La lettre juridique n°404 du 22 juillet 2010 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Philippe Joyeux, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Nantes

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[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Philippe Joyeux, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Nantes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211058-questions-a-le-point-de-vue-dun-batonnier-aujourdhui-b-philippe-joyeux-batonnier-de-lordre-des-avoca
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef

le 07 Octobre 2010


Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Philippe Joyeux, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Nantes.
Lexbase : Comment préparez-vous la cinquième Convention nationale des avocats qui se déroulera à Nantes du 19 au 22 octobre 2011 ?

Philippe Joyeux : Il faut, tout d'abord, souligner que cette candidature a été un travail de longue haleine et que nous avons dû convaincre le Conseil national des barreaux de son intérêt face à un adversaire extrêmement compétent, à savoir le tandem Clermont-Ferrand/Vichy qui aurait, lui aussi, mérité de remporter la partie. D'ici le mois d'octobre 2011, nous continuons donc à affiner les thèmes des futurs débats et à poursuivre l'organisation matérielle de cette manifestation qui se déroulera dans un lieu unique, le parc de la Beaujoire, la plus grande roseraie de France. L'un des points forts du dossier nantais était la tenue d'une convention "douce" pour l'environnement, sur les bords de l'Erdre, et parfaitement bien desservie par les transports en commun grâce à une ligne directe du tramway. Ceci permettra à nos confrères de disposer de la plus grande autonomie possible dans leurs déplacements entre leur hôtel et le lieu du congrès. Celui-ci se déroulera autour de plusieurs villages : le village de la formation avec les écoles d'avocat, le village de l'international qui accueillera de nombreux confrères étrangers, et le village de l'ordinalité qui aura un rôle essentiel, pour ne citer que les plus importants.

Nous espérons, ainsi, contribuer à élaborer l'avenir de notre profession au moment où celle-ci connaît de grandes mutations, voire poser les jalons d'un futur statut de l'avocat en Europe. Il paraît d'autant plus nécessaire que nos confrères étrangers sont, en effet, également organisés autour d'ordres, considérés comme un frein à la libre concurrence par la Commission européenne, et non pas comme un outil de défense des consommateurs et des justiciables. Si toutes les thématiques qui seront abordées ne sont pas encore précisément arrêtées, je peux d'ores et déjà vous informer que le sujet de la sécurité du justiciable tiendra une place prépondérante dans nos travaux, et, notamment l'introduction de l'acte d'avocat, qui fait l'objet de vifs débats en ce moment. Par ailleurs, l'ensemble de nos confrères sera tenu informé de l'avancement de cette convention par la publication d'un compte-rendu régulier.

Lexbase : Pensez-vous que cet événement sera l'occasion pour la profession de "souffler" certains messages aux candidats aux élections présidentielles qui se tiendront peu après ?

Philippe Joyeux : Je suis personnellement très attaché au fait que la profession ne soit pas toujours dans la réaction par rapports aux décisions prises par les pouvoirs publics, mais puisse aussi anticiper l'évolution de notre société et l'accompagner. Les réformes de la carte judiciaire, de la procédure pénale et du divorce en sont de bons exemples. Nous devrions être davantage capables de réaliser un véritable travail de prospective et de se rapprocher des pouvoirs publics avec des projets de décret ou des projets de lois avancés, si ce n'est déjà "ficelés", à l'instar de certaines professions amies et néanmoins concurrentes. En effet, le manque de concertation actuelle sur toutes les réformes précitées alimente une certaine frustration de la profession, même si elle est largement responsable de cette situation de par son incapacité à inventer elles même son avenir et à parler d'une même voix face au Gouvernement, même si la représentation nationale unique telle qu'elle existe maintenant sous la forme du Conseil national des barreaux devait aider à y remédier. Force est de constater, cependant, que la division semble inhérente à la profession et que des dissensions persistent, que ce soit avec la Conférence des Bâtonniers ou le Barreau de Paris, et que l'unité qui nous serait nécessaire est singulièrement mise à mal.

Toutefois, si je ne nie pas le caractère résolument "conservateur" et hostile aux changements de la profession, l'unanimité constatée à l'encontre des projets présentés par le Gouvernement tient plus simplement au fait que ce sont de mauvais projets, qui ont été élaborés sans concertation et sans tenir compte de l'expertise des professionnels, ce qui est tout de même extrêmement inquiétant. L'opposition de l'ensemble des confrères, avocats ou magistrats, mais aussi des professeurs d'université est révélatrice d'un trouble fort. Je reprends les mots du Président Badinter pour dire qu'un minimum de consensus de ceux qui sont chargés d'appliquer les textes sur tous ces sujets est, bien évidemment, très importante. L'ajournement annoncé d'une grande partie de la réforme de la procédure pénale est, à cet égard, une bonne nouvelle. Le Gouvernement devrait donc profiter de ce délai pour remettre le projet à plat afin d'entraîner l'adhésion d'une majorité de professionnels chargé de sa mise en oeuvre. Je reste persuadé, en outre, que le Code de procédure pénale a besoin de profonds bouleversements, ce qui rend cette attitude des pouvoirs publics d'autant plus dommageable.

Plus généralement, l'après 2012 devrait être l'occasion de trancher la question de la nature de la justice en France : soit une justice de flux, d'"abattage" en quelque sorte, soit une justice de qualité. A cet égard, la question des moyens alloués au ministère de la Justice sera déterminante, alors qu'il reste pour le moment ridiculement bas par rapport à nos voisins européens. En effet, si l'on retranche la partie allouée à l'administration pénitentiaire, ce budget correspond à celui de l'aide juridictionnelle en Grande-Bretagne. Il est cependant à craindre qu'en ces périodes de rigueur budgétaire, il ne faille pas s'attendre à de substantielles améliorations à ce niveau, alors que nous avons déjà beaucoup de difficultés à faire fonctionner les tribunaux correctement. Pour un tribunal comme celui de Nantes par exemple, plus de 50 % des réponses pénales sont des réponses sans véritable jugement, que l'on pourrait qualifier d'ersatz de poursuites. La justice offre malheureusement de cette manière un visage d'éloignement, voire d'inaccessibilité pour les citoyens et les justiciables qui se voient privés de la possibilité de s'expliquer devant un magistrat véritablement indépendant.

Lexbase : Quelle est votre position concernant l'acte contresigné par avocat, introduit dans le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées ?

Philippe Joyeux : Je suis, pour ma part, très favorable à la naissance de cette nouvelle pratique, dont l'idée, rappelons le, est antérieure au rapport "Darrois". C'est un service qui est déjà rendu en grande partie à nos clients, puisque dans un barreau comme celui de Nantes, de très nombreux confrères plaident peu ou pas du tout : 75 % du barreau nantais fait, en effet, plus de juridique que de judiciaire, la plupart des poursuites judiciaires pouvant dorénavant se passer du concours de l'avocat. Jusqu'à maintenant, les avocats rédigeaient les actes, mais ne les cosignaient pas, alors que leur responsabilité était déjà importante. Cet engagement correspond, de toute manière, à une tendance lourde de la société que l'on peut aussi observer dans certaines autres professions, magistrats, médecins ou experts comptables. Toutefois, je ne crois pas que la création de l'acte d'avocat va révolutionner la mise en jeu de notre responsabilité, mais plutôt renforcer encore le professionnalisme de notre profession et la sécurité juridique de nos clients. Avec cette réforme, l'on acte le passage en droit positif ce que la jurisprudence avait déjà décidé. Cela nous permet d'avoir, vis-à-vis du public et de nos clients, une meilleure lisibilité de notre rôle.

Quant aux critiques émises par certaines professions qui pourraient se sentir menacées par ce nouvel outil telles les notaires, celles-ci ne me paraissent pas du tout justifiées, car l'acte d'avocat n'est pas de nature à faire concurrence à l'acte authentique. C'est, en effet, un acte intermédiaire entre l'acte sous seing privé tel que nous le connaissions et l'acte authentique. L'on peut d'ailleurs relever que par une décision du 27 mai 2010, l'Autorité de la concurrence a tranché la question en affirmant que l'introduction de l'acte contresigné par avocat n'est pas de nature à entraver la concurrence (1). Cela répond donc à une attente forte qui couvrira tout le spectre de la profession, puisque de nombreux confrères, qu'ils évoluent en droit de la famille ou en droit social, pour ne citer qu'eux, pourront y avoir recours.

Lexbase : Etes-vous favorable à l'exercice de l'avocat en entreprise ?

Philippe Joyeux : Je suis personnellement réservé sur le projet actuel, comme la majeure partie de la profession. Je pense, toutefois, qu'il faut que nous poursuivions la réflexion sur cette question de manière collective. Le barreau de Nantes connaît, ainsi, des positions très tranchées sur ce thème : certains confrères sont extrêmement enthousiastes et d'autres violemment opposés, mais les deux parties apportent des argumentations intéressantes. Ceux qui y sont favorables disent que c'est une manière de faire entrer l'avocat dans l'entreprise afin qu'il lui amène son éthique et sa déontologie. Par ailleurs, c'est un moyen de ne pas abandonner à d'autres professionnels la matière juridique dans l'entreprise et de reprendre pied dans ce lieu où nous sommes de plus en plus exclus au profit, notamment, des experts comptables qui y sont très présents. Cependant, l'avis de ceux qui sont hostiles à cette réforme comprend de nombreux points qui sont, également, fondés. En effet, comment concilier l'indépendance, fondement du métier de l'avocat, et le secret professionnel avec le lien de subordination avec l'employeur qui est consubstantiel au contrat de travail ?

La position du barreau de Nantes, qui rejoint celle de la Conférence des Bâtonniers de l'Ouest, est plutôt médiane, à savoir que, pour le moment, nous ne possédons pas forcément les éléments qui nous permettraient d'avoir un débat serein. Les deux parties semblent, en effet, installées dans des postures idéologiques, dès le départ, et ne se basent pas sur un développement cartésien centré sur l'intérêt de la profession et de la société. Pour avoir un débat plus posé, il faudrait que l'on ait à notre disposition une étude précise et objective sur le sujet, tant au niveau sociologique qu'économique, ce qui n'est pas le cas actuellement puisque les rapports successifs ont été réalisés par des personnes ayant déjà des avis préétablis sur la question. Par exemple, nous ne disposons pas d'éléments nous permettant de connaître le nombre de juristes d'entreprise qui seraient intéressés par la possibilité d'intégrer la profession, pas plus que la position exacte du patronat sur ce sujet, même si le dernier avis du Medef y semblait plutôt opposé. Enfin, les expériences menées à l'étranger où ce statut existe déjà, par exemple en Allemagne, n'ont pas permis de départager définitivement les points de vue, les confrères les plus jeunes semblant, toutefois, les plus enthousiastes sur le sujet.

En outre, je ne crois pas à la création d'une catégorie distincte d'avocats inscrite sur un tableau séparé comme le préconise le rapport "Darrois". Si l'on crée le statut de l'avocat en entreprise, il est impératif de conserver un minimum d'unité de la profession sous peine d'aller à l'encontre de graves difficultés, comme, par exemple, le risque de créer des avocats "au rabais", qui n'auraient pas exactement les mêmes droits et devoirs que les autres confrères. Par ailleurs, pour parler personnellement, quel rôle pour le Bâtonnier en cas de conflit entre l'avocat d'entreprise et son employeur, et quel pouvoir pour le conseil des prud'hommes ?

Lexbase : Quel est votre avis sur la question d'un barème indicatif des honoraires d'avocat dans la procédure de divorce par consentement mutuel ?

Philippe Joyeux : Là aussi je suis assez réservé. Le principe actuel est que les honoraires d'avocats sont libres. De deux choses l'une, soit l'on passe à un système encadré, soit l'on garde les système de la liberté. C'est vrai que la modération des honoraires a été un engagement de la profession au moment où nous avons conservé le monopole du divorce au détriment des notaires. La Conférence des Bâtonniers avait, d'ailleurs, confirmé, par un vote en assemblée, la parole donnée à la Chancellerie sur la fixation d'honoraires maximum dans les cas, plus limités il est vrai, de divorces par consentement mutuel sans enfant et sans liquidation de communauté. En cette matière, j'indique tout de même que la plus grande prudence doit rester de mise de par la complexité des situations auxquelles nous sommes confrontés. Celles-ci peuvent être complexes juridiquement, mais aussi psychologiquement, car nous sommes ici dans le domaine affectif où la place du libre arbitre peut être difficile à déterminer. En effet, certaines personnes toujours attachées affectivement à leur conjoint peuvent ainsi accepter des choses qu'elles n'accepteraient pas si elles en étaient détachées et réfléchissaient uniquement à leur intérêt économique ou patrimonial. La mission originelle d'assistance et de conseil, voire d'approche psychologique de l'avocat auxiliaire de justice apparaît ici pleinement déterminante. Je reste donc pleinement convaincu de la nécessité de l'existence d'une convention d'honoraires dès le début de la procédure.

Lexbase : Quels objectifs vous restent-ils à réaliser pendant les six mois qui vous séparent de la fin de votre mandat ?

Philippe Joyeux : Je pense que nous aurons menés à bien bon nombre de projets, tels le déménagement de la maison de l'avocat dans ces nouveaux locaux (2), et son appropriation par les confrères. J'ai, également, mis en place le nouveau site internet du barreau. Je peux aussi évoquer le succès de notre candidature pour la Convention nationale des avocats de 2011. J'ai, cependant, le regret de n'avoir pu réaliser entièrement le projet de regroupement, voire de fusion, de toutes les CARPA de l'Ouest que je compte, toutefois, poursuivre jusqu'à la fin de mon Bâtonnat et qui sera, je l'espère, achevé par mon successeur. La fonction de Bâtonnier nécessite aussi de savoir passer du temps auprès des confrères et d'être à l'écoute de leurs préoccupations quotidiennes, ce qui passe par une modernisation des services du barreau qui avait déjà été entamée et que j'ai tenté de poursuivre de la manière la plus efficace possible.


(1) Avis n° 10-A-10 du 27 mai 2010, relatif à l'introduction du contreseing d'avocat des actes sous seing privé (N° Lexbase : X7302AGK) et lire (N° Lexbase : N2184BPL).
(2) Lire Inauguration de la Maison de l'avocat de Nantes, Lexbase Hebdo - éditions professions n° 3 du 12 octobre 2009 (N° Lexbase : N0871BM9).

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