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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 17 Décembre 2011
Julien Bonnat : Je rappelle que l'article L. 551-18 du Code de justice administrative ([LXB=L1598IEW ]) énonce trois cas dans lesquels le juge prononce la nullité du contrat : lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise ou en cas d'omission d'une publication au JOUE lorsque celle-ci est obligatoire (alinéa 1), en cas de méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique (alinéa 2), ou en cas de signature du contrat avant l'expiration du délai de standstill qui s'impose à compter de l'envoi de la décision d'attribution ou avant l'expiration du délai de suspension qui court dès l'introduction d'un référé précontractuel (alinéa 3). Les cas visés aux deux premiers alinéas concernent des irrégularités extrêmement graves, peu constatées dans la pratique. C'est donc essentiellement le cas visé à l'alinéa 3, c'est-à-dire le non-respect du délai de standstill ou de suspension, qui est le plus souvent invoqué devant le juge. S'agissant néanmoins des MAPA, non assujettis aux prescriptions de l'article 80 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L0165IRK), le Conseil d'Etat considère que l'annulation d'un tel contrat ne saurait résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas. En d'autres termes, la Haute juridiction considère que l'article L. 551-18 ne trouve à s'appliquer qu'aux procédures de passation formalisées.
Alors que l'on aurait pu penser que ce nouveau référé avait pour but de sanctionner tous les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CJA, art. L. 551-14 N° Lexbase : L1603IE4) et ce, indépendamment du respect ou non des délais suspensifs, le juge administratif estime que la voie du référé contractuel est fermée si les délais de standstill ou de suspension ont été respectés. Il ressort donc de la jurisprudence la consécration du référé précontractuel comme recours privilégié en matière de commande publique et le cantonnement du référé contractuel aux hypothèses de manquements d'une exceptionnelle gravité. Aujourd'hui, le référé contractuel est clairement un recours subsidiaire au référé précontractuel.
L'on peut légitimement s'interroger sur la conformité d'une telle jurisprudence au regard de l'esprit de la Directive "Recours" dont l'objectif premier était de lutter contre les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence, mais aussi de renforcer les droits des concurrents évincés.
Lexbase : Quels sont les rapports entre le référé contractuel et le référé précontractuel ?
Julien Bonnat : Le référé contractuel aurait pu être le pendant du référé précontractuel après la signature. En effet, il peut être exercé à l'encontre des mêmes contrats (CJA, art. L. 551-13 N° Lexbase : L1581IEB), et il vise, également, à sanctionner les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CJA, art. L. 551-14), ce qui nécessite pareillement du requérant la démonstration d'un intérêt lésé (CJA, art. L. 551-14). Mais, en pratique, les irrégularités ouvrant la voie du référé contractuel sont beaucoup plus limitées que celles sanctionnées par le juge du référé précontractuel. Seules les violations les plus graves énumérées à l'article L. 551-18 permettent au juge du référé contractuel de mettre en oeuvre ses pouvoirs. En outre, alors que le juge du référé précontractuel sanctionne généralement les manquements avérés par l'annulation de la procédure de passation, le juge du référé contractuel ne prononcera la nullité du contrat que dans les seules hypothèses de l'article L. 551-18. Le prononcé d'une telle nullité restera donc exceptionnel.
Le requérant devra démontrer que les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence qu'il invoque ont affecté ses chances d'obtenir le contrat, qu'il satisfait à la condition de l'intérêt lésé tirée de la jurisprudence "Smirgeomes" (CE, S., 3 octobre 2008, n° 305420, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5971EAE) et reprise à l'article L. 551-14 du Code de justice administrative, mais surtout que la violation des délais de suspension ou de standstill ne lui a pas permis d'intenter un référé précontractuel, le référé contractuel n'étant pas une séance de rattrapage. A cet égard, il convient de noter qu'un candidat évincé peut toutefois "passer" d'un référé précontractuel à un référé contractuel s'il est resté dans l'ignorance de la signature du marché et qu'il le découvre en cours d'instance. Cette passerelle entre les deux référés est également possible lorsque le candidat évincé ignorait la signature du marché et que le pouvoir adjudicateur a omis de mentionner, dans la lettre de rejet de son offre, la durée du délai de suspension qu'il s'imposait de respecter. Cette voie de secours sera cependant fermée si le requérant omet de notifier son référé précontractuel au pouvoir adjudicateur qui a signé le contrat dans l'ignorance dudit référé.
Enfin, même si le requérant parvient à établir que l'ensemble des conditions rappelées ci-dessus est réuni, il n'obtiendra pas forcément l'annulation du marché. Le juge pourra, en effet, décider de ne pas prononcer la nullité du contrat au nom de l'intérêt général et préférer alors la résiliation du contrat, la réduction de sa durée, voire se contenter d'imposer des pénalités financières au pouvoir adjudicateur (CJA, art. L. 551-19 N° Lexbase : L6357IQI), sanction qui ne présente que peu d'intérêt pour le candidat évincé.
Lexbase : Constate-t-on après la signature du contrat des manquements non sanctionnés ?
Julien Bonnat : L'interprétation des dispositions du Code de justice administrative faite par les tribunaux comporte deux effets pervers. Premièrement, l'acheteur pourrait être tenté de signer prématurément le contrat, en violation du délai de standstill, dans le seul but d'échapper au juge du référé précontractuel. Il s'exposera, certes, au contrôle du juge du référé contractuel mais craindra des sanctions moins sévères que l'annulation de la procédure comme, par exemple, une pénalité financière (dont l'on doute d'ailleurs qu'elle puisse atteindre un jour 20 % du montant hors taxes du contrat litigieux). Agissant de la sorte, l'acheteur pourrait, également, espérer que certains manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence ne soient pas sanctionnés en raison de leur faible importance. Deuxièmement, des irrégularités n'étant révélées qu'après la signature, une fois que le contrat et les documents de la procédure sont devenus communicables en application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (N° Lexbase : L6533AG3), ne pourront pas être censurées par le juge du référé contractuel si le délai de standstill a été respecté.
Eventuellement, ce n'est que plus tard, dans le cadre d'un recours "Tropic" (CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4715DXW) en contestation de la validité du contrat, que de tels manquements pourraient être sanctionnés. Et, même dans cette hypothèse, compte tenu de l'attention que le juge du fond porte à la stabilité des relations contractuelles en application de la jurisprudence "Béziers I" (CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0493EQC), il n'est pas du tout certain que ces manquements aboutissent à l'annulation du contrat ; le juge pouvant décider, en fonction de l'importance et des conséquences des irrégularités constatées, la poursuite de l'exécution du contrat, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation, l'annulation de la seule clause irrégulière, ou la résiliation du contrat.
Par ailleurs, il existe désormais une contradiction flagrante entre les dispositions du Code de justice administrative permettant de fermer la voie du référé contractuel ou d'en limiter le délai d'introduction et celle qui considère que le référé contractuel n'est pas envisageable en dehors des irrégularités énoncées à l'article L. 551-18. En premier lieu, pour les MAPA, notamment, le code permet au pouvoir adjudicateur de fermer la voie du référé contractuel en publiant au JOUE un avis relatif à son intention de conclure ce marché, puis en respectant un délai de onze jours entre la date de publication de cet avis et la signature du marché (CJA, art. L. 551-15, alinéa 1er N° Lexbase : L1560IEI). Mais, compte tenu de la jurisprudence selon laquelle la voie du référé contractuel peut, de la même manière, être fermée par l'envoi aux candidats évincés de la décision d'attribution et le respect du délai de standstill, l'on peut légitimement s'interroger sur l'intérêt de faire publier un avis d'intention de conclure, formalité d'achèvement de la procédure plus complexe et plus onéreuse que l'envoi d'une simple lettre recommandée.
Les textes disposent, en second lieu, qu'en dehors des cas dans lesquels la publication d'un avis d'attribution est obligatoire, l'acheteur peut avoir un intérêt à faire publier un tel avis pour ramener le délai de recours du référé contractuel de six à un mois (CJA, art. R. 551-7 N° Lexbase : L9815IEA). En pratique, étant donné qu'il suffit à l'acheteur de satisfaire à ses obligations de publicité (CJA, art. L. 551-18, alinéas 1 et 2) et de respecter le délai de standstill entre l'envoi de la décision d'attribution et la signature du marché (CJA, art. L. 551-18, alinéa 3) pour se mettre définitivement à l'abri d'un référé contractuel, l'on ne perçoit pas, là non plus, l'intérêt de faire publier un avis d'attribution au JOUE.
Lexbase : Quelles seraient les possibilités d'amélioration de l'efficacité du référé contractuel ?
Julien Bonnat : Les dispositions du Code de justice administrative doivent être interprétées dans le sens de leur compatibilité avec les objectifs fixés par la Directive "recours". Aussi, l'article L. 551-18 aurait pu être interprété comme énonçant les trois irrégularités les plus graves pour lesquelles une sanction spécifique et automatique a été prévue : la nullité du contrat et ce, même si l'article L. 551-19 permet au juge de prononcer des sanctions moins importantes dans un but d'intérêt général. Les autres irrégularités, c'est-à-dire les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence autres que ceux mentionnés à l'article L. 551-18, feraient, alors, l'objet des sanctions visées à l'article L. 551-19 : suspension du contrat pendant l'instance, résiliation, réduction de la durée du contrat, pénalité financière, etc.. Ainsi, même en dehors des cas prévus par l'article L. 551-18, la voie du référé contractuel ne serait pas complètement fermée et il serait possible au candidat évincé de faire sanctionner tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, à condition que ce manquement ait été susceptible de le léser au sens de l'article L. 551-14, mais également que l'attitude du pouvoir adjudicateur ait affecté ses chances d'obtenir le contrat.
L'article L. 551-18 est inséré au Code de justice administrative dans la sous-section 2 "pouvoirs du juge" et non dans la sous-section 1 "nature et présentation du recours". Cet article vise donc à encadrer les pouvoirs du juge lorsque celui-ci est en présence des irrégularités les plus graves et non à présenter les trois cas dans lesquelles le référé contractuel est ouvert, à savoir les cas d'ouverture qui figurent à la sous-section 1. De ce constat, il pourrait être déduit que le juge dispose d'une marge d'appréciation dans la mise en oeuvre de ses pouvoirs et qu'il lui reviendrait donc, lorsqu'il constate un manquement, de choisir une sanction en fonction de la gravité de l'irrégularité commise ou de l'importance de la lésion causée.
Cette liberté du juge quant au choix de la sanction est, d'ailleurs, clairement consacrée pour une hypothèse en particulier : celle visée à l'article L. 551-20 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1585IEG). Cet article pourrait, d'ailleurs, être réécrit afin de se distinguer plus nettement de l'article L. 551-18 visant les cas graves d'irrégularités entraînant la nullité du contrat. Sans être conditionné par la violation du délai de standstill ou de suspension, l'article L. 551-20 pourrait être libellé ainsi : "en dehors des cas prévus à l'article L. 551-18, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière". Au final, les dispositions du Code de justice administrative seraient interprétées comme destinées à sanctionner les mêmes manquements que ceux visés par le référé précontractuel tout en prévoyant des sanctions différentes selon que le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence constaté figure ou non parmi les irrégularités graves visées à l'article L. 551-18. Enfin, la publication d'un avis relatif à l'intention de conclure et la publication d'un avis d'attribution retrouveraient, dans ce cadre, tout leur intérêt pour fermer la voie du référé contractuel ou, tout du moins, limiter le délai de recours à l'encontre du contrat.
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