La lettre juridique n°787 du 20 juin 2019

La lettre juridique - Édition n°787

Assurances

[Brèves] Faculté prorogée de renonciation au contrat d’assurance vie : la Cour de cassation continue d’affiner sa jurisprudence, concernant l’exercice abusif de ce droit par l’assuré

Réf. : Cass. civ. 2, 13 juin 2019, deux arrêts, n° 18-17.907 (N° Lexbase : A4468ZE9) et n° 18-14.743 (N° Lexbase : A4467ZE8), FS-P+B+I

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N9414BXX

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 21 Juin 2019

► 1° Dans le cadre d’un contrat d’assurance vie, si la faculté prorogée de renonciation, sanctionnant l'absence de respect, par l'assureur, du formalisme informatif, revêt un caractère discrétionnaire pour le preneur d'assurance, son exercice peut dégénérer en abus ;

► 2° à eux seuls les manquements de l’assureur à son obligation d’information lors de la souscription du contrat ne suffisent pas à exclure un détournement de la finalité de l’exercice par l’assuré de la faculté de renonciation ainsi prorogée, susceptible de caractériser un abus de ce droit ;

► 3° le caractère abusif s’apprécie au moment où le preneur d’assurance exerce cette faculté, et ce au regard de sa situation concrète, de sa qualité d’assuré averti ou profane et des informations dont il disposait réellement, et en recherchant quelle était la finalité de l’exercice du droit de renonciation.

 

Telle peut être résumée la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à l’aune de deux arrêts rendus le 13 juin 2019, sur la question de l’exercice abusif, par le souscripteur d’un contrat d’assurance vie, de la faculté prorogée de renonciation (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, deux arrêts, n° 18-17.907 N° Lexbase : A4468ZE9 et n° 18-14.743 N° Lexbase : A4467ZE8, FS-P+B+I).

La règle posée au 1°, sur la possibilité de dégénérer en abus de droit, solution consacrée depuis 2016, n’est pas en soi énoncée ici dans ces deux arrêts, mais est rappelée pour la clarté du raisonnement (cf. Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-12.767, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6221RP4, et les obs. de D. Krajeski, in chron., Lexbase, éd. priv. n° 660, 2016 N° Lexbase : N3290BWR ; et plus récemment, Cass. civ. 2, 28 mars 2019, n° 18-15.612, F-P+B N° Lexbase : A7195Y7M). La règle posée au 2° est, en revanche, pour la première fois à notre connaissance, précisée par la Cour de cassation. Quant à celle énoncée au 3°, concernant la précision des critères d’appréciation de l’abus, il s’agit également d’un rappel (cf. Cass. civ. 2, 28 mars 2019, n° 18-15.612, F-P+B N° Lexbase : A7195Y7M et Cass. civ. 2, 7 février 2019, n° 17-27.223, F-P+B+I N° Lexbase : A6104YWY).

Dans la première affaire (n° 18-17.907, dans laquelle la Cour de cassation se prononce au final en faveur de l’assureur), pour condamner l’assureur à restituer à l’assuré la somme de 32 000 euros avec intérêts au taux légal majoré, la cour d’appel avait retenu, tout d’abord, que l’assureur ne pouvait tirer, en l’espèce, aucune conséquence quant à la caractérisation d’un abus de droit du fait que celle-ci avait répondu de façon positive à la question de savoir si elle avait bien compris le fonctionnement du support et au fait de savoir si elle pensait maintenir son investissement jusqu’à son terme en cas de fortes fluctuations des marchés financiers, les nombreux manquements de l’assureur à son obligation d’information démontrant qu’elle était nécessairement dans l’impossibilité de mesurer la portée de son engagement.

La décision est censurée par la Cour régulatrice, qui dégage la règle 2° précitée, en estimant qu’en se déterminant ainsi, alors qu’à eux seuls les manquements de l’assureur à son obligation d’information lors de la souscription du contrat ne suffisent pas à exclure un détournement de la finalité de l’exercice par l’assuré de la faculté de renonciation ainsi prorogée, susceptible de caractériser un abus de ce droit, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 132-5-1 (N° Lexbase : L9567LGG) et L. 132-5-2 (N° Lexbase : L9570LGK) du Code des assurances, dans leur rédaction issue de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 applicable au litige (N° Lexbase : L5277HDS).

L’arrêt de cour d’appel est également censuré, en ce que les juges avaient retenu, en outre, d’une part, que le nombre d’années écoulées entre la souscription et l’exercice de la faculté de renoncer ne pouvait pas plus être seul caractéristique de la mauvaise foi, et d’autre part, que le seul constat de ce que la renonciation était exercée après la perte d’une partie du capital ne pouvait à lui seul établir la mauvaise foi et que si tel était le cas, il en résulterait que la prorogation de la faculté de renoncer ne pourrait être exercée qu’en cas de hausse ou de maintien du capital investi.

A tort, selon la Cour suprême, qui reproche à la cour d'appel de s’être ainsi déterminée, sans rechercher à la date d’exercice de la faculté de renonciation, au regard de la situation concrète de l’assurée, de sa qualité d’assuré averti ou profane et des informations dont elle disposait réellement, quelle était la finalité de l’exercice de son droit de renonciation et s’il n’en résultait pas l’existence d’un abus de droit.

Dans la seconde affaire (n° 18-14.743, dans laquelle la Cour de cassation se prononce au final en faveur de l’assuré), la Haute juridiction approuve la cour d’appel ayant procédé à cette recherche de l’existence d’un abus de droit conformément aux critères d’appréciation tels que rappelés au 3°).

En effet, après avoir retenu que l’information précontractuelle délivrée à l’assurée avant la souscription du contrat ne satisfaisait ni dans sa forme ni par son contenu aux exigences des articles L. 132-5-2 et A. 132-4 (N° Lexbase : L3538H8K) du Code des assurances, et énoncé que le détournement de la finalité du droit de renonciation ne pouvait être le fait que d’un investisseur parfaitement informé, qu’il l’avait été avant la souscription du contrat ou par la suite, l’abus ne pouvant se déduire du simple fait que le souscripteur décide de renoncer grâce à la prorogation du délai alors que son placement a subi des pertes ou même qu’il ait manifesté son mécontentement avant de renoncer à son contrat, ni seulement du temps s’étant écoulé depuis la souscription, la cour d’appel avait relevé que l’assurée, qui avait exploité une brasserie et dont la profession ne la prédisposait nullement à avoir une connaissance particulière des mécanismes de l’assurance vie ou du contrat souscrit, était un investisseur profane, sans que la présence à ses côtés d’un courtier, lors de cette souscription ou à l’occasion des rachats, puisse lui conférer la qualité d’avertie, et qu’il ne pouvait se déduire des opérations pratiquées sur le contrat, lesquelles n’avaient consisté qu’en des rachats, programmés ou ponctuels, ou de la lettre qu’elle avait adressée à l’assureur pour exprimer son mécontentement quant à l’évolution défavorable de ses investissements, en des termes qui traduisaient au contraire sa mauvaise compréhension des produits structurés sur lesquels ses fonds avaient été placés, qu’elle ait eu une telle connaissance.

Selon la Cour de cassation, ayant ainsi constaté, au regard de sa situation concrète, que l’assurée n’était pas parfaitement informée des caractéristiques essentielles de l’assurance vie souscrite lorsqu’elle avait exercé son droit de renonciation, et souverainement estimé que, dans ces conditions, l’assureur échouait à rapporter la preuve qui lui incombait que l’assurée l’avait détourné de sa finalité, en en ayant fait usage dans le seul but d’échapper à l’évolution défavorable de ses investissements, comme il le soutenait, la cour d’appel a pu en déduire que l’assurée n’avait pas abusé de ce droit et a légalement justifié sa décision.

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Consommation

[Brèves] QPC : répression pénale des pratiques commerciales trompeuses et autorité compétente pour prononcer des amendes administratives en matière de consommation

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-790 QPC, du 14 juin 2019 (N° Lexbase : A2416ZE9)

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par Vincent Téchené

Le 19 Juin 2019

Il ne saurait résulter des articles L. 132-2 (N° Lexbase : L1657K7I) et L. 522-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0880K7Q) un cumul de poursuites pénales et administratives.

 

Tel est le sens d’une décision du Conseil constitutionnel rendue le 14 juin 2019 (Cons. const., décision n° 2019-790 QPC, du 14 juin 2019 N° Lexbase : A2416ZE9).

 

Il avait été saisi d’une QPC par la Cour de cassation (Cass. crim., 2 avril 2019, n° 19-90.008, F-D N° Lexbase : A3256Y84 ; lire N° Lexbase : N8500BX4) ainsi rédigée : l’application combinée des dispositions des articles L. 132-2 et L. 522-1 du Code de la consommation, en ce qu’ils autorisent, à l’encontre de la même personne, et en raison des mêmes faits, le cumul des poursuites et de sanctions, administratives et pénales, portent-ils atteinte aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1972A9P) et au principe de légalité des délits et des peines consacrés par les articles 5 (N° Lexbase : L1369A9L) et 7 (N° Lexbase : L6814BHT) de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ?

 

Pour rappel, l'article L. 132-2 du Code de la consommation prévoit que les pratiques commerciales trompeuses mentionnées aux articles L. 121-2 (N° Lexbase : L1706K7C) à L. 121-4 sont punies d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 300 000 euros. Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit. Quant à l’article L. 522-1 il prévoit que l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5 (N° Lexbase : L9872LCM), L. 511-6 (N° Lexbase : L9871LCL) et L. 511-7 (N° Lexbase : L0026LNB) et l'inexécution des mesures d'injonction relatives à des manquements constatés avec les pouvoirs mentionnés aux mêmes articles.

 

Le Conseil énonce que, pour qu’il puisse, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, contrôler la conformité au principe de nécessité des délits et des peines d'une disposition législative instituant une sanction ayant le caractère de punition, il est nécessaire que le requérant désigne, au cours de la procédure, la disposition instituant l'autre sanction entraînant le cumul dénoncé. Or, les articles L. 121-2 à L. 121-4 du Code de la consommation, qui figurent à la section 1 du chapitre Ier du titre II du livre Ier de ce code, définissent les pratiques commerciales trompeuses. L'article L. 132-2 du même code réprime pénalement ces pratiques. En outre, l'article L. 522-1 du Code de la consommation se borne à donner compétence à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 du même code. Il n'a ni pour objet ni pour effet d'instituer une sanction administrative.

 

Dès lors, il ne saurait résulter des articles L. 132-2 et L. 522-1 du Code de la consommation un cumul de poursuites. Ainsi, en l'absence de désignation par les requérants de l'autre disposition législative entraînant le cumul dénoncé, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur la QPC.

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Droit des étrangers

[Conclusions] Recours contre la décision de transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande et reprise du délai à la date de notification à l'autorité administrative du jugement statuant au principal – conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 27 mai 2019, deux arrêts, mentionnés aux tables du recueil Lebon, n° 428025 (N° Lexbase : A1455ZDA) et n° 421276 (N° Lexbase : A1442ZDR)

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N9416BXZ

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par Guillaume Odinet, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 19 Juin 2019

Transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande (Règlement du 26 juin 2013, dit «Dublin III») - délai de six mois courant à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis - interruption du délai par un recours contre la décision de transfert 

Ces deux affaires vous plongent à nouveau dans les méandres du Règlement Dublin III [1]. Vous le savez, ce règlement pose en principe [2] qu’un seul Etat membre de l’Union est responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée sur le territoire de l’Union. Il organise en conséquence le transfert d’un demandeur d’asile en vue de sa prise en charge par l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile [3], ou en vue de sa reprise en charge par cet Etat [4] ou par l’Etat qui doit déterminer quel Etat est responsable [5].

 

La demande de prise en charge ou de reprise en charge doit être formulée rapidement [6]. Et, en cas d’acceptation, expresse ou tacite, de la prise ou reprise en charge par l’Etat ainsi requis, le transfert effectif est lui aussi encadré dans un délai, de six mois à compter de cette acceptation. La sanction du non-respect de ce délai de transfert est claire : à son échéance, la responsabilité de l’examen de la demande d’asile est transférée de plein droit à l’Etat membre requérant [7].

 

En vertu de l’article 29 du Règlement, le délai de transfert de six mois peut être prolongé, en étant porté à douze mois en cas d’emprisonnement de la personne concernée et à dix-huit mois si celle-ci prend la fuite, à condition que l’Etat requérant informe l’Etat responsable de cette prolongation avant l’expiration du délai normal de six mois - faute de quoi l’Etat requérant devient, de plein droit, responsable à l’expiration de ce délai [8].

 

Ce délai peut par ailleurs être interrompu en cas de recours contre la décision de transfert. En application de l’article 27, paragraphe 3, du règlement, qui ouvrait plusieurs options, le législateur national a prévu, à l’article L. 742-5 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1295LK8), que la décision de transfert ne peut faire l’objet d’une exécution d’office ni avant l’expiration du délai de recours, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s’il a été saisi. Et l’article 29 du Règlement prévoit que le délai de six mois court, le cas échéant, à compter «de la décision définitive sur le recours […] lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3».

 

Par une décision «Kahsay» du 24 septembre 2018 (CE n° 420708 N° Lexbase : A7893X7H, Rec. p. 336), vous avez d’abord déduit de ces dispositions que l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif contre une décision de transfert a pour effet d’interrompre le délai de six mois pour exécuter le transfert qui courait à compter de l’acceptation de ce transfert par l’Etat requis - ce n’était pas la question la plus délicate. Vous avez ajouté que le délai recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Et vous avez jugé que ni un appel, ni le sursis à exécution accordé par le juge d’appel n’ont pour effet d’interrompre à nouveau le délai.

 

En somme, vous avez défini un régime simple : le délai n’est interrompu qu’une fois, par le recours contre la mesure de transfert ; et il court à nouveau, en toute hypothèse, à la suite du jugement qui statue au principal sur cette mesure, qu’il rejette le recours - cas dans lequel le transfert peut être exécuté, le cas échéant d’office - ou qu’il annule la décision de transfert - hypothèse dans laquelle l’administration doit alors statuer à nouveau sur le cas de l’intéressé (en vertu de l’article L. 742-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L6646KDI).

 

Les deux affaires qui ont été appelées s’inscrivent l’une et l’autre dans la ligne directe de cette décision.

 

1. La logique commande de commencer par la seconde. Mme X est guinéenne. Après avoir présenté cinq demandes d’asile en Belgique entre 2011 et 2015, elle a présenté une demande en France en 2017 ; elle a alors été transférée en vue de sa reprise en charge par la Belgique. Trois mois après son transfert, elle a nouvellement présenté une demande d’asile en France, ce qui a conduit le préfet du Nord à formuler, le 28 février 2018, une nouvelle demande de reprise en charge aux autorités belges et, après acceptation par ces dernières, à notifier à l’intéressée une nouvelle décision de transfert.

 

Mme X a déféré cette décision au tribunal administratif de Lille, qui a rejeté sa requête par un jugement du 6 avril 2018. Elle a alors disparu : elle ne s’est présentée à aucune des quatre convocations qui lui ont été adressées en août, septembre et octobre 2018. Après avoir informé les autorités belges le 18 octobre de la prolongation du délai de transfert en raison du recours formé par l’intéressée, le préfet du Nord les a informées, le 8 novembre, de la prolongation de ce délai en raison de la fuite de l’intéressée.

 

Le 12 novembre, elle s’est présentée à la préfecture en faisant valoir que le délai pour la transférer était désormais expiré et en demandant au préfet d’en tirer les conséquences en lui délivrant une attestation indiquant que sa demande ne relevait plus de la procédure dite «Dublin» (c’est-à-dire d’un transfert), mais de la procédure dite «normale» (c’est-à-dire de la compétence de la France) et en lui permettant d’introduire cette demande devant l’OFPRA. Il lui a d’abord été indiqué que son dossier était en cours de traitement ; lors d’une nouvelle présentation, le 17 décembre 2018, elle a finalement été informée de ce que, compte tenu de sa fuite, le délai de transfert avait été prolongé, de sorte que la Belgique demeurait responsable de l’examen de sa demande d’asile.

 

Mme X a alors formé un référé-liberté. Par une ordonnance du 29 janvier dernier, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a enjoint au préfet du Nord «d’enregistrer, selon la procédure normale, la demande d’asile de Mme [X]» -c’est-à-dire de reconnaître la compétence de la France et d’en tirer les conséquences en délivrant les documents pertinents à l’intéressée-.

 

Le juge des référés a, en effet, estimé que les autorités nationales avaient informé les autorités belges de la prolongation du délai en raison de la fuite de l’intéressée à une date postérieure à la date d’expiration du délai normal de six mois qui avait couru à nouveau après le jugement du tribunal administratif. Ce dont il a déduit, en application des règles que nous vous exposions il y a quelques instants, que le délai n’avait pas pu être prolongé -donc que la France était devenue l’Etat responsable-.

 

L’appel du ministre conteste le mode de calcul retenu par le juge des référés, et plus précisément la détermination de la date à compter de laquelle, en cas de recours contre la décision de transfert, le délai pour exécuter le transfert court à nouveau.

 

Cette date est unique car, nous vous l’avons dit, le délai n’est interrompu qu’une fois, de sorte que, lorsqu’il court à nouveau après jugement par le tribunal administratif, il court définitivement. Reste simplement à savoir s’il court à compter de la lecture du jugement, ou à compter de sa notification -plus précisément de sa notification aux autorités de l’Etat, auxquelles il s’impose-. Cette question, qui n’a pas été tranchée par votre décision «Kahsay» et qui divise les juges du fond, est déterminante en l’espèce : c’est en se fondant sur la date de lecture que le juge des référés a déduit que le délai était expiré le 8 novembre, jour de l’information donnée aux autorités belges ; et si vous reteniez la date de notification, vous constateriez que ce délai n’était pas expiré le 8 novembre et qu’il a donc été régulièrement prolongé.

 

De manière générale, il est acquis qu’une décision juridictionnelle produit ses effets sur l’ordonnancement juridique -lorsqu’elle en produit- à la date de sa lecture (v. CE Sect., 8 juillet 1998, n° 142444 N° Lexbase : A7892AS4, Rec. p. 306 ; CE Sect., 27 octobre 2006, n° 260767 N° Lexbase : A4778DSR, Rec. p. 451 ; CE, 6 avril 2007, n° 296493 N° Lexbase : A9363DUC, T. pp. 671-1000-1028-1130). C’est à cette date que l’état du droit est modifié par la décision, et à cette date que celle-ci acquiert l’autorité de chose jugée (v. CE, 18 janvier 1967, n° 67815 N° Lexbase : A2116B8U, Rec. p. 20).

 

Pour autant, une décision juridictionnelle n’est en principe opposable à une partie à l’instance -c’est-à-dire que son exécution ne peut être exigée de cette partie- qu’à condition qu’elle lui ait été notifiée, et donc qu’à compter de sa notification (v. CE, 13 mars 1968, n° 72329 N° Lexbase : A1272AIX, Rec. p. 180 ; CE, 17 mai 1974, n° 93122 N° Lexbase : A1789B8R, Rec. p. 292 [9])-.

 

De même, ce n’est en principe qu’à compter de la notification d’une décision juridictionnelle à une partie qu’un délai suspendu ou interrompu par l’instance recommence à courir à l’égard de cette partie (v., s’agissant du délai de prescription de l’action en recouvrement, CE, 28 juin 1989, n° 61483 N° Lexbase : A0759AQ8, T. pp. 579-581 ; s’agissant du délai de caducité d’une autorisation d’ouvrir un établissement sanitaire, CE Sect., 28 juillet 1999, n° 168505 N° Lexbase : A4639AX4, Rec. p. 250 ; s’agissant du délai de validité d’un permis de construire, CE, 10 octobre 2003, n°s 242373, 242455 N° Lexbase : A8439C9G, Rec. p. 390 ; s’agissant du délai de recours interrompu par une demande d’aide juridictionnelle, CE Sect., 28 juin 2013, n° 363460 N° Lexbase : A1305KI8, Rec. p. 185) [10].

 

Dans la ligne de cette jurisprudence, vous devriez ainsi juger que le délai pour exécuter un transfert, interrompu par le recours contre la décision de transfert, court à nouveau, à l’égard de l’administration, à compter de la notification qui lui est faite du jugement.

 

Une particularité procédurale pourrait toutefois vous faire hésiter à rejoindre cette ligne jurisprudentielle générale : en vertu des dispositions combinées des articles R. 777-3-6 (N° Lexbase : L2275KPX), R. 777-3-9 (N° Lexbase : L2278KP3) et R. 776-27 (N° Lexbase : L7267IQ9) du Code de justice administrative, en cas de recours contre une décision de transfert, le jugement est prononcé à l’audience et son dispositif, assorti de la formule exécutoire, est communiqué sur place aux parties.

 

Faut-il déduire de cette communication du dispositif après lecture sur le siège qu’elle vaut, en quelque sorte, notification, et donc qu’elle suffit à faire courir à nouveau le délai de transfert ?

 

Nous ne le pensons pas.  Cette procédure particulière a certes pour effet de donner force exécutoire au dispositif du jugement dès sa lecture à l’audience (v. CE, 9 février 2004, n° 254913 N° Lexbase : A3465DBX, T. p. 727). Mais elle ne peut être assimilée à une notification pleine et entière de ce jugement -qu’elle ne dispense pas de notifier (v. même décision)- et ne produit donc pas d’effets au-delà du strict contenu du dispositif de la décision : le délai d’appel ne court ainsi qu’à compter de la notification, non à compter de la communication du dispositif (v. CJA, art. R. 777-3-3 N° Lexbase : L9957LAZ). Or la reprise du délai d’exécution du transfert n’est pas un élément du dispositif rendu immédiatement exécutoire, mais uniquement une conséquence de la décision à l’égard d’une partie -tout comme le déclenchement du délai d’appel-.

 

Il nous paraît donc logique de raisonner pour le délai de transfert comme pour le délai d’appel, d’autant plus que, pour l’un comme pour l’autre, la connaissance des motifs est un élément déterminant dans la décision de l’administration. En effet, de même que le motif d’annulation est cardinal dans le choix de faire appel, il sera cardinal dans le choix de reprendre, ou non, une nouvelle décision de transfert après annulation, notamment selon que cette annulation procèdera d’un motif de légalité externe ou interne.

 

Notons, enfin, que le choix de la date de notification du jugement à l’administration comme point de départ du délai de transfert n’induit pas, contrairement à ce qui peut sembler de prime abord, plus de complexité que le choix de la date de lecture fondé sur les dispositions particulières du Code de justice administrative ; au contraire, si vous reteniez, en raison de ces dispositions, la date de lecture, vous devriez réserver une exception pour les cas dans lesquels il est statué, non par un jugement après audience, mais par ordonnance (car dans ces cas, la lecture sur le siège et la transmission immédiate du dispositif accompagné de la formule exécutoire ne trouvent pas à s’appliquer). Retenir la date de notification permet donc de disposer d’une règle unique.

 

Si vous nous avez suivi, vous devrez donc infirmer le motif retenu par le juge des référés du tribunal administratif de Lille : vous constaterez que la Belgique a été informée de la fuite de Mme X dans le délai de transfert qui courait à nouveau à compter de la notification du jugement du 6 avril 2018 à l’administration, de sorte que ce délai a été régulièrement prolongé.

 

Vous devrez alors examiner l’autre moyen soulevé en première instance, tiré de ce que l’intéressée ne pouvait être regardée comme en fuite au sens de l’article 29 du Règlement «Dublin III». La Cour de justice a jugé qu’au sens de cet article, un demandeur prend la fuite lorsqu’il se soustrait délibérément aux autorités nationales compétentes pour procéder à son transfert, afin de faire échec à ce dernier. Elle a précisé qu’il peut être présumé que tel est le cas lorsque le transfert ne peut être mis à exécution en raison du fait que le demandeur a quitté le lieu de résidence qui lui a été attribué sans avoir informé les autorités nationales compétentes de son absence, à condition qu’il ait été informé de ses obligations (v. CJUE, 19 mars 2019, aff. C-163/17 N° Lexbase : A1598Y4X).

 

En l’espèce, il ressort des pièces présentées par le ministre que Mme X ne s’est pas présentée à la préfecture en dépit de quatre convocations, les deux premières lui ayant été remises en main propre, les deux suivantes ayant été notifiées à l’adresse qu’elle avait indiquée et n’ayant pas été retirées. Au regard de ces éléments, et alors que l’intéressée se borne à affirmer qu’elle n’avait pas pris la fuite, sans même présenter un commencement d’argumentation pour expliquer ses absences, vous écarterez toute atteinte manifestement illégale au droit d’asile.

 

En conséquence, vous annulerez l’ordonnance et rejetterez la demande présentée au juge des référés du tribunal administratif.

 

 

2. Vous pourrez alors en revenir à la première affaire. Mme Y et M. Z sont afghans. Ils ont demandé l’asile en Finlande. Leurs demandes ont été rejetées, tout comme les recours qu’ils ont formés contre les décisions de rejet -en dernier lieu en décembre 2016-. En janvier 2017, les intéressés ont alors formé une demande d’asile en France. Après avoir sollicité et obtenu l’accord des autorités finlandaises (le 29 mars 2017), le préfet du Rhône a décidé de leur transfert par deux arrêtés du 6 avril 2017.

 

A la demande des intéressés, ces arrêtés ont été annulés par un jugement du 19 mai 2017 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon -jugement qui a été notifié le 31 mai suivant-. Saisie en appel, la cour de Lyon a rejeté la requête du préfet du Rhône par deux arrêts du 3 avril 2018 contre lesquels le ministre de l’intérieur se pourvoit régulièrement en cassation.

 

Nous pensons que vous devrez annuler ces arrêts, non pas en accueillant l’un des moyens du pourvoi, mais au motif qu’ils ont statué sur des conclusions qui étaient privées d’objet, ce que votre deuxième chambre a relevé d’office, conformément à votre jurisprudence (v., a fortiori, CE, 10 juillet 2006, n° 290017 N° Lexbase : A3920DQA, T. pp. 932-1015).

 

En effet, il ressortait clairement des pièces des dossiers soumis à la cour que le délai de transfert, qui avait commencé à courir -si vous nous avez suivi dans l’affaire précédente- le 31 mai 2017, et qui n’avait pas été prolongé, était expiré six mois plus tard, soit le 1er décembre 2017. Il en résultait que les décisions de transfert, qui n’avaient pas été exécutées, ne pouvaient plus légalement l’être (v. CE, avis, 26 juillet 2018, n° 417441 N° Lexbase : A6346XYP, Rec. p. 324).

 

Or votre jurisprudence est constante et abondante en ce sens que les conclusions tendant à l’annulation d’une décision administrative qui devient caduque ou inexécutable avant d’avoir été exécutée perdent par là même leur objet (v., s’agissant d’un arrêté de cessibilité n’ayant pas été transmis dans le délai prévu au juge de l’expropriation, CE, 21 juillet 1972, n° 84357 N° Lexbase : A4680B8T, Rec. p. 583 [11] ; s’agissant d’une mise en demeure de respecter une réglementation devenue inapplicable, CE, 27 février 1981, n° 12178 N° Lexbase : A6958AKW, Rec. p. 114 ; s’agissant de l’autorisation d’ouvrir une décharge devenue caduque faute de mise en service dans les délais, CE, 1er février 1985, n°s 41634, 41900 N° Lexbase : A3721AMR, T. pp. 698-735 ; s’agissant d’une autorisation de défrichement n’ayant reçu aucun commencement d’exécution avant son expiration, CE, 19 novembre 1999, n° 172976 N° Lexbase : A4826AXZ, T. pp. 959-1080 ; s’agissant d’un acte de recouvrement forcé d’une créance qui a disparu, CE, 16 février 2001, n° 217890 N° Lexbase : A2032AYW, T. pp.  873-906-907-1141 [12] ; s’agissant d’une ordonnance de l’article 38 de la Constitution N° Lexbase : L1298A9X devenue caduque faute de dépôt d’un projet de loi de ratification et n’ayant reçu aucune application, CE, 2 avril 2003, n° 246748 N° Lexbase : A0360DAL, Rec. p. 162 ; ou encore, s’agissant d’un arrêté de préemption insusceptible de recevoir exécution en raison de l’annulation de la procédure d’adjudication du bien et de la vente par le juge judiciaire, CE, 1er avril 2010, n° 328294 N° Lexbase : A4198EUZ, T. pp. 912-1015).

 

Ce non-lieu s’étend logiquement à l’instance appel du jugement ayant annulé l’acte désormais insusceptible d’exécution (v., s’agissant d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière annulé et privé d’effet en raison de la délivrance, par un autre préfet, d’un titre de séjour, CE, 28 avril 2004, n° 255584 N° Lexbase : A0310DCH, T. pp. 727-833 [13]), et jusqu’à l’instance de cassation si la caducité intervient au cours de cette instance (v. CE, 2 février 2007, n° 289780 N° Lexbase : A7731DTI, T. pp. 887-894-1022) -rappelons que, de manière générale, vous appréciez la perte d’objet du pourvoi en cassation au regard du litige de fond (v. CE, 30 décembre 2014, n° 362496 N° Lexbase : A0829M9L, T. p. 804, éclairée par les conclusions d’A. Bretonneau)-.

 

Dans la droite ligne de cette jurisprudence, nous pensons qu’il incombait en l’espèce à la cour de constater que les appels dont elle était saisie avaient perdu leur objet en cours d’instance.

 

Vous noterez -le ministre y insiste- que, dans le régime issu de votre décision «Kahsay», où seule la première instance interrompt le délai de transfert, un tel non-lieu interviendra de façon quasi systématique en appel (sauf en cas de fuite) et, en toute hypothèse, en cassation, de sorte que vous perdez un peu, dans cette matière bien spécifique, de votre pouvoir de régulation de la jurisprudence -et les cours, aussi, un peu du leur-. Il nous semble cependant que c’est là la logique de votre décision «Kahsay» qui, au nom de la célérité de la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de la demande d’asile, a limité l’effet interruptif du recours à la seule première instance, avec l’idée assumée que la régulation contentieuse par l’appel devait, s’agissant de la contestation des décisions de transfert, céder le pas à la nécessaire rapidité de la procédure -d’autant que le législateur n’a prévu aucun délai spécifique pour l’appel alors qu’il a prévu des délais très brefs en première instance-. Il faut donc vous garder de céder aujourd’hui à la tentation de revenir sur la logique de votre décision «Kahsay» en dérogeant aux règles du non-lieu.

 

Relevons au demeurant que vous ne perdez pas tout pouvoir de régulation de la jurisprudence, la procédure d’avis de l’article L. 113-1 demeurant ouverte aux tribunaux et le recours dans l’intérêt de la loi étant, quant à lui, ouvert au ministre.

 

Si vous nous suivez, vous annulerez donc l’arrêt de la cour qui a méconnu son office ; réglant l’affaire au fond, vous direz qu’il n’y a pas lieu de statuer sur l’appel du ministre ; et vous pourrez rejeter les conclusions présentées en défense au titre des frais de procédure.

 

Terminons en soulignant que, en vous fondant ainsi sur l’expiration du délai de transfert, qui rendait inexécutable la décision en litige, vous réserverez la question de savoir si la circonstance que les intéressés aient obtenu la protection subsidiaire à la suite de la reconnaissance de la compétence de la France en conséquence de l’annulation prononcée par le tribunal administratif était elle aussi de nature à priver le litige d’objet.

 

Tel est le sens de nos conclusions.

 

 

 

[1] Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (N° Lexbase : L3872IZG).

[2] Art. 3.

[3] Art. 18, §1, a.

[4] Que la demande soit en cours d’examen (art. 18, §1 b), qu’elle ait été retirée (art. 18, §1, c) ou qu’elle ait déjà été rejetée (art. 18, §1, d).

[5] Art. 20, §5.

[6] Respectivement dans un délai de trois mois ou de deux mois (art. 21, 23 et 24).

[7] CJUE, 25 octobre 2017, aff. C-201/16 (N° Lexbase : A6222WWD).

[8] V. l’article 9 du Règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ([LXB=]) ; et CJUE, 19 mars 2019, aff. C-163/17 (N° Lexbase : A1598Y4X).

[9] Ou, fusionnant en quelque sorte l’opposabilité de la décision et son «entrée en vigueur», CE Sect., 4 mars 1998, n° 193527 N° Lexbase : A1750AIN, Rec. p. 69.

[10] Il est ainsi notable que, lorsque le jugement interrompt un délai, cette interruption a lieu à la date de sa lecture (CE, 6 mai 1988, n° 73234 N° Lexbase : A8145APD, T. p. 1091) mais que, lorsqu’il provoque la reprise d’un délai, cette reprise n’a lieu, à l’égard d’une partie, qu’à compter de sa notification (v. CE, 10 octobre 2003, n° 242373 N° Lexbase : A8439C9G, préc.).

[11] V. aussi CE, 23 mars 1979, n° 07019 (N° Lexbase : A5868B8T), T. pp. 760-763-764-840-843.

[12] V. aussi CE, 27 juillet 2015, n° 359368 (N° Lexbase : A0731NNE), T. pp. 546-625-628-817.

[13] V. aussi, pour la délivrance d’un titre de séjour par le préfet qui avait édicté l’arrêté de reconduite à la frontière, dès lors que cette délivrance excède les obligations résultant du jugement, CE, 11 mars 2002, n° 218091 (N° Lexbase : A2510AYM), T. pp. 776-881.

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Droit financier

[Jurisprudence] Ne bis in idem et manipulation de cours : condamnation sans réserve du cumul de poursuites

Réf. : CEDH, 6 juin 2019, Req. 47342/14, Nodet c/ France (N° Lexbase : A3061ZDQ)

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N9495BXX

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par Nicolas Catelan, Maître de conférences à Aix Marseille Université, Directeur du Master 2 Lutte contre la criminalité financière et organisée (LDPSC - EA 4690)

Le 12 Septembre 2019


Mots-clés : Ne bis in idem • manipulation de cours • réserve française • AMF • cumul de poursuites


Résumé : «La Cour estime tout d’abord qu’il n’existait pas de lien matériel suffisamment étroit, compte tenu de l’identité des buts visés par les procédures devant l’AMF et les juridictions pénales et, dans une certaine mesure, d’une répétition dans le recueil des éléments de preuve par différents services d’enquête. Ensuite, et surtout, elle relève également l’absence d’un lien temporel suffisamment étroit pour considérer les procédures comme s’inscrivant dans le mécanisme intégré de sanctions prévu par le droit français. Partant, le requérant a subi un préjudice disproportionné en conséquence de la double poursuite et de la double condamnation, par la commission des sanctions de l’AMF et les juridictions pénales, pour les mêmes faits».

1. Bis repetita. Le droit répressif des marchés financiers est une discipline baroque. Extravagantes sont en effet nombre de ses caractéristiques : poursuites partagées entre PNF [1] et AMF [2] ; faible contentieux pénal malgré des enjeux considérables [3] ; appel des décisions de l'AMF pouvant être porté devant l’ordre judiciaire ou administratif ; amende pouvant dépasser le plafond légal de 100 millions d’euros ; manquements administratifs incriminés dans un texte européen [4] ; principe de légalité affaibli [5]… Par la temporalité de sa résolution, l’affaire «Nodet c/ France» complète ce singulier inventaire. Communiquée au Gouvernement français le 31 aout 2015, l’affaire avait de quoi inquiéter et exciter. Portant sur un cumul de poursuites à raison d’une suspicion de manipulation de cours, l’affaire s’insérait parfaitement dans un environnement prétorien ayant sensiblement remis en cause le principe même de la double poursuite des abus de marché [6] : à mi-chemin ou presque entre l’arrêt «Grande Stevens» [7], les décisions «Initié I» [8] et «Initié II» [9]. C’est dire que le contexte était propice à une nouvelle remise en cause du cumul de poursuites à l’aune de la règle ne bis in idem proclamée à l’article 4 du Protocole n° 7 (N° Lexbase : L4679LAK). Les affres de la procédure européenne ont toutefois eu raison de ces enjeux puisqu’au moment où la décision «Nodet c/ France» est enfin rendue, la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 (N° Lexbase : L7614K8I) a considérablement réformé les poursuites diligentées à raison d’abus de marché, et ce depuis presque trois ans. La règle ne bis in idem est désormais légalement consacrée dans le domaine de la répression des abus de marché. Est-ce à dire que la solution rendue ne présente plus d’intérêt à l’endroit du double jeopardy ? Rien n’est moins sûr. Qu’on en juge.

2. Un manquement, deux poursuites. Concrètement, il fut reproché au requérant, analyste financier, d’avoir dégagé une plus-value substantielle sur le titre Fromageries Paul Renard (FPR) [10] en utilisant quatre comptes bancaires sur lesquels il disposait d’un pouvoir. Plus précisément, le rapport de l’AMF releva notamment la forte activité de M. Nodet sur le titre FPR au vu du nombre d’ordres passés et annulés, ainsi que des opérations réalisées, dont 25 en face-à-face entre les quatre comptes par lui gérés. L’AMF conclut que cela avait eu pour effet de provoquer une hausse du cours, ainsi que des réservations de cotation de l’action à la hausse : un manquement relatif à la manipulation de cours [11] lui était donc reproché. Le 20 décembre 2007, la Commission des sanctions de l’AMF lui infligea une sanction de 250 000 euros, outre la publication de la décision. L’appel et le pourvoi en cassation furent rejetés par la cour d’appel de Paris puis la Chambre commerciale de la Cour de cassation [12]. Or, parallèlement, le procureur de la République, informé par le président de l’AMF, chargea le 11 septembre 2007 la brigade financière de procéder à une enquête préliminaire. Le 8 avril 2009, alors que le pourvoi relatif à la sanction prononcée par l’AMF était pendant, M. Nodet fut attrait devant le tribunal correctionnel de Paris, afin d’y être jugé pour le délit, cette fois-ci, de manipulation de cours [13]. Estimant qu’il était poursuivi à raison de faits identiques à ceux ayant fait l’objet de la procédure devant l’AMF, l’intéressé souleva la violation du principe ne bis in idem protégé par l’article 4 du Protocole n° 7 de la Convention. Le tribunal correctionnel rejeta ses conclusions, le déclara coupable des faits reprochés et le condamna à huit mois d’emprisonnement avec sursis. La cour d’appel confirma le jugement tout en ramenant la peine à trois mois. La Cour de cassation rejeta le pourvoi de M. Nodet [14].

La saisine de la juridiction strasbourgeoise apparaît des plus logiques. En condamnant M. Nodet pour à la fois le manquement et le délit de manipulation de cours, la France s’est livrée à un cumul de poursuites qui, prima facie, jure avec l’article 4 du Protocole n° 7 et la décision «Grande Stevens». La condamnation de la France ne devrait donc surprendre : «le requérant a subi un préjudice disproportionné en conséquence de la double poursuite et de la double condamnation, par la commission des sanctions de l’AMF et les juridictions pénales, pour les mêmes faits» [15]. Une telle solution n’allait pourtant pas de soi puisque, tout d’abord, la France a émis une réserve portant sur l’article 4 en vue de limiter le jeu de ce texte aux seuls contentieux portés devant des juridictions pénales. Ensuite, depuis la décision «A. et B. c/ Norvège» [16], la Cour européenne a fait évoluer sa jurisprudence en acceptant que des poursuites intégrées et complémentaires puissent par exception se cumuler sans transgresser le Protocole. La condamnation de la France le 9 juin 2019 a ainsi imposé un raisonnement en deux temps : laisser hors-champ la réserve (I) et affirmer que les contentieux n’étaient pas ici suffisamment intégrés (II). Une telle position ne laisse d’interroger (III) alors même que le contentieux des abus de marché a considérablement évolué depuis 2016, et que, par ailleurs, une double condamnation pour fraude fiscale est toujours virtuellement possible en France.

I - Une réserve en sursis

3. La glace et le feu. La question relative à la réserve formulée par la France à l’endroit de l’article 4 du Protocole additionnel n° 7 est tout sauf nouvelle (A). La réponse n’est pas pour autant évidente, la juridiction strasbourgeoise ayant en la matière soufflé le froid et le chaud. L’arrêt «Nodet» aurait donc pu être l’occasion pour la Cour de préciser sa position. Occasion a priori manquée (B) puisque la France a finalement décidé de ne pas invoquer sa réserve. Il n’en demeure pas moins que cette position trahit sans doute la perception que l’Etat français a de sa propre déclaration.

A - Un problème ancien

4. Approche. Le Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, signé à Strasbourg le 22 novembre 1984, stipule en son article 4 que «nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat». Or, lors de l’adoption de ce texte, la France émit la réserve suivante : «Le Gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole». Ce faisant, l’Etat français a clairement manifesté son souhait de limiter la règle ne bis in idem à la double poursuite pénale, stricto sensu. Reste que l’article 57 § 2 CESDH (N° Lexbase : L4794AQM) condamne les réserves générales et impose un bref exposé de la loi échappant à la Convention [17]. Il n’est dès lors pas étonnant que soit posée la question de la régularité de cette réserve. L’interrogation était d’autant plus légitime que, se prononçant sur la fort similaire réserve italienne [18], la Cour européenne avait conclu à la contradiction de cette formule générale avec l’article 57 [19] : «même des difficultés pratiques importantes dans l’indication et la description de toutes les dispositions concernées par la réserve ne sauraient justifier le non-respect des conditions édictées à l’article 57 de la Convention» [20]. Le sort de la réserve française semblait pour le moins s’obscurcir. Toutefois, dans sa décision «A et B c/ Norvège» [21], la Cour européenne a très maladroitement réanimé la réserve française en affirmant en son § 116 que «les réserves formulées par l’Autriche et l’Italie ont été jugées non valables parce qu’elles n’étaient pas accompagnées d’un bref exposé de la loi en cause comme le veut l’article 57 § 2 (voir, respectivement, Gradinger c. Autriche, 23 octobre 1995, § 51, série A n° 328‑C, et Grande Stevens, précité, §§ 204-211), contrairement à la réserve émise par la France (Göktan c. France, n° 33402/96, § 51)». La référence à la décision «Göktan» avait de quoi surprendre, et ce pour deux raisons. Tout d’abord il est évident, à la lecture de cette décision que la Cour ne s’était pas prononcée sur la validité de la réserve. Et pour cause : la France n’avait déjà pas soulevé ladite réserve dans un contentieux portant sur un cumul d’emprisonnements correctionnel et douanier [22]. Ensuite, la réserve faite par la France ne comporte pas plus d’exposé de la loi que la réserve italienne [23].

C’était donc aller vite en besogne que de reconnaître que la réserve française avait bien été validée en son principe dans ce précédent. Il n’en fallut cependant pas moins à la Cour de cassation pour observer, peu de temps après la décision «A. et B. c/ Norvège» et en la citant, que la réserve était valable et pouvait donc faire échec à la règle ne bis in idem lors d’un cumul de poursuites pénales/fiscales [24]. La décision «Nodet» aurait donc pu amener la Cour à se pencher sur la régularité de cette réserve. C’était sans compter sur le nouveau volte-face de l’Etat français.

B - Une solution implicite

5. Aveu. Abordant la question de la recevabilité de la requête, la Cour européenne observe que «Le Gouvernement n’entend pas se prévaloir, dans cette instance, de la réserve que la France a formulée sur l’article 4 du Protocole n° 7» [25]. Comme dans la décision «Göktan», la France préfère donc exclure du champ du litige la réserve par elle formulée lors de l’adoption du Protocole n° 7. Que signifie une telle position ? La théorie du rasoir d’Occam incite à déceler ici un aveu. Sachant que la réserve n’est pas conforme à l’article 57, la France préfère ne pas invoquer un texte irrégulier. Reste à savoir quelle conclusion en tireront les juridictions internes. La réserve n’ayant pas été officiellement invalidée par la Cour européenne, des juges nationaux pourraient en tirer parti pour s’appuyer sur le texte français et ainsi continuer à refuser le jeu de l’article 4 dès lors que sont en cause des contentieux pénal et administratif. Formellement parlant, il est indéniable que le juge européen n’a pas déclaré irrégulière la réserve française. Pire, l’on pourrait soutenir que la seule fois où la Cour s’est clairement exprimée, elle a validé ladite réserve («A. et B.»). Les juges nationaux devraient pourtant tirer toutes les conclusions de la position de la France : la réserve est contraire à l’article 57 et ne saurait être valablement mobilisée aux fins de faire échec à la règle ne bis in idem lorsque les poursuites en concours ne sont pas exclusivement «pénales». L’honnêteté commande sans doute cette lecture. Dans l’attente d’une telle confirmation, il convient évidemment de rester prudent.

Outre la réserve, la décision «Nodet» présente un intérêt certain quant à l’approche développée par la Cour européenne depuis la décision «A. et B. c/ Norvège». Aborder les cumuls de poursuites au prisme de la complémentarité des procédures n’allait pas de soi à la lecture des décision «Grande Stevens» et «Zolotoukhine». La Cour assoit cette grille de lecture dans son arrêt «Nodet» tout en précisant cette nouvelle méthode.

II - Une grille de lecture consolidée

6. Confirmation et condamnation. L’Etat français s’en remettant à la «sagesse» de la Cour, il revenait à cette dernière de se prononcer sur un cumul de poursuites antérieur à la réforme opérée par la loi du 21 juin 2016. Pour ce faire, la Cour observe que «les principes généraux permettant d’apprécier le respect du principe ne bis in idem prévu à l’article 4 du Protocole n° 7, dans le cadre des procédures mixtes, ont été confirmés et développés par la Cour dans son arrêt A. et B. c. Norvège». L’application (B) de ces principes généraux (A) à l’instance pendante amène assez logiquement à constater la «violation de l’article 4 du Protocole n° 7».

A - La formulation

7. Intégration et complémentarité. Dans la lignée de la décision rendue le 15 novembre 2016, la Cour réaffirme que «si l’article 4 du Protocole n° 7 a pour objet d’empêcher l’injustice que représenterait pour une personne le fait d’être poursuivie ou punie deux fois pour le même comportement délictueux, il ne bannit toutefois pas les systèmes juridiques qui traitent de manière ‘intégrée’ le méfait néfaste pour la société en question, notamment en réprimant celui-ci dans le cadre de phases parallèles, menées par des autorités différentes et à des fins différentes (A. et B., précité, § 123)» [26]. Nuançant sensiblement sa jurisprudence «Grande Stevens», la Cour européenne estime donc depuis 2016 [27] qu’un traitement intégré de deux poursuites peut ne pas entrer en collision avec la règle ne bis in idem. Certaines conditions doivent toutefois être respectées.

Il revient à l’Etat d’établir que les procédures étaient unies par un «lien matériel et temporel suffisamment étroit» [28] afin de prouver, conformément à la décision «A. et B.», que ces procédures «se combinaient de manière à être intégrées dans un tout cohérent» [29]. La Cour en vient alors à lister les éléments pertinents pour statuer sur l’existence d’un lien suffisamment étroit du point de vue matériel et déjà formulés en 2016 [30] :

«- le point de savoir si les différentes procédures visent des buts complémentaires et concernent ainsi, non seulement in abstracto mais aussi in concreto, des aspects différents de l’acte préjudiciable à la société en cause ;

- le point de savoir si la mixité des procédures en question est une conséquence prévisible, aussi bien en droit qu’en pratique, du même comportement réprimé (idem) ;

- le point de savoir si les procédures en question ont été conduites d’une manière qui évite autant que possible toute répétition dans le recueil et dans l’appréciation des éléments de preuve, notamment grâce à une interaction adéquate entre les diverses autorités compétentes, faisant apparaître que l’établissement des faits effectué dans l’une des procédures a été repris dans l’autre ;

- et, surtout, le point de savoir si la sanction imposée à l’issue de la procédure arrivée à son terme en premier a été prise en compte dans la procédure qui a pris fin en dernier, de manière à ne pas faire porter pour finir à l’intéressé un fardeau excessif, ce dernier risque étant moins susceptible de se présenter s’il existe un mécanisme compensatoire conçu pour assurer que le montant global de toutes les peines prononcées est proportionné».

8. Evolution/revirement. Cette grille de lecture à travers laquelle est perçue la règle ne bis in idem correspond donc à celle développée dans la décision «A. et B. c/ Norvège». Quatre conditions de fond doivent ainsi être réunies pour que puisse être accepté le cumul des sanctions administratives et pénales : des procédures poursuivant des buts complémentaires et traitant d’aspects différents de l’acte préjudiciable à la société en cause, la prévisibilité du cumul des sanctions, la non-répétition de la collecte et de l’appréciation des preuves et le mécanisme de compensation entre les sanctions administrative et pénale. Or, cette décision avait pu être perçue à l’époque comme une remise en cause des précédents «Zolotoukhine» [31] et «Grande Stevens». Dans son opinion dissidente [32], le juge Pinto de Albuquerque avait en effet remarqué que «l’arrêt A. et B. c. Norvège nuance et limite la portée de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine. La position ancienne et généreuse en matière d’idem factum est significativement limitée par la nouvelle camisole proposée pour le bis. Méfiante à l’égard des accusés, la majorité a décidé d’abandonner le principe fondamental dans la culture juridique européenne qui veut que nul ne puisse être poursuivi plus d’une fois pour les mêmes faits» [33]. Il ajoutait : «Le principe ne bis in idem perd son caractère pro persona, miné par la posture strictement pro auctoritate de la Cour. Il n’est plus une garantie individuelle, mais un outil permettant d’éviter toute ‘manipulation et impunité’ dont profiteraient les accusés. Après avoir renversé la logique du principe ne bis in idem, le présent arrêt ouvre la porte à une politique répressive sans précédent, digne d’un Léviathan, basée sur l’ouverture par l’Etat de procédures multiples, stratégiquement articulées et mises en place en vue d’atteindre l’effet répressif maximal» [34].

Difficile en effet de nier que cette nouvelle approche constituait un tempérament certain à la jurisprudence alors construite puisque le cumul de deux actions relevant de la matière pénale devenait possible, par exception, si les critères énoncés ci-dessus étaient présents. Au demeurant, en parvenant dans l’arrêt «Nodet c/ France» à condamner l’ancien cumul français, la Cour démontre que la grille de lecture «A. et B.» permet de protéger un justiciable contre un excès répressif.

B - Son application

9. Idem. La première étape du raisonnement consiste toujours [35] à vérifier que les actions en cause relèvent bien de la matière pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR). A cet égard, conformément à l’arrêt «Messier c/ France» [36], la Cour estime que la coloration pénale de la sanction de l’AMF ne fait en l’espèce aucun doute [37], ce que les parties ne contestaient d’ailleurs pas. Qu’il soit permis ici d’observer qu’à la différence du Conseil constitutionnel, la Cour ne se livre pas à de savants calculs permettant de constater que des montants d’amende identiques ne sont pas pour autant… similaires… [38]. La Cour ajoute que, conformément à la jurisprudence «Zolotoukhine», l’article 4 du Protocole n° 7 interdit de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde «infraction» pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (§ 44). Or, ici, les faits reprochés étaient identiques dans les deux procédures.

10. Bis. Enfin, quant à la répétition de poursuites, la Cour constate qu’en l’espèce la mixité des procédures était «une conséquence sinon certaine, du moins possible et prévisible, aussi bien en droit qu’en pratique, du même comportement reproché au requérant» (§ 47). En s’appuyant sur la décision rendue le 18 mars 2015 par le Conseil constitutionnel [39], il est observé que, dans les circonstances de l’espèce, qui concernaient le délit de manipulation au sens de l’article L. 465-2 du Code monétaire et financier, l’identité des buts visés par les procédures devant l’AMF et les juridictions pénales, qui concernaient des aspects identiques de l’acte préjudiciable à la société en cause, exclut la complémentarité exigée pour constater l’existence d’un lien suffisamment étroit du point de vue matériel et, partant, la compatibilité des procédures mixtes (§ 48). De plus, si le tribunal correctionnel s’est largement référé aux différentes constatations de l’AMF, la cour d’appel s’est quant à elle fondée à la fois sur le travail des enquêteurs de l’AMF et sur celui de la brigade financière ; la police a ainsi été saisie le 11 septembre 2007 pour procéder à ses propres investigations et ce alors que le rapport d’enquête de l’AMF avait été déposé depuis plus d’un an. La Cour ne peut donc que conclure à la «répétition dans le recueil des éléments de preuve» (§ 49). Quant à l’existence d’un mécanisme de compensation, si le tribunal correctionnel a expressément tenu compte de la sanction pécuniaire prononcée par la Commission des sanctions de l’AMF, tel n’a pas été le cas de la cour d’appel. La juridiction d’appel n’a toutefois pas infligé d’amende au requérant et réduit la peine d’emprisonnement avec sursis de huit à trois mois.

Enfin, à considérer que le lien matériel ait été jugé suffisamment solide, la condition du lien temporel «demeure et doit être satisfaite» [40]. Ce lien doit ainsi «être suffisamment étroit pour que le justiciable ne soit pas en proie à l’incertitude et à des lenteurs, et pour que les procédures ne s’étalent pas trop dans le temps». A toutes fins utiles, ajoute la Cour, il revient à l’Etat d’expliquer et justifier «les lenteurs dont il pourrait être responsable dans la conduite des procédures» [41]. En l’espèce, la procédure administrative a été initiée par l’AMF le 21 juin 2006 alors que la procédure pénale s’est achevée devant la Cour de cassation le 22 janvier 2014. Elles ont ainsi duré plus de sept ans et demi avec cette précision que les deux poursuites ne se sont superposées que pendant deux ans et deux mois. Plus précisément encore, «après l’arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2009 qui mettait fin à la procédure de l’AMF, la procédure pénale a continué jusqu’au 22 janvier 2014, soit pendant encore quatre ans et plus de deux mois». Invité à s’expliquer sur ce délai, le Gouvernement français n’a pu que s’en remettre à la sagesse de la Cour (§ 52). Au vu de tous ces éléments, la Cour constate l’absence de liens matériel et temporel suffisamment étroit pour considérer les procédures comme s’inscrivant dans le mécanisme intégré de sanctions prévu par le droit français : «Partant, le requérant a subi un préjudice disproportionné en conséquence de la double poursuite et de la double condamnation, par la commission des sanctions de l’AMF et les juridictions pénales, pour les mêmes faits» (§ 53). Il y a donc eu violation de l’article 4 du Protocole n° 7. Reste à éclairer les incidences qu’une telle solution est susceptible d’avoir en droit français.

III - Un cumul ostracisé ?

11. Suites. Il est permis de s’enquérir de la postérité de la décision «Nodet», puisque la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 (N° Lexbase : L7614K8I) a considérablement amendé le système de répression des abus de marché pour consacrer la règle ne bis in idem (A). Cet aspect ne doit pour autant occulter les interrogations légitimes portant sur le droit répressif fiscal (B). Les conditions posées par la Cour invitent en effet à questionner l’abstraite validation constitutionnelle du cumul de procédures dans le domaine des fraudes afférant à un impôt.

A - Incidences restreintes en droit financier

12. Abus de marché : aiguillage. L’article 2 de la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché a inséré dans le Code monétaire et financier un nouvel article L. 465-3-6 (N° Lexbase : L8948K8W) destiné à empêcher tout cumul de procédures à raison des mêmes faits [42]. Le texte précise tout d’abord (I) que si l’AMF a notifié des griefs ou si le procureur de la République financier a mis en mouvement l’action publique, alors l’alter ego est bloqué et ne peut plus agir. L’article précise par la suite comment doit être opéré le choix en faveur de l’une ou l’autre des poursuites. Chaque autorité doit ainsi informer son alter ego si elle envisage de poursuivre un abus de marché. L’autorité concurrente dispose alors d’un délai de deux mois pour lui faire part de son intention ou non de poursuivre pour les mêmes faits. Et si tel est le cas alors la première autorité peut saisir le procureur général afin qu’il tranche le conflit si elle désire maintenir son souhait de poursuivre. AMF et PNF présenteront devant ce dernier des observations (IV). Si le procureur de la République financier n'est pas autorisé, dans le délai imparti, à mettre en mouvement l'action publique, l'Autorité des marchés financiers peut procéder à la notification des griefs. La décision du procureur général près la cour d'appel de Paris prévue est définitive, n'est pas susceptible de recours et doit être versée au dossier de la procédure (V). Assez logiquement, ces procédures suspendent la prescription de l'action publique et de l'action de l'Autorité des marchés financiers pour les faits auxquels elles se rapportent. Enfin, le (IX) du texte précise : «Sans préjudice de l'article 6 du Code de procédure pénale, l'action publique pour l'application des peines prévues à la présente section s'éteint, par la notification des griefs par l'Autorité des marchés financiers pour les mêmes faits et à l'égard de la même personne en application de l'article L. 621-15 CMF».

Dès lors que des atteintes à la transparence des marchés sont constatées, la loi empêche le cumul de poursuites. L’article L. 465-3-6 consacre ainsi de jure la règle ne bis in idem quant aux abus de marché. L’arrêt «Nodet c/ France» n’ajoute donc rien, a priori, à cette solution légale. Tout au plus peut-on observer que si le législateur décidait de revenir en arrière, la solution dégagée par la Cour européenne le 6 juin 2019 empêcherait sans doute une telle régression.

Au surplus, la nouvelle loi n’est pas de nature à paralyser tout cumul de poursuites à raison de faits en lien avec les marchés financiers.

13. Hors les abus de marché : bis in idem ? Les abus de marché ne sont pas les seuls manquements pouvant être commis sur les places boursières. Par un arrêt en date du 13 septembre 2017 [43], la Chambre criminelle a en effet pu constater que des qualifications de droit commun telles que l’escroquerie pouvaient se superposer à des manquements déontologiques [44]. Des fautes imputables à une équipe de vente de produits dérivés et d'obligations convertibles peuvent ainsi donner lieu à une procédure administrative de sanction [45], et à une poursuite devant le tribunal correctionnel. Ne s’agissant pas stricto sensu d’atteintes à la transparence des marchés (opérations d'initié, manipulation de cours et diffusion de fausses informations), la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 leur est étrangère. L’argument tiré de la violation de l’article 4 du Protocole n° 7 fut à l’époque rejeté motif pris que «l'interdiction d'une double condamnation en raison des mêmes faits prévue par ce texte ne trouve à s'appliquer, selon les réserves susvisées, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale». L’arrêt «Nodet» est à même de remettre en cause une telle lecture, si tant est que la Cour de cassation accepte de tirer toutes les conséquences du refus français de se prévaloir de la réserve. La règle ne bis in idem peut en effet faire échec à un tel cumul à la condition que la procédure «déontologique» soit assimilée à une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde [46].

B - Incidences restrictives en droit fiscal ?

14. In concreto/in abstracto. A l’issue de la décision «A. et B. c/ Norvège», la prudence s’imposait. Si la Cour européenne semblait reprendre à son compte l’argument constitutionnel de la complémentarité des poursuites, le raisonnement était infiniment plus casuistique que théorique. En d’autres termes, là où le Conseil constitutionnel postulait la complémentarité abstraite [47] des contentieux pénal et fiscal, la Cour européenne procédait à une induction. Le lien temporel et matériel entre les procédures, dans le cas concret de l’espèce, avait emporté sa conviction quant à l’existence d’un système intégré de poursuite. La traditionnelle approche in concreto de la Cour l’éloignait donc de l’abstraction des sages de la rue de Montpensier. De telle sorte qu’il nous semblait alors dangereux, ou à tout le moins peu précautionneux, de présumer une identité entre les approches européenne et interne [48]. La décision «Armannsson c/ Islande» rendue le 16 avril 2019 [49] en témoigne. Reprenant également la grille de lecture «A. et B. c/ Norvège», la Cour européenne en vient à condamner un cumul de poursuites… fiscale et pénale ! Alors que le juge de l’impôt avait en l’espèce pris en compte les sanctions prononcées par le juge pénal, et bien que le Fisc ait accepté de retarder et initier la poursuite pénale après avis de la Direction de l’impôt sur le revenu, la Cour estime que :

«57. Having regard to the above circumstances, in particular the lack of overlap in time and the largely independent collection and assessment of evidence the Court cannot find that there was a sufficiently close connection in substance and in time between the tax proceedings and the criminal proceedings in the case for them to be compatible with the bis criterion in Article 4 of Protocol N° 7».

La Cour européenne ajoute d’ailleurs :

«It does not alter this conclusion that the Directorate of Tax Investigation accepted in November 2010 the applicant’s request to postpone its decision on possible criminal proceedings until the Directorate of Internal Revenue had issued its notification letter on the reassessment of the applicant’s taxes. It is incumbent on the member State to ensure that criminal proceedings fulfil the requirements of the ne bis in idem rule».

C’est dire à quel point la juridiction strasbourgeoise entend pour le moment apprécier sévèrement le lien temporel et matériel d’intégration entre des poursuites initiées de concert et non de conserve.

La décision «Nodet c/ France» confirme une telle perspective. La grille de lecture «A. et B.» constitue certes une entorse à l’approche «Grande Stevens» puisqu’elle permet aux Etats de justifier un cumul de poursuite par la démonstration de l’intégration des procédures ; mais la jurisprudence récente atteste surtout du fait que la Cour entend apprécier les critères avec une rigueur certaine. Si la «complémentarité» avait de quoi inquiéter les esprits goutant peu les cumuls de répression [50], ces derniers peuvent être partiellement rassurés : il est des cas où les exceptions demeurent d’interprétation stricte [51].

 

[1] Parquet national financier.

[2] Autorité des marchés financiers.

[3] AMF, L’application du principe ne bis in idem dans la répression des abus de marché - Proposition de réforme, 19 mai 2015, p. 5.

[4] Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, 16 avril 2014, sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les Directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission (N° Lexbase : L4814I3P).

[5] CEDH, 31 août 2010, Req. 50425/06, George Soros c/ France (N° Lexbase : A7695E9U).

[6] Pour les hésitations antérieures, v. CEDH, 23 octobre 1995, Req. 15963/90, Gradinger c/ Autriche (N° Lexbase : A9541NNP) ; CEDH, 30 juillet 1998, Req. 84/1997/868/1080, Oliveira c. Suisse (N° Lexbase : A7792AWI).

[7]  CEDH, 4 mars 2014, Req. 18640/10, Grande Stevens et autres c/ Italie (N° Lexbase : A1275MGC°, RSC, 2014. 110, F. Stasiak.

[8] Cons. const., décision n° 2014-453/454 QPC, du 18 mars 2015, «Initié I» (N° Lexbase : A7983NDZ).

[9] Cons. const. décision n° 2015-513/514/526 QPC, du 14 janvier 2016, «Initié II » (N° Lexbase : A5893N3N).

[10] Admis à la négociation sur le compartiment C de l’Eurolist d’Euronext Paris.

[11] Ancien article 631-1 du Règlement général de l’AMF. V. désormais art. 12 Règlement n ° 596/2014 du 16 avril 2014.

[12] Cass. com., 10 janvier 2009, n° 08-21.073, F-D (N° Lexbase : A1852ENW).

[13] C. mon. fin., art. L. 465-2, alinéa 1 (N° Lexbase : L8952K83).

[14] Cass. crim., 22 janvier 2014, n° 12-83.579, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9859KZ8).

[15] § 53.

[16] CEDH, 15 novembre 2016, Req. 24130/11, A. et B. c/ Norvège (N° Lexbase : A9900SGR).

[17] «Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article […]. Toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref exposé de la loi en cause».

[18] «La République italienne déclare que les articles 2 à 4 du Protocole ne s'appliquent qu'aux infractions, aux procédures et aux décisions qualifiées pénales par la loi italienne».

[19] CEDH, 4 mars 2014, Req. 18640/10, Grande Stevens et autres c/ Italie, précité, § 210.

[20] Observons au surplus que le texte français ne contient pas de bref exposé des lois faisant exception à la règle formulée à l’article 4.

[21] CEDH, 15 novembre 2016, Req. 24130/11, précité. Auparavant, en matière fiscale v. CEDH 27 novembre 2014, Req. 7356/10, Lucky Dev c/ Suède.

[22] Plus précisément, la Cour «relève, bien que le Gouvernement n'en ait pas excipé dans la présente affaire, que la France avait émis une réserve, lors de la ratification du Protocole n° 7, suivant laquelle elle n'acceptait l'article 4 que pour les affaires relevant de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale ; or, comme la Cour l'a admis dans l'arrêt Jamil précité, l'amende douanière a un caractère mixte, qui pourrait la faire entrer dans le champ d'application de la réserve. La Cour ne saurait toutefois se fonder sur celle-ci, puisqu'elle n'a pas été soulevée, et qu'au surplus c'est bien un tribunal correctionnel qui a infligé cette amende» (§ 51).

[23] Les réserves formulées à l’endroit du Protocole n° 7 sont accessibles en ligne sur le site du Conseil de l’Europe.

[24] Cass. crim., 22 février 2017, n° 14-82.526, FS-P+B (N° Lexbase : A2508TPL), N. Catelan, Conciliation et cumul des contentieux relatifs à la fraude fiscale, Lexbase éd. fisc., n° 694, du 6 avril 2017 (N° Lexbase : N7547BWG) ; Cass. crim., 6 décembre 2017, F-P+B, n° 16-81.857 (N° Lexbase : A1222W7E), Pénal vs fiscal : des liens ténus laissant ne bis in idem au tapis, W. Azoulay, Dalloz Actualité, 20 décembre 2017. Le renvoi à la réserve d’interprétation se retrouve déjà dans une décision en date du 20 juin 1996 (Cass. crim., 20 juin 1996, n° 94-85.796 N° Lexbase : A2863CIU). Il est fréquent en matière fiscale (v. entre autres, Cass. crim., 4 juin 1998, n° 97-80.620 N° Lexbase : A0504CGR.  Indirectement : Cass. crim., 5 juin 2013, n° 12-83.288, F-D N° Lexbase : A5616KIT et évidemment dans le domaine boursier (v. entre autres Cass. crim., 1er mars 2000, n° 99-86.299 N° Lexbase : A1572ATE - Cass. com., 8 février 2011, n° 10-10.965, FS-P+B N° Lexbase : A7329GWD) en vue de faire obstacle à la règle ne bis in idem.

[25] § 35. 

[26] § 41.

[27] Avant «A. et B. c/ Norvège», v. déjà CEDH, 4 octobre 2016, Req. 21563/12, Rivard c/ Suisse (N° Lexbase : A7896R49).

[28] § 42.

[29] V. «A. et B.», précité, § 130.

[30] V. «A. et B.», précité, § 132.

[31] CEDH, 10 février 2009, Req. 14939/03, Serguei Zolotoukhine c/ Russie (N° Lexbase : A0804ED7).

[32] V. ici à la suite de l’arrêt «A. et B. c/ Norvège».

[33] § 79.

[34] Idem.

[35] CEDH, 10 février 2009, Req. 14939/03, Serguei Zolotoukhine c/ Russie, précité et CEDH, 4 mars 2014, Req. 18640/10, Grande Stevens et autres c/ Italie.

[36] CEDH, Req. 25041/07, Messier c/ France, 19 mai 2009 - CEDH, 30 juin 2011, Req. 25041/07, Messier c/ France (N° Lexbase : A5583HUC), § 35.

[37] § 43. 

[38] V. Constitution vs CESDH vs UE : ne bis in idem et la répression des opérations d'initié, RSC, 2016. 467.

[39] V. supra, précité.

[40] V. déjà «A. et B.», précité, §§ 125 et 134.

[41] § 51. V. déjà «A. et B.», précité, § 134.

[42] V. Décret n° 2016-1121, du 11 août 2016, portant application de l'article L. 465-3-6 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7568K98).

[43] Cass. crim., 13 septembre 2017, n° 15-84.823, F-P+B (N° Lexbase : A0758WSU). V. Ne bis in idem, escroquerie et marchés financiers, Lexbase éd. priv., n° 712 du 21 septembre 2017 (N° Lexbase : N0245BXD).

[44] C. mon. fin., art. L. 621-15 II, a et b (N° Lexbase : L4505LN8).

[45] C. mon. fin., art. L. 621-14 (N° Lexbase : L7508LBP).

[46] Pour la perspective constitutionnelle v. Cons. const., décision n° 2019-783 QPC, du 17 mai 2019 (N° Lexbase : A4767ZB8).

[47] Après avoir cité l’article 13 de la Déclaration de 1789, dont découle l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, le Conseil affirme que les procédures et sanctions prévues par les articles 1729 et 1741 du CGI «permettent d’assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l’Etat ainsi que l’égalité devant l’impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l’objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l’engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves. Aux contrôles à l’issue desquels l’administration fiscale applique des sanctions pécuniaires peuvent ainsi s’ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi» (Cons. const., décision n° 2016-546 QPC, du 24 juin 2016 N° Lexbase : A0910RUA).

[48] V. nos obs. in RFDC, 2017-1, p. 250.

[49] CEDH, 16 avril 2019, Req. 72098/14, Armannsson c. Islande (disponible uniquement en anglais).

[50] En droit de l’Union européenne, v. ainsi v. CJUE, 20 mars 2018, aff. C-537/16, Garlsson Real Estate SA (N° Lexbase : A2863XHI) : RSC, 2018. 524 obs. F. Stasiak ; CJUE, 20 mars 2018, aff. C-596/16, Enzo Di Puma (N° Lexbase : A2864XHK), Dalloz actualité, 2018, E. Maupin ; AJDA, 2018. 602 ; ibid. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D., 2018. 616 ; Dr. pénal, 2018, n° 5, comm. 95, note V. Peltier ; Dr. Sociétés, 2018, n° 5, comm. 88, note R. Vabres ; JCP éd. G, 2018, n° 15, p. 721, note D. Berlin.

[51] V. R. Gassin, Lois spéciales et droit commun, Dalloz, 1961, chron. XVIII, p. 91-98.

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Droit financier

[Brèves] Fourniture illégale des services d’investissement à des tiers à titre de profession habituelle : une seule opération de démarchage au profit d’un client unique ne peut suffire

Réf. : Cass. crim., 13 juin 2019, n° 17-82.470, F-P+B+I (N° Lexbase : A5742ZEE)

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N9425BXD

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par Vincent Téchené

Le 18 Juin 2019

► Une seule opération de démarchage d’investisseurs au profit d’un client unique, en exécution d’un mandat unique, ne peut caractériser l’exercice d’une profession habituelle.

 

Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 juin 2019 (Cass. crim., 13 juin 2019, n° 17-82.470, F-P+B+I N° Lexbase : A5742ZEE).

 

En l’espèce, une société (le prestataire) et son président directeur général ont signé, en 2004, avec une société (le client) un mandat de conseil pour la réalisation d’une opération d’augmentation de capital de cette dernière société, opération qui s’est déroulée en août et septembre 2004. A l’époque des faits, l’agrément dont disposait le prestataire était limité à la fourniture des services de réception, transmission et exécution d’ordres pour compte de tiers, mais ne s’étendait pas à l’activité de service de placement. L’AMF a constaté que le prestataire ne s’était pas contenté d’une simple activité de mise en relation ou d’entremise, mais avait effectué des démarches de recherche d’investisseurs. L’Autorité ayant dénoncé ces faits au parquet, une information judiciaire a été ouverte, à l’issue de laquelle le prestataire et son PDG ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour avoir fourni des services d’investissement à des tiers à titre de profession habituelle sans y avoir été autorisés dans les conditions prévues à l’article L. 532-1 (N° Lexbase : L9349DYW) ou sans figurer au nombre des personnes mentionnées à l’article L. 531-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6328DI9), dans leur version applicables aux faits, en l’espèce en démarchant des investisseurs dans le cadre de la réalisation de l’augmentation de capital de son client.

 

La cour d’appel a relaxé les prévenus. Elle énonce notamment que le délit de fourniture illégale d’un service d’investissement à des tiers nécessite qu’il soit établi que cette activité était exercée à titre de profession habituelle, et que si le mandat liant le prestataire et son client prévoyait une rémunération du premier par la seconde, la prévention ne vise qu’une seule opération, celle consistant en la recherche d’investisseurs dans le cadre de l’augmentation du capital social, opération qui ne concernait qu’un seul client, pour le compte duquel le prestataire avait mandat, les souscripteurs au capital ne pouvant être considérés comme des clients du prestataire dans le cadre de cette opération. Ainsi, pour les juges du fond, le seul démarchage de souscripteurs dans le cadre de l’augmentation de capital litigieuse ne peut constituer la circonstance de profession habituelle exigée par le texte d’incrimination.

 

Saisie d’un pourvoi, la Haute juridiction énonçant la solution précitée, approuve l’arrêt d’appel et rejette, en conséquence, le pourvoi.

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Pénal

[Brèves] Motivation de la peine de confiscation et cumul idéal d’infractions

Réf. : Cass. crim., 12 juin 2019, n° 18-83.396, F-P+B+I (N° Lexbase : A0794ZE7)

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N9453BXE

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par June Perot

Le 19 Juin 2019

► Ne méconnaît pas le principe ne bis in idem la cour d’appel qui a déclaré les prévenus coupables de blanchiment habituel du produit des délits de travail dissimulé, d’abus de faiblesse et de fraude fiscale, et de recel habituel du produit du délit de travail dissimulé, dès lors que les juges ont retenu des faits distincts de recel et de blanchiment, l’acquisition des véhicules ayant été réalisée au moyen de fonds qui ont été remis par le père des prévenus mais qui ne lui ont pas été restitués ensuite en espèces ;

 

► hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit ou l’objet de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine ;

 

► il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s’être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu.

 

Telles sont les solutions pouvant être dégagées d’un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation rendu le 12 juin 2019 (Cass. crim., 12 juin 2019, n° 18-83.396, F-P+B+I N° Lexbase : A0794ZE7 ; sur la motivation de la peine de confiscation, v. déjà en ce sens : Cass. crim., 27 juin 2018, n° 16-87.009, FP-P+B N° Lexbase : A5508XXB).

 

A la suite, d’une part, de plaintes de personnes âgées pour des abus commis à l’occasion de démarchages à domicile portant soit sur des ventes de chaises et matelas, soit sur des opérations de démoussage de toiture ou de façade, d’autre part, d’un signalement du service TRACFIN relatif aux mouvements suspects constatés sur les comptes bancaires d’une famille, une information judiciaire a été ouverte. A l’issue de cette information, des époux et deux de leurs filles ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs d’abus de faiblesse, travail dissimulé, infractions à la législation sur le démarchage à domicile, infractions aux règles de facturation et blanchiment aggravé et recel aggravé. Le tribunal les a déclarés coupables, à l’exception pour le père, parmi les infractions à la législation sur le démarchage à domicile, de la seule infraction d’exécution de prestation de service avant la fin du délai de réflexion. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

 

En cause d’appel, pour déclarer les prévenues coupables de blanchiment habituel du produit des délits de travail dissimulé, d’abus de faiblesse et de fraude fiscale, l’arrêt a énoncé qu’elles avaient admis avoir en connaissance de cause, d’une part, fait transiter par leurs comptes bancaires des chèques provenant de l’activité professionnelle du père avant de retirer les fonds en espèces pour les lui remettre, d’autre part, procédé, à la demande de ce dernier, à des échanges de billets en francs en billets en euros. Pour les déclarer coupables de recel habituel du produit du délit de travail dissimulé, la cour d’appel a relevé qu’elles avaient reconnu avoir bénéficié chacune d’un véhicule payé par le père en versant, sur leurs comptes, des chèques de clients de ce dernier avant de solliciter un chèque de banque pour l’achat du véhicule.

 

Pour confirmer la confiscation de l’ensemble des fonds d’un montant total de 1 485 257,98 euros et des véhicules saisis et rejeter l’ensemble des demandes en restitution, l’arrêt a retenu qu’en vertu du cinquième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ), s’il s’agit d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles lorsque ni le condamné ni le propriétaire n’a pu en justifier l’origine. Selon les juges, les sommes trouvées tant chez le père que chez ses filles, tous déclarés coupables du délit de blanchiment puni de cinq ans d’emprisonnement, n’avaient aucune origine connue ou justifiée et qu’il en était de même des véhicules saisis, manifestement acquis avec le produit des infractions commises par le père, aucune des prévenues n’ayant d’activité rémunérée ou d’autres ressources propres connues. Un pourvoi est formé.

 

Enonçant la solution susvisée, la Haute juridiction censure l’arrêt d’appel en ce qui concerne la confiscation. Elle considère, en effet, qu’en prononçant ainsi, sans s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété, alors que les confiscations prononcées, en répression de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, portaient sur des biens dont les prévenus n’avaient pas justifié de l’origine et que le père avait invoqué dans ses conclusions le caractère disproportionné de la confiscation de l’intégralité des sommes saisies, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision (cf. l’Ouvrage «Droit pénal général», J. Frinchaboy, Présentation de la peine de confiscation N° Lexbase : E2918GAC).

 

newsid:469453

Propriété intellectuelle

[Brèves] Cybersquatting : interdiction, par le titulaire d’une marque, de l’usage d’un nom de domaine portant atteinte à la fonction essentielle de la marque

Réf. : Cass. com., 5 juin 2019, n° 17-22.132, F-P+B (N° Lexbase : A9309ZD7)

Lecture: 2 min

N9404BXL

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par Vincent Téchené

Le 19 Juin 2019

► Les règles gouvernant l'attribution des noms de domaine sur internet, qui respectent tant les principes de liberté de communication et de liberté d'entreprendre que les droits de propriété intellectuelle, n'ont ni pour objet, ni pour effet de restreindre le droit du titulaire de marque d'interdire l'usage sans son consentement, dans la vie des affaires, d'un signe identique ou similaire à la marque, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels elle est enregistrée, si cet usage porte atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services, en raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public, sauf les effets de l'intérêt légitime et de la bonne foi quant au renouvellement de l'enregistrement de noms de domaine sur internet.

 

Tel est le principe énoncé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 5 juin 2019 (Cass. com., 5 juin 2019, n° 17-22.132, F-P+B N° Lexbase : A9309ZD7).

 

En l’espèce, une société, bureau d'enregistrement de noms de domaine sur internet, exerce également des activités de géoréférencement de sites en France (la société). Elle était titulaire, depuis 2004, des noms de domaine «saoneetloire.fr» et «saone-et-loire.fr», dont l'enregistrement a été renouvelé le 7 juin 2012, et, depuis le 22 juin 2012, du nom de domaine «saône-et-loire.fr». Se prévalant notamment de la marque semi-figurative française «Saône-et-Loire le département», enregistrée le 19 août 2011 pour désigner des services en classes 35, 38, 39 et 41, le département de Saône-et-Loire (le département) a contesté l'attribution à la société des noms de domaine précités et demandé leur transfert à son profit. L’AFNIC ayant refusé le transfert des noms de domaine «saone-et-loire.fr» et «saoneetloire.fr», mais accueilli la demande portant sur le nom «saône-et-loire.fr», la société a formé un recours en annulation contre cette dernière décision ; le département, pour sa part, a reconventionnellement demandé l'attribution des deux autres noms de domaine et agi en contrefaçon de marque. La société a alors formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel (CA Versailles, 14 mars 2017, n° 15/08491 N° Lexbase : A0031T7B) lui reprochant d’avoir rejeté sa contestation portant sur le transfert au département du nom de domaine «saône-et-loire.fr».

 

La Cour de cassation énonçant le principe précité, approuve l’arrêt d’appel et rejette en conséquence le pourvoi.

 

La Haute juridiction relève que l’arrêt d’appel ayant constaté que la reprise du signe «saône et loire», conjuguée à l'identité ou la similarité des services couverts, était de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en laissant accroire à une origine commune des services offerts sous les deux dénominations, en forme de déclinaisons de la marque dont le département de Saône-et-Loire est titulaire. Ainsi, la cour d'appel a souverainement retenu que la société ne démontrait pas une exploitation des noms de domaine litigieux afin d'offrir des services en rapport avec le territoire du département de Saône-et-Loire. Elle a donc pu décider que cette société n'avait aucun intérêt légitime à obtenir l'enregistrement et le renouvellement à son bénéfice des enregistrements correspondants.

En outre, pour la Cour régulatrice, les juges du fond ne se sont pas contredits en retenant que toute activité de géoréférencement en ligne ne constituait pas nécessairement une offre de services en rapport avec le territoire du département de Saône-et-Loire.

newsid:469404

Sécurité sociale

[Brèves] Non-conformité (aux effets atténués) du droit de communication des données de connexion des agents des organismes de Sécurité sociale

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-789 QPC du 14 juin 2019 (N° Lexbase : A2415ZE8)

Lecture: 3 min

N9424BXC

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par Laïla Bedja

Le 19 Juin 2019

► L'article L. 114-20 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7706LBZ), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007, de financement de la Sécurité sociale pour 2008 (N° Lexbase : L5482H3G), qui concerne notamment les données bancaires et les données de connexion, est contraire à la Constitution ;

 

► Néanmoins, la remise en cause des mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives ; par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

 

Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 14 juin 2019 (Cons. const., décision n° 2019-789 QPC du 14 juin 2019 N° Lexbase : A2415ZE8). 

 

Les Sages ont été saisis par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 114-19 (N° Lexbase : L6004LMC), L. 114-20 et L. 114-21 (N° Lexbase : L4687H9H) du Code de la Sécurité sociale. Pour la requérante et les associations intervenantes à l’instance, ces dispositions méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée, ces dernières régissant l'usage par les agents des organismes de Sécurité sociale de leur droit d'obtenir communication de certains documents ou informations relatifs à des bénéficiaires de prestations ou à des assujettis à des cotisations sociales. Selon elles, les garanties apportées à l'exercice de ce droit de communication seraient insuffisantes, pour ce qui concerne les données bancaires et les données de connexion. Elles dénoncent également le fait que ces agents ne sont tenus d'informer la personne contrôlée de la teneur et de l'origine des documents obtenus auprès de tiers que si une décision a été prise à son encontre sur le fondement de ces documents. Pour les mêmes raisons, la requérante reproche au législateur d'avoir méconnu l'étendue de sa propre compétence dans des conditions qui affecteraient le droit au respect de la vie privée.

 

Enonçant la solution précitée, les Sages déclarent contraire à la Constitution les dispositions de l’article L. 114-20 du Code de la Sécurité sociale.

 

Par le renvoi général qu’il opère sous réserve de quelques exceptions, à la section I du chapitre II du titre II de la première partie du Livre des procédures fiscales, l'article L. 114-20 du Code de la Sécurité sociale étend à certains agents des organismes de Sécurité sociale le droit de communication de certains documents et informations reconnu à l'administration fiscale. Il résulte de ce renvoi que les agents des organismes de Sécurité sociale disposent du droit de se faire communiquer les données de connexion détenues par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d'accès à un service de communication au public en ligne ou les hébergeurs de contenu sur un tel service et la communication de telles données est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne intéressée.

 

Pour les Sages, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale. Ensuite, d’une part, en vertu de l'article L. 114-19 du Code de la Sécurité sociale, il ne peut être fait usage du droit de communication que pour le contrôle de la sincérité et de l'exactitude des déclarations souscrites ou de l'authenticité des pièces produites en vue de l'attribution et du paiement des prestations servies par les organismes de Sécurité sociale, pour l'exercice des missions de contrôle des cotisants aux régimes obligatoires de Sécurité sociale et de lutte contre le travail dissimulé et pour le recouvrement de prestations versées indûment à des tiers. D’autre part, les juges ajoutent que ce droit de communication n’est ouvert qu’aux agents des organismes de Sécurité sociale, lesquels sont soumis, dans l’utilisation de ces données, au secret professionnel.

 

Si les données bancaires peuvent révéler des informations relatives aux circonstances dans lesquelles la personne a dépensé ou perçu ses revenus, l'atteinte ainsi portée au droit au respect de la vie privée n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

 

En revanche, compte tenu de leur nature et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, les données de connexion fournissent sur les personnes en cause des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée. Par ailleurs, elles ne présentent pas de lien direct avec l'évaluation de la situation de l'intéressé au regard du droit à prestation ou de l'obligation de cotisation. Dans ces conditions, le législateur n'a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et la lutte contre la fraude en matière de protection sociale.

 

Concernant l’article L. 114-21 du Code de la Sécurité sociale, le Conseil constitutionnel déclare qu’il ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit et doit donc être déclaré conforme à la Constitution.

newsid:469424

Universités

[Brèves] Légalité de la décision de refus d’une Université de refuser de communiquer à un syndicat étudiant les règles de traitement informatique des candidatures sur «Parcoursup»

Réf. : CE 1° et 4° ch.-r., 12 juin 2019, n° 427916, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2217ZET)

Lecture: 1 min

N9405BXM

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par Yann Le Foll

Le 19 Juin 2019

Une Université peut refuser de communiquer à un syndicat étudiant les règles de traitement informatique des candidatures sur «Parcoursup». Telle est la solution d’un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 12 juin 2019 (CE 1° et 4° ch.-r., 12 juin 2019, n° 427916, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2217ZET).

 

Il résulte des termes du dernier alinéa du I de l'article L. 612-3 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L1065LKN) que le législateur a entendu régir par des dispositions particulières le droit d'accès aux documents relatifs aux traitements algorithmiques utilisés, le cas échéant, par les établissements d'enseignement supérieur pour l'examen des candidatures présentées dans le cadre de la procédure nationale de préinscription.

 

Ces dispositions spéciales doivent ainsi être regardées comme ayant entendu déroger, notamment, aux dispositions de l'article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : L4912LA8), en réservant le droit d'accès à ces documents aux seuls candidats, pour les seules informations relatives aux critères et modalités d'examen de leur candidature.

 

Il en résulte donc la solution précitée.

 

La Haute juridiction ajoute, cependant, qu’il est toujours possible à l’Université, si elle le décide, de communiquer ou de publier en ligne de telles informations. En outre, aux termes de l’article D. 612-1-5 du Code de l’éducation (N° Lexbase : L7859LPR), dans sa rédaction résultant du décret n° 2019-231 du 26 mars 2019 (N° Lexbase : L6889LPT), chaque établissement est désormais tenu de publier les critères généraux encadrant l'examen des candidatures par les commissions d'examen des vœux.

newsid:469405

Urbanisme

[Brèves] Impossibilité de transformer une ancienne bergerie en ruine en maison d’habitation sans autorisation préalable

Réf. : Cass. crim., 12 juin 2019, n° 18-81.874, F-P+B+I (N° Lexbase : A0793ZE4)

Lecture: 2 min

N9406BXN

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par Yann Le Foll

Le 19 Juin 2019

Est illégale la transformation d’une ancienne bergerie en ruine en maison d’habitation sans autorisation préalable au sein de la zone NP du plan local d’urbanisme destinée à protéger les espaces à valeur paysagère et dans laquelle sont interdites toutes constructions et installations incompatibles avec le caractère de la zone et notamment toute construction nouvelle. Tel est le principe dégagé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 juin 2019 (Cass. crim., 12 juin 2019, n° 18-81.874, F-P+B+I N° Lexbase : A0793ZE4).

 

Pour déclarer le prévenu coupable d’exécution de travaux non autorisés par un permis de construire et d’infraction au plan local d’urbanisme, l’arrêt attaqué énonce que les articles R. 421-13 (N° Lexbase : L7461HZD) et R. 421-14 (N° Lexbase : L2746KWM) du Code de l’urbanisme dispensent de toute formalité les travaux exécutés sur des constructions existantes, sauf exceptions telles que la création d’une surface supérieure à 20 m², que la notion de construction existante exclut nécessairement les constructions en ruine et que les dispositions de l’article L. 111-3 du Code de l’urbanisme applicables au moment des faits ne dispensent pas de solliciter un permis de construire.

 

Par motifs propres et adoptés, la cour d’appel précise que l’enquête n’a pas permis de déterminer la superficie et l’état exacts du bâti préexistant, mais qu’il résulte des propres déclarations du prévenu que “les murs étaient à terre” et que seules des ruines subsistaient. Les juges ajoutent que l’intéressé a reconnu que la reconstruction n’était pas réalisée à l’identique puisqu’il indique que la surface de la bergerie devait être de l’ordre de 38 m², alors que la superficie actuelle est, selon lui de 49 m² et, selon la Direction départementale des territoires et de la mer de la Corse du Sud (DDTM), de 66, 44 m².

 

Ils en concluent qu’il ne s’agit pas d’une simple restauration ou réhabilitation d’une bâtisse en conservant les murs porteurs, mais d’une construction nouvelle à l’emplacement d’une bâtisse en pierres détruite, au sein de la zone NP du plan local d’urbanisme.

 

La Cour suprême valide ce raisonnement et adopte la solution précitée (cf. l’Ouvrage "Droit de l'urbanisme" N° Lexbase : E4581E7S).

newsid:469406

Vente d'immeubles

[Jurisprudence] Perte de chance de conclure une VEFA et responsabilité du notaire

Réf. : Cass. civ. 3, 23 mai 2019, n° 17-17.908, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1907ZCM)

Lecture: 14 min

N9411BXT

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par Eric Meiller, notaire, docteur en droit

Le 27 Juin 2019

La décision, rendue le 23 mai 2019 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, pose la question du champ d’application de la vente en l’état futur d’achèvement (et, désormais, également de la vente d’immeuble à rénover). Mais elle aborde, incidemment, la question du rôle du notaire, requis pour réitérer une vente par acte authentique, à la suite d’un avant-contrat sous seing privé dont les qualifications juridiques sont erronées, mais auquel le notaire n’a pas prêté sa plume.

En l’espèce, par acte notarié du 15 septembre 2006, un particulier avait acquis d'une société un lot d'un ensemble immobilier en cours de rénovation. Le chantier fut abandonné ; le vendeur ainsi que le maître d’œuvre furent placés en redressement puis liquidation judiciaires. L’acquéreur lésé reprocha au notaire d'avoir failli à son obligation de conseil en s'abstenant de lui proposer une réitération de la vente sous le régime de la vente en état futur d'achèvement. L’officier public écarta, en effet, le régime de la VEFA sur la foi d'une attestation de mise hors d'eau, qui s’avéra ensuite mensongère.

              

Les juges du fond écartèrent la responsabilité du notaire en considérant que, lors de la vente, celui-ci disposait d'une attestation du maître d’œuvre du 31 juillet 2006 mentionnant que l'immeuble était clos et couvert et qu'il restait à effectuer des travaux d'aménagement intérieur. Sur cette base, l’arrêt d’appel estima que le notaire n’était pas tenu de contrôler sur place la situation du bien vendu, qu’il n'avait aucune raison objective de douter de l'état d'avancement des travaux, lequel était compatible avec les autres éléments en sa possession, de sorte qu'il pouvait légitimement penser que le régime de la vente en état futur d'achèvement n'était pas applicable à ce bien immobilier dont la rénovation était en voie d'achèvement.

              

Saisie une première fois [1], la Cour de cassation censura ce raisonnement. Selon elle, le juge d’appel aurait dû rechercher, comme il y était invité, si le notaire n'avait pas manqué à son devoir de conseil envers l’acquéreur en n'attirant pas son attention sur l'intérêt de contracter sous le régime protecteur de la vente en état futur d'achèvement et sur la nécessité de surveiller l'état d'avancement des travaux compte tenu des risques de l'opération dépourvue de garantie particulière. Et cela d’autant plus que, eu égard à leur ampleur, les travaux de rénovation équivalaient à une reconstruction et que la discordance entre l'état de vétusté mentionné dans l'acte sous seing privé du 4 juillet 2006 et l'attestation de mise hors d'eau du 31 juillet suivant était de nature à éveiller des soupçons sur la sincérité du maître d’œuvre.

              

La juridiction de renvoi, rejoignant la position adoptée par la Haute juridiction, retint la responsabilité du notaire et la Cour de cassation fut alors saisie une seconde fois, sur pourvoi notamment du notaire.

Parmi les moyens allégués au pourvoi, d’une part, ce dernier considère le régime impératif de la VEFA comme inapplicable, au motif que le bien acquis était hors habitation dans la mesure où il s’agissait d’un local au sein d’une résidence hôtelière, destiné à être exploité par bail commercial, sous le régime du loueur en meublé professionnel. D’autre part, le notaire estime qu’il n’est pas responsable d’un dommage déjà produit avant son intervention. En effet, si l'on postule que la vente ne relève pas du régime d’ordre public de la VEFA, les parties étaient déjà liées par les stipulations antérieures de l’avant-contrat, sans que le notaire ne puisse conseiller des modifications unilatérales auprès de l’acquéreur.

              

Dans son second arrêt, celui d’espèce, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle considère que les modalités de gestion sont sans importance, et que le régime impératif de la VEFA est applicable, dès lors que l’acte stipule que les locaux acquis sont à usage d’habitation (I). Par suite, elle confirme implicitement sa position initiale, quant à la responsabilité du notaire (II).

I - L’application du régime impératif de la VEFA

              

Au regard du droit positif, l’espèce relève sans aucun doute de la vente d’immeuble à rénover. Celle-ci est ainsi définie par la loi : «Toute personne qui vend un immeuble bâti ou une partie d'immeuble bâti, à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation, ou destiné après travaux à l'un de ces usages, qui s'engage, dans un délai déterminé par le contrat, à réaliser, directement ou indirectement, des travaux sur cet immeuble ou cette partie d'immeuble et qui perçoit des sommes d'argent de l'acquéreur avant la livraison des travaux doit conclure, avec l'acquéreur, un contrat soumis aux dispositions du présent chapitre» (CCH, art. L. 262-1 N° Lexbase : L1974HPS). Les critères légaux semblent, en effet, réunis : la vente d’un immeuble bâti ou une partie d'immeuble bâti, un immeuble à usage d'habitation ou professionnel et d'habitation, l’engagement du vendeur à réaliser des travaux dans un délai déterminé par le contrat, avec paiement de sommes d'argent ou dépôt de fonds avant la livraison des travaux [2].

              

Pour autant, cette législation n’est pas applicable à l’espèce, pour des motifs tirés de l’application de la loi dans le temps. La vente d’immeuble à rénover a été créée par la loi du 13 juillet 2006 [3]. Le décret d’application n’a toutefois été publié au Journal officiel que le 18 décembre 2008, pour une entrée en vigueur le lendemain [4]. Les actes d’espèces, conclus en 2006, ne sont donc pas concernés par ces dispositions d’ordre public.

              

Sous l’empire de la législation d’époque, deux options étaient concevables :

               - soit le régime de la vente ordinaire, avec obligation de travaux à la charge du vendeur [5]. Etant précisé que si les travaux réalisés par le vendeur présentaient une certaine importance, ils relevaient de la responsabilité du constructeur des articles 1792 (N° Lexbase : L1920ABQ) et suivants du Code civil ;

               - soit le régime de la vente à construire, avec son régime impératif dans le cadre du secteur à protéger. La jurisprudence exigeait toutefois que l’opération de rénovation s’apparente à une véritable construction. Par exemple, tel n’était pas le cas de la division d’une maison en studios indépendants, sans modification du gros œuvre [6]. Même chose dans l’hypothèse où tous les murs extérieurs, toitures et fenêtres avaient été conservés, et où les seules modifications de l’immeuble étaient une redistribution de la disposition des pièces [7]. En sens inverse, a été considérée, par la jurisprudence, comme vente en l’état futur, la vente d’appartements au sein d’une ancienne usine ; la livraison des locaux promis supposant une véritable reconstruction [8].

              

En l’espèce, l’opération n’avait pas nécessité de permis de construire. Toutefois, les juges du fond ont considéré que l’opération n’était pas une rénovation, mais une transformation intégrale affectant tant l’intérieur que l’extérieur de l’immeuble. Ce qui implique le régime de la vente à construire. D’où l’argument subsidiaire du pourvoi, prétendant que l’opération est hors du secteur protégé. Ce dernier est ainsi délimité par la loi : «Tout contrat ayant pour objet le transfert de propriété d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation et comportant l'obligation pour l'acheteur d'effectuer des versements ou des dépôts de fonds avant l'achèvement de la construction doit, à peine de nullité, revêtir la forme de l'un des contrats prévus aux articles 1601-2 (N° Lexbase : L1699ABK)et 1601-3 (N° Lexbase : L1700ABLdu Code civil» (CCH, art. L. 261-10 N° Lexbase : L1965HPH). Au regard de cette définition, le pourvoi arguait que les biens vendus consistaient en lots de résidence hôtelière, et que les biens étaient destinés à être exploités par bail commercial.

              

Dans une telle hypothèse, au fil des affaires à juger, les juges du fond s’étaient montrés divisés. Ainsi, la VEFA fut, par exemple, écartée dans l’hypothèse d’une résidence de tourisme exploitée par bail commercial [9]. Mais, la solution contraire fut retenue dans le cas d’une résidence pour personnes âgées [10]. Palliant cette incertitude, la Cour de cassation est venue mettre fin à ces hésitations jurisprudentielles, en faisant prévaloir une conception objective de l’habitation, liée à la consistance des locaux. Dans le cas d’une résidence pour personnes âgées, nonobstant le bail commercial, elle considère que le régime de la VEFA est applicable, car «les lots vendus étaient des appartements meublés à usage d'habitation principale, avec chacun salle de douches, toilettes, cuisine, destinés à être habités à l'année par des personnes âgées» [11].

Cependant, la formulation de ce dernier arrêt a pu faire douter de sa portée ; en mentionnant l’habitation à l’année, on pouvait penser que le régime de la VEFA était inapplicable aux résidences de tourisme et autres locaux destinés au court-séjour [12]. Le mérite du présent arrêt est donc de lever cette dernière réserve : peu importe le mode d’exploitation, ou la durée de l’habitation, le régime impératif de la VEFA s’applique lorsque le bien est objectivement destiné à l’habitation. Ce qui est le cas en l’espèce.

II - La perte de chance causée par le notaire

A l’acquéreur qui cherche à engager sa responsabilité, le notaire réplique qu’il ne saurait répondre d'un dommage qui s'est d'ores et déjà produit avant son intervention. En effet, l’officier ministériel ne fut que le rédacteur de l’acte authentique de vente, mais non de l’avant-contrat antérieur. Or, la responsabilité du notaire suppose l’établissement d’un lien de causalité entre sa faute et le préjudice subi : l'absence de toute relation de cause à effet est donc une cause d’exonération [13]. Ainsi, l’absence de dommages-ouvrage par la faute du notaire est sans lien avec le défaut d’achèvement de l’immeuble [14]. De même, il n’y a pas de lien entre les travaux nécessaires sur les parties communes pour éviter un arrêté de péril et l’absence d’un avertissement circonstancié du notaire relatif à l’absence de syndic au sein de la copropriété [15].

Sur cette base, le notaire avançait que les parties étaient déjà liées par l’avant-contrat, et que l’acquéreur ne pouvait s’en dédire, même si la convention avait été négociée à son détriment. Sur la base de ce postulat, l’acte notarié réitérant la vente ne pouvait innover par rapport à cette convention initiale. Mais ce raisonnement doit être écarté, dès lors que l’opération d’espèce relève de la VEFA en secteur protégé. En effet, en ce cas, tout autre contrat qu’une VEFA est un contrat nul (CCH, art. L. 261-10) et le notaire ne peut se retrancher derrière l’accord sous seing privé antérieur pour y déroger [16]. En revanche, la nullité en question est relative, et l’acquéreur est donc libre de s’en prévaloir ou pas [17]. En l’espèce, on peut comprendre que cela ne soit pas l’option choisie. La nullité implique des restitutions réciproques. Or, ici, la restitution du prix par le vendeur est très hypothétique, en raison de la procédure collective l’affectant. En outre, cette restitution consécutive à la nullité n’est pas directement un préjudice indemnisable par le notaire ; ce dernier étant seulement garant de cette restitution, en cas d'insolvabilité avérée du vendeur [18].

Pour l’acquéreur lésé, il est donc plus rapide et plus aisé d’invoquer un préjudice susceptible d’engager directement la responsabilité du notaire. C’est le cas en invoquant la perte de chance qu’il subit par la faute d’un professionnel [19]. Ainsi, il a été jugé qu’un notaire peut se voir reprocher la perte de chance de renoncer à l'acquisition d'un immeuble ou de l'acquérir à moindre prix, dans l’hypothèse où la maison a été faussement déclarée comme raccordée à l’égout communal [20]. De même, le notaire cause une perte de chance au créancier d’avoir une situation plus avantageuse, en ne conseillant pas des sûretés à la garantie d’un paiement à terme [21]. En l’occurrence, les juges du fond ont estimé que l’acquéreur a subi une perte de chance de 90 % de ne pas investir dans l’opération puisque le notaire aurait pu exciper la nullité de l’avant-contrat.

Mais, la Cour de cassation entretient le flou, et envisage plutôt le préjudice sous un autre aspect : perte de chance d’investir sous le régime protecteur de la VEFA. Or, ce fondement se révèle moins convaincant que le précédent. En effet, le notaire arguait, à juste titre, que si VEFA il y avait eu, l’opération aurait probablement relevé des anciennes «garanties intrinsèques». Ces dernières ont été supprimées depuis pour le secteur protégé [22], en raison du risque encouru par l’acquéreur [23]. N’existent désormais que les garanties «extrinsèques», d’achèvement ou de remboursement (CCH, art. L. 261-10-1 N° Lexbase : L0017LNX). Mais les garanties intrinsèques existaient bien à l’époque de l’espèce. Cette garantie était acquise lorsque les fondations étaient achevées et le financement de l'immeuble assuré à 75 % par les fonds propres au vendeur, le montant du prix des ventes déjà conclues et les crédits confirmés des banques (CCH, anc. art. R. 261-18 b) N° Lexbase : L0798INU).

En l’espèce, au vu de la déconfiture du vendeur, on peut douter de la réunion des critères. Mais, la garantie intrinsèque existait également dans l’hypothèse de l'immeuble mis hors d'eau et grevé d'aucun privilège ou hypothèque (CCH, anc. art. R. 261-18 a) N° Lexbase : L0798INU). Or, sur la foi de l’attestation mensongère du maître d’œuvre, le notaire pouvait penser l’opération au stade de la mise hors d’eau. Ce qui pose, à son tour, la question de la responsabilité du notaire. La jurisprudence pose en principe que le notaire n’a pas à procéder à une vérification sur place des pièces qui lui sont fournies [24], sauf si des circonstances sont de nature à éveiller ses soupçons [25]. D’où le débat d’espèce sur les faits qui auraient dû attirer l’attention du notaire, l’attestation de mise hors d’eau étant de très peu postérieure à des documents laissant penser à un besoin de rénovation lourde. En outre, il convient de noter que le principe prétorien précédent a été récemment tempéré. En effet, un notaire fut reconnu responsable, pour n’avoir pas vérifié le commencement effectif des travaux, seul motif susceptible d’éviter la péremption du permis, à défaut de prorogation de celui-ci [26].

Bref, s’il ne veut se voir imputer la responsabilité d’une promotion immobilière désastreuse, parce qu’il est le seul débiteur solvable envisageable, le notaire ne saurait se montrer trop prudent sur la question des diligences à envisager, en présence de travaux à effectuer par le vendeur [27]. Cela étant, eu égard aux changements législatifs intervenus depuis (création de la vente d’immeuble à rénover, suppression des garanties intrinsèques en secteur protégé), des hypothèses comme celles d’espèce devraient devenir rares.

 

[1] Cass. civ. 1, 10 décembre 2014, n° 13-25.848, F-D (N° Lexbase : A5843M7K).

[2] E. Cevaër et C. Daveze, Champ d'application de la vente d'immeuble à rénover : attention, virages dangereux, JCP éd. N, 2015, n° 15, 1118.

[3] Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK).

[4] H. Périnet-Marquet, Vente d’immeuble à rénover, JCl. Notarial formulaire, VIR fasc. 8, n° 6.

[5] Cass. civ. 3, 9 juin 1999, n° 97-19.257 (N° Lexbase : A3486AUN), Bull. civ. III, n° 133 ; Cass. civ. 3, 14 mars 2001, n° 99-18.348 (N° Lexbase : A9997AS3), Bull. civ. III, n° 34.

[6] Cass. civ. 3, 1er décembre 2004, n° 03-13.860 (N° Lexbase : A1304DEZ).

[7] Cass. civ. 3, 6 novembre 1996, n° 94-16.786 (N° Lexbase : A9934ABK), Bull. civ. 1996, III, n° 212, RD imm. 1997, p. 246, obs. Saint-Alary-Houin.

[8] Cass. crim., 27 janvier 2004, n° 03-83.428 (N° Lexbase : A4465ZE4), Constr.-urb. 2004, comm. 72, obs. Sizaire.

[9] CA Rouen, 29 juin 2011, n° 10/04844 (N° Lexbase : A0787HXG), JCP éd. N, 2013, n° 16, 1097, note D. Colas-Nuret et V. Zalewski-Sicard ; CA Pau, 25 juin 2013, JCP, éd. N, 2014, n° 24-25, 1226, note V. Zalewski-Sicard.

[10] CA Bordeaux, 27 octobre 2014, n° 12/04102 (N° Lexbase : A0950MZ9), JCP éd. N, 2015, n° 16, 1125 obs. G. Durand-Pasquier.

[11] Cass. civ. 3, 7 janvier 2016, n° 14-29.655 (N° Lexbase : A3912N3B), JCP éd. N, 2016, n° 3, act. 172 ; RD imm. 2016, p. 150, obs. J.- Ph. Tricoire, O. Tournafond ; Constr.-urb. 2016, comm. 28 , note Ch. Sizaire ; Gaz. Pal., 23 février2016, p. 82, obs. V. Zalewski-Sicard ; Defrénois, 15 avril 2016, p. 9, obs. H. Périnet-Marquet.

[12] G. Durand-Pasquier, Le champ d'application délicat du secteur protégé : vers une distinction selon les types de résidences-services ?, JCP éd. N, 2016, 1269.

[13] Cass. civ. 1, 15 janvier 1985, n° 83-16.486 (N° Lexbase : A0458AHG), D., 1985, jurispr. p. 233, note J.-L. Aubert ; Rép. Commaille 1985, art. 58300, p. 1058, n° 2, note J. De Poulpiquet ; Cass. civ. 1, 16 juin 1992, n° 89-17.305 (N° Lexbase : A4609AH8), Bull. civ. I, n° 185 ; JCP éd. N, 1993, II, p. 109, note Wiederker ; JCP éd. N, 1993, II, p. 280, note Dagorne-Labbé ; Cass. civ. 1, 17 mars 1993, n° 89-20.991 (N° Lexbase : A4809AHL), Defrénois 1993, art. 35663, p. 1379, n° 132, obs. J.-L. Aubert ; Cass. civ. 1, 27 mai 2003, n° 99-17.602, FS-P (N° Lexbase : A6901CKS), Bull. civ. I, n° 129 ; Cass. civ. 1, 8 juillet 2003, n° 99-21.504 (N° Lexbase : A1226C9B), JCP éd. N, 2004, 1206, note J.-P. Kuln.

[14] Cass. civ. 3, 26 novembre 2015, n° 14-23.674, F-D (N° Lexbase : A0791NYX).

[15] Cass. civ. 3, 8 décembre 2016, n° 15-16.494, FS-P+B (N° Lexbase : A3775SPI), JCP éd. N, 2017, n° 1189, note C. Coulon, 1118, note Y. Dagorne-Labbe.

[16] Cass. civ. 3, 8 décembre 2016, n° 15-16.929, FS-D (N° Lexbase : A3894SPW) ; Cass. civ. 3, 8 décembre 2016, n° 15-16.930, FS-D (N° Lexbase : A3809SPR).

[17] Cass. civ. 3, 4 octobre 2018, n° 16-22.095, FS-P+B (N° Lexbase : A5451YEM).

[18] Cass. civ. 3, 18 février 2016, n° 15-12.719, FS-P+B (N° Lexbase : A4691PZR) ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-23.746, F-D (N° Lexbase : A8635KIN).

[19] Cass. civ. 1, 21 novembre 2006, n° 05-15.674, F-P+B (N° Lexbase : A5286DSL), JCP éd. G, 2007, I, 115, n° 2, obs. Ph. Stoffel-Munck ; Cass. civ. 1, 7 juillet 2011, n° 10-19.766, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9350HUT).

[20] Cass. civ. 1, 17 février 2016, n° 15-10.009, F-D (N° Lexbase : A4678PZB).

[21] Cass. civ. 1, 30 octobre 2013, n° 12-25.763, F-D (N° Lexbase : A8077KNH).

[22] Ordonnance n° 2013-890 du 3 octobre 2013 relative à la garantie financière en cas de vente en l'état futur d'achèvement (N° Lexbase : L3207IYG).

[23] V. Zalewski-Sicard, Questions pratiques sur les garanties intrinsèques en matière de vente en l'état futur d'achèvement, JCP éd. N, 2006, p. 1065.

[24] Par exemple : Cass. civ. 1, 7 février 1990, n° 88-16.011 (N° Lexbase : A9148CN7).

[25] Cass. civ. 1, 30 mai 2013, n° 12-23.592, F-D (N° Lexbase : A9469KEG), Defrénois, 2014, 115, comm. H. Périnet-Marquet, dans une espèce où l’attestation de mise hors d’eau était antérieure à la déclaration d’ouverture de chantier.

[26] Cass. Ass. plén., 5 décembre 2014, n° 13-19.674 (N° Lexbase : A8234M4Q), Gaz. Pal., 2015, n° 15, p. 20, obs. N. Blanc ; Rev. Lamy dr. civ., 2015, p. 123, obs. P. Brun ; Constr.-Urb., 2015, comm. 10, note Ch. Sizaire ; JCP éd. N, 2015, n° 25, 1097, note M. Poumarède ; JCP éd. N, 2015, n° 16, 1124, note J.-M. Delpérier.

[27] S. Brun, Le notaire, inspecteur des travaux inachevés, JCP éd. N, 2015, 1174.

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