Lexbase Affaires n°267 du 6 octobre 2011 : Concurrence

[Evénement] Le pouvoir consultatif de l'Autorité de la concurrence

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 06 Octobre 2011

L'Autorité, qui dispose d'une compétence générale en matière de concurrence, peut se saisir de sa propre initiative ou être saisie de demandes d'avis sur toute question de concurrence, sur les propositions de lois, les projets de textes réglementant les prix ou restreignant la concurrence (C. com., art. L. 462-1 N° Lexbase : L9004IP8). Pour revenir sur cette fonction consultative, dont l'essor est particulièrement remarquable ces dernières années, le cabinet Clifford Chance a organisé, sous l'égide la revue Concurrence, un déjeuner-conférence le vendredi 30 septembre 2011, ayant pour thème "Les entreprises face au pouvoir consultatif renforcé de l'Autorité de la concurrence", auquel Lexbase Hebdo - édition affaires a assisté. C'est autour de deux tables rondes que les échanges se sont déroulés : la première était consacrée aux enjeux attachés à ces avis, alors que la seconde traitait de la procédure qui leur est applicable. Ces deux tables rondes étaient animées par Maître Patrick Hubert, avocat associé, Clifford Chance, à qui est revenu le soin d'introduire la conférence et d'exposer ses réflexions sur le premier thème, Maître Marie de Drouâs, Clifford Chance, a, quant à elle, présenté les développements consacrés au second thème abordé. Par ailleurs, Maître Oliver Bretz, avocat associé, Clifford Chance est intervenu pour présenter le fonctionnement du pouvoir consultatif de l'OFT et Patrick Spilliaert, vice-Président de l'Autorité de la concurrence, a répondu aux questions des participants et a fait part de ses appréciations et de ses opinions personnelles sur le sujet.

Dans ces propos introductif, Patrick Hubert a tenu à préciser qu'il pourrait apparaître paradoxal, de prime abord, de traiter du pouvoir consultatif du gendarme de la concurrence comme un sujet d'actualité alors que le Conseil de la concurrence a eu, dès 1986, une activité consultative. Pourtant, et à y regarder de plus près, un constat semble s'imposer : cette activité connaît une importance tout à fait renouvelée.
De cela on peut donner quelques indices :
- le premier réside évidemment dans le pouvoir d'autosaisine en la matière qu'a reconnu l'ordonnance du 13 novembre 2008 (ordonnance n° 2008-1161, portant modernisation de la régulation de la concurrence N° Lexbase : L7843IB4) à l'Autorité, cette dernière n'étant plus désormais soumise à un quelconque bon vouloir du Gouvernement ou des syndicats professionnels ;
- le second tient aux statistiques : en 2011, l'Autorité a déjà rendu 16 avis, dont 2 sur autosaisine, en 2010, elle a rendu 31 avis dont 3 sur autosaisine, et en 2009, elle a rendu 26 avis dont 2 sur autosaisine.

Lors échanges avec la salle, Patrick Spilliaert a rappelé que l'Autorité de la concurrence est une autorité administrative. Or, l'administration a l'habitude de rendre des positions, des rapports, etc.. Il s'agit là d'une pratique très ancrée, par exemple pour le Conseil d'Etat ou la Cour des comptes. Il lui apparaît, dès lors, assez naturel de la part d'un Gouvernement, d'une commission parlementaire ou encore d'associations professionnelles, et même de l'institution elle-même de produire un certain nombre d'avis. Cet accroissement du nombre d'avis est aussi dû, selon lui, certes au renforcement des pouvoirs de l'Autorité, mais aussi au fait qu'elle intervienne dans un droit stratégique pour l'économie, au coeur de la construction du marché unique en Europe.

Mais, si la quantité des avis est loin d'être prégnante, plus que l'aspect quantitatif, c'est finalement l'évolution de leur contenu qui interpelle et leur caractère de "quasi-norme". Et Patrick Hubert de citer, pour illustrer son propos, l'avis du 14 décembre 2010 (Autorité de la conc., avis n° 10-A-29 du 14 décembre 2010, sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne N° Lexbase : X9116AH4) rendu à la demande du Gouvernement, qui se termine par un tableau apparaissant comme une espèce de guide pour les avocats et les entreprises pour déposer des plaintes.

I - Les enjeux

A - L'avis porteur de sécurité juridique

Pour Patrick Hubert, une évidence s'impose, d'abord : la procédure consultative présente l'avantage d'être publiée, en principe, avant une sanction. Elle peut en outre être rédigée en des termes assez généraux. L'avis pourra alors être considéré par les entreprises et les avocats, comme un guide, une grille de lecture qui les orientera dans leur prises de décisions et leur permettra, de la sorte, d'éviter de se mettre en contravention avec la loi. Les avis apportent aussi aux praticiens un support supplémentaire pour appuyer leurs conseils, s'ajoutant aux précédents contentieux, lesquels traitent de sujets extrêmement ponctuels et ne répondent pas nécessairement avec exactitude à la situation à laquelle ils sont confrontés.

Un avis peut, par ailleurs, être utilisé comme un précédent dans des décisions contentieuses. Les exemples sont rares mais ne sont pas inexistants. Ainsi l'intervenant a-t-il relevé deux décisions dans lesquelles l'Autorité se réfère à un avis antérieur, à savoir la décision n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 (N° Lexbase : X7837AEY) et la décision n° 10-D-09 du 9 mars 2010 (N° Lexbase : X7115AGM). Dans ces deux cas, il convient de relever que les avis avaient été rendus après un cadre particulier puisqu'il s'agissait d'une demande de l'ARCEP, qui répond à une procédure assez formalisée. Bien que la pratique de décisions contentieuses fondées sur des avis ne soit pas très répandue, l'accroissement du nombre d'avis et leur rédaction toujours plus précise laissent présager qu'elle risque d'être amenée à se développer.

Pour finir, l'avis permet, parfois, de banaliser un terrain que le contentieux n'a pas du tout traité. Il en est, par exemple, ainsi de l'avis sur les jeux en ligne (Autorité de la conc., avis n° 11-A-02, 20 janvier 2011, relatif au secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne N° Lexbase : X9455AHN).

B - L'avis porteur de risque

Le point le plus important est finalement de se poser la question de savoir si l'avis à un caractère obligatoire ou non : la réponse est évidente et l'Autorité le rappelle assez fréquemment, l'avis n'a pas de caractère obligatoire.

Toutefois, comme le relève Patrick Hubert, si juridiquement la réponse semble aller de soi, il n'en va pas nécessairement de même dans la vie des affaires. En effet, une fois l'avis rendu, il semble extrêmement compliqué de s'en écarter. Il sera ainsi très difficile et particulièrement risqué pour un avocat de recommander à une entreprise de ne pas se conformer aux préconisations de l'Autorité de la concurrence. Ceci est d'autant plus vrai que dans certains avis l'Autorité ne se contente pas de préréglementer mais va jusqu'à remettre en cause des pratiques de façon extrêmement précise voire circonstanciée. Ainsi, l'avis sur la grande distribution (Autorité de la conc., avis n° 10-A-26, 7 décembre 2010, relatif aux contrats d'affiliation de magasins indépendants et les modalités d'acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire N° Lexbase : X9075AHL) fixe une durée maximum de 5 ans pour les contrats de franchise ou encore préconise de supprimer les clauses de non-concurrence et droits de priorité dans les contrats d'acquisition de foncier commercial. On le voit, les préconisations de l'Autorité s'apparentent ici plus à des injonctions dont le non-respect expose, à coup sûr, les opérateurs à une procédure contentieuse et donc à une sanction.

Un autre élément important, aux yeux de Maître Hubert, est que cette soft law est délivrée dans le cadre d'une procédure très peu approfondie et discrétionnaire. Elle est discrétionnaire, dans la mesure où les rapporteurs décident des entreprises concernées par la procédure, c'est-à-dire de celles qu'ils entendront et de celles qui seront destinataires du questionnaire. Il est donc tout à fait envisageable que la sélection ainsi opérée de façon discrétionnaire ait pour conséquence que l'Autorité ne prenne pas en compte une réalité économique qu'il n'aurait pas identifiée, faute d'intervention spontanée d'un opérateur du secteur concerné. Pour certains avis, les procédures sont annoncées publiquement, ce qui permet d'avoir au moins connaissance de leur existence ; mais il se peut aussi qu'aucune information ne soit délivrée en amont, avant que l'avis soit rendu.

Enfin, un avis peut porter en germe un véritable contenu normatif, lorsqu'ils seront utilisés, par la suite, par les pouvoirs publics comme la base d'une intervention législative. L'avis se transforme ainsi en norme totalement engageante. C'est le cas par exemple de l'avis sur la grande distribution, puisqu'une partie des recommandations de l'Autorité se retrouve dans un projet de loi, renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, en discussion aujourd'hui.

Concernant le caractère contraignant des avis, Patrick Spilliaert a tenu à préciser que leur contenu découle finalement de la pratique de l'Autorité et constitue une sorte de synthèse de jurisprudence qui est donnée. L'Autorité, dans l'exercice de son rôle consultatif, ne serait donc certainement pas mue par la volonté de prendre des décisions arbitraires et contraignantes. Les entreprises et les praticiens doivent les appréhender ainsi et les utiliser comme tel. Il est préférable, en effet, d'avoir une position de l'Autorité de la concurrence qui ne fait pas grief, qui n'est pas définitive et qui pourra évoluer. Les procédures d'avis n'ont pas pour but de créer un contentieux, cela même si tel peut parfois être leur effet. Par ailleurs, le vice-Président de l'Autorité a insisté la rapidité d'intervention que permet la procédure d'avis. En effet contrairement aux dossiers contentieux qui peuvent durer plusieurs années, dans l'exercice de son pouvoir consultatif, le gendarme de la concurrence maîtrise son calendrier, ce qui permet d'intervenir avec célérité sur des sujets importants et apporter des éclaircissements aux acteurs du marché. 

II - La pratique de la procédure d'avis

Maître Marie de Drouâs a rappelé qu'en matière consultative, aucun texte, aucune réglementation, ne traite de la procédure : en fait, l'Autorité fixe elle même sa propre pratique en la matière. Ceci la différencie considérablement du contentieux, domaine dans lequel l'entreprise qui est visée par une plainte, a le statut de partie, ce qui lui permet d'avoir notamment accès au dossier et à la position du rapporteur, de disposer de délais pour y répondre, ou encore d'être entendue en séance.

En matière consultative, au contraire, les opérateurs du secteur ne sont même pas informés de l'existence d'une demande d'avis. La seule publicité existant concerne l'autosaisine, cas dans lequel l'Autorité a pris l'habitude de diffuser via son site internet un communiqué informant le public de sa décision de se saisir. En revanche, rien de tel si l'Autorité est saisie par un tiers, car s'il lui arrive de diffuser un communiqué de presse, cette pratique n'est pas systématique, si bien qu'il conviendra pour obtenir cette information de se tourner vers la presse ou le tiers saisissant.

Les entreprises n'ont, ensuite, ni droit d'accès au dossier, ni à la position du rapporteur. Elles ne peuvent donc pas se prononcer en faveur ou contre une position qui serait adoptée. Par ailleurs, le rapporteur n'a pas l'obligation d'entendre toutes les entreprises d'un secteur concerné. En outre, lors de la séance, les entreprises entendues, passent tour à tour ; elles n'ont donc pas connaissance de la position des autres entreprises entendues ni de celle du rapporteur.
L'absence d'encadrement de la procédure et de publicité fait donc peser sur les entreprises un réel risque de passer à côté d'un avis.

Ceci exige donc de leur part d'être particulièrement pro-actives. 

La procédure n'étant encadrée par aucun délai, il convient d'agir avec célérité. Ainsi dès que l'entreprise a connaissance d'une procédure d'avis, il est primordial qu'elle s'interroge sur l'opportunité d'intervenir et, le cas échéant, de se manifester auprès des services chargés de l'instruction pour faire valoir sa position. Si un opérateur peut décider de ne pas se manifester, il est en revanche obligé de répondre au questionnaire de l'Autorité et de fournir les informations exactes sous peine de sanctions si l'Autorité l'a sollicité.
Que ce soit lors de l'audition ou sur un questionnaire, Marie de Drouâs conseille vivement d'apporter des réponses claires et de demander de recadrer certaines questions qui pourraient apparaîtrent orientées ou adoptant un parti pris. Il ne faut pas hésiter, non plus, à fournir au rapporteur des documents ou des informations sur le secteur, dans la mesure où il n'a pas nécessairement une connaissance pleine et entière d'un marché donné. Enfin, lors de la séance, l'entreprise peut être entendue par le collège. Si ces auditions sont à la discrétion de l'Autorité, il peut apparaître utile de demander à être entendu pour faire passer un dernier message au collège avant qu'il ne délibère.

Au regard des textes, aucun recours n'est ouvert contre les avis de l'Autorité, mais comme l'ont relevé Marie de Drouâs et Patrick Spilliaert, une entreprise aurait saisi le Conseil d'Etat d'un recours pour excès de pouvoir contre l'avis 10-A-26 (préc.).
Patrick Spilliaert, revenant sur ce recours, a tenu à rappeler, d'une part, que les positions prises par l'Autorité ne peuvent pas constituer une norme sauf à considérer qu'en France, l'administration par sa propre pratique peut constituer une norme, ce qui en droit n'est pas possible et, d'autre part, que la seule question à se poser pour savoir si un recours est envisageable est de déterminer si un avis peut faire grief. Or, à première vue, la réponse doit ici être négative, dans la mesure où par définition, l'avis n'atteint pas le dur de l'intérêt individuel d'une entreprise, il ne saurait lui faire grief.

Au final, est apparue une véritable aspiration de l'assistance à la réformation de la procédure d'avis, afin qu'elle soit plus moderne, plus encadrée et qu'elle garantisse au mieux les intérêts des opérateurs économiques qui y participent.

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