La lettre juridique n°281 du 15 novembre 2007

La lettre juridique - Édition n°281

Éditorial

Bonne retraite et mauvaise résistance

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N0245BDG

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


La polysémie présente souvent, avec truculence, une part de vérité dont il est parfois bon de s'amuser. Prenons un concept fort présent dans l'actualité, cette semaine : le mot "retraite". Au sens commun, ce terme intègre le vocabulaire social et traduit la situation d'un ancien salarié qui n'est plus en activité professionnelle, en raison de son âge. Sur le plan spirituel, la retraite est une période où un individu se retire de ses activités habituelles pour un temps de réflexion. Le glissement sémantique est aisé, et l'on imagine bien le salarié, cessant définitivement son activité habituelle, porter, plus aisément, son regard avec sagesse sur le monde qui l'entoure. Excusez, ici, une lapalissade : en se retirant, il prend du recul. Là où la retraite paraît moins sage, c'est lorsqu'elle prévaut au plan militaire : elle consiste, alors, pour une armée, à se retirer devant un ennemi plus fort. Pardonnez, alors, le glissement métaphorique, mais à moins que les désaccords sociaux ne se nomment plus "conflits" et que la clause qui présente pour effet une mise à la retraite automatique d'un salarié atteignant un certain âge, clause au demeurant illicite, ne soit plus appelée "clause guillotine", l'empreinte guerrière fait, en matière de retraite, plutôt légion. Mais, l'on se demande bien, alors, devant qui ou quoi le salarié devrait-il battre en retraite : au nom de quoi s'intime-t-il (départ à la retraite) ou lui ordonnons-nous (mise à la retraite) de se retirer de la vie professionnelle ?

Et c'est à ne rien y comprendre. Dans un arrêt rendu le 18 octobre dernier par la Cour de cassation, un salarié avait saisi les juges en contestation de sa mise à la retraite, comme refusant de cesser son activité malgré un revenu de remplacement à taux plein. La retraite peut-elle, alors, être vécue comme la bérézina ? Notamment, pour celui, pour qui, comme Kant, "le travail est l'activité vitale propre au travailleur, l'expression personnelle de sa vie". Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen, nous invite ainsi à nous pencher, cette semaine, sur cette intéressante décision. Pour dire que la mise à la retraite s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les premiers juges avaient retenu que l'employeur devait justifier du "remplacement" du salarié mis à la retraite, ce qui signifiait que le salarié embauché devait succéder au retraité dans sa fonction qu'il devait exercer à sa place. La Cour de cassation censure cette décision et précise que la mise à la retraite d'un salarié de moins de 65 ans qui peut bénéficier d'une pension vieillesse à taux plein et qui peut faire liquider sans abattement les retraites complémentaires auxquelles l'employeur cotise avec lui ne constitue pas un licenciement lorsqu'elle est suivie d'une mesure d'accompagnement. Il n'aura donc échappé à personne que la "retraite" est au coeur de l'actualité médiatique de cette semaine, donnant lieu à une véritable saga à l'appréhension parfois contradictoire.

En effet, après les batailles de Schöngraben, d'Austerlitz et de Borodino, Tolstoï s'attaque, cette semaine, dans son Guerre et Paix télévisuel, à la décrépitude de l'armée napoléonienne contrainte de repasser le Niémen, et pas forcément sur un radeau... Tout est abordé, la Russie tsariste, la question du servage, des sociétés secrètes, etc. Mais sait-on au juste pourquoi l'armée impériale recule ? L'intendance mon général ! L'armée bat en retraite car elle ne se sent plus la force ni de poursuivre, ni de progresser. La prise de conscience de ses propres limites, telle est son ennemi, bien plus que Koutousov. A Napoléon qui maugréait que "c'est dans la retraite qu'on perd les hommes", son ami Goethe pouvait bien lui rétorquer que "le talent se développe dans la retraite ; [alors que] le caractère se forme dans le tumulte du monde" (extrait de Torquato Tasso). Les points de vue sur la retraite sont partagés : d'aucuns écartant purement et simplement l'option, d'autres l'appelant de leurs voeux. Mais finalement, face au déterminisme inéluctable de Tolstoï, dans quelle mesure est-on maître du moment de sa retraite, avant que résistance ne lâche ?

newsid:300245

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Défense et illustrations du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 30 octobre 2007, n° 06-44.934, F-D (N° Lexbase : A4283DZN) ; Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 05-45.698, F-D (N° Lexbase : A4158DZZ) ; Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 06-40.115, F-D (N° Lexbase : A4255DZM)

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N0283BDT

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le contrat de travail apparaît, depuis plusieurs années déjà, comme une sorte de citadelle imprenable dans laquelle l'employeur ne peut entrer que s'il y a été formellement autorisé par le salarié. C'est ce que confirment trois arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation les 30 octobre (pourvoi n° 06-44.934) et 7 novembre 2007 (pourvois n° 05-45.698 et n° 06-40.115). Si l'employeur peut faire varier les éléments de la relation de travail lorsqu'il ne modifie pas les éléments essentiels du contrat (1), il se trouve pieds et poings liés lorsque les éléments qu'il prétend modifier ont été contractualisés, et ce que cette contractualisation résulte de l'application du principe du maintien des avantages individuels acquis ou d'une rédaction maladroite du contrat de travail (2).

Résumés

Pourvoi n° 06-44.934 : ne constitue pas une modification du contrat de travail mais un changement dans ses conditions de travail le fait de demander à un salarié d'exécuter la tâche supplémentaire de réception de nouveaux clients pour les réparations, compatible avec l'expérience et la formation du salarié, qui relève des mêmes fonctions et prérogatives et est en rapport avec sa qualification de magasinier.

Pourvoi n° 05-45.698 : constitue un élément du contrat de travail le taux horaire du salaire contractualisé par l'application de la règle du maintien des avantages individuels acquis, qui ne peut, dès lors, être modifié indirectement par le nouvel employeur à l'occasion d'un changement du mode de rémunération.

Pourvoi n° 06-40.115 : un élément de rémunération contractuel ne peut être supprimé ou modifié sans l'accord du salarié, ni remis en cause par une convention ou accord collectif qui prévoit un avantage ayant le même objet ou la même cause qui est plus favorable au salarié, et qui reçoit application de préférence aux stipulations du contrat de travail.

1. La détermination des éléments du contrat de travail

  • Principes de sanction

L'examen des solutions dégagées ces dernières années par la jurisprudence montre que sept éléments du contrat de travail ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié : il s'agit de la rémunération, de la durée du travail, des fonctions exercées par le salarié, du lieu de travail, de la personne de son employeur, de l'organisation contractuelle du travail ainsi que des clauses du contrat de travail.

Même si le changement terminologique intervenu en 1996 et qui conduit désormais à distinguer, en principe selon une méthode d'analyse objective, les éléments du contrat de travail qui ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié des conditions de travail qui peuvent être modifiées par la seule volonté de l'employeur (1), de nombreuses difficultés d'interprétations sont apparues. Une conception trop large de la notion d'"éléments essentiels du contrat de travail" confèrerait, en effet, au salarié un pouvoir de blocage trop important et interdirait toute adaptation de la relation de travail aux besoins, par essence changeants, de l'entreprise.

C'est ainsi que la notion de lieu de travail doit s'entendre non pas d'un point précis, même identifié dans le contrat par les parties, mais d'un secteur géographique à l'intérieur duquel le salarié peut être amené à être affecté sans qu'il puisse prétendre s'y opposer (2).

  • Régime des fonctions exercées par le salarié

La notion de "fonctions" confiées au salarié a connu le même et nécessaire assouplissement. Pour la Cour de cassation, il ne s'agit pas, en effet, de garantir au salarié le maintien des tâches pour lesquelles il aurait été précisément recruté, mais simplement de lui assurer que les nouvelles tâches que l'employeur pourrait être conduit à lui confier seront de même nature, qu'elles entreront dans sa "qualification" (3), qu'elles ne modifieront pas ses "responsabilités" (4) ou encore ses "attributions" (5) au sein de l'entreprise.

  • L'affaire

C'est ce que vient confirmer un nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 30 octobre 2007 (pourvoi n° 06-44.934).

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé en qualité de magasiner par un garagiste avant de devenir chef d'équipe. Son employeur lui avait demandé d'accomplir des tâches de réception de la clientèle, ce que ce dernier avait refusé en se montrant particulièrement discourtois avec un client de l'entreprise. Il avait alors été mis à pied, puis licencié pour faute grave.

La cour d'appel avait considéré la faute grave comme établie, ce que contestait le salarié. Dans son pourvoi, ce dernier faisait valoir qu'il était, depuis près de 20 ans, responsable du seul magasin de pièces de rechange, et que le fait de lui demander de s'occuper également de l'accueil des clients constituait une modification de son contrat de travail, pareille modification concernant le niveau hiérarchique du salarié et correspondant à une qualification différente.

Le rejet du pourvoi, sur ce point, confirme cette analyse.

Pour la Cour de cassation, en effet, la cour d'appel avait d'abord observé "que la tâche supplémentaire de réception de nouveaux clients pour les réparations, compatible avec l'expérience et la formation [du salarié] relevait des mêmes fonctions et prérogatives et était en rapport avec sa qualification", et ensuite qu'elle "en a exactement déduit l'absence de modification du contrat de travail". On retrouve, dans cet arrêt, les indices classiques qui permettent au juge de déterminer s'il y eu, ou non, modification du contrat de travail, au travers de la prise en compte de l'expérience du salarié, qui doit être compatible avec ses nouvelles tâches (6), ou du maintien de sa qualification, ou, au contraire, d'en éventuel déclassement (7).

Cette solution doit être pleinement approuvée dans la mesure où elle concilie harmonieusement l'intérêt du salarié, qui ne doit pas voir l'économie générale de son contrat de travail unilatéralement modifiée par son employeur, tout en permettant à ce dernier d'utiliser ses salariés de manière relativement souple en leur confiant les différentes tâches au sein de l'entreprise qu'ils sont susceptibles d'accomplir.

2. L'intangibilité du contrat de travail

  • Les principes posés par l'arrêt "Raquin"

L'un des apports de l'arrêt "Raquin", rendu en 1987, est d'avoir affirmé le principe de l'intangibilité du contrat de travail et d'avoir consacré le droit du salarié de refuser toute modification non désirée du contrat de travail (8). Ce principe, qui trouve sa source dans l'article 1134, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (9), peut toutefois être écarté par d'autres textes spéciaux.

  • Hypothèses légales de modification automatique du contrat de travail

L'un des textes qui prévoient des hypothèses légales de modification automatique du contrat de travail, sans que le salarié ne puisse s'y opposer, est l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), qui impose au salarié un changement d'employeur en cas de cession d'entreprise.

Un autre texte du Code du travail a, également, pour effet de modifier le contenu du contrat de travail. Il s'agit de l'article L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN) qui régit la période postérieure à la dénonciation ou à la mise en cause d'un accord collectif après la cession de l'entreprise. Ce texte, à compter de la dénonciation ou de la cession de l'entreprise, impose le respect d'un préavis de 3 mois, puis organise une période de 12 mois maximum pendant laquelle les partenaires sociaux peuvent négocier un accord de remplacement qui se substituera, alors, au texte dénoncé ou mis en cause. A défaut de conclusion d'un accord dans ce délai, l'article L. 132-8 prévoit le maintien des avantages individuels acquis.

Même si la loi ne le prévoit pas expressément, ce principe a pour effet de contractualiser les avantages individuels dont le salarié avait effectivement bénéficié, par application de l'accord dénoncé ou mis en cause. Ces derniers intègrent alors le contrat de travail, qui se trouve, par ailleurs, cédé au nouvel employeur, dans l'hypothèse d'une cession de l'entreprise, par application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail. Ces avantages sont, par conséquent, soumis au régime issu de la jurisprudence "Raquin" et ne pourront donc pas être unilatéralement modifiés par le nouvel employeur sans l'accord du salarié (10).

  • Maintien des avantages individuels acquis et adoption d'un nouvel accord collectif

Ces avantages demeurent, également, définitivement acquis au salarié et ne pourront pas être remis en cause par l'adoption d'un nouvel accord collectif.

Il n'est pas inutile de rappeler qu'un accord collectif ne saurait avoir pour effet de modifier le contrat de travail, comme le rappelle la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 7 novembre 2007 (pourvoi n° 06-40.115). L'accord collectif et le contrat sont, en effet, deux sources distinctes de la relation de travail qui s'appliquent concurremment. Certes, l'article L. 135-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5715ACN) dispose que "lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables". Mais ce texte ne prévoit que le principe de l'application de la convention collective, par préférence au contrat de travail et sous réserve de son caractère plus favorable, et non celui de la révision du contrat. Les dispositions du contrat de travail écartées par l'application de l'accord collectif ne sont pas supprimées du contrat, mais simplement privées d'effet en attendant le moment où elles pourront de nouveau s'appliquer si les dispositions concurrentes de l'accord collectif venaient à être supprimées, ou réviser à la baisse.

  • L'affaire

Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt (pourvoi n° 05-45.698) du 7 novembre 2007, une salariée bénéficiait, dans son contrat de travail, d'une prime par ailleurs prévue par l'accord collectif à l'époque applicable. A l'occasion de la révision de celui-ci, la prime conventionnelle avait été supprimée pour être intégrée dans la rémunération de base des salariés. La salariée, se fondant sur la clause de son contrat de travail, avait réclamé la poursuite du paiement de cette prime, et ce, en dépit du fait qu'elle bénéficiait indirectement du paiement de sommes équivalentes compte tenu de l'intégration de son équivalent conventionnel dans la rémunération de base. Considérant que la convention collective nouvelle, qui avait pu valablement se substituer à l'ancienne à l'occasion de sa révision, n'avait pu avoir pour effet de modifier le contenu du contrat de travail de la salariée, la Cour de cassation considère, ici, très logiquement, que la salariée devait continuer de percevoir la prime contractuelle à laquelle elle n'avait pas renoncé.

Voilà qui devrait conduire les employeurs à la plus grande prudence lors de la rédaction des contrats de travail, et à ne jamais commettre l'erreur de reprendre dans le contrat de travail les dispositions du statut collectif, sauf à vouloir rendre ces éléments intangibles, en dépit de la révision du statut collectif.

  • Intangibilité des avantages individuels acquis

Un autre arrêt, également rendu le 7 novembre 2007, reprend ce principe d'intangibilité du contrat de travail, mais dans le cadre plus complexe de la mise en cause d'un accord collectif postérieurement à la fusion de l'entreprise dans lequel cet accord s'appliquait (pourvoi n° 06-40.115).

Dans cette affaire, une société, assujettie à la convention collective du négoce de matériaux, en avait absorbé une autre qui relevait de la convention collective du bâtiment. N'ayant pu négocier un accord d'adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, l'entreprise absorbante avait proposé aux salariés issus de la société absorbée une modification de la structure de leur rémunération afin d'harmoniser leurs conditions d'emploi avec celles des autres salariés. Ces salariés s'y étaient opposés mais leur nouvel employeur leur avait unilatéralement fait application du changement de structure salariale, ce qui avait conduit les salariés à saisir la juridiction prud'homale de demandes en paiement des avantages individuels acquis sur le fondement de l'accord mis en cause par la fusion.

La cour d'appel d'Orléans les avait déboutés, au motif qu'ils ne justifiaient d'aucune perte de rémunération depuis que leur employeur leur avait imposé un nouveau mode de rémunération, et ce dès lors qu'ils ne peuvent cumuler le salaire, comprenant une prime d'ancienneté, que leur versait leur ancien employeur, ni avec la prime d'ancienneté résultant des dispositions conventionnelles nouvellement applicables ni avec le treizième mois versé par le nouvel employeur.

Cet arrêt est cassé pour manque de base légale, la cour d'appel se voyant reprocher de n'avoir pas recherché "si le changement de mode de rémunération imposé par le nouvel employeur n'avait pas eu pour conséquence de modifier le taux horaire du salaire qui avait un caractère contractuel au plus tard, en qualité d'avantage individuel acquis, à la fin de la période de survie provisoire de la convention collective [...] dont l'application avait été mise en cause du fait de la fusion-absorption".

Cette décision est particulièrement intéressante car elle illustre la complexité de la situation des salariés bénéficiaires d'avantages individuels acquis confrontés à une logique d'harmonisation des statuts avec les autres salariés de leur nouvelle entreprise. Certes, la situation qui résulte de la fusion des entreprises et de l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail est de nature à justifier une différence de traitement avec les autres salariés de l'entreprise, comme cela a été confirmé en juillet dernier par la Cour de cassation (11). Nous avions eu l'occasion de souligner que pareilles différences de traitement, si elles peuvent semblées justifiées sur un plan strictement juridique, ne sont pas nécessairement opportunes car elles sont de nature à provoquer le mécontentement des salariés de la nouvelle entreprise qui ne comprennent pas toujours que leurs "nouveaux" collègues, qui exercent un travail égal, ou de valeur égale, perçoivent une rémunération plus importante.

C'est certainement pour cette raison que l'employeur avait ici décidé, après l'échec de la négociation de l'accord d'adaptation et le refus des salariés de voir leurs contrats modifiés, d'imposer l'harmonisation des modes de rémunération.

La cour d'appel avait refusé de faire droit aux demandes présentées par ces salariés sous prétexte que la modification apportée dans leur mode de rémunération n'avait eu pour eux aucune conséquence salariale particulière, puisqu'ils n'auraient en toute hypothèse pas pu cumuler le bénéfice des nouvelles primes, dont il leur avait été fait une application forcée, et les anciennes qui avaient le même objet (ancienneté et treizième mois).

La difficulté provenait, ici, du fait que les salariés ne pouvaient prétendre au maintien de leur ancien mode conventionnel de rémunération qui ne présente pas le caractère d'un avantage individuel susceptible d'être acquis par le salarié (12), seul le niveau de rémunération étant susceptible de recevoir cette qualification (13).

Dès lors, la cour d'appel ne pouvait se contenter de considérer que les salariés ne pouvaient revendiquer aucun droit au maintien de la structure antérieure de leur rémunération, mais devait vérifier quel était leur niveau de rémunération, sur la base de l'ancienne convention, puisque seul ce niveau est susceptible de constituer un avantage individuel acquis intégré au contrat de travail, en l'absence d'accord d'adaptation. C'est ici la référence au "taux horaire du salaire" qui permet alors de vérifier ce que l'employeur n'était pas en droit de modifier unilatéralement, lui imposant, par conséquent, d'en assurer le maintien en l'état, sans qu'il ne puisse, sous couvert de modifier la structure de la rémunération, en modifier indirectement le montant.

On reconnaît, ici, l'attention toute particulière que la Cour de cassation porte à l'intangibilité de la rémunération contractuelle qui est absolue, l'employeur ne pouvant le modifier ni en le réduisant, ni même en le majorant (14), sans l'accord du salarié.


(1) Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ Groupe des assurances nationales (GAN), publié (N° Lexbase : A2054AAC) ; Bull. civ. V, n° 278.
(2) Cass. soc., 27 mai 1998, n° 96-40.929, M. Mizon c/ M. Saint Olive et autres (N° Lexbase : A2877ACK) ; Dr. soc. 1999, p. 573, chron. P. Waquet.
(3) Cass. soc., 2 février 1999, n° 96-44.340, Société Castorama c/ Mme Andrieu et autre (N° Lexbase : A4634AGQ) ; Dr. soc. 1999, p. 417, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 10 mai 1999, n° 96-45.673, Société Hortifruit c/ Mme Egouy (N° Lexbase : A4652AGE) ; Dr. soc. 1999, p. 736, obs. B. Gauriau ("la circonstance que la tâche donnée à un salarié soit différente de celle qu'il effectuait antérieurement, dès l'instant où elle correspond à sa qualification, ne caractérise pas une modification du contrat de travail") ; Cass. soc., 10 octobre 2000, n° 98-41.358, M. Villena c/ Société Selectimo (N° Lexbase : A7544AHU) ; JCP éd. G, 2000, IV, 2757.
(4) Cass. soc., 25 novembre 1998, n° 96-44.164, M. Jacky Pele c/ Coopérative agricole Lorraine (N° Lexbase : A5128AYL) ; Dr. soc. 1999, p. 572, chron. P. Waquet ; Cass. soc., 20 janvier 1999, n° 97-40.050, Société anonyme Albingia c/ Mme Laurence Garrigou, inédit (N° Lexbase : A4085CXL) ; Dr. soc. 1999, p. 573, chron. P. Waquet ; Cass. soc., 27 janvier 1999, n° 96-44.837, Société Point de Vue, société anonyme c/ Mme Françoise Laot-Thurninger, inédit (N° Lexbase : A9168C3X) ; Dr. soc. 1999, p. 573, chron. P. Waquet.
(5) Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 96-41.845, M. Domenech c/ M. Lebert (N° Lexbase : A4584AGU) ; RJS 1999, n° 154.
(6) Pour une hypothèse où cette expérience ne l'était pas : Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-45.126, Société Cora c/ M. Christophe Picherit, F-P (N° Lexbase : A7777DAB) ; Bull. civ. V, n° 9.
(7) Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-45.331, Société financière FDI, F-P (N° Lexbase : A8208DYN).
(8) Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand (N° Lexbase : A1981ABY), Dr. soc. 1988, p. 140, note J. Savatier ; D. 1988, p. 58, note Y. Saint-Jours.
(9) Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (GAN Vie) c/ M. Rouillot (N° Lexbase : A0505ATU) ; Dr. soc. 2001, p. 514.
(10) Cass. soc., 6 novembre 1991, n° 87-44.507, Société sécurité protection surveillance transport Ile-de-France c/ M. Berland et autres (N° Lexbase : A9146AAY) ; Bull. civ. V, n° 479 : "les dispositions de l'article L. 132-8 du Code du travail imposent à l'employeur, en cas de dénonciation d'un accord collectif visé par ce texte, et à défaut de conclusion d'un nouvel accord, le maintien des avantages individuels acquis par les salariés ; qu'il appartient, dès lors, à l'employeur, qui entend modifier ou supprimer ces avantages ainsi intégrés au contrat de travail, de procéder, en cas de refus des salariés, au licenciement".
(11) Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, Mme Julie Ashton, divorcée Romano, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4724DXA) ; lire nos obs., La justification des inégalités salariales par le principe du maintien des avantages individuels acquis, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2737BCD).
(12) A propos d'un système de rémunération au pourboire (Cass. soc., 12 février 1991, n° 89-45.314, M. Aal et autres c/ Société fermière du casino municipal de Cannes N° Lexbase : A4265AA9) ; d'un mode de réévaluation des salaires (Cass. soc., 22 avril 1992, n° 88-40.921, Consorts Caillaud et autre c/ Société nouvelle d'assainissement et de travaux publics N° Lexbase : A1512AAA : "en cas de dénonciation d'un accord collectif, les salariés ont droit au maintien du niveau de leur rémunération, ils ne peuvent prétendre à la réévaluation de celle-ci en fonction des règles de variations contenues dans l'accord dénoncé qui ne constituaient pas un avantage individuel qu'ils auraient acquis") ; Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-44.712, Association Vivre, FS-P+B (N° Lexbase : A2927DGI) : "si, du fait de la dénonciation de l'accord du 31 mai 1968, les salariés avaient droit au maintien du niveau de rémunération atteint au jour où cet accord avait été dénoncé, ils ne pouvaient plus prétendre pour l'avenir à la réévaluation de leur salaire selon les dispositions de cet accord, celle-ci ne constituant pas un avantage individuel acquis au sens de l'article L. 132-8 du Code du travail".
(13) Cass. soc., 22 avril 1992, préc. ; Cass. soc., 24 novembre 1992, n° 89-20.427, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Libournais c/ Syndicat national de l'encadrement du Crédit agricole (N° Lexbase : A4674ABQ) ; Cass. soc., 26 novembre 1996, n° 93-44.811, Société Marquis Hôtels Partnership c/ M. Alia et autres (N° Lexbase : A4045AA3) ; Cass. soc., 20 octobre 1998, n° 95-44.290, M. Courcelles et autres c/ Caisse régionale d'assurance mutuelle agricole de la Loire (N° Lexbase : A5378AC8) ; Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-43.377, M. Hervé Dorveaux c/ Centre médical de l'Argentière (N° Lexbase : A0234AZP).
(14) Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-40.275, Société Systia informatique c/ M. Bernard (N° Lexbase : A5348AC3) ; JCP éd. G, 1998, II, 10058, note C. Lefranc ; Dr. soc. 1998, p. 523, note G. Couturier.
Décisions

Cass. soc., 30 octobre 2007, n° 06-44.934, M. Alain Roux, F-D (N° Lexbase : A4283DZN)

Cassation partielle (CA Grenoble, chambre sociale, 6 février 2006)

Mots-clefs : contrat de travail ; modification ; changement des conditions de travail.

Lien bases :

Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 05-45.698, Société Record portes automatiques Centre-Ouest, F-D (N° Lexbase : A4158DZZ)

Rejet et cassation partielle (CA Orléans, chambre sociale, 17 novembre 2005)

Textes concernés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC).

Mots-clefs : contrat de travail ; maintien des avantages individuels acquis ; modification du contrat de travail.

Lien bases :

Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 06-40.115, Société Clinique du Château de Perreuse, F-D (N° Lexbase : A4255DZM)

Rejet (CA Paris, 18e chambre D, 8 novembre 2005)

Texte concerné : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clefs : rémunération contractuelle ; remise en cause ; convention ou accord collectif.

Lien bases :

newsid:300283

Social général

[Jurisprudence] Le forfait jours sous la surveillance de la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.876, Société Blue Green Villennes c/ M. Vincent Loustaud, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2447DZN)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Apparu avec la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37 N° Lexbase : L0988AH3), le forfait jours constitue, sinon une anomalie, du moins une curiosité au sein du droit de la durée du travail. Il implique, en effet, une mise à l'écart de l'étalon horaire au bénéfice d'une référence en jours. Eu égard à son caractère extrêmement dérogatoire, ce mécanisme est strictement encadré par la loi. Réservé à certains salariés seulement, il ne peut être mis en oeuvre que sur le fondement d'une convention ou d'un accord collectif de travail. En outre, le Code du travail dispose qu'une indemnisation doit être versée au salarié ayant conclu une convention de forfait jours, lorsqu'il ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée de travail ou perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées. Par un important arrêt en date du 31 octobre 2007, rendu sous l'empire de la loi "Aubry II", la Cour de cassation précise qu'il ne peut être question de cette indemnité que si le recours au forfait jours est, en amont, conforme à la loi. En d'autres termes, c'est parce que le recours à un tel forfait est licite qu'il peut donner lieu, ensuite, à un abus.

Résumé

Il résulte de la combinaison des articles L. 212-15-3, III du Code du travail, en sa rédaction applicable au litige (N° Lexbase : L3870DCC), et 5.7.2.3 de la convention collective nationale du golf , qu'un régime de forfait jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Dans ce cas, le cadre doit bénéficier d'une grande liberté dans l'organisation de son travail à l'intérieur du forfait jours.

L'indemnité prévue par l'article L. 212-15-4, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L7952AID) n'est due qu'au salarié susceptible d'être, par application des dispositions légales et conventionnelles, soumis à une convention de forfait jours.

1. La validité du recours au forfait jours

  • Règles applicables

Depuis la loi "Aubry II", les cadres ne constituent plus, au regard du droit de la durée du travail, une catégorie homogène. Il convient, en effet, de distinguer, depuis cette date, les cadres dirigeants, les cadres dits "intégrés" et les cadres qui ne relèvent pas de l'une ou l'autre de ces deux catégories (1). Ces derniers peuvent se voir appliquer des conventions de forfait jours réglementées par l'article L. 212-15-3, III du Code du travail. Pour aller à l'essentiel, il convient de souligner que les salariés soumis à une telle convention ne sont pas, par hypothèse, concernés par la durée légale de travail. De même, ne leur sont pas applicables la limitation de la durée quotidienne de travail et la durée maximale hebdomadaire de travail (2). En revanche, ils peuvent prétendre au repos quotidien de 11 heures (C. trav., art. L. 220-1 N° Lexbase : L4622DZ9) et au repos hebdomadaire de 35 heures (C. trav., art. L. 221-4 N° Lexbase : L4702DZ8).

Les conventions de forfait jours présentent, ainsi, un caractère dérogatoire très marqué, qui explique que leur mise en oeuvre soit soumise à des conditions très strictes. Ainsi qu'il a été précisé en préambule, ce dispositif exige la signature d'une convention ou d'un accord collectif de travail qui doit contenir un certain nombre de stipulations déterminées par l'article L. 212-15-3, III. Parmi celles-ci, figure la définition des catégories de cadres concernés (3). Jusqu'à la loi "Fillon II" du 17 janvier 2003 (loi n° 2003-47 N° Lexbase : L0300A9Y), le forfait jours ne pouvait être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Depuis cette réforme, la loi n'utilise plus qu'un seul critère pour définir les cadres qui peuvent relever du forfait jours. Il s'agit de "leur autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps".

Dans l'affaire qui nous intéresse, et ainsi que le précise la Cour de cassation, était applicable l'article L. 2125-15-3, III en sa rédaction issue de la loi "Aubry II". Le salarié à l'origine du litige n'avait, cependant, pas fondé son action sur cette disposition. Il revendiquait, en effet, le bénéfice de l'indemnisation prévue à l'article L. 212-15-4, alinéa 2, aux termes duquel "lorsque le salarié ayant conclu une convention de forfait en jours en application des dispositions du III de l'article L. 212-15-3 ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée de travail ou perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, ce dernier peut, nonobstant toute clause contraire, conventionnelle ou contractuelle, saisir le tribunal afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi eu égard notamment au niveau du salaire minimum conventionnel applicable ou, à défaut, de celui pratiquée dans l'entreprise et correspondant à sa qualification".

  • Mise en oeuvre par la Cour de cassation

La Chambre sociale aurait pu se contenter de statuer sur l'octroi de l'indemnité de l'article L. 212-15-4, alinéa 2, du Code du travail. Telle n'est, toutefois, pas la démarche qu'elle a choisi d'adopter, sur l'invitation du Conseiller Gosselin (4). Soulevant un moyen d'office, elle affirme, en substance, que le juge doit, d'abord, s'assurer de la licéité de la convention de forfait jours avant de statuer sur l'indemnisation précitée. Bien plus, il ressort de la décision rapportée que le juge doit procéder à ce contrôle d'office, même si aucune partie ne le demande (5).

Cette solution nous paraît devoir être entièrement approuvée. En effet, ainsi que le précise l'article L. 212-15-4, alinéa 2, peuvent prétendre à l'indemnisation les salariés ayant conclu une convention de forfait jours "en application des dispositions du III de l'article L. 212-15-3". Il faut comprendre que l'indemnisation n'a lieu d'être octroyée que si la convention est, en amont, conforme à la loi, c'est-à-dire si elle est licite. On ajoutera que cette indemnité sanctionne le recours abusif à la convention de forfait jours. Or, et sans pour autant s'étendre sur une question éminemment complexe, il n'y a de place pour l'abus que si l'on reste dans les frontières du licite (6). En résumé, seul le recours licite au forfait jours peut dégénérer en abus et donner lieu à indemnisation. C'est ce que souligne la Cour de cassation, en affirmant que "l'indemnité prévue par l'article L. 212-15-4, alinéa 2, n'est due qu'au salarié susceptible d'être, par application des dispositions légales et conventionnelles, soumis à une convention de forfait en jours".

Partant, il appartient au juge de contrôler la légalité des accords collectifs prévoyant le recours au forfait jours et la conformité à l'accord collectif de ces conventions de forfait ; contrôle auquel la Chambre sociale se livre d'ores et déjà (7).

En l'espèce, et compte tenu de la date des faits, le régime de forfait jours ne pouvait être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne pouvait pas être prédéterminée et qui disposaient d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Selon la Cour de cassation, "dans ce cas, le cadre doit bénéficier d'une grande liberté dans l'organisation de son travail à l'intérieur du forfait en jours". Ainsi que le relève cette dernière, il ressort à la fois des pièces produites, des propres écritures de la société et des constatations de la cour d'appel que "l'emploi du temps du salarié était déterminé par la direction et le supérieur hiérarchique de l'intéressé, lesquels définissaient le planning de ses interventions auprès des clients [et] que le salarié ne disposait pas du libre choix de ses repos hebdomadaires". Il s'en déduit que l'intéressé, qui ne disposait d'aucune liberté dans l'organisation de son travail, n'était pas susceptible de relever du régime du forfait jours qui lui avait été appliqué.

  • Portée de la solution

Si la solution à laquelle parvient la Cour de cassation doit être approuvée, il n'est guère facile d'en mesurer la portée (8). En effet, il convient de rappeler que celle-ci a été rendue sous l'empire de la loi "Aubry II". Or, nous l'avons vu, l'article L. 212-15-3, III ne fait plus, désormais, référence à l'impossibilité de prédéterminer la durée du travail et s'en tient, seulement, à l'autonomie dans l'organisation de l'emploi du temps. Est-ce à dire, pour autant, que le contrôle du juge sur la licéité du recours au forfait jours va s'en trouver changé ?

Il faut, tout d'abord, souligner que la loi du 2 août 2005 (loi n° 2005-882, en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK) a étendu le champ du forfait jours aux salariés non-cadres "dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées". Il ne fait aucun doute que le raisonnement adopté par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté doit valoir pour ces salariés dont la définition est très proche de celle retenue par la loi "Aubry II" pour les cadres autonomes (9). Cela étant, et s'agissant de ces derniers, on s'accordera avec un auteur pour considérer que "c'est bien un degré d'autonomie très élevé qui est déterminant aujourd'hui comme hier" (10). Par suite, il conviendra de veiller à ce que le salarié dispose bien d'une réelle maîtrise sur ses horaires et la durée du travail (11).

2. Le recours abusif au forfait jours

  • Le principe de l'indemnisation

Il s'infère nécessairement de la décision commentée que, dès lors que les conditions permettant le recours au forfait jours ne sont pas réunies, il convient de faire application du droit commun et, en conséquence, de revenir au décompte du temps de travail effectif. Mais, et on l'aura compris, ce n'est pas parce que le recours au forfait jours est licite qu'il est exclusif de toute indemnisation pour le salarié. Bien au contraire, le législateur a souhaité sanctionner le recours abusif à ce dispositif en prévoyant expressément la possibilité d'une indemnisation pour le salarié (12).

Ainsi que nous l'avons déjà évoqué, cette indemnisation est prévue par l'article L. 212-15-4, alinéa 2, du Code du travail. Calculée en fonction du préjudice subi, eu égard, notamment, au niveau de salaire minimum conventionnel, elle est due au salarié soumis à une convention de forfait jours "qui ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée de travail ou perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec des sujétions qui lui sont imposées". Le raisonnement suivi par la Cour de cassation, dans l'arrêt sous examen, ne lui a, malheureusement, pas permis de se prononcer sur les conditions d'ouverture de cette indemnité qui, on peut raisonnablement le supposer, ne manqueront pas de poser difficultés.

  • Une mise en oeuvre complexe

La difficulté réside, ici, dans la caractérisation de l'abus dans le recours au forfait jours. Selon le texte, celle-ci peut découler du constat que le salarié ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée du travail. L'appréciation de cette situation apparaît, de prime abord, difficile, compte tenu du fait que le recours au forfait jours exclut, par nature, la prise en compte des heures réellement effectuées par le salarié. En réalité, c'est la charge de travail pesant sur le salarié qui doit être examinée (13). Dès lors que celle-ci apparaît sans rapport avec le nombre de jours prévu au forfait, on peut penser que le salarié ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée du travail. Mais, et il convient d'en avoir conscience, tout est ici affaire d'appréciation, ce qui ne peut manquer de poser des difficultés.

Il en va de même de l'appréciation d'une rémunération "manifestement sans rapport avec les sujétions imposées". Là encore, et c'est peu de le dire, on est dans le domaine du subjectif. Que faut-il entendre par "sujétions" ? Sans doute est-il possible de se référer, à nouveau, à la charge de travail imposée au salarié. Mais, le fait que le salarié dispose d'une large autonomie dans la détermination de son emploi du temps ne constitue-t-il pas une contrepartie à ces sujétions ? On le constate, l'article L. 212-15-4, alinéa 2, du Code du travail ne manquera pas de poser de difficiles problèmes d'application que la Cour de cassation sera, sans aucun doute, appelée à régler. Affaire à suivre, donc.


(1) Sur ces différentes catégories de cadres, v., notamment, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 1058 et s..
(2) Dans l'absolu, ces salariés peuvent donc travailler 13 heures par jour et 78 heures par semaine.
(3) L'acte collectif doit, également, préciser le nombre de jours travaillés, les modalités de décompte des journées et demi-journées travaillées et de prise des journées et demi-journées de repos, les conditions de contrôle de l'application du forfait, les modalités du suivi de l'organisation du travail des salariés, l'amplitude de leurs "journées d'activité" et la charge de travail qui en résulte.
(4) Le rapport du Conseiller Hervé Gosselin a été publié dans la Sem. soc. Lamy du 5 novembre 2007, n° 1327, p. 5. On lira, également, avec profit l'entretien croisé avec MM. Barthélémy et Rose publié dans le même numéro.
(5) V. en ce sens, J. Barthélémy, op. cit., p. 11.
(6) Sur la notion d'abus de droit, v. par ex., F. Terré, Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 7ème éd., 2006, § 496.
(7) V. le rapp. préc. du Conseiller Gosselin et la jurisprudence citée.
(8) Il faut, en revanche, tenir pour acquis que le juge doit d'abord contrôler la validité du recours au forfait jours pour ensuite se prononcer sur le caractère abusif du recours à celui-ci.
(9) Tous les éléments de la définition sont, à notre sens, importants pour les salariés non-cadres pouvant être soumis au forfait jours. Ainsi, la référence aux "responsabilités qui leur sont confiées" paraît exclure les salariés soumis à une simple tâche d'exécution.
(10) J. Barthélémy, op. cit., p. 10, 1ère col.
(11) V. en ce sens, H. Rose, op. cit., p. 11, 2nde col. Ainsi que le souligne ce dernier auteur, le juge "ne pourra pas écarter le forfait-jours au seul motif que la nature des fonctions ne fait pas obstacle à ce que soit prédéterminée la durée du temps de travail. L'intensité du contrôle judiciaire devrait être moins forte, ce qui serait d'ailleurs conforme à la volonté du législateur de 2003".
(12) A notre sens, cette précision n'était nullement nécessaire, le recours à la notion d'abus de droit pouvant conduire à indemniser le préjudice subi par le salarié.
(13) V. en ce sens, H. Rose, op. cit., p. 13.
Décision

Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.876, Société Blue Green Villennes c/ M. Vincent Loustaud, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2447DZN)

Cassation partielle (CA Versailles, chambre sociale, 25 avril 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 212-15-3, III en sa rédaction applicable au litige (N° Lexbase : L3870DCC) ; article 5.7.2.3 de la convention collective nationale du golf ; C. trav., art. L. 212-15-4, al. 2 (N° Lexbase : L7952AID).

Mots-clefs : cadres ; forfait en jours ; licéité ; recours abusif ; indemnisation ; office du juge.

Lien bases :

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Responsabilité

[Jurisprudence] Appréciation des notions de "conducteur" et d'"accident de la circulation" au sens de la loi du 5 juillet 1985

Réf. : Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 05-21.807, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B (N° Lexbase : A2528DZN)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'occasion a, à d'assez nombreuses reprises d'ailleurs, été donnée de signaler l'importance du contentieux en matière d'accidents de la circulation et les difficultés suscitées par la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (loi n° 85-677 N° Lexbase : L4304AHU), applicable, aux termes de l'article 1er de la loi, "même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Les discussions portent assez fréquemment sur le régime d'indemnisation prévu par la loi et, par suite, sur l'incidence de la faute du conducteur sur la réparation de son dommage (art. 4) (1), ou sur l'appréciation de la faute inexcusable, seule faute susceptible d'être opposée à la victime qui n'a pas la qualité de conducteur et qui demande la réparation des dommages causés à sa personne (art. 3). Et l'on n'ignore pas, sur ce terrain précisément, que la Cour de cassation n'admet que très restrictivement la qualification de faute inexcusable, suivant en cela l'objectif poursuivi par le législateur. Mais encore faut-il, pour que ces questions se posent, que la loi soit applicable, autrement dit que, en amont, les conditions de mise en oeuvre du dispositif d'indemnisation soient remplies. Ainsi se demande-t-on, le plus souvent, si le véhicule terrestre à moteur est bien "impliqué" dans l'accident au sens de l'article 1er de la loi, interrogations que la Cour de cassation cherche à tarir en faisant une appréciation très large de la notion d'implication (2). Nul n'ignore, en effet, que la jurisprudence a, non seulement, abandonné une distinction à laquelle on avait pu, dans un premier temps, songer, selon que le véhicule est ou non en mouvement, décidant ainsi que le fait qu'un véhicule heurté soit en stationnement sans perturber la circulation n'exclut pas son implication dans un accident (3), mais encore considéré qu'un véhicule pouvait être impliqué dans un accident même en l'absence de contact, dès lors qu'il est intervenu d'une manière ou d'une autre dans cet accident (4). Parfois, ce sont les notions, apparemment pourtant plus simples, "d'accidents de la circulation" et de "conducteurs" qui font débat, comme en témoigne un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, en date du 25 octobre dernier.

En l'espèce, le propriétaire d'un véhicule, qui l'avait confié à un garagiste en vue d'effectuer une vidange, avait, alors que le véhicule était installé sur un pont élévateur, mis en marche le moteur du véhicule, et ce à la demande d'un employé du garage. Projeté vers l'avant, le véhicule a blessé l'employé qui a demandé la réparation de son dommage au propriétaire du véhicule et à son assureur. Ce dernier reprochait aux juges du fond d'avoir dit le véhicule impliqué dans un accident de la circulation, faisant valoir que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ne bénéficient qu'aux victimes d'un accident de la circulation, et qu'un véhicule qui est installé sur un pont élévateur n'est pas en circulation, si bien qu'en jugeant du contraire, après avoir constaté qu'au moment de l'accident, le véhicule "se trouvait toujours sur le pont élévateur", la cour d'appel aurait violé l'article 1er de la loi.

La Cour de cassation a, cependant, rejeté le moyen du pourvoi. Pour approuver les premiers juges, la Cour relève, en effet, "qu'ayant retenu que le véhicule était stationné dans un atelier de réparation automobile, qui n'est pas un lieu impropre au stationnement d'un véhicule, et que, mis en mouvement par le démarrage du moteur alors qu'une vitesse était enclenchée, il avait percuté [l'employé], la cour d'appel a exactement décidé que ce véhicule était impliqué dans un accident de la circulation au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, peu important qu'il se fût trouvé sur un pont élévateur". Evidemment, pour les profanes, la solution aura de quoi surprendre, tant il n'est a priori pas évident de considérer qu'un véhicule dans un garage sur un pont élévateur est "en circulation".

Le juriste sera, à vrai dire, bien moins étonné. Il a, en effet, déjà été jugé que la loi s'applique à l'accident survenu sur une voie privée de desserte d'un ensemble immobilier (5) ou dans un parking d'immeuble en sous-sol privatif (6) ou encore, plus proche de l'espèce aujourd'hui commentée, à l'accident dû au déplacement inopiné, par suite de la mise en marche du moteur, d'un autocar en réparation sur un terrain privé (7) ou d'un véhicule en réparation dans l'atelier mécanique d'une station service (8). De la même manière que, comme évoqué précédemment, l'appréciation restrictive des causes d'exonération de l'auteur du dommage se justifie par l'impératif d'indemnisation des victimes, l'appréciation extensive des conditions de mise en oeuvre de la loi est, elle aussi, commandée par le souci de protection et d'indemnisation des victimes qui constitue la raison d'être du régime dérogatoire prévu par la loi de 1985.

L'assureur, en l'espèce, contestait encore que le propriétaire du véhicule ait eu, au moment de l'accident, la qualité de conducteur. Selon le second moyen du pourvoi en effet, le fait pour le propriétaire d'un véhicule confié à un garagiste pour une vidange de prendre place au volant de son véhicule, installé sur un pont élévateur, et de tourner la clé de contact, à la demande expresse du professionnel de la réparation, ne lui faisait pas reprendre la garde de son véhicule puisqu'il n'avait aucun pouvoir de direction ou de contrôle sur celui-ci, dès lors qu'il ne pouvait pas l'utiliser à sa guise de manière autonome. Pas plus que le précédent, cet argument n'emporte la conviction de la Cour de cassation. Elle approuve les juges du fond, qui avaient relevé que M. V. avait remis en marche le moteur de son véhicule alors que celui-ci se trouvait toujours sur le pont élévateur et que pour ce faire, il avait tourné la clé de contact de son véhicule après avoir pris place au volant de celui-ci, d'avoir considéré qu'il "avait la qualité de conducteur du véhicule et était tenu en cette qualité d'indemniser la victime". Là encore, la solution ne surprend pas. Si n'a pas, selon la Cour de cassation, la qualité de conducteur la personne qui est sortie du véhicule dont elle se trouve à proximité et dont elle assurait la conduite dans un temps voisin de l'accident (9), ou celle qui était en train de changer une roue lors de l'accident (10) ou encore celle qui était descendue de sa voiture pour porter secours à une autre victime (11), la conserve, en revanche, celle qui est au volant de son véhicule lors de l'accident, quand bien même d'ailleurs le véhicule serait en réalité remorqué à l'aide d'une barre de fer courte et rigide (12), et ce au motif qu'elle aurait tout de même une certaine maîtrise dans la conduite du véhicule...(dévoiement de la notion de garde ?). Et l'on n'ignore pas, dans une hypothèse certes quelque peu différente mais tout aussi révélatrice de cette tendance, que ne perd pas la qualité de conducteur celui qui tombe de son engin et vient, en glissant sur la chaussée, heurter un véhicule (13).


(1) Voir, not., récemment, répondant au point de savoir si peut être opposée à la victime d'un accident de la circulation sa faute constituée par le fait d'avoir un taux d'alcoolémie supérieur au taux légalement admis, deux arrêts rendus en Assemblée plénière, abandonnant des solutions antérieures admises par la deuxième chambre civile considérant que le dépassement du taux d'alcoolémie autorisé faisait présumer le lien causal, ont jugé qu'un taux d'alcoolémie excessif n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation : Ass. plén., 6 avril 2007, 2 arrêts, n° 05-81.350, M. Daniel Duboust c/ Mme Patricia Pipon, P+B+R+I (N° Lexbase : A9501DUG) et n° 05-15.950, MACIF Provence-Méditerranée c/ M. Stéphane Devos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9499DUD) ; et nos obs., Un taux d'alcoolémie excessif n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation, Lexbase Hebdo n° 259 du 10 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0432BBM).
(2) Pour une illustration récente de cette tendance, voir encore Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.484, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B (N° Lexbase : A0822DXQ).
(3) Cass. civ. 2, 23 mars 1994, n° 92-14.296, Consorts Fourdrin c/ M. Cailleux et autres, publié (N° Lexbase : A6597AXM), JCP éd. G, 1994, II, 22292, note P. Jourdain, D. 1994, p. 299, note H. Groutel.
(4) Cass. civ. 2, 18 mars 1998, n° 96-13.726, Fonds de garantie automobile (FGA) c/ Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF) et autres (N° Lexbase : A2686ACH), Bull. civ. II, n° 88.
(5) CA Paris, 14 février 1986, Gaz. Pal. 1986, 1, 304, note Chabas.
(6) Cass. civ. 2, 8 janvier 1992, n° 90-19.728, Compagnie d'assurance moderne des agriculteurs et autres c/ Consorts Ambos (N° Lexbase : A5560AHE), Bull. civ. II, n° 3.
(7) TGI Montpellier, 22 novembre 1994, JCP éd. G, 1997, II, 22775, note Bories.
(8) CA Bordeaux, 30 juin 1998, Gaz. Pal. 1999, 783, note Pastor.
(9) Cass. civ. 2, 4 décembre 1985, n° 84-13.226, Société d'assurances Helvetia accidents, époux Lefebvre c/ Epoux Erbel (N° Lexbase : A5953AAQ), Bull. civ. II, n° 186.
(10) Cass. civ. 2, 12 février 1986, n° 84-10.116, Consorts Ouazzani c/ Fonds de Garantie Automobile (N° Lexbase : A2904AAS), Bull. civ. II, n° 13.
(11) Cass. civ. 2, 20 juillet 1987, n° 86-13666, Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics (GMF) et autre c/ Société Taxibel et autres (N° Lexbase : A3034CI9), Bull. civ. II, n° 164.
(12) Cass. civ. 2, 14 janvier 1987, n° 85-14.655, Consorts Brival c/ M. Tixier-Vignancourt et autre (N° Lexbase : A6529AA3), JCP éd. G, 1987, II, 20768, note Chabas.
(13) Cass. civ. 2, 4 octobre 1989, n° 88-15.800, M. Khannous c/ M. Denny et autres (N° Lexbase : A3781AHI), JCP éd. G, 1991, II, 21600, note Dagorne-Labbé ; Cass. civ. 2, 11 janvier 1995, n° 93-15.766, Consorts Bryl c/ M. Merten et autres (N° Lexbase : A7826ABH), Bull. civ. II, n° 1.

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Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] L'équité et la liquidation du régime matrimonial de participation aux acquêts

Réf. : Cass. civ. 1, 26 septembre 2007, n° 06-10.930, M. Jean-Luc Sallard, F-P+B (N° Lexbase : A5789DY3)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

Le 02 Juin 2012

Selon l'article 1579 du Code civil (N° Lexbase : L1665ABB), si l'application des règles d'évaluation des biens prévues à l'article 1574 (N° Lexbase : L1660AB4) du même code doit conduire à un résultat manifestement contraire à l'équité, le tribunal peut y déroger à la demande de l'un des époux. Tel est le principe applicable à la liquidation du régime matrimonial de participation aux acquêts que réaffirme l'arrêt du 26 septembre 2007 de la première chambre civile de la Cour de cassation. Sous le visa de l'article 1579, celle-ci censure la décision des juges du fond d'avoir dérogé à la convention matrimoniale d'époux mariés en 1979 selon laquelle les biens existant au jour de la dissolution du régime seraient évalués d'après leur valeur au jour de la liquidation. L'aspect communautaire du régime de la participation aux acquêts apparaît principalement au moment de sa dissolution. Séparatiste au cours de son fonctionnement, il se transforme, en effet, en régime communautaire pour être liquidé (1). Plus précisément, à la dissolution du régime, apparaît la communauté d'intérêts entre les époux, avec une liquidation qui s'apparente à celle d'un régime de communauté réduite aux acquêts, même si elle débouche à un partage en valeur. L'objet du partage est effectivement, non pas des acquêts en nature, mais leur valeur. C'est donc une créance qu'il convient de liquider. Pour en connaître le montant, il convient d'évaluer le patrimoine originaire des époux et leur patrimoine final.

Le patrimoine originaire comprend, ainsi, tous les biens appartenant à l'époux lors du mariage, ceux acquis par succession ou libéralité, ainsi que ceux qui, dans le régime de la communauté légale, forment des propres par nature, sans donner lieu à récompense (C. civ., art. 1570 N° Lexbase : L1656ABX). En vertu de l'article 1571 du Code civil (N° Lexbase : L1657ABY), ces biens originaires sont estimés d'après leur état au jour du mariage ou de l'acquisition et d'après leur valeur au jour où le régime matrimonial est liquidé.

Le patrimoine final comprend, quant à lui, tous les biens qui appartiennent à l'époux au jour de la dissolution du régime, y compris, le cas échéant, ceux dont il aurait disposé à cause de mort et sans en exclure les sommes dont il peut être créancier envers son conjoint (C. civ., art. 1572 N° Lexbase : L1658ABZ). Antérieurement à la loi du 23 décembre 1985 (loi n° 85-1372, relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs N° Lexbase : L9080HS4), ces biens étaient évalués d'après leur état et leur valeur au jour où le régime matrimonial était dissous. Aujourd'hui, l'évaluation des biens existants se fait d'après leur état  au moment de la dissolution du régime et d'après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci (C. civ., art. 1574).

Cette phase d'évaluation des biens originaires et existants, relativement complexe, connaît parfois l'intervention du juge auquel le législateur donne un pouvoir exceptionnel. Aux termes de l'article 1579 du Code civil, "si l'application des règles d'évaluation prévues par les articles 1571 et 1574 [...] devait conduire à un résultat manifestement contraire à l'équité, le tribunal pourrait y déroger à la demande de l'un des époux". Cette faculté nécessite donc une solution manifestement inéquitable démontrée par l'un des époux résultant de l'application des règles légales d'évaluation. Toutefois, pour que ce correctif judiciaire puisse jouer, encore convient-il de s'assurer qu'un tel dispositif est applicable.

En l'espèce, des époux mariés le 29 septembre 1979, sous le régime de la participation aux acquêts, avaient inséré dans leur contrat de mariage la stipulation suivante : "Patrimoine final : [...] - Estimation : Les biens qui existeront en nature au jour de la dissolution du régime seront estimés d'après leur valeur au jour de la liquidation (et non au jour de la dissolution comme le prévoit le Code civil) mais en tenant compte de leur état au jour de la liquidation". Les époux ayant divorcé le 19 décembre 1998, leur régime matrimonial dût être liquidé.

Pour ce faire, les juges du fond dérogèrent à la convention matrimoniale selon le raisonnement suivant : l'article 1579 permet de déroger aux règles légales d'évaluation lorsque l'application de ces dernières conduit à un résultat contraire à l'équité. Or, la stipulation, en prévoyant l'estimation des biens d'après leur valeur au jour de la liquidation, reprend le même procédé d'évaluation que celui retenu par l'actuel article 1574 du Code civil.

L'application de la convention aboutissant à un résultat similaire à celui auquel conduit l'application de l'article 1574, il est possible d'y déroger en application de l'article 1579.

Sous le visa de ce dernier article, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 26 septembre 2007, rejette ce raisonnement. Pour que le correctif judiciaire de l'article 1579 puisse jouer, l'article 1574, dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 1985, doit être applicable. Or, selon la Cour, il aurait fallu, ainsi que le prévoit l'article 62 de la loi du 23 décembre 1985, que la convention matrimoniale renvoie à l'ancienne rédaction de l'article 1574 ou en soit la reproduction. Tel n'était pas le cas en l'espèce puisque les époux avaient, au contraire, convenu d'une règle d'évaluation distincte de celle alors retenue par le Code civil.

L'article 1574, dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 1985, n'était, en conséquence, pas applicable en l'espèce. De ce fait, l'article 1579 ne pouvait pas l'être non plus.

En dehors de cette illustration jurisprudentielle des règles d'évaluation des créances de participation, l'article 1579 du Code civil est, de manière générale, fortement critiqué. Pour certains, il s'agit d'une "méthode détestable, car elle ruine la sécurité que doit apporter la règle de droit, et place le juge dans le plus grand embarras" (2). Le maintien de l'article 1579 se justifie d'autant moins que la loi du 23 décembre 1985 a, nous l'avons vu, modifié les règles d'évaluation prévues, notamment, à l'article 1574 (3).


(1) S. Piedelièvre, J.-Cl. Code civil, art. 1569 à 1581, fasc. Participation aux acquêts, n° 23.
(2) H., L., et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Régimes matrimoniaux, t. IV., 1er vol., 5ème éd., 1982, par M. de Juglart, n° 574.
(3) S. Piedelièvre, J.-Cl. Code civil, art. 1569 à 1581, préc., n° 23.

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut des assurances de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver le nouveau panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, consacré au régime des produits de santé défectueux, à la contamination post-transfusionnelle du virus de l'hépatite C et à la responsabilité du médecin salarié. I - Responsabilités et produits de santé
  • Situation de la victime

La victime d'un dommage qu'elle croit imputable à l'administration d'un médicament, ou d'un autre produit de santé, dispose de deux recours possibles, l'un sur le fondement de la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (loi n° 98-389 N° Lexbase : L2448AXX), l'autre contre les médecins et établissements dans le cadre du droit de la responsabilité médicale. La question est, ici, extrêmement complexe, compte tenu de l'enchevêtrement des régimes applicables, de telle sorte qu'il convient impérativement d'opérer certaines distinctions.

L'article 101 (N° Lexbase : L5020A8G modifié par la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002, relative à la responsabilité civile médicale N° Lexbase : L9375A8Q) de la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA) n'applique, en effet, le nouveau régime d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux qu'aux actes réalisés à compter du 5 septembre 2001 ; avant cette date, il convient donc de faire application des solutions dégagées par la jurisprudence en matière civile et administrative.

  • Actes médicaux réalisés avant le 5 septembre 2001

La victime dispose classiquement d'une action contre le médecin ou l'établissement en invoquant le manquement à une obligation de sécurité de résultat qui concerne le matériel médical (1) et les médicaments (2). Cette responsabilité sans faute du fait des produits de santé, notamment des médicaments, entre, toutefois, en conflit avec la Directive du 25 juillet 1985, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (Directive 85/374 N° Lexbase : L9620AUT), dont les Etats doivent impérativement assurer l'application effective en transposant sur le plan législatif le régime issu de la Directive et/ou en interprétant leur droit national à la lumière du texte, qu'il soit d'ailleurs ou non transposé (3).

Pour déterminer l'étendue de la responsabilité des médecins et des établissements lorsqu'est en cause un "produit", au sens de la Directive, il convient donc de faire application des dispositions de la Directive dès lors que celle-ci est effectivement applicable ratione temporis.

  • Régime juridique applicable aux produits mis en circulation avant l'application de la Directive du 25 juillet 1985

L'obligation faite au juge national d'interpréter son droit national à la lumière de la Directive ne vaut que pour autant que la Directive s'impose aux Etats membres. Or, on sait que la Directive du 25 juillet 1985 ne concerne que les produits mis en circulation à l'issue du délai de trois ans laissé aux Etats pour la transposer. Pour les produits mis en circulation avant le 30 juillet 1988, le juge français est donc libre d'interpréter son droit national comme il l'entend (4).

  • Régime juridique applicable aux produits mis en circulation à compter du 31 juillet 1988

Dans cette hypothèse, le juge national doit interpréter son droit national à la lumière de la Directive, même non transposée, et en tenant compte de son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes.

On sait que cette obligation a conduit la Cour de cassation, notamment, à modifier les conditions d'application de l'obligation de sécurité qui pèse sur les producteurs, mais également sur les médecins, en subordonnant leur mise en cause à la preuve d'un défaut affectant le produit, au sens où l'entend le texte communautaire (5).

On sait, par ailleurs, que l'option que la Directive laisse aux victimes entre le régime spécial et les règles issues du droit commun est extrêmement étroite et se trouve limitée aux régimes n'ayant pas le même fondement que la Directive (6), ce qui exclut très certainement l'obligation de sécurité. Dès lors que la Directive est applicable, les responsables désignés, à savoir les producteurs et fournisseurs de produit à titre professionnel, doivent voir leur responsabilité engagée selon les principes prévus par la Directive du 25 juillet 1985, et seulement par ceux-ci.

Cette obligation de rendre effective l'application de la Directive suppose, toutefois, que celle-ci impose clairement aux Etats certaines obligations, ce qui n'est pas le cas lorsque le texte introduit une option au stade de la transposition (7). Or, tel est le cas de la Directive communautaire du 25 juillet 1985 concernant le caractère exonératoire du risque de développement. Son article 7, e) permet certes au producteur de s'exonérer en prouvant "que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n'a pas permis de déceler l'existence du défaut", mais l'article 15, b) dispose que "par dérogation à l'article 7 point e), [les Etats peuvent] maintenir ou, sous réserve de la procédure définie au paragraphe 2 du présent article, prévoir dans sa législation que le producteur est responsable même s'il prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui ne permettait pas de déceler l'existence du défaut". C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation avait clairement indiqué, dès 1996, que "le moyen, qui se réfère à des dispositions de la directive qui renvoient au droit interne, ne peut être accueilli" (8).

  • Application en l'espèce

C'est pour avoir méconnu ces principes que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 23 septembre 2004 (9), dans une affaire mettant en cause le Pentasa, se trouve ici cassé, comme on pouvait s'y attendre : Cass. civ. 1, 15 mai 2007, n° 05-10.234, M. Christophe Mauduit, FS-P+B (N° Lexbase : A2438DW9).

Restait à déterminer si, bien que n'étant pas liée sur ce point par les termes de la Directive, la première chambre civile de la Cour de cassation allait être tentée de modifier sa jurisprudence constante. On sait, en effet, que celle-ci refuse de considérer le vice interne d'un produit de santé, même indécelable lors de la mise en circulation, comme une cause exonératoire pour le fabricant (10). Certaines évolutions récentes du droit de la responsabilité civile pouvaient, toutefois, laisser supposer qu'une évolution de cette jurisprudence était envisageable, qu'il s'agisse bien entendu de l'adoption de la loi du 19 mai 1998 qui, transposant la Directive du 25 juillet 1985, a retenu cette cause d'exonération (C. civ., art. 1386-11, 4° N° Lexbase : L1504ABC) sauf "lorsque le dommage a été causé par un élément du corps ou par les produits issus de celui-ci" (C. civ., art. 1386-12 N° Lexbase : L9248GU3), ou de la redéfinition récente des critères de la force majeure désormais définie en matière contractuelle comme l'événement présentant un "caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution", sans que le critère de l'extériorité de l'événement n'apparaisse plus (11).

Au grand soulagement des victimes, il n'en a rien été et la Cour de cassation maintient donc le cap dans son arrêt du 15 mai 2007 : dès lors que le dommage, en l'occurrence une néphrite interstitielle immuno-allergique, est "en relation directe et certaine avec l'administration du" produit, son fabricant manque "à son obligation de fournir un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens c'est-à-dire un produit qui [offre] la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, sans faculté d'exonération pour risque de développement", et doit, par conséquent, être condamné (12). La Cour a donc choisi ici de ne pas suivre l'orientation prise par le Parlement en 1998, ni de traiter la question du risque de développement comme un cas de force majeure ordinaire.

  • Influence du droit communautaire sur la responsabilité médicale

L'obligation de garantir l'application effective de la Directive du 25 juillet 1985 va, toutefois, avoir sur les droits des patients des conséquences importantes. Au regard de la Directive, les médecins sont, en effet, considérés comme de simples "fournisseurs" de produits (article 3). Or ces fournisseurs ne sont que des responsables subsidiaires qui ne peuvent être mis en cause que si le producteur est inconnu. En d'autres termes, les médecins et les établissements ne sont pas responsables du fait d'un défaut d'un produit de santé dès lors que le producteur de ce produit est identifié.

C'est ce qui vient d'être jugé par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt publié en date du 15 mai 2007, dans une affaire qui concernait non pas un médecin, mais un revendeur non-fabricant, de téléviseurs : Cass. civ. 1, 15 mai 2007, n° 05-17.947, Société Assurances générales de France (AGF), FS-P+B (N° Lexbase : A2450DWN).

Dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que le juge national, dès lors que le produit a bien été mis en circulation après le délai de transposition de trois ans, doit bien interpréter son droit national à la lumière des dispositions de la Directive ; or celle-ci ne permet de retenir la responsabilité du simple fournisseur dès lors que le producteur est identifié.

Cette solution est, malheureusement, directement transposable à la situation des médecins et des établissements, qui sont bien de simples "fournisseurs" de produits de santé ; dès lors que le producteur est identifié, alors ils ne peuvent être inquiétés et l'obligation de sécurité de résultat, accessoire au contrat de soins, doit céder le pas devant l'application de la Directive du 25 juillet 1985.

  • Solution pour les actes médicaux réalisés postérieurement au 5 septembre 2001

Dans cette hypothèse, la victime qui agit contre le médecin et l'établissement doit se fonder sur les dispositions de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8853GT3) et ne peut plus invoquer le droit commun par application du principe specialia generalibus derogant (13).

Le I de ce texte, qui rappelle l'exigence d'une faute pour engager la responsabilité des médecins et des établissements, réserve, toutefois, le "cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé".

Une hésitation est permise quant à l'interprétation de cette formule : la loi du 4 mars 2002 a-t-elle, en effet, réservé l'application de la loi du 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, le régime prétorien dégagé par la jurisprudence par référence à l'obligation de sécurité, ou consacre-t-elle un cas autonome de responsabilité médicale du fait des produits ?

Selon une doctrine majoritaire, ce renvoi, inséré lors des débats parlementaires, vise à réserver l'application de la loi du 19 mai 1998 aux médecins et établissements (14). Les droits du malade, victime d'un produit de santé, à l'égard du médecin assimilé par la jurisprudence communautaire à un fournisseur de produits, doit donc se régler dans le cadre de l'application de l'article 3 de la Directive et/ou des articles 1386-1 (N° Lexbase : L1494ABX) et suivants du Code civil. En d'autres termes, et comme la responsabilité du simple fournisseur n'est pas engagée en présence d'un produit défectueux si le producteur est identifié, les médecins et établissements ne sont plus responsables de plein droit, de ce fait, et ne peuvent voir leur responsabilité engagée, que s'ils ont commis une faute. En l'absence de faute, la victime n'aura donc d'autre choix que de se retourner contre le producteur, ce qui confirme une nouvelle fois que la loi du 4 mars 2002 a été voulue autant pour consacrer les droits des malades que pour mettre un frein aux évolutions de la jurisprudence, très favorable aux intérêts des victimes.

II - Contaminations transfusionnelles par le VHC

  • Dispositif légal

La loi du 4 mars 2002 a repris à son compte les évolutions de la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, qui avait reconnu, au bénéfice des victimes de contaminations transfusionnelles par le virus de l'hépatite C, le bénéfice d'une présomption de contamination (15).

L'article 102 (N° Lexbase : L5021A8H) a, toutefois, renforcé la protection des victimes en facilitant le jeu de la présomption et en imposant le principe selon lequel "le doute profite au demandeur", ce qui est capital compte tenu de l'ancienneté de certaines contaminations et des difficultés à reconstituer l'origine exacte des produits sanguins transfusés.

  • Mise en oeuvre du caractère profitable du doute pour la victime

La Cour de cassation se montre extrêmement vigilante et condamne systématiquement l'Etablissement français du sang, qui a repris les obligations incombant aux Centres de transfusion sanguine, dès lors que celui-ci ne parvient pas à démontrer l'innocuité de "tous les lots de sang transfusés" (16). C'est ce que confirme un nouvel arrêt inédit rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 31 mai 2007 : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-19.019, Mme Michèle Mion, épouse Poubeau, F-D (N° Lexbase : A5176DWM).

Dans cette affaire, la victime avait subi une césarienne en 1988 et appris, en 1996, qu'elle était contaminée par le virus de l'hépatite C. La cour d'appel, saisie de ses demandes d'indemnisation dirigées contre l'EFS, l'avait déboutée après avoir retenu qu'une première enquête transfusionnelle avait été réalisée en mai 1999 et avait établi que la demanderesse "avait reçu, le 28 septembre 1988, deux concentrés globulaires n° 922 23 13 et 686 09 13 et que le premier concentré correspondait à un donneur contrôlé séronégatif en 1992 ; qu'une seconde enquête transfusionnelle réalisée en janvier 2000 a établi que le deuxième concentré correspondait également à un donneur contrôlé séronégatif mais que s'il n'avait été commandé que ces deux poches, en revanche sept autres poches auraient été distribuées par le GIP de transfusion sanguine des Alpes-Maritimes sous les numéros 421 04 77, 021 90 97, 021 57 58 (dont les donneurs ont été contrôlés séronégatifs), 121 56 33 (probable erreur de retranscription du numéro), 32 104 50, 920 49 27 et 121 51 34 (dont les donneurs n'ont pas pu être contrôlés) ; que l'expert n'a conclu à la probabilité de relation de cause à effet entre les transfusions sanguines dont a fait l'objet (la demanderesse) et l'hépatite virale C chronique dont elle est atteinte qu''en supposant que tous les culots globulaires commandés aient été transfusés' puisque, dans cette hypothèse, trois culots globulaires (321 04 50, 920 49 27 et 121 51 34) ont un statut sérologique incertain faute d'avoir pu en contrôler les donneurs ; que si, d'après l'enquête transfusionnelle complémentaire, neuf poches ont été livrées, il apparaît qu'il n'existe qu'un seul bon de commande pour les deux poches numérotées 922 23 13 et 686 09 13, qu'en outre si la clinique n'a pas pu produire la fiche transfusionnelle, le médecin anesthésiste [...] atteste le 7 juillet 1998, sans être contredite par aucun autre élément du dossier, 'que lors de son intervention du 28 septembre 1988 [la demanderesse] a reçu deux culots globulaires n° 686 09 13, n° 922 23 13' ; qu'en conséquence, il résulte de l'ensemble de ces éléments que seules les poches numéros 686 09 13 et 922 23 13 ont été transfusées à [la demanderesse], le 28 septembre 1988, et que les donneurs correspondants ont été contrôlés séronégatifs ; que dès lors que l'EFS rapporte la preuve de l'innocuité des produits sanguins transfusés".

Or cet arrêt, pourtant fortement motivé, est cassé, la Haute juridiction considérant "qu'en statuant ainsi, alors que le demandeur avait apporté des éléments permettant de présumer l'origine transfusionnelle de cette contamination, et qu'en l'absence de fiche transfusionnelle identifiant avec certitude les produits transfusés [...], et compte tenu du doute concernant l'innocuité de trois des poches de sang susceptibles d'avoir été utilisées, ce dont il ne pouvait être déduit que l'EFS prouvait que cette transfusion ou cette injection n'était pas à l'origine de la contamination, la cour d'appel a méconnu les règles de preuve instaurées par l'article 102".

Un autre arrêt rendu le 14 juin 2007 aboutit, pour des motifs identiques, à la cassation d'un arrêt d'appel qui avait débouté une victime : Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-12.948, Robert Fourcade, F-P+B (N° Lexbase : A7908DWS).

Dans cette affaire, les juges du fond avaient, pour débouter la victime, relevé que "l'enquête transfusionnelle réalisée à partir de la liste des produits sanguins transfusés fournie par la clinique, avait montré que [le patient] avait été transfusé le 16 septembre 1988 avec du sang d'un donneur positif en anticorps VHC et virémique hépatite C par PCR ; qu'une comparaison phylogénétique des deux souches donneur et receveur a mis en évidence une grande similitude entre les deux ; qu'il convient toutefois d'observer que l'expert précise qu'il n'est pas possible d'affirmer avec certitude que les deux souches sont identiques, en raison de l'éloignement des prélèvements chez les deux personnes et de la grande variabilité génétique du virus ; qu'il ressort des investigations expertales que [le patient] a subi des séances d'acupuncture en 1983, et des soins dentaires en 1986 pour la pose de prothèse, soins qui peuvent être contaminants ; qu'il a subi en 1994 une intervention sur la thyroïde qui n'a pas donné lieu à des recherches particulières, mais dont il n'est pas formellement exclu qu'elle ait pu être à l'origine de la contamination ; que la gastroscopie du 28 juin 1996 a été exclue par l'expert, dans la mesure où n'était pas rapportée la preuve du défaut de stérilité dans les procédures de désinfection utilisées, et en raison de l'absence de virémie potentiellement contaminante chez les personnes ayant précédé [le patient] lors de cet acte ; que l'expert attribue à l'origine transfusionnelle un pourcentage de probabilité de deux tiers environ, à la gastroscopie de 1996 une très faible probabilité, et à d'autres causes indéterminées environ un tiers de probabilité".

Cet arrêt est également cassé, la Haute juridiction considérant qu'"en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que l'origine transfusionnelle de la contamination pouvait être présumée, et que l'intéressé pouvait se prévaloir d'un doute au sens de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, la cour d'appel a violé ce texte".

III - Responsabilité des médecins salariés

  • Application de la jurisprudence "Costedoat" aux médecins

Depuis l'arrêt "Costedoat" rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en 2000, on sait que "n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant" (17). Alors que, dans un premier temps, le Tribunal de conflits (18), puis la Cour de cassation avaient refusé de faire application de cette solution aux médecins (19), prétexte pris de l'indépendance dont ils bénéficient dans l'exercice de leur art (20), la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé de leur reconnaître également le bénéfice de l'irresponsabilité de principe dans les rapports avec les victimes en 2004 (21).

  • Bénéfice d'une immunité strictement personnelle ne concernant pas l'assureur de responsabilité

Restait à déterminer la nature de cette protection : les médecins sont-ils irresponsables ou bénéficient-ils seulement d'une immunité procédurale interdisant aux tiers d'agir directement contre eux ? Un arrêt rendu le 12 juillet 2007 vient de trancher en faveur de la thèse de la seule immunité procédurale qui ne bénéficie pas à l'assureur de responsabilité du médecin : Cass. civ. 1, 12 juillet 2007, n° 06-12.624, M. Marc Gourrion, F-P+B (N° Lexbase : A2981DXP).

Dans cette affaire, un patient avait été victime d'un accident d'irradiation qui l'avait rendu aveugle. La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait infirmé le jugement ayant condamné le médecin salarié, mais avait, en revanche, condamné la Croix Rouge Française qui l'employait et admis le recours intégral contre l'assureur de ce médecin salarié. L'assureur avait, alors, formé un pourvoi contre cet arrêt et prétendait que le médecin salarié devant être considéré comme irresponsable dès lors qu'il agissait dans le cadre de ses fonctions, aucune dette de responsabilité ne devait être garantie par son assureur de responsabilité.

L'argument n'a pas convaincu la première chambre civile de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. Après avoir confirmé le principe acquis depuis l'arrêt "Costedoat" selon lequel "le médecin salarié, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé, n'engage pas sa responsabilité à l'égard du patient", la Cour affirme "que l'immunité édictée par l'article L. 121-12, alinéa 3, du Code des assurances (N° Lexbase : L0088AAI) ne bénéficie qu'aux personnes visées au texte et ne fait pas obstacle à l'exercice, par l'assureur qui a indemnisé la victime, de son recours subrogatoire contre l'assureur de responsabilité de l'une de ces personnes ; que cette immunité n'emportant pas l'irresponsabilité de son bénéficiaire, la cour d'appel saisie du recours subrogatoire de l'assureur du commettant, déclaré responsable du fait de son préposé, a exactement énoncé que l'immunité bénéficiant à M. Y..., ne faisait pas obstacle à l'exercice, par la société Generali assurances IARD, de son recours subrogatoire à l'encontre de la société Le Sou médical, tenue, en sa qualité d'assureur de responsabilité de M. Y..., à prendre en charge les conséquences dommageables des fautes commises par son assuré".

En d'autres termes, le principe dégagé par l'arrêt "Costedoat" confère seulement au médecin une immunité procédurale contre les actions engagées par les victimes, mais n'efface pas totalement la responsabilité des préposés qui doit être garantie par leur assureur.

Cette solution se rattache à l'évidence à la jurisprudence conférant aux proches de la victime, lorsqu'ils sont responsables des dommages qui lui ont été causés, une immunité qui s'oppose au recours de l'assureur de la victime, mais qui ne fait pas obstacle au recours contre leur propre assureur de responsabilité (22).

Elle est, en revanche, assez discutable sur le plan des principes. De nombreux arguments militent, en effet, en faveur de la thèse d'une véritable irresponsabilité du préposé qui agit dans le cadre de ses fonctions, qu'il s'agisse de considérer la contrainte qu'exerce sur lui l'existence du contrat de travail ou le transfert des risques de son activité réalisé lors de la conclusion du contrat de travail. Or, on ne voit pas ce qui justifierait cette immunité d'action, qui semble directement contraire à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ).

  • Caducité de cette jurisprudence dans le cadre de la loi du 4 mars 2002

Quoi qu'il en soit, cette solution ne devrait pas faire long feu, compte tenu de l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002. L'article L. 1142-2, alinéa 4, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4437DLW), dispose, en effet, que "l'assurance des établissements, services et organismes mentionnés au premier alinéa couvre leurs salariés agissant dans la limite de la mission qui leur a été impartie, même si ceux-ci disposent d'une indépendance dans l'exercice de l'art médical". Cette disposition interdit donc tout recours de l'assureur puisque les salariés sont désignés comme les bénéficiaires directs de l'assurance souscrite par leur employeur (23).


(1) Cass. civ. 1, 9 novembre 1999, n° 98-10.010, Mme Morisot c/ M. X et autres (N° Lexbase : A8162AGE), D. 2000, p. 117, note P. Jourdain ; JCP éd. G, 2000, II, 10251, note P. Brun ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. 61.
(2) Cass. civ. 1, 17 novembre 2000, n° 99-12.255, Assurances générales de France (AGF) et autre c/ Mme Y et autres (N° Lexbase : A7794AH7), D. 2001, somm. p. 2236, obs. D. Mazeaud.
(3) CJCE, 10 avril 1984, aff. C-14/83, Sabine von Colson et Elisabeth Kamann c/ Land Nordrhein-Westfalen (N° Lexbase : A8698AUP), Rec. p. 1891.
(4) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 03-20.178, Institut Pasteur, fondation privée reconnue d'utilité publique c/ Mme Raymonde X..., épouse divorcée Y..., FS-P+B (N° Lexbase : A6044DMS), Resp. civ. et assur. 2006, comm. 89, et les obs..
(5) Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 96-12.078, Société Les Laboratoires Léo c/ Monsieur Scovazzo et autre (N° Lexbase : A2206ACP), JCP éd. G, 1998, II, 10049, rapp. P. Sargos ; D. 1999, p. 36, note P. Brun et G. Pignarre.
(6) CJCE, 25 avril 2002, aff. C-52/00, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A8094AYG), D. 2002, p. 2462, note C. Larroumet, chron. p. 2458, J. Calais-Aulois ; RTD civ. 2002, p. 523, obs. P. Jourdain ; JCP éd. G, 2002, I, 177, G. Viney ; RDC 2003, p. 107, obs. P. Brun.
(7) CJCE, 10 avril 1984, aff. C-14/83, précité.
(8) Cass. civ. 1, 9 juillet 1996, n° 93-19.159, M. Louis Nadal et autres c/ Compagnie d'assurance Groupe des assurances nationales, GAN incendie accidents et autres (N° Lexbase : A8857AHI), Bull. civ. I, n° 304 : D. 1996, p. 610, note Y. Lambert-Faivre.
(9) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 23 septembre 2004, n° 02/16713, Société Ferring (N° Lexbase : A7025DDK), Resp civ. et assur. 2005, comm. 293, et les obs..
(10) Cass. civ. 1, 12 avril 1995, n° 92-20.747, Consorts X c/ Centre régional de transfusion sanguine de l'hôpital Purpan (N° Lexbase : A4877ACM), JCP éd. G 1995, II, 22467, note P. Jourdain. Cass. civ. 1, 9 juillet 1996, préc..
(11) Cass. ass. plén., 14 avril 2006, n° 04-18.902, M. Stéphane Brugiroux c/ Régie autonome des transports parisiens (RATP), P (N° Lexbase : A2092DP8), Resp. civ. et assur. 2006, chron. 8, L. Bloch ; D. 2006, p. 1577, note P. Jourdain, p. 1566, chron. D. Noguéro ; JCP éd. G, 2006, II, 10087, note P. Grosser.
(12) Resp. civ. et assur. 2007, comm. 219, et les obs..
(13) En ce sens, F. Dreifuss-Netter, Feue la responsabilité civile contractuelle du médecin ?, Resp. civ. et assur. 2002, chron. 17.
(14) En ce sens P. Jourdain, Le nouveau droit des malades, Carré droit, 2002, n° 112.
(15) CE, 15 janvier 2001, n° 208958, AP-HP (N° Lexbase : A8879AQW), D. 2001, Jur. p. 2924, note D. Dendoncker ; Resp. civ. et assur. 2002, comm. 1, obs. C. Guettier. Cass. civ. 1, 9 mai 2001, n° 99-18.161, Centre régional de transfusion sanguine de Champagne-Ardennes c/ M. Foucher (N° Lexbase : A3943AT9), D. 2001, jur. p. 2149, rapp. P. Sargos.
(16) Dernièrement Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 06-16.000, Mme Brigitte Senft, FS- D (N° Lexbase : A6969DTB), et nos obs. Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0717BB8).
(17) Cass. ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres (N° Lexbase : A8154AG4), JCP éd. G, 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau ; JCP éd. G, 2000, I, 241, n° 16, obs. G. Viney ; D. 2000, p. 673, note P. Brun ; Resp. civ. et assur. 2000, chron. 11, H. Groutel, chron. 22, Ch. Radé ; RTD civ. 2000, p. 582, n° 5, obs. P. Jourdain.
(18) TC, 14 février 2000, n° 2929 (N° Lexbase : A9661AGW).
(19) Cass. civ. 1, 13 mars 2001, n° 99-16.093, Clinique de la Roseraie c/ M. Mourad El Goulli (N° Lexbase : A3948ARN) : "Mais attendu que s'il est exact qu'en vertu de l'indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l'exercice de son art, un médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins, alors même que ces personnes seraient les préposées de l'établissement de santé où il exerce". Cass. civ. 1, 9 avril 2002, n° 00-21014, M. X c/ Mme Y et autres (N° Lexbase : A7558CGZ), Resp. civ. et assur. 2002, comm. 234, chron. 13, Ch. Radé. Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 00-22.432, Association hospitalière Nord Artois cliniques c/ Mme Clotilde Ruffin, FS-P+B (N° Lexbase : A7145A3Z), Resp. civ. et assur. 2003, comm. 50, par H. Groutel.
(20) P. Sargos, concl. sous Cass. civ. 1, 26 mai 1999, n° 97-15.608, Société Clinique Victor-Pauchet-de-Butler c/ M. X et autres (N° Lexbase : A7412AHY), JCP éd. G, 1999, II, 10112, n° 14.
(21) Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, 2 arrêts, n° 01-17.908, Société Le Sou médical c/ Caisse régionale d'assurance maladie des professions libérales d'Ile-de-France, FS-P+B (N° Lexbase : A8403DDL) et n° 01-17.168, Mme Patricia Sambugaro c/ M. Bernard De Mattia, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A8400DDH), Resp. civ. et assur. 2004, comm. 364, Repère 12, H. Groutel ; Resp. civ. et assur. 2005, chron. 6, M. Asselain ; D. 2005, p. 253, note F. Chabas ; JCP éd. G, 2005, II, 10020, rapp. D. Duval-Arnould, note S. Porchy-Simon. Dernièrement, C. Riot, L'exercice "subordonné" de l'art médical, D. 2006, chron. p. 111.
(22) Cass. civ. 1, 8 décembre 1993, n° 90-18.148, Mutuelle générale d'assurances c/ Société Italia Assicurazioni (N° Lexbase : A5168ABZ), D. 1994, p. 235, note B. Beignier.
(23) B. Beignier, Droit du contrat d'assurance, Puf, 1999, n° 212.

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Civil

[Textes] Présentation de la nouvelle proposition de loi de simplification du droit

Réf. : Proposition de loi relative à la simplification du droit, version du 25 octobre 2007

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N0226BDQ

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle "Presse"

Le 07 Octobre 2010

Adoptée par le Parlement en première lecture, la proposition de loi relative à la simplification du droit a été transmise, le 25 octobre dernier, aux députés pour la seconde lecture du texte dont l'examen est prévu, en principe, d'ici la mi-décembre. Sous la précédente législature, le Parlement avait, déjà, adopté deux lois habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, promulguées le 2 juillet 2003 (loi n° 2003-591 N° Lexbase : L6771BHA) et le 9 décembre 2004 (loi n° 2004-1343 N° Lexbase : L4734GUU). La dernière de ces lois a, ainsi, autorisé l'adoption de 66 ordonnances : certaines de ces ordonnances ont simplifié des procédures administratives, d'autres ont abrogé des dispositions devenues obsolètes, d'autres, enfin, ont permis l'entrée en vigueur ou la refonte de sept codes. En juillet 2006, un troisième projet de loi avait été déposé au Sénat mais, faute de place dans le calendrier parlementaire, il est resté lettre-morte (voir N° Lexbase : N1066AL3). La présente proposition de loi comprend un chapitre préliminaire de nature transversale, trois chapitres intéressant respectivement les particuliers, les entreprises et les collectivités territoriales (seul le chapitre premier, concernant les particuliers, sera présenté ici) et des dispositions concernant le fonctionnement de la justice. Le chapitre préliminaire impose à l'administration l'obligation d'abroger des dispositions réglementaires illégales ou devenues sans objet. Inspiré par la jurisprudence du Conseil d'Etat "Alitalia" de 1989 (CE Contentieux, 3 février 1989, n° 74052, Compagnie Alitalia N° Lexbase : A0651AQ8), ce principe a pour objet de contraindre l'administration, soit d'office, soit à la demande d'un requérant, d'abroger des dispositions réglementaires illégales et devenues inutiles. Ainsi le texte, dans sa version issue des travaux sénatoriaux, propose d'ajouter à la loi n° 2000-321 du 12 avril 2002, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE), un article 16-1 aux termes duquel, "l'autorité administrative est tenue, d'office ou à la demande d'une personne intéressée, d'abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date".

Le chapitre Ier, concernant les particuliers, qui regroupe les articles 2 à 5, comprend, d'une part, une mesure destinée à accroître les droits des citoyens vis-à-vis de la justice et de l'administration, et, d'autre part, diverses mesures concrètes destinées à simplifier la vie quotidienne des citoyens.

Ainsi, l'article 2 de la proposition de loi vise à permettre à une personne d'être assistée ou représentée, devant diverses juridictions, par son concubin ou la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité. L'article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), a attribué aux avocats le monopole de l'assistance et de la représentation en justice sous réserve, d'une part, des compétences reconnues aux avoués près les cours d'appel et aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, et, d'autre part, des règles spécifiques en vigueur à la date de la publication de la loi. Ainsi, les parties se défendent en principe elles-mêmes devant le tribunal d'instance mais peuvent être assistées ou représentées par un avocat, par leur conjoint, par leurs parents ou alliés en ligne directe ou en ligne collatérale jusqu'au troisième degré inclus ou par une personne exclusivement attachée à leur service personnel ou à leur entreprise (NCPC, art. 827 N° Lexbase : L1995DK4). Ces dispositions ont, ensuite, été rendues applicables aux procédures devant le juge de l'exécution (article 10 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles de l'exécution N° Lexbase : L9124AGZ) et devant les juridictions de proximité (article 7 de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, d'orientation et de programmation pour la justice N° Lexbase : L6903A4G). Des règles similaires, elles aussi prévues avant la publication de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, existent pour le tribunal paritaire des baux ruraux (NCPC, art. 884 N° Lexbase : L3187ADE), le conseil de prud'hommes (C. trav., art. R. 516-5 N° Lexbase : L0651ADH), le tribunal du contentieux de l'incapacité, le tribunal des affaires de sécurité sociale et la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (CSS, art. L. 144-3 N° Lexbase : L8970HW7).

Néanmoins, tout ce corpus de règles ne prévoit pas la possibilité, pour une partie à un litige, d'être assistée ou représentée par son concubin ou la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité. Cette possibilité n'existe actuellement implicitement que devant le tribunal de commerce, devant lequel les parties ont la faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix (NCPC, art. 853 N° Lexbase : L1796ADU).

Selon le Rapport n° 36 (2007-2008) de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 octobre 2007, "cette situation a été dénoncée tant par le Médiateur de la République, dans son rapport annuel pour 2006, que par l'Association nationale des juges d'instance, au nom des évolutions de la société : près d'un couple sur six vit aujourd'hui en concubinage, contre moins de 3 % en 1970, et huit pactes civils de solidarité sont signés chaque année quand cent mariages sont célébrés. Au total, 280 775 pactes civil de solidarité ont été enregistrés (et un peu plus de 38 000 dissous) entre 1999 et 2006".

Dans sa rédaction initiale, l'article 2 de la proposition de loi tendait à modifier directement les articles 828 et 884 du Nouveau Code de procédure civile, afin de permettre aux parties d'être assistées ou représentées par leur concubin ou leur partenaire d'un pacte civil de solidarité devant les juridictions d'instance et de proximité -par extension, et sauf en matière de saisie immobilière, devant le juge de l'exécution- ainsi que devant le tribunal paritaire des baux ruraux. Dans sa version issue des travaux sénatoriaux, il est précisé que "par dérogation au premier alinéa de l'article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les parties peuvent se faire assister ou représenter devant le tribunal d'instance, la juridiction de proximité ou en matière prud'homale par leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité". De plus, plusieurs articles ont été rajoutés par les sénateurs visant à renforcer les droits des personnes qui se voient notifier une opposition administrative (article 2 bis) et à garantir l'égalité des droits des créanciers et des débiteurs d'aliments (ex-conjoints, ascendants, descendants) dans l'accès à l'information fiscale (article 2 ter).

L'article 3 de la proposition de loi de simplification du droit entend supprimer le contrôle par les caisses d'allocations familiales de la réalisation d'examens médicaux postnataux. Cet article modifie l'article L. 533-1 du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L0215DPN et voir les conditions relatives aux examens médicaux de la mère et de l'enfant N° Lexbase : E3083BDK), afin de supprimer les dispositions subordonnant le versement de l'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) à la passation par l'enfant des examens médicaux obligatoires donnant lieu à l'établissement d'un certificat de santé. Les examens médicaux concernés sont au nombre de trois ; ils doivent intervenir respectivement dans les huit jours de la naissance, au cours du neuvième mois et au cours du vingt-quatrième mois (C. santé publ., art. R. 2132-2 [LXB= L3290DK3]). Le médecin qui les a pratiqués doit établir le certificat de santé correspondant à l'âge de l'enfant et l'adresser, dans un délai de huit jours, au médecin responsable du service de la protection maternelle et infantile du département de résidence des parents ou de la personne chargée de la garde de l'enfant, dans le respect du secret médical et par envoi confidentiel (C. santé publ., art. R. 2132-3 [LXB= L6495HIE]). Jusqu'en 2006, le médecin devait également établir une attestation d'examen et la remettre au père, à la mère ou à la personne ayant la garde de l'enfant, à charge pour ceux-ci d'adresser ce document à leur organisme débiteur de prestations familiales. Ces obligations ont été supprimées par le décret n° 2006-463 du 20 avril 2006, relatif aux certificats de santé de l'enfant (N° Lexbase : L3910HIN).

L'article 4 envisage, quant à lui, de supprimer le certificat médical prénuptial. L'obligation faite aux futurs époux de se soumettre à un examen médical préalable a été instituée par les lois des 16 décembre 1942 et 29 juillet 1943, dont les principes ont été repris par l'ordonnance n° 45-2770 du 2 novembre 1945, sur la protection maternelle et infantile. En conséquence, sont donc supprimées les dispositions de l'article 63 du Code civil (N° Lexbase : L1216HWX) prévoyant que la publication des bans ou, en cas de dispense d'une telle publication, la célébration du mariage par l'officier de l'état civil, est subordonnée à l'accomplissement de plusieurs formalités, parmi lesquelles la remise, pour chacun des futurs époux, d'un certificat médical datant de moins de deux mois "attestant, à l'exclusion de toute autre indication, que l'intéressé a été examiné en vue du mariage". De même, sont abrogés les articles L. 2121-1 (N° Lexbase : L1390HWE) et L. 2121-2 (N° Lexbase : L3748DLE) du Code de la santé publique qui renvoient au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des examens devant être pratiqués par le médecin chargé de délivrer le certificat médical prénuptial, et qui disposent qu'à l'occasion de cet examen, un test de dépistage de l'infection par le virus de l'immuno-déficience humaine doit être proposé aux futurs conjoints, après information sur les risques de contamination, et prévoient la remise d'une brochure d'éducation sanitaire à chacun des futurs conjoints en même temps que le certificat médical.

L'article 5 de la proposition de loi supprime l'exigence d'un récépissé des services fiscaux pour la déclaration qu'un certain nombre d'organismes, notamment les sociétés d'assurances et les banques, sont tenus de faire à l'occasion de l'ouverture d'une succession et modifie, par là même, le Code général des impôts (CGI, art. 805 N° Lexbase : L8300HLY et 806 N° Lexbase : L2562HN9). Afin de permettre à l'administration fiscale de procéder aux recoupements nécessaires au contrôle de la sincérité des déclarations de succession, l'article 805 et le I de l'article 806 du Code général des impôts font obligation aux "sociétés, compagnies d'assurances et tous autres assureurs français et étrangers, qui auraient assuré contre le vol ou contre l'incendie, en vertu d'un contrat ou d'une convention en cours à l'époque du décès, des bijoux, pierreries, objets d'art ou de collection, situés en France et dépendant d'une succession qu'ils sauraient ouverte, ou appartenant au conjoint d'une personne qu'ils sauraient décédée d'en faire la déclaration à la direction des services fiscaux du département de leur résidence dans la quinzaine qui suit le jour où ils ont connaissance du décès" ; et aux "administrations publiques, établissements ou organismes quelconques soumis au contrôle de l'autorité administrative, sociétés ou compagnies, prestataires de services d'investissement, changeurs, banquiers, escompteurs, officiers publics ou ministériels ou agents d'affaires qui seraient dépositaires, détenteurs ou débiteurs de titres, sommes ou valeurs dépendant d'une succession qu'ils sauraient ouverte d'adresser, soit avant le paiement, la remise ou le transfert, soit dans la quinzaine qui suit ces opérations, à la direction des services fiscaux du département de leur résidence, la liste de ces titres, sommes ou valeurs".

Ces articles prévoient qu'un récépissé de ces déclarations doit être donné à leurs auteurs. Selon les rapporteurs de la proposition de loi, cette suppression permettrait, non seulement à l'administration fiscale de réaliser des économies, mais surtout d'accélérer le versement, par les organismes d'assurances et les banques, des sommes dues aux ayants droit des défunts.

Lors de l'examen du texte, les sénateurs ont adopté un amendement (article 5 bis) ayant pour objet de modifier l'article 28-1 du Code civil (N° Lexbase : L2678ABS), afin de prévoir l'apposition automatique, sur l'extrait avec filiation de l'acte de naissance d'une personne, ou d'un acte dressé pour en tenir lieu, d'une mention relative à sa nationalité. Les dispositions proposées reprennent celles que le Sénat avait déjà adoptées lors de l'examen de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs (N° Lexbase : L6046HUH) mais que le Conseil constitutionnel avait censurées en raison de leur absence de lien avec la réforme initialement prévue par le Gouvernement (décision n° 2007-552 DC, du 1er mars 2007 N° Lexbase : A4014DU9).

Le fonctionnement de la justice est également visé par la proposition de loi. En effet, son article 11 envisage le recours à la visioconférence devant les juridictions judiciaires. Le recours à la visioconférence n'a, jusqu'à présent, été autorisé que devant le juge pénal et a connu un développement progressif. Introduite à titre provisoire par l'article 32 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne (N° Lexbase : L7960AUD), cette possibilité a été pérennisée par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, d'orientation et de programmation pour la justice (N° Lexbase : L6903A4G) et a vu son champ d'application s'élargir en 2004 (loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : L1768DP8), 2005 (loi n° 2005-47 du 26 janvier 2005, relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance N° Lexbase : L5285G7U) et 2007 (lois n° 2007-291 du 5 mars 2007, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale N° Lexbase : L5930HU8 et n° 2007-297 du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance N° Lexbase : L6035HU3).

Il est donc proposé d'insérer un article L. 111-12 dans le Code de l'organisation judiciaire autorisant la tenue d'audiences devant les juridictions judiciaires dans plusieurs salles d'audience reliées directement par un moyen de télécommunication audiovisuelle garantissant la confidentialité de la transmission.

Les dispositions de ce nouvel article L. 111-12 du Code de l'organisation judiciaire, dont les modalités d'application devraient être fixées par décret en Conseil d'Etat, seraient applicables à l'ensemble des audiences, civiles ou pénales, sous réserve, toutefois, des règles particulières de la procédure pénale.

Les sénateurs ont adopté un amendement (article 12 bis) ayant pour objet de substituer le Nouveau Code de procédure civile à l'ancien. Selon le rapport du Sénat, seul reste en vigueur un titre de l'ancien Code de procédure civile relatif à la prise à partie des magistrats non professionnels.

L'objet de l'article 12 bis est donc d'intégrer ces dispositions, en les modifiant, dans la partie législative du Code de l'organisation judiciaire.

Enfin, il est à noter que la proposition de loi opère 126 abrogations explicites de dispositions législatives devenues désuètes ou sans objet, parmi lesquelles l'on peut citer, entre autres, la loi des 27 novembre et 1er décembre 1790, portant institution d'un tribunal de cassation et réglant sa composition, son organisation et ses attributions, la loi n° 60-1373 du 21 décembre 1960, fixant les conditions dans lesquelles les mineurs de fond des mines de combustibles minéraux solides accompliront leurs obligations militaires, le décret-loi du 30 octobre 1935 portant réglementation de la vente par camions-bazars, ou, encore, la loi du 6 décembre 1928, relative à la réglementation de l'abattage du châtaignier.

newsid:300226

Sécurité sociale

[Jurisprudence] Le régime de l'"indemnité conventionnelle jours repos RTT non pris"

Réf. : Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 04-17.096, M. Assad Aoun, FS-P+B (N° Lexbase : A2248DZB)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010


L'indemnité conventionnelle de jours de repos liés à la réduction du temps de travail (RTT) non pris, contrairement à l'indemnité différentielle de réduction du temps de travail, n'a pas, jusqu'alors, donné lieu à réponse de la Cour de cassation sur sa nature juridique et son régime. Cette indemnité présente-t-elle le caractère de rémunération habituelle et normale du salarié ? Doit-elle, alors, être intégrée dans le salaire dit de référence, à partir duquel les Assedic calculent le montant du revenu de remplacement ? Un arrêt en date du 31 octobre 2007 apporte des éclaircissements sur ce sujet.



Résumé

L'indemnité compensatrice conventionnelle de jours de congé liés à la réduction du temps de travail non pris par le salarié à la date de la rupture de son contrat de travail correspond à l'acquisition d'heures de travail accomplies entre la 35ème et la 39ème heure de chaque semaine, ouvre droit à une bonification de 10 %, présente le caractère d'une rémunération habituelle et normale du salarié et n'a pas pour seule origine la rupture du contrat de travail.

Dans l'espèce soumise à la Cour de cassation le 31 octobre 2007, il a été conclu, le 8 décembre 1999, en application de la loi du 13 juin 1998 (loi n° 98-461 du 13 juin 1998, d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH), au sein de la société Sygma, un accord collectif ayant pour objet la mise en place des 35 heures dans l'entreprise sans perte de salaires. Il prévoyait, en son article 4, que le temps de travail effectif restait fixé à 39 heures par semaine et, qu'en contrepartie de la réduction de l'horaire collectif moyen de travail sur l'année à 35 heures hebdomadaires, il serait alloué au personnel, en fonction des jours effectivement travaillés, 23 jours supplémentaires de congés annuels appelés "jours de repos RTT". Dans le cas où le salarié quitterait l'entreprise au cours de la période de référence de 12 mois sans avoir pris tout ou partie de ces jours, il bénéficierait d'une indemnité correspondant à ses droits acquis (art. 8). N'étaient considérées comme heures supplémentaires que les heures effectuées au-delà de 35 heures et non compensées en fin de période de référence (art. 10). Les heures effectuées entre 35 et 39 heures par semaine ne donnaient pas lieu à paiement d'heures supplémentaires mais à bonification (art. 10). Dans le conflit qui l'opposait aux Assedic, un ancien salarié de cette agence de presse devenu chômeur prétendait (tel est bien son intérêt) que l'indemnité conventionnelle jours repos RTT non pris devait être intégrée dans le salaire de référence (1). Il contestait l'application d'un délai de carence de 26 jours, estimant que les Assedic auraient dû réduire le délai de carence en excluant de celui-ci les jours de RTT (2). La cour d'appel (Versailles, 3 juin 2004) rejetait ses prétentions, contrairement à la Cour de cassation.

1. Intégration de l'indemnité conventionnelle pour jours de repos RTT non pris dans le calcul du salaire de référence

Inscrit auprès des Assedic des Yvelines en qualité de demandeur d'emploi le 3 janvier 2001, le salarié a contesté le montant de l'allocation unique dégressive versée par les Assedic et l'application d'un délai de carence de 26 jours, estimant que l'organisme aurait dû prendre en compte l'indemnité conventionnelle pour jours de repos RTT non pris dans le salaire de référence, d'une part, et réduire, au contraire, le délai de carence en excluant de celui-ci les jours de réduction du temps de travail, d'autre part.

1.1. Régime de l'indemnité conventionnelle pour jours de repos RTT non pris

A l'époque des faits, le salarié dont le contrat de travail a été rompu était régi par la Convention d'assurance chômage du 1er janvier 1997 et, s'agissant du régime du salaire de référence, par l'article 45 du Règlement annexé à la Convention d'assurance chômage du 1er janvier 1997.

Pour débouter le salarié de sa demande de versement d'un rappel du revenu de remplacement (allocation unique dégressive) et de sommes accessoires au titre du montant du salaire de référence, la cour d'appel a retenu que l'indemnité pour jours de RTT non pris ne pouvait être prise en compte dans ce salaire. En effet, il résulte de l'accord d'entreprise que les heures de travail hebdomadaire effectuées entre 35 et 39 heures ne donnent pas droit à rémunération mais à repos compensateur, seules les heures supplémentaires effectuées au-delà de 39 heures étant payées. L'intéressé ne démontre pas avoir travaillé au-delà de cet horaire. Ensuite, ce n'est que parce que le contrat de travail est arrivé à son terme avant que le salarié ne prenne ses jours de repos compensateur que l'employeur lui a payé l'indemnité pour jours de RTT non pris.

La Cour de cassation ne partage pas cette analyse, parce que le revenu de remplacement est calculé sur la base de la rémunération habituelle et normale du salarié, au sens du Règlement du régime d'assurance chômage (article 45 du Règlement annexé à la Convention du 1er janvier 1997). Sont exclues du salaire de référence les indemnités compensatrices de congés payés, les indemnités de préavis ou de non-concurrence, toutes sommes dont l'attribution trouve sa seule origine dans la rupture du contrat de travail ou l'arrivée du terme de celui-ci et, d'une manière générale, toutes sommes qui ne trouvent pas leur contrepartie dans l'exécution normale du contrat de travail.

Aussi, pour la Cour de cassation, l'indemnité compensatrice conventionnelle de jours de congé liés à la réduction du temps de travail non pris par le salarié à la date de la rupture de son contrat de travail correspondait à l'acquisition d'heures de travail accomplies entre la 35ème et la 39ème heure de chaque semaine et ouvrait droit à une bonification de 10 % : donc, elle présentait le caractère d'une rémunération habituelle et normale du salarié et n'avait pas pour seule origine la rupture du contrat de travail.

La solution aurait vocation à être transposée au titre des conventions d'assurance chômage du 1er janvier 2001 (N° Lexbase : L4594AQ9), du 1er janvier 2004 (N° Lexbase : L1532DPG) et du 18 janvier 2006 (N° Lexbase : L4571HI7). En effet, ces trois réglementations d'assurance chômage retiennent, dans leurs principes fondamentaux, les mêmes solutions, ainsi résumées. Le salaire de référence pris en considération pour fixer le montant de la partie proportionnelle de l'allocation journalière est établi à partir des rémunérations ayant servi au calcul des contributions au titre des 12 mois civils précédant le dernier jour de travail payé à l'intéressé. Le salaire de référence ainsi déterminé ne peut dépasser la somme des salaires mensuels plafonnés et compris dans la période de référence (Règlement du 1er janvier 2001, art. 21). La convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004 a modifié cette règle. En effet, le salaire de référence pris en considération pour fixer le montant de la partie proportionnelle de l'allocation journalière est établi à partir des rémunérations des 12 mois civils précédant le dernier jour de travail payé à l'intéressé entrant dans l'assiette des contributions, dès lors qu'elles n'ont pas déjà servi pour un précédent calcul. Le salaire de référence ainsi déterminé ne peut dépasser la somme des salaires mensuels plafonnés, conformément à l'article 55 du Règlement, et compris dans la période de référence (Règlement du 1er janvier 2004, art. 21 N° Lexbase : L1601DPY).

Sont prises en compte dans le salaire de référence les rémunérations qui, bien que perçues en dehors de l'une des périodes d'affiliation, sont, néanmoins, afférentes à cette période. Sont exclues, en tout ou partie du salaire, les rémunérations perçues pendant la période de référence, mais qui n'y sont pas afférentes. En conséquence, les indemnités de treizième mois, les primes de bilan, les gratifications perçues au cours de cette période ne sont retenues que pour la fraction afférente à ladite période. Les salaires, gratifications, primes, dont le paiement est subordonné à l'accomplissement d'une tâche particulière ou à la présence du salarié à une date déterminée, sont considérés comme des avantages dont la périodicité est annuelle. Sont, également, exclues les indemnités compensatrices de congés payés, les indemnités de préavis ou de non-concurrence, toutes sommes dont l'attribution trouve sa seule origine dans la rupture du contrat de travail ou l'arrivée du terme de celui-ci, les subventions ou remises de dettes qui sont consenties par l'employeur dans le cadre d'une opération d'accession à la propriété de logement. De manière générale, sont exclues toutes sommes qui ne trouvent pas leur contrepartie dans l'exécution normale du contrat de travail (Règlement du 1er janvier 2001, art. 22, § 1er ; Règlement du 1er janvier 2004, art. 22 § 1er, rédaction inchangée ; Règlement du 18 janvier 2006, art. 22, § 1 et 2 ; Circulaire Unédic, n° 2006-14, 21 juillet 2006 N° Lexbase : L4617HK9).

1.2. A titre comparatif, l'indemnité compensatrice RTT

La loi du 11 juin 1996 dite "de Robien" (loi n° 96-502 du 11 juin 1996, tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail N° Lexbase : L7981AIG) précisait que l'accord d'entreprise ou d'établissement fixant le nouvel horaire collectif détermine, notamment, le nombre de licenciements évités, la durée pendant laquelle l'employeur s'engage à maintenir les emplois des salariés compris dans le champ de l'accord, les conditions dans lesquelles les pertes de rémunération induites par la réduction du temps de travail peuvent faire l'objet d'une compensation salariale.

Mais, cette faculté de prévoir une indemnité compensatrice, couvrant une réduction d'au moins 10 % du salaire causée par une réduction d'au moins 10 % du temps de travail, n'était prévue que pour le volet "offensif" de la loi "de Robien". En revanche, le volet dit "défensif" de la loi, c'est-à-dire mis en oeuvre dans le cadre d'une procédure de licenciement économique collectif, n'ouvrait pas de telles possibilités (sinon, de manière unilatérale, et à la seule initiative de l'employeur).

S'agissant de la nature juridique de l'indemnité compensatrice RTT, la Cour de cassation a considéré que la garantie de ressources servie par l'employeur en compensation de la perte de salaire consécutive à une réduction du temps de travail mise en place dans le cadre d'un accord "de Robien", volet défensif, entre dans l'assiette de la contribution des employeurs au financement de l'allocation d'assurance chômage. L'article 39-1 de la loi du 11 juin 1996 ne prévoyait aucun allègement de cotisation sur cette indemnité (1). Ne peut être exclue de l'assiette de la cotisation d'assurance chômage, la contribution versée aux salariés par l'employeur à titre de compensation de la perte de salaire consécutive à un accord de réduction du temps de travail, conclu en application de la loi du 11 juin 1996, afin d'éviter un licenciement collectif pour motif économique, cette contribution servie à l'occasion du travail présentant le caractère d'une rémunération soumise à cotisations.

En 2004, la Cour de Cassation a considéré, au contraire, que les sommes versées aux salariés en compensation de la perte de rémunération induite par une mesure de réduction du temps de travail présentent le caractère de dommages-intérêts : à ce titre, elles doivent être exclues de l'assiette des cotisations et contributions de sécurité sociale (2).

2. Non-intégration de l'indemnité conventionnelle pour jours de repos RTT non pris dans le calcul du délai de carence

2.1. Solution au titre de la Convention d'assurance chômage du 1er janvier 1997

Là encore, il doit être précisé que le régime d'assurance applicable à l'espèce est celui du Règlement annexé à la Convention d'assurance chômage du 1er janvier 1997 (art. 75 § 2). Le délai de carence est augmenté d'une carence spécifique en cas de prise en charge consécutive à une cessation de contrat de travail ayant donné lieu au versement d'indemnités ou de toute autre somme inhérente à cette rupture, quelle que soit leur nature, lorsqu'elles excèdent les indemnités légalement obligatoires, dont le taux et les modalités de calcul résultent directement d'une disposition légale.

De plus, en application de la loi "Aubry II" (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3), reprenant, sur ce point, une disposition de la loi "Aubry I" (loi n° 98-461 du 13 juin 1998, d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH) (art. 5-V de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000), pendant la première année civile au cours de laquelle la durée hebdomadaire est fixée à 35 heures, chacune des quatre premières heures supplémentaires effectuées donne lieu à la bonification (C. trav., art. L. 212-5, I, al. 1er N° Lexbase : L9589GQ9) au taux de 10 %.

Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de 26 jours de carence, la cour d'appel de Versailles décidait que l'indemnité pour jours RTT non pris devait être prise en compte dans la détermination du délai de carence, dès lors qu'elle ne procédait pas directement de la loi mais de l'accord d'entreprise qui a prévu une amplitude hebdomadaire de travail supérieure à 35 heures, moyennant l'attribution de jours de repos compensateurs, donnant lieu à indemnisation au cas où ils ne seraient pas pris au jour de l'arrivée du terme du contrat de travail. Au contraire, selon la Cour de cassation, l'indemnité pour jours de RTT non pris, instituée par l'accord d'entreprise du 8 décembre 1999, n'était pas inhérente à la rupture du contrat de travail, d'une part, correspondait au montant de la rémunération légalement due au salarié en raison de l'exécution d'un travail entre 35 et 39 heures hebdomadaires, d'autre part.

Cette solution est en parfaite conformité avec l'analyse de l'indemnité conventionnelle pour jours de repos RTT non pris faite par la Cour de cassation (supra) à propos de son intégration dans le calcul du salaire de référence. Cette indemnité présente le caractère d'une rémunération habituelle et normale du salarié et n'a pas pour seule origine la rupture du contrat de travail : elle doit donc être prise en compte dans le salaire de référence.

2.2. Solution transposable aux conventions d'assurance chômage du 1er janvier 2001, du 1er janvier 2004 et du 18 janvier 2006

Même si le législateur (loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003, relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi N° Lexbase : L0300A9Y) (3) a abrogé les dispositions législatives mettant en oeuvre des aides au titre de la réduction du temps de travail (loi du 11 juin 1996 dite "de Robien", loi du 13 juin 1998 dite "Aubry I" et loi du 19 janvier 2000 dite "Aubry II"), les autres dispositions portant sur l'organisation du temps de travail (notamment, l'indemnité conventionnelle pour jours de repos RTT) n'ont pas été affectées. Lorsqu'elles ont été prévues par des accords d'entreprise, ces dispositions restent en vigueur. Aussi, la solution retenue par la Cour de cassation doit, en principe, s'appliquer aux situations similaires, sous l'empire des autres conventions d'assurance chômage (2001, 2004 ou 2006). Le régime d'assurance chômage n'a, quant à lui, guère évolué, s'agissant du délai de carence et de la carence dite spécifique.

- La prise en charge est reportée à l'expiration d'un délai de carence déterminé à partir du nombre de jours correspondant aux indemnités compensatrices de congés payés versées par le dernier employeur ou aux congés payés acquis au titre du dernier emploi lorsque celui-ci relève de l'article L. 223-16 du Code du travail ([LXB=L5919AC9 ]). Si tout ou partie des indemnités compensatrices de congés payés dues est versé postérieurement à la fin du contrat de travail ayant ouvert des droits, le bénéficiaire et l'employeur sont dans l'obligation d'en faire la déclaration aux Assedic (Règlement du 1er janvier 2001, art. 30 ; Règlement du 1er janvier 2004, art. 30, rédaction inchangée ; Règlement du 18 janvier 2006, art. 29 § 1 ; Circulaire Unédic, n° 2006-14, 21 juillet 2006).

- Le délai de carence est augmenté d'une carence spécifique en cas de prise en charge consécutive à une cessation de contrat de travail ayant donné lieu au versement d'indemnités ou de toute autre somme inhérente à cette rupture, quelle que soit leur nature, dès lors que leur montant ou leurs modalités de calcul ne résultent pas directement de l'application d'une disposition législative (Règlement du 18 janvier 2006, art. 29 ; Circulaire Unédic, n° 2006-14, 21 juillet 2006).

Ce délai de carence comprend un nombre de jours égal au nombre entier obtenu en divisant la moitié du montant total de ces indemnités et sommes versées à l'occasion de la fin du contrat de travail, diminué du montant éventuel de celles-ci résultant directement de l'application d'une disposition législative, par le salaire journalier de référence. La durée de cette carence spécifique est limitée à 75 jours. Si tout ou partie de ces sommes est versé postérieurement à la fin du contrat de travail ayant ouvert des droits, le bénéficiaire et l'employeur sont dans l'obligation d'en faire la déclaration aux Assedic. Les allocations qui, de ce fait, n'auraient pas dû être perçues par l'intéressé doivent être remboursées. En cas de prise en charge consécutive à la fin d'un contrat de travail d'une durée inférieure à 91 jours, les délais de carence sont déterminés dans les conditions fixées par délibération de la Commission paritaire nationale (Règlement annexé, Convention 1er janvier 2001, art. 30 ; Règlement du 1er janvier 2004, art. 30) ou par un accord d'application, depuis la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004 (Règlement du 1er janvier 2004, art. 30).


(1) Cass. soc., 17 juin 2003, n° 00-21.407, Assedic des Hauts de France c/ Société Rabot-Dutilleul, FS-P (N° Lexbase : A8747C8H) ; Bull. civ. V n° 197 p. 196 ; Dr. soc. 2003, p. 1032, obs. Ch. Radé ; RJS 10/03, n° 1176.
(2) Cass. civ. 2, 20 janvier 2004, n° 02-30.950, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) de la Mayenne c/ Société Durand, FS-D (N° Lexbase : A8828DA9) ; lire nos obs., L'indemnité compensatrice versée en contrepartie de la RTT est exclue de l'assiette des cotisations sociales, Lexbase Hebdo n° 108 du 19 février 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0539ABL).
(3) J.Y. Kerbouc'h, L'inévitable budgétisation des exonérations de cotisations sociales de la loi 'Fillon', Travail et protection sociale avril 2003, chron. n° 6 ; X. Pretot, Le Conseil constitutionnel et les sources du droit du travail : l'articulation de la loi et de la négociation collective, Dr. soc. 2003, p. 260.
Décision

Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 04-17.096, M. Assad Aoun, FS-P+B (N° Lexbase : A2248DZB)

Cassation (CA Versailles, 1ère chambre, 1ère section, 3 juin 2004)

Textes visés : article 45 du Règlement annexé à la Convention du 1er janvier 1997 relative à l'assurance chômage ; article 8 de l'accord d'entreprise Sygma du 8 décembre 1999 ; article 75 § 2 du Règlement annexé à la Convention d'assurance chômage du 1er janvier 1997 ; article 5-V de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 (N° Lexbase : L0988AH3).

Mots-clefs : assurance chômage ; indemnité conventionnelle jours repos RTT non pris ; nature juridique ; calcul salaire de référence ; délai de carence.

Lien bases : (N° Lexbase : E1507ATY)

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Social général

[Jurisprudence] Les frontières du temps de travail effectif

Réf. : Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.834, Société Centre d'hémodialyse du Languedoc méditérranéen (CHLM), FS-P+B+R (N° Lexbase : A2446DZM) ; Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-13.232, Société Iveco, anciennement dénommée Irisbus France, FS-P+B (N° Lexbase : A2305DZE)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Malgré les définitions successivement apportées par le législateur des différents temps de travail, qu'il s'agisse du temps de travail effectif, du temps d'astreinte ou, encore, du temps de déplacement, les problèmes liés aux frontières entre ces différents temps ne sont, pour autant, pas tous réglés. C'est cette question qu'illustrent parfaitement deux arrêts rendus le 31 octobre 2007 par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Les solutions apportées mettent en exergue la subsistance d'une certaine perméabilité des frontières des temps du travail (1). Malgré les incohérences auxquelles elles peuvent donner lieu, elles n'en sont pas moins que des strictes applications des dispositions du Code du travail en la matière (2).


Résumé

Pourvoi n° 06-43.834 : le temps de déplacement accompli lors de périodes d'astreintes fait partie intégrante de l'intervention et constitue un temps de travail effectif.

Pourvoi n° 06-13.232 : le temps de déplacement accompli par un salarié au sein de l'entreprise pour se rendre depuis les vestiaires jusqu'à son poste de travail ne constitue pas du temps de travail effectif, quand bien même le salarié est astreint, durant ce temps, au port d'une tenue de travail.

1. La perméabilité des frontières entre les temps du travail

  • Les différents temps du travail

Depuis que la loi "Aubry I" (loi n° 98-461 du 13 juin 1998, d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH) a introduit, dans le Code du travail, le triptyque constitué du temps de travail effectif, du temps de repos et du temps d'astreinte, les différents temps du travail n'ont cessé de se multiplier.

Ainsi, on dénombre de nombreuses situations particulières venues compliquer la distinction initiale. S'y est ajoutée la prise en considération du temps de formation du salarié (1), du temps de pause et du temps destiné au repas du salarié (2), du temps d'habillage (3), du temps de douche (4) ou, encore, des temps de déplacement ayant, récemment, remplacé les temps dits de "trajet" (5).

Il était donc inévitable que ces différents temps posent, parfois, des problèmes de frontière.

  • Des problèmes de frontière classiques

Du fait de leur survenance lors de phases de transition entre deux temps, certaines situations ont clairement posé un problème de qualification.

Ainsi, avant que la loi de 1998 n'intervienne pour définir la notion et le régime de l'astreinte, la qualification de ce temps en temps de travail ou en temps de repos faisait difficulté. De la même manière, avant ce texte, il était difficile de savoir si le salarié, appelé pendant cette période, entrait dans une phase de travail effectif ou s'il demeurait dans un régime d'astreinte n'exigeant pas qu'il soit alors intégralement rémunéré. Enfin, on s'est longtemps demandé si le temps d'astreinte durant lequel le salarié demeurait à la disposition permanente et immédiate de l'employeur pouvait être comptabilisé comme du temps de repos, cette question ayant une grande importance au regard des amplitudes de repos imposées par le Code du travail (6). Une grande partie de ces difficultés a été réglée par l'intervention du législateur. Mais, comme nous allons le voir, cette prise de position législative n'a pas, pour autant, gommé tous les problèmes de frontière.

Outre les difficultés récurrentes qu'avait posées le mécanisme de l'astreinte, ce sont les zones frontalières du temps de travail effectif qui ont, également, suscité de nombreuses interrogations. Ainsi, a-t-on pu se demander si le temps passé dans l'entreprise afin de revêtir une tenue exigée par l'employeur constituait ou non du temps de travail effectif. Mais, surtout, un fort contentieux s'était développé afin de déterminer dans quelles conditions un temps de trajet pouvait ou non être qualifié de temps de travail effectif (7).

Tous ces temps ayant été envisagés par le législateur, on pouvait espérer que l'acuité des problèmes de frontière s'estomperait. Mais, comme le démontrent les deux espèces commentées, demeurent encore de nombreuses questions qui n'ont pas été réglées par le législateur.

  • Le temps de déplacement durant une période d'astreinte

Dans la première affaire, la Cour de cassation avait à se prononcer sur la qualification qu'il fallait retenir du temps de déplacement de son domicile à son lieu de travail d'un salarié intervenant durant une astreinte. La solution avait déjà été abordée dans un arrêt sur lequel l'attention n'avait certainement pas été suffisamment portée (8). Confirmant la solution alors rendue, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme clairement que ce temps de déplacement doit être considéré comme du temps de travail effectif. Cet arrêt étant destiné à figurer au rapport annuel de la Cour de cassation, nul doute que sa portée sera, cette fois, plus remarquée.

  • Le temps de pointage

Dans la seconde affaire, la Chambre sociale statuait à propos d'un temps un peu particulier, que d'aucuns ont qualifié de "temps de pointage" (9). Il s'agissait de salariés soumis à l'obligation du port d'une tenue de travail. Le temps d'habillage, conformément à l'article L. 212-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8959G7X), avait donné lieu à une compensation financière. En revanche, le temps s'écoulant sur le trajet entre les vestiaires et le lieu d'exécution du travail n'était pas comptabilisé comme du temps de travail effectif par l'employeur, la pointeuse étant située à proximité du lieu de travail et non à la sortie des vestiaires.

Contrairement à la première espèce commentée, la Cour de cassation procède, sur ce sujet, à un revirement de sa jurisprudence. En effet, jusque-là, elle considérait que ce temps de pointage devait être considéré comme du temps de travail effectif (10). Désormais, elle estime que, durant ce trajet, les salariés ne se trouvent pas à la disposition de l'employeur, ne se conforment pas à ses directives et peuvent vaquer à librement à leurs occupations personnelles. En conséquence, elle refuse de considérer comme illicite un document de l'entreprise déclarant ce temps comme n'étant pas du temps de travail effectif.

La Chambre sociale prend, donc, à nouveau position sur des hypothèses frontalières du temps de travail effectif. Ces solutions méritent quelques éléments d'appréciation.

2. L'application stricte des définitions légales des différents temps du travail

  • L'application pointilleuse des critères légaux

Dans ces deux affaires, la Cour de cassation fait une rigoureuse application des critères de définition des différents temps du travail.

Dans la première affaire, c'est sur la définition du temps d'astreinte que la Cour fonde sa solution. Reprenant in extenso les critères de l'astreinte fournis par le Code du travail (11), les magistrats estiment que "le temps de déplacement accompli lors de périodes d'astreinte fait partie intégrante de l'intervention et constitue un temps de travail effectif". Cette solution est parfaitement en accord avec les textes qui ne font que distinguer entre le temps d'astreinte et le temps de travail effectif. Tant que le salarié est seulement à la disposition de l'employeur, il est dans une phase d'astreinte. Mais, à partir du moment où il quitte son domicile, il entre dans la phase d'intervention qui doit être qualifiée de temps de travail effectif.

Dans la seconde affaire, c'est une application nette de la définition du temps de travail effectif qui est avancée. En effet, la Cour estime que "la circonstance que le salarié soit astreint au port d'une tenue de travail ne permet pas de considérer qu'un temps de déplacement au sein de l'entreprise constitue un temps de travail effectif". Autrement dit, l'obligation de porter une tenue est insuffisante pour caractériser les trois critères du temps de travail effectif. L'intensité de l'obligation, consistant à porter une tenue professionnelle durant le trajet séparant les vestiaires au lieu d'exécution du travail, est donc insuffisante (12).

Cette application des critères législatifs peut, pourtant, donner l'impression d'une certaine incohérence, impression qui se dissipe à l'analyse.

  • La qualification de temps de travail effectif indifférente à la présence du salarié dans l'enceinte de l'entreprise

Dans l'une comme dans l'autre des deux situations, il s'agissait de qualifier un temps de déplacement. Or, on constate que la Cour de cassation ne leur applique pas le même régime puisque seul le déplacement pendant l'astreinte est qualifié de temps de travail effectif. Cette remarque n'a, cependant, qu'une faible incidence puisque les temps de déplacement, s'ils ne sont habituellement pas considérés comme constituant du temps de travail effectif, peuvent le devenir lorsqu'ils "dépassent le temps normal du trajet", si bien que cette dualité de régime n'est, finalement, guère surprenante.

En revanche, on constate une véritable disparité dans l'influence que peut avoir la présence du salarié au sein de l'entreprise. En effet, la Cour qualifie de temps de travail effectif le temps de déplacement du salarié pendant l'astreinte alors que, manifestement, il ne se trouve pas à ce moment dans l'enceinte de l'entreprise. Au contraire, elle refuse la qualification de temps de travail effectif dans la seconde affaire alors que le salarié se trouve dans l'entreprise.

Ce constat permet d'affirmer que, contrairement à ce que l'on a pu penser, tout temps passé dans l'entreprise n'est pas nécessairement du temps de travail effectif (13). Tout au plus, peut-on envisager que la présence du salarié dans l'enceinte de l'entreprise puisse constituer un indice d'une situation de temps de travail effectif, mais certainement pas un critère à part entière.

Enfin, les décisions rendues, quoique strictement respectueuses des textes, semblent mettre en lumière certaines incohérences de l'articulation législative des différents temps de travail.

  • Les incohérences liées à la superposition des temps du travail

S'agissant du temps de déplacement du salarié pour se rendre sur son lieu de travail alors qu'il était d'astreinte, on constate que la qualification de temps de travail effectif mise en place par la Chambre sociale est, aussi, conforme à la définition de l'astreinte qu'elle pose en contradiction avec le régime des temps de déplacement instauré par la loi de cohésion sociale (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49).

En effet, celle-ci dispose clairement que "le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif", à moins que ce temps dépasse le temps normal de trajet, ce qui n'était vraisemblablement pas le cas en l'espèce. En outre, par application propre des critères du temps de travail effectif, on aurait pu douter que le temps de déplacement du salarié sous astreinte constitue un temps de travail effectif, alors que le temps nécessaire pour se déplacer des vestiaires au lieu d'exécution du travail en serait exclu.

La Cour de cassation, face au conflit des deux dispositions, opère un choix en faveur du régime de l'astreinte plutôt que celui du temps de déplacement. Mais, quelle est la règle de conflit qui guide ce choix ? Certes, l'application de la définition de l'astreinte paraissant plus favorable au salarié, il est envisageable de penser que la Cour de cassation a tranché le conflit en appliquant la règle du principe de faveur. Cependant, on connaît les incertitudes qui planent quant à l'usage du principe de faveur comme règle de conflit entre deux dispositions législatives, une telle règle de conflit n'étant pas expressément prévue par le Code du travail.

S'agissant du temps de déplacement nécessaire pour se rendre des vestiaires au lieu de travail, l'application des dispositions du Code du travail paraît moins ambiguë. Pourtant, elle met, également, en lumière une forme d'incohérence à travers l'analyse des différentes phases successives auxquelles sont soumis les salariés.

Dans un premier temps, ils ont, en effet, l'obligation de se rendre aux vestiaires pour revêtir la tenue professionnelle exigée. Conformément aux dispositions du Code du travail, ce temps donne lieu à une compensation, en l'espèce sous la forme d'une prime. L'esprit de cette compensation réside dans l'idée selon laquelle le temps que passe le salarié à se changer, il ne le passe pas à vaquer à ses propres occupations. Ce temps le prive, à chaque début et fin de journée, de quelques minutes supplémentaires passées chez lui.

Dans un second temps, après s'être changé, le salarié devra se rendre jusqu'à la pointeuse située sur le lieu où s'exécute le travail. En estimant qu'il ne s'agit pas de temps de travail effectif, la Cour fait baisser l'intensité de la disponibilité du salarié à l'égard de l'employeur. Or, il paraît relativement illogique de considérer que le salarié soit plus à même de vaquer à ses propres occupations pendant ce temps de déplacement que pendant le temps utilisé pour se changer.

Si le refus d'une qualification de temps de travail effectif nous paraît donc tout à fait conforme aux dispositions du Code du travail, peut-être faudrait-il envisager que le temps passé à parcourir la distance séparant le vestiaire au lieu d'exécution du travail doive être considéré de la même manière que le temps d'habillage auquel il est, finalement, très intimement lié. En effet, sans l'obligation de porter une tenue particulière, aucun déplacement supplémentaire ne serait imposé au salarié. C'est donc probablement au travers de la négociation des compensations dues en contrepartie du temps d'habillage que doit être pris en compte le temps de pointage.


(1) V. Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-11.164, Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), FS-P+B+R (N° Lexbase : A2966DX7) et nos obs., La nullité de l'accord collectif excluant du temps de travail effectif les périodes de formation visant à l'adaptation du salarié à son emploi, Lexbase Hebdo n° 269 du 19 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9342BBM) ;
(2) C. trav., art. L. 212-4, al. 2 (N° Lexbase : L8959G7X).
(3) C. trav., art. L. 212-4, al. 3.
(4) C. trav., art. R. 232-2-4 (N° Lexbase : L9483AC9). V., également, Cass. soc., 11 février 2004, n° 01-46.405, M. Sacha Bloch c/ Société Arlux, publié (N° Lexbase : A2699DBL) et les obs. de Ch. Alour, Le paiement du temps de douche, Lexbase Hebdo n° 109 du 26 février 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0625ABR).
(5) V. le 4ème aliéna de l'article L. 212-4 du Code du travail, inséré par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49).
(6) V. les articles L. 220-1 (N° Lexbase : L4622DZ9) et L. 221-4 (N° Lexbase : L4702DZ8) du Code du travail.
(7) Parmi un contentieux très développé, v. Cass. soc., 5 novembre 2003, n° 01-43.109, Association Nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) c/ M. Antoine Marini, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0662DAR) et les obs. de G. Auzero, Qualification juridique des temps de trajet, Lexbase Hebdo n° 95 du 20 novembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9443AAY) ; Cass. soc., 5 mai 2004, n° 01-43.918, Mme Christine Pennequin c/ Société Segec, FS-P+B (N° Lexbase : A0461DC3) et les obs. de Ch. Radé, Dr. soc. 2004, p. 900.
(8) Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-46.367, Société Thyssen Ascenseurs c/ M. Jérôme Blanco, F-D (N° Lexbase : A4839DBT) ; RJS 2004, p. 477.
(9) V. Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 02-15.142, Société Carrefour France c/ Union des syndicats CGT des personnels du commerce de la distribution et des services du Rhône, F-P+B (N° Lexbase : A1017DDZ) et les obs. de Ch. Radé, La liberté d'entreprendre, principe fondamental du droit du travail, Lexbase Hebdo n° 131 du 29 juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2465ABW).
(10) ibid.
(11) C. trav., art. L. 212-4 bis (N° Lexbase : L7946AI7).
(12) On peut comparer avec une autre décision par laquelle la Cour avait estimé que l'obligation pour le salarié de porter un dosimètre ne suffisait pas à caractériser les critères du temps de travail effectif, Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-43.456, M. Emilien Bouin, F-D (N° Lexbase : A8539DPX).
(13) V. Cass. soc., 16 juin 2004, n° 02-43.755, Mme Georgette Gaigeard c/ Société Malve, FS-P+B (N° Lexbase : A7422DCU) et les obs. de S. Koleck-Desautel, La notion de temps de travail effectif, Lexbase Hebdo n° 127 du 1er juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2098ABC) ; Cass. soc., 16 juin 2004, n° 02-43.685, Société Sotrapmeca Bonaldy c/ M. Alvaro Dos Santos Mota, FS-P+B (N° Lexbase : A7421DCT).
Décisions

Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.834, Société Centre d'hémodialyse du Languedoc méditerranéen (CHLM), FS-P+B+R (N° Lexbase : A2446DZM)

Cassation (CPH Montpellier, référé, 8 juin 2006)

Texte visé : C. civ., art. 1153 (N° Lexbase : L1254AB3)

Mots-clés : astreinte ; temps de trajet ; temps de travail effectif.

Liens bases : ; .

Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-13.232, Société Iveco, anciennement dénommée Irisbus France, FS-P+B (N° Lexbase : A2305DZE)

Cassation partielle (CA Lyon, chambre sociale, 27 janvier 2006)

Texte visé : C. trav., art. L. 212-4 (N° Lexbase : L8959G7X)

Mots-clés : obligation de porter une tenue de travail ; déplacement dans l'entreprise ; temps de travail effectif (non).

Liens bases : ; .

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