La lettre juridique n°431 du 10 mars 2011 : Sociétés

[Jurisprudence] Point de départ de la prescription dans le cadre de conflits d'intérêts : un revirement de jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation

Réf. : Cass. com., 8 février 2011, n° 10-11.896, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9585GSS)

Lecture: 15 min

N6360BRY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Point de départ de la prescription dans le cadre de conflits d'intérêts : un revirement de jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4030457-jurisprudence-point-de-depart-de-la-prescription-dans-le-cadre-de-conflits-dinterets-un-revirement-d
Copier

par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

le 10 Mars 2011

La question du point de départ de la prescription en droit des affaires était déjà une matière éminemment sensible, elle risque de le devenir plus encore, alors que le tribunal correctionnel de Paris vient, le mardi 8 mars 2011, de faire droit à la demande de Maître Jean-Yves Le Borgne qui soulevait, entre autres, une question prioritaire de constitutionnalité relative à la prescription de l'abus de biens sociaux dans le procès des emplois fictifs de la ville de Paris.
Pour en revenir à un débat plus juridique, en dehors de la passion inspirée par le fait qu'un ancien Président de la République est indirectement intéressé à la réponse à cette question, on soulignera que la polémique sur ce point est fort ancienne, le juge comme le législateur étant confronté au dilemme que pose la dissimulation des actes. La solution, en effet, consistant à retenir le point de départ du délai à la date de découverte des faits risquerait, en pratique, de rendre le délit imprescriptible, alors que l'établir à la commission de l'acte tendrait à rendre les poursuites improbables, la découverte des faits étant souvent postérieure à l'issue du délai de prescription.
Le régime des conflits d'intérêts, tel qu'issu des dispositions des articles L. 225-38 (N° Lexbase : L5909AIP) et suivants du Code de commerce, en constitue une illustration, même s'il apparaît plus nuancé que dans d'autres domaines du droit des affaires, comme, par exemple, celui de l'abus de biens sociaux. Le législateur, en effet, a offert au juge la possibilité d'aménager le mécanisme de la prescription dans le domaine de ce qu'on appelle, communément, les conventions réglementées. L'article L. 225-42 du Code de commerce (N° Lexbase : L5913AIT) établit, ainsi, en son alinéa 2, que la prescription de l'action en nullité de trois ans se calcule à compter de la date de conclusion de la convention passée entre le dirigeant et la société. Il précise, toutefois, que, si la convention a été dissimulée, le point de départ du délai est reporté au jour où cette dernière a été révélée.
C'est ce problème de la révélation qui se trouvait au coeur de l'affaire présentée à la Chambre commerciale, dans l'arrêt ici examiné. L'auteur du pourvoi, M. X, ancien dirigeant d'une société anonyme, cédée depuis, avait fait souscrire par cette même société, en 1990, des contrats d'assurance dont certains attribuant des "indemnités de fin de carrière", auxquels il était intéressé. La conclusion desdits contrats n'ayant pas fait l'objet de la procédure d'autorisation du conseil d'administration, telle que prévue à l'article L. 225-38, et des indemnités ayant été versées à ce dirigeant en 1998, la société cédée avait introduit une action contre M. X, le 1er mars 2000, afin d'obtenir, de ce dernier, le remboursement des indemnités. La cour d'appel de Douai ayant, sur renvoi après cassation (1), fait droit à la société, M. X a formé un nouveau pourvoi. La question, ainsi posée au juge du droit, portait sur la date de la révélation, et plus précisément sur les conditions de sa détermination, la réponse de la Cour de cassation aboutissant à un revirement de jurisprudence. La Chambre commerciale, en effet, va affirmer, dans un attendu de principe, et eu égard aux conditions légales posées par l'article L. 225-42 du Code de commerce que : "s'il y a eu volonté de dissimulation, la révélation de la convention s'apprécie à l'égard de la personne qui exerce l'action". Elle retiendra, par ailleurs, dans sa motivation que la cour d'appel, en ne recherchant pas "si les conventions litigieuses avaient été dissimulées", n'avait pas donné de base légale à sa décision.
Si la rédaction de l'arrêt est originale, le juge en venant à préciser, explicitement, qu'il opère un revirement de jurisprudence, c'est sans doute parce que la solution a une double portée. En premier lieu, elle change résolument l'analyse de l'appréciation de la dissimulation (I) évoquée dans l'article L. 225-42. En effet, celle-ci ne peut plus être confondue avec la non-révélation, comme dans la jurisprudence antérieure. Elle contraint, en second lieu, à adopter une lecture duale (II) du même article, le critère de la dissimulation devant être analysé de façon matérielle et objective alors que celui de la révélation demeure fondée sur une approche subjective, celle-ci devant être appréciée exclusivement "à l'égard de la personne qui exerce l'action".

I - Des deux façons d'établir la dissimulation

Dissimulation et révélation présentant deux versants du contournement des dispositions encadrant les conflits d'intérêts, la cour d'appel de Douai avait estimé que la révélation portait, en elle-même, démonstration de la dissimulation (A). La Cour de cassation, toutefois, écarte toute relation implicite entre ces deux éléments, les érigeant en conditions séparées (B) de la mise en oeuvre de l'article L. 225-42 du Code de commerce.

A - L'ancienne thèse du critère unique : consubstantialité de la dissimulation et de la révélation

La société Vacherand SA conclut, en 1990, au bénéfice de l'ensemble de ses collaborateurs, deux polices d'assurances : l'une permet le versement des indemnités de départ à la retraite et l'autre de rentes viagères aux collaborateurs retraités. M. X, représentant légal de la société, fait partie des bénéficiaires de ces contrats. Le 2 octobre 1998, M. X cède à M. B., auquel s'est substitué la SA Safival, la totalité des actions de la société Vacherand et 60 actions de la SA Docks du Bâtiment. Le même jour, il souscrit une garantie d'actif et de passif au profit du cessionnaire. Le 9 octobre 1998, M. X part en retraite, ce qui le conduit à percevoir, des sociétés Vacherand et Docks du bâtiment, des indemnités découlant de ces conventions.

Les sociétés PB et M, venant aux droits des sociétés Vacherand et Docks du Bâtiment, intentent, alors, une action, le 1er mars 2000, estimant que les contrats d'assurance "indemnités de fin de carrière", auxquels M. X était intéressé, étaient nuls à l'égard de ce dernier, car conclus sans autorisation du conseil d'administration (2). Les demanderesses étant déboutées, dans un jugement du 14 juin 2002, par le tribunal de commerce de Soissons, elles interjettent appel, porté devant la cour d'Amiens qui infirme le jugement et condamne M. X à payer à la société Vacherand et Docks du Bâtiment, les sommes de 59 366,09 et 3 592,92 euros.
Ces deux dernières sociétés, étant, cependant, déboutées du surplus de leurs demandes, elles forment un pourvoi en cassation, la Chambre commerciale connaissant de l'affaire le 25 octobre 2007 (3). Le juge du droit casse, alors, partiellement l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens mais exclusivement en ce qu'il avait condamné financièrement M. X. Elle censure, en effet, l'arrêt au visa de l'article L. 225-42, alinéa 2, du Code de commerce, précisant que la cour d'appel, "en se déterminant [...] sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si l'action en nullité de la convention [...] mise en oeuvre dix ans après [sa] conclusion n'était pas prescrite", avait fait reposer sa décision sur un défaut de base légale.

L'affaire sera, donc, renvoyée devant la cour d'appel de Douai. Cette dernière, statuant exclusivement sur la recevabilité de la demande, ce qui explique que l'arrêt n'ait pas suscité, ultérieurement, la réunion de l'Assemblée plénière, rappellera, ainsi, que l'article L. 225-42, alinéa 2, du Code de commerce dispose que : "l'action en nullité se prescrit par trois ans à compter de la date de la convention, le point de départ de cette prescription étant, en cas de dissimulation, reporté au jour où la convention a été révélée". Elle relève, en l'espèce, que, même s'il avait pu être démontré que les membres des conseils avaient été informés de l'existence de ces conventions, cette connaissance ne valait pas autorisation préalable et ne pouvait suppléer la décision du conseil d'administration. Elle souligne, enfin, que l'approbation des comptes en assemblée générale ne suffisait pas à démontrer que les conventions avaient été révélées, faute pour les informations comptables d'avoir fait apparaître distinctement le poste de dépenses relatifs aux engagements de retraite litigieux. Pour le juge du fait, ainsi, la révélation des conventions s'était faite, pour les sociétés concernées, le 9 décembre 1998, date du paiement des indemnités de fin de carrière et l'action n'était, de la sorte, pas prescrite.

B - Le revirement de jurisprudence : la dualité des conditions de dissimulation et de révélation

M. X forme un second pourvoi en cassation. Les juges du Quai de l'Horloge font, alors, droit à sa demande, en cassant l'arrêt qui avait déclaré l'appel des deux sociétés recevables. Statuant, en effet, au visa de l'article L. 225-42 du Code de commerce ils posent, pour ce dernier, dans un attendu de principe, une nouvelle interprétation de ce texte. Ils rappellent, d'abord, la règle qui veut que l'action en nullité d'une convention visée à l'article L. 225-38 du même code se prescrive par trois ans, puis l'exception, qui permet, si la convention a été dissimulée, que le point de départ du délai se calcule à compter de la révélation.

Interprétant cette exception, la Chambre commerciale lui donne, dans un second temps, un nouveau sens, précisant que les conséquences tirées du texte qui établit la duré de prescription diffèrent de la solution donnée par cette même chambre dans un arrêt du 24 février 1976 (4). Elle souligne, à ce titre, que ce revirement de jurisprudence évolue dans le sens de la conformité, "à l'exigence de sécurité juridique au regard de l'évolution du droit des sociétés". Ainsi, le juge du droit pose-t-il que : "s'il y a eu volonté de dissimulation, la révélation de la convention s'apprécie à l'égard de la personne qui exerce l'action". Il casse, dès lors, l'arrêt d'appel, soulignant in fine -mais pas dans l'attendu de principe- qu'en se "déterminant par de tels motifs, sans rechercher si les conventions litigieuses avaient été dissimulées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

Cette référence, rarissime, à l'arrêt ayant fixé la jurisprudence antérieure, invite à mesurer les conséquences de ce revirement -on ne saurait plus explicite- en matière d'interprétation de l'article L. 225-42 du Code de commerce. Jusqu'ici, en effet, le point de départ du délai était calculé en vertu de la solution dégagée par l'arrêt du 24 février 1976. Cette dernière, qui se déterminait, à l'époque, sous l'empire de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 (N° Lexbase : L6202AGS), avait, en effet, interprété les termes de l'ancien article 105 du Code de commerce (N° Lexbase : L6122CZR), comme permettant d'occulter l'exigence d'une dissimulation, cette dernière pouvant se déduire de la seule révélation.

En l'espèce, les faits de l'arrêt de 1976 étaient comparables à ceux de l'affaire analysée. La Chambre commerciale, au motif que les textes établissaient que c'était la date de la révélation de la convention qui fixait le point de départ de la prescription de l'action, avait cassé un arrêt de cour d'appel, estimant que celui-ci s'était contredit en retenant, d'une part, que l'assemblée avait été révélatrice de la convention alors qu'elle constatait, d'autre part, l'imprécision du rapport spécial présenté lors de ladite assemblée. Selon le juge du droit cette imprécision ne permettait pas de considérer que le délai de prescription avait commencé à courir à partir de cette date.

Pourtant, l'arrêt d'appel évoquait une thèse fort intéressante pour se prononcer sur la dissimulation, établissant très précisément qu'elle assimilait ce terme à celui de "recel". L'arrêt d'appel cassé, ainsi, tout en retenant la nullité de la convention portant engagement de retraite au profit d'un dirigeant, pour non-respect des dispositions relatives aux règles sur les conflits d'intérêts, avait estimé que l'action était prescrite, parce qu'il n'y avait pas "recel envers le conseil d'administration". Elle se décidait pour l'irrecevabilité, par ailleurs, parce que, même si le rapport fait à l'assemblée générale ultérieure apparaissait imprécis, il n'y avait pas eu, au surplus, "recel envers les actionnaires" puisque ces derniers avaient eu la possibilité "de se renseigner et d'obtenir des dirigeants sociaux les précisions souhaitables de chiffres et de noms". Or, c'est ce sens, donné à la dissimulation (dans ce cas précis à son absence), que devait censurer la Chambre commerciale en 1976. En effet, cette dernière, à l'époque, avait écarté l'interprétation littérale retenue par la cour d'appel, allant jusqu'à occulter la notion de dissimulation, en l'unissant, implicitement avec l'exigence de révélation. Ainsi, en soulignant que, en l'état de la procédure interne à la société, seule l'assemblée générale des actionnaires avait le pouvoir de lever la nullité de la convention litigieuse, le juge du droit écartait explicitement l'assimilation de la dissimulation au recel : tant que la convention n'était pas explicitement révélée, dans les formes requises, et avec la possibilité, pour les personne protégées par les textes, de connaître tous les éléments de la convention, il n'y avait pas révélation.

II - L'interprétation duale du point de départ du délai de prescription

La Cour de cassation en reviendrait-elle, dans l'arrêt de 2011, à l'interprétation qu'avait donné la cour d'appel d'Aix en Provence qui, en 1974, assimilait la dissimulation au "recel" ? Il est sans doute trop tôt pour l'affirmer, même si, incontestablement, la position du juge du droit évolue sensiblement. On doit sans doute cette modification à l'enrichissement de l'encadrement législatif depuis l'arrêt de 1976. Le contrôle interne des conflits d'intérêt s'étant fait plus rigoureux depuis, notamment, par la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420 N° Lexbase : L8295ASZ), on comprend que le juge n'ait plus à s'ériger aussi scrupuleusement en protecteur de l'actionnaire. Il semble, ainsi, que l'on doive raisonnablement en revenir à une conception objective et matérielle de la dissimulation (A), la conception subjective de la révélation (B), venant compléter l'appréciation de la date de départ de la prescription.

A - L'appréciation objective et matérielle de la dissimulation

S'agissant des engagements de retraite et de leur soumission au régime de contrôle des conflits d'intérêt, il convient de rappeler que, sous-jacente à l'idée de dissimulation, il pèse sur "l'intéressé", visé à l'article L. 225-38 du Code de commerce, l'obligation de déclarer les conventions qu'il a conclues avec la société (5). Ainsi, du point de vue de cet "intéressé", deux solutions seraient, alors, envisageables : soit il ne déclare pas la convention, soit il la déclare. Dans le premier cas, il n'aura pas dissimulé la convention, dans le second, cette dissimulation pourra être retenue.

En pratique, toutefois, on peut imaginer que l'intéressé ait omis de déclarer, soit par ignorance des subtilités de législation sur les conflits d'intérêts, soit en estimant que la convention, en raison de son peu d'importance ou de son absence de "signification" (6), selon les termes retenus par le législateur, n'ait pas à être communiquée au conseil d'administration. C'est là où la notion de "recel" pourrait s'illustrer utilement, celle-ci supposant la volonté de taire l'existence de la convention ou d'en masquer les conséquences les plus nocives, voire les seules informations susceptibles d'alerter les administrateurs et/ou les actionnaires.

Il faut, néanmoins, distinguer ce qui, dans le contrôle des conventions dites réglementées, relève de l'abstraction et de la réalité. En effet, dans le cadre des engagements de retraite et des indemnités de fin de carrière, l'information sur les conventions passées par la société ne saurait être véritablement dissimulée. La nature même d'un engagement d'un tel ordre, lorsqu'il est conclu par l'intermédiaire d'une société d'assurance, suppose que ce n'est pas l'intéressé qui contracte directement avec la société, mais un organisme tiers, qui s'engage, par le biais d'une stipulation pour autrui, à régler les arrérages de rente prévus ou les indemnités de fin de carrière au bénéficiaire. Sans nul doute, le dirigeant étant "intéressé" par les effets du contrat conclu avec la compagnie d'assurance, doit-il le déclarer à la société, et la solution ne fait aucun doute. La société, cependant, à travers ses associés et ses administrateurs, ne saurait ignorer l'existence de l'engagement sauf à être confrontée à des manoeuvres relevant, vraisemblablement, de la manipulation des comptes, car se trouvant en contradiction avec les dispositions de l'article L. 123-13 du Code de commerce (7). Dans les cas, beaucoup plus rares, dans lesquels c'est la société elle-même qui s'engage envers les bénéficiaires, en provisionnant sur ses comptes sans recourir à un intermédiaire, le respect de la recommandation n° 2003-R.01 du 1er avril 2003 du Conseil national de la comptabilité (8), aboutirait à imposer une information équivalente, de tels engagements étant analysés comme des "avantages postérieurs à l'emploi" ce qui conduit, également, à rendre improbables les hypothèses de dissimulation. Cette notion, alors, a, sans doute, dans le cadre précis de ces engagements, un autre sens que celui de la non-communication de la convention, dont on a pu souligner qu'elle est pratiquement impossible.

Par dissimulation, ainsi, on pourrait entendre : soit le recel des conséquences juridiques et comptables des contrats souscrits, soit l'artifice consistant à masquer le montant d'un engagement par la conclusion d'un ensemble de conventions incluant salariés et mandataires sociaux, à l'image de la pratique des motions blocs concernant les rémunérations des dirigeants. On signalera, à ce titre, que la loi du 21 août 2007(loi n° 2007-1223, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8) est venue encadrer, fort opportunément, certains types de pratiques, non pour les engagements de retraite proprement dits (9), mais, pour l'indemnité forfaitaire de départ (10).

Il demeure que l'indemnité due par la société Vacherand, en l'espèce, ne rentrait pas, à l'époque, dans le champ d'application de la loi de 2007, d'autant que -c'est l'hypothèse la plus probable- une grande partie des versements avaient été opérée au titre d'un risque couvert par l'assurance. On notera, également, que la loi de 2007 vise les sociétés dont les titres sont admis à négociation sur les marchés réglementés, ce qui écarte, d'emblée, toute comparaison avec le cas de la société Vacherand. Cette remarque, cependant, tend à relever la consistance du nouvel encadrement législatif, renforcement susceptible de justifier la nouvelle jurisprudence de la Chambre commerciale.

Dans la nouvelle appréciation objective que celle-ci nous propose, la dissimulation pourra donc probablement être constatée lorsque le mandataire social, à raison de fonctions particulières qu'il exerce, s'est abstenu fautivement de déclarer une convention ou a usé d'artifices de présentation, son attitude ayant eu pour effet de ne pas permettre aux actionnaires, présents comme futurs, de connaître la réalité de l'engagement ou de ne pas être en mesure de prendre véritablement connaissance de la portée des obligations dont la société a été rendue débitrice.

B - L'appréciation subjective de la révélation

Cet essai de définition, qui méritera, sans doute une confirmation jurisprudentielle, laisse cependant augurer d'une évolution quant à l'appréciation subjective de la révélation que la Chambre commerciale suggère de retenir en soulignant que celle-ci devra être appréciée exclusivement "à l'égard de la personne qui exerce l'action". En l'espèce, la question était de savoir si les cessionnaires des titres avaient été peu diligents dans leur recherche d'information, voire, si, compte tenu des circonstances, ils n'auraient pas dû se montrer plus vigilants quant à l'existence de conventions et engagements de retraites ou de départ à la retraite, qui grèvent fréquemment les comptes des sociétés. En effet, le régime parfois adopté, notamment pour les indemnités de fin de carrière, peut contraindre la société souscriptrice à devenir débiteur à la place ou en complément de l'assureur lorsque le bénéficiaire quitte la personne morale alors que cette dernière n'a pas versé suffisamment de cotisations pour que l'assureur garantisse, à lui seul, l'intégralité des engagements. C'est, alors, à la société de verser au bénéficiaire le solde des sommes dues.

Il s'avère, ainsi, que lorsque le départ du bénéficiaire résulte d'une cession, la conclusion de clauses de garantie de passif et/ou d'actif par le cessionnaire permettra à ce dernier de se retrancher derrière un voile d'ignorance, garanti qu'il sera contre toute dépréciation de la valeur de la société ou de ses titres. Ainsi convaincu de l'innocuité, pour lui, des dissimulations, des erreurs dans les comptes ou, comme en l'espèce, d'un engagement mal mesuré, sa vigilance risquera d'en être atténuée. Pis encore, le jeu de telles clauses peut l'inciter à conclure la cession sans prendre les précautions et diligences nécessaires. On peut, en effet, imaginer, dans l'absolu, que celle-ci soit conclue en toute connaissance de cause, c'est-à-dire avec la certitude, en cas de doute sur la portée des engagements pris, de disposer, avec les clauses de garanties, de la faculté de se faire rembourser, directement ou indirectement, une partie du prix de cession. La situation, si l'on en croit la rédaction adoptée par la Chambre commerciale, serait, alors, à distinguer de celle de l'associé qui, lors de l'assemblée générale concernée, n'aurait pu être en mesure de comprendre les engagements souscrits par la société. Apparemment, il faudra que les juges du fond, à l'avenir, adaptent leurs solutions aux cas d'espèce en mesurant, en particulier, le niveau de technicité du demandeur aussi bien que l'aide qu'il aura pu recevoir au moment de sa décision.


(1) Cass. com., 20 février 2007, n° 04-16.438, F-D (N° Lexbase : A2793DUY).
(2) Extrait de Cass. com., 20 février 2007, préc. : "la société Safival, venant aux droits de [M. B.], a saisi le tribunal de commerce, aux fins d'obtenir la condamnation de [M. V.] à lui payer la somme de 429 842,66 euros au titre de la garantie de passif, comme correspondant au déficit provoqué par les contrats susvisés dont elle prétendait ignorer l'existence au jour de la cession ; parallèlement, les sociétés Vacherand SA et la société Docks du bâtiment ont assigné [M. V.] devant la même juridiction, aux fins de remboursement des sommes respectives de 59 366,09 et 3 592,92 euros reçues par lui au titre des indemnités de fin de carrière, ainsi que les sommes de 169 816,92 et 31 845,23 euros perçues au titre de l'indemnité de retraite complémentaire".
(3) Cass. com., 20 février 2007, préc..
(4) Cass. com., 24 février 1976, n° 74-13.185 (N° Lexbase : A5086AYZ) ; Rev. Soc., 1977, p.88, note Y Chartier ; JCP éd. G, 1976, II, 18506, note Cl . Lucas de Leyssac.
(5) C. com., art. L. 225-40.
(6) C. com., art. L. 225-39 (N° Lexbase : L5910AIQ).
(7) Selon les dispositions de l'article L. 123-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L5571AI8), "le montant des engagements de l'entreprise en matière de pensions, de compléments de retraite, d'indemnités et d'allocations en raison du départ à la retraite ou avantages similaires des membres ou associés de son personnel et de ses mandataires sociaux est indiqué dans l'annexe. Par ailleurs, les entreprises peuvent décider d'inscrire au bilan, sous forme de provision, le montant correspondant à tout ou partie de ces engagements".
(8) Conseil national de la comptabilité, recommandation n° 2003-R.01 du 1er avril 2003, relative aux règles de comptabilisation et d'évaluation des engagements de retraite et avantages similaires.
(8) A. Viandier, Les engagements d'indemnisation des dirigeants sociaux après la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, JCP éd. E, 2007, 2129, n° 38, p. 35 et 36.
(10) C. com., art. L. 225-42-1, al. 2 (N° Lexbase : L9221HZK) et art. L. 225-90-1, al. 2 (N° Lexbase : L9223HZM). Ces articles subordonnent l'attribution de "rémunération bénéfices et avantages dont le bénéfice , n'est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances", avec une de ces formules dont Alain Viandier (ibid., p. 36) aime à nous gratifier :"pour user d'une image aéronautique le pilote a un parachute si l'avion vole et est en bon état et en mesure de poursuivre son vol, il s'écrase au sol comme les autres passagers si l'avion n'est plus en état de voler" (à propos des golden parachutes).

newsid:416360

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.