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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 05 Novembre 2015
Lexbase : A la suite de la jurisprudence "de Ruyter" (CJUE, 26 février 2015, aff. C-623/13 N° Lexbase : A2333NCE) ayant condamné la France et la confirmation de celle-ci par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 27 juillet 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 334551, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0729NNC), quelle est la position de l'administration fiscale française sur les remboursements en cours ?
Mallory Labarrière et Olivier Lefort : La décision du Conseil d'Etat du 27 juillet 2015, se ralliant à l'arrêt de la CJUE du 26 février 2015 rendu à la suite de la question préjudicielle que le Conseil d'Etat lui avait posée, a confirmé que les prélèvements qui participent au financement de régimes obligatoires de Sécurité sociale sont soumis au principe d'unicité de législation énoncé par l'article 13 du Règlement européen sur la Sécurité sociale du 14 juin 1971 (Règlement CEE n° 1408/71 N° Lexbase : L4570DLT). Il en a déduit que le contribuable, qui était exclusivement affilié à un régime de protection sociale étranger et qui, donc, payait déjà des cotisations sociales aux Pays-Bas où se trouvait son employeur, ne pouvait être redevable de prélèvements sociaux en France sur ses revenus de patrimoine alors même qu'il était résident fiscal français.
L'intérêt pratique de cette affaire, et donc de son retentissement, est que les prélèvements sociaux en cause concernaient non pas des revenus d'activité pour lesquels il existait déjà une décision de la Cour de justice mais bien des revenus du patrimoine. Elle a donc réitéré son analyse en indiquant que les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine présentaient "un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du Règlement 1408/71, indépendamment de l'absence de relation entre les revenus du patrimoine des personnes assujetties et l'exercice d'une activité professionnelle par ces dernières" (CJUE, 26 février 2015, aff. C-623/13, points 28 et 29).
En d'autres termes, le produit de ces prélèvements est destiné à financer des prestations qui ne bénéficient qu'aux seules personnes assurées au régime français de Sécurité sociale. Par suite, les contribuables, qu'ils soient ou non-résidents fiscaux, et dès lors qu'ils sont déjà affiliés à un régime obligatoire de Sécurité sociale dans l'un des 28 Etats membres de l'UE signataires du Règlement européen ou en Suisse ne seraient pas assujettis aux prélèvements sociaux en France.
De nombreux contribuables étrangers ayant acquitté à tort les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine tels que les revenus fonciers ou sur les revenus de placements tels que les plus-values immobilières ont d'ores et déjà présenté des réclamations contentieuses auprès des services fiscaux compétents afin de demander la décharge desdits prélèvements.
Depuis la décision du Conseil d'Etat du 27 juillet 2015, les réclamations présentées par les contribuables sur ce motif restaient dans l'attente d'une décision de l'administration centrale qui devait communiquer ses instructions aux services fiscaux en charge du traitement des dossiers de demande de remboursement.
La position de l'administration fiscale a été récemment clarifiée dans le communiqué de presse du ministère des Finances et des Comptes publics du 20 octobre 2015 (cf. Lexbase - Hebdo édition fiscale, n° 631 N° Lexbase : N9698BUQ).
D'après ce communiqué, la restitution des prélèvements sociaux s'applique "aux personnes affiliées à un régime de Sécurité sociale d'un pays autre que la France situé dans l'UE, l'EEE ou la Suisse". Les ressortissants suisses bénéficiant des accords européens sur la Sécurité sociale peuvent, en effet, bénéficier de cette jurisprudence.
Sont concernés les prélèvements sociaux grevant les revenus fonciers et les plus-values immobilières que le contribuable soit résident fiscal français ou non. Sont également concernés les revenus de capitaux (dividendes, intérêts...) et les plus-values mobilières des résidents fiscaux français.
Toutefois, le communiqué précise que les prélèvements donnant droit à restitution sont uniquement ceux affectés au budget des organismes sociaux. Par conséquent, le prélèvement de solidarité de 2 % dû avant le 1er janvier 2015 ne fera pas l'objet d'une restitution.
Les délais de réclamation diffèrent selon le type de revenus visé et nous conseillons aux résidents et non-résidents possiblement concernés par ces mesures, de prendre l'attache d'un professionnel au plus vite pour s'assurer, le cas échéant, de l'introduction d'une réclamation avant le 31 décembre 2015.
Pour ceux qui ont déjà présenté une réclamation contentieuse, leur dossier devrait faire l'objet d'une décision rapidement.
Les contribuables seront en droit d'obtenir des intérêts moratoires sur les sommes qui leur seront remboursées.
Il est à noter que l'administration fiscale faisant une lecture littérale des décisions sus-évoquées rejettera les réclamations des ressortissants de pays tiers qui ne sont pas affiliés à un régime de Sécurité sociale dans un pays membre de l'Union européenne, de l'Espace économique européen (Islande, Norvège et Liechtenstein) ou de la Suisse, puisque le Règlement européen sur la Sécurité sociale ne leur est pas applicable.
Or, le raisonnement du Conseil d'Etat pourrait être transposé aux résidents hors Europe qui sont en matière de protection sociale dans une situation similaire. La position du Gouvernement et l'administration fiscale crée une discrimination à laquelle la jurisprudence répondra. Les contentieux sur le sujet ne sont donc pas terminés et les non-résidents vivant hors de l'Union européenne peuvent maintenir leurs réclamations.
Lexbase : Par quels moyens légaux le Gouvernement compte-t-il récupérer le manque à gagner ? L'obstination de ce dernier n'est-elle pas vouée à l'échec au regard du droit de l'Union ?
Mallory Labarrière et Olivier Lefort : Compte tenu de l'impact budgétaire de cette décision et pour continuer à assujettir aux prélèvements sociaux les revenus perçus par des personnes affiliées à un régime de Sécurité sociale d'un autre état membre de l'UE, l'article 15 du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2016 se livre à un jeu de réaffectation des cotisations sociales.
L'un des reproches fait par la CJUE à la législation française est qu'elle soumettait des contribuables n'étant pas affiliés au régime français de Sécurité sociale au paiement de cotisations destinées à financer des prestations auxquelles ils ne pouvaient prétendre.
Pour se conformer au droit communautaire, le Gouvernement a présenté un article 15 au PLFSS d'une certaine complexité rédactionnelle. En effet, le dispositif envisagé par le PLFSS 2016 consiste, en pratique, à affecter la CSG/CRDS à des prestations non-contributives telles le fonds de solidarité vieillesse (FSV).
En compensation, les caisses financées jusqu'à présent par les prélèvements sociaux, comme la caisse d'assurance maladie, seraient dorénavant financées par la CSG "activité remplacement et jeu", la taxe sur les salaires et la C3S.
Si cette mesure règle le sort des résidents français affiliés au régime obligatoire de Sécurité sociale d'un autre Etat membre de l'UE, il ne semble pas régler celui des non-résidents. En effet, puisque les non-résidents ne bénéficient pas du FSV, cette mesure pourrait faire l'objet d'une nouvelle condamnation sur le fondement des textes communautaires. En effet, l'affectation proposée du produit de ces prélèvements à des prestations non-contributives se heurte toujours au principe d'unicité de législation sociale puisque les prestations non-contributives relèvent également des champs d'application des Règlements européens de Sécurité sociale n°1408/71 et n° 883/04.
Cette réforme ne semble donc pas être à l'abri de contestation ultérieure, ce qui est corroboré par le nombre important d'amendements déposés à son encontre.
Lexbase : S'agissant de la régularisation des comptes bancaires non déclarés à l'étranger, le Gouvernement a affiché, à la rentrée, le succès de cette mesure. Comment expliquez-vous ce retour des "repentis fiscaux" ? En quoi le projet BEPS facilitera cette tendance ?
Mallory Labarrière et Olivier Lefort : Le succès de la cellule de régularisation s'explique à notre sens par quatre raisons principales.
En effet, l'amende par compte bancaire non déclaré à l'étranger est de 1 500 euros lorsque le compte est situé dans un pays ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative permettant l'accès aux renseignements bancaires et de 10 000 euros lorsqu'une telle convention n'existe pas. Toutefois, dès lors que le total des avoirs non déclarés situés à l'étranger est égal ou supérieur à 50 000 euros, l'amende par compte non déclaré est de 5 % du solde créditeur de ce même compte, sans pouvoir être inférieur à 1 500 euros ou 10 000 euros selon le cas. Conformément à l'article L. 188 du LPF (N° Lexbase : L3941ALK), l'amende se prescrit par 4 ans. Ainsi, un contribuable risque déjà avec la simple amende, de devoir verser à l'administration fiscale a minima 20 % du montant de ses avoirs détenus sur son compte à l'étranger.
A cela vient s'ajouter le rappel des droits en principal d'IR et de prélèvements sociaux depuis 2006, d'ISF depuis 2007 et des droits de mutations le cas échant si la succession a été ouverte depuis 2005, les intérêts de retard et la majoration pour manquement délibéré de 40 % sur les rappel des droits (1).
En outre, des peines pénales, prévues par l'article 1741 du CGI (N° Lexbase : L9491IY8), peuvent être amenées à être appliquées s'élevant à un maximum de 2 000 000 d'euros et à 7 ans d'emprisonnement.
Dans le cadre d'une régularisation spontanée, l'amende de 5 % passe alors à 1,5 % si les revenus sont considérés comme passifs (2) et à 3 % lorsque les revenus sont considérés comme actifs (3), et la majoration pour manquement délibéré est alors de 15 % lorsque les revenus sont passifs et de 30 % lorsqu'ils sont actifs, au lieu de 40 %.
Ainsi, et a fortiori, lorsqu'il s'agit d'avoirs reçus dans le cadre d'une succession, la différence entre la régularisation spontanée et la régularisation initiée par l'administration fiscale est du simple au double. Dans la première situation, le contribuable encourt un montant global de l'ordre de 30 % du montant de son compte ouvert à l'étranger alors que dans la deuxième c'est 60 % à 70 % a minima des avoirs détenus sur son compte à l'étranger qu'il risque devoir verser à l'Etat.
De nombreux contribuables qui ne pensaient pas être dans l'illégalité se sont ainsi renseignés auprès de leurs banques étrangères, de banques françaises, de professionnels du droit français et étrangers. Certaines banques étrangères elles-mêmes ont d'ailleurs averti leurs clients de cette obligation de régulariser leurs avoirs.
Les risques encourus par les contribuables qui ne régularisent pas spontanément sont trop importants compte tenu des amendes, majorations et peines encourues surtout dans notre nouvelle aire fiscale qui va vers la transparence et les échanges accrus entre les Etats (cf. infra). A terme, les contribuables qui n'auront pas régularisé spontanément ont de fortes chances de recevoir une demande de renseignements de la part de l'administration et ne pourront plus bénéficier des amendes et majorations minorées.
En effet, l'entrée en vigueur, en 2018, des échanges automatiques des informations bancaires entre les Etats, devrait coïncider avec la suppression des remises d'amendes et majorations des droits prévues par l'administration dans le cadre des régularisations spontanées.
Les contribuables risqueront, outre les peines pénales, de se voir confisquer a minima 60 % à 70 %, si ce n'est 100 % de leurs avoirs détenus à l'étranger.
Le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting Project) conduit par l'OCDE et le G20 s'organise autour de 15 actions destinées à enrayer l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Une partie de ces actions a déjà fait l'objet de rapports et de recommandations qui, bien qu'approuvés sur le principe, doivent encore être finalisés.
Sur ces quinze actions, deux concernent directement les résidents personnes physiques à l'étranger : l'une destinée à mettre en place des lois anti-abus des conventions fiscales, une autre dont le but est de créer une convention multilatérale.
Néanmoins, bien que l'un des buts du projet BEPS soit d'éviter l'évasion fiscale, aucune mesure concrète ou dispositif d'incitation n'a encore été mis en place concernant les contribuables détenant des avoirs non-déclarés à l'étranger.
En revanche, un autre projet de l'OCDE aux contours mieux dessinés facilitera cette tendance dans les années à venir : l'échange interbancaire automatique d'informations. Le but de ce projet est d'introduire un échange automatique d'informations au niveau européen puis mondial dans la même veine que la loi FATCA (4) de façon à proscrire à terme le secret bancaire. Une fois entré en vigueur, l'échange automatique d'informations permettra à l'administration française de disposer de renseignements complets concernant les avoirs détenus par des résidents français à l'étranger (revenus, soldes de comptes, produits de vente d'actifs financiers, etc.).
De nombreux pays se sont déjà engagés à respecter cet accord : d'abord les pays membres de l'Union européenne et de l'Espace économique européen (dont la Suisse) mais aussi des pays traditionnellement opposés à ce genre de pratique comme les Seychelles ou Curaçao. Le début des échanges devrait débuter le 1er janvier 2017 pour certains pays signataires, en 2018 pour d'autres.
(1) Nous n'abordons pas l'application de l'article L. 23 C du LPF (N° Lexbase : L0048IWP) permettant l'application de droits de mutation au taux de 60 %, ni l'amende de 12,5 % applicable dans le cadre de trusts.
(2) Sont considérés comme revenus passifs les avoirs reçus dans le cadre d'une succession ou d'une donation et ceux constitués par le contribuable lorsqu'il ne résidait pas fiscalement en France.
(3) Sont considérés comme revenus actifs, les autres origines que celles des revenus passifs, par exemple les avoirs constitués par le contribuable lorsqu'il résidait fiscalement en France.
(4) FATCA pour Foreign Account Tax Compliance Act est le nom accordé à la loi américaine imposant aux établissements financiers du monde entier de transmettre automatiquement les informations qu'ils détiennent sur les contribuables américains détenant des avoirs à l'étranger. Au fil des négociations intergouvernementales, cette initiative unilatérale a donné lieu à de nombreux accords bilatéraux entre les Etats-Unis et les pays du reste du monde, dont la France.
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