La lettre juridique n°642 du 4 février 2016 : Sociétés

[Chronique] Chronique de droit des sociétés - Février 2016

Lecture: 35 min

N1199BWC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Chronique de droit des sociétés - Février 2016. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/28979620-chronique-chronique-de-droit-des-societes-fevrier-2016
Copier

par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) de l'Institut du droit des affaires (IDA), Directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés

le 04 Février 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de droit des sociétés de Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et de l'Institut du droit des affaires (IDA), Directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés. L'auteur a sélectionné deux textes et plusieurs arrêts. Les textes sont les décrets d'application adoptés en fin d'année 2015 (décret n° 2015-1811 du 28 décembre 2015, relatif à l'information des salariés en cas de vente de leur entreprise) et début d'année 2016 (décret n° 2016-2 du 4 janvier 2016, relatif à l'information triennale des salariés prévue par l'article 18 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, relative à l'économie sociale et solidaire) en matière de droit d'information des salariés en cas de cession d'entreprise. Les arrêts concernent les sociétés des professions libérales (Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-14-003, FS-P+B+I ; Cass. com., 8 décembre 2015, n° 14-19.261, F-P+B et Cass. QPC, 9 décembre 2015, n° 15-18.771, F-P+B), les conventions réglementées dans les SA à conseil d'administration (Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-18.688, F-P+B), un GIE et ce qu'il est possible d'y faire en termes de réserves et de bénéfices (Cass. com., 19 janvier 2016, n° 14-19.796, FS-P+B), un apport partiel d'actif non soumis au régime des scissions, donc sans effet de transmission universelle du patrimoine (Cass. com., 19 janvier 2016, n° 14-19.760, F-D), ainsi que la révocation tacite d'un président de SAS (Cass. com., 8 décembre 2015, n° 14-20.307, F-D).
  • Deux décrets d'application en matière de droit d'information des salariés dans les cessions d'entreprise (décret n° 2015-1811 du 28 décembre 2015, relatif à l'information des salariés en cas de vente de leur entreprise N° Lexbase : L1109KWY ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E4839E4Y et décret n° 2016-2 du 4 janvier 2016, relatif à l'information triennale des salariés prévue par l'article 18 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, relative à l'économie sociale et solidaire N° Lexbase : L2315KWN ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E4838E4X)

Le droit d'information des salariés en cas de cession de PME continue d'être réformé (2), tellement est-il mal écrit et donc sujet à controverse. On se souvient que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 17 juillet 2015, a déclaré la sanction de la nullité en cas de violation de ce droit inconstitutionnelle au motif qu'elle portait une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre (3) et que la loi "Macron" du 6 août 2015 (loi n° 2015-990, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC, art. 204) a, pour l'essentiel, limité aux seules ventes ledit droit et non plus à toutes les cessions, remplacé par une amende civile dont le plafond est limité à 2 % du prix de vente la sanction de la nullité et a créé un nouveau cas de dispense lorsque les chefs d'entreprise auront dans les douze mois précédents informé leurs salariés sur l'avenir de leur société et son éventuelle cession. Les mesures prises par la loi "Macron" étaient toutefois conditionnées à l'adoption d'un décret. C'est ainsi qu'un décret a été publié au Journal officiel du 30 décembre 2015 (décret n° 2015-1811 du 28 décembre 2015). Ce décret change plusieurs points : il limite cette information au cas de la vente de l'entreprise et fixe la date de réception de l'information par le salarié à celle de la première présentation en cas d'utilisation de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Plus précisément, d'abord, il tient compte du fait que la loi "Macron" a modifié la nature de la sanction, conformément à la décision du Conseil constitutionnel précitée.

Ainsi, la loi du 6 août 2015 est venue remplacer les dispositions inconstitutionnelles en complétant les articles L. 23-10-1 (N° Lexbase : L2926KWB) et L. 23-10-7 (N° Lexbase : L1997KG3) du Code de commerce par les dispositions suivantes : "lorsqu'une action en responsabilité est engagée, la juridiction saisie peut, à la demande du ministère public, prononcer une amende civile dont le montant ne peut excéder 2 % de la vente". Et le décret du 28 décembre 2015 de préciser que ces nouvelles dispositions sont applicables depuis le 1er janvier 2016. Cette nouvelle sanction n'est, toutefois, pas sans poser de réelles difficultés. En premier lieu, elle ne nous paraît pas fondée : en effet, elle a été prise sur la base de textes déclarés inconstitutionnels et, comme cela a été souligné, on ne peut pas remplacer des textes qui n'existent plus (4).
En second lieu, quand bien même cette nouvelle sanction serait effective, qui pourra mettre en oeuvre l'action en responsabilité et à l'encontre de qui, les textes précités obligeant non seulement le propriétaire de l'entreprise sociétaire, mais également le chef d'entreprise à agir et dans certains cas les salariés (5), voire des tiers (6) ? A l'encontre de qui pourra être prononcée l'amende civile ? Au demeurant, le dispositif d'amende est-il constitutionnel ou porte-t-il également une atteinte disproportionné au principe de la liberté d'entreprendre (7) ?
En troisième et dernier lieu, comment calculer ensuite le montant de l'amende lorsque le prix de vente est susceptible d'être ajusté ultérieurement ou se compose d'un earn-out non déterminé à la date du prononcé de la sanction ? Quel tribunal sera compétent -tribunal de commerce ou conseil de prud'hommes- pour connaître de l'action en indemnisation et de celle, subséquente, du ministère public ?

Ensuite, la loi "Macron" est venue modifier la loi "ESS" (loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, relative à l'économie sociale et solidaire N° Lexbase : L8558I3D) pour préciser que le mécanisme d'information préalable ne s'appliquait qu'en cas de vente des parts, actions ou valeurs mobilières donnant accès au capital. Le décret du 28 décembre 2015 remplace ainsi le terme de cession par celui de vente. Par conséquent, sont exclus du domaine d'application de la loi les transmissions à titre gratuit ou à titre onéreux qui ne sont pas des ventes, telle l'attribution judiciaire ou le pacte commissoire dans le cadre de la mise en oeuvre d'un nantissement de parts sociales ou de compte d'instruments financiers, mais aussi les échanges et certainement les apports. Sont également exclues les opérations qui ne sont pas des cessions et a fortiori qui ne constituent pas des ventes, à savoir les opérations qui emportent transmission universelle de patrimoine, les dissolutions/confusions, fusions, scissions, apports partiels d'actifs soumis au régime des scissions. Le fait que les cessions aient cédé le pas aux ventes ne nous paraît en réalité que peu modifier le dispositif.

En outre, la loi "Macron" est venue préciser le délai de réalisation de la vente. L'article L. 23-10-1 du Code de commerce, applicable dans les entreprises n'ayant pas d'obligation de mettre en place un comité d'entreprise ou en cas d'absences concomitantes du comité d'entreprise et de délégués du personnel, précisait et précise toujours que les salariés sont informés de la volonté du propriétaire souhaitant vendre ses titres au plus tard deux mois avant la date de la vente, étant entendue comme la date de conclusion du contrat. Dans cette perspective, le représentant légal notifie sans délai aux salariés cette information en leur indiquant qu'ils peuvent présenter une offre. Par conséquent, la vente intervenant avant l'expiration de ce délai viole, sauf décision de chacun des salariés de ne pas présenter d'offre, les dispositions légales. Or, la notification était très délicate à réaliser dans la mesure où l'article L. 23-10-3 (N° Lexbase : L2919KWZ) indiquait seulement que l'information des salariés peut être effectuée par tout moyen, précisé par voie réglementaire, de nature à rendre certaine la date de sa réception par ces derniers. Et toutes les modalités visées dans le décret d'application du 28 octobre 2014 (décret n° 2014-1254 N° Lexbase : L6470I4E) supposaient que le notifiant soit en mesure de prouver que la notification avait été effectivement reçue (8). La loi "Macron" a donc modifié l'article L. 23-10-1 du Code de commerce afin que le propriétaire vendeur qui n'est pas le chef d'entreprise puisse faire connaître sa volonté de vendre au chef d'entreprise par une notification, dont la forme n'est cependant pas précisée. Quoi qu'il en soit la notification n'est pas difficile à réaliser car elle n'a qu'un seul destinataire, le chef d'entreprise. Et c'est désormais à la date de cette notification que court le délai de deux mois précité. Lorsqu'en revanche le propriétaire est le chef d'entreprise, la notification de sa volonté de céder se fera directement aux salariés. C'est dans ce cas que les problèmes pourront se poser. Pour éviter les difficultés inutiles, la loi "Macron" a donc ajouté à l'article L. 23-10-3 un alinéa précisant que lorsque l'information des salariés est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la date de réception de l'information est la date de la première présentation de la lettre. Et le décret du 28 décembre 2015 confirme cela en indiquant dans les articles D. 141-3 (N° Lexbase : L3490KW8) et D. 23-10-1 (N° Lexbase : L3488KW4) du Code commerce que les mots : "la date à laquelle s'opère le transfert de propriété" sont remplacés par les mots : "étant la date de conclusion du contrat". Le délai de deux mois s'apprécie donc au regard de la date de cession, entendue comme "la date de conclusion du contrat".

Enfin et surtout, ce décret du 28 décembre 2015, qui fixe l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions au 1er janvier 2016, abroge le décret du 28 octobre 2014 qui avait inséré dans le Code de commerce des dispositions réglementaires relatives à l'application de la loi "ESS". Plus précisément, le décret du 28 décembre 2015, après avoir modifié en son article 1er des dispositions de la partie réglementaire du Code de commerce issues du décret du 28 octobre 2014, dispose en son article 2 que le décret précité de 2014 est abrogé. Est-ce à dire que tous les articles figurant dans le Code de commerce issus du décret du 28 octobre 2014 sont abrogés ? La lecture du décret du 28 décembre 2015 le laisse penser puisque le décret les ayant institués est abrogé. Le droit d'information des salariés est devenu un véritable monstre juridique qu'il conviendrait de supprimer.

Par ailleurs, un autre décret (décret n° 2016-2) a été adopté en la matière, en date du 4 janvier 2016, relatif quant à lui à l'information triennale instituée par l'article 18 de la loi "ESS" du 31 juillet 2014. A cet égard, la loi "Macron" prévoit que la procédure d'information préalable de chacun des salariés n'est pas applicable "si au cours des douze mois qui précèdent la vente, celle-ci a fait l'objet d'une information" en application dudit article 18. Cette procédure d'information triennale a été modifiée et oblige la société, depuis la loi "Macron", à informer les salariés sur les "orientations générales de l'entreprise relatives à la détention de son capital, notamment sur le contexte et les conditions d'une cession de celle-ci et, le cas échéant, sur le contexte et les conditions d'un changement capitalistique substantiel". Le décret d'application 4 janvier 2016 précise le contenu de cette information dans des termes très génériques.

Ainsi, selon le décret, l'information périodique des salariés des sociétés commerciales de moins de 250 salariés sur les possibilités de reprise d'une société par les salariés comporte les éléments suivants :
- les principales étapes d'un projet de reprise d'une société, en précisant les avantages et les difficultés pour les salariés et pour le cédant (1°) ;
- une liste d'organismes pouvant fournir un accompagnement, des conseils ou une formation en matière de reprise d'une société par les salariés (2°) ;
- les éléments généraux relatifs aux aspects juridiques de la reprise d'une société par les salariés, en précisant les avantages et les difficultés pour les salariés et pour le cédant (3°) ;
- les éléments généraux en matière de dispositifs d'aide financière et d'accompagnement pour la reprise d'une société par les salariés (4°) ;
- une information générale sur les principaux critères de valorisation de la société, ainsi que sur la structure de son capital et son évolution prévisible (5°) ;
- le cas échéant, une information générale sur le contexte et les conditions d'une opération capitalistique concernant la société et ouverte aux salariés (6°).

Cette information qui devra être donnée dans une périodicité au moins triennale aura donc, pour conséquence, si elle est donnée par l'entreprise dans les douze mois précédant la vente et donc, on peut le supposer, au moins actualisée dans ce délai (spécialement les points 5 et 6), d'éviter au vendeur des titres de la société d'avoir à notifier son intention de vendre.

Le décret ajoute que l'information est présentée par écrit ou oralement par le représentant légal de la société, ou son délégataire, lors d'une réunion à laquelle les salariés doivent avoir été convoqués par tout moyen leur permettant d'en avoir connaissance. En outre, l'obligation d'information relative aux éléments mentionnés à l'article 1er, à l'exception de ceux mentionnés aux 5° et 6°, peut être satisfaite par l'indication de l'adresse électronique d'un ou plusieurs sites internet comportant ces informations. Par ailleurs, le seuil d'effectif salarié mentionné au premier alinéa de l'article 1er est apprécié conformément aux articles L. 1111-2 (N° Lexbase : L3822IB8) et L. 1111-3 ([N° Lexbase : L5835KTB) du Code du travail.

Enfin, le décret précise que le I de l'article 204 de la loi du 6 août 2015 entre en vigueur au lendemain de la publication du présent décret. A quelle date entre réellement en vigueur ce nouveau dispositif d'information triennale ? A lire le décret, ce serait le lendemain du jour de sa publication. Est-ce à dire qu'à compter de ce jour et dans un délai de trois ans il faut que cette obligation soit respectée ? Ce qui est sûr c'est que le dispositif, initialement créé par l'article 18 de la loi "ESS", ne pouvait pas être mis en oeuvre faute de précision, si bien que le délai de trois ans pour savoir à partir de quand l'obligation d'information triennale est nécessaire doit se décompter, nous semble-t-il, ni à partir de la loi "ESS", ni à partir de la loi "Macron", mais à compter du décret du 4 janvier 2016. De sorte que les entreprises concernées auraient jusqu'en janvier 2019 pour respecter cette obligation... Qu'elles se rassurent, aucune sanction n'est prévue, autre que le droit commun, en cas de non-respect de cette information triennale.

Trois arrêts récents, adoptés en matière de sociétés de professions libérales, méritent d'être relevés.

Le premier (9) concerne une SCP de médecins dans laquelle un expert de l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L8956I34) a été désigné. Plus précisément, dans cette affaire, un tribunal de grande instance a déclaré abusif le retrait forcé de M. X d'une SCP de médecins gynécologues-obstétriciens, décidé par ses deux associés, MM. Y et Z, a condamné ces derniers à lui payer, d'une part, la valeur réelle de ses parts sociales, d'autre part, 80 % de la rémunération due entre le jour de la notification de son retrait forcé et le jour où la cession ou le rachat de ses parts aurait dû intervenir et a, avant dire droit, sur la liquidation de ces créances, ordonné une mesure d'expertise. Après dépôt du rapport, le tribunal a fixé les sommes dues par les deux associés à M. X. Ce dernier a interjeté appel de cette décision en demandant à la cour d'appel de le renvoyer à saisir le président du tribunal de grande instance aux fins de fixation de l'indemnité lui restant due. La cour d'appel ayant rejeté sa demande (10), il a formé un pourvoi. Pour rejeter sa demande tendant à être renvoyé à saisir le président du tribunal de grande instance aux fins de fixation de l'indemnité lui restant due au titre de ses parts d'associé et condamner ses anciens associés à lui payer une certaine somme à ce titre, l'arrêt d'appel énonce que le jugement du 11 mai 2004 qui a ordonné une mesure d'expertise pour liquider les créances mises à la charge de MM. Y et Z est survenu sur une saisine de M. X lui-même, que la compétence de la juridiction et la procédure suivie n'ont été contestées par personne et que ce jugement mixte a jugé la procédure régulière et fixé la méthode d'évaluation en ordonnant une expertise.

Mais, dans un arrêt du 25 novembre 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation casse ce raisonnement pour violation des articles 1843-4 du Code civil et R. 4113-51 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9093GTX), au motif "qu'il résulte de ces textes qu'en cas de refus, par l'associé retrayant d'une société civile professionnelle de médecins, du prix proposé pour la cession ou le rachat de ses parts sociales, leur valeur est déterminée par un expert désigné, soit par les parties, soit, à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés et sans recours possible ; que ces dispositions particulières revêtent un caractère impératif". La cassation intervient au terme d'un moyen relevé d'office (11), après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7861I4W) (12). C'est dire l'importance de l'arrêt, frappé en outre des mentions FS-P+B+I (13), qui permet de réaffirmer le caractère impératif de l'article 1843-4 du Code civil dans le contexte particulier de l'exclusion d'un associé d'une SCP, que l'ordonnance n° 2014-863, du 31 juillet 2014 (N° Lexbase : L1321I4P), ne remet pas en cause. L'arrêt rappelle surtout que l'expert doit être désigné par le président du tribunal et non par le tribunal. C'est en sens que la procédure revêt un caractère particulièrement impératif.

Dans un autre, en date du 8 décembre 2015 (14), concernant une SELARL de pharmaciens d'officine, il s'agissait de deux associés de ladite SELARL dont l'un des deux décide de cesser toute activité. Or une clause des statuts prévoyait, conformément à la loi du 31 décembre 1990 (loi n° 90-1258 N° Lexbase : L3046AIN), que les anciens professionnels pouvaient rester associés pendant dix ans mais que, si cette situation avait pour effet de réduire la part de capital des associés professionnels en exercice à une fraction inférieure à la moitié de ce capital, ledit associé perdait, dès la survenance de cet événement, l'exercice des droits attachés aux parts qu'il détenait.

Et précisément, parce qu'il avait décidé de cesser tout activité, l'ancien professionnel avait perdu ses droits de vote, ce qu'il contestait, mais ce que la Cour de cassation valide : "qu'en statuant ainsi, alors que les statuts d'une société d'exercice libéral de pharmacien d'officine peuvent déroger aux dispositions légales non impératives et notamment prévoir que l'associé qui cesse toute activité professionnelle peut rester associé pendant dix ans en qualité d'ancien associé, mais que, si cette situation a pour effet de réduire la part de capital des associés professionnels en exercice à une fraction inférieure à la moitié de ce capital, il perd, dès la survenance de cet événement, l'exercice des droits attachés aux parts qu'il détient et ses parts sont rachetées à la diligence de la gérance, la cour d'appel a violé les textes susvisés [article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 et article 1844-10 du Code civil N° Lexbase : L2030ABS".

Cependant, il aurait été, nous semble-t-il, plus juste juridiquement, une fois la part du capital détenue par l'ancien professionnel revenue au licite, c'est-à-dire à la minorité, que ledit associé retrouve ses droits de vote. Mais la Cour de cassation a estimé que la vocation à participer au vote devait dans son entier être supprimée, compte tenu du fait que l'ancien professionnel détenait la majorité du capital, ce qui n'est pas possible dans une SEL, dans laquelle, en principe, les associés professionnels en exercice doivent être majoritaires en capital et droits de vote, étant précisé néanmoins que la loi "Macron" fait considérablement évoluer ce principe, en particulier dans les sociétés des professions du droit. Par ailleurs, l'ancien professionnel contestait également le fait que la clause le privait de sa vocation aux bénéfices. Or, sur ce point, la Cour de cassation estime qu'il résulte de la combinaison des articles 5 de la loi du 31 décembre 1990, 1844-1 (N° Lexbase : L2021ABH) et 1869 (N° Lexbase : L2066AB7) du Code civil que la perte, en application d'une clause statutaire, de l'exercice des droits attachés aux parts détenues par un associé au sein d'une SEL de pharmaciens, dès la cessation de ses fonctions professionnelles au sein de la société, n'emporte pas, jusqu'au remboursement des droits sociaux, la perte de la rétribution des apports en capital. Il conserve donc son droit aux bénéfices. La solution, relative à la vocation aux bénéfices, bien plus forte que le droit de participer au vote, est conforme à la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation en matière de droit de retrait (15) : l'associé retrayant reste associé jusqu'au complet paiement de ses parts sociales, même s'il n'exerce plus d'activité, ce qui est le cas, par définition, de celui qui cesse toute activité, comme en l'occurrence. Autrement dit, tant que les droits sociaux n'ont pas été remboursés, l'ancien professionnel conserve le droit de percevoir la rémunération liée à ses apports, c'est-à-dire essentiellement le droit au dividende. La clause des statuts prévoyant l'inverse est qualifiée de léonine, d'où le visa de l'article 1844-1 du Code civil, ainsi que de l'article 1869 du même code, lequel texte, cependant, s'il organise le droit commun du retrait des associés d'une société civile, n'a que très peu de lien avec la qualité d'associé et la perte de qualité consécutive au remboursement de droits sociaux (16).

C'est cette même vocation aux bénéfices qui est rappelée dans le troisième arrêt, en date du 9 décembre 2015 (17), concernant une SCP d'architectes dont l'un des deux associés décède. Il s'ensuit un conflit entre l'associé restant et les héritiers du défunt qui, après un arrêt de la Cour de cassation ayant estimé que ces derniers conservaient de tels bénéfices jusqu'au rachat des parts (18), obtiennent finalement gain de cause au terme d'une QPC soulevée par l'associé survivant n'aboutissant pas. Pour la Cour de cassation, la vocation aux bénéfices des héritiers d'un associé d'une SCP jusqu'à la cession ou au rachat des parts de leur auteur, ne porte pas atteinte au droit de propriété des autres associés, dès lors, que, dans une telle société, chaque associé a droit à la part de bénéfices correspondant à ses apports dans la société, indépendamment des résultats de l'activité de chacun, sauf disposition contraire des statuts, de sorte que les héritiers de l'associé décédé conservent vocation à la répartition des bénéfices correspondant aux parts sociales de leur auteur jusqu'à la cession ou au rachat de celles-ci. Malgré le manque de clarté de l'article 24 alinéa 4 de la loi du 29 novembre 1966 (loi n° 66-879 [LXB=L3146AID)]), sur lequel portait la QPC, la Cour de cassation déconnecte totalement la participation aux résultats des associés des résultats de l'activité de chacun. Cette solution peut être combattue, selon nous, en stipulant -la Cour de cassation prend soin de le réserver dans l'attendu-, dans des statuts de SCP, simplement que l'affectation des résultats aux associés est fonction des résultats de l'activité de chacun et que, concernant les éventuels héritiers des associés décédés, la valeur qui sera remboursée auxdits héritiers sera, en toute hypothèse, calculée au jour du décès de l'associé. Priver les héritiers de leur vocation aux bénéfices n'est pas possible. En revanche, la limiter, est parfaitement valable.

  • Conventions réglementées en matière de SA (Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-18.688, F-P+B N° Lexbase : A3833N3D ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E8384EQL et N° Lexbase : E0000AT8)

On mentionnera simplement pour mémoire cet arrêt rendu par la Cour de cassation, relatif aux conventions réglementées dans les SA à conseil d'administration, arrêt commenté dans ces colonnes par notre collègue, le Professeur Deen Gibirila (19). Dans cette affaire, aux multiples apports, la Cour de cassation juge, d'une part, que le point de départ de la prescription de l'action en nullité de la convention réglementée dissimulée doit s'apprécier à l'égard de la personne qui exerce l'action et est différé au jour de la révélation de la convention (20), d'autre part, qu'une convention intervenue entre une société et son dirigeant peut être annulée si elle est entachée de fraude pour avoir été conclue dans le dessein de l'exclure du champ d'application des conventions réglementées par les articles L. 225-38 (N° Lexbase : L8876I37) et suivants du Code de commerce.

  • GIE : mise en réserve des résultats et droit du membre retrayant sur sa part dans les réserves (Cass. com., 19 janvier 2016, n° 14-19.796, FS-P+B N° Lexbase : A5734N47 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E8620AUS)

Dans cette affaire, une SARL a participé à la constitution d'un GIE, dont elle est restée membre jusqu'à son exclusion intervenue le 4 juillet 2008. Lors des assemblées des 8 juillet 2005, 7 juillet 2006, 22 juin 2007 et 4 juillet 2008, les membres du GIE ont décidé d'affecter le résultat positif de l'exercice à la réserve facultative prévue par les statuts et le règlement intérieur. La SARL ayant été mise en liquidation judiciaire, son liquidateur a assigné le GIE en paiement de la quote-part de cette société dans les bénéfices mis en réserve avant son exclusion. Pour accueillir cette demande, l'arrêt d'appel (21), après avoir constaté que la mise en réserve de tout ou partie du résultat du GIE était admise par les statuts et le règlement intérieur pour des raisons de bonne gestion, a retenu que les sommes figurant dans le compte de réserves sont la propriété des membres du GIE à proportion de la quote-part des résultats auxquels ils ont droit. Il a également retenu que cette quote-part, si elle ne leur a pas été versée, leur est acquise et ne peut leur être retirée sauf à profiter de manière illicite au GIE, lequel ne peut faire de bénéfices pour lui-même. Enfin, l'arrêt d'appel a ajouté qu'aucune clause des statuts ne prive le membre du GIE qui a fait l'objet d'une exclusion de son droit au paiement de sa part dans les réserves non distribuées ainsi que dans les résultats positifs de l'exercice en cours.

Mais, dans un arrêt du 19 janvier 2016, publié au Bulletin, la Cour de cassation estime, au visa de l'article L. 251-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6481AIU), que l'arrêt a violé ce texte. Et dans un attendu de principe, la Cour de cassation affirme qu'il résulte de l'article L. 251-1 du Code de commerce que si le but du groupement d'intérêt économique n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même, cette règle ne fait pas obstacle à ce que tout ou partie des résultats provenant de ses activités soit mis en réserve dans les comptes du groupement pour les besoins de la réalisation de son objet légal. A défaut de clause statutaire ou de décision d'assemblée en ce sens, le membre du groupement d'intérêt économique qui se retire de celui-ci ou en est exclu ne peut obtenir le remboursement de sa part dans les réserves régulièrement constituées.

En effet, selon l'article L. 251-1, alinéa 2, du Code de commerce, "le but du groupement est de faciliter ou de développer l'activité économique de ses membres, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité. Il n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même". Cependant, comme la Cour de cassation l'a déjà jugé (22), et comme elle rejuge aujourd'hui dans l'arrêt annoté, cette règle ne fait pas obstacle à ce qu'une partie des résultats provenant de ses activités soit mise en réserve dans les comptes du groupement pour les besoins de la réalisation de son objet légal. Même si cela n'a pas toujours été le cas, nul doute qu'aujourd'hui, en raison de l'évolution de la législation, qu'un GIE puisse réaliser des bénéfices. Simplement, il ne faut pas que ce soit là son but. Comme le dit Yves Guyon, "le bénéfice est un résultat qui n'a pas été voulu et non un objectif. L'article L. 251-1 n'interdit pas un tel résultat" (23). Dans le même sens, le professeur Didier affirme que la "rédaction nouvelle du texte, bien que cela n'apparaisse pas avec évidence, a pour objet d'affirmer la possibilité pour le groupement de faire des bénéfices, même si cette réalisation de bénéfices ne constitue pas son objet même" (24). L'arrêt commenté rappelle donc une solution acquise.

Mais la vraie question n'est pas là. Elle est surtout de savoir à qui appartiennent les bénéfices : aux associés du GIE ou au GIE lui-même ? En l'espèce, le mandataire liquidateur de la SARL pensait qu'ils appartenaient à son administré. Mais en l'occurrence, ils appartenaient au GIE. Ainsi, comme le plaidait le pourvoi victorieux, "lors que si le but du groupement d'intérêt économique n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même, cette règle ne fait pas obstacle à ce qu'une partie des résultats provenant de ses activités soit mise en réserve dans les comptes du groupement pour les besoins de la réalisation de son objet légal ; qu'en conséquence le membre qui se retire ou est exclu du GIE, s'il peut demander sa part dans les résultats de l'exercice, ne peut pas, en revanche, demander le remboursement de sa part dans les réserves régulièrement constituées pour les besoins du GIE".

En l'espèce, conformément aux statuts et aux décisions unanimes d'assemblée générale de 2005, 2006, 2007 et 2008, les résultats positifs avaient été affectés par les membres du groupement à la réserve facultative "pour des raisons de bonne gestion" et n'étaient donc pas devenus la propriété des membres du GIE. Or, en jugeant néanmoins que les résultats mis en réserve étaient devenus la propriété des membres du GIE, qu'ils représentaient la créance de chaque membre sur le GIE et que chaque membre retrayant avait donc droit au remboursement de sa part dans les réserves comme dans les résultats positifs de l'exercice en cours, les juges du fond avaient violé l'article L. 251-1 du Code de commerce. D'où leur censure, pleinement justifiée selon nous. En outre et en l'espèce, tant les statuts du GIE que son règlement intérieur prévoyaient que les résultats positifs seraient la propriété des membres et répartis entre ces derniers, mais que l'assemblée générale ordinaire pourrait toutefois décider le virement de tout ou partie du bénéfice à un poste de réserves facultatives. En conséquence de quoi les résultats positifs affectés aux réserves ne devenaient pas, aux termes mêmes des statuts et du règlement intérieur, la propriété de chacun des membres, et le membre qui se retirait ou était exclu du GIE, s'il pouvait demander sa part dans les résultats de l'exercice, ne pouvait, en revanche, demander le remboursement de sa part dans les réserves du GIE régulièrement constituées. Or en jugeant néanmoins que "les résultats mis en réserve représentent la créance de chaque membre sur le GIE", et que, en soutenant que les réserves ne pouvaient être distribuées sans une décision d'assemblée générale, le GIE se mettait en contradiction avec les statuts et le règlement intérieur, et en jugeant que chaque membre retrayant avait droit au remboursement de sa part dans les réserves comme dans les résultats positifs de l'exercice en cours, la cour d'appel avait également violé la loi sur le GIE et les statuts.

Cependant, et même si le but du GIE n'est pas de faire des bénéfices, non seulement les statuts peuvent le prévoir, mais aussi et surtout ils peuvent prévoir que ces bénéfices seront la propriété des associés, ce que peut confirmer ensuite, ou au contraire décider de l'inverse, les assemblées du GIE. En l'espèce, s'ils avaient prévu la possibilité de réaliser des bénéfices, les statuts n'avaient pas prévu de les attribuer aux membres du GIE. Et les assemblées du GIE ne l'avaient pas plus souhaité. En réalité ici, les statuts et le règlement intérieur étaient assez peu prolixes. Simplement avaient-ils prévu que les réserves devaient servir à la bonne gestion du GIE. Cela suffit à empêcher les associés à bénéficier des bénéfices mis en réserve. D'autant plus qu'aucune assemblée n'a décidé d'une telle attribution ou distribution. Les membres du GIE ont toutefois droit à leur part dans les résultats de l'exercice.

  • Transmission universelle du patrimoine et apport partiel d'actif non soumis au régime des scissions (Cass. com., 19 janvier 2016, n° 14-19.760, F-D N° Lexbase : A5669N4Q ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E6073ADB)

On sait que les apports partiels d'actifs peuvent emporter transmission universelle du patrimoine. Encore faut-il, cependant pour ce faire qu'ils soient placés sous le régime des scissions. S'ils ne le sont pas, et le choix s'opère dans le traité d'apport, la TUP ne peut avoir lieu.

En l'espèce, la société ETE, société d'ingénieurs conseils spécialisée en tarification de l'énergie, a conclu, le 19 avril 1994 un contrat pour le contrôle et l'analyse des achats d'électricité et de divers points liés à EDF, avec la société ESG. Après l'expiration du contrat, la société ETE a, le 9 octobre 1997, adressé à la société ESG trois factures pour les années 1995 à 1997, restées impayées, et l'a assignée, le 9 juin 1998, en paiement. Le 12 juillet 2000, cette dernière a conclu avec les sociétés EDF et la Lyonnaise des eaux un protocole d'accord stipulant que la distribution de l'électricité sur le territoire des communes composant les six syndicats intercommunaux, regroupés au sein de la société ESG, serait confiée à la société EDF et que les actifs et passifs liés à cette branche d'activité lui seraient transférés. Informée le 15 janvier 2002 de la conclusion de cette convention, la société ETE a assigné le 15 janvier 2010 la société EDF pour voir juger que cette dernière s'était substituée aux droits et obligations de la société ESG dans le cadre de l'instance initiale.

La cour d'appel de Bordeaux (25) a considéré que l'action de la société ETE contre EDF était prescrite, alors, selon le moyen, que l'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice s'étend aux ayants cause universels ou à titre universel des parties, de sorte qu'en décidant, néanmoins, que l'assignation délivrée par la société ETE à la société ESG le 9 juin 1998 n'avait pas produit d'effet interruptif de prescription à l'égard de la société EDF, motif pris que le protocole du 12 juillet 2000 avait eu pour seul effet de créer à la charge de la société EDF une obligation nouvelle à l'égard de la société ETE, s'ajoutant à celle de la société ESG, qui n'avait pas été déchargée et qu'ainsi la société EDF n'avait pas acquis la qualité de partie à l'instance introduite par ladite assignation, tandis que ce protocole, qui avait pour objet de transférer à la société EDF les passifs et actifs liés à l'activité de distribution d'électricité de la société ESG, avait nécessairement emporté transmission universelle à la société EDF des biens, droits, obligations et actions se rapportant à cette branche d'activité, ce dont il résultait qu'elle avait acquis de plein droit la qualité de partie à l'instance initiée par l'assignation du 9 juin 1998 et bénéficiait de l'effet interruptif de prescription attaché à celle-ci.

Mais, dans un arrêt inédit du 19 janvier 2016, la Cour de cassation rejette le pourvoi car la transmission universelle des biens, droits et obligations dépendant d'une branche d'activité transférée ne s'opère de plein droit qu'en cas d'apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions. Or, n'étant pas allégué que les parties au protocole du 12 juillet 2000 auraient mentionné qu'elles entendaient placer l'opération sous le régime des scissions, le moyen, qui soutient que ce protocole a emporté transmission universelle à la société EDF des passifs et actifs liés à la branche d'activité de distribution d'électricité qui lui a été transférée, n'est pas fondé.

En cas de transfert d'une branche autonome d'activité il faut donc que les parties soient particulièrement vigilantes quant à l'effet de la TUP, et qu'elles pensent ainsi, par exemple, à opter pour le régime des scissions car, dans le cas contraire, la TUP ne se produira pas, ce qui pourra avoir des conséquences dommageables, notamment comme ici, lorsqu'un litige sera né à la suite d'une rupture contractuelle. Il n'est pas rare, en effet, qu'avant une opération de fusion, d'apport partiel d'actif ou de scission, un procès soit en cours, ce qui peut poser de réelles difficultés quant à la représentation des parties à l'instance (26). L'apport partiel d'actif soumis au régime des scissions emporte TUP, et par conséquent, la société bénéficiaire de l'apport acquiert, de plein droit, la qualité de parties à l'instance précédemment initiée par ou contre l'apporteur (27. Mais la TUP n'est pas inhérente à l'apport partiel d'actif (28), si bien que la qualité de partie à l'instance et la représentation en justice peuvent ne pas être assurées. C'est le mérite de cet arrêt que de le rappeler.

  • Révocation tacite du mandat donné au président de SAS (Cass. com., 8 décembre 2015, n° 14-20.307, F-D N° Lexbase : A1845NZD ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E3167A43)

Soit une présidente de SAS, dont le capital est réparti entre elle, à hauteur de 4 450 actions en usufruit, et un autre associé détenant 300 actions en pleine propriété et 4 450 actions en nue-propriété. La nue-propriété de ces actions a fait l'objet d'une donation par la présidente audit associé en vertu de deux actes stipulant que : "en ce qui concerne le droit de participer aux délibérations et décisions collectives, le donateur et le donataire nomment en qualité de mandataire commun le donateur". Faisant valoir que les résolutions adoptées lors de la consultation écrite du 30 août 2012, puis lors de l'assemblée générale extraordinaire du 30 juillet 2013 l'avaient été en violation de ses droits d'associé, l'autre associé a assigné la présidente ainsi que la SAS en annulation. Devant la cour d'appel, l'associé en question soutient avoir révoqué le mandat confié à la présidente. Pour dire que l'associé non-président n'est pas fondé à invoquer la révocation du mandat donné à la présidente, l'arrêt d'appel (29) relève que le principe de libre révocabilité du mandat est atténué lorsque celui-ci est d'intérêt commun et que la révocation n'est pas fondée sur une cause légitime mais sur une différence de point de vue relativement à l'intérêt social. Il ajoute que cette révocation est indirecte en ce qu'elle résulterait des actes accomplis par le mandant.

Mais, dans un arrêt du 8 décembre 2015, inédit, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel, au visa de l'article 2004 du Code civil (N° Lexbase : L2239ABK), et au motif que la révocation du mandat peut être tacite et résulter indirectement des actes accomplis par le mandant, et que l'associé non-président soutenait avoir exercé le droit de vote attaché aux actions détenues en nue-propriété. L'intérêt de l'arrêt est de rappeler que les dirigeants sociaux, quelle que soit la forme de société concernée, non seulement sont librement révocables, mais encore que cette révocation peut intervenir tacitement. C'est la théorie du mandat (30). En droit des sociétés, selon les cas, notamment en matière de SARL et SNC, il faut une cause ou un motif légitime. Appliquée également en droit des sociétés, la question peut se poser aussi du mandat d'intérêt commun. Cependant, l'absence de cause légitime ne prive pas d'effet la révocation du mandat d'intérêt commun (31). Surtout, comme le prévoit l'article 2004 du Code civil, "le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble et contraindre, s'il y a lieu, le mandataire à lui remettre soit l'écrit sous seing privé qui la contient, soit l'original de la procuration, si elle a été délivrée en brevet, soit l'expédition, s'il en a été gardé minute", ce qui signifie, par extrapolation, et comme le considère la Cour de cassation, que la révocation du mandat peut être tacite, et résulter indirectement des actes accomplis par le mandant. Toutefois, puisque l'on est en droit des sociétés, l'on préfèrera une révocation résultant expressément d'une assemblée ou d'une décision de l'associé unique, tout du moins d'un PV le constatant et l'actant.


(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) B. Dondero, Droit d'information des salariés en cas de cession d'entreprise : un imbroglio juridique (de plus) en perspective..., Bull. Joly Sociétés, 2 septembre 2015 n° 9, p. 401. B. Dondero, Game of Thrones ridiculisé par la saga de la loi Hamon, Gazette du Palais, 12 mai 2015, n° 132, p. 3.
(3) Cons. const., décision n° 2015-476 QPC, du 17 juillet 2015 (N° Lexbase : A8504NMW)
(4) D. Poracchia et N. Goetz, Le droit de disposer de ses titres : remarques autour de quelques législations récentes. Une liberté à l'épreuve d'un dispositif à peine décomplexifié : l'information préalable des salariés, RTDF, 2015-4. V. égal. le blog de Bruno Dondero qui, le premier, a soulevé cette incohérence.
(5) On rappellera que les salariés sont tenus à une obligation de discrétion à l'égard des informations reçues de la société portant sur le projet de cession
(6) Cf. C. com., art. D. 23-10-3 (N° Lexbase : L5622I4Y).
(7) En ce sens v., D. Poracchia et N. Goetz, précit..
(8) D. Poracchia, P. Portier et N. Goetz, Loi ESS et l'option d'achat de l'entreprise par les salariés : de nouvelles précisions qui laissent entier le choc de complexification, Bull. Joly Sociétés, décembre 2014, page 728.
(9) Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-14.003, FS-P+B+I ; D. Vidal L'article 1843-4 du Code civil, enfant terrible du droit des sociétés : une réforme à parfaire ?, Lexbase Hebdo n° 450 du 14 janvier 2016 - édition affaires (N° Lexbase : N0780BWS).
(10) CA Nîmes, 16 janvier 2014, n° 12/05599 (N° Lexbase : A6493KTN).
(11) On passera sous silence le moyen relatif à la compensation sur lequel v. sous le même arrêt, note R. Mésa, D. Actualité, 4 décembre 2015.
(12) Ce texte dispose que : "le président de la formation ou le conseiller rapporteur doit aviser les parties des moyens susceptibles d'être relevés d'office et les inviter à présenter leurs observations dans le délai qu'il fixe. Il en est de même lorsqu'il envisage de rejeter un moyen par substitution d'un motif de pur droit relevé d'office à un motif erroné ou lorsqu'il est envisagé de prononcer d'office une cassation sans renvoi".
(13) D'ailleurs, le même jour, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un autre arrêt très important concernant la compétence du Conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 15-10.598, F-P+B+I (N° Lexbase : A7766NXW).
(14) Cass. com., 8 décembre 2015, n° 14-19.261, F-P+B, D. Vidal, A propos de la clause statutaire de "perte automatique de l'exercice des droits attachés à la qualité d'associé" : d'un désordre à un autre désordre ?, Lexbase Hebdo n° 452 du 28 janvier 2016 - édition affaires (N° Lexbase : N1032BW7).
(15) Cass. com. 17 juin 2008, deux arrêts, n° 06-15.045, FS-P+B+R sur le premier moyen (N° Lexbase : A2140D97) et n° 07-14.965, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2228D9E), Bull. civ. IV, n° 125 et 126 ; ; Bull. Joly Sociétés, décembre 2008, p. 965, n° 206 et 207, note F.-X. Lucas ; D., 2008, p. 1818, obs. A. Lienhard ; ibid., 2009, p. 1772, chron. M. Laroche ; Rev. sociétés, 2008, p. 826, note J.-F. Barbièri ; RTDCom., 2008, p. 588, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. sociétés, 2008, comm. n° 176, note R. Mortier ; JCP éd. G, 2008, II, 10169, note Ch. Lebel ; RLDA, 2008, n° 32, p. 10, note D. Gibirila ; Dr. et patr., mai 2009, 104, obs. D. Poracchia ; J.-B. Lenhof, Perte de la qualité d'associé et remboursement des droits sociaux dans les sociétés civiles, Lexbase Hebdo n° 314 du 16 juillet 2008 édition privée (N° Lexbase : N6457BGA). Concernant la troisième chambre civile, cf. Cass. civ. 3, 9 décembre 1998, n° 97-10.478, publié (N° Lexbase : A5430A4U), Bull. civ. III, n° 243 ; Bull. Joly Sociétés, avril 1999, p. 436, n° 90, note F.-X. Lucas ; D., 2000, p. 237, obs. J.-C. Hallouin ; RDI, 1999, p. 111, obs. J.-C. Groslière ; D. Affaires, 1999, p. 298, obs. M. Boizard ; Dr. sociétés, 1999, comm. n° 32, note Th. Bonneau ; JCP éd. E, 1999, 1395, note J.-P. Garçon ; JCP éd. N, 1999, 725, note D. Randoux ; Defrénois, 1999, p. 623, obs. H. Hovasse. Concernant la première chambre civile, cf. Cass. civ. 1, 10 septembre 2014, n° 13-13.957, F-D (N° Lexbase : A4367MWN), Rev. sociétés, 2015, p. 115, note J.-F. Barbièri, JCP éd. E, 2015, 1186, spéc. n° 5, obs. M. Buchberger ; Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-18.983, FS-P+B (N° Lexbase : A6441MY9), D., 2014, p. 2111, Dr. sociétés, 2015, comm. n° 46, note H. Hovasse, JCP éd. E, 2015, 1186, spéc. n° 4, obs. M. Buchberger, Rev. sociétés, 2015, p. 310, note J.F. Barbièri, D. Gibirila, La perte de titularité des parts sociales d'un notaire démissionnaire d'office, Lexbase Hebdo n° 401 du 13 novembre 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N4496BU3) ; Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 13-24.931 FS-P+B (N° Lexbase : A9230NGX), Bull Joly Sociétés, juin 2015, p. 292, n° 113, note J.-F. Barbièri, Dr. sociétés, 2015, comm. n° 107, note H. Hovasse, A. Albarian, P. Mouron et B. Brignon, Droit commercial, Sociétés commerciales, 2015, Un an de jurisprudence commentée, Lamy Axe droit, 2015, n° 2.
(16) J.-F. Barbièri préc., note sous Cass. civ. 1, 10 septembre 2014, n° 13-13.957, F-D, préc., cité in B. Brignon, Actualité de l'associé de société civile : droit de retrait et obligation aux dettes sociales, Dr. sociétés, 2015, comm. n° 12, spéc. n° 2.
(17) Cass. QPC, 9 décembre 2015, n° 15-18.771, F-P+B, D. Actualité, 7 janvier 2016, note N. Kilgus.
(18) Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-18.453, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8348IQA), Dalloz Actualité, 23 juillet 2012, obs. A. Lienhard ; D., 2012, p. 2786, note B. Brignon et E. d'Esparron ; RTDCom., 2012, p. 577, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. sociétés, 2012, comm. n° 180, note Hovasse ; Bull. Joly Sociétés, 2012, 800, note D. Gallois-Cochet ; RJDA, 2012, n° 982 ; Defrénois, 2012, 1074, note A. Rabreau ; Ch. Lebel, Le décès de l'associé de société civile professionnelle, Lexbase Hebdo n° 310 du 27 septembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N3673BT9).
(19) D. Gibirila, Convention réglementée entachée de fraude et dissimulée, Lexbase Hebdo n° 452 du 28 janvier 2016 - édition affaires (N° Lexbase : N1031BW4).
(20) En ce sens, Cass. com., 8 février 2011, n° 10-11.896, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9585GSS), BRDA, 4/2011, n° 1 ; RJDA, 4/2011, n° 324 ; D., 2011, jur. p. 1314, note N. Molfessis et J. Klein et p. 1321, note F. Marmoz ; J.-B. Lenhof, Point de départ de la prescription dans le cadre de conflits d'intérêts : un revirement de jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 242 du 10 mars 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N6360BRY); Rev. sociétés, 2011, p. 288, note P. Le Cannu et p. 297, note C.-N. Ohl ; JCP éd. E, 2011, n° 8, 1151, note B. Dondero ; Dr. sociétés, avril 2011, n? 70, obs. M. Roussille ; RTDCiv., 2011, p. 493, obs. P. Deumier ; D. Gibirila, L'annulation plus de trois ans après sa conclusion d'une convention réglementée sciemment dissimulée, RLDA, avril 2011, n° 3359.
(21) CA Riom, 9 avril 2014, n° 12/02965 (N° Lexbase : A7706MIA).
(22) Cass. com., 6 mai 2014, n° 13-11.427, F-P+B (N° Lexbase : A5644MLM), Bull. civ. IV, n° 77 ; Dr. sociétés, 2014, n° 123, note H. Hovasse ; RLDA, septembre 2014. 10, obs. F. Marmoz ; Rev. sociétés, 2014. 574, note A.-C. Muller Cet arrêt précise également qu'il résulte de l'article L. 251-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6481AIU) que la nullité des actes ou délibérations d'un groupement d'intérêt économique ne peut résulter que de la violation des dispositions impératives des textes régissant ce type de groupement, ou de l'une des causes de nullité des contrats en général. Sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité. Sur cet aspect V., D, 2014, Actu. 1151; Rev. sociétés, 2014. 574, note A.-C. Muller ; Bull. Joly Sociétés, 2014, 455, note F.-X. Lucas ; RJDA, 2014, n° 706 ; Ch. Lebel, Non-respect des clauses statutaires ou du règlement intérieur d'un GIE : "la nullité ne colle plus" !, Lexbase Hebdo n° 383 du 29 mai 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2440BUW). V. déjà Cass. com. 14 juin 2005, n° 02-18.864, FS-P+B (N° Lexbase : A7453DIU), Bull. civ. IV, n° 129 ; D., 2005, AJ 1777, obs. A. Lienhard ; RTDCom., 2005, 782, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Bull. Joly Sociétés, 2005, 1412, note P. Le Cannu.
(23) Y. Guyon, Rép. Sociétés, Dalloz, v° GIE, § 19.
(24) P. Didier, Les sociétés commerciales, tome II, éditions Economica, 2011, § 1059 intitulé "But du groupement".
(25) CA Bordeaux, 8 avril 2014, n° 11/01607 (N° Lexbase : A7596MI8).
(26) V. Thomas, Sociétés et procédure civile, préf. P. Le Cannu, Lexis, 2014, n° 192 et s. ; A. Alias, La société plaidante, dir. I. Arnaud-Grossi, thèse Aix, 2015, n° 240 et s..
(27) A. Alias, préc., note de bas de page n° 614.
(28) C. com., art. L. 236-6-1 (N° Lexbase : L5717ISK) : "la société qui apporte une partie de son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles L. 236-1 (N° Lexbase : L6351AI3) à L. 236-6".
(29) CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 5 juin 2014, n° 14/07378 (N° Lexbase : A1289MQS)
(30) Cass. civ. 1, 2 mai 1984, n° 83-12.056, publié (N° Lexbase : A0837AAA), Bull. civ. I, n° 143.
(31) Cass. civ. 1, 2 octobre 2001, n° 99-15.938, publié (N° Lexbase : A1523AWC), Bull. civ. I, n° 239 ; D., 2001, IR 3020 ; JCP éd. G, 2002, II, 10094, note Dagorne-Labbe ; JCP éd. E, 2002. 593, note Treppoz ; Defrénois, 2002. 321, note A. Rabreau ; Contrats conc. consom., 2002, n° 3, note L. Leveneur ; RTDCiv., 2002. 118, obs. Gautier.

newsid:451199

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.