Jurisprudence : CE Contentieux, 04-05-1979, n° 96218

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 96218

Comité d'action des prisonniers et autres et Syndicat de la magistrature

Lecture du 04 Mai 1979

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)




Sur le rapport de la 6ème Sous-Section

Vu 1°), sous le n° 96, la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour 1° le Comité d'action des prisonniers, association régie par la loi de 1901, dont le siège social est 15, rue des Trois-Frères à Paris 18ème, représentée par son président en exercice domicilié audit siège, 2° le Syndicat des avocats de France, dont le siège social est 18 bis, avenue de Versailles à Paris 16ème, réprésenté par son président en exercice, domicilié audit siège, 3° le Mouvement d'action judiciaire, association dont le siège est 17, avenue de Messine à Paris 8ème, représentée par son président en exercice domicilié audit siège, ladite requête et ledit mémoire enregistrés les 18 juillet et 3 novembre 1975, au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler pour excès de pouvoir le décret n° 75-402 en date du 23 mai 1975, modifiant certaines dispositions du Code des procédure pénale;

Vu 2°), sous le n° 218, la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour le Syndicat de la magistrature, dont le siège est 4, rue Olier à Paris 15ème, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés audit siège, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 28 juillet 1975 et 14 janvier 1976, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler le décret du 23 mai 1975, attaqué par la requête n° 96;

Vu le Code de procédure pénale;

Vu la loi n° 78-788 du 28 juillet 1978;

Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;

Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977.
Considérant que les requêtes du Comité d'action des prisonniers, du Syndicat des Avocats de France et du mouvement d'action judiciaire d'une part, et du Syndicat de la magistrature d'autre part, tendent à l'annulation d'un même décret; qu'il convient de les joindre pour y être statué par une seule décision;

Sur les fins de non recevoir opposées aux requêtes par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice:
Considérant que les requêtes soutiennent que le décret du 23 mai 1975 modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale est illégal pour avoir diversifié les établissements pénitentiaires, modifié le régime des affectations et des changements d'affectation des condamnés en restreignant les pouvoirs des juges de l'application des peines, rompu la règle de l'égalité de traitement entre les condamnés et modifié les sanctions disciplinaires qui leur sont applicables;
En ce qui concerne la requête n° 96:
Considérant qu'aux termes de ses statuts, l'association dénommée "Comité d'action des prisonniers" qui regroupe en priorité d'anciens détenus a notamment pour objet d'améliorer le sort des détenus et des condamnés; qu'ainsi la requête enregistrée sous le n° 96 est recevable en tant qu'elle émane de cette association; que dans ces conditions, il est sans intérêt de rechercher si ladite requête est recevable en ce qui concerne le syndicat des avocats de France et le mouvement d'action judiciaire;
En ce qui concerne la requête n° 218:
Considérant que le syndicat de la magistrature a pour objet la défense des intérêts professionnels des magistrats; qu'eu égard à cet objet le syndicat justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour attaquer par la voie du recours pour excès de pouvoir le décret du 23 mai 1975; que l'existence d'une "association nationale des juges et anciens juges de l'application des peines" ne rend pas irrecevable la requête du syndicat dès lors que l'ensemble des magistrats a vocation à assurer les fonctions de juge de l'application des peines; qu'ainsi le Ministre de la Justice n'est pas fondé à soutenir que le syndicat de la magistrature n'est pas recevable à attaquer le décret du 23 mai 1975;

Sur l'intervention du groupe multiprofessionnel des prisons à la requête n° 96:
Considérant que l'association "groupe multiprofessionnel des prisons" a intérêt à l'annulation du décret attaqué; que par suite son intervention est recevable;

Sur la légalité externe:
Considérant d'une part, qu'aux termes de l'article D. 235 du Code de procédure pénale: "le Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire délibère soit en commission soit en Assemblée générale sur les questions relevant de la compétence de la direction de l'administration pénitentiaire et qui sont soumises à son examen par le Ministre de la Justice"; qu'il résulte de ces dispositions que la consultation de ce Conseil est laissée à la libre décision du Ministre de la Justice; que par suite le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait intervenu sur une procédure irrégulière pour n'avoir pas été soumis à ce Conseil ne peut qu'être rejeté;
Considérant d'autre part que le décret attaqué a été pris en application de l'article 728 du Code de procédure pénale qui renvoie à un décret simple le soin de déterminer l'organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires et qu'il ne modifie que des articles figurant à la partie réglementaire du Code de procédure pénale contenant les décrets simples; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'à raison de son objet ledit décret aurait du être soumis au Conseil d'Etat, ni qu'il n'aurait pu légalement intervenir qu'après que le Conseil constitutionnel se soit prononcé, en application de l'article 37, alinéa 2 de la Constitution;

Sur la légalité interne:
En ce qui concerne la diversification des établissements pénitentiaires:
Considérant qu'après avoir, dans son article 717, posé le principe que les condamnés à de longues peines "purgent leur peine dans une maison centrale", tandis que les condamnés à de courtes peines "sont détenus dans une maison de correction", le Code de procédure pénale, dans son article 728, renvoie à un décret le soin de déterminer "l'organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires"; qu'en application de cette dernière disposition, le décret attaqué a procédé à la diversification des établissements pénitentiaires prévus pour les condamnés à une longue peine en les répartissant en trois catégories, et à l'uniformisation du régime d'incaracération applicable à chacune de ces catégories; que cette diversification qui, ainsi qu'il vient d'être dit, n'affecte que les établissements prévus pour de longues peines, ne remet pas en cause la distinction opérée par l'article 717 du Code de procédure pénale, et ne porte par là même aucune atteinte à l'article 34 de la Constitution lequel réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant la procédure pénale;
Considérant qu'en procédant à la détermination du régime d'incarcération applicable aux divers types d'établissements pénitentiaires appelés à recevoir les condamnés à de longues peines, le Gouvernement s'est borné, par le décret attaqué, à définir les modalités d'exécution de ces longues peines; que par suite les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'il aurait, par la disposition attaquée, institué de nouvelles peines, en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution;
En ce qui concerne l'affectation des condamnés dans les établissements pénitentiaires:
Considérant qu'aux termes de la première phrase de l'article D. 70-3 du Code de procédure pénale tel qu'il résulte du décret attaqué: "les affectations des condamnés à une longue peine sont décidées exclusivement par l'administration centrale des services pénitentiaires à la suite de la procédure d'orientation visée à la section II"; que cette procédure, au cours de laquelle des renseignements de toute nature sur l'intéressé sont receuillis, notamment grâce à une enquête sociale et à des examens médicaux effectués le cas échéant au Centre national d'orientation de l'administration pénitentiaire, permet de déterminer l'établissement qui convient le mieux à chacun des condamnés; que cet article qui se borne à conférer à l'administration en application de l'article 718 du Code de procédure pénale un pouvoir d'appréciation s'exerçant suivant les règles ci-dessus indiquées n'est entaché d'aucune illégalité;
En ce qui concerne les changements d'affectation des condamnés à de longues peines:
Considérant qu'aux termes du 1er alinéa de l'article 722 du Code de procédure pénale dans sa rédaction en vigueur lors de la publication du décret attaqué: "auprès de chaque établissement pénitentiaire, le juge de l'application des peines détermine pour chaque condamné les principales modalités du traitement pénitentiaire en accordant notamment le placement à l'extérieur, la semi liberté et les permissions de sortir. Dans ceux de ces établissements où le régime est progressivement adapté au degré d'amendement et aux possibilités de reclassement des condamnés, il prononce son admission aux différentes phases de ce régime";
Considérant d'une part que le Gouvernement, en diversifiant et en spécialisant, comme il a été dit ci-dessus, les divers types de maisons centrales, n'a pas pour autant, par le décret attaqué, privé les condamnés de la possibilité de bénéficier d'un régime progressivement adapté à leur degré d'amendement et à leurs possibilités de reclassement, dès lors qu'il prévoit expressément que les affectations des condamnés peuvent être modifiées au cours de l'exécution de la peine compte tenu notamment de leur comportement;
Mais considérant que les nouvelles modalités d'application du régime progressif prévues par le décret attaqué, ont pour conséquence de faire obstacle à l'exercice des pouvoirs conférés au juge de l'application des peines pour l'admission aux différentes phases de ce régime tels qu'il résultent de la deuxième phase de l'alinéa 1er de l'article 722 du Code de procédure pénale précité; que dans ces conditions les requérants sont fondés à demander dans cette mesure l'annulation du décret attaqué;
En ce qui concerne l'égalité de traitement entre les condamnés:
Considérant qu'en application des articles 722 et 723 du Code de procédure pénale, les condamnés à une longue peine peuvent obtenir lorsqu'ils ont purgé une partie de leur peine, des mesures telles que le placement à l'extérieur, la semi liberté et les permissions de sortir; que le décret attaqué se borne, ainsi que le prévoit le dernier alinéa de l'article 723, à déterminer les conditions auxquelles ces diverses mesures sont accordées et appliquées; que si les centres de détention se caractérisent pas rapport aux autres types de maisons centrales par un régime plus libéral, cette circonstance n'est pas constitutive d'une rupture de l'égalité de traitement entre condamnés, dès lors que chacun a vocation à être détenu dans un tel centre;
En ce qui concerne les sanctions disciplinaires:
Considérant que les dispositions du décret attaqué relatives aux sanctions disciplinaires et qui consistent d'ailleurs presque exclusivement en des modifications de forme apportées au régime préexistant de punitions, ont pour objet de réglementer les mesures d'ordre intérieur destinées à assurer la discipline dans les établissements pénitentiaires; que par suite les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions contestées seraient relatives au régime des peines, au sens de l'article 34 de la Constitution.
DECIDE
Article 1er: L'intervention du groupe multiprofessionnel des prisons à la requête n° 96 est admise.
Article 2: Le décret attaqué est annulé en tant qu'il est contraire aux dispositions sur les pouvoirs du juge de l'application des peines relatifs à l'admission aux différentes phases du régime progressif et qui étaient contenues, à la date du décret attaqué, dans l'article 722 premier alinéa 2ème phrase du Code de procédure pénale.
Article 3: Le surplus des conclusions des requêtes du Comité d'action des prisonniers et autres et du Syndicat de a magistrature est rejeté.

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