La lettre juridique n°431 du 10 mars 2011 : Internet

[Questions à...] Le droit à l'image sur l'autel des réseaux sociaux - Questions à Maître Emmanuel Pierrat, Avocat à la Cour

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 10 Mars 2011

Le droit à l'image, ou plus précisément le droit au respect de sa propre image, défini dans le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu, comme le droit, pour chacun, à l'exclusivité et au respect de sa représentation, est une notion très ancienne puisqu'elle est apparue, au milieu du 19ème siècle, la première plaidoirie sur le droit à l'image se rapportant à des croquis représentant la comédienne Rachel sur son lit de mort, et qui avaient provoqué l'indignation de la famille. La protection du droit à l'image s'articule, aujourd'hui, entre l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), relatif au respect de la vie privée, l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), en matière de responsabilité, et l'article 226-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2092AMG), qui impose de recueillir l'autorisation d'une personne avant de diffuser son image. On peut se demander si ce droit à l'image n'apparaît pas sacrifié sur l'autel des réseaux sociaux internet (Facebook, Twitter, Copains d'avant et tant d'autres...). Pour nous éclairer, nous avons interrogé Maître Emmanuel Pierrat, l'un des grands spécialistes en la matière, qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : La publication d'une photo sur un site internet de réseau social relève-t-elle, selon vous, du domaine public ou privé ?

Emmanuel Pierrat : De l'un comme de l'autre, cela dépend des cas.

A priori, on peut considérer qu'un réseau social, tel qu'il est formaté aujourd'hui, relève, à 90 %, de l'espace public et constitue donc un média. Quel que soit le réseau social (qu'il s'agisse de Facebook, Copains d'avant, Twitter, etc.), dès lors que l'on utilise une fonctionnalité qui consiste à afficher une photo ou des informations accessibles à d'autres personnes, on se trouve dans l'espace public. Même s'il faut être membre du réseau pour y accéder, étant donnée l'ampleur des réseaux sociaux (pour Facebook, il s'agit de quelque 600 millions d'utilisateurs mondiaux, et 17 millions en France), considérer que l'on est dans un espace privé réservé me semble assez difficilement soutenable, et en tous les cas, les tribunaux ne le considèrent pas comme tel, que ce soit en droit du travail, ou en matière de diffamation.

La publication d'une photo sur un réseau social internet est donc soumise à l'ensemble de la législation, de la réglementation et de la jurisprudence applicables au droit de la presse en général, sachant que certaines règles (relatives aux délais de prescription, au droit de réponse, etc.) diffèrent selon le type de support (l'audiovisuel, à la radio, en direct, en différé).

Il faut toutefois nuancer. En effet, selon le paramétrage du profil et selon que la publication relève d'une correspondance privée entre un individu et un autre, via la fonctionnalité prévue à cet effet, qui implique que l'on s'adresse à un nombre de destinataires extrêmement limité, on peut considérer que la publication d'une photo relève du domaine privé. Mais il n'y a pas de limite chiffrée. Cette question a été extrêmement débattue devant les tribunaux en matière de diffamation publique ou privée, ou de syndicalisme, et les juges n'ont jamais fixé -fort heureusement- de limite précise. L'appréciation s'est toujours faite au cas par cas, et cela doit valoir dans le cadre des réseaux sociaux. Elle peut dépendre de la fonction utilisée pour véhiculer ou afficher des images (messagerie interne au réseau social, publication sur un "mur"), du nombre de personnes y ayant accès (tous les contacts, ou nombre de personnes très limité). Mais quoi qu'il en soit, on ne peut déterminer arithmétiquement des conditions précises à partir desquelles on basculerait de la sphère privée à la sphère publique. C'est une affaire de plaidoirie !

Lexbase : Dans quelle mesure une personne peut-elle publier des photos d'ordre privé, mettant en cause d'autres personnes qu'elle-même, sur un réseau social internet ?

Emmanuel Pierrat : Sur cette question du droit à l'image, c'est la jurisprudence qui a élaboré et construit le régime applicable sur les bases classiques du Code civil, c'est-à-dire de l'article 1382, relatif à la responsabilité, ou de l'article 9, relatif au respect de la vie privée, sachant que la Cour de cassation alterne entre les deux fondements, depuis un siècle et demie. En tout état de cause, la jurisprudence considère aujourd'hui que toute photo d'ordre privé, c'est-à-dire d'une personne qui n'est pas dans l'exercice d'une fonction publique, nécessite une autorisation pour qu'elle soit diffusée publiquement. Donc on retombe sur la question du domaine public ou privé : si l'on diffuse une photo d'ordre privé, mettant en cause une autre personne que soi-même, mais que cela reste dans un cadre très restreint personnel ou familial, il n'est pas nécessaire de demander une autorisation en droit ; en revanche, dès lors que la publication relève du domaine public, elle doit faire l'objet d'une autorisation.

Or, dans cette seconde hypothèse, dans 99,9 % des cas, aucune autorisation n'est demandée, et les personnes sont en infraction. En outre, les autorisations, pour être valables, selon la jurisprudence, doivent être extrêmement précises en visant le type de support, la durée, l'étendue de l'espace géographique, etc.. Au mieux, la personne qui aura diffusé la photo justifie d'une autorisation de mise en ligne de la photo, que lui a donnée la personne concernée dans le cadre d'un échange de mails, mais sans aucune précision quant à l'objet ou la durée de cette autorisation. On peut, donc, considérer qu'une personne qui estime que la publication d'une photo sur laquelle elle apparaît lui a causé un préjudice, peut attaquer la publication, et obtiendra gain de cause. Il faut, également, savoir que les conditions générales d'utilisation des réseaux sociaux contiennent une clause selon laquelle la personne garantit détenir les droits d'auteur, le droit à l'image, etc., et donc être munie de toutes les autorisations. Autrement dit, la publication d'une photo sur laquelle apparaît une autre personne qui n'a pas donné son accord relève de l'illégalité la plus complète.

Enfin, la question de l'identification de la personne (photo "taguée") vient amplifier le préjudice. L'indemnisation en dommages et intérêts est, alors, d'autant plus élevée si l'identité de la personne est directement identifiable.

Lexbase : Comment doit-on considérer le problème de la réutilisation par la presse d'une photographie diffusée sur un réseau social ? Cette photo doit-elle être considérée comme rendue publique et donc réutilisable ?

Emmanuel Pierrat : La réutilisation de ce type de photos par la presse est, évidemment, totalement litigieuse, et ce quand bien même la publication initiale de la photo est entrée dans le domaine public. En effet, s'il s'agit d'une photo publiée par une autre personne sur un réseau social, on ne peut pas exciper du fait que cette personne a commis une faute, pour la réitérer et l'amplifier ; et si c'est la personne elle-même qui a publié une photo d'elle, il faut considérer qu'elle garde le contrôle de la publication de son droit à l'image, c'est-à-dire le périmètre du support sur lequel elle entend voir son image publiée ; c'est ce que l'on appelle, dans mon jargon, "le droit au caprice".

On songe, ici, bien sûr à l'affaire de "Boris Boillon", et l'on peut extrapoler sur ce cas, sans préjuger. L'argument selon lequel il aurait publié lui-même sa photo ferait obstacle à ce qu'il puisse contester sa réutilisation sans son accord, ne tient absolument pas. La jurisprudence est très clairement établie. Ainsi, la publication initiale d'une photo détermine un périmètre que l'on peut délimiter en fonction du type de publication, de l'organe de presse, du support, etc.. Autrement dit, la publication par soi-même d'une photo sur un réseau social ne donne pas un blanc seing. En revanche, le juge va tenir compte de ce critère, qui n'est donc qu'un argument de plaidoirie, pour déterminer la sanction et la réparation.

Enfin, dans cette affaire, il n'y a pas de droit à l'information qui primerait et ferait sortir cette image de la vie privée pour la faire passer dans la sphère publique. La réutilisation par la presse n'est justifiable en rien par le débat à l'information sur le rôle que tient le nouvel ambassadeur de France en Tunisie, ou sur son comportement vis-à-vis de la presse.

Lexbase : Pensez-vous que l'état actuel du droit assure un équilibre satisfaisant entre sécurité et protection de la vie privée, d'une part, et liberté sur internet, d'autre part ? Une évolution du droit est-elle souhaitable ?

Emmanuel Pierrat : Très sincèrement, l'équilibre entre sécurité et protection de la vie privée, d'une part, et liberté sur internet me semble tout à fait satisfaisant. On dispose, aujourd'hui, d'un système juridique qui permet d'appréhender un certain nombre de comportements et dans lequel le juge joue réellement un rôle de régulateur, en portant une appréciation au cas par cas, et en adaptant la sanction à chaque fois. Le deuxième alinéa de l'article 9 du Code civil est en effet très large puisqu'il vise "toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée" ; il peut donc s'agir de mesures d'interdiction, de publication judiciaire, d'attribution de dommages et intérêts... Le dispositif laisse aux magistrats une grande souplesse, ce qui est très satisfaisant face à la diversité des situations, et face à une technologie sans cesse en évolution.

Toute tentative de légiférer n'a, donc, aucun sens, d'autant plus qu'une législation nationale ou européenne n'aurait aucune efficacité dans les limites du principe même d'internet. Je pense donc qu'il ne faut toucher à rien et s'en remettre simplement à la sagesse du tribunal !

Lexbase : N'existe-t-il pas des différences de traitement judiciaire, selon les tribunaux ?

Emmanuel Pierrat : On a effectivement pu entendre que le tribunal de Nanterre était plus "généreux", que celui de Paris, mais ce n'est pas vrai dans la réalité. Historiquement, la compétence du tribunal de Nanterre est liée à l'implantation des groupes de presse, même si le tribunal compétent est, soit celui du lieu du siège social de l'organe de presse, soit celui du lieu où le préjudice a été commis, et il peut donc s'agir de n'importe quel kiosque à journaux. Que ce soit au tribunal de Nanterre ou de Paris, ils sont tellement "rôdés" que l'on peut presque penser qu'ils appliquent un "barème". Mais heureusement, ce n'est pas si simple.

Je ne pense pas qu'il existe une différence à porter un litige devant le tribunal de Nanterre ou celui de Paris ; d'ailleurs, les magistrats permutent, et communiquent entre eux. Il existe donc, peu à peu, une sorte d'harmonisation chez les magistrats qui connaissent régulièrement de ce genre d'affaires.

En tout état de cause, il est préférable de porter ce type de litiges devant des juges spécialisés plutôt que devant des tribunaux de province qui n'ont pas l'habitude de ce contentieux. Les tribunaux de Nanterre ou de Paris sont très compétents techniquement. La spécialisation des magistrats permet de gagner du temps et de garantir des décisions plus équilibrées, plus justes, et moins susceptibles de voies de recours.

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