Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 18 décembre 2013, n° 366369, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7976KS9)
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par Adeline Couëtoux du Tertre, avocat au barreau de Nantes, Cabinet Cornet-Vincent-Segurel
le 16 Janvier 2014
Par la suite, certaines juridictions du fond ont étendu ce principe général du droit aux agents publics contractuels licenciés en raison de la suppression de leur emploi. La première, la cour administrative d'appel de Marseille, a jugé "qu'il résulte d'un principe général du droit que lorsqu'elle supprime l'emploi d'un agent bénéficiaire d'un contrat à durée indéterminée, l'autorité administrative doit le reclasser et ne peut le licencier que si le reclassement s'avère impossible ou si l'agent refuse le reclassement qui lui est proposé" (4). La cour administrative d'appel de Lyon a étendu cette obligation de reclassement aux agents recrutés pour une durée déterminée, en précisant que le principe s'applique "dès lors que [les agents] occupent un emploi permanent, dans la limite de la durée de leur contrat" (5).
Les cours administratives d'appel de Nantes (6) et Lyon (7) ont suivi ce mouvement, en confirmant l'application de ce principe général du droit en cas de suppression d'emploi liée à une réorganisation du service. La cour administrative d'appel de Versailles a fait de même dans une affaire relative à un agent public contractuel licencié pour affecter un fonctionnaire à son poste (8). Certaines juridictions du fond ont néanmoins refusé de suivre cette évolution, en jugeant qu'aucun principe général du droit n'oblige l'administration à examiner la possibilité de reclassement d'un agent licencié en raison de la suppression de son emploi (9), suivant en cela la solution traditionnelle du Conseil d'Etat (10).
Dans ce contexte, la position du Conseil d'Etat était donc très attendue. Elle est intervenue en deux temps.
Dans un premier temps, saisi par la cour administrative d'appel de Paris d'une demande d'avis sur le fondement de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT), le Conseil d'Etat avait à se prononcer sur deux questions :
- l'administration peut-elle mettre fin aux fonctions d'un agent public contractuel bénéficiant d'un CDI pour le remplacer par un fonctionnaire ?
- dans une telle hypothèse, l'administration est-elle tenue de procéder au reclassement de l'agent dans un autre emploi avant de procéder à son licenciement ?
La jurisprudence "Cavallo" (11) avait ouvert la voie en reconnaissant que le contrat de recrutement d'un agent public contractuel lui crée des droits, notamment celui de voir son contrat irrégulier régularisé, ou à défaut d'être reclassé dans un emploi de niveau équivalent ou inférieur.
Difficile, dans ces conditions, de justifier qu'un agent recruté dans des conditions irrégulières bénéficie de garanties supérieures à celles d'un agent contractuel disposant d'un contrat légal, auquel il pourrait être mis fin sans reclassement préalable. Le Conseil d'Etat a ainsi dégagé un nouveau principe général du droit en tenant le raisonnement suivant.
Les emplois permanents doivent en principe être occupés par des fonctionnaires, le recrutement d'agents contractuels sur ces emplois n'étant permis qu'à titre dérogatoire, sous forme de CDD ou, par application de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA), d'un CDI. Dès lors, le contrat de recrutement de l'agent contractuel ne lui confère pas le droit de conserver l'emploi pour lequel il a été recruté lorsque l'administration entend y affecter un fonctionnaire (le remplacement d'un agent contractuel par un fonctionnaire constitue donc un motif légal de licenciement). Pour autant, "il résulte toutefois d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du Code du travail relatives à la situation des salariés dont l'emploi est supprimé que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l'emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu'il incombe à l'administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l'emploi correspondant, de chercher à reclasser l'intéressé".
En pratique, il appartient à l'administration de proposer à l'agent un emploi de niveau équivalent ou, à défaut d'un tel emploi et à la demande de l'agent, tout autre emploi. Cependant, ces modalités ne sont que temporaires et ne valent que jusqu'à la publication des décrets d'application de l'article 49 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (N° Lexbase : L3774ISL), article qui renvoie au pouvoir réglementaire le soin de fixer les motifs de licenciement, les obligations de reclassement et les règles de procédures applicables en cas de fin de contrat.
Ainsi, aux termes de l'avis du Conseil d'Etat du 25 septembre 2013, l'obligation de reclassement était limitée à l'hypothèse d'un agent public contractuel écarté de son poste lorsque l'administration entend y affecter un fonctionnaire, le rapporteur public Damien Botteghi (que nous remercions pour l'aimable communication de ses conclusions), justifiant cette solution par la portée des questions posées par la cour administrative d'appel de Paris, "qui ne nécessitent pas que vous procédiez au grand soir des agents contractuels en posant une exigence générale de reclassement".
Le "grand soir des agents contractuels" a finalement eu lieu dans un second temps, par l'arrêt du Conseil d'Etat du 18 décembre 2013. En l'espèce, une personne avait été employée par le Groupement d'établissements publics d'enseignement technique pour adulte de Clermont-Ferrand (GRETA) en qualité de formateur contractuel pour enseigner l'anglais en entreprise depuis 2001. Son CDD avait été transformé en CDI en 2005, à la faveur des dispositions de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA). A la suite de la suppression de son emploi en 2010, elle avait été licenciée.
Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et la cour administrative d'appel de Lyon (12) avaient successivement fait droit à la demande d'annulation de la décision de licenciement, et le ministre de l'Education nationale s'était pourvu en cassation. La position des juges du fond est confirmée par le Conseil d'Etat au motif que l'administration n'avait pas cherché à reclasser l'intéressée. Dans cette décision, la Haute juridiction :
- rappelle que le remplacement par un fonctionnaire et la suppression d'emploi dans le cadre d'une modification de l'organisation du service constituent des motifs de licenciement des agents publics en contrat à durée indéterminée (à côté des motifs traditionnels que sont la faute, l'insuffisance professionnelle et l'inaptitude) ;
- étend la portée du principe général du droit dégagé dans l'avis du 25 septembre 2013 en jugeant qu'"il incombe à l'administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée, de chercher à reclasser l'intéressé".
Dans ces conclusions sur l'avis du Conseil d'Etat du 25 septembre 2013, le rapporteur public justifiait le droit au reclassement des agents publics contractuels par la conjonction de trois mouvements :
- le nombre de contrats à durée indéterminée, qui a considérablement augmenté à la faveur des dispositifs législatifs tendant à la résorption de l'emploi précaire (loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 précitée, loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 notamment) ;
- le passage d'une logique d'emploi à une logique de carrière pour les agents contractuels (obligation d'évaluation et de réexamen de leur rémunération tous les trois ans, dispositif lié à la mobilité) ;
- la jurisprudence du Conseil d'Etat qui n'a eu de cesse de renforcer la protection des agents publics contractuels, jusqu'à reconnaître, dans l'arrêt "Cavallo", que "le contrat de recrutement d'un agent contractuel de droit public crée des droits au profit de celui-ci".
Une fois de plus, le juge administratif confirme la célèbre formule du président Genevois selon laquelle "derrière le contrat, il y a un statut qui se dessine" (13).
(1) CE, S., 25 septembre 2013, n° 365139, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5989KLE).
(2) CE 7° et 5° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 227868, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9513AZD).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2007, n° 276863, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4266DUK).
(4) CAA Marseille, 2ème ch., 30 mars 2010, n° 08MA01641, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8842EWE).
(5) CAA Lyon, 3ème ch., 7 juillet 2011, n° 10LY02708, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9046HWX).
(6) CAA Nantes, 4ème ch., 30 novembre 2012, n° 11NT01865, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0046I34).
(7) CAA Lyon, 3ème ch., 11 décembre 2012, n° 12LY00520, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5155I3C).
(8) CAA Versailles, 6ème ch., 22 novembre 2012, n° 11VE01219, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6375IZ7).
(9) CAA Douai, 3ème ch., 15 décembre 2011, n° 10DA00808, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9642IBQ) ; CAA Bordeaux, 2ème ch., 12 février 2013, n° 11BX03251, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9569I7K).
(10) CE 3° et 5° s-s-r., 8 avril 1998, n° 161959, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7246AS8).
(11) CE, S., 31 décembre 2008, n° 283256, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6573ECG)..
(12) CAA Lyon, 3ème ch., 11 décembre 2012, n° 12LY00520, inédit au recueil Lebon, préc..
(13) Concl. sous CE, S, 25 mai 1979, n° 6436, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1976AKE).
Décision
CE 2° et 7° s-s-r., 18 décembre 2013, n° 366369, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7976KS9) Rejet (CAA Lyon, 3ème ch., 11 décembre 2012, n° 12LY00520 N° Lexbase : A5155I3C) Lien base : (N° Lexbase : E5884ESQ) |
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