La lettre juridique n°431 du 10 mars 2011 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Conseiller prud'homme : les conséquences de la fraude et du manquement à l'obligation de loyauté relativement à l'application du statut protecteur

Réf. : Cass. soc., 16 février 2011, n° 10-10.592, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1629GXM)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 10 Mars 2011

Non sans une certaine rigueur, la Cour de cassation considère que la protection du conseiller prud'homme contre le licenciement s'applique à compter de la proclamation des résultats. Il en résulte que le fait que l'employeur soit dans l'ignorance de l'existence du mandat n'a aucune portée quant au bénéfice du statut protecteur. L'arrêt rendu le 16 février 2011 par la Cour de cassation, qui aura les honneurs de son rapport annuel, révèle qu'il convient toutefois de tenir compte de l'attitude fautive du salarié. Outre que la fraude du salarié peut le priver de la protection attachée à son mandat, le manquement à son obligation de loyauté à l'égard de l'employeur peut avoir une incidence sur le montant de l'indemnisation due au titre de la violation de son statut protecteur.
Résumé

La protection du conseiller prud'homme s'applique à compter de la proclamation des résultats des élections, peu important l'ignorance par l'employeur de l'existence du mandat. Seule une fraude du salarié peut le priver de la protection attachée à son mandat, le manquement à son obligation de loyauté à l'égard de l'employeur ne pouvant avoir d'incidence que sur le montant de l'indemnisation due au titre de la violation de son statut protecteur.

Observations

I - Difficulté, pour l'employeur, de respecter le statut protecteur de certains salariés

  • Présentation

Nombreux sont aujourd'hui les salariés qui bénéficient de la protection contre le licenciement. Outre ceux qui sont investis des mandats visés aux articles L. 2411-1 (N° Lexbase : L3230IML) et L. 2411-2 (N° Lexbase : L0147H9C) du Code du travail, sont, également, concernés les salariés ayant demandé l'organisation d'élections professionnelles dans l'entreprise, les candidats à ces élections, ainsi que ceux qui, ayant été titulaire d'un mandat, l'ont perdu.

Dans toutes ces hypothèses, l'employeur se doit, avant de rompre le contrat de travail du salarié, de solliciter une autorisation de l'inspecteur du travail. Le non-respect de cette exigence entraîne le prononcé de graves et importantes sanctions auxquelles l'employeur ne saurait échapper en invoquant le fait qu'il ignorait qu'il devait se soumettre à cette procédure exorbitante du droit commun. On peut, en revanche, se demander si ce même employeur ne serait pas en droit de soutenir qu'il ne savait pas que le salarié bénéficiait d'un tel statut protecteur.

Une telle argumentation n'a, évidemment, aucune chance de prospérer lorsque le salarié est protégé au titre d'un mandat de représentant du personnel exercé dans l'entreprise ou encore parce qu'il a demandé à l'employeur d'organiser des élections. Il en va différemment lorsque les fonctions en vertu desquelles le salarié bénéficie de la protection sont exercées en dehors du périmètre de l'entreprise. On songe ici au mandat de conseiller prud'homme et à celui de conseiller du salarié, à tout le moins lorsque l'employeur n'a pu, à aucun moment, avoir connaissance de ce mandat. La Cour de cassation fait, néanmoins, preuve en la matière d'une certaine rigueur.

  • Les rigueurs de la jurisprudence

Parce que l'employeur est tenu de laisser au conseiller prud'homme (C. trav., art. L. 1442-5 N° Lexbase : L2011H9D) et au conseiller du salarié (C. trav., art. L. 1232-8 N° Lexbase : L1088H98) le temps nécessaire pour l'exercice de leurs fonctions, il lui est en général difficile de prétendre ignorer qu'ils sont titulaires d'un tel mandat. Mais cela n'est pas pour autant impossible, notamment lorsque l'on se situe à une date proche de celle à laquelle ils ont été désignés ou élus. De manière regrettable, le Code du travail ne prévoit aucune information directe de l'employeur quant à cette "investiture". La Cour de cassation est venue combler cette lacune.

S'agissant du conseiller prud'homme, elle a récemment décidé que sa protection court "à compter de la proclamation des résultats des élections le lendemain du jour du scrutin prévue par l'article D. 1441-162 du Code du travail (N° Lexbase : L1075IA3), indépendamment de la publication au recueil des actes administratifs de la préfecture du département prévue par l'article D. 1441-164 du même code (N° Lexbase : L1070IAU)" (1). Le même jour, la Chambre sociale de la Cour de cassation a retenu que "la protection du conseiller du salarié, inscrit sur la liste prévue par l'article L. 1232-7 alinéa 2 du Code du travail (N° Lexbase : L1086H94), court à compter du jour où cette liste est arrêtée dans le département par le préfet en application de l'article D. 1232-5 du même code (N° Lexbase : L2500IAT), indépendamment des formalités de publicité prévues par ce dernier texte" (2).

Ces deux solutions sont fort proches, spécialement en ce qu'elles fixent de manière très rigoureuse le point de départ de la protection contre le licenciement, sans avoir le moindre égard pour les formalités de publicité. Elles excluent par là même que l'employeur puisse prétendre, serait-ce en toute bonne foi, qu'il ignorait que les salariés étaient investis de l'un des deux mandats en cause. Cela étant, le second des arrêts cités réservait, de manière au demeurant sibylline, l'hypothèse dans laquelle le salarié aurait méconnu son obligation de loyauté. Ainsi que l'avait relevé un auteur, on pouvait s'interroger sur les conséquences d'un tel manquement (3). C'est précisément à cette question que la décision sous examen vient répondre. Bien que rendue à propos d'un conseiller prud'homme, la solution doit valoir pour le conseiller du salarié.

II - Nécessité, pour le salarié protégé, de respecter son obligation de loyauté

  • L'affaire

En l'espèce, M. X, salarié de la société F. après avoir cédé à cette société les parts de sa propre entreprise en mai 2006, avait été licencié pour faute grave le 5 juin 2007. Invoquant la violation de son statut protecteur lié à un mandat de conseiller prud'homal, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes indemnitaires pour licenciement illicite et violation du statut protecteur.

Pour débouter le salarié de ses demandes, la cour d'appel saisi du litige, après avoir relevé que rien n'établissait que l'employeur ait pu avoir connaissance de la qualité de conseiller prud'homal de M. Gosselin, avait énoncé que ce dernier, en sa double qualité de salarié hautement qualifié et de conseiller prud'homme, s'était ainsi délibérément abstenu d'évoquer son statut de salarié protégé, laissant se poursuivre une procédure de licenciement qu'il savait irrégulière de telle sorte que ce comportement déloyal lui interdisait de revendiquer les dispositions du statut protecteur.

Cet arrêt est cassé au visa de l'article L. 1442-19 du Code du travail (N° Lexbase : L2037H9C) par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui affirme que "la protection du conseiller prud'homme s'applique à compter de la proclamation des résultats des élections, peu important l'ignorance par l'employeur de l'existence du mandat ; que seule une fraude du salarié peut le priver de la protection attachée à son mandat, le manquement à son obligation de loyauté à l'égard de l'employeur ne pouvant avoir d'incidence que sur le montant de l'indemnisation due au titre de la violation de son statut protecteur".

  • Une solution équilibrée

Reprenant la rigoureuse solution retenue dans l'arrêt précité du 22 septembre 2010 s'agissant du point de départ de la protection, la Cour de cassation confirme, si besoin était, que l'ignorance par l'employeur de l'existence du mandat ne saurait avoir la moindre portée quant au bénéfice du statut protecteur. Elle n'en attache pas moins une importance certaine à l'attitude du salarié protégé, introduisant ainsi un équilibre nouveau dans sa jurisprudence, que laissait pressentir l'autre arrêt du 22 septembre 2010.

A la lecture de l'arrêt rapporté, on est tenté de dire que la Cour de cassation institue une gradation dans l'attitude fautive du salarié, allant de la fraude au simple manquement à l'obligation de loyauté. Les conséquences de la fraude du salarié sont pour le moins rigoureuses puisque celui-ci perd purement et simplement le bénéfice du statut protecteur contre le licenciement. Il importe de relever que l'hypothèse de fraude n'est pas inconnue en la matière. Il faut, en effet, se souvenir que la Cour de cassation considère de longue date que la désignation frauduleuse d'un salarié en qualité de délégué syndical, entendue comme celle qui tend exclusivement à assurer la protection de l'intéressé, a pour effet de lui interdire de revendiquer le bénéfice du statut protecteur contre le licenciement (4).

La situation envisagée dans l'arrêt commenté est cependant différente. N'est pas ici en cause l'hypothèse dans laquelle un salarié se ferait élire conseiller prud'homme à la seule fin de bénéficier du statut protecteur (5). A notre sens, la Cour de cassation entend viser le cas où, par des manoeuvres frauduleuses, le salarié entendrait laisser son employeur dans l'ignorance de son mandat. Pour le moins critiquable, cette attitude délibérée lui interdit de se prévaloir du statut protecteur. Gageons qu'un tel comportement, difficile à prouver par l'employeur (6), sera rarement caractérisé. Mais ce n'est pas tout.

En effet, il résulte de l'arrêt que peut, également, être reproché au salarié un manquement à son obligation de loyauté. Il faut certainement comprendre ici que, positivement, la Cour de cassation impose au salarié d'informer son employeur qu'il est titulaire d'un mandat de conseiller prud'homme, si ce n'est dès le moment où il est élu, à tout le moins à compter du jour où il se sait menacé d'un licenciement. A la différence de la fraude, la seule abstention du salarié permettra de caractériser un manquement à l'obligation de loyauté, dont on ne voit pas pour quelles raisons elle n'aurait pas eu à développer ses effets ici aussi.

Cela étant, cette abstention fautive n'aura pas de conséquence sur le bénéfice du statut protecteur. Ainsi que le précise la Chambre sociale, elle n'aura d'incidence que sur le montant de l'indemnisation due au titre de la violation de son statut protecteur (7). Il faut ici remarquer que seule cette indemnité sera concernée et non celle réparant l'intégralité du préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement (8).

Si la solution peut apparaître justifiée, elle démontre que, contrairement à ce que l'on pouvait penser jusqu'à présent, l'indemnité précitée n'a pas un caractère strictement forfaitaire. Le juge pourra au contraire la minorer, afin de tenir compte de l'attitude fautive du salarié.


(1) Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-40.968, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2304GAL). V. les obs de Ch. Radé, Sécurité juridique et revirement de jurisprudence : la Chambre sociale de la Cour de cassation fait de la résistance, Lexbase Hebdo, n° 411 du 7 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1111BQ9) ; JCP éd. S, 2010, 1474, note crit., Th. Lahalle.
(2) Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 08-45.227, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2157GA7], V. les obs. de S. Tournaux, Départ de la protection accordée au conseiller du salarié : un revirement bien discutable, Lexbase Hebdo n° 411 du 7 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2629BQG) ; JCP éd. S, 2010, 1487, note J.-Y. Kerbourc'h.
(3) V. la note préc. de J.-Y. Kerbourc'h.
(4) V. par ex., Cass. crim., 6 novembre 1979, n° 78-92.862 (N° Lexbase : A2077ABK).
(5) Une telle élection devrait toutefois être annulée, ce qui aurait pour effet, conformément à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, de lui faire perdre le bénéfice du statut protecteur.
(6) La fraude ne pouvant être présumée, c'est bien à l'employeur qu'il appartiendrait de la démontrer.
(7) C'est-à-dire l'indemnité d'un montant égal à la rémunération que le salarié aurait dû percevoir entre son éviction et la fin de la période de protection.
(8) Dont on sait qu'elle est au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 (N° Lexbase : L1342H9L). Les indemnités de rupture ne sont pas non plus concernées. Sur ces différentes indemnités, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 25ème édition, 2010, § 988.

Décision

Cass. soc., 16 février 2011, n° 10-10.592, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1629GXM)

Cassation de CA Rouen, ch. soc., 17 novembre 2009, n° 09/01228 (N° Lexbase : A3048GPL)

Texte visé : C. trav. , art. L. 1442-19 (N° Lexbase : L2037H9C)

Mots-clés : conseiller prud'homme, licenciement, protection, point de départ, méconnaissance par l'employeur, fraude et obligation de loyauté du salarié

Liens base : (N° Lexbase : E9535ESX)

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