La lettre juridique n°404 du 22 juillet 2010 : Avocats

[Evénement] Le rôle et la déontologie de l'avocat fiduciaire

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef

le 03 Mars 2011

Depuis la loi du 4 août 2008, dite "LME" (loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR), les avocats ont la possibilité d'exercer l'activité de fiduciaire, auparavant permise aux seuls établissements financiers et d'assurances (C. civ., art. 2015 N° Lexbase : L2309IB7). Le cadre et les conditions d'exercice de cette activité se sont progressivement mis en place avec la publication de l'ordonnance du 30 janvier 2009 (ordonnance n° 2009-112, portant diverses mesures relatives à la fiducie N° Lexbase : L6939ICY), puis du décret du 23 décembre 2009, relatif à l'exercice de la fiducie par les avocats (décret n° 2009-1627 N° Lexbase : L1259IGQ). Le 24 juin 2010, le Conseil national des barreaux (CNB) organisait un colloque intitulé "L'avocat fiduciaire : principes généraux et cas d'application", qui présentait en détail les différentes facettes de l'activité fiduciaire des avocats : fiducie-gestion, fiducie-sûreté, fiscalité et comptabilité, et enfin le rôle et la déontologie de l'avocat fiduciaire. Présentes à cet événement, les éditions Lexbase vous proposent de revenir sur ce dernier thème, complété par l'obligation d'assurance de l'avocat fiduciaire. Ainsi que l'ont démontré les travaux du colloque, l'activité fiduciaire a été accueillie très favorablement par la profession d'avocat, qui entend embrasser cette nouvelle activité "sans réticences, et avec conscience et compétence", comme le relève Pierre Berger, Président de la commission "Règles et Usages" du Conseil national des barreaux. Celui-ci a salué l'effort de collaboration, entre la profession et la Chancellerie, qui a prévalu dans l'élaboration des textes relatifs à l'activité fiduciaire, espérant que cette collaboration passée soit le gage d'une collaboration future. Appel immédiatement relevé par Laurent Vallée, Directeur des affaires civiles et du Sceau qui, se tenant prêt à faire progresser les textes et la pratique, a invité les avocats à lui faire état des difficultés pratiques et des incertitudes ou insuffisances textuelles.

Le Directeur des affaires civiles et du Sceau a, par ailleurs, insisté sur l'importance de la déontologie qui doit être considérée comme un véritable avantage compétitif, vis-à-vis d'autres professions, pour l'exercice de l'activité de fiduciaire, garante de confiance pour les constituants éventuels. Approuvant ces propos, Pierre Berger a relevé en particulier l'indépendance des avocats comme garantie d'une gestion fiduciaire dans le seul intérêt du constituant et du bénéficiaire.

A son tour, félicitant l'adoption par l'Assemblée nationale, le 23 juin 2010, du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées introduisant l'acte contresigné par avocat, Thierry Wickers, Président du CNB, y voit une nouvelle marque de confiance accordée par les pouvoirs publics à la profession d'avocat. Selon le président du CNB, cette vision nouvelle de la profession d'avocat est le résultat d'un mouvement qui s'est construit progressivement, fondé sur la double exigence d'une formation de haut niveau et d'une déontologie effective et respectée. L'institution, en 1990, du Conseil national des barreaux, organisation représentative nationale en mesure d'apporter la garantie que la profession d'avocat respecte ses obligations sur ces deux pans, en constitue la première étape. Le décret du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, marque une autre étape majeure de cette évolution (décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 N° Lexbase : L6025IGA). Et, il ne s'agit en aucun cas de "brader le principe de l'auto-réglementation". En acceptant que leur déontologie fasse l'objet d'un texte réglementaire, les avocats ont construit les bases de cette confiance. C'est dans ce mouvement que s'inscrit la loi du 4 août 2008 qui a permis à l'avocat de devenir fiduciaire.

S'agissant de l'avocat fiduciaire, le CNB oeuvre donc, depuis 2008, à tenir l'engagement de la profession à faire respecter les obligations spécifiques de formation et déontologiques. Le 30 janvier 2009, le CNB a ainsi, par une décision normative, intégré un article 6-2-1 dans le Règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8), permettant de garantir que la déontologie d'avocat s'appliquera à cette nouvelle activité. A l'article 6-2-1-5, le Conseil a également fixé une obligation de formation spécifique de l'avocat dans les matières liées à l'exécution de ses missions fiduciaires. Le Président du CNB a, par ailleurs, rappelé que, dans le cadre du projet de réforme des spécialisations tel qu'il a été adopté par l'assemblée générale du CNB, il a été prévu d'intégrer, à la liste des mentions de spécialités, une nouvelle mention consacrée au droit fiduciaire. Afin de répondre à l'obligation subséquente de formation dans ce domaine particulier, un premier module de formation de la fiducie a été présenté, notamment, à Strasbourg début juin 2010 ; il doit être développé et distribué à l'ensemble des écoles de formation d'avocat. Le Président a, enfin, annoncé qu'un deuxième module, de perfectionnement, était d'ores et déjà en préparation et devrait être présenté d'ici la fin de l'année.

Le rôle et la déontologie de l'avocat fiduciaire

Selon François-Xavier Matteoli, avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, en instituant l'avocat fiduciaire, c'est un "un pari sur l'avenir" qui a été lancé, fondé, d'une part, sur l'imagination et la créativité des avocats en matière juridique, et d'autre part sur les garanties déontologiques attachées à la profession, notamment son indépendance et le respect d'un certain nombre d'obligations.

François-Xavier Matteoli rappelle, d'abord, que, contrairement à l'activité de commissaire aux comptes que peut exercer un avocat parallèlement à son activité principale, l'avocat fiduciaire reste avant tout un avocat. Autrement dit, il est fiduciaire en qualité d'avocat et exclusivement en qualité d'avocat. La principale conséquence est qu'il reste soumis à l'ensemble de ses obligations professionnelles, y compris celle du secret professionnel. Bien que, par application de l'article 9 de l'ordonnance du 30 janvier 2009, l'avocat fiduciaire, par dérogation à l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ), est soumis à des obligations déclaratives et à des contrôles sur pièce et sur place afin de prévenir tout risque d'évasion fiscale et de lutter contre le blanchiment de capitaux, il reste, pour autant, soumis à son obligation générale de secret professionnel. Si, donc, dans le cadre de l'avocat fiduciaire, il peut être porté atteinte passivement à l'obligation du secret professionnel, le dossier fiduciaire de l'avocat étant ouvert à un certain nombre d'administrations (administration fiscale, Tracfin, etc.), cette atteinte ne peut résulter d'un comportement actif de l'avocat, qui ne devra pas dévoiler, au-delà de cette nécessité, les autres éléments du dossier.

Outre l'obligation au secret professionnel, il faut rappeler l'obligation de respecter le régime des incompatibilités qui pèsent sur l'avocat, notamment, l'incompatibilité d'exercer une activité commerciale. Se pose, ainsi, la question de savoir si l'avocat fiduciaire, dans le cadre d'une fiducie-gestion, pourrait diriger une entreprise qui ferait l'objet de la fiducie. A priori non, selon François-Xavier Matteoli. Cela signifie que, pratiquement, il conviendra d'organiser des délégations de pratiques de directions d'éléments de fiducie. Le rôle de l'avocat fiduciaire sera celui d'organisateur, de contrôleur, de vérificateur, mais il ne pourra gérer directement une entreprise commerciale.

A propos des délégations, Pierre Berger a relevé l'importance de stipuler, dans le contrat de fiducie, la possibilité de déléguer tout ou partie de sa mission. En effet, le contrat étant conclu intuitu personae, il devra prévoir expressément cette faculté, ainsi que les conditions de cette délégation et sa portée juridique.

Autre conséquence du statut d'avocat, l'avocat fiduciaire reste soumis à la gestion des conflits d'intérêt. Il faudra donc, par exemple, s'interroger pour savoir si un avocat peut défendre, parallèlement, le constituant et le bénéficiaire. Les questions ainsi soulevées devront se résoudre au cas par cas.

S'agissant des conséquences pratiques de la transparence de l'activité fiduciaire, celle-ci doit faire l'objet d'une déclaration préalable d'exercice à l'ordre. Cette déclaration n'a pas pour objet de permettre à l'ordre d'en interdire cet exercice, mais de vérifier, notamment, que l'avocat dispose d'une garantie assurancielle pour cette activité.

L'avocat fiduciaire est, par ailleurs, soumis à l'obligation de mentionner cette qualité sur tous les documents. Cette obligation a vocation à avertir les clients et les confrères, du cadre d'exercice très particulier de l'activité fiduciaire, dans lequel, notamment, l'article 66-5 précité de la loi de 1971 ne s'applique pas. En clair, les documents ou la correspondance échangée avec les confrères, à l'exclusion de la première correspondance, ne sont pas couverts par le secret professionnel. La qualité d'avocat fiduciaire doit donc impérativement être expresse.

Toujours dans la même logique, il conviendrait de prévoir une séparation matérielle et concrète de l'activité, telle que, par exemple, des locaux affectés, des armoires affectées, des dossiers de couleurs différentes, etc.. Par ailleurs, il est souhaitable que la rémunération de l'avocat fiduciaire soit distincte de toute autre activité de cet avocat.

L'obligation d'assurance constitue le deuxième volet de la réglementation applicable aux avocats en matière de fiducie.

L'obligation d'assurance de l'avocat fiduciaire

Avant de débuter l'exercice de l'activité fiduciaire, l'avocat doit souscrire préalablement deux assurances, lesquelles doivent être maintenues pendant tout le contrat de fiducie.

Tout d'abord, l'obligation d'assurance de responsabilité civile professionnelle couvre la faute dans l'accomplissement de la mission. Pierre Berger a rappelé que cette assurance doit être souscrite à titre personnel. Elle est supportée individuellement par les seuls avocats qui exercent l'activité fiduciaire, étant précisé que cela s'applique, le cas échéant, à une structure collective d'exercice en commun, donc à une société d'exercice libéral, ou à une SCP. Rappelant que le fait générateur de la responsabilité civile, dans le cadre de la fiducie, réside dans la faute de l'avocat, celle-ci devant s'apprécier concrètement, il est important de souligner que l'avocat fiduciaire, même dans le cas d'une fiducie-gestion, n'est pas le garant du maintien de la valeur des actifs fiduciaires. Seule la preuve d'une mauvaise gestion, liée à des placements hasardeux, par exemple, pourra être source de responsabilité civile professionnelle, à l'exclusion, par exemple de la baisse de l'immobilier ou de la bourse. Pierre Berger en a profité pour souligner l'importance, dans le contrat de fiducie, de la détermination de la mission du fiduciaire, laquelle permettra d'apprécier la faute in concreto. Il s'agira, notamment, de savoir si le fiduciaire est tenu à des obligations de conseil et d'opportunité ou de simple exécution de tâches matérielles.

L'avocat fiduciaire doit, ensuite, souscrire une assurance "pour le compte de qui il appartiendra". Cette assurance garantit le constituant ou le bénéficiaire de la restitution des biens qui ont été mis en fiducie, puisque l'avocat fiduciaire a l'obligation, en fin de contrat, et dans la mesure de ses obligations, de restituer le patrimoine fiduciaire, soit au constituant, s'il est bénéficiaire, soit à d'autres bénéficiaires, notamment dans le cas d'une fiducie-sûreté.

Pierre Berger a indiqué que cette garantie de restitution a fait l'objet de difficultés dans le cadre de la négociation du CNB avec les compagnies d'assurance, dont la réglementation interne leur impose de détenir en fonds propres l'équivalent du risque assuré, alors même que l'éventualité du risque est exceptionnelle. La solution a été trouvée sous l'égide de la Chancellerie, dans une limitation du montant de la garantie. La garantie de l'assurance "au profit de qui il appartiendra" est ainsi limitée à 5 % de la valeur des immeubles lorsque la fiducie porte sur des actifs immobiliers. Il a, en effet, été considéré que le risque de détournement d'un actif immobilier étant nul, la garantie pouvait se limiter aux seuls revenus de l'actif immobilier, lesquels ont été évalués à 5 % de la valeur des biens immobiliers. Par raisonnement analogue, la garantie a été limitée à 20 % des autres actifs.

Pour que les assureurs soient en mesure de suivre l'évolution du contrat de fiducie et d'évaluer efficacement son risque, il leur est conféré un droit de communication sur la comptabilité de l'avocat fiduciaire et sur le rapport des éventuels commissaires aux comptes qui pourraient intervenir dans la gestion des fiducies. Le cas échéant, ce droit de communication peut amener les compagnies d'assurance à résilier le contrat d'assurance.

Se pose, alors, la question de savoir si les assureurs resteraient tenus, malgré la résiliation, de l'évolution du contrat après la résiliation. Selon Pierre Berger, il faut opérer une distinction entre l'assurance de responsabilité civile et l'assurance "pour le compte de qui il appartiendra". En matière de responsabilité civile, la résiliation du contrat d'assurance laisse subsister la couverture d'assurance pour les faits qui sont antérieurs à la résiliation. Dans le cadre de l'assurance "pour le compte de qui il appartiendra", la situation devrait différer selon que le fiduciaire se trouve ou non in bonis, au jour de la résiliation du contrat d'assurance. En cas de situation in bonis, la résiliation devrait avoir un effet définitif de manière à libérer totalement la compagnie d'assurance. C'est ainsi qu'il appelle les pouvoirs publics à intégrer cette précision dans les textes, ce qui simplifierait les négociations avec les assureurs.

En tout état de cause, Pierre Berger était heureux d'annoncer que les négociations étaient en phase d'aboutir avec une compagnie d'assurances qui acceptait de couvrir la responsabilité des avocats, et avec laquelle un accord devrait être mis en place dans les prochaines semaines.

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