Réf. : CE Ass., 7 mai 2013, n° 362280, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1554KDW)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 16 Mai 2013
L'on peut rappeler que, par la décision n° 2006-533 DC précitée, les Sages avaient estimé que la recherche d'une égalité concrète entre hommes et femmes n'autorise pas toutes les mesures et que le législateur se doit de préserver l'égalité formelle, censurant, ainsi, partiellement la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006, relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L8129HHK). Selon cette décision, "en imposant le respect de proportions déterminées entre les femmes et les hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance des sociétés privées et des entreprises du secteur public, au sein des comités d'entreprise, parmi les délégués du personnel, dans les listes de candidats aux conseils de prud'hommes et aux organismes paritaires de la fonction publique, les dispositions du titre III de la loi déférée sont contraires au principe d'égalité devant la loi [...]". En effet, la recherche d'une égalité concrète doit se concilier avec les exigences de l'égalité formelle. Une telle conception de ce principe peut être rapprochée de la décision du 18 novembre 1982 "Quotas par sexe" (Cons. const., décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 N° Lexbase : A8048AC3), par laquelle le juge constitutionnel avait censuré la disposition selon laquelle les listes de candidats aux élections municipales "ne peuvent comporter plus de 75 % de personnes du même sexe". Presque dix années plus tard, la rue de Montpensier conservait la même position dans la décision "Quotas par sexe II", qui censurait une partie de la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999 (N° Lexbase : L7499AIL) prévoyant une obligation de parité dans la composition des listes de candidatures aux élections régionales et à l'Assemblée de Corse.
Devant tant d'inflexibilité de la part des juges suprêmes, la voie était donc ouverte à une révision constitutionnelle, laquelle s'est opérée via la loi n° 99-569 du 8 juillet 1999, relative à l'égalité entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L2552HU3), qui ajoute à l'article 3 de la Constitution un cinquième alinéa selon lequel "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives". La loi n° 2000-493 du 6 juin 2000, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (N° Lexbase : L0458AIS), a constitué une première mise en oeuvre des principes arrêtés lors de la révision constitutionnelle de 1999. Elle a prévu des obligations de parité des candidatures au moment de la formation des listes, ceci pour les élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants (parité par groupe de six candidats), les élections européennes (stricte alternance) et les élections sénatoriales à la représentation proportionnelle (stricte alternance). Logiquement, les Sages ont infléchi leur position en déclarant ce texte conforme à la Constitution dans leur décision du 30 mai 2000 "Quotas par sexe III" (Cons. const., décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000 N° Lexbase : A1627AGD). Toutefois, les deux années suivantes (Cons. const., décisions n° 2001-445 DC du 19 juin 2001 N° Lexbase : A5371AT4 et n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 N° Lexbase : A7587AXB), ils ont rappelé que les dispositions du cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution (N° Lexbase : L0829AH8) "ne s'appliquent qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques". Pour remédier à cette limitation, la loi n° 2008-724 du 23 juillet 2008 a ajouté à l'objectif de parité pour les mandats électoraux et fonctions électives les "responsabilités professionnelles et sociales", désormais inscrites au deuxième alinéa du premier article de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4).
II - La compétence législative en matière de libertés publiques, voire sa suprématie, a toujours été protégée par le Conseil constitutionnel. Ainsi, s'agissant des OGM, celui-ci a estimé qu'"en se bornant à renvoyer de manière générale au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des informations qui ne peuvent en aucun cas demeurer confidentielles, le législateur a, eu égard à l'atteinte portée aux secrets protégés, méconnu l'étendue de sa compétence" (Cons. const., décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 N° Lexbase : A2111D93). De manière générale, et lorsqu'il examine l'existence d'une éventuelle incompétence négative, le Conseil commence régulièrement par rappeler qu'il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, tandis "que ressortit à la compétence du pouvoir réglementaire la détermination des mesures d'application" de ces règles (Cons. const., décision n° 91-304 DC du 15 janvier 1992 N° Lexbase : A8264AC3), ou que relève du pouvoir exécutif "la mise en oeuvre des garanties déterminées par le législateur" (Cons. const., décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003 N° Lexbase : A0372DIM).
En 1982, les Sages ont estimé que "la Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi, mais a voulu, à côté du domaine réservé à la loi, reconnaître à l'autorité réglementaire un domaine propre [...]" (Cons. const., décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982 N° Lexbase : A8045ACX). La jurisprudence "Dehaene" (CE Sect., 7 juillet 1950, n° 01645, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5106B7A), relative au droit de grève des fonctionnaires, qui autorise un empiètement dérogatoire sur la compétence du législateur, ne se conçoit, cependant, qu'à titre exceptionnel. Elle ne se justifie pas seulement par l'absence de loi, mais aussi par le fait que le Gouvernement peut être placé dans l'obligation d'agir en raison de l'impérative nécessité d'assurer la continuité du service public. Presque trois décennies plus tard, ce sont les juges du Palais-Royal qui ont dit pour droit que les dispositions de l'article 7 de la Charte de l'environnement, combinées à celles de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), telles qu'elles résultent de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, relative à la Charte de l'environnement (N° Lexbase : L0268G8G), ont réservé au législateur le soin de préciser "les conditions et les limites" dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et à participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
En conséquence, ne relèvent du pouvoir réglementaire, depuis l'entrée en vigueur de ces dispositions, que les mesures d'application des conditions et limites fixées par le législateur (CE, Sect., 3 octobre 2008, n° 297931, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5992EA8). Les Hautes juridictions ont toujours reconnu au pouvoir réglementaire une compétence générale de mise en oeuvre de tous les principes de nature législative (Cons. const, décision n° 61-13 L du 3 mai 1961 N° Lexbase : A7799ACT). Ainsi, si le domaine de la procédure pénale relève de la compétence législative, toutes les modalités d'application des principes fondamentaux de cette procédure peuvent relever de la compétence réglementaire. L'on peut citer en exemple les décisions touchant l'organisation des prisons et du régime pénitentiaire, des aménagements des modalités d'application des longues peines, des décisions d'affectation des condamnés, des mesures réglementant les sanctions disciplinaires à l'intention des établissements pénitentiaires (CE, Sect., 4 mai 1979, n° 96218 N° Lexbase : A2627AKI). Cependant, et même dans un but d'intérêt général, le pouvoir réglementaire ne saurait modifier le champ d'application de codes institués par la loi (CE, Ass., 27 novembre 1995, n° 87630, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6375ANG).
Dans la décision n° 362280 du 7 mai 2013, les juges du Palais-Royal adoptent la même position en précisant que le pouvoir règlementaire n'a comme unique compétence que de prendre les dispositions d'application des mesures législatives en matière de parité. Cette décision pouvait sembler logique car, peu auparavant, le Conseil d'Etat avait déjà consacré une certaine prédominance du domaine législatif. Dans un arrêt rendu le 19 juin 2006 (CE 1° et 6° s-s-r., 19 juin 2006, n° 282456, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9810DPZ), il avait énoncé que, lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en oeuvre des principes énoncés aux articles 1, 2 et 6 de la Charte de l'environnement de 2004, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, la légalité des décisions administratives s'apprécie par rapport à ces dispositions, sous réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur de la Charte, quelles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui découlent de celle-ci. Dans cette même décision, ils avaient écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des articles 1er, 2 et 6 précités, au motif que des dispositions législatives avaient été prises pour assurer la mise en oeuvre des principes énoncés à ces articles, la légalité des décisions administratives ne pouvait être appréciée que par rapport à ces seules dispositions.
Dans la décision du 7 mai 2013, le Conseil d'Etat a constaté que la règle édictée par la disposition contestée ne trouvait aucune base législative. En conséquence, sans se prononcer sur le fond de la règle, il l'a annulée comme entachée d'incompétence. L'on peut en déduire que, si la nécessaire protection des libertés publiques relève, de facto, de la compétence des autorités désignées par le suffrage universel, cette prépondérance ne doit pas, cependant, entraîner une délimitation irraisonnée du domaine législatif, au risque, comme en l'espèce, d'aboutir à un résultat allant à l'encontre de l'égalité entre les citoyens, à savoir la négation du principe de parité.
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