La lettre juridique n°642 du 4 février 2016 : Pénal

[Questions à...] Eclairage sur les aspects juridiques du terrorisme - Questions à Thierry-Serge Renoux, Professeur, Agrégé des facultés de droit

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[Questions à...] Eclairage sur les aspects juridiques du terrorisme - Questions à Thierry-Serge Renoux, Professeur, Agrégé des facultés de droit. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/28979624-questions-a-eclairage-sur-les-aspects-juridiques-du-terrorisme-questions-a-b-thierryserge-renoux-pro
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par Aziber Seïd Algadi, Docteur en droit, Rédacteur en chef droit pénal et droit processuel

le 04 Février 2016

Le terrorisme est au coeur de l'actualité. Il suscite beaucoup d'interrogations, car, au-delà de l'appréhension médiatique, la dimension juridique interpelle et mérite d'être précisée. Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré le Professeur Thierry-Serge Renoux, Professeur, Agrégé des facultés de droit, Directeur de Recherches au CNRS (UMR 7318, Droit international et droit comparé) et auteur de nombreux écrits sur le sujet, qui nous a apporté son éclairage.

Lexbase : Quels sont les principaux fondements textuels en matière de terrorisme ?

Thierry-Serge Renoux : En France, le terrorisme constitue l'un des crimes et délits dirigés contre "la nation, l'Etat et la paix publique", visés comme tels par le livre IV du Code pénal (C. pén., art. 421-1 N° Lexbase : L8437I4A à 421-6) aux côtés (et à la différence) des crimes et délits de guerre.

Notre pays a le triste privilège d'avoir inventé le mot même de "terrorisme", à une époque où régnait "la Terreur", régime politique totalitaire imposé par Robespierre, fondé sur l'arbitraire et contraire à toute idée de droit, de liberté, ou de sécurité juridique issus de la Constitution.

L'objet même du terrorisme est tout désigné : propager la terreur au sein d'un peuple afin de mettre à bas les institutions démocratiques de son Etat. C'est ce qui distingue le résistant du terroriste : l'un cherche à s'opposer à la violence politique et à instaurer la liberté et la démocratie ; l'autre entend au contraire utiliser la violence contre la liberté et la démocratie qu'il récuse, là où les citoyens peuvent résister paisiblement.

Si les conflits liés à la décolonisation l'ont fait apparaître, mais sous une forme plus proche de la guérilla, le terrorisme "moderne" -violence théoriquement "aveugle" car les victimes sont choisies comme média d'un odieux message dirigée contre toute une population, en tous lieux et tous moments-, surgit dans le dernier quart du XXème siècle. C'est en 1997 qu'est adoptée par l'assemblée générale des Nations Unies une Convention pour la répression des attentats commis par voie d'explosifs concernant l'ensemble des citoyens (N° Lexbase : L0793A47) (et non plus les agents diplomatiques ou les seuls actes commis à bord d'avions ou de navires), suivie en 1999 de son complément en matière de financement du terrorisme, puis en 2005 par le traité sur la répression des actes de terrorisme nucléaire et enfin, sur un plan régional, par la Convention du conseil de l'Europe sur la prévention du terrorisme.

Hélas, c'est en raison même de la multiplication des attaques que la législation se perfectionne. Ceci explique que très tôt, notre pays ait été cité en exemple pour son expertise. Ayant connu dès les années 80 plusieurs graves vagues de terrorisme, la France a été amenée à légiférer aussitôt, non seulement pour réprimer les auteurs d'actes terroristes, mais également pour trouver un moyen d'indemniser rapidement les victimes, domaine dans lequel notre législation est très en avance sur celle des autres pays.

Lexbase : Pouvez-vous nous préciser principales caractéristiques de l'"acte terroriste" ?

Thierry-Serge Renoux : A la suite des tragiques attaques du World Trade Center de New-York le 9 septembre 2001, l'Union européenne s'est très vite efforcée de fonder une définition commune du terrorisme, définition d'ailleurs largement inspirée de la législation française. Ainsi, à l'instar de notre Code pénal, la décision-cadre du Conseil n° 2002/475/JAI du 13 juin 2002, définit l'acte terroriste comme étant le résultat d'une conjonction nécessaire entre deux catégories d'éléments : un élément objectif consistant en un acte matériel de prise d'otage, homicide, atteintes graves à l'intégrité des personnes ou des biens notamment, et un élément subjectif, ces actes devant être commis dans le but d'intimider gravement toute une population, de déstabiliser ou de détruire la structure institutionnelle d'un pays ; éléments sans lesquels on pourra être en présence d'un attentat, d'une agression mais pas nécessairement d'un acte terroriste. Il suffit de penser par exemple aux violences commises lors de manifestations publiques particulièrement "musclées", telles que celles commises par des agriculteurs en colère ou par des gens du voyages particulièrement mécontents d'une décision de justice les concernant.

Dès 1992, on retrouve ces deux éléments caractéristiques dans la formulation même de l'article 421-1 du Code pénal français (N° Lexbase : L8437I4A) : ainsi, une atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité des personnes, un vol, une extorsion, la dégradation de bien, la reconstitution d'associations dissoutes, la détention illégale d'armes, le blanchiment, ou même le délit d'initié ne constituent un "acte terroriste", au sens (strict) de notre Code pénal que si deux conditions cumulatives sont réunies :

- d'une part, l'acte doit "être intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective",

- d'autre part, l'acte a pour "but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur".

Ce texte, issu du Code pénal de 1992, entré en vigueur en 1994, a été modifié depuis lors à huit reprises, soit en dix années, près d'une modification par an. Mais, à juste titre, surtout pour la protection de nos libertés, cette double exigence n'a jamais été abandonnée par le législateur.

Certes, dans un sens répressif et préventif, est tout aussi bien incriminé depuis 1996, la participation à "un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation" d'un acte de terrorisme tel que ci-dessus mais à la condition qu'elle soit "caractérisée par un ou plusieurs fait matériels" (C. pén., art. 421-2-1).

Pour autant, l'action isolée, même très violente, celle d'un "loup", plus "solidaire" selon nous (avec une idéologie destructrice), que "solitaire", n'est pas, per se, en elle-même, constitutive d'un acte terroriste.

Cette question a été examinée par le Parlement à l'automne 2014 et de nouvelles dispositions du Code pénal sont issues de cette réflexion. Elles assimilent explicitement à un acte de terrorisme "le fait de préparer la commission d'une des infractions" déjà citées (homicide, prise d'otage...) mais à la condition que la préparation de cette infraction, d'une part, soit "intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle" -intention et organisation qui excluent l'improvisation, l'action soudaine et non délibérée-, d'autre part, ait "pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur" -les deux éléments qui caractérisent selon nous "l'acte terroriste"- enfin, qu'elle se manifeste dans deux actes objectifs cumulatifs : primo, dans le fait de détenir, rechercher ou fabriquer "des objets et substances de nature à créer un danger pour autrui", secundo, dans "l'un des autres faits matériels" limitativement visés par le Code pénal : recueillir des renseignements sur les lieux ou les personnes cibles ; l'entraînement ou la formation au maniement d'armes ; la consultation de sites internet ou la détention de documents appelant à l'action terroriste ou last but not least, le fait d'"avoir séjourné à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes".

De telle sorte que, contrairement à ce qui est souvent avancé dans le débat public, ni la diffusion d'un message de revendication, ni la consultation de sites défendant la cause terroriste ne qualifient, à eux seuls, un acte terroriste. Ce qui n'empêche nullement d'ailleurs que l'apologie du terrorisme ou la diffusion de message incitant au terrorisme soit poursuivi en tant que délit spécifique.

Lexbase : Quelles sont les sanctions encourues par les personnes coupables d'actes de terrorisme ?

Thierry-Serge Renoux : L'échelle des peines applicables aux infractions terroristes a ceci de particulier d'être relevée d'un degré par rapport au droit commun. Autrement dit, en matière terroriste, la sanction pénale est portée au double (six ans) lorsque l'infraction est punie habituellement -traduisez en droit commun- d'un emprisonnement de trois ans ; à sept ans et dix ans lorsque les peines de droit commun sont respectivement de cinq et sept ans de prison ; à quinze ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est punie de dix ans de prison ; vingt ans ou trente ans de cette même réclusion alors que les mêmes faits délictueux commis en l'absence de qualification d'acte de terrorisme, auraient été punis de quinze ou vingt ans de la même peine ; enfin au lieu du prononcé d'une peine de trente années de réclusion, le caractère terroriste de l'infraction conduit à ce que soit encourue la peine de réclusion criminelle à perpétuité...

Cette règle de l'élévation des peines institue dès lors automatiquement un mécanisme dérogatoire, surprenant au regard du principe général énoncé à l'article 131-4 du Code pénal (N° Lexbase : L1995AMT), lequel ne prévoit aucune faculté de dérogation à l'échelle des peines d'emprisonnement qu'il institue. Mais le Conseil constitutionnel n'a pas estimé devoir sanctionner un tel mécanisme comme étant contraire au principe de nécessité des peines, alors que dans le même temps, il a jugé disproportionné et donc non conforme à ce principe, énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1372A9P), le dispositif législatif qui incriminait "non pas un acte matériel" mais "un simple comportement d'aide directe ou indirecte à des personnes en situation irrégulière" sans que celui-ci "soit en relation immédiate avec la commission d'un acte terroriste" (Cons. const. décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 N° Lexbase : A8343ACY, Loi sur la répression du terrorisme, considérants n° 8 et 9).

En matière de terrorisme s'applique depuis 1989 un régime pénal spécifique, disons "incitatif" : exemption de peine lorsque, ayant averti les autorités administratives ou judiciaires, la personne qui a tenté de commettre un acte de terrorisme a permis d'éviter la réalisation de l'infraction et d'identifier, le cas échéant, les autres coupables (C. pén., art. 422-1 N° Lexbase : L1835AMW). Forte réduction de peine (la peine prononcée est diminuée de moitié) pour l'auteur ou le complice qui, condamné à une peine privative de liberté, se repentit et, ayant averti les autorités, a permis de faire cesser les agissements incriminés ou d'éviter que l'infraction n'entraîne mort d'homme ou infirmité permanente (C. pén., art. 422-2 N° Lexbase : L2007AMB).

Enfin, l'acte de terrorisme peut être sanctionné de peines complémentaires facultatives, prévues par le Code pénal et que le juge peut prononcer, telle que l'interdiction de séjour à titre définitif sur le territoire français. Ces peines complémentaires peuvent être assorties de sanctions accessoires, qui ne sont pas à proprement parler des peines car prononcées non par le juge mais par l'autorité administrative. Il en va ainsi de la déchéance de la nationalité française qui, en application de l'article 25 du Code civil (N° Lexbase : L2614ABG), peut être prononcée par décret du président de la République, pris après avis conforme du Conseil d'Etat, à l'encontre de la personne condamnée pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme et qui a acquis la nationalité française : juridiquement, il suffit que les actes de terrorisme reprochés à l'intéressé se soient produits dans un délai de dix ans à compter de la date de l'acquisition de la nationalité française. Pour d'obscures raisons procédurales, liées au contrôle indirect de ces dispositions du Code civil déjà promulguées, le Conseil constitutionnel n'a décelé ici aucune inconstitutionnalité -ce que nous avions regretté dans notre commentaire à la Revue française de droit constitutionnel (1996, p. 819-820), de telles sanctions apparaissant au juge constitutionnel comme liées à "la gravité toute particulière que revêtent par nature (sic) les actes de terrorisme" (Cons. const., décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, Loi sur la répression du terrorisme, cons. 23). Et cette solution réaffirmée près de dix ans plus tard, sur recours d'un justiciable (Cons. const., décision n° 2014-439 QPC du 23 janvier 2015 cons. 19 N° Lexbase : A8044M9S) dans une relative indifférence de la doctrine (voir notre Code constitutionnel, 2016, Lexis Nexis, p.175 )

Lexbase : Qu'en est-il des mesures visant à faciliter leur réinsertion sociale et quid des garanties pour éviter une récidive ?

Thierry-Serge Renoux : Bien que le Conseil constitutionnel ait élevé au rang constitutionnel, le principe formulé par la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire (N° Lexbase : L9344IES) selon lequel toute peine privative de liberté doit contribuer à l'amendement de la personne condamnée et préparer sa réinsertion au sein de la société dans laquelle elle vit, la question de la réinsertion sociale des délinquants emprisonnés pour acte terroriste est peu, sinon jamais abordée, si ce n'est au travers de programmes dits "de dé-radicalisation" ou d'isolement carcéral.

Un juriste digne de ce nom ne peut se contenter d'une seule réponse pénale relevant de la répression, quant bien même elle est fort évidemment nécessaire et conjuguée à des mécanismes de prévention ou de détection de l'acte terroriste.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 n'énonce-t-elle pas que "le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions" ? Et toute politique pénale n'a-t-elle pas pour finalité de prévenir la récidive ou la réitération ?

Le débat est ouvert notamment en ce qui concerne le respect du principe constitutionnel d'individualisation des peines, selon l'âge, les capacités et la personnalité, autre aspect, mais souvent méconnu, du principe de nécessité des peines. En d'autres termes, d'ici peu de temps, la question ne sera plus de savoir comment juger l'acte terroriste mais bien plutôt de déterminer comment sanctionner utilement l'auteur d'un tel acte contraire aux intérêts de ses concitoyens, à la vie même de la nation à laquelle il appartient.

On peut déjà parler d'un modèle français en matière de répression du terrorisme. Ainsi, à la différence du système nord-américain, notre législation, d'un côté, ne considère pas juridiquement l'acte terroriste comme une criminalité de guerre (les crimes et délits de guerre sont réprimés au visa d'autres dispositions introduites dans le Code pénal en 2010) ni comme relevant de la justice militaire (ce qui est le cas en temps de guerre, en application des articles L.112-1 N° Lexbase : L2453HTZ et suivants du Code de justice militaire), mais comme visant une catégorie très précise d'infractions, qui même si elles restent particulièrement atroces, relèvent de la criminalité de droit commun, mais, d'un autre côté, n'hésite pas à faire appel à la solidarité nationale, et donc à un mode de réparation largement emprunté à celui des dommages de guerre, dès lors qu'il s'agit de l'indemnisation des victimes. Reste dès lors à espérer que notre législation servira également de modèle dans sa réponse pénitentiaire à la lutte contre le terrorisme.

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