La lettre juridique n°295 du 6 mars 2008 : Éditorial

Conséquence ontologique de l'extinction progressive de l'appel suspensif

Lecture: 4 min

N3535BEN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Conséquence ontologique de l'extinction progressive de l'appel suspensif. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209884-consequence-ontologique-de-lextinction-progressive-de-lappel-suspensif
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


"L'exécution provisoire ne peut pas être poursuivie sans avoir été ordonnée si ce n'est pour les décisions qui en bénéficient de plein droit. Sont notamment exécutoires de droit à titre provisoire les ordonnances de référé, les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l'instance, celles qui ordonnent des mesures conservatoires ainsi que les ordonnances du juge de la mise en état qui accordent une provision au créancier". "Hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation". A la lecture des articles 514 et 515 du Code de procédure civile, rien ne permet de penser qu'il s'agit là de l'une des traductions du séisme profond qui gouverne la philosophie française quant à la nature même de l'appel juridictionnel. Pourtant, combinés aux articles 524 et suivants du même code, d'aucuns noteront, cette semaine, avec Christian Boyer, Avoué à la cour d'appel de Toulouse, qu'en élargissant le champ d'application de l'exécution provisoire de droit ou ordonnée des jugements de première instance, et en contraignant le Premier président de la cour d'appel à justifier rigoureusement la suspension de cette exécution par des "conséquences manifestement excessives", c'est le principe même de l'effet suspensif de l'appel qui est progressivement remis en cause.

Or, un effet dévolutif et un effet suspensif : voilà ce que l'on apprenait sur les bancs universitaires au sujet de la voie de recours qu'est l'appel. Et, l'un ne va pas, philosophiquement et originellement, sans l'autre. Permettre à une cour d'appel de rejuger un litige, sans suspendre les effets d'un premier jugement, n'est-ce pas amputer quelque peu l'appel de sa force de réformation et, ainsi, les droits de la défense ? N'est-ce pas, même si l'exécution provisoire reste théoriquement de principe, et que la suspension peut toujours être ordonnée par le Premier président, un bouleversement fondamental de la nature même de l'appel qui s'opère progressivement sous l'empire du décret du 28 décembre 2005, réformant les procédures civiles ?

Poussons l'analyse un peu plus loin et remarquons qu'avec cette réforme, c'est non seulement un alignement de la procédure civile sur les canons de la procédure administrative, au regard des articles R. 811-14 à R. 811-19 du CJA, qui rejette, en principe, tout effet suspensif à l'appel des décisions des juridictions administratives, mais, plus encore, la réaffirmation que l'appel est, avant tout, une voie de réformation et non une voie d'achèvement.

L'appel voie de réformation, et le juge va pouvoir rejuger l'affaire au fond, sur les points où il y a eu appel, et changer le jugement rendu en première instance. L'appel voie d'achèvement, et le juge va pouvoir "tenir compte de ce que la matière a pu évoluer depuis la décision du premier juge, de ce que les parties ont pu changer de conseil, et, par conséquent de stratégie, de ce que, de toute façon, du fait de la décision même qui a été rendue au premier degré, la matière s'est décantée, les vraies difficultés apparaissent plus clairement" (Rapport "Magendie" au ministre de la Justice, 15 juin 2004, p. 63). Conception restrictive contre conception extensive de l'appel ?

Et M. Cedras, Avocat général près la Cour de cassation, d'ajouter : "Il n'y a pas d'équilibre réalisable, à proprement parler, entre ces deux aspirations. L'une des deux doit forcément être reconnue comme prépondérante, mais elle ne doit pas écraser l'autre. Il doit y avoir une coexistence, une conciliation, sous la forme d'un principe et d'une exception".

C'est la voie d'achèvement tempérée qui semble donc gouverner la nature de l'appel juridictionnel. Or, déboulonner progressivement l'effet suspensif de l'appel, tout en luttant certainement contre l'appel abusif, n'est-il pas un signe fort de la prééminence de la décision de première instance sur l'effet dévolutif de l'appel ? Autrement dit, en complexifiant, au regard des contrariétés d'appréciation des "conséquences manifestement excessives" qui peuvent naître entre le Premier président ou le juge de la radiation, la suspension de l'exécution d'un premier jugement, la réforme de 2005 rompt-elle l'équilibre entre les voies de réformation et d'achèvement, au bénéfice de la première ? Car entendons-nous bien, comment promouvoir une conception extensive de l'appel en faveur d'une dévolution entière du litige, si d'ores et déjà, on admet que la décision de première instance emporte une satisfaction telle, au regard de la Justice, qu'elle peut se prémunir d'une exécution de droit ou ad nutum ?

"L'article 6 de la Convention n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l'obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d'elles des garanties fondamentales de l'article 6 [autrement dit les droits de la défense]" peut-on lire aux termes de l'arrêt "Delcourt" rendu par la Cour européenne, le 17 janvier 1970. Mais comme "le principe du double degré de juridiction n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle" (Cons. const., décision n° 2004-491 DC, Loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française du 12 février 2004), l'affaiblissement de l'appel semblerait ne pouvoir être conscrit que par l'attention que les magistrats, eux-mêmes, pourront porter à chaque litige.

"La justice est gratuite. Heureusement, elle n'est pas obligatoire" ironisait Jules Renard. "Le moyen d'acquérir la justice parfaite, c'est de s'en faire une telle habitude qu'on l'observe dans les plus petites choses, et qu'on y plie jusqu'à sa manière de penser" ajoutait Montesquieu, dans [S]es pensées.

newsid:313535

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.