Réf. : CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14 (N° Lexbase : A4806NWW)
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par Magali Gadrat, Maître de conférences à l'Université Paris 13
le 03 Décembre 2015
Résumé : pour déterminer si l'effectif de l'entreprise implique le respect de la Directive sur les licenciements collectifs, il y a lieu de comptabiliser les salariés recrutés en CDD. De surcroît, si, pour apprécier si cette Directive doit recevoir application, il faut prendre en compte toutes les ruptures intervenues pour un motif non inhérent à la personne du salarié quel que soit le mode de rupture, il est impératif qu'au moins cinq d'entre elles constituent un licenciement au sens strict, étant précisé que la rupture d'un contrat résultant du refus par le salarié d'une modification substantielle de son contrat que l'employeur entendait lui imposer pour un motif économique constitue un licenciement au sens de la Directive. |
Répondant aux différentes questions préjudicielles relatives à l'interprétation de ce texte soulevées par la juridiction espagnole, la CJUE affirme, en premier lieu, que les salariés en CDD doivent être pris en compte pour déterminer le nombre de travailleurs "habituellement" employés dans l'établissement concerné, au sens de la Directive (I). En second lieu, elle énonce que la condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq, vise non pas les cessations de contrat de travail assimilées à un licenciement, mais exclusivement les licenciements au sens strict (II). En troisième et dernier lieu, la CJUE considère qu'une rupture amiable du contrat motivée par le refus d'un salarié d'une modification substantielle de son contrat que l'employeur entendait lui imposer pour un motif économique constitue un licenciement au sens de la Directive, devant ainsi être pris en compte pour déterminer s'il y a lieu on non de l'appliquer (III).
I - La prise en compte des salariés en CDD dans l'effectif habituellement employé dans l'établissement
Dans sa première question préjudicielle, la juridiction espagnole demandait à la CJUE si les travailleurs en CDD doivent être considérés comme faisant partie des travailleurs "habituellement" employés, au sens de cette disposition, au sein de l'établissement concerné.
Sans surprise, confirmant une jurisprudence constante (1), la CJUE répond par l'affirmative en rappelant que "la notion de 'travailleur' doit être définie selon des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail en considération des droits et des devoirs des personnes concernées et que la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu'une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre personne et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération" (2). Ainsi, la Directive n'établissant pas de distinction selon la durée, déterminée ou non, du contrat liant les salariés à l'entreprise (3), les salariés en CDD doivent être pris en compte pour déterminer si l'effectif employé par l'entreprise justifie l'application de la Directive (4).
De ce point de vue, et pour mémoire, la CJUE a jugé contraires à la Directive 98/59/CE les dispositions de l'article L. 1111-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2790IUU) (5) qui excluent du décompte des effectifs habituellement employés par une entreprise les apprentis, les salariés titulaires d'un contrat initiative-emploi (6), d'un contrat d'accès à l'emploi (7), d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi (8) ou encore d'un contrat de professionnalisation (9).
II - L'application de la Directive subordonnée au prononcé d'au moins cinq licenciements au sens strict
L'application de la Directive relative aux licenciements collectifs suppose qu'un certain nombre de ruptures fondées sur un motif non inhérent à la personne des salariés interviennent sur une même période de trente ou de quatre vingt dix jours. Si le nombre de ruptures impliquant le respect de la Directive varie selon l'effectif de l'entreprise et que toutes les ruptures, quel qu'en soit le mode, doivent être prises en considération, la Directive n'a vocation à s'appliquer qu'à condition qu'au moins cinq licenciements soient prononcés aux termes du second alinéa de l'article 1er de la Directive.
A ce titre, dans sa deuxième question préjudicielle, la juridiction espagnole demandait si, en vue d'établir l'existence d'un "licenciement collectif" soumis à la Directive 98/59/CE, la condition que "les licenciements soient au moins au nombre de cinq" doit être interprétée en ce sens qu'elle vise exclusivement les licenciements ou couvre les cessations de contrats de travail assimilées à un licenciement.
Logiquement, la CJUE retient la première interprétation, conformément à la lettre de l'article 1er et au considérant 8 de la Directive 98/59/CE extrêmement clairs sur cette question. Le second texte affirme, en effet, que "pour le calcul du nombre de licenciements prévu dans la définition des licenciements collectifs au sens de la présente Directive, il convient d'assimiler aux licenciements d'autres formes de cessation du contrat de travail intervenues à l'initiative de l'employeur, pour autant que les licenciements soient au moins au nombre de cinq".
Si toutes les ruptures prononcées pour un motif économique sur une même période de trente ou quatre vingt dix jours doivent être prises en compte pour déterminer si la Directive à vocation à s'appliquer, il est impératif qu'au moins cinq d'entre elles soient des licenciements au sens strict, à l'exclusion des ruptures assimilées à des licenciements (10).
III - La rupture fondée sur une modification unilatérale du contrat par l'employeur qualifiée de licenciement
Dans le cadre de sa troisième question préjudicielle, la juridiction espagnole demandait si le fait pour un employeur de procéder, unilatéralement et au détriment du travailleur, à une modification substantielle des éléments essentiels de son contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de ce travailleur, relève de la notion de "licenciement" ou constitue une cessation du contrat de travail assimilable à un tel licenciement.
La CJUE tranche cette question en retenant la première interprétation. En effet, bien qu'elle affirme que la notion de licenciement "englobe toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement" (11), une rupture amiable (par essence consentie par le salarié) constitue toutefois un licenciement, dès lors qu'elle "trouve son origine dans le changement unilatéral apporté par l'employeur à un élément substantiel du contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de cette travailleuse" (12).
Cette position doit être approuvée dans la mesure où, si la rupture du contrat de travail de la salariée est, certes, intervenue avec son accord, il n'en reste pas moins que son fait générateur réside dans un comportement de l'employeur qui entendait, pour des motifs économiques, lui imposer une modification unilatérale de son contrat, en l'occurrence une réduction de sa rémunération de 25 %. La rupture est donc bien imputable à l'employeur et justifie qu'elle soit considérée comme un licenciement.
Il se déduit de cette solution, adoptée par la CJUE dans cet arrêt du 11 novembre 2015, que les dispositions des articles L. 2242-23 (N° Lexbase : L0637IXU) (13) et L. 5125-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2144KGI) relatives aux licenciements intervenus à la suite du refus par un ou plusieurs salariés de l'application d'un accord de mobilité interne et d'un accord de maintien de l'emploi, sont contraires à la Directive 98/59/CE.
Pour mémoire, l'objet des accords de mobilité interne est de définir, en dehors de tout projet de réduction des effectifs, les modalités de la mobilité géographique ou professionnelle des salariés au sein de l'entreprise. Sur leur fondement, et sous réserve de l'accord du salarié, son lieu de travail ou ses fonctions peuvent donc être temporairement modifiées, bien que la qualification de modification du contrat soit exclue par la loi, qui prévoit que les clauses du contrat contraires à l'accord sont simplement suspendues (14).
Quant aux accords de maintien de l'emploi, leur objet est de permettre de modifier temporairement la durée du travail, les modalités d'organisation et de répartition du temps de travail ainsi que la rémunération des salariés (15), sous réserve de leur accord qui n'entraînera pas la modification de leur contrat mais simplement la suspension des clauses contraires à l'accord (16).
Or, lorsqu'un accord de mobilité interne ou de maintien de l'emploi est valablement conclu, les articles L. 2242-23 (17) et L. 5125-2 du Code du travail prévoient que si un ou plusieurs salariés s'opposent à l'application de l'accord, "leur licenciement repose sur un motif économique, [...] prononcé selon les modalités d'un licenciement individuel pour motif économique". Il résulte donc de l'arrêt rendu le 11 novembre dernier par la CJUE que ces dispositions sont contraires au droit européen et plus particulièrement à la Directive 98/59/CE.
En effet, si une rupture amiable trouvant sa source dans le refus du salarié d'une modification de son contrat fondée sur un motif non inhérent à sa personne constitue un licenciement au sens de la Directive devant être pris en compte dans le calcul des seuils déclenchant son application, il devrait en aller de même, a fortiori, des licenciements prononcés par l'employeur à la suite du refus par un ou plusieurs salariés d'une modification de leur contrat liée à l'application d'un accord de mobilité interne ou de maintien de l'emploi.
La mise à l'écart du droit des licenciements collectifs, lorsqu'au moins dix salariés refusent sur une même période de trente jours de se soumettre à un accord de mobilité interne ou à un accord de maintien de l'emploi, est donc contraire à la Directive 98/59/CE. Bien que celle-ci n'ait pas d'effet direct entre particuliers, un employeur qui ne respecterait pas les dispositions relatives aux licenciements collectifs à la suite du refus par au moins dix salariés de l'application à leur contrat de tels accords ne devrait pas pouvoir être condamné sur son fondement.
Un recours en responsabilité contre l'Etat pourrait, en revanche, être introduit devant le juge administratif pour sanctionner la mauvaise transposition de la Directive.
(1) V., not. CJUE, 13 février 2014, aff. C-596/12 (N° Lexbase : A1284MEB), pt 17 ; CJUE, 9 juillet 2015, aff. C-229/14 (N° Lexbase : A7907NMS), pt. 34.
(2) CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14, pt 29.
(3) CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14, pt 32.
(4) CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14, pt 41.
(5) CJUE, 18 janvier 2007, aff. C-385/05 (N° Lexbase : A5728DTC), pt. 49.
(6) Ces salariés sont exclus de l'effectif uniquement pendant la durée d'attribution de l'aide financière mentionnée à l'article L. 5134-72 du Code du travail (N° Lexbase : L2811IUN).
(7) Ces salariés sont exclus de l'effectif uniquement pendant la durée d'attribution de l'aide financière mentionnée à l'article L. 5522-17 (N° Lexbase : L3073H9P).
(8) Ces salariés sont exclus de l'effectif uniquement pendant la durée d'attribution de l'aide financière mentionnée à l'article L. 5134-30 (N° Lexbase : L2792IUX).
(9) Ces salariés sont exclus de l'effectif jusqu'au terme prévu par le contrat lorsque celui-ci est à durée déterminée ou jusqu'à la fin de l'action de professionnalisation lorsque le contrat est à durée indéterminée.
(10) CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14, pt. 46.
(11) CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14, pt 48.
(12) CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14, pts 50 et 55.
(13) Le 1er janvier 2016, les dispositions de cet article seront transférées à l'article L. 2242-19 (N° Lexbase : L5693KGX) en application de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 (N° Lexbase : L2618KG3).
(14) Le 1er janvier 2016, les dispositions de cet article seront transférées à l'article L. 2242-19 en application de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015.
(15) C. trav., art. L. 5125-1 (N° Lexbase : L2145KGK).
(16) C. trav., art. L. 5125-2 (N° Lexbase : L2144KGI).
(17) Le 1er janvier 2016, les dispositions de cet article seront transférées à l'article L. 2242-19 en application de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015.
Décision
CJUE, 11 novembre 2015, aff. C-422/14 (N° Lexbase : A4806NWW). Textes concernés : Directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs (N° Lexbase : L9997AUS). Lien base : (N° Lexbase : E0572E93). |
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