Lexbase Affaires n°267 du 6 octobre 2011 : Droit financier

[Jurisprudence] Cession de contrôle et offre publique obligatoire

Réf. : Cass. com., 6 septembre 2011, n° 10-24.911, F-D (N° Lexbase : A5418HXX)

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N8050BSX

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par Emilie Mazzei, ATER à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne

le 06 Octobre 2011

L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 6 septembre 2011 est l'occasion de revenir sur le régime des offres publiques obligatoires, régime révisé par la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 (loi n° 2010-1249, N° Lexbase : L2090INQ) (1). Il interroge diverses notions liées au régime de l'offre publique d'achat, notion de contrôle indirect, incidence d'une introduction en bourse et seuil de déclenchement de la réglementation des offres publiques.
En l'espèce, par acte du 6 août 2004, la société MO a cédé à la société IC l'intégralité des titres représentant le capital de la société ALBP, elle-même détentrice de 66,65 % des actions émises par la société anonyme IM. L'un des actionnaires minoritaires de cette société a soutenu que ladite vente d'actifs était devenue parfaite au moment de l'introduction en bourse de la société, introduction intervenue le 17 décembre 2004. Par conséquent, cet actionnaire a demandé à bénéficier d'une offre publique d'achat obligatoire en application des dispositions de l'article 234-3, 1°, ancien du règlement général de l'Autorité des marchés financiers . L'AMF a rejeté cette demande, décision de rejet ensuite confirmée par la cour d'appel de Paris (CA Paris, 5, Pôles 5 et 7, 18 mai 2010, n° 2009/18425 N° Lexbase : A9324GAL). Dans ces circonstances, l'actionnaire minoritaire a formé un pourvoi en cassation invoquant -au-delà de certaines questions de procédure non développées en l'espèce- la violation des articles 1583 (N° Lexbase : L1669ABG) et 1591 (N° Lexbase : L1677ABQ) du Code civil. Les différents arguments du pourvoi ne sont in fine pas retenus par la Cour de cassation (I). Elle a, en effet, considéré que les facteurs de déclenchement de l'offre publique obligatoire n'étaient pas réunis en l'espèce (II). I - Les facteurs de déclenchement de l'offre publique obligatoire

La Cour de cassation précise l'application du régime relatif aux offres publiques obligatoires (A). Elle revient plus précisément sur la notion de prise de contrôle indirect (B).

A - Les conditions d'application de l'article 234-3, 1° du règlement général de l'AMF

La principale problématique soulevée par le pourvoi était celle de savoir si les conditions d'application de l'article 234-3, 1° du règlement général de l'AMF étaient en l'espèce réunies. Pour rappel, l'article 234-3 précité veillait à la protection des minoritaires lors de la prise de contrôle dite indirecte d'une société cotée. Il s'agissait de soumettre au régime des offres publiques obligatoires (OPO) la prise de contrôle d'une société détenant un tiers du capital ou des droits de vote de ladite filiale admise sur un marché réglementé.

L'article 234-3, 1° complétait sur ce point l'article 234-2 du règlement général de l'AMF aux termes duquel "lorsqu'une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2305INP), vient à détenir plus du tiers des titres de capital ou plus du tiers des droits de vote d'une société, elle est tenue à son initiative d'en informer immédiatement l'AMF et de déposer un projet d'offre visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote, et libellé à des conditions telles qu'il puisse être déclaré conforme par l'AMF". Les éléments déclencheurs de l'offre publique obligatoire s'appréciaient donc au regard de plusieurs critères : celui bien évidemment (même si l'espèce révèle que la question n'est pas aussi évidente qu'il y paraît) de l'admission sur un marché réglementé de la société, celui du dépassement du seuil du tiers des titres/droits de vote par l'actionnaire détenteur et enfin, celui de la modification du contrôle de cet actionnaire par un nouvel investisseur.

Certains de ces critères ont évolué. Sans revenir de façon très détaillée sur les changements opérés par la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 (2), complétée en cela par l'arrêté du 31 janvier 2011 (3), l'on en peut rappeler, cependant, quelques mesures : le seuil de déclenchement des offres publiques obligatoires est passé du tiers à 30 % (4) ; le mode de calcul de ce seuil de déclenchement a été aligné sur celui des déclarations de seuils légaux tels que prévus par le Code de commerce ; enfin, et plus particulièrement, l'article 234-3 du règlement général de l'AMF a été abrogé. Aussi, l'article 234-2 intègre désormais et généralise l'hypothèse de prise de contrôle indirect ; les cas de dérogations à l'OPO font, par ailleurs, l'objet de nouveaux articles du règlement (voir notamment, les articles 234-7, art. 234-9, 8° et 9° du règlement général de l'AMF).

La solution proposée par le présent arrêt n'est cependant pas hors de propos, ni d'actualité. D'une part, il revient sur la notion de contrôle, d'autre part, il engage la réflexion sur le lien entre conclusion d'un contrat de cession de droits sociaux et prise de contrôle de la société.

B - Le critère retenu par la cour de cassation : le moment de la prise de contrôle

La Cour de cassation apprécie le moment où la prise de contrôle a été effectuée par la société cessionnaire. Le raisonnement est ici très simple : il s'agit de savoir si la prise de contrôle indirecte de la société filiale s'est effectuée avant ou après l'admission sur le marché réglementé, la cotation étant l'élément déclencheur de l'application du régime des offres publiques. Il s'agit et de retracer la chronologie des événements et d'établir s'il y a eu ou non prise de contrôle.

Pour apprécier ces deux points, la Cour de cassation reprend à son propre compte les arguments du pourvoi. Ce dernier avait, entre autres, déclaré que "l'introduction en bourse de la filiale dépendait d'une décision des actionnaires et administrateurs de la société détentrice", c'est-à-dire, en définitive, d'une décision du cessionnaire qui détenait la majorité du capital de la société détentrice. Autrement dit, le pourvoi est allé à l'encontre de ses propres intérêts, en contradiction de ses demandes. C'est donc la réalité du contrôle indirect de la société que va apprécier en l'espèce la Cour de cassation.

A cela plusieurs observations. D'une part, les juges du Quai de l'Horloge confirment sur ce point le raisonnement de la cour d'appel. Selon la cour d'appel, l'information donnée au marché pour l'admission des titres de la filiale, et notamment son prospectus, faisait clairement état du changement de contrôle indirect de cette dernière à la date de la cession de titres. De plus, la société détentrice avait été dissoute avant l'introduction en bourse : dès lors, la prise de contrôle n'aurait pu de toute façon intervenir après l'admission des titres sur le marché réglementé.

D'autre part, la Cour de cassation se base sur une conception classique du contrôle (5), notion organisée par l'article L. 233-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L4050HBM). Pour rappel, selon les termes de ce texte, une société est considérée comme en contrôlant une autre lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de la société (1°), qu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société (2°) ou lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose les décisions dans les assemblées générales de la société (3°). En l'espèce, c'est bien ce contrôle de fait que retient la Cour de cassation : dès lors que la société cessionnaire peut décider, seule, de l'introduction en bourse de la société filiale, elle en a nécessairement le contrôle de fait (6).

Selon les conclusions qu'en retire la Cour, l'investisseur cessionnaire a usé d'un pouvoir de décision quasi-discrétionnaire. La prise de contrôle étant antérieure à la cotation, les dispositions de l'article 234-3 du règlement général de l'AMF sont forcément inapplicables. Ce sera uniquement le moment du contrôle qui conditionnera l'offre publique : la Cour de cassation ne fait donc pas référence dans sa décision au moment de la conclusion de la cession d'actifs.

II - Les éléments non retenus par la Cour de cassation

La Cour de cassation passe sous silence les arguments du pourvoi tenant au moment de la conclusion définitive de la vente d'actifs (A). Elle fait par là même la distinction entre cession d'actifs et prise de contrôle (B).

A - Le moment de la conclusion de la cession d'actifs

La Cour de cassation, se prononçant exclusivement sur la prise de contrôle de la société, ne répond pas réellement aux arguments du pourvoi. Ce dernier rappelait dans le fil de son argumentaire les dispositions de l'article 1591 du Code civil : pour que la vente soit parfaite, il est nécessaire que le prix de vente soit déterminé ou du moins déterminable. En l'espèce, une clause de prix, insérée dans l'acte de cession du 6 août 2004, prévoyait que la société cessionnaire serait débitrice d'un complément de prix en cas d'admission des actions de la société sur un marché réglementé. Dès lors, ce complément de prix n'était pas, selon le pourvoi, une modalité de paiement mais une partie du prix lui-même. Autrement dit, le prix de vente n'était devenu déterminable, et donc la vente parfaite, qu'au moment où l'introduction en bourse avait été effective. Il y aurait, par conséquent, lieu de mettre en oeuvre une offre publique ou une garantie de cours au bénéfice des actionnaires minoritaires.

La cour d'appel avait, au contraire, auparavant confirmé que le prix de cession des titres était déterminé au sens de l'article 1591 du Code civil lors de la conclusion du contrat le 6 août 2004 : le prix de la cession pouvait être déterminé par les clauses mêmes du contrat, en dehors de toute expression nouvelle de volonté des parties. Les termes du contrat étaient suffisamment précis, le prix était donc déterminable. Dans ces conditions, en application de l'article 1583 du même code, la vente des titres était parfaite avant l'introduction en bourse. L'argumentaire du pourvoi a ainsi été rejeté par la cour d'appel ; il est maintenant ignoré par la Cour de cassation. Cette dernière ne se positionne pas sur un tel débat et ne se prononce ni sur le moment de la détermination du prix, ni sur celui de la conclusion de la vente d'actifs, cette question étant en fait absente des dispositions applicables aux offres publiques obligatoires. La question qui se pose alors est celle de l'articulation entre les deux notions en l'espèce.

B - Cession de contrôle et cession d'actifs

Ainsi, il ne s'agit pas de savoir à quel moment la cession de titres a eu lieu mais de savoir à quel moment a eu lieu la modification du contrôle sociétaire : seul le moment de la prise de contrôle peut être un fait générateur de la réglementation des offres publiques. L'exécution du contrat de vente d'actifs sous-jacent à la prise de contrôle est en fait sans incidence sur l'applicabilité de la réglementation financière.

C'est en ce sens qu'il faut comprendre et lire la décision rendue par la cour d'appel selon laquelle "l'obligation de dépôt d'une offre publique imposée par le règlement général de l'AMF à la suite du franchissement direct ou indirect du seuil du tiers du capital ou des droits de vote et d'un changement de contrôle ne peut être subordonnée aux modalités de paiement du prix de cession des titres concernés".

Reste à savoir si la Cour de cassation sous-entend que prise de contrôle et cession d'actifs, sont nécessairement concomitantes : la réalité de la prise de contrôle intervenue le 6 août 2004 induirait alors nécessairement la conclusion d'une vente parfaite à la même date. Rien n'est moins sûr. Les deux mécanismes obéissent à deux logiques différentes. L'une est du domaine du contrat, l'autre du domaine du droit financier : le droit financier est, dans ce domaine, moins exigeant, puisqu'il est suffisant de constater un changement de contrôle antérieur à l'admission à la négociation sur un marché réglementé pour ne pas appliquer les dispositions du règlement général de l'AMF. La constatation d'un contrôle de fait prévaut sur les questions relatives à la conclusion du contrat.


(1) Sur cette question, voir notamment, J.-B. Lenhof, Brèves réflexions sur les nouveaux mécanismes boursiers issus de la loi de régulation bancaire et financière, Lexbase Hebdo n° 228 du 18 novembre 2010 - édition affaires (N° Lexbase : N5750BQZ).
(2) Sur cette question, voir notamment J.-B. Lenhof, art. préc..
(3) Arrêté du 31 janvier 2011, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L3435IPW).
(4) C. mon. fin., art. L. 433-3 I° (N° Lexbase : L2308INS).
(5) Sur la notion de contrôle, voir notamment A. Couret, Retour sur la notion de contrôle, RJDA, 4/1998, p. 279 ; M. Storck, La définition légale du contrôle d'une société en droit français, Rev. sociétés, 1986, p. 385 ; H. Le Nabasque, Recherches sur le contenu de la notion de contrôle en droit des sociétés, in L'entreprise, nouveaux apports, Economica ,1987, p. 111.
(6) Selon la jurisprudence, et pour rappel, il faut appliquer les principes de la lex societatis pour déterminer s'il y a eu prise de contrôle dont la société détentrice fait l'objet (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 02-12.903, F-D N° Lexbase : A6949DAM) ; Banque et droit, 2004, n° 94, p. 36, chronique H. De Vauplane et J.-J. Daigre)

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