant, alors, fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration. Ce faisant, la Haute Assemblée a adopté une interprétation souple de la solution retenue par un précédent arrêt de section du 20 juin 2003 (CE, 8° s-s., 20 juin 2003, n° 232832, Société des Etablissements Lebreton et Comptoir général de peinture et annexes N° Lexbase : A0626C93 : RJF 10/03 n° 1140 et conclusions Collin p. 754), puisque dans le cas où le contribuable justifie du caractère déductible d'une charge par une facture, il n'a pas à apporter immédiatement devant l'administration tous les éléments justificatifs complémentaires établissant la nature de la charge en cause, ainsi que l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. En effet, il n'aura à apporter ces éléments devant le juge que si l'administration a contesté le caractère déductible de la charge en cause. La décision du 21 mai 2007 constitue, ainsi, une solution favorable aux contribuables qui consacre, en outre, le rôle essentiel du juge de l'impôt dans la détermination et la mise en oeuvre de la dialectique de la charge de la preuve entre ceux-ci et l'administration fiscale.

1. La confirmation du principe selon lequel il appartient au contribuable de justifier de la déductibilité et du montant des charges qu'il entend déduire

1.1. Les règles relatives à l'attribution de la charge de la preuve en contentieux fiscal, "applicables sauf loi contraire", tiennent essentiellement compte de la nature des éléments détenus par les parties au litige

La décision du 21 mai 2007, après avoir rappelé la distinction entre règles d'origine législative et règles d'origine jurisprudentielle, celles-ci étant les plus nombreuses, indique que "les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci". Ce faisant, le Conseil d'Etat confirme son approche réaliste de la situation des contribuables et de l'administration fiscale.

1.1.1. Les règles d'origine législative

L'attribution de la preuve en contentieux fiscal fait partie des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) (Cons. const., 2 décembre 1980, décision n° 80-119 L N° Lexbase : A8026ACA) et, lorsque celui-ci intervient, le juge fiscal n'a, alors, d'autre possibilité que d'appliquer les règles ainsi édictées, en les combinant au besoin entre elles. Certaines règles sont liées à la procédure d'imposition suivie. La charge de la preuve incombe, ainsi, au contribuable lorsque l'imposition a été établie d'office (LPF, art. L 193 N° Lexbase : L8356AE9) ou selon la procédure forfaitaire (LPF, art. 191 N° Lexbase : L8358AEB). En procédure contradictoire, la charge de la preuve incombe à l'administration dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ou la commission départementale de conciliation a été saisie du litige. Elle pèse, cependant, sur le contribuable, lorsque sa comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission, de même qu'en l'absence de comptabilité et de taxation d'office pour absence de réponse à une demande d'éclaircissements ou de justifications (LPF, art. 192 N° Lexbase : L8724G8M).

Le législateur a, également, posé des règles spécifiques de preuve s'appliquant à des situations dans lesquelles le contribuable est présumé vouloir échapper à l'impôt. Tel est le cas de l'article 238 A du CGI (N° Lexbase : L4758HLS) relatif à la déduction des intérêts et redevances versés à des personnes établies dans des paradis fiscaux, de l'article 57 (N° Lexbase : L1594HLM) relatif aux transferts de bénéfice entre sociétés dépendantes, ou de l'article 39-5 (N° Lexbase : L1224HLW) relatif à certains frais généraux (cadeaux, frais de voyage, frais de réception...) qui ne peuvent être déduits que si le contribuable apporte la preuve qu'ils ont été engagés dans l'intérêt direct de l'entreprise.

Ces dispositions législatives ne couvrent, cependant, qu'un champ restreint au sein de la matière fiscale et la jurisprudence a établi un corps de règles qui s'appliquent subsidiairement et qui sont proches, dans leur esprit, de celles qui gouvernent la preuve en contentieux général. En ce qui concerne, ainsi, les impôts déclaratifs, ces règles reposent sur l'idée que supporte la charge de la preuve celui qui remet en cause la situation issue de la déclaration du contribuable. Tout système déclaratif repose, en effet, sur une certaine présomption de régularité de la déclaration, et celui qui en conteste les conséquences doit combattre cette présomption. Il en découle que la charge de la preuve est intimement liée à la procédure suivie.

1.1.2. Les règles d'origine jurisprudentielle

La jurisprudence a, en particulier, identifié des règles de preuve liées à la nature même de certaines situations ou écritures comptables. La charge y est supportée par celui qui, par la force des choses, est seul en mesure de l'apporter, selon une logique identique à celle qui impose, en contentieux général, à l'administration défenderesse d'établir l'existence et la réalité d'une délégation de signature contestée par le requérant. C'est en vertu de ce raisonnement que le Conseil d'Etat a jugé qu'il incombait au contribuable d'apporter des justifications relatives aux déductions de charges qu'il avait opérées. Dans une décision du 16 avril 1982 (CE, 16 avril 1982, n° 17218 N° Lexbase : A1670ALG : RJF 6/82, n° 531), il indique, ainsi, que "quelle qu'ait été la procédure d'imposition suivie à l'encontre du contribuable, il lui incombe dans tous les cas, en application des dispositions du 2 de l'article 38 [N° Lexbase : L2690HWK] et des 1°, 2° et 5° de l'article 39-1 du CGI [N° Lexbase : L1224HLW] de justifier de la perte de créance alléguée, des amortissements pratiqués, des provisions constituées, de la réalité des dépenses portées en frais généraux".

Il appartient, de même, au contribuable d'établir l'existence d'un déficit reportable (CE, 22 juillet 1977, n° 602 : RJF 10/77, n° 560 ; et CE, 31 octobre 1984, n° 23117 et 35965 N° Lexbase : A6693ALH : RJF 1/85 n° 16). De même, en matière de TVA, le Conseil d'Etat a jugé légale une disposition réglementaire imposant, sans base législative, au contribuable d'apporter la preuve du lieu d'utilisation d'un service, estimant que cette règle de preuve ne faisait que respecter l'ordre naturel des choses, dès lors que le contribuable était seul en mesure de fournir les éléments nécessaires (CE Section, 29 juillet 1994, n° 111884, SA Prodès International N° Lexbase : A1944ASS : RJF 10/94 n° 1048 avec conclusions Arrighi de Casanova, p. 587).

Ajoutons que la jurisprudence, outre qu'elle joue un rôle essentiel dans la dévolution de la charge de la preuve, remplit une fonction tout aussi importante dans la neutralisation de cette charge, en instaurant, parfois, un régime de preuve objective qui est toujours légitimé par le souci de tenir compte de la répartition de l'information entre les contribuables et l'administration. Lorsque l'asymétrie d'information entre l'administration et le contribuable ne s'y oppose pas, le juge peut, alors, privilégier la mise en oeuvre d'un régime de preuve "objective". Ainsi, si la jurisprudence estimait, auparavant, qu'il incombait par nature au contribuable de démontrer qu'il entrait dans le champ d'une exonération dont il réclamait le bénéfice (par exemple, CE, 14 octobre 1987, n° 48185 N° Lexbase : A3905APC : RJF 12/87 n° 1294 ; CE 6 novembre 1995, n° 133912 N° Lexbase : A6526ANZ : RJF 1/96 n° 26), c'est maintenant au vu des résultats de l'instruction que le juge de l'impôt décide si un contribuable doit être exonéré (par exemple, en ce qui concerne les bénéfices industriels et commerciaux : CE, 28 juillet 2000, n° 215312, SA "a2c" N° Lexbase : A7546ATN : RJF 11/00 n° 1237 ; BDCF 11/00 n° 120, conclusions Austry pour les exonérations en faveur des entreprises nouvelles). Le régime de la preuve objective prévaut, également, lorsqu'il s'agit de savoir si une opération entre dans le champ d'un régime d'imposition particulier (CE, 18 mai 1998, n° 159846, SA Yves Saint Laurent N° Lexbase : A7202ASK : RJF 7/98 n° 771 ; BDCF 4/98 n° 68, conclusions Loloum pour l'application du régime des plus-values à long terme) ou dans les prévisions d'une convention fiscale bilatérale (CE, 13 octobre 1999, n° 191191, SA Diebold Courtage N° Lexbase : A3307AXR : RJF 12/99 n° 1492 ; BDCF 12/99 n° 125, conclusions Bachelier). Enfin, c'est encore au vu de l'instruction que le juge de l'impôt apprécie si un contribuable entre dans les prévisions de la doctrine administrative dont il invoque le bénéfice sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L8568AE3) (CE, 30 septembre 1992, n° 75464, SARL Tool France N° Lexbase : A7659AR4 : RJF 11/92 n° 1470 ; BDCF 2/93 p. 3, conclusions Fouquet ; CE 20 octobre 2000, n° 204814, Sté Comelec N° Lexbase : A9594AHS : RJF 1/01 n° 58 ; BDCF 1/01 n° 10, conclusions Mignon ; CE, 26 octobre 2001, n° 217228, SA Darty N° Lexbase : A1838AXD : RJF 1/02 n° 77).

C'est bien dans cette approche réaliste que s'inscrit la décision du 21 mai 2007 en considérant que la production, par une entreprise, d'une facture régulière a pour effet de renverser la charge de la preuve au détriment de l'administration à laquelle il appartient, alors, d'apporter des éléments de nature à contester le caractère déductible de la charge en cause : en effet, le Conseil d'Etat s'appuie, ici, sur le fait que le contribuable n'est pas censé détenir d'autres éléments que la facture émise par son créancier.

1.2. Les règles applicables en matière de déductibilité des charges

1.2.1. Il incombe toujours au contribuable de justifier, dans son principe comme dans son montant, de l'exactitude des écritures de charges portées dans sa comptabilité

Il incombe, dans tous les cas, au contribuable, nonobstant les règles procédurales de dévolution du fardeau de la preuve, de justifier, dans son principe comme dans son montant, de l'exactitude des écritures de charges portées dans sa comptabilité. Cette règle, déduite des dispositions des articles 39-1 et 54 du CGI (N° Lexbase : L1575HLW), est affirmée de façon constante par la jurisprudence. Depuis la décision de Plénière "SA Renfort Service" (CE, 27 juillet 1984, n° 34588 N° Lexbase : A7122ALD : RJF 10/84 n ° 1233 ; GA 4ème éd. n° 52), le Conseil d'Etat juge qu'il appartient, en principe, à l'administration d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer le caractère anormal d'un acte de gestion. Lorsque l'administration s'immisce, ainsi, dans les choix de gestion de l'entreprise, elle combat la présomption que les actes accomplis par celle-ci l'ont été conformément à son intérêt. Elle doit, conformément aux règles jurisprudentielles sus rappelées, démontrer le bien-fondé de ses prétentions. Ce principe s'applique dans le respect des prescriptions législatives et réglementaires qui, dans le contentieux fiscal, gouvernent la charge de la preuve, ce qui signifie que la preuve de l'absence de caractère anormal incombera au contribuable si, par exemple, celui-ci a accepté les redressements (CE, 13 mai 1991, n° 74729, Bodnia N° Lexbase : A8962AQY : RJF 7/91 n° 1006 ; CE, 16 juin 1993, n° 78950, Copag N° Lexbase : A0088ANL : RJF 8-9/93 n° 1195 ; BDCF 5/93 p. 27, conclusions Loloum) ou s'il se trouve en situation de taxation d'office (CE, 8 janvier 1993, n° 87631, Spitaletto N° Lexbase : A7997AM7 : RJF 3/93 n° 319). En revanche, en amont de la question du caractère normal ou anormal de l'acte de gestion en cause, lorsque celui-ci s'est traduit, en comptabilité, par une écriture portant, soit sur des créances de tiers, des amortissements ou des provisions, soit sur des charges de la nature de celles qui sont visées à l'article 39 du CGI, il appartient au contribuable de justifier, dans son principe comme dans son montant, de l'exactitude de l'écriture correspondante. Il s'agit là d'un cas de règle de preuve liée à la nature des écritures en cause. Seul le contribuable est, en effet, en mesure d'apporter cette preuve (CE, 13 mai 1992, n° 71497, Société Nouvelles éditions musicales Caravelle N° Lexbase : A6622ARP : RJF 7/92 n° 948, concl. Ph. Martin ; Dr. fisc. 23/94 c. 1087). Elle constitue un point d'équilibre entre les nécessaires garanties qui doivent être offertes à l'entreprise lorsque l'administration fiscale conteste ses choix de gestion et le souci de ne pas faire peser sur cette même administration la charge d'une preuve négative qu'elle ne pourrait matériellement apporter. Pour autant, il faut souligner que c'est bien à l'administration qu'il incombe de prouver qu'un acte de gestion est étranger à l'intérêt de l'entreprise, même lorsque cet acte de gestion se traduit en comptabilité par une écriture de charge (CE, 8 août 1990, n° 92997, Société Intertrans N° Lexbase : A4781AQ7 : RJF 10/90 n° 1252).

Appelé à préciser la portée de ces principes dans l'arrêt précité du 20 juin 2003, le Conseil d'Etat, statuant en formation de section, a jugé que le contribuable apporte la justification de l'exactitude de son écriture de charge "par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive".

1.2.2. Cette solution, justifiée par les informations dont dispose le contribuable, n'impose pas à celui-ci de produire une preuve exhaustive du caractère déductible des charges en cause

Si la jurisprudence met à la charge du contribuable la preuve de l'existence d'une contrepartie, c'est en application de l'approche réaliste que nous avons évoquée. En effet, des deux parties au litige, seul le contribuable dispose des éléments lui permettant d'apporter cette preuve. Exiger de l'administration qu'elle démontre que les charges dont elle refuse la déduction sont dépourvues de contrepartie reviendrait à faire peser sur celle-ci le fardeau d'une preuve négative, ce à quoi le juge se refuse par principe. L'asymétrie d'information entre les parties s'oppose, de même, à un régime de preuve objective. Il est donc, en quelque sorte, dans la nature des choses que le contribuable supporte cette charge.

Pour autant, le juge de l'impôt ne fait pas peser sur le contribuable une obligation qu'il ne serait pas davantage que l'administration en mesure de satisfaire dès lors qu'il peut s'avérer difficile, pour une entreprise, de réunir, parfois plusieurs années après l'exercice en litige, des éléments permettant de démontrer la réalité d'une prestation reçue d'un tiers. Il faut, en effet, distinguer la question de la dévolution de la charge de la preuve de celle de son administration. En d'autres termes, poser la règle selon laquelle il appartient au contribuable d'établir la réalité de la contrepartie n'équivaut pas à exiger de celui-ci qu'il produise, dès l'abord, une preuve complète et irréfutable de cette réalité. La dévolution initiale de la preuve a pour seul objet de désigner la partie qui devra fournir les premiers éléments de fait du débat. Il lui incombe, pour reprendre les termes de J. Arrighi de Casanova dans ses conclusions sous la décision "SA Prodès International" (précité) "de mettre de son côté la vraisemblance, après quoi il appartient à l'autre partie, selon les mêmes exigences relatives, d'établir le contraire". Celui qui supporte la charge initiale a seulement pour obligation de permettre que la dialectique de la preuve s'engage en avançant des éléments sérieux à l'appui de sa thèse. Il incombe, ensuite, à l'autre partie de contester ces éléments par des critiques suffisamment étayées. L'échange cesse lorsque des arguments vraisemblables de l'une des parties ne sont pas utilement réfutés par l'autre.

Cette solution est, d'ailleurs, cohérente avec les dispositions de l'article 54 du CGI (N° Lexbase : L1575HLW) qui imposent aux contribuables de "représenter à toute réquisition de l'administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans leur déclaration".

2. La production d'une facture régulière suffit à faire naître une présomption de déductibilité de la charge en cause

2.1. Une interprétation souple de la solution retenue dans la décision "Société Etablissements Lebreton"

2.1.1. Une jurisprudence jusqu'alors incertaine

A la suite de la décision "Société Etablissements Lebreton", la question se posait de savoir si le contribuable devait apporter immédiatement devant l'administration tous les éléments justificatifs complémentaires établissant la nature de la charge en cause ainsi que l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en avait retirée. Dans l'affirmative, la décision "Société Etablissements Lebreton" aurait marqué un infléchissement de la jurisprudence traditionnelle relative à la justification des charges déductibles des bénéfices industriels et commerciaux, qui considère que la production d'une facture suffit à faire naître une présomption de l'exactitude de l'écriture de charge dans son principe comme dans son montant, qu'il appartient à l'administration de combattre (voir, par exemple, CE, 15 février 1999, n° 172171, SARL "Le Centre d'Etudes" N° Lexbase : A4784AXH : RJF 4/99 n° 453, concl. G. Bachelier ; BDCF 4/99 n° 44) et cela aurait rendu plus difficile la preuve par le contribuable du caractère déductible de ses charges, notamment lorsqu'elle résulte de prestations de services qui lui sont fournies. Or, c'est cette interprétation stricte de la jurisprudence "Société Etablissements Lebreton" qu'avaient semblé retenir des décisions ultérieures du Conseil d'Etat confirmant des arrêts de cour administrative d'appel ayant jugé non déductibles des charges pour lesquelles le contribuable avait produit des factures ou notes d'honoraires mais n'avait fourni aucune pièce suffisamment précise pour attester de la réalité de la livraison de la marchandise ou de la fourniture de la prestation de services (CE 17 décembre 2003, n° 245150, Société Hôtelière Guyanaise N° Lexbase : A4243DXG : RJF 3/04 n° 304, concl. G. Bachelier BDCF 3/04 n° 42 : les dispositions de l'article 54 du CGI qui font obligation aux entreprises industrielles et commerciales relevant du régime du bénéfice réel de représenter à toute réquisition de l'administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres et autres pièces de nature à justifier l'exactitude des résultats déclarés ne font pas obstacle à l'application des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge, applicables sauf texte législatif contraire, selon lesquelles il incombe dans tous les cas au contribuable, quelle que soit la procédure d'imposition suivie à son encontre, de justifier dans leur principe et dans leur montant les charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du CGI N° Lexbase : L2690HWK). Ainsi, une cour administrative d'appel peut, sans méconnaître les dispositions de l'article 54 du CGI, demander à une société de produire tous éléments suffisamment précis portant, notamment, sur l'existence de la contrepartie qu'elle a retirée des sommes contractuellement versées à une autre société.

2.1.2. L'administration de la preuve, devant le juge, du caractère déductible d'une charge comprend trois temps

La décision du 21 mai 2007 clarifie la situation, au regard des règles de preuve, des contribuables qui justifient du caractère déductible d'une charge par une facture, en excluant en la matière une interprétation stricte de la jurisprudence "Société Etablissements Lebreton". Elle réintroduit ainsi, dans le cas des factures, le schéma ternaire traditionnel d'administration de la preuve :

1) preuve initiale par le contribuable du caractère déductible de la charge au moyen d'une facture ;
2) critique de la facture et de son contexte par l'administration ;
3) réponse du contribuable assortie le cas échéant de justifications supplémentaires.

Lorsque l'administration contestera le caractère justificatif de la facture produite, le juge devra apprécier la valeur des explications qui lui seront respectivement fournies par le contribuable et par l'administration. Le Conseil d'Etat indique, à cet égard, que la production devant le juge d'une facture suffisamment précise, même non assortie de justifications supplémentaires, peut, dans un contexte qui rend vraisemblable la contrepartie, suffire au contribuable pour apporter la preuve de la déductibilité de la charge, si de son côté l'administration ne fournit pas d'éléments suffisants pour combattre la présomption qui s'attache à la facture. Tel était le cas en l'espèce. En effet, étaient en cause des commissions versées par une entreprise de travaux publics à des bureaux d'études, contrôlés par un parti politique, en rémunération de leur rôle d'intermédiaire pour l'obtention de marchés publics. Dès lors que le caractère indispensable de l'intervention de ces bureaux ne faisait pas de doute, le Conseil d'Etat a admis la déductibilité de ces versements en se fondant sur les seules factures produites par l'entreprise, sans exiger de celle-ci la production de pièces susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations, alors même que cette production était demandée par l'administration.

2.2. Une solution conforme à l'esprit pragmatique de la jurisprudence et de nature à renforcer la position du juge de l'impôt

2.2.1. Une solution conforme à l'esprit pragmatique de la jurisprudence

Dans ses conclusions sous l'arrêt "Société des Etablissements Lebreton", P. Collin estimait déjà que dans le cas d'achats de produits ou de prestations de services, la production de la facture, qui doit obligatoirement être délivrée à l'acquéreur en vertu de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence (N° Lexbase : L8307AGR), suffisait ainsi à "faire naître une présomption de réalité de la prestation". Il faut, en effet, rappeler que, selon la jurisprudence, il incombe alors à l'administration, si elle entend refuser la déduction, d'établir que la marchandise ou la prestation de services facturée n'a pas été réellement livrée ou exécutée (CE, 26 juillet 1991, n° 80981, Malguy-Levage N° Lexbase : A9587AQ7 : RJF 10/91, n° 1280 ; CE, 18 septembre 1998, n° 149341, SARL Diva N° Lexbase : A8147ASK : RJF 11/98 n° 1330).

La décision du 21 mai 2007 s'inscrit parfaitement dans ce cadre et plus généralement dans l'approche pragmatique retenue par le Conseil d'Etat puisque, selon sa jurisprudence, en l'absence de facture, les éléments de preuve initiaux peuvent être apportés par tous moyens, notamment, par la production de contrats, voire de correspondances (CE, 11 janvier 1993, n° 77875, SARL Sepemep N° Lexbase : A8007AMI : RJF 3/93 n° 420). De même, la jurisprudence relative aux commissions versées à l'exportation, qui donnent rarement lieu à établissement de factures en bonne et due forme, illustre aussi le pragmatisme de la Haute Assemblée. La preuve peut être apportée par le contribuable, soit par la production de conventions ou accords liant l'obtention de commandes ou de marchés au versement de commissions (CE, 18 décembre 1989, n° 88505, Société Rockwell-Collins France N° Lexbase : A1557AQQ : RJF 3/90 n° 114, concl. O. Fouquet ; Dr. fisc. 25-26/90 c. 1230 ; CE, 21 janvier 1991, n° 72827, Société Motte et Porisse N° Lexbase : A9195AQM : RJF 3/91 n° 259, concl. Ph. Martin ; Dr. fisc. 48-49/92 c. 2257), soit par les résultats apparents de l'intervention du bénéficiaire de la commission (CE, 30 octobre 1991, n° 80247, SA Hamon N° Lexbase : A0899AI7 : RJF 12/91 n° 1490), en l'absence même de toute pièce émanant de la société cliente établissant le rôle joué par l'intermédiaire (CE, 3 novembre 1989, n° 60836, SA Era N° Lexbase : A1490AQA : RJF 1/90 n° 65). S'agissant, enfin, comme dans le cas de la SARL Lebreton, de sommes correspondant à la rémunération de services rendus par une société mère à l'une de ses filiales, il appartient à la filiale, à défaut de factures, de présenter tous éléments et documents propres à établir la nature et l'importance des services reçus de la société mère (CE, 27 juin 2001, n° 193003, SA Marignan publicité N° Lexbase : A8518B8Y : RJF 10/01 n° 1287).

2.2.2. Une solution de nature à renforcer la position du juge de l'impôt

En considérant que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, le Conseil d'Etat a rappelé à l'administration fiscale qu'elle ne pouvait se borner à opposer au juge de l'impôt le comportement du contribuable vis-à-vis d'elle. En d'autres termes, l'administration ne peut se prévaloir devant le juge de l'absence de coopération du contribuable pour s'exonérer de la charge de prouver le caractère non déductible de cette dépense. C'est pourquoi la décision du 21 mai 2007 illustre parfaitement la position centrale et supérieure du juge de l'impôt par rapport aux parties, le juge de l'impôt devant "apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration".

En effet, si, pour reprendre les trois temps du processus d'administration de la preuve que nous avons indiqués, les deux premiers temps se rapportent aux rapports entre les parties (production d'une facture par le contribuable auprès de l'administration ; demande d'explication présentée par l'administration au contribuable), le troisième et dernier temps fait intervenir le juge de l'impôt et marque finalement le point de départ d'un nouveau débat, de sorte que la partie contestant la déductibilité de la charge (c'est-à-dire l'administration), plutôt que de s'adresser à l'autre partie pour lui demander de justifier du caractère déductible de la charge en cause, doit désormais se tourner vers le juge pour lui apporter des éléments tendant à prouver le caractère non déductible de cette charge. Or, en opposant au juge l'absence de réponse du contribuable à sa demande d'explication, l'administration omet, tout simplement, de s'adresser au juge pour le convaincre de sa bonne foi.

La décision du 21 mai 2007 rappelle, ainsi, à l'administration que le contentieux fiscal est un plein contentieux qui amène le juge à se prononcer à partir des éléments qui lui sont fournis par chacune des parties et non au vu des rapports ayant existé entre ces parties antérieurement à sa saisine.

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Hasards du calendrier : aux fiscalistes, qui accusaient la mort de Maurice Aicardi, en mars dernier, et qui s'apprêtaient à fêter les 20 ans de la loi du 8 juillet 1987, adoptée sur le rapport du Haut fonctionnaire, sur l'amélioration des droits et garanties du contribuable, le juge de l'impôt vient d'apporter une précieuse contribution en faveur de l'égalité des armes dans le règlement des litiges fiscaux.

Effet, par une décision en date du 21 mai 2007, le Conseil d'Etat a précisé les obligations qui pèsent sur les entreprises en ce qui concerne la justification de l'exactitude de leurs écritures de charges. Les charges justifiées par des factures sont présumées déductibles. Le juge doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration. Ce faisant, comme nous l'explique, cette semaine, Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.), la Haute Assemblée a adopté une interprétation souple de la solution retenue par un précédent arrêt de section du 20 juin 2003, puisque dans le cas où le contribuable justifie du caractère déductible d'une charge par une facture, il n'a pas à apporter immédiatement devant l'administration tous les éléments justificatifs complémentaires établissant la nature de la charge en cause, ainsi que l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. En effet, il n'aura à apporter ces éléments devant le juge que si l'administration a contesté le caractère déductible de la charge en cause. La décision du 21 mai 2007 constitue, ainsi, une solution favorable aux contribuables qui consacre, en outre, le rôle essentiel du juge de l'impôt dans la détermination et la mise en oeuvre de la dialectique de la charge de la preuve entre ceux-ci et l'administration fiscale. La semaine prochaine, nous vous proposerons de lire le point de vue de l'avocat-fiscaliste, à travers les observations de Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Nanterre, Landwell et Associés.

Aussi, 20 ans après la loi "Aicardi", qui a incontestablement marqué une étape charnière dans la législation du contrôle fiscal, en octroyant aux contribuables nombre de droits et garanties dont le non-respect par l'administration peut aboutir à l'annulation de la procédure de contrôle, cette jurisprudence est la bienvenue. Au nom du réalisme fiscal, elle confie au juge le soin de déterminer dans quelle mesure la charge de la preuve peut être dévolue, non pas classiquement et seulement à celui qui affirme une assertion donnée, mais selon la facilité avec laquelle il est possible de prouver ou non une affirmation (adieu charge et renversement de la charge de la preuve en matière fiscale !). Elle s'intègre parfaitement dans la dynamique insufflée par la loi de 1987, suivie dernièrement par le rapport d'information sur les relations entre l'administration fiscale et les contribuables (M. Jean-Yves Cousin) de 2003, la loi de simplification du droit de 2004, et la jurisprudence du Conseil d'Etat, en faveur d'une amélioration des rapports entre contribuables et administration fiscale.

Car, chacun sait que toute contestation du principe de l'impôt entraîne, de facto, une tension fortement palpable dans les relations entre contribuables et administration fiscale. Une tension que seul le juge peut, au final, réduire en rééquilibrant la contrariété de la prérogative de puissance publique face à la présomption favorable au contribuable inhérente au système déclaratif. N'oublions pas que l'administration tire sa mission de recouvrir l'impôt dans les meilleurs conditions et délais, de l'article 13 de la DDHC (pierre angulaire du Contrat social) ; alors que l'instauration d'un système d'imposition déclaratif sous-tend une présomption de véracité des éléments ainsi déclarés et une confiance accordée au contribuable. La recherche de l'équilibre en matière de charge et d'administration de la preuve est donc de prime importance pour ne pas tomber dans un climat de suspicion kafkaïen, en attendant une relation contribuable-administration capable de dépasser l'absurdité de la confrontation si décriée par Courteline.

newsid:289399

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La notion de sanction pécuniaire prohibée

Réf. : Cass. soc., 4 juillet 2007, n° 06-40.158, Société UPC France, F-D (N° Lexbase : A0949DXG)

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N9280BBC

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Pour être solidement ancrée dans notre droit positif, l'interdiction des sanctions pécuniaires n'est pas toujours aisée à mettre en oeuvre. Cela tient, d'abord et avant tout, à l'absence de toute définition légale ou jurisprudentielle de ce type de sanctions. Cette carence fait naître des difficultés dans un certain nombre de cas et, notamment, lorsque la mesure qui affecte la rémunération du salarié trouve sa source dans une stipulation du contrat de travail. L'employeur aura alors tendance à soutenir que la mesure litigieuse n'a rien à voir avec son pouvoir disciplinaire et ne constitue que la mise en oeuvre d'une clause contractuelle. La Cour de cassation s'emploie, de longue date, à déjouer de telles stratégies, dont un arrêt rendu le 4 juillet dernier offre une intéressante illustration, en invitant, également, à revenir sur le caractère exact de la cause du licenciement invoquée par l'employeur.

Résumé

Après avoir relevé que la clause de malus, portée à l'article 3 du contrat de rémunération variable annexé au contrat de travail, prévoyait que "dans l'hypothèse où le taux d'annulation enregistrée sur le mois M est supérieur à 5 % des contrats signés sur le même mois, les commissions totales du mois M sont diminuées du même taux plafonné à 10 %", la cour d'appel, qui a fait ressortir que les déductions opérées en application de cette clause, en cas d'annulation des ventes, avaient pour effet de priver le salarié d'une partie des commissions qui lui étaient dues sur les contrats effectivement réalisés, a pu en déduire qu'elle constituait une sanction pécuniaire illicite.

1. L'interdiction des sanctions pécuniaires

  • L'absence de définition légale des sanctions pécuniaires

Si le législateur interdit formellement les sanctions pécuniaires (C. trav., art. L. 122-42 N° Lexbase : L5580ACN), il ne donne aucune précision quant au fait de savoir ce qu'il convient d'entendre par "sanction pécuniaire". Cette regrettable carence légale suscite des difficultés dans deux types de situations (1).

Tout d'abord, il convient de distinguer selon que les sanctions infligées par l'employeur entraînent des conséquences pécuniaires directes ou indirectes pour le salarié. Ainsi que l'indiquent des auteurs autorisés, "si le salarié continue à fournir la même prestation de travail, la diminution de salaire décidée en réaction à sa faute est une conséquence directe de celle-ci et constitue une sanction pécuniaire [...]. Mais lorsque la faute est sanctionnée par une mesure qui affecte l'obligation de travailler ou modifie la nature du travail à effectuer, la perte pécuniaire ne résulte qu'indirectement de la faute commise par le salarié et il n'y a donc pas sanction pécuniaire" (2).

Ensuite, se pose la question de ce que l'on qualifie communément de sanctions pécuniaires "déguisées". Pour aller à l'essentiel, il s'agit là des situations dans lesquelles l'employeur arrête une mesure entraînant une diminution de la rémunération du salarié, mais en arguant que celui-ci n'ayant pas commis de faute, la mesure en cause ne peut être qualifiée de "sanction" et, a fortiori de "sanction pécuniaire".

  • Les sanctions pécuniaires déguisées

La notion de sanction pécuniaire déguisée constitue, dans nombre de cas, l'illustration de la difficulté à déterminer la place qu'il convient d'accorder au contractuel et au disciplinaire dans la relation de travail (3). Une telle problématique était, précisément, au coeur de l'arrêt rapporté.

En l'espèce, le contrat de rémunération variable annexé au contrat de travail du salarié renfermait une clause stipulant que "dans l'hypothèse où le taux d'annulation enregistrée sur le mois M est supérieur à 5 % des contrats signés sur le même mois, les commissions totales du mois M sont diminuées du même taux plafonné à 10 %". L'employeur reprochait à la cour d'appel, saisie du litige, d'avoir considéré que cette clause constituait une sanction pécuniaire illicite alors qu'elle n'était, en réalité, qu'une modalité de calcul de la rémunération variable du salarié. En d'autres termes, et de manière classique, l'employeur soutenait que les déductions sur salaire, opérées en application de la stipulation litigieuse, procédaient, non pas de l'exercice de son pouvoir disciplinaire, mais du respect des prévisions du contrat. Cette argumentation est, une nouvelle fois, écartée par la Cour de cassation qui approuve les juges d'appel d'avoir considéré que la clause en question constituait une sanction pécuniaire illicite, après avoir fait ressortir que les déductions opérées en application de cette clause, en cas d'annulation des ventes, avaient pour effet de priver le salarié d'une partie des commissions qui lui étaient dues sur des contrats effectivement réalisés (4).

Cette solution peut, de prime abord et d'un point de vue strictement juridique, prêter le flanc à la critique. En effet, qualifier la mesure prise par l'employeur de sanction disciplinaire revient à considérer qu'en amont, le salarié a commis une faute. A s'en tenir aux faits de l'espèce, il est difficile d'affirmer que le salarié avait eu un comportement fautif. Rappelons que les déductions opérées sur sa rémunération étaient la conséquence de l'annulation d'un certain nombre de contrats de vente par les clients de l'entreprise. Or, et a priori, ces annulations paraissaient étrangères à tout comportement fautif du salarié. Par suite, le salarié n'ayant pas commis de faute, il est difficile d'affirmer que la mesure prise par l'employeur est constitutive d'une sanction.

Un tel raisonnement s'avère, cependant, par trop simpliste. Ainsi que le souligne à très juste titre un auteur, "ce n'est pas parce que l'employeur n'invoque pas expressément une faute du salarié ou parce que le salarié n'a effectivement commis aucune faute que l'employeur ne traite pas le comportement du salarié comme une faute" (J. Pélissier, La définition des sanctions disciplinaires, Dr. soc. 1983, p. 550). Cette affirmation s'avère, en outre, conforme aux prescriptions de l'article L. 122-40 du Code du travail (N° Lexbase : L5578ACL) qui dispose que "constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif [...]" (5). Cela étant, et à supposer que l'on puisse considérer que le comportement du salarié avait été considéré comme fautif par l'employeur, il aurait été souhaitable que la question soit abordée par les juges.

Si la motivation adoptée laisse quelque peu à désirer, le résultat auquel on parvient est, quant à lui, à approuver pleinement. Peut-être une autre voie aurait-elle, cependant, pu être empruntée pour y parvenir. En effet, la clause litigieuse revenait peu ou prou à faire peser sur le salarié les risques de l'entreprise, ce qui conférait à son objet un caractère illicite impliquant sa nullité (6).

2. La cause exacte du licenciement

  • Principe

Pour être valable au fond, tout licenciement doit être justifié, faut-il le rappeler, par une cause réelle et sérieuse. S'agissant du caractère réel de la cause, qui seul nous intéressera ici, il renvoie à trois caractéristiques : la cause doit être objective, existante et exacte (7).

En l'espèce, pour contester la validité de son licenciement, le salarié s'était fondé sur l'absence de ce dernier caractère. En effet, alors que la lettre de notification indiquait que la rupture trouvait sa cause dans les perturbations résultant pour l'entreprise de ses absences répétées pour maladie et de l'obligation de pourvoir à son remplacement définitif, le salarié soutenait que la véritable cause de son licenciement était économique.

Pour accueillir cette argumentation, les juges d'appel avaient retenu que le licenciement, prononcé rapidement après le refus par certains salariés de l'entreprise d'une proposition de modification de leur contrat de travail, était intervenu dans un contexte de difficultés économiques persistantes ayant conduit l'employeur, qui reconnaissait lui-même que les arrêts maladies répétés des "VAD" avaient pesé lourdement dans les résultats de l'entreprise, à la mise en place d'une nouvelle politique économique.

  • Solution

Visant les articles L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) et L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) du Code du travail, la Cour de cassation censure la décision des juges, soulignant "qu'en statuant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'une cause de licenciement autre que celle visée dans la lettre de licenciement, alors qu'il résultait de ses constatations que les absences répétées pour maladie du salarié, invoquée par l'employeur, étaient avérées, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Cette solution, parfaitement équilibrée, doit être approuvée. Dans ce type de contentieux, le point de départ du raisonnement judiciaire est nécessairement la lettre de notification, dont on sait qu'elle fixe les limites du litige. En l'espèce, celle-ci faisait référence aux absences répétées du salarié perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise et exigeant le remplacement définitif du salarié. Les juges auraient, dès lors, dû vérifier, dans un premier temps, la véracité de ce motif (8), pour ensuite se demander, dans un second temps, s'il ne dissimulait pas une autre cause de licenciement. Cela aurait parfaitement pu les conduire à constater que les absences répétées étaient avérées, mais ne constituaient pas la cause exacte du licenciement. Il aurait, toutefois, été nécessaire pour cela d'adopter une toute autre motivation que celle que la Cour de cassation vient en l'espèce censurer à très juste titre (9).


(1) Pour plus de précisions sur cette question, v. J. Pélissier, La définition des sanctions disciplinaires, Dr. soc. 1983, p. 545.
(2) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 896.
(3) V. en ce sens, A. Mazeaud, obs. ss. Cass. soc., 12 décembre 2000, n° 98-44.760, M. Portanguen c/ Société Cecorev, publié (N° Lexbase : A1160AIS) ; Dr. soc. 2001, p. 196.
(4) V., pour une situation similaire, Cass. soc., 19 novembre 1997, n° 95-44.309, Société Ciapem c/ M. Metral et autres, publié (N° Lexbase : A2144ACE) ; Dr. soc. 1998, p. 196, obs. C. Marraud.
(5) Souligné par nous.
(6) Au-delà, l'employeur aurait, sans doute, pu éviter tout désagrément en rédigeant plus soigneusement la clause et en stipulant, par exemple, que les primes ne seraient versées qu'à partir du moment où les commandes passées par les clients ne seraient plus susceptibles d'être annulées.
(7) V. sur ces notions, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, 23ème éd., 2006, §§ 429 et s..
(8) Démarche logique eu égard au fait que si ce motif n'existe pas ou n'est pas objectif, le licenciement est, de ce seul fait, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
(9) Cet arrêt témoigne ainsi, à notre sens, de toute la difficulté à faire sanctionner un licenciement sur le fondement de l'inexactitude de la cause dès lors que celle qui est alléguée est, par définition, avérée.
Décision

Cass. soc., 4 juillet 2007, n° 06-40.158, Société UPC France, F-D (N° Lexbase : A0949DXG)

Cassation partielle (CA Paris, 2ème ch., sect. C, 10 novembre 2005, n° 04/33069, SA UPC France c/ M. Leng Ly N° Lexbase : A2833DMU)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) ; C. trav., art. L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K).

Mots-clefs : sanction pécuniaire ; définition ; licenciement ; cause réelle et sérieuse ; cause exacte.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La nullité de l'accord collectif excluant du temps de travail effectif les périodes de formation visant à l'adaptation du salarié à son emploi

Réf. : Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-11.164, Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), FS-P+B+R (N° Lexbase : A2966DX7)

Lecture: 8 min

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Si le droit de la formation professionnelle a beaucoup évolué ces dernières années, il n'en demeure pas moins que certains litiges, s'élevant sous l'empire de la loi ancienne, posent encore, aujourd'hui, des difficultés importantes à résoudre pour les juges. Ainsi en va-t-il de la question de la qualification du temps passé en formation par le salarié. C'est sur ce problème que la Chambre sociale devait prendre position par un arrêt rendu le 11 juillet 2007. Si la loi accorde bien une faculté aux partenaires sociaux d'exclure certaines périodes de formation de la qualification de temps de travail effectif (1), la Cour de cassation n'entend pas laisser ce pouvoir aller au-delà des limites posées, même de façon imprécise, par le législateur (2).


Résumé

Les actions de prévention et les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances, telles qu'envisagées par l'article L. 900-2 du Code du travail (N° Lexbase : L4254HWH), tendent à favoriser ou à permettre l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois au sens de l'article L. 932-2 du même Code (N° Lexbase : L6946ACA). Le temps consacré à ces formations constitue, en conséquence, du temps de travail effectif, si bien que les dispositions d'un accord collectif plaçant ces périodes de formation hors du temps de travail sont nulles.

1. La faculté accordée à l'accord collectif d'exclure des périodes de formation du temps de travail effectif

  • Une faculté conditionnée au type de formation dispensé

L'article L. 900-2 du Code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, prévoyait six types différents d'actions de formation entrant dans le champ de la formation professionnelle continue. Parmi ces actions, on trouvait, notamment, au 4°, les actions de prévention ayant "pour objet de réduire les risques d'inadaptation de qualification à l'évolution des techniques et des structures des entreprises, en préparant les travailleurs dont l'emploi est menacé à une mutation d'activité" et, au 6°, les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances ayant pour objet "d'offrir aux travailleurs, dans le cadre de l'éducation permanente, les moyens d'accéder à la culture, de maintenir ou de parfaire leur qualification et leur niveau culturel ainsi que d'assumer des responsabilités accrues dans la vie associative".

Malheureusement, les distinctions entre les différentes actions n'avaient pas été reprises par l'article L. 932-2 du Code du travail lorsqu'il s'était agi de déterminer dans quel cas un accord collectif de branche ou d'entreprise pouvait exclure ces périodes de formation du décompte du temps de travail effectif du salarié. Si l'imprécision du législateur a, depuis, été en partie refoulée, elle pose, encore aujourd'hui, quelques difficultés lorsque les juges doivent s'interroger sur la licéité d'accords conclus sous l'empire de la loi ancienne (1).

C'était, en l'espèce, le cas puisque la CGT avait contesté la licéité de l'accord national du 28 juillet 1998, sur l'organisation du travail dans la métallurgie , modifié par avenant du 29 janvier 2000, conclu avant l'entrée en application de la loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (loi n° 2004-391 N° Lexbase : L1877DY8).

  • Une faculté liée au but de l'action de formation

L'article L. 932-2 du Code du travail distinguait, alors, entre deux sortes de finalités que pouvait recouvrir la formation professionnelle continue des salariés. Ainsi, selon l'alinéa 1er de ce texte, le temps nécessaire à toute action de formation, destinée à permettre à l'employeur d'assumer son obligation d'assurer l'adaptation de ses salariés à l'évolution de leurs emplois, constituait nécessairement un temps de travail effectif.

En revanche, dans l'hypothèse d'actions de formation ayant pour finalité de permettre aux salariés le développement de leurs compétences, les partenaires sociaux, au niveau de la branche ou de l'entreprise, avaient la possibilité d'exclure ce temps de formation du temps de travail effectif, à la condition, toutefois, que ces formations "soient utilisables à l'initiative du salarié et reçoivent son accord écrit".

Le pouvoir de dérogation à la règle selon laquelle le temps destiné à la formation professionnelle doit être qualifié de temps de travail effectif, plusieurs fois réitérée par la jurisprudence, ne dépendait donc pas du type d'action de formation, mais bien des finalités conférées à celles-ci (2). Une telle dérogation comporte des conséquences importantes pour le bénéficiaire des actions de formation.

  • Une faculté aux conséquences significatives

La qualification de temps de travail effectif de la période consacrée à la formation professionnelle comporte, pour le salarié, des conséquences loin d'être négligeables.

En effet, lorsque les partenaires sociaux ne sont pas en mesure d'exclure le temps de formation du temps de travail effectif, le salarié bénéficie de deux effets favorables de cette restriction. Tout d'abord, le temps consacré à la formation lui sera intégralement rémunéré comme s'il n'avait pas quitté son poste de travail pour suivre son stage de formation. L'incidence sur la rémunération est la conséquence principale de l'assimilation de la formation à du temps de travail effectif. A défaut, le salarié sera considéré comme poursuivant sa formation durant son temps de repos et ne percevra, en conséquence, aucune rémunération. La situation de ces salariés bénéficiant de formations en dehors du temps de travail était, d'ailleurs, bien moins favorable au moment de la conclusion de l'accord litigieux qu'aujourd'hui, puisque l'article L. 932-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097HIK) prévoit, désormais, que les heures de formation en dehors du temps de travail donnent lieu au versement, par l'entreprise, d'une allocation de formation dont le montant s'élève à 50 % de la rémunération nette de référence du salarié concerné. Auparavant, seules les dispositions convenues par les partenaires sociaux dans l'accord pouvaient permettre d'indemniser le salarié. A titre d'exemple, relevons, ainsi, que l'accord litigieux du 28 juillet 1998 ne prévoyait que le versement du salaire de référence au salarié concerné lorsque la durée de la formation excédait 50 heures par an, ou 10 jours par an, dans le cas d'un salarié soumis à une convention de forfait en jours.

A côté de cette influence exercée sur la rémunération, cette qualification a, également, des conséquences sur le temps consacré par le salarié à sa profession. Si le temps de formation constitue du travail effectif, le temps global consacré par le salarié à son emploi n'est pas modifié, la formation se substituant au temps destiné à effectuer la prestation de travail. Au contraire, si la formation se déroule durant les temps de repos, le salarié devra cumuler son temps de travail effectif avec les heures nécessaires au suivi des enseignements dispensés. S'il ne s'agit pas de temps de travail effectif, on peut, néanmoins, envisager une qualification neutre de temps professionnel puisque l'on ne peut pas sérieusement considérer que le fait de suivre une formation soit constitutif d'un repos ou d'un loisir.

Face à ces conséquences majeures pour le salarié, la Chambre sociale de la Cour de cassation se devait d'apporter des clarifications et de poser plus nettement les limites dans lesquelles les partenaires sociaux peuvent intervenir.

2. Les limites du pouvoir de l'accord collectif d'exclure des périodes de formation du temps de travail effectif

  • L'exclusion des actions de prévention et des actions d'acquisition, d'entretien et de perfectionnement des connaissances du champ de la dérogation

Etaient en cause, dans la convention litigieuse, deux types d'actions de formation. Tout d'abord, des actions de prévention, ayant pour principal objet de réduire le risque d'inadaptation de la qualification du salarié à l'évolution des techniques et des structures de l'entreprise. Ensuite, des actions de formation portant sur l'acquisition, l'entretien ou le perfectionnement des connaissances des salariés. L'accord de branche avait rangé ces deux types d'action dans le cadre d'actions de formation "ayant pour objet le développement des compétences du salarié" afin de pouvoir bénéficier de la dérogation ouverte par l'alinéa 2 de l'article L. 932-2 du Code du travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation décide de rejeter le pourvoi, confirmant ainsi la position des juges du fond qui avaient estimé que le classement de ces différentes actions de formation dans la catégorie de celles destinées à promouvoir les compétences du salarié n'était pas respectueux de la combinaison entre les articles L. 900-2 et L. 932-2 du Code du travail.

  • Les difficultés de fixation des limites au champ de la négociation collective : un problème de définition

La grande difficulté induite des textes relatifs à la formation professionnelle provient de ce que le législateur a utilisé deux classifications différentes, d'une part, pour établir les types d'actions de formation et, d'autre part, pour délimiter le champ dans lequel les partenaires sociaux peuvent intervenir aux fins d'exclure le temps de formation du temps de travail effectif.

Fallait-il considérer que ces actions de prévention et ces actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances des salariés avaient pour seul objet le développement de leurs compétences ou, au contraire, fallait-il estimer qu'il s'agissait-là de mesures destinées à assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois ? Si la réponse à cette question est, de prime abord, peu évidente, c'est principalement parce que le législateur n'a donné aucune définition de ce qu'il entendait par ces différentes finalités. L'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois peut, en réalité, être envisagée sous deux angles différents.

Stricto sensu, il ne faudrait y voir que les actions de formation destinées à permettre au salarié de conserver son emploi malgré l'évolution de celui-ci. Si le cas des actions de prévention semblent entrer dans cette hypothèse, ne serait-ce que parce que l'article L. 900-2 les définit comme des moyens de lutter contre tout risque d'inadaptation du salarié, les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances des salariés cadrent moins bien avec cet objectif. En effet, "l'éducation permanente", "les moyens d'accéder à la culture" ou "d'assumer des responsabilités accrues dans la vie associative" semblent répondre bien moins à une faculté d'adaptation du salarié à l'évolution de l'entreprise qu'à son propre enrichissement personnel.

Cependant, le 6° de l'article L. 900-2 évoque, dans le cadre de ces actions, le maintien ou la perfection par les salariés de "leurs qualifications". De retour sur un terrain plus strictement professionnel, ces quelques mots peuvent justifier, à eux seuls, le classement de ces actions dans le cadre de celles visant à permettre l'adaptation du salarié.

Lato sensu, on pourrait considérer que toute formation, quelle qu'en soit la nature, même destinée à apporter une meilleure culture au salarié, puisse être utile au salarié en vue de s'adapter aux changements de son poste de travail. S'ouvrir à de nouveaux horizons, même s'il n'existe pas de lien au fond avec son emploi, n'est-il pas la marque d'une volonté et, surtout, d'une capacité d'adaptation du salarié ?

Le code ne donne pas, non plus, de définition de ce qu'il faut entendre par les actions destinées au développement des compétences du salarié. Là encore, l'acquisition de connaissances envisagée par le 6° de l'article L. 900-2 du Code du travail paraît mieux correspondre à cet objectif, encore qu'il faille demeurer très réservé à l'égard du maintien ou du perfectionnement des qualifications du salarié car, à dire vrai, cet objectif peut très bien correspondre à l'une comme à l'autre des finalités attribuées à la formation professionnelle.

  • Le reflet des ambiguïtés législatives

La solution apportée par la Chambre sociale semble donc, finalement, assez rationnelle.

La décision est logique lorsqu'il s'agit de considérer que les actions de prévention s'inscrivent bien dans l'objectif de permettre au salarié de s'adapter à des évolutions futures de son emploi. Elle est, peut-être, un peu moins cohérente lorsqu'il s'agit de classer les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances des salariés dans cette même catégorie de formations destinées à faciliter cette adaptation. Pour autant, elle reste fidèle au texte qui entretient l'ambiguïté, laissant à penser que ce type de formations puisse appartenir tant à l'une qu'à l'autre des deux catégories.

La Cour de cassation laisse donc le législateur seul face à ses responsabilités, le Livre IX du Code du travail relatif à la formation professionnelle faisant figure de jungle législative dans laquelle il est finalement bien difficile de ne pas se perdre.


(1) L'actuel article L. 932-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097HIK) met en place une distinction plus claire entre, tout d'abord, les actions visant à assurer l'adaptation du salarié à son poste de travail, ensuite celles ayant pour objet l'évolution des emplois ou le maintien du salarié dans l'emploi et, enfin, celles ayant pour objet le développement des compétences du salarié. Néanmoins, l'allongement sensible des différentes actions de formation possible dans l'article L. 900-2 du Code du travail (N° Lexbase : L4254HWH) amenuise cet effort de classification.
(2) La Chambre sociale de la Cour de cassation, comme les juges du fond, estiment que, par principe, le temps consacré à la formation professionnelle constitue du temps de travail effectif. V. Cass. soc., 6 mai 1997, n° 93-41.581, Mme Dominique Kurtkowiak c/ Centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptées (CREAI) (N° Lexbase : A8611AGZ) ; TGI Paris, 28 septembre 1999, Fédération française des syndicats Banques Sociétés financières c/ AFB et autre, RJS 11/99, n° 1381, p. 846.
Décision

Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-11.164, Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), FS-P+B+R (N° Lexbase : A2966DX7)

Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 24 novembre 2005, n° 03/17320, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT c/ Union des industries métallurgiques et minières N° Lexbase : A4596DPW)

Textes visés, cités ou concernés : C. trav., art. L. 900-2 (N° Lexbase : L0880DCL) et C. trav., art. L. 932-2 (N° Lexbase : L6946ACA), dans leur rédaction en vigueur au moment des faits. Accord national du 28 juillet 1998, sur l'organisation du travail dans la métallurgie modifié par avenant du 29 janvier 2000

Mots-clés : accord collectif ; formation professionnelle ; adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois ; temps de travail effectif.

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Droit financier

[Textes] Transposition de la Directive concernant les marchés d'instruments financiers et la réforme du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : les marchés réglementés

Réf. : Arrêté du 15 mai 2007, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, NOR : ECOT0754410A (N° Lexbase : L5738HXS)

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N9314BBL

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

Troisième partie de l'analyse de la transposition de la Directive "MIF" (Directive 2004/39, du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L2056DYS), ce volet traite de la modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (RG), qui constitue le pendant réglementaire de l'ordonnance du 12 avril 2007 (ordonnance n° 2007-544, du 12 avril 2007, relative aux marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L9551HUB), récemment analysée dans ces colonnes (lire J.-B. Lenhof, L'ordonnance du 12 avril 2007 : nouvelle articulation des marchés financiers, Lexbase Hebdo n° 259 du 10 mai 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N0514BBN et L'ordonnance du 12 avril 2007 : les acteurs des marchés, Lexbase Hebdo n° 264 du 14 juin 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N3878BBA). Le nouveau règlement général, qui se présente ici sous une forme particulièrement achevée à défaut d'être définitive, s'enrichit de nombreuses dispositions, en même temps que disparaissent, peu a peu, les règles héritées de l'ancienne organisation boursière. En tout état de cause, il laisse à ses destinataires une période -semble-t-il suffisante- d'adaptation puisque, après avoir été approuvé par l'arrêté du 15 mai 2007, il n'entrera en vigueur que le 1er novembre de la même année. Ainsi, c'est sur le RG que reposent, matériellement, les aspects les plus pratiques de la transposition de la Directive. S'agissant, toutefois, de l'articulation entre le règlement et les textes de valeur normative qui le surplombent, le respect des sujétions communautaires a imposé une redistribution des compétences réglementaires, dont l'articulation est assez complexe. Devant l'ampleur du nouveau règlement général, nous ne saurions que détailler les modifications qui vont affecter, dans cette troisième partie, les marchés réglementés.

Au risque, de la sorte, de ne pas suivre la chronologie du règlement, nous examinerons, en premier lieu, l'impact qu'emportent sur le RG les nouveaux concepts de la Directive "MIF" (I), puis, en second lieu, la façon dont les dispositifs existants ont été aménagés (II).

I - L'impact des nouveaux concepts de la Directive MIF sur le règlement général de l'AMF

Les nouveaux concepts introduits par la Directive entraînent, dans certains domaines, des changements de structure dans le règlement général : sont ainsi modifiées les dispositions qui étaient destinées, à l'origine, à garantir le monopole des marchés réglementés. A ce titre, peuvent être distinguées les dispositions qui disparaissent sans être remplacées (A), de celles qui, sans connaître de modifications fondamentales, disparaissent ou sont insérées dans le RG, en vertu d'une modification des sources normatives. En effet, la Directive impose, mécaniquement, un transfert des compétences réglementaires (B), en amont et en aval du règlement général.

A - La suppression de certaines dispositions du règlement général

La suppression de certaines dispositions du RG emporte celle du mécanisme d'adhésion institutionnelle au marché (1°) et de certaines limitations du pouvoir normatif des entreprises de marché (2°)

1°) La suppression du mécanisme d'adhésion institutionnelle au marché

Avec la suppression des dispositions de l'ancien article 514-2 du RG (remplacées par d'autres règles, le RG faisant l'objet d'une nouvelle réglementation), c'est la disparition d'une mesure structurelle, qui constituait une réminiscence de l'organisation boursière antérieure à la première Directive sur les services d'investissement de 1993, dite "DSI" (Directive 93/22 du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP), qui se trouve définitivement consacrée. Nous l'avions évoqué, il y a deux mois, dans ces colonnes (cf. J.-B. Lenhof, L'ordonnance du 12 avril 2007 : nouvelle articulation des marchés financiers, préc.), le législateur, bien que la nouvelle Directive lui ait permis de considérer le marché comme une personne morale, avait résolument rejeté cette solution. Ce rejet s'explique par la mise en oeuvre de nouveaux principes dans la loi internes sur les marchés financiers de 1996 -la loi "MAF"- (loi n° 96-597, du 2 juillet 1996, de modernisation des activités financières N° Lexbase : L5893A4Z), qui a substitué une logique d'organisation par marchés à l'ancienne logique boursière. Pour ce faire, le législateur a substitué à la participation institutionnelle (imposant l'acquisition, par les membres du marché, de titres de la société qui organisait les opérations), une participation contractuelle, les relations s'établissant entre les membres du marché et ses gestionnaires étant de nature contractuelle par détermination de la loi.

Or, il demeurait, dans l'ancien règlement général, une disposition (celle de l'article 514-2 dans son ancienne rédaction) qui permettait à l'AMF d'édicter des règles imposant des prises de participation pour les membres du marché. A l'évidence, cette persistance des règles de la participation institutionnelle, même si elles n'étaient pas appliquées, était destinée à permettre d'en revenir à un contrôle plus étroit des membres du marché et, notamment, à permettre d'imposer à des minoritaires, en vertu la loi de la majorité applicable dans les sociétés, des solutions qu'ils auraient été en mesure de rejeter sur le fondement d'une logique exclusivement contractuelle. On sait que, depuis, même si les relations entre l'entreprise de marché et les membres sont de nature contractuelle, l'organisation des opérations et l'assujettissement aux règles de marché sont impératives et, de facto, en principe, non négociables. La prudence qui avait présidé, à l'origine, au maintien de la disposition de l'ancien article 514-2 du RG n'étant plus justifiée, la transposition de la Directive donnait là l'occasion à l'AMF de faire disparaître des mécanismes qui étaient, à la fois, sans fondement communautaire, ni législatif et, surtout, profondément contraires à la logique d'organisation contractuelle des marchés.

Toutefois, la position de l'AMF, confrontée à la nécessité de suppression de cette disposition, semble demeurer encore ambiguë. Bien que professant l'impossibilité d'assimiler le marché à une personne morale, l'autorité, dans son commentaire de la transposition, souligne que la suppression de l'article n'emporte pas, pour autant, interdiction pour l'entreprise de marché d'exiger des membres une participation institutionnelle. Ainsi, la possibilité demeure ouverte, pour les gestionnaires de marché, d'en revenir à l'organisation initiale de l'ancienne société des bourses françaises, sans doute en vue d'une évolution des structures qui ne puisse remettre en cause le principe de la nature contractuelle des relations qui unissent les entreprises de marché et leurs membres. On conclura, donc, que, sur ce premier point, les ambiguïtés théoriques deviennent persistantes, sans pour autant constater, en pratique, que ces dernières sont à l'origine de dysfonctionnement des marchés.

2°) La suppression des limitations imposées par le RG aux règles de marché

Certaines des restrictions imposées par le règlement général à l'encontre des règles de marché disparaissent également, confirmant, en cela, le renforcement du pouvoir normatif des entreprises de marché. Ainsi en est-il, d'abord, de la suppression, au nouvel article 514-1 (qui remplace l'ancien article 515-2 du RG) d'une exigence de fixation d'une limite de prix, dans les règles de marché, pour les transactions conclues bilatéralement (dites "prénégociées") mais qui peuvent être considérées, en vertu de règles de marché, comme étant réalisées sur le marché réglementé. Les limitations éventuelles, relevant désormais de dérogations expressément prévues par la Directive et son Règlement d'application (Règlement n° 1287/2006 de la Commission, 10 août 2006, portant mesures d'exécution de la Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les obligations des entreprises d'investissement en matière d'enregistrement N° Lexbase : L7472HKX), sont portées aux règles de marché pour réaliser la transposition.

Le même mécanisme est utilisé pour l'obligation d'horodatage de l'article 514-2 (ancien article 515-3) : le RG ne l'impose plus, mais il établit que ce sont les règles de marché qui devront y renvoyer.

B - Le transfert de compétences

Le transfert de compétences procède davantage d'une réorganisation complète des sources du droit que d'un simple réaménagement. On en juge, aisément, par les différents mouvements qui animent la réglementation boursière. D'une part, certaines compétences normatives sont déplacées du RG vers les textes communautaires (1°), d'autres le sont, d'autre part, du RG vers le Code monétaire et financier (2°), alors que l'essentiel des transferts est réalisé du règlement général vers les règles de marché (3°). Enfin, le RG joue un rôle ambigu, puisqu'il permet d'assurer la transposition, par défaut, de prescriptions de la Directive qui n'ont pu être introduites par une autre voie en droit interne (4°).

1°) Du règlement général vers les textes communautaires

Le mouvement d'aval en amont, celui qui remonte le courant des règles juridiques à leur source, peut être placé en exergue en raison de son caractère exceptionnel. Ce n'est, en effet, que l'ajout, à la Directive "MIF", d'un Règlement d'application qui justifie que les dispositions dudit Règlement, d'effet direct, par essence, supplantent celles des normes qui leur sont inférieures. Le mécanisme est, de la sorte, sans rapport avec la modification du fonctionnement des marchés. Cette logique conduit, ainsi, à supprimer les anciennes dispositions de l'article 515-4 du règlement général qui imposaient à l'entreprise de marché d'arrêter les jours et les horaires de négociation. Cette modification apparaît, toutefois, purement anecdotique face à celles qui s'opèrent exclusivement en droit interne.

2°) Du règlement général vers le Code monétaire et financier

A ce titre, le transfert de compétences du RG vers le Code monétaire et financier consiste, d'abord, en une suppression, par l'ordonnance, de certaines compétences de l'Autorité des marchés financiers. Nous avons déjà détaillé ces dernières dans la deuxième partie de l'étude sur la transposition de la Directive "MIF" (cf. L'ordonnance du 12 avril 2007 : les acteurs des marchés, préc.). En substance, la disparition de certains pouvoirs de l'AMF, qui correspond à l'accroissement des libertés communautaires se traduit comme suit :
- suppression des dispositions de l'ancien article 514-3 du RG concernant l'habilitation, par l'AMF, des non-prestataires de services d'investissement (PSI) en tant que membres des marchés, cette compétence étant transférée aux entreprises de marché ;
- suppression des dispositions de l'ancien article 514-4 du RG concernant les exigences relatives aux capitaux propres des membres de marché non-PSI, qui sont également transférées à l'entreprise de marché ;
- suppression des dispositions de l'ancien article 514-5 du RG qui octroyaient à l'AMF le droit d'habiliter les intermédiaires, personnes physiques ou morales, résidant ou établies hors de l'Espace économique européen (EEE). Les dispositions procédurales relatives à cette habilitation sont logiquement, elles aussi, supprimées. Ainsi en est-il, par exemple, de celles qui figuraient dans l'ancien article 514-6 du RG.

Le transfert de compétences du RG vers le Code monétaire et financier résulte, ensuite, d'une réorganisation de la hiérarchie des normes par la Directive, qui place directement sous la responsabilité des Etats membres la garantie du contenu et de la pertinence des règles de marché. Ainsi, les dispositions de l'article 517-1 du règlement général, qui dressaient la liste des matières relevant des règles de marché, sont supprimées, les principes présidant à l'établissement de ces règles figurant, désormais, dans les articles L. 421-10 (pour la reconnaissance du marché) et L. 421-14 (pour les règles d'admission) du Code monétaire et financier.

3°) Du règlement général vers les règles de marché

Dans le cadre de l'assouplissement des conditions d'admission des intermédiaires, membres de marché établis dans l'EEE, la refonte de certaines dispositions du Code monétaire et financier a, notamment, ôté à l'AMF le pouvoir d'autoriser ou non l'activité sur le marché (cf. L'ordonnance du 12 avril 2007 : les acteurs des marchés, préc.). Les compétences en matière d'admission des membres et, éventuellement, l'aspect normatif lié à cette admission (qui ne sera pas traité ici) sont transférés aux entreprises de marché. La Directive fait, cependant, montre d'une rédaction plus sibylline puisqu'elle attribue cette compétence au "marché réglementé", admettant explicitement que ce dernier puisse être organisé autour d'une structure bâtie sur la personnalité morale. Or, ce point, nous l'avions vu, apparaît être en contradiction avec notre droit interne. Le législateur, en effet, et les travaux préparatoires de la loi "MAF" de 1996 en attestent, s'est refusé à assimiler le marché à une entité dotée de la personnalité juridique. L'article 513-2 du RG dispose, en conséquence, que c'est l'entreprise de marché qui s'assure que le membre dispose de l'agrément correspondant au service d'investissement qu'il entend exercer sur un marché réglementé.

De la même façon, les dispositions contenues dans l'article 514-6 du RG, qui imposaient pour un membre de marché réglementé l'engagement de recourir à un compensateur, sont également supprimées, cette obligation relevant, désormais, des règles de marché. En outre, l'entreprise de marché peut également, aux termes du second alinéa de l'article 513-3, conclure avec des autorités étrangères des accords en vertu desquels les membres de l'un de ces marchés sont admis en qualité de membres de l'autre, et réciproquement. Cette disposition entraîne la modification de l'ancien article 514-9 du RG, qui attribuait cette compétence à l'AMF.

Cet accroissement de compétences au profit des entreprises de marché ne s'analyse, pourtant, que comme un transfert résultant de l'accroissement des libertés communautaires, ce dernier étant incompatible avec le maintien d'une tutelle étroite de la puissance publique. En effet, l'AMF conserve ses pouvoirs intacts, s'agissant des prestataires qui ne sont pas partie à l'EEE. L'article 513-3, alinéa 1er, du RG dispose, de la sorte, que l'admission ne peut être réalisée qu'à la condition de l'existence d'un accord croisé de coopération et d'information entre l'AMF et les autorités boursières étrangères.

4°) Des autres sources vers le règlement général

Au titre du transfert des autres sources du droit des marchés financier vers le RG, on ne saurait que souligner le rôle curieux joué par le règlement général, contraint de transposer, par défaut, certaines règles de la Directive qui ne figurent pas dans l'ordonnance. Tel est le cas pour le nouvel article 511-4 du RG, qui dispose que l'AMF s'assure que les éléments qui lui sont fournis dans le dossier de demande d'habilitation du marché réglementé sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires applicables. On peut s'étonner, en effet, que l'Autorité des marchés puisse fixer elle-même ses propres compétences alors que, en tant qu'autorité administrative indépendante, elle ne détient constitutionnellement ses compétences qu'au titre d'une délégation normative limitativement consentie par le législateur. Ce détail peut paraître anecdotique, mais il laisse transparaître certaines des imprécisions de la transposition du texte communautaire qui, d'ailleurs, sont largement plus perceptibles lorsqu'on analyse les dispositions qui ne concernent que l'aménagement du RG.

II - L'aménagement des dispositifs existants

La transposition de la Directive concernant les marchés d'instruments financiers débouche sur une évolution duale déjà mise en évidence dans les deux commentaires relatifs à l'ordonnance du 12 avril dernier (cf. supra). D'une part, le texte communautaire emporte des conséquences majeures sur la structure (A) même des marchés et, d'autre part, ce changement de structure contraint à réviser l'encadrement juridique des acteurs (B) du marché.

A - Les aménagements liés à la restructuration des marchés

Les aménagements, consécutifs à la restructuration des marchés, peuvent être distingués en les séparant en deux groupes : d'une part, celui qui impose des obligations nouvelles liées au renforcement du rôle des marchés réglementés et à l'accroissement corrélatif des libertés communautaires (1°) et, d'autre part, celui qui a vocation à aménager des mécanismes procéduraux préalables à la reconnaissance d'un marché réglementé (2°).

1°) Les obligations nouvelles

Au titre des obligations nouvelles, l'article 512-2 du RG, traduit, en premier lieu, la logique qui a inspiré la Directive "MIF" : l'accroissement de la sécurité des marchés réglementés. Son alinéa 1er traite ainsi, d'une part, de l'obligation d'avoir recours à une chambre de compensation pour les marchés réglementés à terme. D'autre part, l'alinéa 2 impose l'obligation, pour un marché réglementé, comptant, ou à terme, qui dispose d'une chambre de compensation, d'organiser celle-ci en conformité avec le règlement général de l'AMF.

On se souvient, en second lieu (cf. L'ordonnance du 12 avril 2007 : nouvelle articulation des marchés financiers, préc.), que l'ordonnance du 17 avril 2006 avait établi le principe en vertu duquel les règles de marché devaient établir les conditions d'admission des membres de façon transparente et non discriminatoire (C. mon. fin., art. L. 421-17, al. 1er, nouveau). Le RG, en reprenant ces dispositions au plan substantiel, retranscrit les termes mêmes de la Directive en établissant, dans son article 513-1, les principes suivants : les règles du marché réglementé régissent les conditions d'admission des membres précisent leurs obligations au titre :
- des actes de constitution et d'administration de l'entreprise de marché ;
- des dispositions relatives aux transactions qui y sont conclues ;
- des obligations professionnelles applicables aux collaborateurs des PSI membres ;
- des conditions, applicables aux membres autres que les PSI, qui fixent, notamment, le montant minimum des capitaux propres applicable à ces membres pour chaque marché réglementé ;
- des règles et des mécanismes de compensation et au règlement des transactions effectuées sur un marché réglementé.

Autre obligation nouvelle, qui pèse sur les membres et qui tient à la nécessité de garantir un "fonctionnement harmonieux et ordonné du marché", l'entreprise de marché peut, de son propre chef ou à la suite d'une information de l'AMF, s'opposer au choix des membres d'un système de règlement-livraison autre que celui qu'elle gère pour le marché correspondant. Aux termes de l'article 513-9 du RG, deux motifs peuvent justifier ce refus. D'abord, lorsque celui-ci émane de l'entreprise de marché, le refus pourra être prononcé si le système de règlement-livraison choisi par le membre n'est pas susceptible d'être mis en liaison avec les systèmes du marché réglementé. Ensuite, lorsque le refus émane de l'AMF, ce dernier pourra être justifié par le fait que les conditions techniques du système choisi par le membre ne sont pas de nature à permettre un fonctionnement harmonieux et ordonné des marchés financiers.

Or, sur ce point, il est permis de s'interroger sur la pertinence de la transposition opérée, l'article 34.2 de la Directive, source de cette disposition, semblant poser des conditions plus restrictives pour que l'entreprise de marché refuse l'adoption d'un système de règlement livraison autre que celui qu'elle gère. En effet, la lecture du texte communautaire fait immédiatement apparaître une divergence entre ses sujétions et celles que pose le règlement général. Alors que l'article 34.2 de la Directive "MIF" fait des deux conditions précitées des mécanismes cumulatifs (il faut une absence de liaison entre les systèmes ET une appréciation négative de l'autorité de marché), le nouvel article 513-9 du RG ne retient que des conditions alternatives (absence de liaison OU appréciation négative de l'AMF).

S'agit-il d'une erreur de transposition ou d'une volonté délibérée d'interpréter les prescriptions de la Directive ? Il faut, à notre sens, rechercher cette contradiction dans la chronologie de l'élaboration du règlement général. En effet, cette disposition du RG a été prise, à l'origine, en application du projet d'ordonnance et, notamment, du projet d'article L. 421-18 du Code monétaire et financier, qui n'a pas été transposé, et qui avait choisi de donner un caractère alternatif et non cumulatif aux conditions posées par la Directive. A ce stade de la transposition, alors que le texte de l'ordonnance n'était pas encore définitif, le RG ne faisait, donc, que respecter la hiérarchie des normes imposée par le droit interne. Par la suite, toutefois, le projet d'article L. 421-18 n'a pas été repris, le législateur préférant traduire en des termes très généraux le principe communautaire à l'article L 421-17, alinéa 6, du Code monétaire et financier (1). Pourtant, la rédaction du règlement général, elle, n'a pas été modifiée sur le fond. C'est ainsi que les termes du règlement général ne correspondent plus à ceux de la Directive.

Que penser de la validité du texte de l'autorité boursière ? Dans le sens où la restriction apportée par la Directive est une restriction à des libertés communautaires, on est en droit de s'interroger sur la légalité de la transposition de l'article 34.2 de la Directive "MIF". Pourtant, la mise en place de deux prérogatives distinctes, dont l'entreprise de marché, d'une part, ou l'AMF, d'autre part, pourrait se prévaloir, semble avoir été privilégiée afin d'accroître la sécurité sur le marché réglementé. Dans la mesure où la disposition est limitée à ce type de marché, comme c'est le cas en l'espèce, l'interprétation du législateur peut, de la sorte, trouver une justification dans la nécessité de protéger l'investisseur.

Ainsi, l'ambiguïté de cette transposition illustre, une fois encore, le paradoxe des orientations communautaires, décidément caractérisées par la poursuite d'objectifs divergents. Le législateur européen persiste, en effet, à faire diminuer, d'une part, les contraintes qui pèsent sur les acteurs professionnels du marché, alors qu'il ne cesse, d'autre part, d'inviter les Etats membres à renforcer la sécurité de l'investisseur. La question de déterminer quel est, de ces deux objectifs, celui qui prime en matière de transposition est loin d'être nouvelle, mais elle risque encore d'être posée, s'agissant du nouvel article 513-9 du règlement général.

D'autres obligations semblent, en revanche, poser moins de problèmes au plan de la technique juridique, même si elles paraissent particulièrement lourdes en pratique : elles concernent les modalités de publication de l'information pré-négociation et les obligations de transparence post-négociation.

S'agissant de l'information pré-négociation, c'est le Code monétaire et financier, dans son article L. 421-21, I, issu de l'ordonnance, qui établit que l'information pré-négociation est limitée aux actions. Le RG reprend cette disposition dans son article 514-5 et contraint l'entreprise de marché à publier les prix à l'achat et à la vente ainsi que "le nombre d'instruments financiers correspondants, affichés par ses systèmes pour les actions admises aux négociations sur le marché réglementé qu'elle gère" (2). L'AMF peut, toutefois, accorder des dérogations et renvoie, pour ce faire, au second alinéa du même article, aux "conditions prévues par le Règlement CE n° 1287 du 10 août 2006".

S'agissant, enfin, des obligations de transparence post-négociation, le règlement général reprend, de la même façon, les dispositions de l'article L. 421-22 du Code monétaire et financier et dispose, dans son article 514-5, que, pour chaque "transaction" portant sur les actions admises à la négociation sur un marché réglementé, l'entreprise de marché publie le prix, la quantité et l'heure enregistrée selon les modalités prévues par le Règlement communautaire du 10 août 2006 (3). L'entreprise de marché peut, toutefois, différer cette information sur autorisation de l'AMF pour des transactions particulièrement importantes par rapport à la taille du marché, et toujours selon les règles posées par le Règlement CE (article 514-6, alinéa 2).

Le législateur, n'ayant disposé que pour les actions, les autres instruments financiers ont fait l'objet d'un traitement particulier dans l'ordonnance. Cette fois, l'édiction de règles a été directement déléguée à l'AMF (C. mon. fin., art. L. 421-21, II et L. 421-22, II, alinéa 2). Le principe retenu par l'Autorité, dans son règlement général, a été de supprimer l'ancienne règle relative à la publication des cinq meilleures offres et des cinq meilleures demandes (ancien article 515-7 du RG) et de conférer la compétence réglementaire en ce domaine à l'entreprise de marché. Ainsi, aux termes de l'article 514-7 nouveau, pour les instruments financiers autres que les actions, l'entreprise de marché publie "une information sur les meilleurs intérêts à l'achat et à la vente [...] adaptée aux caractéristiques des instruments financiers concernés et aux modalités de leur négociation". Par là même, se trouve transposé le principe général communautaire de transparence pré-négociation, charge à l'entreprise de marché de déterminer le degré de transparence requis pour chaque catégorie de titres. L'article 514-8 du RG prévoit même que l'entreprise de marché pourra fixer un délai pour informer le public dans ses règles de marché, délai toutefois limité à trois jours.

Ce volet, particulièrement important dans la Directive, et qui concerne la transparence des négociations, se trouve, enfin, complété par une disposition déjà existante, concernant l'archivage des opérations. Sur deux points, cependant, le nouveau règlement général, dans son article 514-10, modifie les anciennes règles. D'une part, il réduit la durée de conservation des informations de dix à cinq ans, afin d'homogénéiser les délais et d'aligner les contraintes qui pèsent sur les entreprises de marché sur celles qui sont applicables aux PSI. D'autre part, il impose (alinéa 5 nouveau) à l'entreprise de marché de donner l'indication de la particularité de l'opération, lorsque le prix de la transaction est différent du prix en vigueur sur le marché ou que la transaction a été "pré-négociée".

L'accroissement de la transparence est ainsi consacré. La seule question qui se pose est de savoir dans quelle mesure l'AMF peut déléguer des compétences réglementaires aux entreprises de marché en dehors des cas prévus par le législateur. En effet, le Code monétaire et financier, dans ses articles L. 421-21 et L. 421-22, dispose expressément que c'est le règlement général de l'Autorité des marchés financiers qui "précise les conditions" de la dérogation. Or, il ne nous semble pas que l'indication par le RG que les règles de marché doivent être (sic) "adaptée(s) aux caractéristiques des instruments financiers concernés et aux modalités de leur négociation", traduit le caractère de précision requis par le législateur. En tout état de cause, on pourrait voir dans la nébulosité de ce libellé une délégation de pouvoir normatif déguisée. Il reste, cependant, que la part d'ambiguïté dans la rédaction du règlement général est assez minime, compte tenu de l'ampleur de la réforme entreprise, d'autant que l'expérience nous apprend que le droit des marchés financiers s'accommode assez bien de ce type de contradictions normatives.

2°) L'aménagement des procédures relatives à la création d'un marché réglementé

Sous un autre aspect, l'imprécision réglementaire semble, au contraire, largement s'amenuiser quant aux procédures applicables aux marchés réglementés. En effet, l'article 511-1 du RG est modifié dans le sens d'un accroissement du contrôle de l'AMF sur les entreprises de marché lorsque ces dernières envisagent la création d'un tel marché. Il renvoie, ainsi, à un nouvel article 511-2, qui fixe les éléments composant le dossier soumis à l'AMF qui comprend : les statuts de l'entreprise de marché, son règlement intérieur et le "curriculum vitae des mandataires sociaux et de toute autre personne dirigeant effectivement les activités et l'exploitation des marchés réglementés" (4) et, non plus, comme auparavant, seulement celui "de ses principaux dirigeants". Ainsi, le règlement général fait disparaître toute équivoque quant aux personnes concernées, car il renvoie à des fonctions identifiées, voire institutionnalisées dans le Code de commerce, comme celles des mandataires sociaux des sociétés par actions. En même temps, le libellé du texte, source de sécurité juridique en raison de sa précision, semble devoir atténuer le caractère discrétionnaire de contrôle de l'AMF qui perd, ainsi, son pouvoir d'interprétation sur les personnes concernées par ce texte.

En pratique, toutefois, le champ de contrôle de l'autorité ne semble pas devoir être sensiblement amoindri. Le même article ajoute, à son alinéa 4, que sont également mentionnées dans le dossier, l'identité des personnes en mesure d'exercer directement ou indirectement une influence significative sur la gestion du marché réglementé, ainsi que le montant de la participation détenue. De même, sont réputés exercer une telle influence, selon le même alinéa, les actionnaires qui détiennent seuls ou de concert, directement ou indirectement, une fraction du capital ou des droits de vote égale ou supérieure à 10 %. Cette disposition, qui résulte de la transposition de l'article 38 de la Directive (sur l'influence directe ou indirecte), est surtout le fruit d'une réflexion de l'AMF qui reprend l'ancienne disposition relative à la participation de 10 % mais, surtout, ajoute la mention de l'action de concert à la prescription de la Directive. On distinguera, ici, une proximité de rédaction avec la notion de contrôle des sociétés, telle qu'elle résulte de la rédaction contemporaine des articles L. 233-3 et suivants du Code de commerce (N° Lexbase : L4050HBM). Ainsi, on ne peut que souligner le rapprochement des notions de contrôle des sociétés et de contrôle des gestionnaires de marché : ils traduisent, au-delà d'un souci d'harmonisation, un accroissement de la transparence sur les marchés.

Dans le même ordre d'idée, l'alinéa 7 de l'article impose que le dossier à présenter à l'AMF mentionne : "les accords de sous-traitance portant sur la gestion des systèmes de négociation et des systèmes de diffusion d'information". Là encore, la mesure de transparence confine au contrôle dans le sens où cette sous-traitance pourrait être réalisée par des sociétés dans lesquelles l'entreprise de marché détiendrait des participations. Mais, elle semble, surtout, avoir été rajoutée au règlement général par l'AMF, non en raison d'impératifs communautaires, mais afin de respecter le parallélisme des formes. En effet, cette disposition est similaire à celle qui s'applique aux systèmes multilatéraux de négociation. L'AMF, dans la continuité de cette politique, s'est proposée, de surcroît, d'étendre cette disposition aux systèmes de diffusion des informations.

Enfin, et les dispositions sont sans doute moins significatives politiquement, mais le sont tout autant en pratique, le dossier doit comprendre, aux termes des alinéas 5 et 6 du même article, un programme d'activité décrivant l'organisation et les moyens dont dispose l'entreprise de marché. Elle doit le faire, notamment, en fonction du type d'opération envisagée sur le marché réglementé alors qu'auparavant, seuls les moyens techniques et humains étaient communiqués. L'exigence de la communication d'un programme d'activité est, ainsi, particulièrement importante dans l'hypothèse d'une modification du fonctionnement des marchés. A cette sujétion s'ajoute, d'ailleurs, un contrôle comptable beaucoup plus étroit qu'auparavant, puisque les derniers comptes annuels doivent être fournis à l'AMF, ainsi que les moyens financiers dont l'entreprise de marché dispose au moment de la reconnaissance du marché réglementé. Sur ce dernier point, on renverra au Code monétaire et financier qui pose le principe de la fixation, par un arrêté du ministre chargé de l'Economie et des Finances, du contenu de l'information comptable à communiquer (cf. L'ordonnance du 12 avril 2007 : les acteurs des marchés, préc.). La modification du mode de constitution de ce dossier donne, par ailleurs, lieu à une réforme, dans le règlement général, de l'encadrement des acteurs du marché.

B - Les aménagements liés au nouvel encadrement des acteurs

A ce titre, une disposition particulièrement importante concerne, dans le dossier précité, la communication des règles de marché. Celle-ci, qui existait déjà sous l'empire de l'ancien règlement général, évolue, en effet, au-delà des exigences de la Directive. Elle élève au rang de disposition réglementaire, c'est-à-dire pourvue de la portée normative attachée à toute règle de droit, la pratique des gestionnaires de marché consistant à ne faire évoluer la réglementation qu'après la mise en oeuvre de consultations de place.

C'est ainsi que le nouvel article 511-3 du RG dispose que les règles du marché doivent être communiquées à l'AMF -et jusque-là, le texte n'est en rien modifié- mais, surtout, que doit y être joint : "la description des procédures d'élaboration de ces règles et des modalités de consultation des membres du marché et des émetteurs". L'innovation est remarquable, au-delà de l'aspect théorique de la transformation d'une pratique en règle de droit, car elle emporte la conséquence opérationnelle suivante : la consultation de place préalable à l'élaboration des règles de marché est devenue obligatoire. En effet, l'entreprise de marché qui souhaite voir reconnaître l'existence d'un marché réglementé doit faire la preuve de cette consultation et de la validité de la procédure employée. A notre sens, la recherche de ce consensus tend à s'appuyer sur le principe, évoqué précédemment (cf. L'ordonnance du 12 avril 2007 : nouvelle articulation des marchés financiers et L'ordonnance du 12 avril 2007 : les acteurs des marchés, préc.), de la nature contractuelle des relations qui s'établissent entre l'entreprise de marché et les membres du marché. Elle rend, toutefois, plus ambiguë encore la nature des règles de marché, tant leur mode d'élaboration s'écarte de celui qui est, traditionnellement, attaché à l'élaboration d'une norme (5).

Ce mécanisme, de surcroît, ne se trouve pas limité à la seule période de constitution du marché réglementé. Il devient, également, obligatoire en matière de transformation des règles, l'article 511-16 du RG précisant, toutefois, que dans ce cas, la consultation n'a lieu que pour les modifications "significatives" (et non imposées par une loi ou un règlement). Cette disposition permet, de la sorte, à l'Autorité des marchés financiers de ne pas soumettre à la procédure de consultation les modifications lorsqu'elles sont mineures voire purement formelles et/ou résultent d'erreurs matérielles de transcription. Dans le cas contraire, le même article impose, au moment de la soumission des modifications à l'approbation de l'AMF (qui statue dans le mois) (6), de lui communiquer, également, les conclusions de la consultation des utilisateurs.

Indépendamment, le RG ajoute, désormais, à l'obligation d'inclure dans le dossier de présentation les règles de compensation, celle d'y joindre les règles de règlement-livraison.

Il reste que l'appréciation du dossier constitue une phase transitoire qui doit aboutir à sa transmission au ministre chargé de l'Economie et des Finances. C'est dans le cadre de cette procédure que de nouvelles dispositions sont introduites dans le règlement général.

D'abord, s'agissant du fond, l'article 511- 4 du RG précise, dans son alinéa 2, les éléments qui doivent être pris en considération et vérifiés, dans le dossier, pour apprécier les qualités des dirigeants des entreprises de marché. Cette précision ne va guère au-delà de ce qu'imposait la Directive qui -et c'est là un pli communautaire- était restée particulièrement évasive sur ce point. Il établit, ensuite, dans son alinéa 3, le principe de l'appréciation par l'autorité des mécanismes et dispositifs de surveillance des transactions mis en place par l'entreprise de marché, de surveillance de ses membres et de contrôle déontologique. Cette disposition nouvelle, que nous avions commentée (cf. L'ordonnance du 12 avril 2007 : les acteurs des marchés, préc.), place ainsi les entreprises de marché directement sous l'autorité normative de l'AMF. On remarquera, toutefois, que cette tutelle est bicéphale, ainsi qu'en atteste l'article 511-5 du RG, qui dispose que l'AMF sollicite l'avis de la commission bancaire sur l'organisation, les moyens humains ou matériels dont dispose l'entreprise de marché. Pour compléter ce dispositif, le nouvel article 512-5 prévoit implicitement (7) que la gestion des conflits d'intérêt doit tenir compte de toutes les activités de l'entreprise de marché, disposition indispensable, en effet, puisque la Directive invitait à prendre en considération, pour réaliser le contrôle, l'existence éventuelle de systèmes multilatéraux de négociation gérés parallèlement aux marchés réglementés. Enfin, les articles 512-4 et 512-6 établissent, pour le premier, des précisions quant au contenu de la politique de l'entreprise en matière de gestion des conflits d'intérêts et, pour le second, l'obligation, pour l'entreprise de marché de tenir un registre régulièrement mis à jour des activités sensibles susceptibles de donner naissance à de tels conflits.

Ensuite, s'agissant de la forme, l'article 511-7 du RG établit que l'AMF dispose d'un délai de trois mois pour approuver le programme d'activité présenté par l'entreprise de marché. On notera, ici, une convergence entre ce délai et celui qui est retenu, pour les PSI qui se trouvent dans la même situation. L'article 511-8, quant à lui, pose les conditions dans lesquelles l'AMF propose au ministre la reconnaissance de marché réglementé. Elle le fait en vérifiant que le dossier qui lui est proposé est conforme aux dispositions "du présent règlement", ce qui revient à opérer un contrôle de légalité autant que d'opportunité. Ces contrôles portent ainsi sur :
- en vertu de l'alinéa 1, la conformité des règles de marché, aux dispositions législatives ou réglementaires ;
- en vertu de l'alinéa 2, les mesures propres à garantir la continuité du fonctionnement du marché dans le respect des règles fixées par le RG (nouvelle disposition) ;
- en vertu de l'alinéa 3, les moyens humains, financiers et matériels vis-à-vis des exigences du marché concerné ;
- en vertu de l'alinéa 4, l'existence de mécanismes assurant le dénouement rapide et efficace des opérations réalisées sur le marché.

Le renforcement de ce contrôle se justifie, de facto, par la nouvelle structure boursière et, notamment, par la possibilité pour une entreprise de marché de gérer plusieurs marchés réglementés. Cette situation peut conduire à envisager des mesures d'anticipation susceptibles de permettre l'adaptation à la croissance du chiffre d'affaires. En ce sens, l'avis de la Commission bancaire, même s'il ne lie pas l'AMF, constitue un apport technique incontestable quant à l'appréciation de la pérennité des structures sociétales de l'entreprise de marché.

Enfin, quant au contrôle dans la continuité, on soulignera la disposition de l'article 511-15 du RG, qui établit que l'entreprise de marché doit notifier à l'AMF tout projet de changement quant aux personnes qui dirigent "effectivement" l'entreprise de marché. L'AMF dispose d'un mois, à compter de cette notification, pour refuser d'approuver les modifications proposées, s'il "existe des raisons d'estimer que le changement envisagé risquerait de compromettre sérieusement la gestion et l'exploitation saine et prudente dudit marché". On s'étonnera, toutefois, de la rédaction adoptée par l'AMF, qui n'a pas transposé les termes employés à dessein dans la Directive, alors que l'article L. 421-9, II du Code monétaire et financier (8) les avait repris, s'agissant du changement de contrôle des sociétés, notamment ceux qui exigeaient qu'il existe des raisons "objectives et démontrables" de croire que le changement mentionné précédemment puisse atteindre au fonctionnement du marché. L'AMF s'affranchit là, assez curieusement, d'une disposition déterminée et réitérée par des normes d'un rang supérieur. Encore plus curieusement, elle introduit un doute quant à la légalité du contrôle entrepris puisqu'elle permet de prêter le flanc à la critique, dans la mesure où le RG autorise un contrôle qui apparaît plus large que celui qui était envisagé par la Directive.

Il est vrai qu'en pratique le législateur ne pourrait que louer le soin qu'apporte l'AMF à la défense de l'épargne publique, car elle ouvre, par cette disposition, son contrôle aux hypothèses où le (ou les) dirigeant(s) mis en cause ne pourrai(en)t être évincé(s) pour des raisons probatoires. Dans l'absolu, toutefois, on est en droit de s'interroger sur la baisse corrélative du niveau de protection individuelle des dirigeants susceptibles de ne pas être agréés par l'autorité. Sur ce point, ainsi, nous émettrons quelques réserves sur le choix qu'a opéré l'AMF quant à la latitude dont elle disposait pour réaliser la transposition de la Directive "MIF".

Le nouveau règlement général, pour conclure, semble devoir faire l'objet d'évolutions ultérieures. A différents points de vue, le pouvoir de contrôle de l'AMF semble, en effet, privilégier la protection de l'investisseur par rapport à l'élargissement des libertés communautaires. Toutefois, ce constat demeure purement conjoncturel car il ne doit pas préjuger d'un reflux futur de ces libertés au niveau de l'Union, reflux qui pourrait être motivé par le souci d'établir un cadre rigoureux à la protection de l'épargne publique. Le renforcement des marchés réglementés, qui est une des constantes de la Directive "MIF" en atteste qui, corrélativement à l'ouverture européenne des marchés, n'a pas omis de prendre en considération la situation de vulnérabilité de l'investisseur en tant que consommateur communautaire d'instruments financiers.


(1) "Le règlement général fixe les conditions dans lesquelles l'entreprise de marché peut restreindre le choix des systèmes de règlement et de livraison d'instruments financiers par les membres du marché".
(2) L'alinéa 2 de cet article dispose que "ces informations sont rendues publiques selon les modalités définies par le Règlement (CE) n° 1287/2006 du 10 août 2006".
(3) Règlement précité.
(4) Disposition prise en conformité avec l'article 37 de la Directive et le nouvel article L. 421-7 du Code monétaire et financier.
(5) Toutefois, le nouvel article 511-13 du RG prévoit que les règles de marché sont désormais obligatoirement publiées sur internet, ce qui leur ajoute, par la publicité, un degré de normativité supplémentaire.
(6) Les décisions de l'AMF approuvant les modifications des règles de marché sont publiées au Bulletin des annonces légales obligatoires et sur le site internet de l'AMF. Les règles ainsi approuvées sont annexées à la décision de l'AMF.
(7) RG AMF, art. 512-5, nouveau : "la politique en matière de gestion des conflits d'intérêts doit en particulier : 1° Identifier, en mentionnant les activités de l'entreprise de marché concernées, les situations qui donnent ou sont susceptibles de donner lieu à un conflit d'intérêts comportant un risque sensible d'atteinte aux intérêts d'un ou de plusieurs de ses membres [...]".
(8) C. mon. fin., art. L. 421-9 II : "tout actionnaire qui vient à détenir le contrôle direct ou indirect d'une entreprise de marché doit obtenir une autorisation préalable du ministre chargé de l'économie sur proposition de l'Autorité des marchés financiers, qui vérifie l'absence de raisons objectives et démontrables d'estimer qu'un tel changement de contrôle risquerait de compromettre la gestion saine et prudente du marché réglementé".

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Entreprises en difficulté

[Chronique] La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre

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N9341BBL

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Le 07 Octobre 2010


Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouvent, au premier plan de cette actualité, les conditions d'ouverture de la sauvegarde, sur lesquelles la Cour de cassation a déjà été amenée à statuer. La règle de l'interdiction du paiement des créances antérieures appliquée à la problématique de la levée d'option d'achat d'un crédit-bail, ainsi que la détermination du fait générateur de la créance d'honoraires de l'avocat, méritent, également, une attention toute particulière.

Un an et demi seulement après l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), dont l'une des innovations majeures est la création de la procédure de sauvegarde, la Cour de cassation est déjà amenée à statuer sur les conditions d'ouverture de cette procédure.

Aux termes de l'article L. 620-1, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L4125HBE), "il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L. 620-2 (N° Lexbase : L4126HBG) qui justifie de difficultés, qu'il n'est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif". Il s'agit là d'une notion nouvelle dans la législation puisque, pour la première fois, une véritable procédure de traitement judiciaire des difficultés d'entreprise peut bénéficier à une personne -même si le législateur le fait, on ne peut l'appeler véritablement débiteur- qui n'est pas encore en cessation des paiements. Cette possibilité inquiète naturellement les partenaires du débiteur et, au premier rang de ceux-ci, les organismes d'assurance crédit. Au lendemain du prononcé de diverses sauvegardes, en France, ces organismes ont formé, à l'encontre des décisions d'ouverture des procédures de sauvegarde, ainsi que la loi le permet, des tierces-oppositions. Ces dernières ayant été rejetées, des appels ont été exercés, comme cela est également possible, contre les décisions rejetant les tierces-oppositions. Il était évident que la définition de la notion de "difficultés de nature à conduire à la cessation des paiements" serait débattue à l'occasion du jeu de ces tierces-oppositions, le débat n'étant pas naturellement mené devant le tribunal qui a à statuer sur l'ouverture de la procédure.

Dans les deux espèces soumises à la Cour de Cassation, une tierce-opposition avait été formée à l'encontre du jugement d'ouverture. Dans les deux affaires, les cours d'appel de Versailles (1) et de Colmar (2), après avoir estimé recevables les tierces-oppositions, les ont déclarées non fondées.

L'une des questions identiquement soumise aux deux cours d'appel était de savoir si, pour apprécier la difficulté de nature à conduire à la cessation des paiements, pouvait être prise en compte l'appartenance de la société débitrice à un groupe de sociétés, et le fait qu'elle pouvait attendre une aide de la part de la société mère. Les deux cours d'appel avaient répondu négativement. Devant la cour d'appel de Colmar, l'assureur crédit avait insisté sur le fait que la société mère n'avait pas caché sa volonté d'aider financièrement sa filiale en difficulté. La cour d'appel de Colmar avait écarté l'argument en retenant que, pour l'ouverture la procédure de sauvegarde, seule la situation de la société demandant la procédure devait être appréciée, sans que les capacités financières du groupe auquel elle appartient ne soient prises en compte. La cour d'appel de Versailles avait identiquement jugé, en estimant que la situation d'une société doit s'apprécier indépendamment de celle de ses associés, même si elle est dans un groupe de sociétés.

Sur ce premier point, la Cour de cassation va clairement suivre la solution retenue par les deux cours d'appel. Statuant sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, la Chambre commerciale (n° 06-20.820) va juger que, "pour l'ouverture de la procédure de sauvegarde de la filiale, il est indifférent de savoir quelle sera la position que prendra la société mère dans le cadre de la période d'observation et l'éventuelle élaboration d'un plan de sauvegarde et que la situation de la société débitrice doit être appréciée en elle-même, sans que soient prises en compte les capacités financières du groupe auquel elle appartient, la cour d'appel, qui n'a pas relevé l'existence d'un engagement de la société mère en faveur de sa filiale, a légalement justifié sa décision". La Cour de cassation n'a pas eu à se prononcer sur cet argument dans le cadre du pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles.

La cause est donc entendue. L'appréciation des difficultés d'une filiale se fera indépendamment des capacités financières du groupe auquel elle appartient. La solution est logique, sauf à méconnaître la distinction des personnalités morales entre les sociétés d'un même groupe. La solution est exactement la même pour caractériser l'état de cessation des paiements. En revanche, il peut être observé que, en cas de confusion des patrimoines, la jurisprudence développée par la Cour de cassation sur l'unicité des masses actives et passives des diverses personnes physiques ou morales oblige à porter une appréciation globale sur l'actif disponible et sur le passif exigible des diverses structures (3). La solution sera transposable, à notre sens si, comme cela est possible, il y a matière à confusion des patrimoines dans le cadre d'une procédure de sauvegarde.

La Cour de cassation prend, toutefois, le soin de réserver l'hypothèse d'un engagement de la société mère en faveur de la filiale. En ce cas, il y a une réserve de crédit qui, comme elle permet d'éviter la caractérisation de l'état de cessation de paiements, doit contribuer à empêcher la caractérisation des difficultés de nature à conduire à la cessation des paiements.

Une deuxième difficulté se présentait, celle de savoir à quelle date la cour d'appel devait se placer pour apprécier si les conditions d'ouverture de la sauvegarde étaient réunies : à la date à laquelle la cour statue ou à la date où il est procédé à l'ouverture de la sauvegarde. A cette question, dans les deux arrêts, la Cour de cassation va répondre que "les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde doivent être appréciées au jour où il est procédé à cette ouverture".

La solution contraste singulièrement avec celle qui est classiquement posée pour savoir si le débiteur est ou non en état de cessation des paiements. En effet, la Cour de cassation estime que la cour d'appel doit apprécier l'état de cessation des paiements au jour où elle statue (4).

Il faudra distinguer selon que la sauvegarde a été, ou non, ouverte par le tribunal. Si la sauvegarde a été ouverte, l'appréciation sera portée par la cour d'appel au jour de l'ouverture. Si la sauvegarde n'a pas été ouverte, l'appréciation sera portée par la cour d'appel au jour où elle statuera.

Cette solution n'était pas posée par les textes. On pourrait lui reprocher de méconnaître la règle de l'effet dévolutif de l'appel, qui oblige la cour d'appel à connaître de l'entier litige. Elle doit, néanmoins, être approuvée. Il est logique de décider que, si les conditions d'ouverture de la procédure de traitement des difficultés existent au jour où la juridiction procède à l'ouverture de la procédure, cette dernière ne pourra être remise en cause au motif que les conditions auraient ultérieurement changé. On remarquera, au demeurant, que les conditions changent nécessairement dès le jour même de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, du fait de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et de l'interdiction des paiements des créances antérieures, voire des créances postérieures non éligibles au traitement préférentiel. A suivre ce raisonnement, il faudrait systématiquement réformer les jugements d'ouverture de sauvegarde, car le risque de cessation des paiements s'éloigne considérablement du fait des restrictions atteignant les créanciers.

Une remarque s'impose toutefois. Si les difficultés qui ont conduit à l'ouverture de la procédure n'existent plus au jour où la cour d'appel statue, indépendamment de l'application de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et de celle de l'interdiction du paiement des créances, il peut paraître anormal de ne pas en tirer les conclusions. Or, seul le débiteur, selon un parallélisme des formes par rapport au déclenchement même de la sauvegarde, peut saisir le tribunal pour qu'il soit mis à la sauvegarde. Le tiers opposant devant le tribunal ou devant la cour d'appel devrait, de lege ferenda, disposer du même droit. Il ne s'agirait pas, alors, de remettre en cause une décision d'ouverture, qui était fondée lorsqu'elle a été rendue.

Dans le projet de loi, étaient envisagées des difficultés susceptibles de conduire le débiteur à la cessation des paiements. Cela a été dénoncé lors des travaux par l'opposition parlementaire, évoquant des conditions assouplies à l'extrême (5), une définition tellement large que tout le monde pourra invoquer la procédure (6), ce qui fait alors craindre que la procédure ne soit détournée pour accélérer les restructurations (7). La Commission des lois du Sénat a indiqué que cette notion suscite une grande perplexité (8). Un amendement a été, en conséquence, présenté pour substituer à la notion de "difficultés susceptibles de conduire à la cessation des paiements" celle de "difficultés de nature à le conduire à la cessation des paiements". Il s'est agi, avec cet amendement, d'exiger du débiteur qu'il démontre au tribunal qu'il est "dans une situation suffisamment difficile pour que, si aucune mesure de protection judiciaire n'était prise, il se trouve rapidement face à une panne de trésorerie qui caractérise la cessation des paiements" (9). Il faut donc que le seul écoulement du temps suffise à constituer la cessation des paiements si rien n'est entrepris (10). C'est bien en ce sens que statue la Cour de cassation, en approuvant la cour d'appel de Versailles, d'avoir décidé que, des données financières produites, il résultait que la baisse du chiffre d'affaires de la société aurait pu la conduire à la cessation des paiements au deuxième trimestre de 2006. De même, la Cour de cassation approuve la cour d'appel de Colmar d'avoir retenu l'épuisement prévu des lignes de crédit existantes dans un avenir proche et l'existence d'un passif échu notable plaçant la société dans une situation extrêmement fragile de nature à conduire à la cessation des paiements. Ainsi, dans ces deux décisions, la caractérisation des difficultés de nature à conduire à l'état de cessation des paiements résulte de l'écoulement mécanique du temps, qui suffit à placer, à terme plus ou moins rapproché, la personne qui demande son placement sous la sauvegarde en état de cessation de paiements.

Il faut encore, pour l'ouverture de la sauvegarde, que les difficultés de nature à conduire à la cessation des paiements ne puissent être surmontées par le débiteur seul. C'est ainsi que, dans l'arrêt statuant sur le pourvoi formé contre la décision de la cour d'appel de Versailles, il a été relevé que la nouvelle stratégie de développement de la téléphonie ne permettait pas "à elle seule, sans le bénéfice de sauvegarde", de retrouver un niveau d'activité de nature à faire échapper à la cessation des paiements à partir d'avril 2006. Il est impossible au débiteur seul (11), dans des conditions classiques, c'est-à-dire sans recourir à la protection judiciaire et au "parapluie de la procédure" (12) qui lui permettront d'obtenir remises et délais, de redresser durablement la situation. Mais rappelons que le fait que le débiteur soit dans un groupe de sociétés reste indifférent.

Ces deux arrêts de la Cour de cassation sont particulièrement riches d'enseignements et contribuent à éclaircir, de manière notable, la notion de difficultés de nature à conduire à la cessation des paiements que le débiteur ne peut surmonter seul et à trancher, de manière sans doute définitive, la question de la date d'appréciation de ces difficultés, en tant que critère d'ouverture de la procédure de sauvegarde.

Pierre-Michel Le Corre
Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe)

  • La règle de l'interdiction du paiement des créances antérieures appliquée à la problématique de la levée d'option d'achat d'un crédit-bail (Cass. com., 19 juin 2007, n° 06-15.447, FS-P+B N° Lexbase : A8791DWI)

Le contrat de crédit-bail se termine de trois manières : par une reprise du bien par le crédit-bailleur, par une remise du bien donné crédit-bail en location ou par une levée d'option d'achat. La question de la levée d'option d'achat d'un contrat de crédit-bail par le locataire, en présence d'une créance antérieure au jugement d'ouverture restée impayée, fait l'objet d'une réglementation ponctuelle de la part du législateur. Elle existe en plan de continuation, en plan de cession, et, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, en plan de sauvegarde et de redressement. En revanche, le législateur reste muet lorsque le contrat de crédit-bail arrive à terme en période d'observation et en période de liquidation judiciaire. Comment interpréter ce silence ? C'est à cette problématique que s'intéresse l'arrêt commenté.

En l'espèce, une société financière donne en crédit-bail un matériel. Le locataire, après avoir laissé impayés des loyers, est placé en redressement puis en liquidation judiciaires. Le crédit-bailleur déclare sa créance antérieure au passif. Le liquidateur manifeste, ensuite, son intention de payer les loyers antérieurs au jugement d'ouverture pour lever l'option d'achat du crédit-bail, ce que refuse le crédit-bailleur. La cour d'appel va donner gain de cause au crédit-bailleur et l'autoriser, contre paiement de la totalité des sommes dues, en ce compris les loyers antérieurs déclarés au passif, à lever l'option d'achat. La question soumise à la Cour de cassation est de savoir si la règle de l'interdiction de payer les créances antérieures fait échec à la possibilité, pour le crédit-bailleur, de lever l'option d'achat. La Cour de cassation va répondre positivement à la question, par un arrêt clairement de principe : "la faculté prévue à l'article L. 621-122, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L6974AI7), d'interprétation stricte en ce qu'il déroge à l'interdiction de payer les créances antérieures au jugement d'ouverture, ne permet pas de s'opposer à la restitution du bien, objet d'un contrat de crédit-bail, en payant les échéances antérieures au jugement d'ouverture restées impayées".

La solution posée par la Cour de cassation résulte, ainsi que permet de s'en convaincre la lecture de l'arrêt de la combinaison de l'article L. 621-24, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L6876AII) et de l'article L. 621-122, alinéa 4, du même code. Le premier de ces textes pose la règle de l'interdiction de payer, après jugement d'ouverture, des créances antérieures au jugement d'ouverture. Le problème se pose si, ainsi que cela était le cas en l'espèce, le locataire a laissé impayés, avant le jugement d'ouverture, des loyers. Il ne peut plus, et pas davantage son liquidateur qui n'a pas plus de droits que lui, les payer après le jugement d'ouverture.

Il existe, toutefois, des exceptions au principe d'interdiction du paiement des créances antérieures. Au rang de celles-ci, figure le retrait de la chose gagée ou retenue. Mais l'assimilation entre un bien crédit-baillé et un bien objet d'un droit de rétention est impossible. Une autre assimilation avait astucieusement été tentée par le liquidateur : celle du bien vendu sous clause de réserve de propriété et celle du bien crédit-baillé. Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, l'article L. 621-112, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L6964AIR) pose la solution suivante : "dans tous les cas, il n'y a pas lieu à revendication si le prix est payé immédiatement. Le juge-commissaire peut, avec le consentement du créancier requérant, accorder un délai de règlement. Le paiement du prix est alors assimilé à celui d'une créance née régulièrement après le jugement d'ouverture". Ce texte permet, ainsi, de bloquer l'action en revendication ou en restitution d'un vendeur sous clause de réserve de propriété contre l'engagement de payer immédiatement le solde du prix. L'assimilation avec la question de la levée d'option d'achat était tentante. Les situations sont assez voisines, en tous cas sur un plan économique. Contre l'engagement de payer tout ce qui reste dû, la revendication ou la restitution du bien se trouve paralysée. Mais voilà, il est impossible de raisonner par analogie sur un texte d'exception. Or, l'article L. 621-122, alinéa 4, du Code de commerce est un texte doublement d'exception. D'une part, il fait échec au principe de reprise du bien mobilier, dans la procédure collective du détenteur, par son propriétaire. D'autre part, ce texte tient également en échec le principe d'interdiction de payer les créances antérieures. On sait, en effet, que le prix de vente d'un bien vendu avant jugement d'ouverture sous clause de réserve de propriété et non payé à cette date, est une créance antérieure, soumise comme telle au jeu de la trilogie des procédures collectives, de l'interdiction du paiement des créances, de l'arrêt des poursuites individualisées et de l'obligation corrélative de déclaration au passif (13). C'est aussi pourquoi le contrat de vente avec réserve de propriété n'est pas un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture (14).

Ainsi, la Cour de cassation affirme-t-elle clairement dans cet arrêt, et à la manière d'un arrêt de principe, que les exceptions au principe de l'interdiction de payer les créances antérieures sont de droit strict et ne peuvent être, en conséquence, étendues par analogie à des situations qu'elles n'envisagent pas expressément.

Comment le liquidateur pourra-t-il, en pratique, sortir de cette véritable impasse juridique : il ne peut lever l'option d'achat, aux termes contractuels, que s'il a payé toutes les obligations du débiteur mises à sa charge par le contrat. Mais il n'a pas le droit de payer les loyers antérieurs. Observons, au passage, que la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de préciser que l'interdiction de payer les sommes dues antérieurement au jugement d'ouverture ne pouvait équivaloir à leur paiement (15). La solution que nous préconisons est celle de la transaction. Nous n'ignorons pas que notre opinion avait été en son temps combattue (16). Mais la critique ne nous avait pas convaincus (17). Aussi nous reformulons la même proposition. Il appartient au liquidateur de se faire autoriser par le juge-commissaire à payer la créance antérieure pour lever l'option d'achat, dans le cadre d'une transaction. Les concessions réciproques sont les suivantes : la transaction emporterait, du côté du crédit-bailleur, désistement de sa demande en restitution. Elle emporterait, du côté du locataire, obligation de payer les sommes que demanderait le crédit-bailleur et qui, en bonne logique, seront supérieures à ce qui reste dû. Evidemment, le juge-commissaire excéderait ses pouvoirs à autoriser le paiement si l'accord du crédit-bailleur n'était pas donné. Il est ici question d'une transaction, ce qui suppose un accord de volonté.

La portée de cet arrêt dépasse la situation de la liquidation judiciaire. La problématique est strictement identique si le contrat arrive à terme en période d'observation, avec un élément supplémentaire : le paiement interdit est, ici, passible pour l'administrateur judiciaire et le débiteur, de sanctions pénales (C. com., art. L. 626-8, 1°  N° Lexbase : L7064AIH). La solution s'applique aussi pour le créancier qui reçoit le paiement (C. com., art. L. 626-8, 3°).

Les données du problème n'ont pas changé sous l'empire de la loi de sauvegarde, qui ne réglemente pas la levée d'option du crédit-bail en période d'observation ou en liquidation judiciaire. La règle de l'interdiction du paiement des créances antérieures subsiste et les exceptions que la loi de sauvegarde des entreprises pose à ce principe sont toujours d'interprétation stricte. Elles sont, au demeurant, identiques à celles existant sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L4126BMR). Au rang de celles-ci, ne figure toujours pas la possibilité de payer une créance antérieure pour lever l'option d'achat d'un crédit-bail en période d'observation ou en liquidation judiciaire.

Cet arrêt permet de mesurer, une fois de plus, la force du droit de propriété-garantie dans les procédures collectives.

Pierre-Michel Le Corre
Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe)

  • Le fait générateur de la créance d'honoraires de l'avocat (Cass. com., 19 juin 2007, n° 05-17.074, FS-P+B N° Lexbase : A8661DWP)

L'exécution de la prestation de l'avocat marque la date de naissance de sa créance d'honoraires.

La détermination du fait générateur de la créance d'honoraires du cocontractant du débiteur est essentielle. On sait, en effet, que si la créance est née régulièrement après jugement d'ouverture, elle doit, en principe, être payée à son échéance (C. com., anc. art. L. 621-32 N° Lexbase : L6884AIS), dès lors, du moins, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, que cette créance est née "pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période" (C. com., art. L. 622-17 N° Lexbase : L3876HB8). Si tel n'est pas le cas, le créancier devra subir le triste sort des créanciers antérieurs.

Quelle est la créance d'honoraires de l'avocat susceptible de bénéficier des dispositions réservées aux créanciers postérieurs éligibles au traitement préférentiel ? Les réponses que pourrait avoir cette question sont multiples : la créance d'honoraires de l'avocat doit-elle être considérée comme antérieure au jugement d'ouverture dès lors que la convention passée entre l'avocat et son client l'est également ? La créance est-elle postérieure dès lors que la facturation l'est également ? Le fait générateur de la créance doit-il être calqué sur la date d'accomplissement des diligences de l'avocat ? Un arrêt de la Chambre commerciale du 19 juin 2007, appelé à la publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, vient mettre un terme à certaines interrogations pouvant entourer le fait générateur de la créance de l'avocat.
En l'espèce, la société débitrice, qui bénéficiait d'un plan de redressement par voie de continuation, avait donné mandat à son avocat pour former opposition à des contraintes délivrées par un créancier social. Postérieurement à la formalisation de ces oppositions, une nouvelle procédure de redressement judiciaire était ouverte à la suite de la résolution du plan, procédure ultérieurement convertie en liquidation. Quelque temps après le prononcé de la liquidation, le tribunal des affaires de Sécurité sociale a déclaré les oppositions à contraintes bien-fondées. Après avoir fait taxer le montant de ses honoraires, l'avocat du débiteur avait introduit une action tendant à voir condamner le liquidateur au paiement de cette créance d'honoraires. Infirmant la décision des premiers juges, la cour d'appel (CA Saint-Denis de la Réunion, 7 mars 2005) donna gain de cause à l'avocat : après avoir relevé que cette créance était née d'un contrat antérieur poursuivi après jugement d'ouverture, elle avait considéré que la créance d'honoraires de l'avocat entrait dans le champ d'application de l'ancien article L. 621-32 du Code de commerce. Cette décision est cassée par la Chambre commerciale qui considère "qu'en se déterminant ainsi, pour fixer la date à laquelle était née la créance d'honoraires de la société d'avocat, sans distinguer [...] les prestations accomplies antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective de celles accomplies postérieurement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".

La position prise par la Chambre commerciale est parfaitement claire : le fait générateur de la créance d'honoraires de l'avocat est constitué par la réalisation de la prestation. Si la prestation est effectuée antérieurement au jugement d'ouverture, la créance a la nature d'une créance antérieure. Dès lors que la prestation est accomplie postérieurement au jugement d'ouverture, symétriquement, la créance est postérieure. Cette jurisprudence se situe dans la droite ligne d'une solution déjà adoptée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Elle avait appliqué ce principe pour déterminer le caractère antérieur ou postérieur de la créance d'honoraires d'un commissaire aux comptes, la date de la certification des comptes n'étant pas le critère exclusif d'appréciation (18). En revanche, la jurisprudence s'était écartée de ce principe en focalisant son attention sur la date de dépôt du rapport de l'expert pour déterminer si la créance d'un expert judiciaire était antérieure ou postérieure au jugement d'ouverture (Cass. com., 14 mars 1995, n° 92-20.228, Société HLM Amicale habitation et autre c/ M. Leprince N° Lexbase : A8173ABC, D. 1996, somm. p. 91, obs. crit. A. Honorat). Le caractère inconciliable de ces solutions saute aux yeux. Ainsi que le souligne la doctrine, "il serait préférable de les uniformiser en décidant que seuls le travail effectué et sa date seraient pris en compte, en appliquant le critère classique, en la matière, d'obligations à naissance successive" (19).

Deux remarques peuvent être formulées. La première tient au fait qu'il ne sera pas toujours aisé de faire le départ entre les créances résultant de prestations accomplies antérieurement au jugement d'ouverture de celles qui le sont après. Se posera, de manière quasi-systématique, l'épineuse question de la détermination de la fraction de créance d'honoraires devant être attribuée à la prestation antérieure par rapport à celle résultant de la prestation postérieure. La difficulté résulte de ce que les prestations effectuées par l'avocat ne sont pas "linéaires" comme le sont, par exemple, celles d'un bailleur qui donne en jouissance un local au débiteur. Dans cette dernière hypothèse, les choses sont simples : dès lors que la jouissance procurée correspond à une période antérieure au jugement d'ouverture, la créance de loyer est antérieure. Dans le cas contraire, elle sera postérieure. Pour délimiter la nature juridique de la créance de loyer "à cheval" sur une période de jouissance antérieure et postérieure, il suffit de calculer au prorata temporis la part exacte du loyer bénéficiant du régime des créances postérieures (20). Il en est tout autrement en matière de prestations de l'avocat. Le plus souvent, le montant de ses honoraires est fixé en considération de la procédure qu'il doit mener dans sa globalité, sans distinguer les étapes de celle-ci -assignation, rédaction des conclusions, plaidoiries, obtention de la décision-. Lorsque les différentes étapes du procès mené avec l'assistance de l'avocat sont étalées sur une période antérieure et postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective du client, se pose avec évidence une question pratique essentielle : quelle part de la créance d'honoraires de l'avocat attribuer à chacune de ces étapes constituant autant de prestations ? Ainsi, la mise en oeuvre pratique de la solution dégagée par la Cour de cassation sera des plus délicates.

Une autre question se pose, question que la Chambre commerciale de la Cour de cassation n'a pas, à notre connaissance, encore eu l'occasion d'aborder : celle du fait générateur de la créance d'honoraires de résultat. Il est assez classique que l'avocat propose une rémunération de base, fixe, à laquelle viendront s'ajouter, en cas de succès du procès, des honoraires de résultats calculés, le plus souvent, en référence à un pourcentage du montant des sommes recouvrées ou de la condamnation évitée. Ces deux types de créances d'honoraires ont-elles le même fait générateur, c'est-à-dire la même date de naissance ? On a vu, à l'instant, qu'en matière d'honoraires dit "de base", cette créance, qui correspond à la fourniture du travail, a précisément pour fait générateur l'accomplissement de ce travail. Il en résulte que, selon que l'accomplissement du travail est antérieur au jugement d'ouverture, la créance a la nature juridique d'une créance antérieure -et inversement-, peu important la date d'exigibilité de la créance. La créance d'honoraires de résultat, comme sa dénomination l'indique, n'est pas une créance qui naît de l'accomplissement du travail, mais plutôt de l'obtention du résultat. Ainsi, en l'absence d'obtention du résultat souhaité, cette créance ne naîtra pas. Il en résulte donc que, si le résultat obtenu l'est antérieurement au jugement d'ouverture, la créance d'honoraires de résultat sera antérieure. En revanche, même si la prestation fournie en termes de travail effectué l'est antérieurement au jugement d'ouverture, la créance d'honoraires de résultat sera postérieure si le résultat est obtenu l'est après l'ouverture de la procédure. C'est en ce sens que s'est prononcée la jurisprudence des juges du fond (21) : le fait générateur de la créance d'honoraires de résultat d'un prestataire de services est fixé au jour de l'obtention du résultat, c'est-à-dire, en l'occurrence, le versement d'un crédit d'impôt formation à l'entreprise sous procédure collective.


Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de Conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
Directrice du Master 2 Droit de la Banque de la Faculté de droit de Toulon


(1) CA Versailles, 13ème ch., 15 juin 2006, n° 06/01994, SA Euler Hermes SFAC c/ Maître Patrick Canet, mandataire judiciaire de SA Photo Service (N° Lexbase : A9344DQ7), JCP éd. E, 2006, 2440, p. 1693 ; JCP éd. E, 2006, 379, p. 1510, note Ph. Roussel Galle ; JCP éd. E, 2007, chron. 1004, p. 19, n° 1, obs. crit. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll. 2006/3, p. 225, obs. J.-J. Fraimout et Ph. Roussel Galle ; LPA 22 décembre 2006, n° 255, p. 14, note S. Prigent ; Defrénois 2006/24, chron. 38507, p. 1917, n° 7, note D. Gibirila.
(2) CA Colmar, 26 septembre 2006, 1ère ch., sect. A, Rec. Jurisp. Est, p. 176 s. ; Gaz. proc. coll. 2007/3, à paraître avec la note de Ch. Lebel.
(3) Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-16.204, Société civile professionnelle (SCP) Guérin Diesbecq c/ Société Le Moulage Technique, FS-P (N° Lexbase : A6034A4A), D. 2003, AJ p. 347 ; Act. proc. coll. 2003/3, n° 31, obs. J. Vallansan ; RTD com. 2003, p. 813, n° 5, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Dr. et proc. 2003/4, p. 235, note P.-M. Le Corre ; Bull. Joly 2003, n° 78, p. 402, note F.-X. Lucas ; Rev. proc. coll. 2004, p. 273, n° 13, obs. M.-P. Dumont ; Cass. com., 17 décembre 2003, n° 02-16.029, Sociétés SMGT et SNC du Château Saint-Corneille c/ M. Claude Vayrac, F-D (N° Lexbase : A4935DAZ) ; Cass. com., 23 novembre 2004, n° 03-17.799, M. Jean-Pierre Abbadie, pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan des sociétés CLC International, CLC Location, CLC Transport et Coste c/ M. Francis Coste, F-D (N° Lexbase : A1350DEQ).
(4) Cass. com., 6 octobre 1992, n° 90-18.992, Etablissements Floret c/ Société Bâticentre et autres (N° Lexbase : A4735ABY), Bull. civ. IV, n° 190 ; Cass. com., 14 novembre 2000, n° 98-14.672, M. René Cahn et autres (N° Lexbase : A5480AWU), Act. proc. coll. 2001 /1, n° 1 ; Rev. proc. coll. 2002, p. 56, n° 9, obs. J.-M. Deleneuville ; Cass. com., 3 avril 2001, n° 97-21.821, M. Roger Douet (N° Lexbase : A1900ATK), Rev. proc. coll. 2002, p. 56, n° 10, obs. J.-M. Deleneuville ; Cass. com., 23 novembre 2004, n° 03-15.837, Union des travailleurs indépendants mutualistes de Bourgogne (UTIMB), F-D (N° Lexbase : A1334DE7) ; Cass. com., 30 mai 2006, n° 05-12.600, Société La Baronne Guay c/ M. Yannick Mandin, F-D (N° Lexbase : A7584DPL), Gaz. proc. coll. 2006/3, p. 14, obs. Ch. Lebel.
(5) Interv. A. Vidalies, JOAN CR, 2ème séance du 3 mars 2005, p. 1640.
(6) Interv. A. Vidalies, JOAN CR, 2ème séance du 3 mars 2005, p. 1641
(7) Interv. A. Vidalies, JOAN CR, 2ème séance du 3 mars 2005, p. 1641
(8) Rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 154.
(9) Rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 154.
(10) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2006/2007, n° 223.09 - Rappr. F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, n° 174.
(11) V. aussi F.-X. Lucas et H. Lécuyer, De la sauvegarde, LPA n° sp., 8 février 2006, n° 28, p. 23.
(12) C. Saint-Alary Houin, Droit des entreprises en difficulté, 5ème éd., Montchrestien, "Domat", 2006, n° 375.
(13) Cass. com., 3 avril 2001, n° 98-11.169, Société Babcock Wanson c/ Mme Christine Dauverchain Pernaud (N° Lexbase : A1958ATP), D. 2001, AJ p. 1621, obs. V. Avéna-Robardet ; Act. proc. coll. 2001/9, n° 110, obs. J. Vallansan ; JCP éd. E, 2001, chron. 1472, p. 1431, n° 13, obs. M. Cabrillac et P. Pétel ; RTD com. 2002, p. 160, n° 11, obs. A. Martin-Serf ; RTD civ. 2001, p. 631, obs. P. Crocq ; Rev. proc. coll. 2002, p. 101, n° 5, obs. C. Saint-Alary-Houin.
(14) Cass. com., 5 mai 2004, n° 01-17.201, Société Aérosat c/ Société Brown et Sharpe, FS-P+B (N° Lexbase : A1569DC4), D. 2004, AJ p. 1525, obs. A. Lienhard ; D. 2004, somm. comm. p. 2144, obs. F.-X. Lucas, Rev. proc. coll. 2004, p. 225, n° 5, obs. Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll. 2004, p. 381, n° 8, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; RTD civ. 2004, p. 760, n° 3, obs. P. Crocq.
(15) Cass. com., 26 novembre 2002, n° 00-10.611, Société Diac c/ M. Soinne, F-D N° Lexbase : A1116A44, Act. proc. coll. 2003/2, n° 14, obs. J.-Ch. Boulay ; Dr. et proc. 2003/3, p. 161, obs. P. Crocq ; JCP éd. E, 2003, chron. 760, p. 852, n° 11, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll. 2003, p. 236, n° 3, obs. Ph. Roussel Galle ; D. 2003, jur. p. 22, note P.-M. Le Corre.
(16) Obs. M. Cabrillac, JCP éd. E, 2003, chron. 760, p. 852, n° 11.
(17) V. Dalloz Action, n° 633.22.
(18) Cass. com., 02-10-2001, n° 98-22.493, Mme Brigitte Penet-Weiller c/ Société Fid Sud (N° Lexbase : A1488AWZ), D. 2001, AJ p. 3118, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2001 /18, n° 231, obs. C. Régnaut-Moutier; JCP éd. E, 2002, chron. 175, p. 176, n° 16, obs. M. Cabrillac ; RJDA 2002/2, n° 171 ; JCP éd. E, 2002, jur. 177, p. 181, note F. Pasqualini ; LPA 20 décembre 2001, n° 253, p. 28, note F.-X. Lucas ; RTD com. 2002, p. 158, n° 8, obs. A. Martin-Serf ; Bull. Joly 2002, n° 4, note D. Vidal ; D. 2002, jur. p. 88, note F. Derrida ; Rev. proc. coll. 2002, p. 264, n° 1, obs. M.-P. Dumont, cassant CA Paris, 3ème ch., sect. B, 23 octobre 1998, D. Affaires 1998, p. 1908, obs. A. L. ; Act. proc. coll. 1998/13, n° 174, obs. J. Vallansan.
(19) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2006/2007, n° 442.41.
(20) Cass. com., 28 mai 2002, n° 99-12.275, M. Philippe Martin c/ Société Batinorest, FS-P (N° Lexbase : A7928AYB), D. 2002, AJ p. 2124, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2002 /13, n° 172, obs. J. Vallansan et C. Golhen ; JCP éd. E, 2003, chron. 231, p. 269, n° 10, obs. Ph. Pétel ; RTD com. 2002, p. 726, n° 3, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll. 2003, p. 146, n° 4, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Petites affiches 19 décembre 2002, n° 253, p. 18, note J.-L. Courtier ; CA Paris, 14ème ch., sect. B, 19 décembre 2003, n° 2002/18466, Société civile Olan c/ SARL Body Form (N° Lexbase : A9728DAK).
(21) CA Versailles, 12ème ch., sect. 1, 27 janvier 2005, n° 04/00204, Maître Patrick Ouizille, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SNARX c/ SARL NEVA Consultants (N° Lexbase : A4362DXT).

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Responsabilité

[Jurisprudence] Accidents de la circulation : la Cour de cassation confirme l'appréciation extensive de la notion d'implication au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985

Réf. : Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.484, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B (N° Lexbase : A0822DXQ)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'occasion a, à quelques reprises déjà, été donnée de signaler l'importance du contentieux en matière d'accidents de la circulation et les difficultés suscitées par la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1985 (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9) tendant, précisément, à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, applicables, aux termes de l'article 1er de la loi, "même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Ainsi, très récemment, répondant au point de savoir si peut être opposée à la victime d'un accident de la circulation sa faute constituée par le fait d'avoir un taux d'alcoolémie supérieur au taux légalement admis, deux arrêts rendus en Assemblée plénière, abandonnant des solutions antérieures admises par la deuxième chambre civile considérant que le dépassement du taux d'alcoolémie autorisé faisait présumer le lien causal, ont jugé qu'un taux d'alcoolémie excessif n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation (1). A côté de ces difficultés tenant au régime de la loi, ce sont, également, en amont, des questions relatives aux conditions d'application du dispositif légal qui se posent, particulièrement lorsque l'on se demande si le véhicule est ou non "impliqué" dans l'accident.

Evidemment, la loi n'est pas applicable à l'hypothèse d'un accident dans lequel ne serait impliqué qu'un seul véhicule.

La Cour de cassation l'a assez récemment encore affirmé, dans un cas dans lequel une automobiliste avait été renversée par son propre véhicule parti en marche arrière alors qu'elle en était descendue pour fermer la porte du garage de son domicile et, blessée, avait demandé à son assureur l'indemnisation de son préjudice : "le gardien d'un véhicule terrestre à moteur, victime d'un accident de la circulation, ne peut se prévaloir des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 à l'encontre de son propre assureur, pour obtenir l'indemnisation de son dommage, en l'absence d'un tiers conducteur du véhicule, débiteur d'une indemnisation à son égard" (2). Mais les hésitations sont plus sérieuses lorsque plusieurs véhicules sont intervenus dans l'accident. Plus de vingt ans après son entrée en vigueur, la notion d'implication continue se soulever des interrogations, comme en témoigne, encore, un récent arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 4 juillet dernier, à paraître au Bulletin.

En l'espèce, circulant de nuit, un véhicule de police s'était engagé à la poursuite d'un véhicule volé et avait heurté le muret d'une autoroute pour, finalement, se retourner. Le conducteur, gardien de la paix, avait été blessé, et deux de ses collègues passagers sont décédés des suites de l'accident. L'assureur du véhicule volé reprochait aux juges du fond de l'avoir condamné à indemniser les victimes ou leurs ayant droits, alors que, selon lui, ledit véhicule ne pouvait pas être considéré comme impliqué dans l'accident, l'implication d'un véhicule dans un accident de la circulation supposant, selon le pourvoi, "qu'il ait objectivement eu une influence sur le comportement de la victime ou du conducteur d'un autre véhicule, qu'il l'ait heurté, gêné ou surpris".

Assez classiquement, cette argumentation n'a pas convaincu la Cour de cassation qui relève que "l'arrêt retient exactement qu'est impliqué au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 tout véhicule qui est intervenu à un titre quelconque dans la survenance de l'accident et qu'en l'espèce, la MACIF [l'assureur] ne saurait valablement contester l'implication du véhicule Subaru [le véhicule poursuivi], dès lors que malgré l'absence de contact, l'accident s'est produit durant la poursuite du véhicule des malfaiteurs". L'arrêt confirme, ainsi, l'appréciation très large faite de la notion d'implication par la jurisprudence, et sans doute voulue par le législateur, même s'il n'a pas défini cette notion. Nul n'ignore, en effet, que la jurisprudence a non seulement abandonné une distinction à laquelle on avait pu, dans un premier temps, songer selon que le véhicule est ou non en mouvement, décidant ainsi que le fait qu'un véhicule heurté soit en stationnement sans perturber la circulation n'exclut pas son implication dans un accident (3), mais encore considéré qu'un véhicule pouvait être impliqué dans un accident même en l'absence de contact, dès lors qu'il est intervenu d'une manière ou d'une autre dans cet accident (4).

Ces solutions paraissent justifiées par l'objectif poursuivi par la loi, figurant au demeurant dans son intitulé même. Au fond, l'une des rares hypothèses dans lesquelles l'implication est écartée est celle dans laquelle le véhicule est immobile est qu'est seul en cause dans l'accident un élément d'équipement du véhicule étranger à sa fonction de déplacement (5). Cette solution pourrait d'ailleurs être discutée (quid du dommage causé par le rétroviseur ou l'antenne radio d'un véhicule ?), mais c'est là un autre débat...


(1) Ass. plén., 6 avril 2007, 2 arrêts, n° 05-81.350, M. Daniel Duboust c/ Mme Patricia Pipon, P+B+R+I (N° Lexbase : A9501DUG) et n° 05-15.950, MACIF Provence-Méditerranée c/ M. Stéphane Devos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9499DUD) ; et nos obs., Un taux d'alcoolémie excessif n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation, Lexbase Hebdo n° 259 du 10 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0432BBM).
(2) Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-17.095, Mme Florence Joseph-Adolphe, épouse Bandry, FS-P+B (N° Lexbase : A4602DQI) et nos obs., La loi du 5 juillet 1985 et le cas du véhicule seul impliqué dans un accident de la circulation, Lexbase Hebdo n° 229 du 28 septembre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N3090ALZ) ; comp. Cass. civ. 2, 7 décembre 2006, n° 05-16.720, Société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (MATMUT), FS-P+B (N° Lexbase : A8341DSQ) et nos obs., Impossibilité pour le conducteur gardien de demander la réparation de son dommage sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 en l'absence d'un tiers débiteur d'une indemnisation, Lexbase Hebdo n° 243 du 11 janvier 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7209A9U) ; et voir déjà, antérieurement, dans le même sens, Cass. civ. 2, 19 novembre 1986, n° 85-13.760, M. Betton et autre c/ M. Rabineau et autres (N° Lexbase : A6478AA8), Bull. civ. II, n° 166 ; Cass. civ. 2, 24 mai 1991, n° 90-11.805, M. Voisin c/ M. Colotto (N° Lexbase : A5130AHH), Bull. civ. II, n° 153.
(3) Cass. civ. 2ème, 23 mars 1994, n° 92-14.296, Consorts Fourdrin c/ M. Cailleux et autres, publié (N° Lexbase : A6597AXM), JCP éd. G, 1994, II, 22292, note P. Jourdain, D. 1994, p. 299, note H. Groutel.
(4) Cass. civ. 2, 18 mars 1998, n° 96-13.726, Fonds de garantie automobile (FGA) c/ Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF) et autres (N° Lexbase : A2686ACH), Bull. civ. II, n° 88.
(5) Voir not. Cass. civ. 2, 19 octobre 2006, n° 05-14.338, Gan encourtage IARD, FS-P+B (N° Lexbase : A9648DRR), à propos d'un dommage causé par la pompe d'un camion citerne immobile à l'occasion d'un ravitaillement en gaz liquide.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Précisions sur l'interdiction des primes de rendement dans le transport routier de marchandises

Réf. : Cass. soc., 20 juin 2007, n° 03-47.587, Société TDLC, F-D (N° Lexbase : A8649DWA)

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par Aurélie Serrano, SGR - Droit social

Le 07 Octobre 2010


Le versement d'une prime de rendement au kilomètre constitue une incitation au dépassement de la durée de travail. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 2007, confirmant, ainsi, un important arrêt du 13 novembre 2003 (Cass. soc., 13 novembre 2003, n° 01-46.075, F-P+B+R+I N° Lexbase : A1310DAR ; sur cet arrêt, lire Ch. Radé, A propos de la prohibition des primes de rendement dans le secteur routier : faut-il craindre la contagion ?, Lexbase Hebdo n° 95 du 20 novembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9489AAP) qui avait écarté, par principe, toutes les primes de rendement du secteur du transport routier de marchandise. Dans sa décision du 20 juin 2007, la Cour de cassation va encore plus loin puisqu'elle apporte des précisions sur les conséquences financières de cette solution : la prime de rendement doit être intégrée au salaire de base pour son montant le plus élevé.

Résumé

Le versement d'une prime de rendement au kilomètre constitue une incitation au dépassement de la durée de travail.

Traditionnellement, les employeurs mettent en place des primes attribuées selon le rendement individuel des salariés afin de les inciter à travailler plus efficacement. Toutefois, ces primes "d'efficacité" peuvent présenter des risques pour la sécurité des salariés en les poussant à violer les règles relatives à la durée maximale du travail et au temps de repos. Cela est particulièrement vrai dans le secteur des transports routiers où la violation de ces règles peut provoquer un risque d'accident de la circulation. C'est la raison pour laquelle un avenant, conclu en 1992, a modifié la convention nationale du 21 décembre 1950 pour interdire les primes indexées sur le kilométrage parcouru dès lors qu'elles constitueraient une incitation au dépassement des durées légales. Désormais, aux termes de l'article 14 de l'annexe I, relative aux dispositions particulières aux ouvriers, de la convention collective nationale des transports routiers, "dans un but de sécurité, les contrats de travail ne peuvent contenir de clause de rémunération de nature à compromettre la sécurité, notamment par l'incitation directe ou indirecte au dépassement de la durée du travail ou des temps de conduite autorisés, tel que l'octroi de primes ou de majorations de salaire en fonction des distances parcourues et/ou du volume des marchandises transportées". C'est ce principe qu'est venue appliquer la Cour de cassation dans son arrêt du 20 juin 2007.

En l'espèce, un salarié a été employé par la société TDLC, à compter du 10 janvier 1994, en qualité de coursier, avec une rémunération mensuelle composée d'un salaire de base et d'une prime, dite d'efficacité, calculée en fonction du nombre de "bons" réalisés. Estimant que ce système de "prime au bon" portait atteinte à la sécurité des coursiers et était illégal comme contraire à l'article 14 de l'annexe I, relative aux dispositions particulières aux ouvriers, de la convention collective nationale des transports routiers, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaire calculé par intégration de sa rémunération complémentaire "au bon" dans le salaire de base. La cour d'appel condamne l'employeur à payer au salarié un rappel de salaire et de congés payés afférents et à l'union locale de syndicats CGT de Paris des dommages-intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession (CA Paris, 22ème ch., sect. C, 13 octobre 2005, n° 03/38508, SA TDLC c/ M. Stéphane Lutz N° Lexbase : A3110DLR).

L'employeur se pourvoit en cassation. Il fait valoir que le paiement, par une entreprise de transports routiers de marchandises de proximité, d'une prime calculée en fonction du nombre de bons payés par les clients n'est pas prohibé lorsque ce nombre est indépendant de la durée du travail fourni ainsi que du temps de conduite. Dès lors, selon l'employeur, en décidant que la prime dite "d'efficacité" était contraire aux prescriptions de l'article 14 de l'annexe I de la convention collective nationale des transports routiers, sans rechercher si le nombre des bons, duquel dépendait le quantum de la prime, avait un lien avec la durée du travail ou les temps de conduite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées.

En vain, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l'employeur. La cour d'appel a relevé que la prime d'efficacité conduisait à une majoration du salaire en fonction des distances parcourues et des délais de livraison, ce qui incitait les salariés à dépasser la durée normale de travail et les temps de conduite autorisés. Ayant ainsi fait ressortir que la vitesse jouait nécessairement un rôle dans le nombre de courses, la cour d'appel a, à bon droit, déduit qu'un tel mode de rémunération de nature à compromettre la sécurité du salarié était prohibé par l'article 14 de l'annexe 1 de la convention collective nationale des transports routiers.

La Cour de cassation ne laisse pas de place au doute s'agissant de la portée de l'article 14 de la convention collective du transport routier de marchandise. Rejetant l'argumentaire de l'employeur, elle ne tente pas d'opérer une distinction entre les "bonnes" clauses de rendement, qui comporteraient suffisamment de garanties, et les "mauvaises" qui inciteraient, manifestement, les salariés à dépasser la durée du travail. Ce faisant, elle s'inscrit dans la droite ligne de sa décision rendue le 13 novembre 2003 (Cass. soc., 13 novembre 2003, n° 01-46.075, préc.). On avait, alors, pu se demander si le principe de la rémunération au rendement n'était pas menacée (lire Ch. Radé, A propos de la prohibition des primes de rendement dans le secteur routier : faut-il craindre la contagion ?, préc.) et si la prohibition ne débordait pas le secteur des transports routiers. En effet, le raisonnement retenu par la Cour suprême est aisément exportable dans d'autres secteurs d'activité que celui des transports et ce en l'absence même de disposition conventionnelle fondant l'illicéité de la clause de rendement. On peut estimer que, d'une manière générale, une prime de rendement constitue une incitation à violer les règles relatives à la durée maximale du travail, au repos, aux pauses et aux heures supplémentaires. Pourtant, aujourd'hui, à notre connaissance, aucune décision n'est venue étendre l'interdiction des primes de rendement à d'autres secteurs que le transport routier...

Dans sa décision du 20 juin 2007, la Cour de cassation précise les conséquences financières de l'illicéité des primes de rendement. Elle décide, en effet, que ces primes doivent être réintégrées dans le salaire de base. Mais elle va plus loin en précisant que ces primes doivent être retenues à leur niveau le plus élevé. Pas question, donc, pour la Cour de cassation de tergiverser : les primes doivent être réintroduites dans le salaire de la façon la plus simple et la plus avantageuse pour les salariés. On peut, toutefois, s'interroger sur le caractère réellement avantageux d'une telle réintégration. On sait, en effet, que la jurisprudence refuse traditionnellement de réintégrer dans le salaire mensuel de base, sans l'accord du salarié, une prime de nature conventionnelle (Cass. soc., 23 octobre 2001, n° 99-43.153, FS-P N° Lexbase : A8055AWA ; Cass. soc., 28 septembre 2005, n° 04-45.704, F-D N° Lexbase : A5998DKD). Le salarié peut, ainsi, s'opposer à une réintégration des primes qui pourrait avoir pour conséquence de gonfler son salaire au mépris d'une augmentation véritable. En outre, ainsi que le souligne le Professeur Christophe Radé, admettre que l'employeur pourrait modifier unilatéralement le contrat de travail, sous prétexte que cette modification serait faite dans un sens plus favorable aux salariés, relève, en effet, d'une "logique paternaliste totalement déplacée" (Ch. Radé, Droit social n° 1, janvier 2002).

Enfin, la Cour précise utilement que ces primes ne peuvent pas être modifiées sans l'accord des salariés concernés. Ainsi, la Cour confirme une jurisprudence constante selon laquelle la rémunération du salarié ne peut être modifiée sans son accord (Cass. soc., 3 mars 1998, n° 95-43.274, M. Herzberg c/ Société Bata-Hellocourt, publié N° Lexbase : A2544AC9). Ce faisant, elle dresse un dernier rempart contre les employeurs qui souhaiteraient se débarrasser de clauses devenues encombrantes et, ainsi, éviter de voir les primes de rendement réintégrées dans le salaire des intéressés.

Décision

Cass. soc., 20 juin 2007, n° 03-47.587, Société TDLC, F-D (N° Lexbase : A8649DWA)

Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 4 novembre 2003)

Textes concernés : article 14 de l'annexe 1 de la convention collective nationale des transports routiers

Mots-clefs : primes ; transport routier.

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