La lettre juridique n°404 du 22 juillet 2010 : Éditorial

Couples équitables et entreprises égalitaires : de la justice sociale dévoyée

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Il n'y a de société vivante que celle qui est animée par l'inégalité et l'injustice" - Paul Claudel, Conversations dans le Loir-et-Cher.

Mes chers amis, je ne sais pas si pour vous c'est la même chose mais, à la lecture d'un arrêt rendu le 6 juillet 2010, par la Chambre sociale de la Cour de cassation, mon coeur s'est, à nouveau, gonflé d'amertume. Et dire qu'il a fallu graver, une énième fois, dans le marbre du Bulletin, que l'employeur est tenu d'assurer pour un même travail ou un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes ; et que sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. En l'espèce, le juge qui avait relevé entre les fonctions de la salariée et celles de ses collègues masculins, membres comme elle du comité de direction, une identité de niveau hiérarchique, de classification, de responsabilités, leur importance comparable dans le fonctionnement de l'entreprise, chacune d'elles exigeant en outre des capacités comparables et représentant une charge nerveuse du même ordre, avait caractérisé l'exécution par les salariés d'un travail de valeur égale. Dès lors, il en avait exactement déduit que la salariée qui, pour une ancienneté plus importante et un niveau d'études similaire, percevait une rémunération inférieure à celles de ses collègues masculins, avait été victime d'une inégalité de traitement dès lors que l'employeur ne rapportait pas la preuve d'éléments étrangers à toute discrimination justifiant cette inégalité.

La prose est un peu longue, je m'en excuse ; mais il faut tout de même saisir l'ampleur d'une telle logorrhée, d'un tel principe réaffirmé d'égalité homme-femme et de son application au sein de l'entreprise.

Attention ! Je ne suis pas comme d'aucuns qui nieraient, en bon sexiste orthodoxe, qu'il y ait une quelconque discrimination sociale homme-femme, parce que, pour ce faire, encore conviendrait-il qu'il y ait une égalité de principe entre les hommes et les femmes. Or, comme chacun le sait, il n'y a de pratiques discriminatoires condamnables, uniquement parce que la loi impose l'égalité : ce que tout bon sexiste, tenant d'une inégalité essentielle, naturelle, presque de droit divin, entre les hommes et les femmes ne peut que délégitimer, condamner voire combattre. L'ennui avec le sexiste, ce n'est pas tant au final qu'il méprise les femmes : ça, c'est l'affaire du misogyne, bien souvent isolé quand il navigue aux abords de la raison ou du sentiment ; ni qu'il refuse de faire ce que les femmes font, percevant la chose comme une atteinte à sa virilité : ça, c'est celle du machiste qui se soigne, aujourd'hui, en assumant désormais une part de féminité de bon aloi. Non, les méfaits du sexiste sont, à la fois, plus insidieux et plus criants : une atteinte rampante aux droits de l'Homme. Chacun à sa place et, bien entendu, celle des femmes n'est pas vraiment située sur le même barreau d'échelle que celle des hommes ! Pourquoi ? Bien pardi : les enfants ! La constitution physique... et psychique, aussi ! Et l'intelligence, sûrement : citez moi des femmes philosophes, écrivains ? Anna Arendt ? George Sand ? Des garçons manqués ! Billevesées que ces prétendues discriminations fondées sur le sexe...

Pourtant, peut-on rester les bras ballant devant une telle jurisprudence correctrice des inégalités ? Est-elle exsangue de toute critique ? Non, mes biens chers frères de genre ! Tout simplement parce que, si elle marque la fermeté des juges à l'égard de toute discrimination sexuelle dans l'entreprise, elle cache et ne combat absolument pas les origines d'une telle discrimination : l'inégalité au sein du couple. Mieux, là où l'on se contente de l'équilibre dans le couple, c'est-à-dire de l'équité entre les hommes et les femmes, on entend imposer l'égalité dans l'entreprise. L'ambition est noble : l'équité, c'est la nature des choses ; l'égalité, le but de tout humaniste qui tente de s'extraire de sa condition. Le problème, c'est que, outre le fait que l'égalité soit un concept antinomique au libéralisme inspirateur du monde entrepreunarial qui lui préfère, justement, le compromis, l'entreprise est avant tout une affaire d'hommes ! Entendons nous bien : non seulement l'entreprise est animée par des hommes et des femmes avec toute la concurrence qui sied à la mise en valeur des talents et compétences ; mais c'est aussi, malheureusement, une affaire d'homme, en ce que les commandes sociales sont détenues en grande majorité par la gente masculine.

Et c'est là que le bât blesse : juges et parties, les hommes excellent dans le chapitre de la mauvaise foi et de la justice distributive ; cette égalité géométrique, selon Aristote, qui distribue selon le mérite, faisant cas des inégalités entre les personnes. Mais, mesdames, nous respectons scrupuleusement l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme ! Nous recrutons et promouvons selon la capacité des postulants et des salariés, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. Toutefois, à organiser un système méritocrate établi sur des valeurs masculines et jugés par des hommes, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette justice là est par essence biaisée. D'où l'on comprend que la loi, et par suite la jurisprudence toute entière, se glissent dans le lit de la justice commutative, chère à l'auteur de l'Ethique à Nicomaque, qui règle les échanges, selon le principe de l'égalité arithmétique, entre des personnes elles-mêmes considérées comme égales. Cette justice aveugle établit une équivalence entre choses. La justice distributive est une justice au mérite, selon l'effort de chacun. La justice commutative ignore les différences entre les individus et donne à chacun la même part. Mais, a-t-on le choix ?

"La loi n'en est pas moins sans faute ; car l'erreur ne vient ni de la loi, ni du législateur, mais de la nature même de la chose : c'est la matière des actions qui, par elle-même, est ainsi faite" - Aristote, Ethique à Nicomaque

En finir avec le narcissisme des hommes ! Tel est le seul remède à la discrimination homme-femme ; mieux ! A sa théorisation : le sexisme. En s'appuyant sur les inégalités de forme (le talent, la compétence), le narcissisme creuse les inégalités de fonds (inégalité par essence) en s'aidant du concept d'équité : en trouvant un équilibre, c'est-à-dire une répartition des rôles dans le couple homme-femme, l'homme s'en tire à bon compte et admire ce qu'il croit être l'un des tenants de sa virilité -la manipulation-, avec quelques heures de ménage, quelques courses concédées ou en allant chercher les enfants, une fois par mois, après avoir posé un RTT ! Or, cette équité est la gangrène de l'égalité homme-femme : elle masque le profond besoin d'une implication égalitaire sur tous les pans de la vie familiale.

La volonté de procréer est commune ; les enfants sont un fait commun au couple. Si les femmes font l'objet de discrimination au travail, c'est bien souvent parce que leurs obligations familiales les obligent à concilier avec leurs obligations professionnelles ; conciliation qui ne présage, d'ailleurs, en rien d'une perte de compétitivité par rapport aux hommes. L'enjeu majeur de la société, c'est la garde partagée ! C'est inscrire dans le marbre que l'égalité prévaut au sein du couple comme elle est inscrite sur le fronton de la République. Un couple veut un enfant : qu'il soit obligatoire que les hommes prennent leurs congés paternité -de même durée que celui des femmes (c'est déjà sur les rails européens)-. La scolarité ? Les congés pour maladie des enfants ? Les horaires de crèche ou de nourrice ? C'est l'ensemble de ces problèmes typiquement féminins -osons le dire- auxquels l'homme doit être confronté et auxquels il doit remédier à égalité avec la femme. L'équité au sein du couple n'est pas équitable : il lui faut y substituer une égalité de fait, de manière beaucoup plus cinglante qu'aujourd'hui ; du moins à même enseigne que dans l'entreprise, qui elle n'est que le fruit des hommes...

Pour exemple, Patrick Weil dénombre, depuis 1875, quatre catégories de Français qui ont connu des discriminations au niveau de la nationalité : les femmes, les musulmans d'Algérie, les naturalisés et les juifs. Deux de ces discriminations se sont inscrites dans la mémoire collective : celles à l'égard des musulmans d'Algérie et des juifs, alors que les deux autres ont été oubliées... CQFD !

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