Lexbase Affaires n°161 du 31 mars 2005 : Sociétés

[A la une] La démission du dirigeant est un acte unilatéral : conséquences pratiques

Réf. : Cass. com., 22 février 2005, n° 03-12.902, M. Jean-Louis Rebellato c/ M. Alain Bourgeois, F-P+B (N° Lexbase : A8662DGW)

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par Jean-Philippe Dom, Maître de conférences à l'Université de Caen

le 01 Octobre 2012


La démission d'un dirigeant est un acte unilatéral, lequel, sauf stipulation contraire des statuts, produit, d'une part, tous ses effets dès lors qu'il a été porté à la connaissance de la société, et d'autre part, ne nécessite aucune acceptation de la part de celle-ci et ne peut faire l'objet d'aucune rétractation. Telle est la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'arrêt rendu le 22 février 2005. Les faits de l'espèce sont limpides. Le gérant d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) donne sa démission à la société et à son unique associé. Puis, par courrier, il revient sur sa décision. Dans un arrêt rendu par la cour d'appel de Toulouse, les juges du fond constatent tout d'abord, que le gérant a clairement donné sa démission par plusieurs courriers, et qu'à compter de la réception de ces courriers, il ne pouvait revenir sur sa décision. En outre, ils considèrent que le gérant ne rapportait pas la preuve de circonstances ayant pu le contraindre à démissionner.

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cet arrêt en approuvant la cour d'appel d'avoir ainsi statué à la lumière des faits.

La démission des dirigeants des sociétés commerciales (H. Souleau, La démission des dirigeants des sociétés commerciales, RTD com., 1972, spéc., p. 25) est un moment fort de la vie d'une société. Elle peut être provoquée par des motifs d'ordre subjectif, la lassitude, ou d'ordre objectif, une mésentente à propos de la rémunération.

La nature et le régime de cet acte sont étroitement liés. Ces deux points ressortent de l'arrêt commenté et emportent des conséquences théoriques et pratiques importantes. La démission est un acte unilatéral (I) qui peut être aménagé par les statuts (II).

I. Le caractère unilatéral de la démission

La démission du gérant est un acte unilatéral qui produit effet dès sa réception par le destinataire (v. déjà, en ce sens, CA Paris, 3e ch., sect. C, 5 novembre 1999, n° 1999/03230, Société Segaco SARL N° Lexbase : A9414A7S ; Bull. Joly 2000, § 33, note J-M. Bahans).

Cette qualification est justifiée à deux égards.

En premier lieu, du point de vue du droit du mandat, l'article 2007 du Code civil (N° Lexbase : L2242ABN), permet au mandataire de notifier au mandant sa renonciation. En second lieu, le mandataire social ne peut être prisonnier de ses fonctions. Aussi, dans la mesure où il ne démissionne pas à contretemps ou de façon trop précipitée, il doit pouvoir librement se démettre de la même façon qu'il peut être révoqué.

Il y a là un argument qui tient au parallélisme des formes et à l'effet de réciprocité. Sous l'empire de l'article 24, alinéa 3, de la loi du 7 mars 1925 qui régissait initialement les sociétés à responsabilité illimitée (SARL) (d'après cet article, "les gérants nommés par l'acte de société ou par un acte postérieur ne sont révocables que pour des causes légitimes"), la démission du gérant avait pu être considérée comme un contrat unilatéral requérant l'acceptation de la société. En effet, la Cour de cassation avait admis que la démission, donnée sous le coup de la colère, pouvait être suspendue par l'assemblée des associés qui avait accordé un délai de réflexion au gérant (Cass. com., 13 janvier 1969, n° 66-14.499, publié N° Lexbase : A0953AUT ; D. 1969, jurispr., p. 393, note A. Dalsace). L'arrêt du 22 février 2005 opère un revirement de jurisprudence. Les motifs de ce revirement tiennent probablement à la modification des conditions de révocation du gérant de SARL. L'article 55 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 (N° Lexbase : L6202AGS) (devenu C. com., art. L. 223-25 N° Lexbase : L3180DYG et modifié par l'ordonnance, n° 2004-274,du 24 mars 2004 N° Lexbase : L4315DPI), a été créé "pour mettre fin à la quasi-inamovibilité du gérant de société à responsabilité" (obs. de la Commission des lois, v. M. Hamiaut, La réforme des sociétés commerciales, I, Paris Dalloz 1966, spéc. p. 26). En droit positif (C. com., art. L. 223-25), sans être révocable ad nutum, le gérant de SARL est librement révocable. Certes, si sa révocation a été décidée sans justes motifs, elle s'accompagne de dommages-intérêts. Néanmoins, la révocation étant maintenant libre, la démission le devient.

La Cour de cassation étend la qualification d'acte unilatéral à toute démission émanant de tout "dirigeant de société". Ainsi, quelle que soit la forme sociale (toutes les sociétés paraissent concernées, il en va probablement ainsi des autres formes de groupements : association, GIE, fondation, etc.) et la nature des fonctions de direction (fonction de représentant : directeur général de société anonyme par exemple, ou fonction de contrôle : membre du conseil de surveillance par exemple), le dirigeant qui donne sa démission doit avoir pesé les conséquences de son acte avant d'agir. En effet, à réception de la démission, celle-ci a définitivement produit ses effets.

En pratique, des questions peuvent encore se poser. Afin d'éviter les conséquences fâcheuses d'une action en responsabilité pour démission intempestive, il est fréquent que le dirigeant envoie une lettre précisant qu'il donne sa démission, celle-ci prenant effet "à compter de telle date". Pendant la période qui reste à courir jusqu'à l'échéance, la société peut-elle encore convaincre le dirigeant de rétracter sa démission ? Une réponse affirmative devrait s'imposer pour la souplesse du fonctionnement de la société. Cependant, si la révocation ne nécessite aucune acceptation de la part de la société et que celle-ci produit ses effets à réception, peut-il y avoir rétractation ? Le maintien dans les fonctions ne passe-t-il pas alors obligatoirement par une nouvelle nomination ? Les termes de l'arrêt le laissent penser.

II. Les aménagements conventionnels de la démission

Le régime de la démission peut être aménagé par les statuts. De tels aménagements sont fréquents.

Ainsi les statuts prévoient, parfois, un préavis, le dirigeant devant informer la société de sa démission. Ce préavis doit être d'un délai raisonnable pour, notamment, permettre à la société de trouver un remplaçant. A défaut, dans un délai se situant à l'intérieur du délai de préavis, les statuts peuvent autoriser le dirigeant à mettre en oeuvre la procédure de désignation d'un mandataire ad hoc. Celui-ci prendra ses fonctions à compter de la date de prise d'effet de la démission du dirigeant.

En principe, il conviendrait d'éviter la clause subordonnant la démission du dirigeant à l'acceptation de la démission par l'assemblée ou un organe collégial tel que le conseil d'administration. L'arrêt commenté suggère qu'une telle clause est licite. Elle est cependant difficile à mettre en oeuvre. Comment motiver le dirigeant dont la démission n'a pas été acceptée ? On voit mal une société forcer son dirigeant à exercer ses fonctions jusqu'à la fin de son mandat sous la menace d'une action en responsabilité pour manquement à son obligation de diligence...

En revanche, afin d'assouplir les conséquences très abruptes que la Cour de cassation attache à la nature de la démission, il semblerait possible de préciser l'existence d'un délai situé à l'intérieur du délai de préavis, pendant lequel le dirigeant aurait la possibilité de rétracter librement sa démission.

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