La lettre juridique n°431 du 10 mars 2011 : Éditorial

Assurance automobile : échec aux dames...

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Une moitié de l'espèce humaine est hors de l'égalité, il faut l'y faire rentrer : donner pour contrepoids au droit de l'homme le droit de la femme" - Victor Hugo, Actes et paroles.

Et, parce que l'égalité des sexes fait partie de l'égalité des Hommes, les textes et chartes fondamentaux ne distinguant pas entre les genres, le principe d'égalité homme-femme/femme-homme (selon) irrigue, enfin, notre droit national et communautaire pour faire entrer dans les faits une égalité des droits vieille de deux siècles, déjà.

Or, il y a deux manières de lutter contre l'inégalité de fait entre les hommes et les femmes : d'une part, il est possible d'obliger la société à considérer, à travers toutes ses ramifications, les femmes au même titre que les hommes (cf. les lois salariales, les lois anti-discrimination, les lois sur la parité électorale ou, dernièrement, la loi sur la parité dans les instances dirigeantes des grandes sociétés) ; d'autre part, il est possible d'interdire toute discrimination positive en faveur des femmes, pour ramener leur condition factuelle à celle des hommes. Si la première manière est, généralement, bien accueillie, en ce qu'elle marque un progrès de civilisation dans la compréhension et la nécessité d'un rééquilibrage dans les relations femmes-hommes, expression de l'égalité des genres, la seconde manière est perçue comme une douche froide, expression de l'égalitarisme aveugle dont il n'est pas certain qu'il serve, au final, les dessins de l'égalité elle-même.

Et, la pilule égalitariste avait de quoi être amère, en ce 1er mars 2011, à l'annonce, quelques jours avant la journée des Femmes (8 mars), par la Cour de justice de l'Union européenne, de la fin de la prise en compte du critère de sexe de l'assuré, en tant que facteur de risques dans les contrats d'assurance. Ainsi, à compter du 21 décembre 2012, les compagnies d'assurance ne pourront plus prendre en considération le sexe des conducteurs assurés pour déterminer le montant des primes d'assurance automobile, sauf à s'appuyer sur des études et données statistiques fiables et régulières justifiant d'un risque différencié entre les genres. Ce n'est donc pas la fin des primes d'assurances favorables aux femmes, comme l'ont clamé tous les journaux et médias de vulgarisation juridique. C'est la fin d'un régime automatique de discrimination positive en faveur des femmes, la règle n'étant plus la dérogation au principe d'égalité, mais celle de la prime unisexe ; charge aux assureurs d'apporter la preuve que le traitement favorable qu'ils appliqueraient aux femmes s'appuie sur des données statistiques (data mining) régulièrement mises à jour.

Dans un certain sens, la Cour, en promouvant le principe de la prime unisexe, tord le cou à l'idée que l'on puisse se fonder sur un cliché ou un axiome (vérité indémontrable), pour favoriser tel ou tel sexe ; ce qui apparaît comme un élan souhaitable dans la marche vers l'égalité entre les genres. Mais, il ne faut pas être dupe des conséquences directes d'une telle jurisprudence : les compagnies d'assurance s'apprêtent à augmenter le montant des primes d'assurance pour les conductrices, car elles ne comptent pas réévaluer, sur la base de ce critère, leurs montants à l'orée d'études statistiques régulières et coûteuses. L'égalité femme-homme se fera, en la matière, par un rehaussement des primes d'assurance des femmes et non un abaissement de celle des hommes. Certains évoquent, déjà, une majoration de 30 à 45 % pour les femmes de moins de 29 ans et de 25 % pour l'ensemble d'entre elles.

Ce n'est certes pas la première fois que le principe d'égalité entre les sexes dessert, dans les faits, les femmes. On pense, ici, au régime de départ à la retraite anticipé à taux plein des femmes fonctionnaires mères de trois enfants qui a empli les prétoires des juridictions administratives pendant dix ans. A partir du moment où le principe d'égalité homme-femme commandait à ce que les fonctionnaires hommes bénéficient du même avantage, l'Etat, pour des raisons budgétaires, n'a pas eu d'autre choix que de remettre en cause, progressivement, ce régime de discrimination positive. Mais, la décision de la Cour de justice est sans précédent en ce qu'elle remet en cause toute une économie, celle des assurances, et en ce qu'elle touche toutes les femmes (conductrices certes).

En effet, avec cet arrêt, c'est toutes les tables statistiques des assurances qu'il faut revoir. Si l'on ne pense qu'au critère de genre, le montant des primes d'assurance-vie pour les femmes -parce qu'elles vivent plus longtemps- va devoir être corrigé, ainsi que celui de l'assurance habitation ou de l'assurance santé. Mais, au-delà de l'égalité homme-femme, c'est l'interdiction de toute discrimination empirique qui est remise en cause : quid, alors, du critère de l'âge, de celui de l'état de santé, du handicap pour l'évaluation de la seule assurance automobile ?

D'aucuns, pratiques, se réjouiront que les assureurs s'obligent à une appréciation in concreto de la situation de l'assuré ; notamment au regard des seuls critères d'ancienneté du permis de conduire, du nombre d'accidents survenus, du type de véhicule assuré : ce que le système du bonus-malus traduit, d'ores et déjà, pour ce qui concerne l'assurance automobile. Mais, les choses risquent de se corser pour d'autres risques à couvrir où l'appréciation du risque est intimement, voire exclusivement, fonction de critères discriminant par nature -le sexe et l'âge en matière d'assurance-vie-.

D'autres, plus théoriques, se réjouiront que le droit communautaire tourne définitivement le dos au discours antique des inégalités culturelles par des causes naturelles, consacrant une certaine laïcisation de la vision chrétienne d'égalité des âmes et des personnes, condamnée par certains, comme Nietzsche, comme préjugé chrétien. Et, à l'heure où certains redécouvrent le terreau des valeurs spirituelles à des fins plus politiques que moniales, alors que son prédécesseur avait, justement, refusé d'inscrire cet héritage cultuel au sein de la Constitution européenne à des fins pacificatrices, on voit fort bien combien il est difficile de dépassionner le débat même sur l'égalité homme-femme. Mais, il faut dire aussi que les études récentes sur les comportements différenciés et le dimorphisme psychologique, mal interprétées ou à mauvais desseins, obligent, parfois, à faire appel aux grands principes universels, spirituels, voire cultuels, pour stopper net un discours renaissant sur le bien-fondé de l'inégalité entre les genres.

67 % des Français estiment qu'il est "important" de mettre le thème de la parité homme-femme à l'ordre du jour de l'élection présidentielle selon un dernier sondage réalisée par l'agence Mediaprism pour une association féministe, Le Laboratoire de l'Egalité. Certaines associations entendent soumettre un pacte sur l'égalité homme-femme aux candidats à la présidentielle de 2012 à l'image du pacte écologique de Nicolas Hulot ayant forcé l'avènement du "Grenelle de l'environnement". Il est certain que la parité homme-femme dans les conseils d'administration ne peut pas masquer l'inégalité factuelle entre les genres que subissent la majorité des femmes dans leur quotidien, ni les méfaits d'un égalitarisme, qui s'il est fondé sur de bonnes intentions, risque de paver l'enfer des femmes en proie à une inégalité de plus en plus inacceptable au regard de l'évolution inexorable des civilisations. Il appartient, dès lors, aux politiques nationaux et européens de s'emparer non pas d'un simple sujet de société, mais d'un principe constitutionnel au coeur de toute société tournée vers le progrès social. La lutte pour l'égalité homme-femme n'est autre que celle contre l'obscurantisme.

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