La lettre juridique n°404 du 22 juillet 2010 : Rémunération

[Jurisprudence] La notion de "travail de valeur égale" en matière d'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes

Réf. : Cass. soc., 6 juillet 2010, n° 09-40.021, Société TMS Contact c/ Mme Josiane Bastien, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2346E4N)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Tout employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes présents dans son entreprise. Cette exigence ne vaut, toutefois, et c'est heureux, que si les salariés concernés exercent un même travail ou un travail de valeur égale. En d'autres termes, il ne saurait y avoir de discrimination ou de différence de traitement illicite entre des salariés qui ne seraient pas dans la même situation ou, pour le dire autrement, qui n'exerceraient pas un travail d'égale valeur. La difficulté première est donc de déterminer ce qu'il convient d'entendre par cette dernière notion. Le législateur a donné en la matière quelques pistes de réflexions dont la Cour de cassation avait fait une application stricte, jugeant, notamment, que n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés qui exercent des fonctions différentes. Un arrêt rendu le 6 juillet 2010 par la Chambre sociale, qui fera l'objet d'une mention dans son Rapport annuel, remet en cause cette jurisprudence, tout en démontrant qu'elle entend, désormais, apprécier la notion de travail de valeur égale de manière plus souple.
Résumé

Appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a relevé entre les fonctions exercées, d'une part, par Mme X et, d'autre part, par les collègues masculins, membres comme elle du comité de direction, avec lesquels elle se comparait, une identité de niveau hiérarchique, de classification, de responsabilités, leur importance comparable dans le fonctionnement de l'entreprise, chacune d'elles exigeant, en outre, des capacités comparables et représentant une charge nerveuse du même ordre. En l'état de ses constatations caractérisant l'exécution par les salariés d'un travail de valeur égale, elle en a exactement déduit que Mme X qui, pour une ancienneté plus importante et un niveau d'études similaire, percevait une rémunération inférieure à celles de ses collègues masculins, avait été victime d'une inégalité de traitement dès lors que l'employeur ne rapportait pas la preuve d'éléments étrangers à toute discrimination justifiant cette inégalité.

I - L'exigence d'un travail de valeur égale

  • Principes

Si, en application de l'article L. 3221-2 du Code du travail, l'employeur doit assurer l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, c'est à la condition fondamentale que ces derniers exercent un "même travail" ou un "travail de valeur égale". Quoique formulée de manière différente, on retrouve la même condition pour ce qui est de la mise en oeuvre du principe "à travail égal, salaire égal" ; la Cour de cassation exigeant une "identité de situation" entre les salariés en cause (1).

Ainsi donc, qu'il s'estime victime d'une discrimination ou d'une violation du principe d'égalité de traitement (2), un salarié se doit toujours, dans un premier temps, de démontrer (3) qu'il se trouve dans une situation identique ou, encore, qu'il exerce un même travail ou un travail de valeur égale que son ou ses collègues mieux rémunérer que lui (4). Dès lors que tel n'est pas le cas, il ne saurait être demandé à l'employeur de justifier de la différence de traitement. L'absence d'identité de situation rend inutile cette démarche ou plus exactement justifie à elle seule la différence de traitement.

Nous restons, d'ailleurs, pour notre part, persuadé qu'il n'est jamais question de discuter d'autre chose que l'identité de situation ou du travail de valeur égale. En effet, un employeur qui parvient à démontrer qu'il existe une raison objective justifiant de la différence de traitement établit en réalité et, est-on tenté de dire, "après coup" qu'il n'y a pas d'identité de situation ou de travail de valeur égale.

Quelles que soient les discussions que l'on puisse avoir à ce sujet, on ne peut que s'accorder sur la nécessité de déterminer ce qu'est une "identité de situation" ou, pour ce qui nous intéresse ici, un "travail de valeur égale". Une fois n'est pas coutume, le législateur a pris soin de préciser cette dernière notion. En effet, ainsi que dispose l'article L. 3221-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0803H9M), "sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse".

L'arrêt rapporté démontre que la Cour de cassation entend faire une stricte application de ces prescriptions. Si cela peut paraître on ne peut plus normal, nous verrons qu'il n'en a pas toujours été ainsi.

  • Le litige

En l'espèce Mme X avait été engagée, le 12 septembre 1994, par la société Y en qualité de responsable des affaires juridiques, des services généraux et de la gestion du personnel statut agent de maîtrise niveau 5 indice 180 de la Convention collective nationale des cabinets de courtage d'assurance ou de réassurance. A la suite du transfert de son contrat à la société Z, elle avait été promue, par avenant du 27 juin 2001, "responsable des ressources humaines, du juridique et des services généraux" au statut cadre niveau 9 indice 300 de la convention collective. Licenciée le 17 mai 2002, elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande, entre autres, de rappel de salaire pour discrimination en raison de son sexe.

L'employeur reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli cette demande. A l'appui de son pourvoi, il arguait, notamment et principalement, qu'il ne peut y avoir de discrimination salariale que pour autant qu'il est possible de comparer la situation du salarié qui en invoque l'existence avec la rémunération d'autres salariés placés dans une situation identique ou, encore, effectuant un travail de valeur égale. Or, selon la partie demanderesse, n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés qui exercent des fonctions différentes dans des domaines d'activité nettement distincts, de sorte qu'en estimant que la salariée qui était "responsable des ressources humaines, du juridique et des services généraux" aurait effectué un travail de valeur égale à ceux des directeurs chargés de la politique commerciale et des finances de l'entreprise qui exerçaient des fonctions radicalement différentes, la cour d'appel a violé la loi.

Cette argumentation, dont on verra qu'elle pouvait trouver quelques raisons d'être dans la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, n'a pourtant pas convaincu celle-ci qui rejette le pourvoi de la société employeur, au terme d'un motif de principe permettant de préciser la notion de travail de valeur égale.

II - La notion de travail de valeur égale

  • Solution

Après avoir rappelé les termes des articles L. 3221-2 (N° Lexbase : L0796H9D) et L. 3221-4 (N° Lexbase : L0803H9M), la Cour de cassation vient affirmer "qu'appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a relevé entre les fonctions exercées d'une part, par Mme [X] et, d'autre part, par les collègues masculins, membres comme elle du comité de direction, avec lesquels elle se comparait, une identité de niveau hiérarchique, de classification, de responsabilités, leur importance comparable dans le fonctionnement de l'entreprise, chacune d'elles exigeant, en outre, des capacités comparables et représentant une charge nerveuse du même ordre ; qu'en l'état de ses constatations caractérisant l'exécution par les salariés d'un travail de valeur égale, elle en a exactement déduit que Mme [X] qui, pour une ancienneté plus importante et un niveau d'études similaire, percevait une rémunération inférieure à celles de ses collègues masculins, avait été victime d'une inégalité de traitement dès lors que l'employeur ne rapportait pas la preuve d'éléments étrangers à toute discrimination justifiant cette inégalité".

L'enseignement majeur qui nous paraît ressortir de cette décision réside dans le fait que la différence de fonctions n'est pas, à elle seule, exclusive de la qualification de "travail de valeur égale". Ainsi que nous l'avons vu, c'est pourtant ce que soutenait la partie requérante en l'espèce. Une telle argumentation n'était, à dire vrai, pas dénuée de tout fondement puisque, dans un arrêt antérieur, commenté dans ces colonnes, la Cour de cassation avait, elle-même, affirmé que "n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés qui exercent des fonctions différentes" (5). Ce changement de perspective nous paraît opportun et justifié. La notion de "travail de valeur égale" ne suppose pas une identité formelle mais, bien au contraire, la relativité et, par voie de conséquence, la comparaison (6). Il appartient donc aux juges, sous le contrôle de la Cour de cassation, de vérifier très concrètement si le travail exercé est "comparable" et non point "identique". On peut, cependant, remarquer que si, en l'espèce, les fonctions exercées n'étaient pas les mêmes, la salariée était, comme ses collègues masculins avec qui elle se comparait, membre du comité de direction.

Pour le reste, la Cour de cassation retient, après les juges du fond, un certain nombre d'indices permettant de caractériser un travail de valeur égale, dont la plupart peuvent être rattachés à ceux énumérés par l'article L. 3221-4 du Code du travail.

  • Justification de la différence de traitement

Il convient de remarquer que la Cour de cassation ne s'en tient pas à la seule vérification du fait que le travail effectué par la salariée présentait une valeur égale à celui accompli par ses collègues. Cela étant fait, elle s'attache également à l'éventuelle justification de la différence de traitement constatée, puisqu'elle approuve la cour d'appel d'avoir déduit que la salariée avait été victime d'une inégalité de traitement faute d'avoir perçu une rémunération équivalente à celle de ses collègues alors qu'elle avait une ancienneté plus importante et un niveau d'études similaire. La Chambre sociale laisse ainsi entendre que ces deux éléments auraient éventuellement pu permettre de justifier la différence de traitement. Si cela ne saurait être contesté, nous préférons considérer qu'une ancienneté moindre ou un niveau d'études différent aurait permis de démonter que la salariée n'était pas dans la même situation que ses collègues au regard de l'avantage en cause.

Remarquons, pour finir, que s'il est certain que la salariée avait été, en l'espèce, victime d'une inégalité de traitement, il n'est pas évident que cette différence de traitement était fondée sur le seul fait qu'elle était de sexe féminin.


(1) V., déjà en ce sens, le fameux arrêt "Ponsolle", dans lequel il était affirmé, faut-il le rappeler, que "la règle de l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes [est] une application de la règle plus générale 'à travail égal, salaire égal' énoncée par les articles L. 133-5, 4° (N° Lexbase : L3149HIH) et L. 136-2, 8° (N° Lexbase : L6242HW4) du Code du travail ; qu'il s'en déduit que l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de l'un ou l'autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique" (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle N° Lexbase : A9564AAH).
(2) Principe d'égalité de traitement dont on sait qu'il englobe, désormais, les règles d'égalité de rémunération hommes-femmes et le principe "à travail égal, salaire égal".
(3) Sans doute se contentera-t-on bien souvent d'une simple allégation. A tout le moins, et nous y reviendrons, le juge se doit de vérifier cette identité de situation.
(4) La notion de rémunération peut aussi donner lieu à interprétation. V. par ex., P.-Y. Verkindt, L'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, Dr. soc., 2008, p. 1051, spéc. p. 1055.
(5) Cass. soc., 26 juin 2008, n° 06-46.204, Société Sermo Montaigu, F-P (N° Lexbase : A3621D9Y). Lire les obs. de Ch. Radé, Les salariés qui exercent des fonctions différentes n'effectuent pas un travail de valeur égale, Lexbase Hebdo n° 313 du 19 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5377BGA).
(6) On peut, d'ailleurs, à rebours imaginer que deux salariés exerçant les mêmes fonctions ne réalisent pas nécessairement un travail de valeur égale.


Décision

Cass. soc., 6 juillet 2010, n° 09-40.021, Société TMS Contact c/ Mme Josiane Bastien, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2346E4N)

Rejet, CA Paris, 21ème ch., sect. C, 6 novembre 2008, n° 07/05190, Mme Josiane Bastien c/ SA ABI (N° Lexbase : A2703EBQ)

Textes concernés : C. trav., art. L. 3221-2 (N° Lexbase : L0796H9D) et L. 3221-4 (N° Lexbase : L0803H9M)

Mots-clefs : égalité de traitement ; rémunération femmes-hommes ; travail de valeur égale ; notion ; justification

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