La lettre juridique n°404 du 22 juillet 2010 :

[Jurisprudence] La sanction du cautionnement disproportionné souscrit par le dirigeant, personne physique, au profit d'un créancier professionnel

Réf. : Cass. com., 22 juin 2010, n° 09-67.814, Caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées-Gascogne, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2722E39)

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

le 07 Octobre 2010

Si, en théorie, l'écran de la personnalité morale dont jouit toute société permet aux associés de limiter la prise de risque, ceci étant bien entendu particulièrement vrai pour les sociétés dans lesquelles la responsabilité des associés est limitée, en pratique cet écran est souvent altéré par l'exigence de la part des créanciers, notamment professionnels, d'un engagement personnel. Le schéma classique est donc celui qui met en scène une entreprise qui obtient un prêt de la part d'un établissement de crédit et propose une caution personne physique au créancier, en la personne du dirigeant de l'entreprise. Le développement des emprunts et des cautionnements, et l'importance des sommes prêtées et des garanties, expliquent que le contentieux se soit cristallisé précisément sur ces contrats. Tout cela a conduit la jurisprudence et le législateur à conférer aux cautions une certaine protection ayant vocation à inciter les banques à adopter un comportement loyal envers les cautions et, ainsi, rééquilibrer les relations entre ces parties. Deux obligations essentielles ont donc été mises à la charge des établissements de crédit : l'obligation d'information et l'obligation de proportionnalité du cautionnement aux biens et revenus de la caution. La jurisprudence en la matière est pléthorique, les cautions alléguant souvent l'un ou l'autre des moyens pour être déchargées de leur engagement. L'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 22 juin 2010 s'inscrit dans cette tendance, apportant d'utiles précisions sur le régime juridique applicable à l'article L. 341-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8753A7C) qui dispose qu'"un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation". Les faits étaient des plus classiques : le gérant d'une société s'est rendu caution du prêt consenti à celle-ci par un établissement de crédit. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, le créancier a assigné en exécution de son engagement la caution, qui a invoqué le caractère manifestement disproportionné de son engagement. La banque ayant été condamnée par les juges du fond, elle forme un pourvoi en cassation que la Cour régulatrice rejette. Celle-ci retient :
- d'une part, que la caution étant une personne physique, l'article L. 341-4 du Code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 1er août 2003, était applicable à son engagement ;
- et, d'autre part, que, selon l'article L. 341-4 du Code de la consommation, la sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution étant l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement, il en résulte que cette sanction, qui n'a pas pour objet la réparation d'un préjudice, ne s'apprécie pas à la mesure de la disproportion.

On rappellera brièvement que coexistent, aujourd'hui, un régime jurisprudentiel et deux régimes légaux issus, pour l'un de l'article L. 313-10 du Code de la consommation (N° Lexbase : L4864IEU) et, pour l'autre, de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, étant entendu que le régime jurisprudentiel s'applique dès lors que le cautionnement échappe au champ d'application du régime légal. Chronologiquement, c'est d'abord l'article L. 313-10 du Code de la consommation, reprenant les dispositions de la loi "Neiertz" du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1010, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles N° Lexbase : L2053A4S) applicables aux cautionnements des opérations de crédit à la consommation et de crédit immobilier, qui devait sanctionner, à certaines conditions, le cautionnement manifestement disproportionné eu égard aux biens et revenus de la caution par l'impossibilité pour le créancier de s'en prévaloir. Par la suite, la jurisprudence a, en quelque sorte, "emboîté" le pas au législateur puisqu'elle est parvenue, nul ne l'ignore, à étendre l'exigence de proportionnalité en dehors du domaine visé par l'article L. 313-10 du Code de la consommation, transposant ainsi le principe d'une sanction de la disproportion en droit commun, en faisant néanmoins cette fois appel aux règles de la responsabilité civile. Plus récemment, c'est donc la loi du 1er août 2003, relative à l'initiative économique (loi n° 2003-721 N° Lexbase : L3557BLC) qui a généralisé la sanction du cautionnement excessif : le nouvel article L. 341-4, reprenant textuellement la formulation de l'article L. 313-10 déjà existant, a, en effet, été inséré dans le Code de la consommation.

L'arrêt rendu le 22 juin 2010 concerne donc exclusivement le régime de l'article L. 341-4, c'est-à-dire le cautionnement souscrit par une personne physique au bénéfice d'un créancier professionnel. En premier lieu, la Cour affirme, sans grande surprise que la caution, dirigeant de la société dont les dettes sont cautionnées, peut se prévaloir des dispositions protectrices de l'article L. 341-4 du Code de la consommation (I). En second lieu, elle précise que la sanction du cautionnement disproportionné n'est pas la condamnation au paiement de dommages-intérêts mais, plus largement, l'impossibilité pour le créancier de se prévaloir de l'engagement de caution (II).

I - Champ d'application des dispositions de l'article L. 341-4 du Code de la consommation : les dirigeants, personnes physiques, peuvent se prévaloir de la disproportion de leur engagement

Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus. La Cour, en posant clairement que les dispositions de l'article L. 341-4 du Code de la consommation s'appliquent à la caution dirigeant de la société dont les dettes sont garanties, ne crée pas vraiment la surprise. Cette solution s'imposait en effet à la seule lecture du texte, lequel vise toutes les personnes physiques sans distinguer selon que le garant est ou non averti. La Cour de cassation avait déjà reconnu la possibilité à un dirigeant de société d'invoquer la disproportion de son engagement consenti au bénéfice d'un professionnel (Cass. com., 13 avril 2010, n° 09-66.309, F-D N° Lexbase : A0705EWZ), reprochant à une cour d'appel d'avoir retenu, pour condamner la caution à payer à la banque une certaine somme avec intérêts, que l'emprunteur et sa caution gérant ne pouvaient pas faire plaider la disproportion au regard des ressources antérieures à peine de s'exposer au reproche d'avoir mal évalué les risques de leur entreprise ou contracté de mauvaise foi.

Un champ d'application élargi au regard du régime de protection jurisprudentiel. La loi pour l'initiative économique du 1er août 2003 a, de la sorte, profondément modifié le régime de protection élaboré par la jurisprudence à l'égard des cautions. En effet, dans un arrêt "Macron" de sa Chambre commerciale en date du 17 juin 1997, la Cour de cassation avait considéré, après avoir, pour retenir la responsabilité du créancier, relevé l'énormité de la somme garantie par une personne physique, que le créancier avait commis une faute en demandant un tel aval, "dans des circonstances exclusives de toute bonne foi" de sa part (Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, M. Macron c/ Banque internationale pour l'Afrique occidentale et autres). Si une exigence générale de proportionnalité paraissait ainsi gagner les sûretés personnelles et, donc, ne plus rester cantonnée aux hypothèses particulières visées par le législateur, à l'article L. 313-10 du Code de la consommation, celle-ci fut en partie atténuée par l'arrêt "Nahoum" (Cass. com., 8 octobre 2002, n° 99-18.619, FP-P N° Lexbase : A9624AZH) et les nombreux arrêts qui suivirent et le confirmèrent (par ex., Cass. com., 19mai 2004, n° 03-11.578, F-D N° Lexbase : A2879DCM ; Cass. com., 18 mai 2005, n° 03-13.677, Société Sélectibail c/ Société civile immobilière (SCI) Le Merle blanc, F-D N° Lexbase : A3665DIL) : le "bénéfice" de disproportion ainsi dégagé par la jurisprudence ne peut bénéficier qu'aux cautions profanes, le dirigeant étant présumé avoir connaissance de la situation de la société cautionnée, tandis que les cautions non dirigeantes peuvent également voir leurs fonctions au sein de la société cautionnée, entraver leur action en responsabilité contre le banquier dispensateur de crédit. Ainsi, il a pu être jugé qu'un salarié en mesure de faire fonctionner les comptes de la société en vertu d'un pouvoir conféré par le gérant est une caution "intégrée" (CA Paris, 15 ème ch., sect. B, 26 janvier 2007, n° 05/10763, M. Jean Sabbagh c/ SA Crédit industriel et commercial, CIC N° Lexbase : A1151DU8). Cette présomption simple peut être renversée, la caution devant alors rapporter la preuve que le créancier avait sur ses revenus, son patrimoine et ses facultés de remboursement au vu de l'exploitation de la société, des informations que lui-même ignoraient (cf., par ex., Cass. com., 13 février 2007, n° 05-20.885, Caisse régionale du crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Charente-Maritime et des Deux-Sèvres, F-D N° Lexbase : A2140DUS). Cet édifice jurisprudentiel n'a donc pas lieu de s'appliquer lorsque le créancier est professionnel et que le cautionnement est octroyé par un dirigeant personne physique. Autant dire que la loi sur l'initiative économique a réduit comme une peau de chagrin le champ d'application de la jurisprudence "Nahoum", puisque cette dernière ne concerne désormais que les engagements souscrits par une personne morale ou bien ceux consentis au bénéfice d'un créancier non-professionnel. Il convient également de réserver les cautionnements souscrits avant l'entrée en vigueur de la loi "Dutreil" car, rappelons-le, la Cour de cassation a tranché : les dispositions de l'article L. 341-4 ne sont pas applicables aux cautionnements souscrits avant son entrée en vigueur. Si la distinction caution avertie/caution profane reste d'actualité, son avenir semble donc se sceller dans des cas résiduels.

II - L'impossibilité pour le créancier de se prévaloir de l'engagement de caution

En affirmant très clairement que la sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution est l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement et qu'il en résulte que cette sanction, qui n'a pas pour objet la réparation d'un préjudice, ne s'apprécie pas à la mesure de la disproportion, la Chambre commerciale de la Cour de cassation ne crée pas non plus la surprise ; elle a le mérite, tout au plus, de statuer pour la première fois sur la sanction attachée à l'article L. 341-4, encore que la formule employée peut apparaître quelque peu décevante du fait de la prudence des propos.

Une application stricte des textes. Ici encore, la Cour de cassation ne pouvait trancher autrement : en considérant que l'article L. 341-4 du Code de commerce était applicable, elle ne pouvait appliquer d'autre sanction que celle que le texte attache à la disproportion de l'engagement, à savoir l'impossibilité pour le créancier de s'en prévaloir. Cette sanction s'apparente à une sorte de déchéance, qui fait perdre à celui qui a manqué à son obligation tout le droit dont il était titulaire. Cette privation, qui est totale, nous semble-t-il, ne cédera que si, au jour où la garantie est appelée, le retour à meilleure fortune de la caution lui permet de faire face à ses engagements. Si la méconnaissance du principe de proportionnalité n'affecte pas la validité du cautionnement, puisque celle-ci n'est pas assortie de nullité, il n'en demeure pas moins que le créancier professionnel se voit privé, au cas de disproportion constatée, de tout remboursement, même partiel, contrairement à la solution jurisprudentielle antérieurement retenue. Au demeurant la solution était d'autant plus envisageable, si ce n'est prévisible, que les termes de l'article L. 341-4 reprenant ceux de l'article L. 313-10 du Code de la consommation, les solutions rendues sur ce fondement étaient transposables à celles rendues sur le texte issu de la loi "Dutreil".

L'exclusion des solutions précédemment acquises. En précisant que la sanction n'a pas pour objet la réparation d'un préjudice et ne s'apprécie pas, en conséquence, à la mesure de la disproportion, les juges du Quai de l'Horloge excluent la mise en jeu de la responsabilité civile du créancier et l'octroi par celui-ci de dommages-intérêts. Ainsi, le régime juridique dégagé pour les cautionnements souscrits avant l'entrée en vigueur, le 5 août 2003, de la loi Dutreil, en dehors des cas de crédits soumis aux dispositions du Code de la consommation, ne peut recevoir application. En effet, dans le cadre de la jurisprudence "Macron/Nahoum", le non-respect du principe de mesure de la sûreté consentie eu égard aux facultés de paiement du garant constitue une faute de nature à engager la responsabilité délictuelle de son auteur sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ ; cf. Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, n° 01-14.082, Société Champex (Société de développement régional) c/ Mme Renée, FS-P+B N° Lexbase : A1021C9P). Le garant doit, dès lors, engager une action en responsabilité pour obtenir des dommages et intérêts pouvant se compenser avec les sommes dues au titre de la garantie. En conséquence, le préjudice subi par celui qui a souscrit un cautionnement manifestement disproportionné à ses facultés contributives est à la mesure excédant les biens qui peuvent répondre de sa garantie, de sorte qu'il incombe aux juges d'évaluer ceux-ci après avoir invité les parties à présenter leurs observations à cet égard (Cass. civ. 1, 20 décembre 2007, n° 06-19.313, F-P+B N° Lexbase : A1222D3N).

L'exclusion de certaines garanties. Il résulte, néanmoins, de la jurisprudence que le domaine d'application d'une telle protection est limité aux seuls engagements de caution stricto sensu, à l'exclusion du cautionnement réel. La Chambre commerciale a en effet jugé que le fait pour une personne physique de garantir un engagement par une hypothèque sur un bien immobilier ne peut donner lieu à la responsabilité de la banque sur le fondement de la disproportion en retenant que "la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers, n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui, n'est pas un cautionnement et que, s'agissant d'une hypothèque sur un bien limitée à celui-ci, elle est nécessairement adaptée aux capacités financières du constituant, ainsi qu'aux risques de l'endettement né de l'octroi du crédit" (Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-13.034, FS-P+B+I N° Lexbase : A1375EEN). Cette solution rendue en application du principe jurisprudentiel de proportionnalité s'applique assurément au cautionnement soumis aux dispositions du Code la consommation.

Ceci étant, on pourra regretter avec certains (1), que la Chambre commerciale n'ait pas qualifié la sanction mise en oeuvre, même si l'on peut relever finalement une certaine finesse de sa part à ne pas se laisser trop "embarquer" sur ce terrain glissant.


(1) Cf. le blog de D. Houtcieff.

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