La lettre juridique n°642 du 4 février 2016 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] L'absence de convention d'honoraires ne prive pas un avocat de son droit à honoraires

Réf. : Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n° 15-10.130, F-P+B (N° Lexbase : A9244N3R)

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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes

le 04 Février 2016

Les temps changent ! Au XIXème siècle, il était interdit à un avocat de signer une convention d'honoraires avec un client. Les avocats qui auraient signé un tel acte en auraient perdu leur indépendance et pouvaient faire l'objet de poursuites disciplinaires ! Il n'était pas plus possible de solliciter une provision pour les mêmes raisons et encore moins de présenter une "facture" qui "sentait" l'activité commerciale. Toutes ces interdictions ont été supprimées et sont même parfois devenues curieusement des obligations... La facture est aujourd'hui obligatoire (C. com., art. L. 441-3 N° Lexbase : L1896AM8), la provision est autorisée par l'article 11 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, sur la déontologie de l'avocat (N° Lexbase : L6025IGA). L'arrêt du 14 janvier 2016, rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, revient sur les effets de l'absence de convention d'honoraires. La convention d'honoraires a progressivement été généralisée.

On l'a d'abord vu apparaître en matière d'aide juridictionnelle partielle. Depuis la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE), l'article 35 de cette loi prévoit qu'il est possible à l'avocat de réclamer un honoraire complémentaire de l'indemnité versée par l'Etat à condition de rédiger une convention.

L'article 10 du décret précité a ensuite prévu la rédaction d'une convention d'honoraires lorsque l'avocat est rémunéré en tout ou partie au titre d'un contrat de protection juridique sauf si l'avocat intervient en urgence.

L'article 14 de la loi du 13 décembre 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN), a également rendu obligatoire les conventions d'honoraires pour les procédures de divorce.

Depuis la loi "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC), la convention d'honoraires s'impose désormais en toute matière (consultation, postulation, assistance, conseil, rédaction d'actes, plaidoirie).

On peut penser que ces nouvelles lois constituent un progrès pour le consommateur qui a légitimement soif de savoir à quoi il s'engage. Mais ces nouvelles lois n'ont aucunement réglé le problème. Aucune de ces lois ne prévoit que la convention doit fixer un honoraire forfaitaire.

L'article 51-6° de la loi du 6 août 2015 dispose, en effet, que : "les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client".

La convention d'honoraires peut se contenter de déterminer un mode de calcul des honoraires par exemple un tarif horaire. Le client n'en saura pas pour autant à combien lui reviendra le service demandé...

La convention ne donnera par ailleurs aucune sécurité à l'avocat car rien n'interdit au client qui a signé une convention d'honoraires et s'est engagé sur un montant, de solliciter malgré tout, la taxation des honoraires. On peut certes penser que le juge taxateur aura plutôt tendance à appliquer le montant convenu lorsque ce montant avait un caractère forfaitaire mais il n'en n'a pas l'obligation. Nonobstant les dispositions de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), les honoraires initialement convenus peuvent être réduits lorsqu'ils apparaissent exagérés au regard du service rendu. Le juge n'est lié par la convention que si les honoraires ont été acceptés après service rendu (Cass. civ. 1, 24 novembre 1999, n° 98-13.044 N° Lexbase : A8426CZ4, JCP éd. G, 2000, I, 231).

Sauf en matière d'aide juridictionnelle partielle, les obligations de convention d'honoraires n'ont été assorties d'aucune sanction. En matière d'aide juridictionnelle partielle, il est prévu que la convention sera nulle si elle n'est pas communiquée au Bâtonnier.

On pouvait se demander si certains juges ne seraient pas enclins cependant à rejeter toutes demandes d'honoraires dès lors que l'avocat n'aurait pas respecté son obligation d'information et de rédaction d'une convention d'honoraires puisque celle-ci est obligatoire et ce, même lorsqu'il ne s'agit pas d'aide juridictionnelle partielle.

La question a été soumise à la Cour de cassation en matière de protection juridique. Elle y répond dans son arrêt du 14 janvier 2016.

Dans cette affaire, une avocate avait sollicité la taxation de ses honoraires. Pour réduire à 300 euros le montant des honoraires dus à l'avocat, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait indiqué qu'aucune convention d'honoraires n'avait été signée par les parties alors que la cliente bénéficiait d'un contrat de protection juridique. Or, le barème de cette compagnie d'assurance prévoyait un honoraire de 300 euros pour une assistance devant le bureau de conciliation. Le premier président avait donc estimé que l'avocat qui n'avait pas respecté ses obligations déontologiques en ne faisant pas signer une convention d'honoraires prévoyant un honoraire supérieur ne pouvait réclamer davantage que ce qui était stipulé au barème de la compagnie (CA Aix-en-Provence, 4 novembre 2014, n° 14/03863 N° Lexbase : A6175MZQ).

La sanction était lourde car il n'est pas contestable qu'une intervention devant le bureau de conciliation peut nécessiter des diligences importantes pour faire échec par exemple à une demande de provision ou à une demande de remise de documents.

La Cour de cassation a cassé cette décision au visa de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et de l'article L. 127-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L6586HWT).

Cette décision ne peut qu'être approuvée pour plusieurs raisons.

L'obligation de signer une convention d'honoraires en matière de protection juridique n'est pas assortie d'une sanction permettant de limiter le montant des honoraires réclamés. Dès lors, le juge taxateur ne pouvait pas en infliger une et il devait, selon les dispositions de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, taxer les honoraires à partir des critères énumérés par ce texte (usages, situation de fortune du client, difficulté de l'affaire, frais exposés, notoriété de l'avocat, diligences accomplies).

Il faut rappeler au passage que cette obligation de signer des conventions d'honoraires en matière de protection juridique avait été instaurée non pas pour protéger le consommateur mais pour protéger les avocats victimes de ces tarifications réduites imposées par les assureurs. Pour cette raison, depuis la loi du 19 février 2007, l'article L. 127-5-1 du Code des assurances dispose que "les honoraires de l'avocat sont déterminés entre ce dernier et son client, sans pouvoir faire l'objet d'un accord avec l'assureur de protection juridique".

L'avocat, qui est confronté à une assurance protection juridique a le choix entre accepter le tarif qu'on lui soumet ou se voir retirer le dossier. Depuis le décret du 12 juillet 2005, l'article L. 127-5-1 du Code des assurances et l'article L. 224-5-1 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6706HWB) interdisent les accords d'honoraires entre l'assureur et l'avocat. L'honoraire doit être en principe fixé librement entre l'avocat et son client.

En rendant obligatoire les conventions d'honoraires, le législateur avait l'espoir que les avocats puissent échapper à la tarification de leurs honoraires par les compagnies d'assurance. Cet espoir est resté la plupart du temps sans lendemain puisque des compagnies expliquent à leurs assurés qu'elles peuvent leur trouver un avocat qui fera le travail pour le montant prévu à leur barème, ce qui incite les clients à prendre l'avocat proposé par la compagnie. L'avocat n'aura pas d'autre choix que d'accepter le barème de la compagnie s'il souhaite recevoir de nouveaux dossiers...

Il serait donc paradoxal qu'une règle instaurée pour protéger les avocats soit utilisée pour les priver de leurs honoraires.

La deuxième raison qui justifie la cassation est qu'il ne faut pas confondre le manquement déontologique et le montant des honoraires. Le juge taxateur ne peut pas réduire le montant des honoraires d'un avocat au motif que celui-ci a commis une faute qu'elle soit civile ou disciplinaire.

L'avocat qui commet une erreur dans un dossier n'est pas pour autant privé de son droit à honoraire. Sa faute peut seulement permettre d'ouvrir une autre action distincte qui donnerait éventuellement droit à des dommages intérêts. Le juge taxateur n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la responsabilité de l'avocat qui aurait manqué à son obligation de conseil. Il ne peut pas examiner l'utilité des diligences dont il constate l'existence (Cass. civ. 2, 10 juin 2010, n° 09-11.914, F-D N° Lexbase : A0075EZS).

Il est bien certain qu'une faute déontologique peut donner naissance à une action disciplinaire mais cette faute n'est pas de nature à justifier une diminution du montant des honoraires. Ainsi, l'avocat qui omet d'informer son client du montant prévisible de ses honoraires commet une faute déontologique puisque l'article 10 du décret du 12 juillet 2005 prévoit que l'avocat doit "dès sa saisine" informer son client sur le montant de ses honoraires mais ce n'est pas parce qu'il a commis une telle faute que le juge taxateur peut le priver de ses honoraires.

Une décision avait déjà été prise en ce sens par la cour d'appel de Nîmes pour une convention d'honoraires en matière de divorce, convention obligatoire depuis la loi du 13 décembre 2011. Le juge taxateur avait rappelé que l'absence de convention ne pouvait pas priver l'avocat de son droit aux honoraires et qu'il convenait dans ce cas d'en apprécier le montant au regard des principes énumérés à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (CA Nîmes, 5 mars 2015, n° 14/04940 N° Lexbase : A0433NDE).

Une troisième raison mérite d'être avancée pour rejeter la solution de la décision cassée. La solution proposée par le juge taxateur aboutit à imposer à l'avocat le barème de la compagnie d'assurance dès lors qu'il n'a pas signé de convention d'honoraires. Or, l'assureur ne peut pas intervenir sur le contenu de la convention d'honoraires passée entre l'avocat et son client en vertu de l'article L. 127-5-1 du Code des assurances qui dispose que les honoraires sont déterminés par un accord entre le client et son avocat.

Il s'agit au demeurant d'un document couvert par le secret professionnel qui ne peut même pas être soumis à la compagnie d'assurance. Si le principe proposé était appliqué cela reviendrait à mettre en application un barème qui n'est pas opposable à l'avocat et à appliquer le barème de la compagnie alors même qu'elle ne peut pas intervenir sur le contenu de la convention d'honoraires.

Il faut rappeler enfin que l'article L.121-4 du Code des assurances permet de cumuler les contrats de protection juridique pour pouvoir couvrir les honoraires de l'avocat. On ne voit pas dès lors comment on pourrait retenir comme référence le barème d'un seul contrat de protection juridique.

Cette décision peut paraître quelque peu rassurante pour les avocats qui peuvent oublier dans l'urgence d'établir une convention d'honoraires. Il faut quelquefois agir dans les heures qui suivent la saisine et il n'est pas toujours possible alors d'attendre d'avoir une convention signée pour agir. Si tel devait être le cas, il y aurait risque que les avocats refusent d'intervenir dans l'urgence sans convention et cela se retournerait contre le justiciable.

Pour autant la loi "Macron" doit être appliquée et on ne peut qu'inciter les avocats à aller vers une clarification de leurs honoraires afin de leur permettre d'éviter des contestations qui pourraient être évitées.

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