La lettre juridique n°431 du 10 mars 2011 : Marchés publics

[Questions à...] La dématérialisation des marchés publics, cadre juridique et applications pratiques - Questions à Danièle Véret, avocat au barreau de Paris

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 10 Mars 2011

La dématérialisation des marchés publics se traduit par l'utilisation de la voie électronique pour les échanges qui interviennent dans le processus d'achat public et qui entrent dans le champ d'application de l'article 56 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2773ICP). Cependant, la mise en ligne des documents et renseignements ne fait pas obstacle à la possibilité pour un opérateur de demander leur transmission par voie postale sur support papier ou, si le règlement de la consultation le permet, sur support physique électronique. Depuis le 1er janvier 2010, le pouvoir adjudicateur peut exiger la transmission des candidatures et des offres par voie électronique et depuis la même date, pour les achats de fournitures de matériels informatiques et de services informatiques d'un montant supérieur à 90 000 euros hors taxes, les documents requis des candidats sont transmis par voie électronique. Si la dématérialisation n'a aucun effet sur le contenu des informations, qui est indépendant de la forme du support utilisé et du mode de transmission, elle implique, toutefois, pour les acheteurs et les entreprises, une nouvelle organisation interne afin de pouvoir tirer tous les bénéfices de ces nouvelles pratiques, dont le contenu a été détaillé en 2010 par la direction des affaires juridiques du ministère de l'Economie dans un guide pratique de dématérialisation des marchés publics. Pour faire le point sur cette évolution importante dans la procédure de la commande publique, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Danièle Véret, avocat au barreau de Paris et animatrice du groupe de travail "Les nouvelles technologies en droit public" au sein de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ). Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste exactement la dématérialisation ? Quel en est le cadre juridique ?

Danièle Véret : La dématérialisation est une expression générique pour désigner le passage d'un document du format papier au format informatique. Cette expression englobe le procédé technique de changement de la forme du document. Il en découle la possibilité de ne plus stocker des papiers mais d'archiver les documents dématérialisés dans des fichiers électroniques. Cela permet, également, une consultation des documents directement depuis l'écran d'un ordinateur sans avoir besoin de documents sous format papier. La dématérialisation des marchés publics est la possibilité de conclure des marchés par voie électronique, en utilisant soit une messagerie électronique, soit une plateforme en ligne sur internet.

Surgissent, alors, immédiatement à l'esprit des doutes quand à la valeur probatoire des documents dématérialisés. L'article 1316 du Code civil (N° Lexbase : L1427ABH) énonce que "la preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission". Il ouvre donc la voie à la valeur probatoire d'un document dématérialisé. Mais ce nouveau document ne constitue pas l'original qu'il est préférable de conserver. En effet, l'article 1334 du même code (N° Lexbase : L1444AB4) dispose que "les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée". L'exemplaire numérisé est assimilable à une copie. Une autorité administrative ou judiciaire peut toujours être amenée à demander la communication de la pièce originale en vue d'une comparaison entre la copie et l'original. Si l'original n'a pas été conservé, c'est une copie fidèle et durable qui peut servir de preuve, selon l'article 1348 du Code civil (N° Lexbase : L1458ABM). Pour reconnaître une telle valeur à un document dématérialisé, il faut un procédé qui rend le document inaltérable. Selon cet article 1348, "est réputée durable toute reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support". La fidélité, quant à elle, induit un processus qui atteste de l'intégrité du message.

C'est devant ces exigences qu'est née la solution de procéder à une signature électronique du document qui a vocation à authentifier l'identité de l'émetteur et attester de l'intégrité du document. L'article 1316-4 du Code civil (N° Lexbase : L0630ANN), qui concerne cette signature, dispose que "lorsqu'elle est électronique, elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat". Ainsi, tout un processus de sécurisation a été mis en place pour obtenir la garantie de tiers de confiance qui délivrent des certificats qui permettent le chiffrement et le déchiffrement de données par des personnes habilitées grâce à des clés. C'est ce système qui a été mis en place, en particulier, sur les plates-formes de dématérialisation des marchés publics.

Toute la hiérarchie des normes du droit se décline sur le sujet de la signature électronique. L'on peut, ainsi, citer : la Directive (CE) 1999/93 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1999, sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques (N° Lexbase : L0093AWD), transposée par la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000, portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique (N° Lexbase : L0274AIY) et le décret n° 2001-272 du 30 mars 2001, pris pour l'application de l'article 1316-4 du Code civil et relatif à la signature électronique (N° Lexbase : L1813ASX) ; le décret n° 2002-535 du 18 avril 2002, relatif à l'évaluation et à la certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l'information (N° Lexbase : L7050AZ7) ; et l'arrêté du 26 juillet 2004, relatif à la reconnaissance de la qualification des prestataires de services de certification électronique et à l'accréditation des organismes qui procèdent à leur évaluation (N° Lexbase : L3717GU9). Celui-ci indique que le COFRAC (Comité français d'accréditation) est habilité à délivrer des accréditations aux sociétés chargées d'évaluer les prestataires de services de certification, sous la surveillance de la Direction centrale de la sécurité des systèmes d'Information (DCSSI). Il existe, également, des normes sur l'archivage pour la conservation de données dans des conditions de sécurité et d'exploitabilité (norme NZ 042-13, par exemple).

Par ailleurs, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, créée par le décret n° 2009-834 du 7 juillet 2009 (N° Lexbase : L4626IE3), donne son avis en matière de sécurité informatique. La dématérialisation vient aussi en amont de la conservation d'un document puisque la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC), va jusqu'à encadrer la conclusion de contrats par voie électronique. Elle a aussi fait son entrée dans le secteur des marchés publics puisque, outre le téléchargement des documents de consultation des entreprises, un système de réponse aux consultations publiques par voie dématérialisée est mis en place progressivement. Les dispositions sont prévues dans le Code des marchés publics, notamment à son article 41, alinéa 3 (N° Lexbase : L2724ICU), pour l'information des candidats et à son article 56 (N° Lexbase : L2773ICP) pour la définition des obligations en matière de dématérialisation. Cet article 56 précise, d'ailleurs, qu'"à compter du 1er janvier 2012, pour les achats de fournitures, de services ou de travaux d'un montant supérieur à 90 000 euros hors taxes, le pouvoir adjudicateur ne peut refuser de recevoir les documents requis des candidats transmis par voie électronique".

Lexbase : Quels éléments de sécurisation prévoir pour utiliser cette procédure ? Comment garantir la confidentialité des informations ?

Danièle Véret : En 2008, la Cour de cassation, s'appuyant sur le principe du procès équitable instauré par l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) a rendu une décision intéressante aux termes de laquelle "l'admission par le juge judiciaire d'une prétendue copie informatique qui ne présente aucune garantie de fidélité, d'inaltérabilité et d'intégrité n'est pas conforme aux exigences du procès équitable [...] la cour d'appel a demandé à l'employeur de rapporter la preuve impossible à établir d'un fait négatif [ne pas avoir reçu un courrier] rompant, ainsi, l'égalité des armes entre les parties" (Cass. civ. 2, 4 décembre 2008, n° 07-17.622, FS-P+B+R N° Lexbase : A5177EBD).

L'article 56 du Code des marchés publics, concernant la transmission électronique des offres, énonce que "le pouvoir adjudicateur assure la confidentialité et la sécurité des transactions sur un réseau informatique accessible de façon non discriminatoire, selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l'Economie [...]". Pour cela, des plates-formes de dématérialisation ont été mises en place et s'appuient sur le procédé de la signature électronique grâce à un certificat, un manuel devant permettre à l'utilisateur d'être dépanné en cas de difficulté. Toutefois, des incidents techniques peuvent se produire justifiant, alors, l'annulation de la procédure par le président du tribunal administratif jugeant dans le cadre d'une procédure de référé pré-contractuel. Il a, ainsi, été jugé que "des défaillances de l'opérateur du portail électronique de transmission des offres auquel il a obligé les candidats d'avoir recours sont de nature à affecter la régularité de la procédure de passation du marché public [...]" (TA Limoges, 12 novembre 2010). Le candidat avait reçu un message d'erreur "signature altérée" et n'avait pas trouvé, dans le manuel de la plate-forme, le mode d'emploi pour y remédier.

Lorsque la candidature et l'offre sont déposées par voie électronique dans la boîte mail de la personne publique qui a lancé la consultation, ces documents restent enfermés dans ce coffre-fort électronique qui ne sera ouvert qu'après la date et l'heure limite de remise des plis. Concernant ce que l'on pourrait appeler "l'e-administration", à savoir les échanges par voie dématérialisée entre les usagers et l'administration, il convient de se référer à l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005, relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives (N° Lexbase : L4696HDB), qui vise, notamment, l'utilisation d'un référentiel général de sécurité (RGS) du système d'information de l'administration. Le décret n° 2010-112 du 2 février 2010 (N° Lexbase : L5256IGR) et l'arrêté du 6 mai 2010, portant approbation du référentiel général de sécurité et précisant les modalités de mise en oeuvre de la procédure de validation des certificats électroniques (N° Lexbase : L5011IPB) en précisent les modalités d'application. Celui-ci vise la sécurité, la confidentialité, l'intégrité des informations échangées, la disponibilité et l'intégrité des systèmes et de l'identification des utilisateurs. Le niveau de sécurité d'un produit de sécurité et d'un service de confiance fait l'objet d'une qualification.

Lexbase : Quelle est la valeur probante de la signature électronique ?

Danièle Véret : L'article 1316-4 précise que celle-ci, pour avoir une valeur probante, doit être mise en oeuvre grâce à un "procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache". Il existe une présomption de fiabilité du procédé générant la signature mais la preuve contraire peut être apportée. Pour parler plus globalement de l'écrit sous forme électronique, l'article 1316-1 du même code (N° Lexbase : L0627ANK) dispose que "l'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité".

A titre d'illustration de cette question, je citerai volontiers une décision de la Cour de cassation du 4 décembre 2008 (Cass. civ. 2, 4 décembre 2008, n° 07-17.622, FS-P+B+R, précitée), révélatrice des difficultés rencontrées pour asseoir de façon certaine la force probatoire de l'écrit dématérialisé : "[...] à l'heure de la dématérialisation, il ne saurait être fait grief à la Caisse primaire d'assurance maladie [...] de n'avoir conservé que la seule copie informatique du courrier en date du 20 janvier 2003". Toutefois, l'un des grands principes du droit de la preuve est que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même. Ainsi, il convient de "démontrer que l'employeur a eu effectivement connaissance de la clôture de l'instruction avant la décision de prise en charge [...] cette preuve ne saurait être rapportée par la production d'un document informatique imprimé par la caisse pour les besoins de la cause qui permettrait tout au plus d'établir l'existence d'un courrier d'information mais en aucun cas l'envoi à l'employeur, et encore moins la réception par celui-ci, de ce courrier préalablement à la décision de prise en charge".

Dans une autre affaire, une caisse d'allocations familiales réclamait à M. X le solde d'un trop-perçu d'allocation de logement à caractère social pour la période des mois de juillet à décembre 2002, arguant d'une différence entre les revenus, à elle déclarés par l'allocataire au titre de l'année 2001, et ceux déclarés au service des impôts. Un protocole d'accord avait été signé le 20 novembre 1996 entre la Direction générale des impôts (DGI) et la Caisse nationale des allocations familiales permettant la transmission sur support magnétique de données fiscales par la DGI aux CAF afin de permettre à ces dernières de vérifier, a posteriori, la sincérité des ressources déclarées par les allocataires pour l'attribution des prestations sociales ou familiales sous condition de ressources, ainsi que pour l'aide personnalisée au logement. Le tribunal a considéré que "la seule impression d'écran [...] laissant apparaître un montant [...] au titre de l'avis d'imposition 2002 ne suffisait pas à rapporter la preuve de l'existence de l'indu, nul ne pouvant se constituer de preuve à soi-même". Pour la Cour de Cassation (Cass. civ. 2, 25 juin 2009, n° 08-12.248, F-D N° Lexbase : A4162EIY), ne figurent sur l'impression écran éditée à cette occasion par une CAF que les données objectives transmises par l'administration fiscale, issues des fichiers d'impôt sur le revenu détenus par cette dernière. L'impression d'écran n'est autre que le relevé informatique transmis par la DGI en application du protocole du 20 novembre 1996.

Nous retrouvons, ici, l'application de l'article 1316-3 du Code civil (N° Lexbase : L0629ANM) selon lequel "l'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier". Le pouvoir d'appréciation revient donc au juge, en application de l'article 1316-2 (N° Lexbase : L0628ANL) du même code : "lorsque la loi n'a pas fixé d'autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support".

Lexbase : Comment présenter sa candidature et son offre ?

Danièle Véret : Il convient de ne pas se leurrer : tout le processus de préparation des informations à fournir au titre d'une candidature (preuves de la compétence et des capacités financières) et de rédaction de l'offre (proposition technique et financière) passe par une étape papier. Les documents dématérialisés envoyés par le candidat sont au départ et à l'arrivée des copies électroniques de documents sur support papier. De toute façon, pour présenter ces documents, il faut respecter scrupuleusement les indications données par la personne publique dans l'avis d'appel public à concurrence et dans le règlement de consultation. Si la personne publique l'a décidé et qu'elle en a informé les candidats, la candidature et l'offre devront être transmises par voie électronique, l'obligation générale d'y recourir étant fixée au 1er janvier 2012.

Lexbase : Quelles sont les modalités d'exercice du contrôle de légalité des marchés dématérialisés ?

Danièle Véret : Il faut se reporter au décret n° 2005-324 du 7 avril 2005, relatif à la transmission par voie électronique des actes des collectivités territoriales soumis au contrôle de légalité et modifiant la partie réglementaire du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1348G8G). La transmission doit être faite en utilisant un dispositif homologué répondant à des exigences précisées dans un cahier des charges. Le dispositif doit permettre "l'identification et l'authentification de la collectivité territoriale émettrice, l'intégrité des flux de données [...] ainsi que la sécurité et la confidentialité de ces données". Le préfet peut suspendre son utilisation en cas de dysfonctionnement grave qui l'empêche de prendre connaissance des documents. Il est précisé que le maire et le préfet signent une convention détaillée donnant la référence du dispositif homologué de transmission. Le cahier des charges doit décrire l'architecture de la chaîne de transmission, faire référence aux normes de données et à leurs fonctionnalités de traitement, et à la façon d'exploiter et de gérer les incidents de fonctionnement. En fait, c'est le mode de transmission qui rend les documents du marché dématérialisés. Le contrôle de légalité en tant que tel n'est pas modifié et le préfet examine les documents de la même façon, qu'ils soient sur support papier ou sur support électronique.

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