Réf. : Cass. soc., 4 novembre 2015, n° 14-16.338, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0295NWT)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 03 Décembre 2015
Résumé
En application de l'article L. 3123-15 du Code du travail (N° Lexbase : L3873IB3), le dépassement d'au moins deux heures par semaine de l'horaire convenu sur une période de douze semaines consécutives ou sur douze semaines au cours d'une période de quinze semaines doit être calculé en fonction de l'horaire moyen réalisé par le salarié sur toute la période de référence. |
Commentaire
I - Précision des limites du dépassement des horaires du salarié à temps partiel
Le dépassement de l'horaire contractuel du travailleur à temps partiel. Comme dans le cadre d'un contrat de travail à temps complet où l'employeur peut exiger du salarié la réalisation d'heures supplémentaires au-delà de la durée légale ou conventionnelle de travail, la durée contractuelle prévue dans le cadre d'un contrat de travail à temps partiel peut être dépassée selon deux procédés.
D'abord, il est permis à l'employeur de demander au salarié de réaliser des heures complémentaires. L'article L. 3123-14 du Code du travail (N° Lexbase : L0679IXG) impose que le nombre maximal d'heures complémentaires pouvant être demandées soit prévu par le contrat de travail. En principe, le nombre d'heures complémentaires hebdomadaires ne peut excéder le dixième de la durée contractuelle de travail (1), limite pouvant être portée à un tiers de cette durée par un accord collectif de branche étendu, d'entreprise ou d'établissement (2).
Ensuite, depuis la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU), le Code du travail autorise les parties à conclure un avenant au contrat de travail à temps partiel dit de "complément d'horaire". A nouveau, la faculté d'augmenter les horaires de travail par cette voie est subordonnée à la conclusion préalable d'un accord de branche étendu (3). L'accord doit prévoir le nombre maximal d'avenants annuels qui peuvent être conclus, dans la limite absolue de huit. Il peut aussi prévoir une majoration de rémunération pour les heures de travail résultant de cet avenant.
Les limites au dépassement de l'horaire contractuel. Deux limites ont été posées à l'augmentation temporaire du temps de travail du salarié à temps partiel.
Premièrement, l'augmentation du temps de travail par des heures complémentaires ne peut avoir pour effet de porter la durée de travail effective du salarié à hauteur de la durée légale ou conventionnelle de travail (4). L'application de cette règle aux avenants de complément d'horaire est plus incertaine (5) : d'un côté, la limite est posée dans une sous-section du Code consacrée aux heures complémentaires, alors que les avenants sont encadrés par une autre sous-section ; d'un autre côté, peut-on encore parler de travail à temps partiel lorsque la durée légale de travail à temps complet est atteinte, fut-ce avec l'accord du salarié ?
Deuxièmement, l'article L. 3123-15 du Code du travail dispose que, si pendant une période de douze semaines consécutives, ou pendant douze semaines au cours d'une période de quinze semaines ou encore pendant une période fixée par accord collectif, "l'horaire moyen réellement accompli par le salarié a dépassé de deux heures au moins par semaine, ou de l'équivalent mensuel à cette durée, l'horaire prévu dans son contrat, celui-ci est modifié, sous réserve d'un préavis de sept jours et sauf opposition du salarié intéressé".
Les caractères de la limite horaire moyenne. A plusieurs reprises, la Chambre sociale de la Cour de cassation a dû s'intéresser à la modification automatique de la durée contractuelle qui résulte de l'article L. 3123-15 du Code du travail. Pour l'essentiel, il ressort de ses décisions que la modification automatique est d'ordre public et que seul le salarié peut s'y opposer.
Ainsi, un accord collectif de travail ne peut prévoir des cas de justification du dépassement des horaires qui excluraient la modification automatique (6). L'employeur n'est naturellement pas admis à s'opposer à la modification du contrat de travail, et son refus constitue un manquement susceptible de justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail ou une demande de résiliation judiciaire du contrat (7). Le simple fait que le salarié ne s'oppose pas, à l'issue de cette période de douze semaines, à reprendre l'horaire initial ne suffit pas à exclure la modification automatique : seule une opposition expresse évite la modification de l'horaire contractuel (8).
Les décisions intéressant les conditions et modalités de calcul du dépassement de plus de deux heures en moyenne de la durée contractuelle sont beaucoup plus rares.
L'affaire. Une salariée avait été engagée à temps partiel pour une durée hebdomadaire de travail de dix heures. Travaillant sur des marchés les samedis et dimanches matins dans un secteur touristique, l'employeur lui faisait réaliser des heures complémentaires pendant les périodes estivales, en 2007 et 2008, pendant plus de douze semaines consécutives. Estimant avoir dépassé de plus de deux heures, pendant ces deux périodes (18,95 en moyenne en 2007, 27,17 en moyenne en 2008), les dix heures de travail hebdomadaires prévues au contrat, la salariée saisit le juge prud'homal d'une demande de rappel de salaires.
La cour d'appel de Poitiers, confirmant un jugement du conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne, fit droit à cette demande en jugeant que "les dépassements visés par l'article L. 3123-15 du Code du travail, qui discute de la moyenne hebdomadaire ou mensuelle du temps de travail effectif accompli sur douze semaines, sont donc établis" (9).
L'employeur forma pourvoi en cassation en reprochant aux juges d'appel de n'avoir pas constaté "qu'au cours de chacune des douze semaines consécutives, le salarié a dépassé l'horaire convenu, et qu'en moyenne, ce dépassement excède deux heures par semaine". Il faudrait, pour que l'article L. 3123-15 du Code du travail produise ses effets, que le temps de travail du salarié dépasse de deux heures la durée contractuelle non seulement en moyenne sur douze semaines, mais encore chaque semaine concernée de la période en cause.
Par un arrêt rendu le 12 novembre 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Après avoir repris in extenso la lettre de l'article L. 3123-15 du Code du travail, la Chambre sociale juge que le dépassement d'au moins deux heures "doit être calculé en fonction de l'horaire moyen réalisé par le salarié sur toute la période de référence".
II - L'interprétation rigoureuse d'une règle inadaptée au travail saisonnier
Les ambiguïtés du critère légal de modification. La rédaction de l'article L. 3123-15 du Code du travail n'est pas exempte de tout reproche et pouvait susciter quelques doutes quant à l'interprétation qu'il convenait de retenir.
En effet, la modification automatique de l'horaire contractuel de travail survient si "l'horaire moyen réellement accompli par un salarié a dépassé de deux heures au moins par semaine" l'horaire prévu dans son contrat. La seconde partie de cette incise et la référence à un dépassement "par semaine" aurait pu être lue comme une référence au dépassement horaire dans chaque semaine de la période considérée. Aucune hésitation n'aurait été permise si le texte avait visé le dépassement de deux heures de l'horaire hebdomadaire moyen réellement accompli par un salarié, sans référence ultérieure à un dépassement de deux heures "par semaine".
Une décision antérieure de la Chambre sociale, portant sur l'opposition du salarié à la modification, et non sur ce mode de calcul, semait davantage encore le doute en disposant que "l'horaire de la salariée avait dépassé de plus de deux heures pendant douze semaines consécutives l'horaire prévu dans son contrat" (10). L'absence de référence à l'horaire moyen interrogeait sur l'existence d'un critère complémentaire d'appréciation semaine par semaine.
L'interprétation finaliste des termes légaux. Malgré la maladresse de rédaction de ce texte, c'est bien l'interprétation retenue par les juges du fond et la Chambre sociale de la Cour de cassation qui devait prévaloir.
En effet, l'interprétation suggérée par le conseil de l'employeur aurait eu pour conséquence de priver de toute utilité la référence à l'horaire "moyen réellement accompli". Si, pendant douze semaines, l'horaire de travail dépasse effectivement chaque semaine d'au moins deux heures l'horaire contractuel, la moyenne hebdomadaire de dépassement est nécessairement supérieure à deux heures : la précision d'une évaluation en moyenne, dans ce cas, parfaitement superflue.
Par leur position, les juges donnent un effet utile aux dispositions législatives, ce dont on ne peut que se féliciter.
Une règle ponctuellement trop sévère ? Si l'interprétation nous semble donc devoir être approuvée, il faut, en revanche, porter un regard plus critique sur les effets pratiques qui peuvent résulter de la règle légale. L'examen des faits de l'espèce montrent que ce dispositif n'est pas adapté au fonctionnement de certaines entreprises saisonnières dont l'activité peut varier substantiellement d'une période à une autre. La règle pose en particulier problème lorsque la haute saison dure plus de douze semaines, ce qui, heureusement, n'est qu'assez rarement le cas, aussi bien dans le domaine touristique qu'agricole, par exemple.
L'application de l'article L. 3123-15 du Code du travail aux nouveaux avenants de complément d'horaires est incertaine. Les textes ne l'excluent pas davantage que l'interdiction de porter la durée de travail à hauteur de la durée légale. Il y aurait, toutefois, une forte contradiction à permettre, d'un côté, une modification temporaire -sans limite de durée- acceptée par le salarié et, d'un autre côté, à pérenniser cette modification lorsqu'elle dépasse deux heures par semaine en moyenne et qu'elle dure plus de douze semaines (11). D'une certaine manière, l'accord du salarié à l'avenant caractérise son opposition à la modification automatique du contrat. Encore faut-il toutefois que le salarié accepte de conclure cet avenant...
Il est vrai que d'autres dispositifs, peut-être moins connus des entreprises, pourraient être employés. Tel est le cas du contrat de travail intermittent, par exemple, qui, dans une telle situation, permettrait à l'employeur de faire varier les horaires du salarié sans s'exposer à un risque de modification automatique de la durée du contrat. La possibilité de conclure le contrat de travail intermittent doit cependant être prévue par accord collectif (12), à défaut de quoi les règles du temps partiel ou des contrats saisonniers sont seules à pouvoir être appliquées (13). Rappelons, à ce titre, qu'une expérimentation est en cours, depuis la loi du 14 juin 2013, permettant à trois secteurs d'activité de conclure des contrats de travail intermittent sans accord collectif (14).
On peut, enfin, se souvenir que le précédent ministre du Travail avait mis en place un groupe de travail interministériel sur le travail saisonnier dont les conclusions étaient attendues pour la fin de l'été 2015 mais n'ont pas, à ce jour, été encore rendues (15). Si ses travaux ne sont pas achevés, voilà certainement des questions dont il pourrait se saisir.
(1) C. trav., art. L. 3123-17, al. 1er (N° Lexbase : L0681IXI).
(2) C. trav., art. L. 3123-18 (N° Lexbase : L0426H9N). L'accord doit, en ce cas, comporter des contreparties pour les salariés concernés, v. C. trav., art. L. 3123-23 (N° Lexbase : L0433H9W).
(3) C. trav., art. L. 3123-25 (N° Lexbase : L0682IXK), qui n'étend pas expressément cette faculté aux accords de branche ou d'entreprise.
(4) C. trav., art. L. 3123-17 (N° Lexbase : L0681IXI). Le contrat sera requalifié en contrat de travail à temps complet, quand bien même la période de travail à temps complet aura été très courte, temporaire et ponctuelle, v. Cass. soc., 12 mars 2014, n° 12-15.014, FS-P+B (N° Lexbase : A9496MGS) et nos obs., Dépassement des limites d'heures complémentaires du travailleur à temps partiel, Lexbase Hebdo n° 564 du 27 mars 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N1473BU4).
(5) Sur cette question, lire F. Favennec-Héry, Temps partiel : travail choisi ou travail forcé ?, Dr. soc., 2013, p. 785.
(6) Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-42.813, F-D (N° Lexbase : A6079ERL), à propos d'un accord qui excluait la modification lorsque le dépassement de la limite résultait du remplacement d'un salarié absent pour cause de maladie, accident du travail, maladie professionnelle ou congés légaux et/ou conventionnels.
(7) L'arrêt, relativement ancien, dispose plus précisément que le refus de l'employeur lui rend "la rupture du contrat de travail imputable", v. Cass. soc., 17 février 1993, n° 89-42.525, publié (N° Lexbase : A6257ABD).
(8) Cass. soc., 14 juin 2006, n° 04-45.775, FS-P (N° Lexbase : A9455DPU).
(9) CA Poitiers, 26 février 2014, n° 12/04134 (N° Lexbase : A9145MEG).
(10) Cass. soc., 14 juin 2006, n° 04-45.775, FS-P, préc..
(11) F. Favennec-Héry, préc..
(12) C. trav., art. L. 3123-35 (N° Lexbase : L0450H9K).
(13) Sur les difficultés que cela peut causer, v. Cass. soc., 24 juin 2015, n° 13-25.761, FS-P+B (N° Lexbase : A0024NMT) et nos obs., Contrats saisonniers successifs et stipulations conventionnelles, Lexbase Hebdo n° 620 du 9 juillet 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N8344BUL).
(14) Arrêté du 19 juin 2013 déterminant les secteurs pouvant à titre expérimental dans les entreprises de moins de cinquante salariés conclure des contrats à durée indéterminée intermittents en l'absence de convention ou d'accord collectif en application de l'article 24 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L2176IXU).
(15) Le Monde du 10 août 2015, Travail saisonnier : du nouveau à la fin de l'été ?
Décision
Cass. soc., 4 novembre 2015, n° 14-16.338, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0295NWT). Rejet, CA Poitiers, 26 février 2014, n° 12/04134 (N° Lexbase : A9145MEG). Textes concernés : C. trav., art. L. 3122-2 (N° Lexbase : L3950IBW) et art. L. 3123-15 (N° Lexbase : L3873IB3). Mots-clés : temps partiel ; heures complémentaires ; modification automatique du contrat de travail. Lien base : . |
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