La lettre juridique n°295 du 6 mars 2008 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences

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N3574BE4

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209874-chronique-chronique-en-droit-des-assurances-dirigee-par-b-veronique-nicolas-b-professeur-avec-b-seba
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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur de droit privé, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique seront abordés les deux derniers arrêts rendus par la Cour de cassation réunie en Chambre mixte, l'un du 21 décembre revenant sur une analyse plus civiliste des contrats d'assurance vie, et, l'autre, du 22 février dernier, présentant les nouvelles conséquences de l'acceptation par le tiers de la clause bénéficiaire faite à son profit. Egalement à l'honneur, deux arrêts inédits du 20 décembre dernier rappelant l'obligation d'information de l'assureur.
  • Retour à une analyse plus civiliste des contrats d'assurance vie (Cass. mixte, 21 décembre 2007, n° 06-12.769, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1178D3Z)

Après des années d'atermoiements (1) et donc d'incertitude sur la nature juridique de certains contrats d'assurance vie, chacun se souvient que, par quatre arrêts en date du 23 novembre 2004 (2), la Chambre mixte de la Cour de cassation avait enfin tranché. Elle avait considéré ces contrats d'assurance vie comme des accords de volonté parce qu'ils comprennent un aléa au sens des articles 1964 du Code civil (N° Lexbase : L1036ABY) et L. 310-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0312AAS). Ce faisant, elle confirmait l'autonomie de la matière par rapport au droit commun. Bien que ces contrats permettent de faire échec aux règles du droit des successions, ils avaient une existence légale valable, figurant dans le Code civil et conforté par des Directives européennes. Et cette autonomie ne pouvait être remise en cause par l'existence de dispositions du Code civil citant le contrat d'assurance comme illustration d'une définition fournie du contrat aléatoire ; on fait, ici, allusion à l'article 1964 du Code civil comme à l'article 1104, alinéa 2, (N° Lexbase : L1193ABS) du même code. En d'autres termes et pour caricaturer un peu : le droit des assurances l'avait emporté sur le droit civil.

Cela dit, pouvait-il en être autrement lorsque l'on sait les sommes qui étaient en jeu ? Le choix, pour les Hauts magistrats, était plus que cornélien ; ils ne pouvaient guère prendre le risque d'opter pour une autre voie. Toutefois, ces quatre arrêts du 23 novembre 2004 ayant été confirmés par la suite (3), nombreux étaient les juristes à considérer le débat clos. C'était sans doute sous-estimer le fort courant de pensée favorable à une analyse moins autonomiste du droit des assurances (4), y compris parmi nos Hauts magistrats. Le nouvel arrêt du 21 décembre 2007 rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation atteste, une fois encore, des divergences de point de vue entre certaines chambres civiles et commerciale de la Cour de cassation. Etaient en effet réunies, dans le cas présent, les première et deuxième chambre civile de la Cour de cassation et la Chambre commerciale.

Le nouvel arrêt de la Chambre mixte du 21 décembre 2007 n'était donc pas si improbable que cela, dans sa formulation tout au moins. Car au fond, la décision n'est pas surprenante ; les faits ne laissaient guère de place à une autre solution. En effet, un homme de 64 ans, atteint d'un cancer et connaissant son état, décide de souscrire deux contrats d'assurance vie. Il commence par désigner sa soeur comme tiers bénéficiaires, ainsi qu'une personne, madame B. épouse G., dont on ignore ce qui lui a valu cet élan de générosité extraordinaire. Le qualificatif n'est pas usurpé puisque 16 500 000 francs (environ 2 515 409 euros) sont versés sur les contrats d'assurance. Or, trois jours avant son décès dû au cancer, l'assuré procède à une modification de la clause bénéficiaire et n'y laisse figurer que madame B., épouse G., devenue aussi sa légataire universelle. La soeur de ce monsieur aurait pu réagir et contester les opérations réalisées. Mais c'est le fisc qui effectue un contrôle et considère, qu'en réalité, une donation indirecte a été effectuée. Il notifie alors un redressement fiscal à madame B., épouse G., qui le conteste.

La cour d'appel de Chambéry, le 17 janvier 2006, confirme l'analyse du fisc et estime qu'une donation indirecte a eu lieu. Sa motivation va être double. D'une part, elle adopte l'idée selon laquelle les critères de la donation sont réunis. D'autre part, elle considère que les versements effectués ont été manifestement exagérés eu égard aux facultés du contractant, selon la formule de l'article L. 132-13, alinéa 2, du Code des assurances (N° Lexbase : L0142AAI). En effet, l'assuré se savait très malade dès la souscription de son contrat d'assurance vie, ce qui ne l'avait pas empêché d'y effectuer des versements représentants 82 % de son patrimoine. Mais madame B., épouse G., ne réplique pas sur ce second point ; elle s'évertue à démontrer l'absence de donation indirecte en expliquant qu'elle n'avait jamais fourni son acceptation à celle-ci. En outre, elle conteste l'idée que le donateur se serait dépouillé de manière irrévocable, au sens de l'article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY), puisqu'en matière d'assurance vie, il lui est possible d'effectuer des rachats tout au long de la vie du contrat.

Néanmoins, la Cour de cassation ne fait pas droit à ses prétentions, suivant en cela les suggestions de son Avocat général, M. Sarcelet. Pour ce dernier, "l'acceptation d'une donation dans les formes prescrites par les articles 932 (N° Lexbase : L0089HPY) et suivants du Code civil n'est exigée que pour la donation passée en la forme authentique et peut résulter de l'attribution du bénéfice du contrat". Puis, elle reprend la motivation de la cour d'appel et décide "qu'un contrat d'assurance vie peut-être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable". Suivent alors les faits sur lesquels la cour d'appel s'est fondée. Et la Cour de cassation de conclure que la cour d'appel "a pu en déduire, en l'absence d'aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat et l'existence chez l'intéressé d'une volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller".

Deux leçons, au moins, sont à retenir de cet arrêt important. Sur le plan pratique, des indications précieuses sont fournies (I). Mais d'un point de vue juridique, la logique et les raisonnements adoptés par la cour d'appel comme par la Cour de cassation laissent plus dubitatifs (II).

I - Précisions sur les critères de reconnaissance du versement de primes manifestement exagérées

Bien que l'article L. 132-13, alinéa 2, du Code des assurances ne soit pas visé par la Cour de cassation, reprenant la motivation de la cour d'appel de Chambéry, cette dernière ne peut s'être fondée que sur ce texte. Tout au moins, applique-t-elle les critères retenus par la Cour de cassation, depuis un arrêt en date du 1er juillet 1997 (5), pour apprécier l'existence ou non de versements de primes manifestement exagérées eu égard aux facultés du cocontractant de l'assureur vie. L'intérêt pratique de cet arrêt est alors d'en retenir deux chiffres : celui du montant, en pourcentage, des primes versées par rapport au patrimoine total de l'assuré, contractant : 82 %, et celui du nombre de journées s'étant écoulées entre la dernière modification de la clause bénéficiaire par l'assuré et la date de son décès : trois jours. Si le premier chiffre aurait pu ne pas suffire à entraîner la solution, encore qu'il ait été déterminant (A), le second fut sans doute fatal (B).

A - Le volume de primes versées

Nous avons encore à l'esprit cet arrêt rendu il y a quelques mois : celui de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date 4 juillet 2007 (Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.048, FS-P+B N° Lexbase : A0813DXE et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo, n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N6221BAN), refusant de considérer que le versement d'un montant de primes, égal à 73 % du patrimoine de l'assuré, était manifestement exagéré. A vrai dire, les illustrations de la volonté de la Cour de cassation de ne pas faire un usage intempestif de l'article L. 132-13, alinéa 2, du Code des assurances (6) n'ont pas manqué, ces derniers mois. Les tentatives pour voir appliqué ce texte se sont pourtant multipliées. Mais les résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances. Et lorsque la Cour de cassation a retenu la sanction de cet article, elle n'a pas jugé bon de publier l'arrêt, manière d'indiquer certes que ce dernier n'apporte rien de plus que les précédents sur ce thème, tout en n'ajoutant pas aux statistiques que le juriste pourrait réaliser sur le nombre de décisions adoptées en ce sens.

Par conséquent, il était délicat d'indiquer avec précision quelle était la limite à ne pas franchir. A la lecture de l'arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation, c'est désormais chose possible. Il est à parier que le versement de primes dépassant 80 % du patrimoine de l'assuré entraînera le déclenchement de signaux lumineux d'alerte pour tout magistrat chargé de ces questions. D'ailleurs, ce seuil -puisqu'il pourrait en être ainsi- est celui à compter duquel nombre d'assureurs, suivant en cela les recommandations de la FFSA, informaient déjà les assurés des risques qu'ils prenaient en poursuivant les versements de primes. De ce point de vue, l'arrêt du 21 décembre 2007 ne devrait donc pas faire l'objet de critiques acerbes des assureurs, ni de tout autre juriste. Mais ce seul élément n'est pas suffisant ; encore faut-il tenir compte de l'âge du souscripteur.

B - L'âge du souscripteur

Tout comme pour le montant des primes versées, le critère de l'âge de l'assuré -que la Cour de cassation avait retenu dans l'arrêt du 1er juillet 1997 (7)- demeure à l'appréciation des juges du fond. Il n'y a pas davantage de date butoir, systématique. En réalité, les tribunaux ont fait preuve de pragmatisme. Plus encore même, ils ont doucement, sans le dire de façon explicite, introduit l'idée que l'état de santé de l'assuré devait également être pris en considération pour apprécier s'il avait souscrit, tardivement ou non, son contrat d'assurance vie. En elle-même, la précision est heureuse : en effet, au-delà des statistiques relatives à l'espérance de vie, une personne ne peut jamais être tout à fait placée sur le même plan qu'une autre. La première ne présentera aucun risque de connaître des défaillances physiques graves, tandis que la seconde aura été l'objet de diverses interventions chirurgicales ou de traitements médicamenteux.

Bien que ce seul constat ne soit pas une garantie scientifiquement fiable à cent pour cent, il mérite de constituer un indice non négligeable à prendre en considération. Les magistrats se sont donc souvent servis de cet élément pour décider si les versements de primes pouvaient avoir ou non une utilité réelle pour l'assuré lui-même parce que celui-ci avait encore l'espoir de vivre et d'effectuer des opérations financières, car tels sont bien les termes qu'il faut employer. Quoi qu'il en soit et quel que soit le caractère bienvenu de cette évolution, elle ne correspond pas tout à fait à ce qu'avait indiqué la Cour de cassation en 1997. Il doit donc être souligné, que réunie en Chambre mixte, celle-ci ait appliqué, sans ambages, cette nouvelle interprétation du critère initial. Ce n'est pas seulement l'âge de l'assuré qui compte, mais le caractère raisonnable de sa démarche contractuelle eu égard aussi à son état général.

Si le critère s'affine -ce que nul ne peut déplorer-, il ne peut, toutefois, être seul pris en compte. En effet, quels que soient les progrès de la médecine et la fiabilité des statistiques d'espérance de vie, une personne peut conclure, assez jeune, un contrat d'assurance vie, alors que ses analyses médicales sont satisfaisantes et décéder brutalement d'une rupture d'anévrisme, pour se limiter à ce seul exemple. Par conséquent, ce seul élément ne saurait suffire à caractériser l'existence de versements manifestement exagérés eu égard aux facultés du cocontractant. D'ailleurs, la formule elle-même témoigne de l'imprégnation financière, économique dont elle est l'objet. Les tribunaux ont donc raison de ne pas tant s'attacher à une date précise -un nouveau seuil dont on sait les inconvénients-, mais à un contexte patrimonial global.

De ces seuls points de vue, l'arrêt du 21 décembre 2007 n'appelle pas de critiques majeures. En revanche, sur le plan juridique, la même conclusion ne peut pas être tirée.

II - Requalification critiquable du contrat d'assurance

La Cour de cassation, si elle s'appuie sur le constat effectué par la cour d'appel de l'existence de primes manifestement exagérées, s'attache surtout à démontrer l'existence d'une donation (A) et la requalification à opérer du contrat d'assurance (B). Dans l'un et l'autre cas, on ne peut pas approuver les raisonnements adoptés

A - L'existence d'une donation

Selon la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, l'acceptation d'une donation n'a pas besoin d'une manifestation de volonté expresse. Cette affirmation surprend pour deux raisons au moins. D'une part, admettre qu'une manifestation de volonté puisse être implicite, contient un risque de dérive. La décision contraste au moins avec nombre d'autres qui exigent des manifestations claires, sans ambiguïté, et ce notamment dans le droit des assurances lui-même. D'autre part, le législateur vient justement de démontrer sa défiance à l'égard des acceptations tacites. La loi n° 2005-1775 du 17 décembre 2007 (loi n° 2007-1775, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés N° Lexbase : L5472H33 et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition privée générale, préc.), renforçant le formalisme en matière d'acceptation des tiers bénéficiaires (8), a décidé qu'il n'est, désormais, plus possible que l'acceptation se fasse sans l'accord du stipulant (9). Il est vrai que la jurisprudence avait accepté d'admettre, autrefois, que l'acceptation de la désignation bénéficiaire par le tiers se manifestait de toutes les manières, y compris tacitement. Tel n'est plus le cas aujourd'hui.

On ne peut donc que s'étonner de ce laxisme soudain, certes quatre jours seulement après la publication de la loi ; néanmoins, sur cet aspect, les travaux préparatoires avaient permis de connaître l'orientation voulue. Aucune surprise, issue d'un amendement de dernière minute, n'est venue modifier ce qui était donc prévu. Mais surtout, la Cour de cassation déduit de cette acceptation la disqualification du contrat d'assurance -même si elle utilise le vocable de requalification-, ce qui ne peut pas davantage être approuvé en la forme et les termes employés, comme à la lecture des quatre arrêts rendus également en Chambre mixte, le 23 novembre 2004, quoi que l'on ait pu penser de leur motivation juridique imprécise voire approximative.

B - L'impossible requalification

Prétendre que le contrat d'assurance peut faire l'objet d'une requalification suppose d'avoir admis que ses caractères fondamentaux ne sont plus présents. Depuis les arrêts du 23 novembre 2004, il a certes été considéré que le contrat d'assurance était aléatoire -au sens, notamment, de l'article 1964 du Code civil- parce qu'il comporte un aléa. Celui-ci n'a, toutefois, pas été autrement défini et précisé. Quoi qu'il en soit, aurait donc disparu cet aléa, en l'espèce, parce que l'assuré a versé des sommes manifestement exagérées eu égard à ses facultés. Or, un tel raisonnement ne nous paraît pas exact. Il consiste à appliquer une sanction -puisque là encore, il faut bien appeler ainsi celle-ci- qui n'a pas été prévue par le législateur, alors même que ce dernier en a institué une. En effet, l'article L. 132-13, alinéa 2, du Code des assurances a organisé une sanction consistant à soumettre les sommes jugées excessives aux règles du droit des successions. Mais il n'a jamais énoncé qu'il en résultait aussi une requalification du contrat lui-même. Une sorte de double peine ne saurait être appliquée, sans fondement légal.

Pour conclure, on ne peut que constater les difficultés juridiques incommensurables que rencontre la Cour de cassation pour faire vivre ces contrats dont chacun s'accorde à dire qu'ils sont utiles à la vie des affaires et même bénéfiques à l'ensemble des personnes intéressées. Aurait-elle voulue, après les quatre arrêts du 23 novembre 2004 renforçant l'autonomie du droit des assurances, procéder à quelques concessions en faveur du droit commun des successions et de ses défendeurs ? Elle ne s'y est peut-être pas prise de la meilleure manière...

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Universitéde Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé

  • Les nouvelles conséquences de l'acceptation par le tiers de la clause bénéficiaire faite à son profit (Cass. mixte, 22 février 2008, n° 06-11.934, Mme Brigitte Dupuy c/ Société Generali assurance vie, anciennement dénommée Generali France assurances-vie, P+B+R+I N° Lexbase : A0474D7P)

La richesse du contentieux de l'assurance vie ces derniers mois est sans précédent, sauf à se reporter à la deuxième partie du XIXème siècle. Trois arrêts de la Cour de cassation rendus en Chambre mixte en trois ans, dont deux en trois mois -23 novembre 2004 (10), 21 décembre 2007 (11) et le dernier en date du 22 février 2008- peu de matières peuvent se vanter de faire l'objet d'autant d'attentions. Et c'est sans compter avec les deux récentes interventions du législateur, certes, après des années de souhaits doctrinaux en ce sens : la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés (12), et la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance (N° Lexbase : L5277HDS), adoptée afin de procéder à la transposition de la Directive européenne du 5 novembre 2002, concernant l'assurance directe sur la vie (Directive 2002/83/CE N° Lexbase : L7763A8Z).

Pour autant, à chaque fois, le résultat obtenu -s'il est souvent inévitable et heureux d'un point de vue pratique- appelle, néanmoins, des remarques sur le plan de la rigueur juridique. En 2004, c'est une absence de choix véritable qui se présentait à nos Hauts magistrats, notamment eu égard aux sommes en jeu. Le 21 décembre 2007, là, la motivation retenue aurait pu être plus stricte. Enfin, dans le présent arrêt de la Cour de cassation réunie en Chambre mixte (les première et deuxième chambre civile ainsi que la Chambre commerciale), en date du 22 février 2008, le législateur ayant modifié le droit antérieur, le juge n'avait pas de raisons sérieuses de s'opposer à ce dernier en adoptant une solution contraire. A fortiori devait-il en être ainsi parce que les circonstances étaient de celles qui se rencontrent de manière fréquente. L'arrêt est donc appelé à faire jurisprudence.

Un assuré souscrit, en 1999, un contrat d'assurance vie mixte prévoyant donc, à son terme, le versement d'un capital à l'assuré, ou bien, en cas de décès de ce dernier auparavant, le règlement aux bénéficiaires désignés. N'est pas plus original le fait que ces tiers bénéficiaires aient accepté assez vite la stipulation faite à leur profit. Car, s'il n'est plus rare, depuis peu de temps, que le stipulant ait été prévenu des dangers, en assurance vie, d'indiquer aux tiers bénéficiaires l'avantage auquel ils peuvent prétendre, une telle mise en garde n'était pas systématique en 1999, date des faits de l'espèce. D'ailleurs, il ne faut pas exclure qu'elle ait eu lieu et que le stipulant soit passé outre, pensant pouvoir faire confiance aux tiers concernés ou souhaitant leur faire plaisir. Peu importe les raisons de cette attitude, sans nul doute altruiste et bienveillante, tout en étant hélas dangereuse et naïve, le résultat fut le refus, logique, par l'assureur, de faire droit à la demande ultérieure de rachat par l'assuré.

Pour pouvoir, néanmoins, récupérer les sommes versées, au moins en partie, le stipulant tente alors d'obtenir la nullité de son contrat d'assurance vie et, à titre subsidiaire, sa réduction. La démarche, a priori, était vouée à l'échec. Mais contre toute attente, la cour d'appel, décide que l'assuré a conservé le droit d'effectuer le rachat de son contrat d'assurance vie. Les tiers bénéficiaires ne manquent alors pas de rappeler la règle acquise jusqu'alors, à savoir que le droit au rachat de l'assuré suppose l'absence d'acceptation de la clause bénéficiaire. Lorsque celle-ci s'est produite, le stipulant perd son droit, sauf accord du ou des tiers bénéficiaires, conformément aux articles L. 132-8 (N° Lexbase : L9843HEB), L. 132-9 (N° Lexbase : L0138AAD), L. 132-12 (N° Lexbase : L0141AAH) et L. 132-14 (N° Lexbase : L0143AAK) du Code des assurances. Or, la Cour de cassation va confirmer l'analyse de la cour d'appel en indiquant que, "lorsque le droit au rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d'assurance vie mixte, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation, n'est pas fondé à s'opposer à la demande de rachat du contrat en l'absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit", ce qui, selon elle, était le cas en l'espèce.

En d'autres termes, les pouvoirs dont disposait le tiers bénéficiaire ont été réduits au profit de l'assuré, souscripteur et stipulant pour autrui (I), ce qui se trouve être, exactement, ce que le législateur a modifié par la loi n°2007-1775 du 17 décembre 2007 (II).

I - La limitation du droit du tiers bénéficiaire acceptant

Dans le passé, on se souvient que la règle était la suivante : tant que l'acceptation par le tiers n'a pas eu lieu, le stipulant peut révoquer à tout moment la désignation bénéficiaire qu'il a effectuée. Mais cette disposition s'appliquait lorsque les contrats d'assurance vie étaient de pures et simples opérations de prévoyance. Avec le développement de nouvelles formes d'assurances vie et les possibilités de gestion financière offertes, le régime adopté par la jurisprudence à la fin du XIXème siècle se révèle insuffisant. Certes, la Cour de cassation avait tenu compte des nouvelles formes d'assurance. Ainsi, elle avait décidé que tant que le contrat n'est pas dénoué, le souscripteur est seulement investi, sauf acceptation du bénéficiaire désigné, du droit personnel de faire racheter le contrat et de désigner ou de modifier le bénéficiaire de la prestation (Cass. com., 28 avril 1998, n° 95-15.453, Société Paris Sud transport industrie c/ Société de constructions mécaniques Panhard et Levassoret autres N° Lexbase : A2374ACW, Bull. civ. IV, n° 153, JCP éd. G, 1998, II, note J. Bigot ; Cass. com., 25 octobre 1994, n° 90-14.316, Caisse nationale de prévoyance c/ M Géniteau [LXB= A6298ABU], Bull. civ. IV, n° 311).

Pour autant, toutes les difficultés n'étaient pas réglées : la preuve. En l'espèce, l'argument développé par le pourvoi n'était donc pas absurde, loin s'en faut. Néanmoins, la Cour de cassation en décide différemment. Elle opère un revirement de jurisprudence en arguant d'une nouvelle motivation selon laquelle le droit de rachat du souscripteur ne peut pas lui être ôté lorsqu'il a été énoncé dans le contrat d'assurance. L'argument, sur le plan contractuel, semble imparable. Mais il résiste peu au constat que tous les contrats d'assurance offrant la possibilité d'effectuer des rachats, organisent ceux-ci depuis longtemps dans des clauses contractuelles comprenant force d'indications et précisions. A fortiori le font-ils depuis quelques années puisque le législateur leur a imposé, au nom du devoir d'information de l'assureur envers ses assurés, de détailler ce que représente ce type de disposition.

C'est donc une nouvelle forme de protection que la Cour de cassation offre aux souscripteurs de contrats d'assurance vie. Là où le tiers bénéficiaire était le centre des préoccupations ancestrales, il est en quelque sorte relégué au second plan. Mais il faut reconnaître que trop soumis au bon vouloir des tiers bénéficiaires ayant accepté la désignation faite à leur profit, les souscripteurs assurés ne pouvaient plus toujours user des possibilités de leur contrat alors qu'ils avaient conclu ce dernier en fonction des opérations financières pouvant être mises en oeuvre. Le décalage entre la fiction juridique d'origine et la réalité actuelle ne cessait donc de se creuser. Par conséquent, la solution adoptée par la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, le 22 février dernier, ne peut qu'être approuvée. Mais à dire vrai, un véritable choix ne s'offrait pas à celle-ci.

II - L'absence de choix véritable laissé à la Cour de cassation

La Cour de cassation n'a guère eu la possibilité de rendre une décision en contradiction avec les nouvelles dispositions de la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007. Celle-ci a eu le souci d'inverser les priorités. Loin de se concentrer sur le tiers bénéficiaire, elle a tenté de protéger avant tout l'assuré, stipulant. Il faut convenir qu'entre les contrats d'assurance vie de la fin du XIXème siècle ne poursuivant qu'un objectif de prévoyance et les assurances mixtes actuelles dont la fonction d'épargne n'est plus discutée par quiconque, un pas considérable a été franchi.

Le but du législateur a, clairement, été, de consacrer ce rôle des contrats d'assurance vie et, non sans logique, de mettre à l'abri de mauvaises surprises ceux qui contractent de tels accords de volonté : les assurés eux-mêmes, fussent-ils aussi des stipulants. Or, à partir du moment où, après des années de silence gêné, la jurisprudence a admis, de manière implicite voire explicite -avec, notamment, les quatre arrêts du 23 novembre 2004-, la fonction d'épargne, voire de spéculation de certains contrats d'assurance vie, il convenait d'en tirer toutes les conséquences logiques, pratiques et efficaces. Parions que nous ne sommes pas au terme de l'évolution législative et jurisprudentielle majeure qui s'opère depuis ces toutes dernières années.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Universitéde Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé

  • L'assureur pédagogue et honnête (variations autour de l'obligation d'information et ses prolongements) (Cass. civ. 2, 20 décembre 2007, 2 arrêts, n° 06-21.455, F-D N° Lexbase : A1288D34 et n° 07-10.060, F-D N° Lexbase : A1404D3E)

Ces deux décisions rendues le 20 décembre dernier méritent d'être signalées car, bien que non publiées, elles traduisent, par leur nature d'arrêt de censure, combien les juges du fond peuvent avoir une lecture différente de l'économie du rapport entre assuré et assureur. L'opiniâtreté des assurés est donc récompensée tandis que les assureurs sont appelés à se conformer à l'image attendue d'un "bon professionnel" opérant dans une manière à la technicité avérée : "l'honnête assureur" se doit d'être pédagogue, ce qui exclut toute équivoque dans ses rapports (notamment épistolaires comme en l'espèce) avec l'assuré. L'honnêteté exclut qu'il cherche, avec malice, à tirer profit des erreurs commises par son assuré au moment de sa déclaration de sinistre.

A l'heure où le devoir de mise en garde est sous les feux de l'actualité (13), ces deux décisions attestent que des fondements traditionnels, l'obligation d'information et, bien qu'elle ne soit expressément visée, la cause, concernée par cette démarche consistant à chercher à échapper à ses obligations essentielles (non par une clause exonératoire ou limitative mais par un comportement -ici un silence- cherchant à échapper à son obligation de couverture), auquel s'ajoute une volonté de sanctionner la déloyauté contractuelle, sont des moyens tout aussi opérants pour assurer une "police des comportements" dans les rapports entre assureurs et assurés.

Dans la première espèce, l'assureur couvrant une "multirisques habitation" adresse à son assuré une lettre de mise en demeure pour non-paiement de la prime venue à échéance le 27 janvier 2002, qui l'informe que "faute de règlement il s'exposait à la suspension des garanties après un délai de trente jours à compter de l'envoi recommandé puis à la résiliation du contrat après un délai supplémentaire de 10 jours". L'assureur ne fait ici que rappeler à son assuré les termes de l'article L. 113-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L0062AAK).

L'assuré s'acquitte du paiement le 17 juillet 2002. Un sinistre étant survenu le 16 septembre suivant, il réclame la couverture du dommage par son assureur. La cour d'appel de Bordeaux estime que la résiliation du contrat était acquise à la date du 25 juin 2002, de sorte qu'elle déboute l'assuré qui, croit-on deviner, avait dû soulever l'équivoque de la mise en demeure adressée par l'assureur. Les juges bordelais avaient écarté l'argument, aux motifs "que la mise en demeure envoyée par l'assureur est une lettre type dans laquelle il se laisse la possibilité de ne pas résilier le contrat, qu'il s'agit d'une éventualité qu'il se réserve, en fonction de critères qui lui appartiennent, la règle étant bien entendu la résiliation, et qu'il revient à l'assuré de se renseigner de manière précise sur les intentions de son assureur". La Cour de cassation redresse l'analyse en retenant que "la formulation de la mise en demeure n'était pas de nature à attirer l'attention de l assuré sur les conséquences précises du non-paiement intégral de la prime et sur l'intention de l'assureur de procéder à la résiliation, et alors qu'il n'appartient pas à l'assuré de se renseigner sur cette intention".

L'arrêt insiste donc sur la nécessaire clarté de la lettre de mise en demeure et chasse toute équivoque, laquelle se retourne contre l'assureur. En cela, il se situe dans la lignée d'un arrêt de censure, antérieur, ayant retenu que viole l'article L. 113-3 précité le juge qui déduit "de la mise en demeure et du silence de l'assureur sur le maintien du contrat, l'exercice par [l'assureur] de son droit de résiliation alors que la mise en demeure ne visait que la suspension [...] et que ni par la mise en demeure ni par une nouvelle lettre l'assureur n'a notifié son intention de résilier" (14).

La lecture combinée de ce précédent et de l'arrêt du 20 décembre 2007 permet d'attirer la vigilance des assureurs. Il résulte de cette jurisprudence que la mise en demeure initiale doit être d'une grande clarté dans sa description du mécanisme conduisant à une résiliation d'ores et déjà envisagée en tant que terme (évènement certain) se déclenchant après que se soit écoulé le délai de 10 jours postérieur à la période de suspension de la garantie. Toute équivoque dans la mise en demeure initiale nécessite un courrier distinct signifiant la résiliation. Un auteur a justement souligné que "l'assureur, à qui il appartient de prendre l'initiative de résilier, peut, dans le même instrumentum, mettre en demeure son assuré et, par un post-scriptum le plus souvent, indiquer son intention univoque de résilier en cas de non-paiement dans les délais (15). Il évite ainsi d'adresser une seconde lettre et la résiliation prend effet dès le délai de dix jours écoulés après la date de suspension des garanties. L'option de la lettre unique ou de la double lettre appartient à l'assureur (16)" (17).

Il nous semble, toutefois, plus prudent de ne pas faire l'économie de l'envoi de cette seconde lettre [recommandée de préférence, mais une lettre simple pourrait y suffire, l'article R. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0548AAK) n'exigeant une lettre recommandée (sans nécessité d'avis de réception) que pour la mise en demeure, donc pour le courrier initial de cette procédure]. On se souvient de la formule de Carbonnier à propos de la mitoyenneté : "l'économie d'un second mur se paie parfois des frais d'un procès" ! L'analogie est ici tentante : l'économie d'une seconde lettre pourrait bien se payer (au centuple !) des frais d'un procès en interprétation de la mise en demeure !

L'assuré n'ayant nulle obligation de se renseigner sur une éventuelle renonciation par l'assureur au bénéfice de son droit à la résiliation, ce qui est parfaitement logique, c'est sur l'assureur que pèse l'obligation de l'informer sur ses intentions. Tout doute sur la clarté de la mise en demeure quant à l'effectivité de la résiliation se retournera donc contre l'assureur...

On notera, cependant, qu'en l'espèce, l'assureur semble bien avoir encaissé sans réserve la prime postérieurement à la date retenue (finalement à tort) par les juges du fond comme celle à laquelle la résiliation devait (selon eux) être considérée comme acquise. Un encaissement au 17 juillet pour un contrat censé résilié au 25 juin ne traduit-il pas une renonciation de l'assureur au bénéfice de cette résiliation ?

Si une jurisprudence l'a, un temps, soutenu (18), elle s'est, depuis un arrêt de la première chambre civile rendu en 2003 (19), confirmé par un arrêt de la Chambre criminelle en 2006, positionné en sens contraire, énonçant dans un attendu de principe "que la renonciation à un droit ne peut résulter que d'un acte manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que tel n'est pas le cas de l'encaissement que fait sans réserves l'assureur, après la date de la résiliation, d'une prime venue à échéance antérieurement" (20). Que faut-il en penser ? Une prime (ou plutôt une quote-part de prime, prorata temporis) est bien due. Il ne saurait donc être question d'un indu complet. En outre, lorsque la mise en demeure est bien exempte d'ambiguïté et que la date à laquelle la résiliation sera acquise est bien présente à l'esprit de l'assuré, il est indéniable qu'en s'acquittant, en toute connaissance de cause, d'un paiement postérieurement à la date d'acquisition de la résiliation, il ne peut s'attendre à "réactiver le contrat". Comme on l'a judicieusement noté, "la jurisprudence a d'ailleurs déjà retenu que l'assureur n'était pas tenu d'informer l'assuré que son paiement tardif n'avait pas d'effet pour une mise en vigueur des garanties du contrat après la résiliation" (21).

En revanche, lorsque, comme en l'espèce, le paiement tardif est consécutif à une mise en demeure ambiguë, il y a lieu de considérer que l'assuré n'étant pas clairement informé de cette résiliation s'est, de bonne foi, acquitté de son obligation au paiement, apte à déclencher la reprise du contrat au lendemain à midi, en application de l'article L. 113-3, alinéa 4, du Code des assurances, donc à la couverture du dommage consécutif. Il appartiendra à la cour de renvoi de définir la sanction adaptée (maintien du contrat ou responsabilité de l'assureur).

Dans la seconde espèce jugée le 20 décembre 2007, une société ayant pour activité principale le stockage et la distribution de médicaments produits par des tiers, a souscrit auprès d'un assureur plusieurs polices destinées à couvrir les risques de son activité : une police n° 32838932 couvrant la "responsabilité civile des entreprises industrielles et commerciales" pour une activité déclarée dans les conditions particulières, "d'entreposage de médicaments sans distribution" et une police n° 13008192 couvrant l'activité de distribution de produits pharmaceutiques. Cinq sinistres survenus au cours de l'année 2002 à l'occasion de l'expédition de produits pharmaceutiques ont fait l'objet d'un refus de couverture par l'assureur. Aux termes de l'arrêt, "les déclarations de sinistres ont toutes été faites au titre de la police n° 32838932 visée expressément dans chaque courrier [...] ; que les cinq sinistres en cause se sont produits lors d'opérations de distribution des produits pharmaceutiques". L'assuré ayant déclaré des sinistres sur le fondement de la mauvaise police avait cherché à soulever, devant les juges d'appel, le bénéfice de la seconde police. La cour d'appel le reçoit par une "volée de bois vert" : "la société soutient vainement que le contrat applicable serait le contrat n° 13008192, qui vise l'activité de distribution de produits pharmaceutiques, alors qu'elle a délibérément placé les sinistres sous l'empire de la police n° 32838932 précisément visée lors de leur déclaration" ; l'analyse était extrêmement sévère, qui consiste à tenir l'attitude de l'assuré pour une démarche "délibérée", c'est-à-dire réfléchie et éclairée. Or, une telle analyse postule une parfaite compréhension du contrat d'assurance, a fortiori dans un contexte d'assurances multiples auprès d'un même assureur.

La Cour de cassation a heureusement censuré les juges d'appel, aux motifs que "la mention erronée sur une déclaration de sinistre d'un contrat ne couvrant pas ce risque, ne saurait suffire à soustraire l'assureur à son obligation à garantie au titre d'un autre contrat régulièrement souscrit par le même assuré, la cour d'appel a violé" les articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 113-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI).

L'erreur de l'assuré ne saurait profiter à l'assureur qui, sinon, encaisserait une prime pour un risque réalisé mais que l'assuré aurait porté à sa connaissance au titre d'un autre contrat par lui couvert. Il lui appartient d'assister l'assuré dans sa déclaration de sinistre et de signaler cette erreur. Ne faudrait-il pas distinguer ici entre assuré "averti" ou "non averti", à l'instar de la "pente" actuelle de l'obligation de mise en garde ? Il nous semble préférable de ne pas suivre ce chemin. Aucune réticence d'information n'est ici excusable de la part de l'assureur qui couvre plusieurs contrats du même assuré. Si le cumul d'assurances auprès de plusieurs assureurs débouche, logiquement, sur une obligation pesant sur l'assuré de faire connaître à l'assureur A le nom des assureurs B ou C couvrant le même risque (cf. en ce sens, C. assur., art. L. 121-4 N° Lexbase : L0080AA9), l'assurance cumulative "avec soi-même" nous semble logiquement déboucher sur une répartition tout autre des obligations. Dans ce contexte, s'impose une obligation d'information renforcée de l'assureur se traduisant, au moment de la déclaration de sinistre, par une assistance de l'assuré, à tout le moins par un signalement de ses erreurs, sans que, dans cette matière technique, il soit utile de distinguer entre erreur ou omission matérielles (qui seraient seules réparables) et erreurs intellectuelles (qui ne le seraient pas).

Dira-t-on qu'assister un assuré est faire peser sur l'assureur une obligation excessive ? Dira-t-on qu'un assureur pourrait légitimement profiter d'une erreur de son assuré comme, ailleurs, un acheteur sait profiter d'une erreur sur la valeur de son vendeur (22) ? Ce n'est pas souhaitable et ne correspond nullement à l'esprit du Code des assurances. Est-ce à dire qu'un assureur ne puisse jamais profiter d'une erreur de son assuré ? On prendra pour exemple la déclaration de sinistre tardive pour étayer l'idée selon laquelle le Code des assurances ne se satisfait nullement d'une erreur ou d'une faute "sèche" de l'assuré. L'article L. 113-2 du Code des assurances subordonne le jeu des clauses de déchéance pour déclaration tardive à la démonstration par l'assureur "que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice". N'y a-t-il pas quelque enseignement à en tirer, par analogie, sur le terrain, ici examiné par l'arrêt du 20 décembre 2007, d'une erreur dans la désignation de la police ? La couverture est due car l'erreur de l'assuré ne peut, ni moralement ni juridiquement, lui être opposée. Ne pourrait-on admettre que l'assureur puisse invoquer le préjudice que lui a causé une déclaration erronée de l'assuré ? Si l'on considère qu'il appartient à l'assureur de soulever "d'office" le jeu de la bonne police d'assurance, l'erreur de l'assuré ne saurait être causale d'une tel préjudice. Si l'on considère que cette obligation d'assistance, de "coopération" de l'assureur n'exclut pas la qualification de faute de l'erreur de l'assuré, cette voie d'une "faute du créancier" serait ouverte...

La lecture combinée de ces deux décisions conduit à approuver la double censure opérée par les Hauts magistrats, confrontés à des décisions excessivement sévères de cours d'appel. La Cour de cassation a raison de creuser le sillon d'une moralisation des affaires, singulièrement du droit des assurances.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de NantesMembre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) Les premières "découvertes" et mises en garde doctrinales de la difficulté née de la compatibilité de la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1009 N° Lexbase : L5011E4D), de la Directive européenne de 1992 (Directive (CE) 92/49 du 18 juin 1992 N° Lexbase : L7533AUK) et des articles 1104, alinéa 2, et 1964 du Code civil, datent de 1994 ; M. Grimaldi, Réflexions sur l'assurance vie et le droit patrimonial de la famille, Rép. Défr., 1994, n° 35841, p. 737 ; V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, dacty. 1994, LGDJ, 1996, préf. Jacques Héron.
(2) Cass. mixte, 23 novembre 2004, n° 03-13.673 (N° Lexbase : A0919DER), n° 01-13.592 (N° Lexbase : A0225DE3), n° 02-11.352 (N° Lexbase : A0235DEG) et n° 02-17.507 (N° Lexbase : A0265DEK), Bull. n° 4, p. 9 ; RTDCiv., 2005, p. 434, obs. M. Grimaldi ; RGDA, 2005, p. 480, note J. Bigot ; D., 2004, somm. 3192, obs. H. Groutel.
(3) Cass. civ. 1, 19 avril 2005, n° 02-10.985, M. René Lacoste c/ Mme Annie Philippe, FS-P+B (N° Lexbase : A9499DHB), Bull. civ. I, n° 189, p. 159 ; Cass. civ. 2, 12 mai 2005, n° 03-17.994, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGVAT) c/ Association Clair Soleil, FS-P+B (N° Lexbase : A2266DIR), RGDA, 2005, n° 2, p. 690, note L. Mayaux.
(4) L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11 ; F. Leduc et Ph. Pierre, Assurance-placement : une qualification déplacée, RCA, février 2005, n° 3, p. 7 ; R. Libchaber, Rép. Défr., 2005, n° 07/05, chron. 38142, p. 607 ; A.-M. Ribeyre, Assurance-vie : le débat se déplace de l'aléa vers la prime excessive, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 10. Sauf : B. Beignier, D., 2005, p. 1905 ; H. Lécuyer, Promesses jurisprudentielles de longue vie à l'assurance-vie, J. Cl. Droit de la famille, mars 2005, chron. n° 6, p. 11 ; L. Mayaux, RGDA, 2005, n° 1.
(5) Cass. civ. 1, 1er juillet 1997, n° 95-15.674, M. Daniel Regent c/ M. Raoul Regent (N° Lexbase : A0522ACC), Bull. civ. I, n° 217, D., 1998, p. 543, note Choisez, RCA, 1997 comm. 317, RGDA, 1997, p. 822, note J. Bigot, JCP éd. G, 1998, I 133, note Le Guidec.
(6) Voir, nos obs., sous Cass. civ. 1, 31 octobre 2007, n° 06-14.399, Mme Marie-Madeleine Morisset, épouse Picard, FS-P+B (N° Lexbase : A2316DZS), Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6017BD9) ; nos obs., Versement de primes manifestement exagérées en assurance vie : rares utilisations (à propos de l'arrêt du 4 juillet 2007), Droit de la famille, septembre 2007, n° 176, p. 30.
(7) Cass. civ. 1, 1er juillet 1997, précité.
(8) Nos obs., Assureur cherche désespérément tiers bénéficiaires de contrats d'assurance vie, Revue de Droit de la famille, janvier 2008, n° 18, p. 30 (première partie) et Revue de Droit de la famille, février 2008 (deuxième partie). Voir aussi : L. Mayaux, Les audaces tranquilles du législateur, JCP éd. G., 2008, I, 106.
(9) L. Mayaux, Assurance-vie : dans quelles conditions un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation, JCP éd. G, 2008, n° 7, 13 février 2008, p. 37 et s..
(10) Sur l'origine des difficultés, voir nos obs., Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, préc., J. Aulagnier, L'assurance vie est-elle un contrat d'assurance ?, Droit et patrimoine, décembre 1996, p. 44 et s., M. Grimaldi, Réflexions sur l'assurance vie et le droit patrimonial de la famille, Rép. Défr., 1994, n° 35841, p. 737, J. Kullmann, Contrats d'assurance sur la vie : la chance de gain ou de perte, D., 1996, chron. p. 205 et s.. Cf., également, notes (2) et (4) .
(11) L. Mayaux, Assurance-vie : dans quelles conditions un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation, préc. ; et nos obs. supra.
(12) Rapport n° 274 enregistré à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 10 octobre 2007, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur la proposition de loi (n°176) de MM. Jean-Michel Fourgous et Yves Censi, visant à permettre la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance vie non-reclamés et en déshérence, par M. Eric Straumann, député ; L. Mayaux, Les audaces tranquilles du législateur, préc., et nos obs. préc..
(13) Sur ce point, cf. V. Nicolas, Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 291 du 7 février 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N0518BEW).
(14) Cass. civ. 1, 19 mars 1985, n° 83-17.072, Société Le Lloyd Continental SA c/ Maulave (N° Lexbase : A2721AAZ), Bull. civ. I, n° 97.
(15) Validité du procédé, par ex., Cass. civ. 1, 10 janvier 1995, n° 92-13.158, Compagnie La France c/ Epoux Courtoisie (N° Lexbase : A6113AHU), Bull. civ. I, n° 19, D., 1995, IR p. 57, RCA, 1995, n° 106, RGAT, 1995, p. 358, note F. Chardin : "La mise en demeure résulte de l'envoi d'une lettre recommandée adressée à l'assuré, et que l'assureur peut notifier la résiliation dans cette même lettre, qui doit indiquer expressément qu'elle est envoyée à titre de mise en demeure, rappeler le montant et la date d'échéance de la prime et reproduire l'art. L. 113-3".
(16) Cass. civ. 1, 19 mars 1985, n° 83-17.072, préc., Bull. civ. I, n° 97, D., 1986, Somm. p. 295, 2ème esp., obs. C.-J. Berr et H. Groutel.
(17) D. Noguéro, note sous Cass. crim., 16 mai 2006, n° 05-80.974, MAAF, F-P+F (N° Lexbase : A8677DP3), D., 2006, p. 2771.
(18) Cass. civ. 1, 25 avril 1990, n° 88-11.430, Mme B. et autre c/ SA UAP, inédit (N° Lexbase : A0722C37), RCA, 1990, comm. 256 (1ère esp.) ; Cass. civ. 1, 9 juillet 1996, n° 94-15.054, M. Jean-René Besnard c/ M. André Goltais et autres, inédit (N° Lexbase : A3693CQT), RCA, 1996, comm. 373, D., 1998, somm. 49, obs. H. Groutel ; Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-15.280, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) (N° Lexbase : A6966A4R), RCA, 1998, comm. 371, RGDA, 1998, p. 709, note L. Fonlladosa.
(19) Cass. civ. 1, 18 février 2003, n° 99-21.175, Mutuelle du Mans assurances IARD c/ Mme Véronique Levavasseur, FS-D (N° Lexbase : A2044A7T), RCA, 2003, comm. 158 et chron. 10 par H. Groutel, RGDA, 2003, p. 338.
(20) Cass. crim., 16 mai 2006, préc..
(21) D. Noguéro, note préc., qui cite Cass. civ. 1, 10 janvier 1995, précité, Bull. civ. I, n° 19 ; D., 1995, IR p. 57 ; RCA, 1995, n° 106 ; RGAT, 1995, p. 358, note F. Chardin : "même rédigée partiellement sous forme de post-scriptum, la notification de la résiliation ne prêtait à aucune équivoque et répondait aux exigences légales et réglementaires, lesquelles n'imposent pas à l'assureur de préciser l'absence d'effet d'un paiement ultérieur de la prime".
(22) En ce sens, cf., en dernier lieu, Cass. civ. 3, 17 janvier 2007, n° 06-10.442, M. Didier, André, Edouard Theuillon, FS-P+B (N° Lexbase : A6928DTR), D., 2007, p. 1051, note D. Mazeaud et p. 1057, note Ph. Stoffel-Munck ; JCP éd. G, 2007, II. 10042, note Ch. Jamin ; RTDCiv., 2007 p. 335, obs. J. Mestre et B. Fages.

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